5- Dr_ Françoise Le Fichant

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5- Dr_ Françoise Le Fichant
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
immobilières et de construction
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
immobilières et de construction
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Dr. Françoise Le Fichant
Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes
1 Associé-consommateur : même combat ? Serait-il aussi facile de se
défaire d’un contrat de société qu’il peut le sembler parfois d’un contrat de
consommation ? En osant l’exagération, on ne fait finalement que rendre
compte de l’évolution récente de la loi française en matière de société
d’attribution en jouissance à temps partagé, si mal surnommée
« multipropriété ». Même si cela ne concerne qu’une seule structure
sociétaire, il est évident que dans le domaine de l’immobilier et de la
construction, on assiste à un départage suivant les objectifs poursuivis par
les associés.
Le retrait est un droit ou une faculté conféré aux associés dans
certaines sociétés de droit français. Il se distingue de la cession au sens
strict en ce que l’associé n’a pas à se préoccuper de trouver un cessionnaire
qui prenne sa place dans la société. L’associé se retire donc sans être
systématiquement remplacé au sein de la société. Cette prérogative ne
saurait être exercée sans restrictions, la société – et les autres associés pouvant s’en trouver fragilisés. Dans les sociétés liées à l’immobilier ou à
la construction, où les financements seront importants et les objectifs
parfois différents, le retrait ne peut pas a fortiori être traité à la légère.
1. Le droit de retrait n’est pas spécifique au droit français. On le
rencontre également dans les droits anglo-saxons sous le nom - pas
réellement approprié - de « droit de retraite ». Adéquate ou non, c’est
également sous cette appellation que l’on rencontre cette prérogative dans
le droit italien. Et c’est sans doute ce régime juridique qui est le premier à
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Dr. Françoise Le Fichant avoir codifié le droit de retrait d’un associé(1) dans une société anonyme,
dès 1883. Néanmoins, et c’est la perspective la plus fréquemment répandue
dans les différents régimes juridiques, le « droit de retraite » est alors
envisagé comme mode échappatoire pour les actionnaires qui ont refusé le
vote de certaines décisions en assemblée générale. Forcément mis en
minorité, ces actionnaires peuvent avoir quelques raisons de se retirer de la
société. Peu organisé par le législateur en France, ce droit de retraite s’y
montre toutefois présent au travers des pactes statutaires ou extrastatutaires.
Mais l’approche en droit français pourrait être
fondamentalement différente de celle du droit italien qui l’a vu naître. Le
droit de retrait a surtout été prévu en Italie pour permettre à des sociétés de
quitter une société qui s’acheminait vers une nouvelle expansion. En
France, le souci est essentiellement la préservation de l’affectio societatis.
Il faut permettre à l’associé qui ne ressent plus ce sentiment de quitter la
société. Ce vœu est absolument compatible avec l’esprit des sociétés de
personnes, mais moins avec celui des sociétés de capitaux.
2. Envisagé la plupart du temps dans la perspective positive d’un
droit, le retrait ne doit pas non plus laisser ignorer sa face négative, à savoir
l’obligation qu’il entraîne pour les associés – ou la société elle-même - de
racheter les droits sociaux de celui qui entend se retirer(2). S’il existe dans
la plupart des sociétés en faveur d’un associé qui se serait vu refuser un
agrément à une cession de droits sociaux (y compris dans des sociétés très
ouvertes comme les sociétés de capitaux(3)), les sociétés civiles
(1)
(2)
(3)
96
Michel Meyssan « Les droits des actionnaires et autres porteurs de titres dans les
sociétés anonymes – Etude de droit comparé. » Edition Cujas 1962
Or, ce caractère est parfois utilisé, non pas nécessairement dans une perspective
d’exécution, mais aux fins d’équilibre entre des associés ou des groupes
d’actionnaires. Inséré dans un pacte extra-statutaire ou directement dans les statuts
de la société, le droit de retrait sera habilement combiné avec un droit de préemption.
Si l’on y ajoute une clause d’inaliénabilité (forcément limitée dans le temps), on
comprendra alors que l’on peut obtenir des structures très fermées, dans lesquelles
les associés sont tenus de respecter les subtils équilibres mis en place lors de la
constitution de la société.
Y compris pour les associés de sociétés cotées : il existe une procédure de retrait
obligatoire dans les sociétés faisant l’objet d’une cotation en bourse (art 5-7-1 du
règlement du Conseil des Marchés Financiers), ouverte aux actionnaires très
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
immobilières et de construction
compliquent la donne en ouvrant plus largement les facultés de retrait aux
associés.
3. Ce peut même être un moyen de pression organisé, statutairement
ou non (mais le plus souvent hors statut), lorsqu’un associé est en mesure
d’entraîner, dans son retrait, un certain nombre d’autres actionnaires(4). Ce
peut être également une obligation de quitter la société. Mais ce retrait
tactique usité dans les sociétés de capitaux est notablement différent de
celui qui existe dans les sociétés de personnes, représentées largement par
les sociétés civiles immobilières et de construction(5). Il s’agit là de
signifier, non pas une perte de pouvoir dans la prise de décision, mais
davantage une perte de confiance dans la réalisation de l’objet social. Ce
n’est finalement qu’une manifestation de la perte de l’affectio societatis.
C’est alors que le particularisme du droit de retrait se manifeste,
notamment au regard du droit des contrats. Il va ainsi être offert à l’associé
de quitter la relation contractuelle (les statuts représentant le contrat de
société), pour des obligations qu’il n’a plus envie d’assumer (l’obligation
aux pertes), tout en se faisant rembourser de ses droits sociaux. La
perspective peut être tentante, et l’on a déjà songé à un rapprochement de
statut ainsi réalisé entre l’associé et le consommateur. Cet alignement, le
législateur vient de le parfaire, dans le domaine précis des sociétés
d’attribution en jouissance en temps partagé. Pourra-t-on longtemps
continuer à parler, à propos de ce mode de détention d’immobilier de
loisirs, de société, quand d’autres pays optent pour des modes différents
(4)
(5)
minoritaires, si 95% des actions sont détenues par un associé seul ou de concert,
lorsqu’il y a transformation de la société anonyme en société en commandite par
actions, ou lorsqu’il y a une modification substantielle due aux majoritaires dans
l’orientation de l’activité de la société. Mais l’équivalent n’existe pas en faveur des
associés des sociétés non cotées, en dépit d’un projet des sénateurs en 1998(3).
Par des clauses de sortie conjointe, ou clauses d’entraînement. Voir sur ce thème
Françoise Le Fichant « Typologie et validité des clauses de sortie dans les sociétés
de capitaux » in « La sortie de l’investisseur » Colloques et Débats Litec 2007 p.
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Même si quelques unes de ces sociétés peuvent être des sociétés commerciales, les
avantages fiscaux sont le plus souvent attachés à ces sociétés fiscalement
transparentes que sont les sociétés de personnes. Par conséquent, c’est
traditionnellement cette forme de société qui est choisi pour la gestion et la
construction d’ensemble immobilier.
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Dr. Françoise Le Fichant (fiducie en droit anglo-saxon, indivision en droit belge, ou « droit réel
d’habitation périodique » en Espagne…) ?
4. Le départ de ces associés peut représenter un poids financier
important pour la société, contraintes de rembourser les droits sociaux de
ceux-ci. Encore faut-il considérer le type de sociétés dans lequel le retrait
va être exercé. Dans ce seul domaine de la construction et de l’immobilier,
les objectifs poursuivis par les associés seront parfois fondamentalement
différents, au point de faire douter de la qualité de société. Dans les
sociétés constituées en vue de retirer un intérêt spéculatif, l’associé qui
demandera le retrait visera à se faire rembourser ses droits sociaux.
S’ensuivront notamment des difficultés liées à l’évaluation de ces droits.
En revanche, dans les sociétés attributives, la demande de retrait a surtout
pour objectif de se faire attribuer un droit réel sur les constructions. Le
remboursement des droits sociaux ne posera pas alors de réels soucis. Le
droit de retrait devient alors un prisme permettant d’accentuer la différence
entre certains objectifs sociaux. Il ne s’agit même pas de considérer des
différences de formes sociétaires, mais bien d’appréhender les motifs
profonds de la constitution d’une société. Et l’on réalise alors que la
structure de la société peut répondre, parfois avec quelques artifices, à des
objectifs profondément différents. Le mécanisme de retrait d’un associé
nous montre que dans les sociétés ayant pour objectif la réalisation d’un
intérêt spéculatif ne se réalise pas de la même manière (I) que dans les
sociétés où les associés recherchent, avant toute chose, à devenir titulaire
d’un droit sur les immeubles faisant partie du patrimoine de la société (II).
I - Le retrait dans les sociétés civiles immobilières où les associés
recherchent un intérêt spéculatif.
5. Opposé à la cession, le retrait pur suppose que l’associé qui le met
en œuvre quitte la société sans se faire remplacer(6). L’associé ne renonce
pas pour autant à se faire rembourser ses apports(7). L’éternel antagonisme
(6)
(7)
98
M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy Droit des sociétés Litec 16ème éd. 2003 p.
173 N° 402
Encore faut-il nuancer : remboursement des seuls apports initiaux ou tous les droits
sociaux à la valeur au jour du remboursement ? Plus le retrait est soumis à un régime
allégé, facultatif, moins l’associé a de prises pour exiger autre chose que le seul
remboursement de ses apports (initiaux). En revanche, si le retrait est organisé
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
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mais aussi complémentarité des sociétés entre droit des contrats et droit des
sociétés réapparaît alors. Au regard du droit des contrats, il n’est guère
concevable, sauf à titre dérogatoire(8), qu’une partie puisse quitter la
relation contractuelle, en se faisant rembourser les sommes qu’elle a pu
engager. En revanche, en considération de l’affectio societatis, support
fondateur de la société, le retrait peut n’apparaître que légitime pour
l’associé qui aurait perdu la foi en l’entreprise commune. Confronté à ce
paradoxe, le législateur n’a sans doute pas souhaité institutionnaliser un
droit de retrait pour les associés lambda, tout en aménageant des
mécanismes de retrait dans certaines sociétés et pour certaines
circonstances. Les exemples sont bien connus : société à capital variable,
société d’exercice libéral, GIE, et surtout société civile (on fait ici pour
l’instant abstraction des possibilités conventionnelles d’organisation d’un
retrait). On peut également mentionner les hypothèses particulières de la
SNC et du retrait en faveur du seul gérant associé révoqué (art L. 221-12
al. 1 code de commerce), et de la SARL pour tout associé qui se voir
refuser l’agrément à la cession (art. L.223-14 al. 3 et 4 code de commerce).
Toutefois, dans la SARL, ce n’est pas tant le retrait qui est autorisé, que le
respect du droit de céder ses parts sociales qui est ainsi organisé. En effet,
lorsque l’agrément à une cession de parts sociales est refusé, et si dans le
délai de trois mois à compter de ce refus, aucune autre solution n’est
proposé au cédant, celui-ci a le droit, non pas de se retirer, mais de vendre
ses parts sociales au cessionnaire qu’il avait initialement pressenti (art.
L.223-14 al. 5 c.com.). C’est donc le droit de cession qui est assuré, et non
le strict droit de retrait qui est ainsi prévu.
A - La mise en œuvre du retrait.
(8)
comme un droit, l’associé retrayant est alors en mesure de réclamer le
remboursement de tous ses droits sociaux.
avec particulièrement le droit de la consommation ou bien encore l’évolution récente
apportée par la première chambre civile de la Cour de cassation le 28 octobre 2003
n° 01-03662 , Bull. civ. I n° 211 p. 166 ; Rev. Contrats 2004 note L. Aynès et D.
Mazeaud ; rev. Lamy dr. Civ. Février 2004 n° 2 p. 5 note : E. Garreau ; Cont. Conc.
Consom. 2004 p. 14 note L. Leveneur, qui permet à une partie de mettre fin à
unilatéralement à un contrat lorsque la gravité de comportement de l’autre partie le
justifie.
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Dr. Françoise Le Fichant 6. Les sociétés civiles ont ceci de particulier qu’elles disposent de
plusieurs facultés pour permettre aux associés de quitter la société.
L’article 1869 code civil envisage successivement l’accord unanime des
autres associés, ou à défaut, une disposition statutaire organisant ce retrait.
Cette succession n’est en soi pas surprenante au regard de ce qui est
faisable dans les autres formes de sociétés. En revanche, ce qui apparait
spécifique à la société civile, c’est le retrait autorisé par une décision de
justice(9). Seule la société civile dispose de cette faculté, qui tend à relier
nettement intuitu personae et affectio societatis. Ce retrait ainsi autorisé,
d’une manière que l’on voudrait ultime, démontre la place de la personne
dans ces sociétés et le respect du sentiment de mener ensemble un projet
commun : construire, vendre, gérer des biens immobiliers. Lorsqu’un
associé l’a perdu, il doit pouvoir se retirer. On observera seulement alors
l’immixtion du juge dans le contrat de société, ce qui au regard du droit des
contrats peut surprendre.
7. Néanmoins, tout ne peut pas être prétexte à quitter le navire. Et
quant à l’appréciation des justes motifs par le juge, des évolutions sont
sensibles. Des constantes sont pourtant reconnaissables. Ainsi, le juge ne
se laisse pas envahir par la considération de l’intérêt de la société. D’une
manière d’ailleurs parfois surprenante, sinon choquante, le juge va refuser
de mettre en balance l’intérêt social et l’intérêt individuel de l’associé
retrayant. Le retrait d’un associé est loin d’être neutre pour la société et son
capital. En dépit de cela, l’appréciation du motif du retrait demeure
subjective. Ainsi, ont pu être retenu pour le juge des considérations
financières : un rendement insuffisant au travers des dividendes versés, au
regard du capital engagé, a pu justifier le retrait d’un associé(10). Des
(9)
(10)
100
Il faut d’ailleurs respecter cet ordre énoncé par l’art. 1869 code Civil, à savoir :
l’accord unanime des associés, les clauses statutaires, puis enfin, le recours possible
au juge : Com. 220 mars 2007 Droit soc. Mai 2007 p. 92. Consécutivement à cet
arrêt, certains auteurs ont pu avancer que le retrait judiciaire n’était plus tout à fait
d’ordre public. Une évidence, au moins, paraît : lorsque les statuts ont prévu des
modalités de retrait, il faut avant tout mettre en œuvre ces clauses statutaires. Mais il
n’a pas été encore expressément prononcé que la société pouvait, par dispositions
statutaires, exclure le recours à l’autorisation du juge pour se retirer.
Com. 27 février 1985 D.1987 somm. 31 obs. Bousquet, JCP 1986 II 20638 note ;
H.T. , Rev. Soc.1985 p. 620 note : J.J. Daigre : dans cette espèce, les parts sociales
détenues par l’associé retrayant avait valeur d’1 500 000 F, alors qu’il ne recevait
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immobilières et de construction
considérations tirées de la situation purement personnelle de l’associé ont
pu être également retenues, telles qu’une mutation(11), un départ à la
retraite. Une évolution récente est cependant sensible, cette dernière
décennie : la cour de cassation a pu refuser comme juste motif de retrait le
simple caprice ou la « seule convenance personnelle »(12). Le seul fait que
cet arrêt soit publié et commenté montre que la solution est surprenante par
rapport aux anciennes positions de la même juridiction. Sans doute que la
Cour de cassation prend en compte davantage le cout réel du retrait d’un
associé, lequel peut peser grandement sur la société, parfois d’une façon
définitive. On a également constaté quelques distorsions jurisprudentielles
lorsque la vie familiale se confondait avec la vie de la société. Et c’est
chose parfois fréquente dans le secteur de l’immobilier et de la
construction : ainsi en est-il lorsque des époux ont constitués une société,
et par malchance, divorcent ensuite. Les juges ont pu parfois considérer
qu’une telle séparation matrimoniale pouvait justifier une séparation
d’associés, mais plus récemment, ils ont retenu, à l’instar d’une demande
de dissolution pour justes motifs(13), que tant que le divorce des époux
n’empêchait pas le fonctionnement des organes sociaux, il n’y avait pas là
matière à autoriser le retrait d’un des ex-conjoints(14)
8. Répondant au même souci d’équilibrer les intérêts d’un associé et
ceux de la société, on peut évoquer le droit de repentir dont dispose celui
qui s’est vu refuser l’agrément à une cession de parts sociales de SARL(15).
(11)
(12)
(13)
(14)
(15)
que 1000 F au titre des dividendes : le juge estime qu’il y a là un juste motif de
retrait.
Nancy 30 janvier 1991 Rev. Soc. 1991 p. 911 : qui plus est dans cette espèce, la
Cour d’appel de Nancy sanctionne les associés pour avoir abusivement refusé à
l’associé le droit de se retirer.
Com. 8 mars 2005 Droit Soc. 2005 p. 13 obs. F.X. Lucas : même si en l’occurrence
on pouvait contester la qualification de caprices.
Les comparaisons entre le retrait judiciaire pour justes motifs et la dissolution
anticipée pour justes motifs peuvent être fructueuses. En témoignent cet arrêt de la
Cour d’appel de Paris où les magistrats ne pouvant dissoudre judiciairement la
société faute de constater que la mésentente des associés entraînait la paralysie des
organes de la société, orientent discrètement les parties vers une demande de retrait
judiciaire : Paris 4 octobre 2002 Droit soc. Mars 2003 p. 10.
3ème civ. 13 février 2008 n° 07-10959
Art L.223-14 al.3 code commerce.
101
Dr. Françoise Le Fichant Ce droit peut s’exercer même si une clause de rachat forcée à été prévue
dans les statuts. La stipulation d’une telle clause ne pourra donc être
détournée au profit des autres associés, qui pourraient y voir un moyen
d’augmenter leurs parts dans le capital social, au détriment de l’associé. Le
droit de repentir supporte tout de même une certaine restriction, tenant à la
date limite à laquelle il doit être exercé : on sait maintenant qu’une fois que
l’expert a déterminé le prix de cession des parts sociales, le droit de
repentir ne peut plus être mis en œuvre(16).
B - La perte de la qualité d’associé et ses conséquences.
9. Un associé est forcément détenteur d’une double qualité : membre
de la société, il a le statut d’associé ; mais en contrepartie de ses apports, il
a aussi reçu des droits sociaux dont il est propriétaire. Il ne suffit donc pas
de lui retirer son statut d’associé, il faut encore liquider sa qualité de
propriétaire. Et ceci ne se fera ni simplement ni rapidement. Car il faut
avant tout déterminer ce qui fait la qualité de l’associé : est-ce d’avoir la
qualité de propriétaire des droits sociaux ? En ce cas, tant que la personne
sera propriétaire de droits sociaux, elle sera à même d’exercer les
prérogatives d’un associé, lesquelles peuvent conditionner le
fonctionnement de la société.
10.
Curieusement, les réponses à ces questions ont mis
longtemps à s’élaborer et c’est la jurisprudence, qui pour l’essentiel, a bâti
le régime du retrait d’un associé d’une société civile. Et les questions ellesmêmes n’ont pas été posées naturellement, trop basiques sans doute pour
être seulement formulées : à partir de quand est-on associé ? Jusqu’à quel
moment est-on associé ? Après maints errements, la Cour de cassation
semble avoir définitivement répondu : « tant qu’il n’a pas été remboursé
de la totalité de la valeur de ses droits sociaux, le retrayant conserve la
qualité d’associé.(17) », que le retrait émane d’une décision de l’assemblée
générale de la société, ou de l’autorisation du juge. Les conséquences n’en
sont pas faibles : l’associé sur le départ perçoit toujours ses droits à
(16)
(17)
102
Cass. Com. 13 octobre 1992 Bull.civ. IV n° 310 p. 221 ; Dr. Sociétés 1992 n°12 chr.
P. 1 ; JCP éd. E. 1993 I n° 218 p. 66 ; Rev. soc. 1993 p. 578 note D. Randoux ; Cass.
Com. 2 juillet 1996 RJDA 1996 n° 1341 p. 948 ; Bull. Joly 1996 p. 1031 ; Rev.
sociétés 1997 p. 345 obs. Saintourens
Com.17 juin 2008 n° 06-05045 D. 2008 p. 1818 note : A. Lienhard ; Lamy Droit des
affaires nov. 2008 p. 10 note : D. Gibirila
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
immobilières et de construction
dividendes, et surtout, il conserve son droit de vote aux assemblées
générales, ainsi que des actions en justice autorisées à tout associé. Le droit
de vote, particulièrement, peut être sensible pour le fonctionnement de la
société, pour peu que l’associé se retirant dispose d’une participation
quelque peu majoritaire. L’associé peut alors conserver ainsi un réel
pouvoir nocif au sein de la société. Qu’on ne parle plus alors d’affectio
societatis !
11.
Il est donc désormais convenu que l’associé qui se retire
d’une société civile, que ce soit par décision unanime des associés, mise en
œuvre d’une clause statutaire, ou même par la grâce d’une autorisation
judiciaire, reste associé tant qu’il n’a pas été remboursé de la totalité de ses
droits sociaux. Ceci suggère d’ailleurs une certaine logique et parallélisme
avec la constitution de la société, puisque c’est en réalisant les apports que
l’apporteur devient associé. On peut imaginer que la société sera désireuse
de hâter la procédure, afin de circonscrire cet associé douteux. Mais c’est
sans compter alors sur les sophistications liées à l’évaluation des droits
sociaux. La seule date d’évaluation de ces droits sociaux va être l’objet de
contestations(18), sans parler de l’évaluation en elle-même. A défaut
d’accord entre les parties (associé-retrayant et société), elles peuvent saisir
l’expert tel qu’il est envisagé par l’article 1843-4 Code civil, que la
jurisprudence est en train d’ériger en dogme incontournable. Non contente
en effet d’invalider des fixations préalables en assemblée générale de
valeurs de parts sociales(19), la Cour de cassation, récemment, confère à
(18)
(19)
1ère civ 11 février 2003 Droit des sociétés p. 20 N° 40 : l’évaluation des parts de
l’associé retrayant doit se faire à la date où s’effectue le transfert de propriété. Deux
problématiques sont abordées par cet arrêt : d’une part, la date de l’évaluation des
parts sociales remboursées (qui va être la date du transfert de propriété) ; d’autre
part, la date du transfert de propriété. Pour cette dernière date, la cour d’appel a
souverainement retenu le délai statutaire qui était accordé à la société pour se porter
acquéreur des parts de l’associé retrayant. Faute d’accord entre les parties dans ce
délai, c’est à son expiration que, selon la Ca approuvée par la Cour de cassation, que
s’effectue le transfert de propriété. Cette solution est évidemment conforme à la
règle selon laquelle le contrat de cession est un contrat consensuel et emporte, dès
l’accord sur la chose et sur le prix, transfert de propriété. C’est donc tout de même
l’accord et sa date qui prévaut. Quid si les statuts n’avaient pas prévu un tel délai
pour que la société se porte acquéreur des parts sociales ?
1ère civ. 30 octobre 2008 Dr. Soc. Janvier 2009 obs. R. Mortier
103
Dr. Françoise Le Fichant l’expert saisi en vertu de l’article 1843-4 Cciv. une totale liberté quant à
l’évaluation des droits sociaux(20). Une clause présente dans les statuts et
prévoyant une méthode de calcul pour l’évaluation des parts sociales ne
s’imposerait pas au tiers estimateur. La Cour de cassation, qui n’écarte pas
totalement l’influence de ces clauses statutaires, se contente d’en dire
qu’elle « peuvent figurer parmi » les critères que l’expert jugera le plus
appropriés. Autrement dit, le tiers estimateur n’est pas du tout lié par ces
dispositions statutaires, ce qui n’est pas sans remettre en cause la force
obligatoire des conventions et l’autonomie de la volonté des parties. Cet
expert se verrait donc reconnaître des prérogatives dans le contrat que sont
les statuts de la société que l’on refuse, en droit français des obligations, au
juge !
12.
Le retrait d’un associé présente en tout cas des
particularismes que la Cour de cassation n’entent pas voir diminuer au
profit d’incidences fiscales. Ainsi, régulièrement, la haute magistrature de
droit privé rappelle régulièrement qu’un retrait d’associé ne peut être
assimilé à une dissolution-liquidation de la société, et que cela ne donne
lieu qu’à une évaluation des droits de l’associé-retrayant(21).
13.
Dans ces sociétés constituées en vue de conférer à leurs
membres un intérêt spéculatif, l’immobilier étant pour eux un terrain de
prédilection, le retrait d’un associé aura essentiellement des conséquences
quant au remboursement de ses droits sociaux. Les problématiques
soulevées ne sont pas tellement différentes de celles de toutes sociétés
civiles. Mais dans les sociétés qui ont pour seule utilité d’attribuer aux
associés des droits sur les immeubles, le retrait de l’associé prend une toute
autre perspective.
II - Le retrait dans les sociétés civiles attribuant aux associés des
droits sur l’immeuble.
14.
Ces sociétés d’attribution sont presque exotiques, en ce sens
où elles échappent à bien des mécanismes du droit des sociétés. L’objectif
(20)
(21)
104
Com. 5 mai 2009 D. 2009 act. Jur. P. 1349 note : A. Lienhard
3ème civ. 15 janvier 1997 Bull. Joly 1997 §131 note : J.J. Daigre ; 3ème civ. 9
décembre 1998 JCP Ent. 1999 II p. 1395 note. J.P. Garçon
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
immobilières et de construction
est loin d’ailleurs d’obéir au traditionnel objet social de sociétés
d’exploitation commerciales. Le but ultime n’est plus de faire une
opération spéculative, portant ici sur du bien immobilier, mais de devenir
propriétaire ou titulaire d’un droit de jouissance ou d’un droit de propriété.
De fait, la perspective est totalement différente, et la forme sociétaire ne
semble plus qu’un prétexte, un outil pour le moins perfectible pour devenir
titulaire d’un droit réel(22), prélude à l’indispensable règlement ultérieur de
copropriété. Les membres revêtent alors plusieurs qualifications : ils sont
associés de la société, certes, propriétaires de leurs droits sociaux, et enfin,
ont vocation à être propriétaire des immeubles ayant appartenu à la société
(ou détenteur d’un droit de jouissance). Ce dernier attribut n’existe dans
aucune autre société, et amène à s’interroger sur la précarité de la
personnalité morale de la société. Les sociétés d’attribution se distinguent
nettement des sociétés lambda. Ainsi, le capital social et les droits sociaux
ne remplissent pas les mêmes fonctions : la répartition, plus complexe, du
capital social en groupe de droits sociaux, a pour vocation d’attribuer à
chacun une part déterminé de l’actif social, lequel sera attribué en priorité
aux associés titulaires, lorsque le moment sera venu. L’attribution en
propriété ou en jouissance exige cette répartition du capital social en
groupe de droits sociaux affectés à des lots individualisés. Et elle sera fixée
de manière définitive(23).
15.
Dans ces conditions, on imagine bien que le droit de retrait
d’un associé est organisé spécifiquement, car il peut être plus délicat à
mettre en œuvre. D’autant plus que le droit de retrait n’y obéit pas aux
mêmes objectifs que dans les sociétés habituelles : dans les sociétés
d’attribution, le retrait peut être l’occasion pour l’associé qui a acquitté ses
droits de se voir attribuer son droit de propriété alors que les autres
(22)
(23)
Ce droit de jouissance est-il d’ailleurs un droit réel ou un droit personnel ? Les
auteurs et la jurisprudence s’opposent à ce sujet, certains penchants pour un droit
personnel spécifique lié à la détention des parts sociales de la société. Ceci est
d’ailleurs la solutions optée par la Cour de cassation : 3ème civ. 7 juillet 1982 n°8112387 Bull. civ. III n° 173. Pour un exemple de décision réfutant la qualification de
droit réel d’usufruit : CA Nancy 22 avril 1993 Bull. Joly 1993 p. 1065.
D’ailleurs, une répartition erronée des droits sociaux ouvre aux associés une action
les uns contre les autres, dans le but de compenser l’inégalité ainsi crée entre
associés.
105
Dr. Françoise Le Fichant associés ne sont pas eux, dans le même état d’avancement financier(24). Ce
retrait qui permet de devenir définitivement propriétaire exclut-il toute
autre forme de retrait dans ces sociétés ? Le caractère spécial des
dispositions relatives au retrait, tant dans les sociétés d’attribution en
propriété qu’en jouissance, semble en effet écarter les textes du code civil
sur ce thème. De nombreux contentieux liés au droit général des sociétés
civiles, en matière de retrait, n’auront donc pas vocation à s’appliquer ici.
Mais d’autres difficultés pourront naître. D’autant que la réglementation
sera encore différente lorsque l’attribution ne consiste plus en un droit de
propriété, mais en de simples droits de jouissance. Il est alors patent de
constater que dans les sociétés d’attribution en propriété, l’associé se
retirant ne fait qu’anticiper sa qualité de copropriétaires (A). Dans les
sociétés d’attribution en jouissance, les associés se rapprochent, eux, de
plus en plus de la qualité de consommateurs, et leur statut d’associé parait
presqu’iconoclaste. Le droit de retrait ne fait que confirmer cette analyse
(B).
A – Le retrait de « copropriétaires » dans les sociétés d’attribution en propriété
16.
Dans les sociétés d’attribution en propriété(25), les modalités
de retrait vont connaître des conditions particulières, ignorées du droit des
sociétés civiles de droit commun… et l’ignorant. Les dispositions du code
civil étant déclarées supplétives, le retrait d’un associé, tel qu’il peut être
organisé dans les sociétés civiles, n’a donc pas vocation à s’appliquer ici.
Seul le retrait mise en place par le code de la construction et de l’habitation
a vocation à s’appliquer, où l’on a coutume de parler de « retrait
anticipé ». Il est ainsi qualifiée parce qu’il déroge au partage total de l’actif
social par dissolution de la société. L’associé, qui pour sa part, a rempli
toute ses obligations vis-à-vis de la société peut demander à anticiper son
départ, et surtout le partage de la société.
(24)
(25)
106
Particulièrement pour les sociétés civiles d’accession progressive à la propriété
(SCIAPP) remodernisées par la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 et son décret
d’application n° 2009-98 du 26 janvier 2009, dont on dit que les mécanismes sont
compatibles avec la charia et reprend une technique de financement de droit
musulman connue sous le nom de mousharaka : « La Sciapp : nouvel instrument
juridique français, 100% charia compatible » G. Lembo Rev. Droit et patrimoine
janvier 2010 p. 38
Faut-il évoquer ici les sociétés coopératives d’attribution
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
immobilières et de construction
17.
En vertu de l’article L. 219-9 al. 9 du CCH, la société
d’attribution, chargée de faire construire l’ensemble immobilier, autorise
ses associés à se retirer de la société, mais seulement lorsque l’achèvement
de l’immeuble a pu dûment être constaté(26). Et l’une des conditions pour y
prétendre est de ne pas s’être abstenu de contribuer aux pertes de la société
tant que l’immeuble n’a pas été achevé. Ce qui suppose qu’avant cette
phase le droit de retrait n’existe pas pour les associés de ces sociétés. On
souhaite ici protéger les autres associés, afin qu’ils ne se retrouvent pas à
effectifs réduits pour répondre de la dette sociale. Une disposition est
d’ailleurs susceptible d’atténuer ce risque pour les associés subsistants
dans la société : le dernier alinéa de l’article L.212-9 CCH : « sauf l’effet
de suretés réelles dont ils seraient bénéficiaires, les créanciers de la
société ne peuvent exercer leurs droits, ni contre un ancien associé
attributaire par voie de retrait ou de partage, ni à l’encontre de ses ayants
causes, qu’après discussion préalable des biens restant appartenir à la
société. ». Au regard du droit des sociétés de personnes de type généraliste,
cette disposition peut étonner tant elle semble reprendre le principe de la
responsabilité illimitée des associés des sociétés de personnes,
conditionnée aux voies d’exécution préalable et sans succès auprès de la
société personne morale. Cela signifierait qu’un associé retiré n’est pas
totalement quitte pour autant de la dette sociale ? Cette disposition n’estelle là que pour rappeler l’obligation particulière des associés de ces
sociétés, sachant qu’une société d’attribution peut parfaitement être
constituée sous forme de société commerciale (art L212-1 CCH) ?
18.
L’article L.212-9 CCH énoncent que « les retraits
entraînent de plein droit l’annulation des parts ou actions correspondant
aux locaux attribués en propriété et la réduction corrélative du capital
social ». La philosophie particulière qui préside à l’organisation des
sociétés d’attribution interdit donc de proposer la cession des droits
sociaux de l’associé-retrayant à un autre associé ou à un tiers. Dans les
sociétés civiles traditionnelles on pourrait regretter cette formule, la seule
(26)
« … dès qu’une assemblée générale a constaté l’achèvement de l’immeuble, sa
conformité avec les énonciations de l’état descriptif et a décidé les comptes définitifs
de l’opération de construction. A défaut de vote de l’assemblée générale, tout associé
peut demander au tribunal de grande instance du lieu de situation de l’immeuble de
procéder aux constatation et décisions susvisées. » al. 9 article L. 212-9 CCH.
107
Dr. Françoise Le Fichant annulation des parts sociales et la réduction du capital social pouvant
coûter fort cher à la société. Mais ce n’est pas l’objectif poursuivi dans les
sociétés d’attribution, puisqu’une fois de plus, l’attribution l’emporte sur la
finalité habituelle des sociétés. Ici, l’associé qui requiert son retrait de la
société d’attribution se voit octroyer d’une façon anticipée le lot attaché à
ses droits sociaux, et d’associé pourra prendre la qualification de
copropriétaires(27). Le retrait de l’associé donne en effet naissance à l’état
de copropriété et la société devient alors l’autre copropriétaire. Il est dans
ce cas logique que le législateur n’ait envisagé que la perspective de
l’annulation des parts sociales et la réduction du capital social. Mais qu’en
serait-il d’un associé qui souhaite se retirer de la société, sans obtenir pour
autant sa quote-part de copropriété ? Le législateur n’a visiblement pas
prévu ou voulu prévoir cette hypothèse. Si un associé ne répond plus aux
appels de fonds, la sanction sera alors la cession forcée de ses parts tels
qu’elle est prévu à l’art L.212-4 CCH. Et là, se reposera nécessairement le
problème de l’évaluation des parts sociales. Dans un contexte économique
tendu, il est à redouter que certains associés n’aient exagéré leur faculté à
répondre aux appels de fonds et se retrouve finalement dans l’impossibilité
d’y faire face. Le seul recours serait-elle alors la cession forcée en vente
publique des parts sociales ? Faute d’avoir organisé le retrait pour motifs
dans ces sociétés, le législateur n’offre que le recours de l’exclusion de
l’associé…avec publication dans un journal d’annonces légales. La
procédure peut être un rien traumatisante pour l’associé comme pour la
société(28). L’on ne sait, avec certitude, s’il ne serait malgré tout, pas
impossible d’organiser une cession conventionnelle des droits de l’associé
défaillant, l’article L. 212-4 al 2 renvoyant à un vote en assemblée
générale(29). Si ce vote n’est pas obtenu, il faudra bien trouver une solution.
(27)
(28)
(29)
108
C’est pour cette raison que le législateur justifie que le retrait n’est pas autorisé dans
les sociétés n’attribuant que des droits de jouissance.
La vente publique présente tout de même cet avantage que les sommes produites par
l’adjudication « seront affectés par privilège au paiement des sommes dont cet
associé sera redevable envers la société. Ce privilège l’emporte sur toutes les sûretés
réelles ou conventionnelles grevant les droits sociaux du défaillant…. » art. L.212-4
al.4 CCH. Une cession conventionnelle ne produirait pas un avantage comparable.
Majorité des 2/3 du capital social sur première convocation, et sur deuxième
convocation, à la majorité des 2/3 des droits sociaux dont les titulaires sont présents
ou représentés.
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
immobilières et de construction
Dans les sociétés coopératives de construction, cette hypothèse a été
envisagée, mais en utilisant alors un nouveau terme, inusité pourtant en
droit des sociétés : la « démission » d’un associé (art L.213-11 CCH). A y
regarder de plus près, on est pourtant fort proche de la notion de retrait.
Mais le retrait, en ces termes employés, est aussi visé par l’article L.213-12
CCH, dans des conditions similaires au retrait anticipé des sociétés de
constructions. En matière de société d’attribution, qu’elle soit coopérative
ou non, on assiste ainsi à un glissement sémantique : le « retrait », lorsqu'il
est organisé, équivaut au retrait anticipé, soit un partage partiel de l’actif de
la société, permettant l’attribution par avance au retrayant d’un droit de
propriété sur les immeubles. La « démission », qui n’est présente que dans
les sociétés coopératives, correspond, en fait, au retrait tel qu’il existe dans
les autres formes de sociétés et soumis aux dispositions du code civil. La
notion n’étant pas abordé dans les sociétés d’attribution, même sous le
terme de démission, elle n’existe donc pas dans cette activité de société.
19.
L’associé retrayant doit réunir certaines conditions : avoir
satisfait à toutes ses obligations légales et spécialement à l’obligation de
répondre aux appels de fonds, constatation par l’AG de l’achèvement de
l’immeuble. Le retrait doit être constaté par acte authentique signé par
l’associé et par un représentant de l’organe de gestion. L’authentification
doit être l’occasion de vérifier que l’associé retrayant n’a pas accordé en
nantissement ses parts sociales. L’annulation des parts sociales, par
diminution du capital, qui peut avoir tant de conséquences financières
graves dans les autres sociétés, peut en effet altérer les droits d’un
créancier personnel de l’associé(30). Par ailleurs, cette attribution en
propriété est opposable aux tiers, et donc aux créanciers qui dirigeraient
une procédure collective contre la société. Le retrait anticipé ainsi opéré, se
crée alors une copropriété spéciale, entre seulement deux copropriétaires :
l’ancien associé retrayant, et la société personne morale. Ce qui n’ira pas
sans poser de difficultés dans la gestion de cette copropriété minimaliste,
en termes de rapport de forces dans les assemblées générales.
(30)
1ère civ. 7 avril 1999 n° 97-12676 Const-urb. 1999 n° 205 obs. D. Sizaire : dans cette
espèce où une bnaque créancière de l’associé, qui avait fait des oppositions, la
société et le notaire qui avait procédé au retrait sans ce préoccuper des oppositions,
ont été condamnés à payer la créance en cause.
109
Dr. Françoise Le Fichant 20.
La personnalité morale de la société montre aussi sa
flexibilité constante. On savait déjà que sur le plan fiscal une société civile
pouvait montrer la transparence de sa personnalité. Ce déplacement
opportun de la personnalité morale ne se remarquera pas que dans cette
matière. Dans ce contexte du retrait d’un associé, qui devient
copropriétaire et qui partage cette qualité avec la société, on assiste à un
déplacement momentané de la personnalité morale. En effet, les autres
associés n’ont pas (encore) la qualité de copropriétaires, néanmoins, ils
voteront aux assemblées générales de copropriété comme s’ils l’étaient, en
fonction de la quote-part correspondant au lot dont ils ont la jouissance et
en respectant les règles de la copropriété(31). Pourtant, c’est la société seule
qui devrait avoir le statut de copropriétaire. Ce qu’elle aura d’ailleurs le
reste du temps, les associés ne se voyant pas reconnaître le droit de
contester les décisions de l’assemblée générale(32) ou le droit d’agir contre
le syndicat de copropriétaires(33). Il est vrai que c’est le seul moyen
d’assurer le fonctionnement convenable de cet ersatz de copropriété (par
exemple, pour le calcul d’adoption des décisions en assemblées générales).
21.
De copropriétaires, il ne sera plus question dans ces sociétés
que l’on a fort mal affublées du terme de « multipropriété ». Et à vrai dire,
on s’interroge même sur la qualité d’associé, tant on a le sentiment d’avoir
affaire à un simple consommateur. Néanmoins, c’est bien en se servant du
droit des sociétés que le législateur a récemment organisé le droit de retrait
de ce qu’il faut bien continuer à considérer comme des associés.
B - Le retrait consumériste dans les sociétés civiles d’attribution
en jouissance à temps partagés.
22.
Cette forme sociétaire a toujours relevé d’un régime
particulier, au point que l’on puisse s’interroger légitimement sur sa
qualification de société. Historiquement, ce sont les professionnels de
l’immobilier qui ont fait œuvre de création juridique, en proposant une
meilleure rentabilisation de l’immobilier de vacances. Alors que d’autres
pays avaient parfois les outils juridiques efficaces pour organiser la
(31)
(32)
(33)
110
Art. 23 loi n°65-557 du 10 juillet 1965 ; art. 12 Dt 67-223 du 17 mars 1967
3ème civ. 22 janvier 1992 n° 88-13980 Bull civ. III n° 26
CA Paris 1er juillet 1982 D. 1982 IR p. 145
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
immobilières et de construction
jouissance en temps partagés(34) (par exemple, l’indivision en droit belge,
ou le trust dans les pays anglo-saxons), les praticiens français ont préféré la
formule sociétaire(35). L’artifice de ce choix, déjà patent à l’époque, ne fait
que se démontrer davantage aujourd’hui. Consécutivement à des directives
européennes, le législateur français est intervenu pour encadrer le régime
mais toujours sous sa forme sociétaire, par la loi n° 86-18 du 6 janvier
1986. Et c’est là que l’on voit l’amalgame s’accentuer entre le contrat de
société et le contrat de consommation. Les termes de l’intervention
législative ont en effet toujours été dans le sens de la protection de
l’adhérent en tant que consommateur (avec notamment un renforcement de
l’obligation précontractuelle de renseignement), même si la forme
sociétaire était conservée. Mais la stricte notion de société était déjà
fortement entamée. Ainsi, les sociétés d’attribution en jouissance à temps
partagés étaient privées d’une prérogative pourtant reconnue aux associés
des sociétés civiles. Justifié parce que leurs droits ne seraient constitués
que d’une seule attribution en jouissance(36), le droit de retrait a été …
retiré aux associés de ces sociétés(37). Mais cette prérogative du droit des
sociétés a été restituée par le droit de la consommation ! C’est en effet pour
répondre à une perspective de protection du consommateur qu’est trop
souvent l’associé des ces sociétés d’attribution en jouissance que la loi
n°2009-888 du 22 juillet 2009(38), en application de la directive
(34)
(35)
(36)
(37)
(38)
G. Durand-Pasquier «Sociétés d’attribution d’immeubles en jouissance à temps
partagé : un renforcement de la protection des vacanciers en perspective. » Const.
Urb. mars 2009 Alerte 15
Les choix ne seraient peut-être pas aujourd’hui les mêmes, le régime de l’indivision
en France ayant été notablement assoupli.
J.B Auby, H. Périnet-Marquet, R. Noguellou, Droit de l’urbanisme et de la
construction Domat Montchrestien 2008 p. 1149 n° 1859
3ème civ. 22 mars 1995 Bull. III n° 86 p. 58, RD. Imm. 1995 p. 557 obs. C. SaintAlary-Houin, AJPI 1996 p. 802 note Desurvivre ; 3ème civ. 29 mai 2002 Bull. III n°
120 Constr. Urb. 2002 p. 198 obs. D. Sizaire.
Ce qui entraîne la modification notamment de l’article13 al 5 de la loi n° 86-18 du 6
janvier 1986 désormais ainsi rédigé : « Nonobstant toute clause contraire des statuts,
un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, après autorisation
donnée par décision unanime des associés. Ce retrait peut également être autorisé
pour justes motifs par une décision de justice, notamment lorsque les parts ou actions
que l’associé détient dans le capital social lui ont été transmises par succession
depuis moins de 2 ans, ou lorsque celui-ci ne peut plus jouir de son bien du fait de la
111
Dr. Françoise Le Fichant 2008/122/CE du 14 janvier 2009, a introduit un droit de retrait spécial pour
les associés-consommateurs de ces formes de sociétés(39). Indéniablement
ici, la qualité de consommateur l’emporte sur celle d’associé. L’aspect
artificiel de cette qualification de société, dont les membres n’ont
d’associés que le nom, n’échappe alors à personne. Le contrat de société
existe bien mais déjà si proche d’un contrat de consommation que l’on a
même très tôt (dès 1986) offert aux aspirants titulaires de droit de
jouissance en temps partagé un délai de rétractation, déjà exorbitant du
droit commun des contrats. Mais paradoxalement, on reviendrait au plus
près du retrait en droit des sociétés, dont l’objectif ne serait plus alors
l’obtention d’un droit définitif de propriété. Car pour ces sociétés
d’attribution en jouissance en temps partagés, le législateur restaure le droit
de retrait pouvant être prononcé par le juge pour « justes motifs ». Les
sociétés d’attribution en propriété sont, on l’a vu, dépourvues. Les sociétés
d’attribution en jouissance, après avoir été privées de tout, sont aujourd’hui
largement dotées ! Avec le pouvoir d’appréciation du juge sur les justes
motifs de retrait, on retrouvera sans nul doute des appréciations
subjectives, tirés de la situation personnelles des associés, leur permettant
de s’esquiver de la société.
23.
Il faut tout de même se pencher davantage sur les modalités
de retrait. Le droit de retrait tel qu’il est prévu par la nouvelle loi, est à la
fois plus précis (par l’usage de l’adverbe « notamment ») et plus vague que
l’article 1869 code civil. Et l’ambivalence de cette rédaction n’augure pas
d’une interprétation aisée pour le juge… L’adverbe « notamment » parait
laisser place à une certaine largeur de vue, mais la précision relative « à la
succession « depuis moins de 2 ans », parait, a contrario, amener une
(39)
112
fermeture ou de l’inaccessibilité de la station ou de l’ensemble immobilier
concerné. »
Ce qui entraîne la modification notamment de l’article13 al 5 de la loi n° 86-18 du 6
janvier 1986 désormais ainsi rédigé : « Nonobstant toute clause contraire des statuts,
un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, après autorisation
donnée par décision unanime des associés. Ce retrait peut également être autorisé
pour justes motifs par une décision de justice, notamment lorsque les parts ou actions
que l’associé détient dans le capital social lui ont été transmises par succession
depuis moins de 2 ans, ou lorsque celui-ci ne peut plus jouir de son bien du fait de la
fermeture ou de l’inaccessibilité de la station ou de l’ensemble immobilier
concerné. »
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
immobilières et de construction
interprétation stricte : celui qui aurait hérité depuis 18 mois de telles parts
sociales pourrait-il se retirer ?
24.
De même, les conséquences de l’exercice du droit de retrait
sont superbement ignorées par le législateur. Pour se départir de la qualité
d’associé, le retrayant devra obtenir un remboursement de parts sociales.
Faudra-t-il se contenter d’un seul rachat par la société elle-même et d’une
annulation corrélative, à l’instar des sociétés d’attribution en propriété ?
Ou pourra-t-on envisager la cession à un autre associé ou à un tiers ? La
cession à un autre associé relève sans doute d’une utopie, l’affectio
societatis étant trop peu présent dans ces sociétés. La cession à un tiers –
un autre consommateur ? – est tout aussi délicate. Si le retrait de l’associé a
été rendu possible par la loi nouvelle, c’est justement pour permettre aux
particuliers de s’échapper de cette relation contractuelle, parce qu’un
« marché de l’occasion » de ces biens n’existe pas ! Le particulier, qui n’a
pas toujours compris qu’il devenait associé d’une société, a très vite réalisé
en revanche que l’espoir d’un gain spéculatif était à oublier ! Les lots de
jouissance se revendent très mal, souvent raison d’un défaut d’entretien des
immeubles ou de charges trop lourdes. L’avantage du retrait est alors
éclatant : l’associé peut quitter la société, est déchargé du poids des
charges, sans avoir à se préoccuper de trouver un cessionnaire. Le
remboursement des droits sociaux risque alors de paraître superfétatoire, au
regard de cet atout indéniable qu’est le fait de pouvoir quitter la société(40).
Le revers de la médaille sera pour d’autres : les associés subsistants dans la
société, qui pourront être de moins à moins à supporter les charges
d’entretien des immeubles. Le nouveau mécanisme risque alors de montrer
des limites effrayantes, si les juges interprètent trop largement les justes
motifs de retrait. Il ne faudrait pas oublier que l’on évolue dans un contexte
de société.
25.
A la lumière de la loi nouvelle, on peut d’ailleurs prendre le
temps pour observer la réalité des éléments constitutifs de la société.
L’adhésion aux statuts de la société implique la reconnaissance du contrat
(40)
R. Mortier « la réforme du time-share par la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 » Dr.
Soc. Nov. 2009 repère 10
113
Dr. Françoise Le Fichant de société. Encore faut-il qu’il n’y ait pas d’ambigüité sur la portée de
l’engagement souscrit, qu’il n’y ait pas eu confusion entretenue entre le fait
de devenir associé d’une société d’attribution et devenir propriétaire d’une
partie d’immeuble. Les précautions apportées dans la phase
précontractuelle ont justement eu pour vocation d’éliminer ce type
d’erreur, provoquée ou non.
26.
Mais on peut se demander alors où est l’affectio societatis ?
Ces vacanciers à temps partiel ont-ils réellement le sentiment d’appartenir
à une société, d’œuvrer avec leurs comparses (les connaissent-ils
seulement ?) à la réalisation d’un objectif commun ? Il est permis d’en
douter…Mais admettons, admettons que l’affectio societatis ne soit plus
tout à fait aussi indispensable qu’on l’a dit, qu’il est en fait maintes
sociétés par actions où on le chercherait en vain… sa disparition dans une
forme de société qui pourrait être une société de personnes laisse un peu
pantois… Et pourtant, on a déjà pu dire que le droit de retrait en droit
français correspondait davantage à la préservation de l’affectio societatis.
Cela ne répond pas non plus à la même logique que dans les sociétés de
personnes traditionnelles(41).
27.
Reste alors à se pencher sur le dernier élément constitutif
des sociétés : la participation aux pertes et aux bénéfices. Et la loi nouvelle
permet de renouveler l’interrogation. Est-il prévu un partage des
bénéfices ? en liquidités ou en jours supplémentaires de jouissance ? La
contribution aux pertes, en revanche, n’a parfois été que la seule
participation effective. Mais déjà, le droit de retrait, en soi, n’institue-t-il
pas un parallèle avec le droit de la consommation ? est-ce un hasard si la
forme judiciaire du droit de retrait existe exclusivement dans les sociétés
civiles, là où les associés, par définition, ne sont pas commerçants et n’en
revendiquent pas la qualité, et sont donc le plus souvent, des particuliers ?
Le juge s’érige alors en gardien protecteur de l’associé, l’assimilant à un
consommateur qui doit pouvoir quitter la relation contractuelle devenue
pesante. Il ne faudrait pas, cependant, remettre en cause la sécurité
(41)
114
On n’est même pas loin du droit de retrait tel qu’il existe en droit du travail, et qui
permet à un salarié de se retirer lorsqu’il juge une situation dangereuse.
Droit de retrait des associés dans les sociétés civiles
immobilières et de construction
juridique en prétendant institutionnaliser l’imprévision. La réflexion est
toujours la même : le législateur a réussi l’exploit, en aggravant le
recours au droit des sociétés (le retrait judiciaire pour motifs
légitimes), d’accentuer l’aspect consumériste des sociétés d’attribution
d’immeuble en jouissance à temps partagé.
115

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