La Femme et la Dakini

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La Femme et la Dakini
La Femme et la Dakini
Keith Dowman
Commentaire publié dans « Sky Dancer »
Traduit de l’anglais par Dorjé Samten pour SanghaForum
« Ne doutez pas de la femme. Adorez-la partout. Dans sa nature réelle, elle est Bhagavati !
Perfection de la Sagesse. Et dans ce monde empirique, Baghavati a pris la forme d’une
femme. » La métaphysique tantrique dérive principalement des soutras de la prajnaparamita et
ce sloka de la prajnaparamita fait clairement référence à la vue tantrique selon laquelle il n’y a
pas de distinction entre la nature métaphysique ultime de la femme et la réalité humaine
relative. La femme est la Dakini et doit être vénérée comme telle. En outre, la prajnaparamita
a donné au Tantra le concept de la femme comme étant la Perfection de Sagesse, la parfaite
vue pénétrante (shes-rab, prajna), définie comme « la conscience de tout les phénomènes
comme vacuité ».
Toutefois, dans le Tantra, puisque « la vacuité n’est pas séparée de la forme, pas plus que la
forme ne l’est de la vacuité », cette pleine conscience qu’est la Dakini est la conscience
gnostique, non duelle, dont la manifestation du principe mâle en tant que forme est un aspect.
Ainsi, la totalité de la réalité en tant que conscience peut être représentée par la seule Dakini
ou peut être manifestée par l’inséparable union des principes mâle et femelle. Dans ce dernier
cas, la parfaite vision pénétrante de la Dakini dans la vacuité est en contradiction avec les
moyens habiles (thabs, upaya), la motivation dynamique à jamais compatissante du gourou,
qui se manifestent par des apparitions phénoménales. Lorsque la Dakini seule embrasse toute
la conscience (mahajnana, ye-shes-chen-po), elle est la danse cosmique bienheureuse de
l'illusion. L'expérience existentielle de la Dakini est une chose, mais la multiplicité des
moyens pour atteindre cette expérience et les différentes manières de concevoir
l'inexprimable, créent une métaphysique apparemment complexe.
Après cette tentative de clarifier les concepts de base, il est pertinent de poser la question, estce ces valeurs existentielles ont été attribuées arbitrairement à la femme ou est-ce que la
vacuité et la conscience sont liées à sa nature essentielle ? Selon les systèmes métaphysiques
qui formulent les vues psychologiques de nombreuses anciennes cultures, la nature physicosexuelle et psychologique de la femme est la réceptivité. La qualité de la réceptivité, « une
ouverture enveloppante », est évidente dans les symboles tantriques de la déesse : le lac, le
bien, le vase vide, et de manière plus graphique et omniprésente, le yoni (vagin).
Dans la mesure où le tantra considère que le processus sexuel est analogue au processus
spirituel et relie les principes sexuels aux principes mystiques, si la nature essentielle de
l’anatomie de la femme et de sa réaction sexuelle est la réceptivité, alors la réceptivité peut
définir le principe féminin. La réceptivité est une condition de la conscience de la forme vide.
En pratique, dans la méditation yogique sur la vacuité, la relaxation réceptive est essentielle.
Dans une relaxation mentale totale, la conscience juchée aux portes des sens atteint une
parfaite vision pénétrante des formes de perception (méditation vipasyana). Ces formes de
perception, dans lesquelles la vision pénétrante est atteinte, sont la forme compatissante des
moyens habiles du Gourou. De la même manière que la réceptivité sexuelle féminine
encourage l’activité sexuelle créative de l’homme, la réceptivité mentale de la Dakini facilite
sa parfaite vision pénétrante des formes dynamiques du Gourou et l’union résultante est faite
de vacuité et de forme, parfaite vision pénétrante et moyens habiles, conscience et compassion
Exprimé en termes de réceptivité, conscience et vacuité, le principe féminin peut paraître
sans rapport avec la femme elle-même, consciente de sa condition humaine. Mais on
n’insistera jamais assez sur le fait que, dans le domaine de la pratique tantrique, il n’y a pas de
distinction entre la femme dans sa réalité quotidienne et l’archétype féminin divin global qui
imprègne son être et domine son esprit (le Yidam Vajra Yogini, par exemple). Chaque femme
est la Dakini.
Sa troisième initiation est la reconnaissance potentielle de ce fait et sa pratique post-initiation
[est] la sadhana (pratique spirituelle) du maintien et de la confirmation de la conscience de la
Dakini. Que la femme se connaisse ou non en tant que Dakini, le Gourou et le yogi ne la voit
que sous sa forme divine. Un yogi peut évaluer la maturité de sa pratique en jugeant de la
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constance et de la profondeur de sa vision de la femme en tant que Dakini. Ca ne veut pas dire
qu’il devrait voir chaque femme comme Tara, la déesse du service dévoué (bien qu’il devrait
être capable de discerner ce syndrome dans chaque femme à un certain degré), parce qu’il
existe d’innombrables types de Dakini, presque autant qu’il y a de types psychologiques de
femme. Le panthéon tantrique inclut des Dakinis suceuses de sang, mangeuses de viande et
dévoreuses d’enfants, des Dakinis contraignantes, frappeuses, destructrices, outre les sublimes
épouses des bodhisattvas. La constante dans la vision que l’adepte a d’elles toutes est leur
danse vide de conscience, alors que les formes mutables de leurs danses et leurs fonctions
sont comme du maquillage et des ornements.
Il est déjà clair que « Gourou » et « Dakini » sont des réalités métaphysiques internes. A
l’évidence, chaque psyché humaine contient à la fois les principes masculins et féminins. Le
principe masculin et ses qualités récessives chez la femme, et le principe féminin récessif
chez l’homme, alors même que la Vacuité dominante de la Dakini ne peut être séparée des
moyens habiles récessifs, sont toujours présents mais sans contrainte. Dans la symbolique de
l’anuyoga, les élixirs blancs et rouges courent dans les veines psychiques des hommes et des
femmes, bien que le teint du Gourou soit blanc et celui de la Dakini, rouge. Dans l’atiyoga,
lorsque le récessif et le dominant sont bien équilibrés, les élixirs sont mélangés et le teint de la
Dakini est juste rougissant. Quand un anachorète, un moine ou une nonne décrit son état
comme une union du Gourou et de la Dakini, évidemment il n’y a pas d’assimilation du
Gourou à l’homme, ni de la Dakini à la femme. Mais quand les yogis et yoginis sont décrits
comme Gourou et Dakini, cohabitant en parfaite conscience et pur plaisir dans un champ de
bouddha, [chacun dans] ce couple tantrique projette ses principes récessifs sur son partenaire.
Ou, autrement formulé, lorsque homme et femme, yogi et yogini, reconnaissent, lui, sa
vacuité à elle, et, elle, sa compassion à lui, leur relation est une union du Gourou et de la
Dakini. Les vicissitudes émotionnelles de leur relation personnelle, l’amour et la haine,
l’orgueil et la jalousie, sont les ornements raffinés de la Dakini, tandis que la gamme de
réponses qu’elle inspire en lui est reflétée sur son visage et dans sa position.
En relation avec le pratiquant yogi, le principe féminin peut être conçu selon quatre modes qui
sont connus comme [étant] des mudras. Maintenir l’intégrité de l’union avec ces quatre
mudras soutient le samaya de la parole du Gourou qui est en identité avec le Yidam. Ces
mudras se conçoivent mieux en tant qu’amantes avec lesquelles le yogi doit conserver une
relation ininterrompue intime, intense et véritable dans laquelle aucune trace de doute ou
d’infidélité ne doit se poser. Le premier est le mudra-samaya, la promesse verbale de garder
les samayas racines et branches. Le second est la parèdre du Gourou elle-même, en laquelle
sont incarnés les cinq modes de conscience de la Dakini. La parèdre est une Dakini en raison
de son implication dans un moment, ou plutôt d’une succession ininterrompue de moments,
d’intégration et d’illumination. En fait, plutôt que de définir la Dakini comme un être humain,
elle est mieux comprise en tant qu’intuition d’un moment de la vacuité et de la pureté dans la
passion lorsque la parfaite vision pénétrante et les moyens habiles s’intègrent. Le troisième
mudra est le geste de la main et la posture, et la relation avec lui est maintenue en pratiquant
selon l’instruction du Gourou. Le quatrième est mahamoudra. Il est inconcevable puisqu’il est
une représentation anthropomorphique de la vacuité - transformante, illusion magique, pure,
conscience sensuelle incluant tout.
Il peut être utile ici de faire la distinction entre la vue que l’adepte siddha a de la Dakini et
l’expérience du néophyte ou du pratiquant yogi. Pour le premier, une femme est une Dakini,
mais même dans une situation sexuelle, elle n’appartient pas plus à aucun ordre supérieur de
Dakini ou de source d’instruction visionnaire, que n’importe quel autre complexe de stimuli
sexuel. Ce n’est pas une insulte à la femme mais plutôt une manière de confirmer la constance
du genre de sentiment du siddha de pur plaisir, quelque soit le contenu de sa situation
perceptive. Il n’y a pas de degré de Vacuité pour lui. Néanmoins, pour l’initié sur son chemin
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vers le centre du mandala, une femme, tel un karmamudra de conscience, est un gardien des
mystères, un guide à travers les portes du mandala, un dispensateur d’initiation et l'objet de
l’initiation elle-même. Elle fournit les premiers aperçus de la réalité non duelle. Elle révèle ce
qu’est la vacuité des apparitions phénoménales. Elle démontre la danse de l’illusion magique.
De telles expériences peuvent être liées à une femme particulière jusqu’à ce que l’initiation
soit finalisée, ou il se peut que la connaissance de la Dakini soit limitée à une succession de
rencontres avec de nombreuses femmes, ou encore que la Dakini de Conscience ne s’incarne
jamais elle-même dans une femme humaine et, dans le dernier cas, l’expérience de son besoin
n’en sera pas moins intense ou efficace.
Ainsi, il devrait être clair que, bien que la femme soit la Dakini, il ne s’agit pas de la femme
en tant qu’isolat discret dans l’espace-temps. Ce n’est pas le concept de « femme » que les
hommes projettent habituellement sur la Dakini-femme qui est une expérience totale de
forme, goût, toucher, odeur et son, vides. En raison de notre soif conditionnée pour la sécurité
du concret, notre désir de posséder quelque chose ou quelqu’un de tangible et tout un fatras de
choses provenant de l’émotivité incontrôlée, l’esprit fabrique une illusion objective et la rend
semblable à la femme ou, du moins, toutes les femmes sont perçues au travers de cet écran
d’illusion. Du point de vue de l’ignorance, où la Dakini n’est absolument pas reconnue, la
femme est un symbole de la Dakini, et, de plus, si l’aspirant ne peut pas réaliser le samaya de
l’union avec une Dakini et la connaître directement, il peut projeter sa vision de la Dakini sur
elle et la vénérer, en l’adorant comme une déesse. Ceci est la voie du kriyayoga-tantra, dans le
tantra externe.
Finalement, dans la réalité non duelle de la bouddhéité, toutes les apparitions phénoménales
sont espace et vacuité d’une part, et illusion magique, pays enchanté et reflet de la lune sur
l’eau d’autre part. Le comprenant, à la suite de Tsogyel, une pratiquante yogini saura que son
corps mental est vide d’un ego substantiel et distinct et que sa personnalité individuelle est
une partie intégrale d’un champ dynamique de relativité englobant tous les êtres vivants,
incarnés et désincarnés, en tout temps et en tout lieu. Et détachée de ce champ, s’identifiant
avec la constante « ainsité » de l’expérience, l’espace dynamique primordial, elle peut alors
dire avec Tsogyel « Je suis la principale du samsara et du nirvana tout entier. J’habite les
esprits de tous les êtres sensibles, me projetant comme éléments du corps mental et des
champs sensoriels, et, par mon émanation secondaire, je projette les douze éléments
interdépendants de l’existence ». Ou, s’identifiant à la base vide de son propre être, elle
découvre la base universelle de la relativité dont émane spontanément l’illusion universelle.
Cette illusion universelle est son Gourou : son corps est les apparitions phénoménales. Sa
parole est tous les sons et son Esprit (thugs), tous les Esprits.
Ces visions du Gourou et de la Dakini sont bien différentes de la définition lexicale du
Gourou en tant que maître spirituel et des notions occidentales actuelles de la Dakini en tant
que déesse incarnée ou en tant que disciple nubile, sexuellement disponible. Les significations
exotériques et les connotations du mot Dakini dans le langage ordinaire de l’Inde, du Népal et
du Tibet lui donnent un autre sens. A l’origine, il apparaît que les bouddhistes empruntèrent le
mot aux shaktas, où, dans le culte de Devi, les Dakinis étaient les gardiennes mangeuses de
chair de Kali, l’aspect destructeur de son conjoint Shiva. Dans le tantra hindou, Kali vainquit
Shiva et le dévora. Le yogi inerte implore la déesse de trancher son cœur, représentant son
ego, et de s'unir à lui pour que sa conscience passive soit vitalisée par son pouvoir (shakti) et
sa conscience. En tant que déesse culte populaire, Kali accorde des bénédictions et des
faveurs à ceux qui lui offrent le sacrifice du sang. C'est une buveuse de sang. Les dévots
fanatiques, connus sous le nom de voyous, lui offrirent des sacrifices humains jusqu'à ce que
le Raj britannique éradique pratiquement le culte au siècle dernier. Ainsi, depuis le début, les
Dakinis étaient associées à la fonction méta-psychothérapeutique de la destruction de l'ego et
de l'initiation des yogis dans le mandala d'être pur, de la conscience et de l'extase
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(satchitananda). Comme le cortège de Kali, la Vajra Yogini porte encore le couteau à crochet
(trigu, karttari) levé dans sa main droite pour trancher la croyance en un ego et déchirer les
voiles de l'émotivité. Dans sa main gauche, elle tient une tasse faite d'un crâne pour recueillir
le sang de ses victimes.
En tant qu'êtres incarnés, les Dakinis étaient connues comme des sorcières malveillantes, ne
remplissant aucune fonction positive, que tous craignaient sauf les siddhas. Dans l'Inde
contemporaine, le mot semble rarement utilisé et ceux qui le connaissent lui attribuent les
mêmes connotations négatives. De la même manière, au Népal, pour les non initiés, le mot
dakini est utilisé comme un juron ou une insulte à l'encontre d'une femme vile. Il est
également appliqué à une sorcière, une magicienne, une manipulatrice du monde des esprits et
une séductrice qui abuse de ses pouvoirs sexuels. Il n'y a que peu de vajracharyas du Newar
qui connaissent la signification ésotérique du mot. En tibétain, le mot (dakini) khandroma est
réservé, comme une épithète, aux conjointes des Lamas, les parèdres des yogis estimées ou
pour les yoginis réalisées et les tulkumas (incarnations féminines). Au Tibet c'est aussi un
nom personnel.
Une autre classification importante de Dakini est la quadruple personnification des karmas
(ou fonctions) du Gourou. Ces quatre activités peuvent être conçues comme étant les
fonctions des Dakinis dans l'illumination de l'initié, au quel cas elles peuvent être exécutées
par les karma Dakinis (mondaines ou Dakinis humaines - ‘jig-rten-kyi mkha’-‘gro), ou
peuvent être perçues en tant que personnifications des moyens habiles d'illumination du
Gourou. Ces quatre activités sont la pacification, l'enrichissement, le contrôle et la
destruction. Ces karmas ne sont utilisés que pour la conversion des êtres sensibles, dans leur
évolution spirituelle, et pour diffuser les doctrines tantriques. La pacification (zhi-ba) sousentend le fait de calmer l'agression ou la haine. L'enrichissement (rgyas-pa), ou croissance,
développement, potentialisation, etc., est une fonction maternelle d'une femme, et ses effets
sont un sentiment de sécurité, d'optimisme, de force et de confiance. Puis le contrôle (dbangba) est la fonction de la Dakini courroucée qui réfrène fermement l'émotivité et le
raisonnement futile. La destruction (drag-pa) peut être réalisée par une femme agressive qui
peut saper la conception qu'un yogi a d'une réalité objective, détruire ses croyances établies,
éradiquer sa fierté et même anéantir son ego de telle manière que sa façon d'être soit
radicalement et irrévocablement changée. La destruction peut aussi signifier la mort. Mais ces
énergies sont toutes des siddhis relatifs, les fonctions de la Dakini perdent leur pertinence au
regard de l'intuition de leur nature essentielle qui conduit au siddhi ultime, la bouddhéité ellemême.
'Sans karmamoudra pas de mahamoudra'. La nature de la yogini idéale, en tant que parèdre du
Gourou, est décrite ainsi par Gourou Péma : 'elle doit être de bonne famille, fidèle et attachée
à l'honneur, belle, habile en moyens, possédant une vision pénétrante, pleine de générosité et
de gentillesse. Sans elle, les facteurs de maturation et de libération sont incomplets et le but
de la pratique tantrique est perdu de vue'. La phrase 'de bonne famille' peut impliquer que
cette Dakini idéale devrait appartenir à l'une des cinq principales familles de Dakinis - lotus,
joyau, vajra, karma, ou bouddha - plus que d'une classe de Dakini inférieure, telle que les
types 'terreuse' ou 'mangeuse de chair'. Mais cela implique aussi qu'elle soit d'une haute caste,
ou, au Tibet, de la haute société. Les dames qui accompagnèrent les Vingt-cinq Siddhas de
Chimphou dans leurs initiations principales étaient toutes des dames de la haute société. Cette
injonction que la yogini soit d'une haute caste est en conflit avec les prescriptions de certains
tantras racines, et pratiques indiennes, où les femmes de caste inférieure ou hors-caste étaient
préférées, une Chandali, Dombhi ou Shavari, etc. Lorsque l'initié indien appartenait à une
caste doublement-née il y avait un motif évident pour que le Gourou utilise une femme horscaste dans le rite d'initiation. La destruction du conditionnement social, la réduction de
l'orgueil et la culture de la sagesse d'égalité peuvent résulter d'une telle association. Mais des
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considérations pratiques rendaient nécessaire l'utilisation de femmes de castes inférieures. Les
règles de caste, rigides, enchaînaient pratiquement au brahmanisme orthodoxe les femmes de
haute caste, karmiquement plus favorisées, en même temps que les préjudices moraux et
sexuels des filles de haute caste les adaptaient mal au rôle de Dakini dans le rituel tantrique. A
l'opposé, les filles hors caste étaient plus de mœurs légères, sans complexe en regard des lois
de Manu, et plus encore, puisque elles auraient probablement été de souche non-aryenne ou
dravidienne, elles pouvaient être déjà familières avec la tradition de la Déesse Mère de
laquelle le tantra est sorti. Au Tibet le tantra avait le statut original de religion établie, et était
ainsi dépourvu de la pression sociale négative qui, en Inde, a été propice à la croissance du
culte et le développement de l'individu.
Il existait une coutume à la fois en Inde et au Tibet qui consistait à ce que les initiés offrent au
Gourou une femme au moment de l'initiation. Parfois la femme jouait un rôle dans certaines
initiations. Pour Naropa, l'acte consistant à donner sa femme à Tilopa fut en lui-même un acte
de négation de soi, pourtant il dit, "La félicité consiste à offrir sans hésitation la moudra en
tant que rétribution au Gourou qui est le Bouddha lui-même". Ici l'acte consistant à offrir le
karmamoudra au Gourou est un système habile provocant l'attachement émotionnel qu’il
possède pour sa réelle nature, la Conscience discriminante d'Amitabha. Au sens figuré, l'initié
offre le karmamoudra de parfaite conscience de la forme vide au Gourou des moyens habiles
afin d'atteindre la félicité de l'intégralité spirituelle. Comme les yoginis le chantaient à
Tsogyel lorsqu'elle s'émerveillait de leur apparente stupidité d'offrir leur corps physique à
Vajra Yogini, "de même que votre perception de la vérité ultime est instantanée, c'est aussi
rapide qu'un éclair de foi véritable. Si vous n'êtes pas capable d'offrir la Conscience (la
Dakini) au Gourou à l'instant où la compréhension se lève, tergiversant, le mérite est perdu".
Et, finalement, le disciple offre à son Gourou ce qui lui est le plus cher comme un acte de
vénération et de démonstration de sa dévotion, ainsi qu'en tant qu’une récompense minime
pour la grande générosité du Gourou lui conférant l'initiation. Trisong Detsen donna Tsogyel
à Gourou Pema, comme faisant partie du prix de l'initiation.
Lorsque Naropa prouve son détachement divin à Tilopa, Tilopa le loue et lui donne des
instructions dans le mahamoudra. "Tu mérites une félicité éternelle, Naropa, sur la voie de
l'infinie réalité. Regarde dans le miroir de ton esprit, mahamoudra, la maison mystérieuse de
la Dakini. Ici le miroir de l'esprit est l'aspect cognitif de l'espace de réalité non duelle, et la
Dakini est le flux de réflexion insubstantielle dans le miroir. Mahamoudra peut se définir par
la formule : Savoir non duel (rig-pa) et pur plaisir (bde-chen) dans un état existentiel, premier,
de l'être (dharmakaya). L'expérience d'un instant de cette réalité existentielle nue en tant que
forme lumière édifiante et visionnaire est Vajra Yogini (sambhogakaya), et si un
karmamoudra incarne l'expérience, elle est le corps d'apparition (nirmanakaya) de la Dakini.
En développant de nouveau cette analyse non duelle (advaya) qui va en s'approfondissant,
puisque l'union avec le karmamoudra crée le pur plaisir du dharmakaya et ultimement
mahamoudra et parce que toutes les femmes sont des Dakinis, une rencontre ou relation
sexuelle intense et intégrale est un moyen d'atteindre les siddhis. Ensuite la pratique sexuelle
est le yoga-tantra.
Après que Gourou Pema eut accepté Yeshe Tsogyel de la part du Roi Trisong Detsen, elle fut
parfaitement instruite en matière d’ontologie et d’épistémologie du mahayana avant qu’il ne
l’initie au tantra. Avant de lui transmettre les trois initiations, il expliqua la nature de son
désir, « Je suis libre de tout germe de désir. Les aberrations de la luxure sont absentes ». Un
autre Gourou Dzogchen, le premier et le plus grand de la lignée, a enseigné ce précepte et cet
exposé de la nature de son désir, «N’ayez pas de désir pour ce que vous voyez. Ne désirez pas
; ne désirez pas. Désir ; désir. N’ayez pas de désir pour le désir. N’ayez pas de désir pour le
désir. Le désir et la liberté doivent être simultanés”. C’est dans le rite de la troisième initiation
et dans la pratique post-initiation que le karmamoudra joue son rôle dans l’entraînement
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tantrique formel. Mais dans l’espace que l’initiation révèle à l’initié, la nature de la Dakini est
équivoque et ambiguë, jamais située en tant que femme, telle qu’elle est conçue dans
l’ignorance dualiste.
Le traitement de la femme en tant qu’objet qui peut être « utilisé » dans la pratique tantrique
et « donné » par le disciple au Gourou, et vice versa, ainsi que le langage qui décrit la femme
comme « un ingrédient du tantra », peut sembler contradictoire à l’injonction « d’adorer la
femme en tout lieu ». Toutefois, une telle phraséologie n’est qu’une simple convention
sémantique et ne reflète pas l’attitude du Gourou. En fait, la femme est adorée en tant que
Dakini dans des rites auxquels elle participe et l’adoration ne doit pas cesser lorsque le rite est
terminé. Les Lamas traitent habituellement les femmes avec beaucoup de respect, d’une
manière exemplaire. Leur traitement des femmes peut être avantageusement comparé à celui
des bikkhus du hinayana qui doivent dédaigner le contact avec les femmes pour obéir à leurs
vœux de vinaya. Sakyamouni a catégoriquement refusé d’ordonner des femmes jusqu’aux
dernières années de sa vie, de peur qu’elles ne perturbent la communauté toute entière. Son
disciple favori, Ananda, qui a toujours défendu la cause des femmes, finit par le persuader
d’établir un ordre de religieuses. Leur code disciplinaire était encore plus rigide et vaste que
les volumineuses restrictions qui régissent le comportement personnel et social des moines.
Nous ne pouvons que supposer que c’est la qualité même que Sakyamouni a ressenti comme
une entrave à la voie des religieuses que Gourou Pema a considéré comme une aide précieuse
sur la voie du tantra quand il déclara, « Les corps grossiers des hommes et des femmes sont
également adaptés (comme temples du Yidam), mais si une femme a une forte aspiration, son
potentiel (pour la réalisation existentielle) est supérieur ».
La plus grande aptitude d'une femme pour les sensations et les sentiments, sa réceptivité innée
et ses pouvoirs d’intuition plus importants sont des qualités évidentes qui peuvent définir « un
plus grand potentiel ». Si une femme présente une forte aptitude karmique à l’abnégation ou
une envie suffisante pour surmonter son désir instinctif de sécurité et de maternité, si son
aspiration est clairement définie, forte et constante, son aptitude naturelle à l’éveil peut être
activée avec moins de difficulté qu’un homme. Même si elle limite ses options en choisissant
la maternité, elle peut utiliser cette situation karmique pour atteindre l’objectif de la
bouddhéité. Plus son attachement est fort, plus l’énergie potentielle dirigeable, comme shakti
(l’énergie qui vitalise et galvanise la kundalini du yogi), sera grande. De plus, la maternité
peut accélérer ses vertus sociales (les quatre demeures de Brahma) et cultiver les moyens
habiles de la compassion, bien qu’en général l’anuyoga caractérise la femme comme étant
passionnée plutôt qu’aimante, et que ce soit un bodhisattva masculin qui symbolise la
compassion. Enfin, dans la mahayana, il est dit que la femme doit être considérée comme
pure, telle qu’elle est, et selon l’anuttarayoga-tantra, les hommes et les femmes sont des
bouddhas dès le début, dans l’éternité. Mais par l’application des moyens habiles du Gourou,
avec un minimum de méditation formelle et en se détendant passivement dans sa propre
réceptivité, il est plus aisé à une femme qu’à un homme de reconnaître sa condition
existentielle originelle : telle est l’implication de Gourou Pema.
Bien que la yogini puisse détenir quelques avantages dus à leur constitution, elle est limitée
par certains handicaps sérieux. Tsogyel prie son Guru de lui donner l'initiation du mandala de
Dordjé Phurba afin que cette divinité terrible puisse la protéger contre le stress et les tensions,
les forces démoniaques et agressives que sa nature réceptive attire naturellement dans son
mandala. La désapprobation sociale, les voleurs et les fornicateurs sont la plaie de Tsogyel.
Au huitième siècle au Tibet, Tsogyel a dû évoluer au sein d’une société majoritairement Bön,
et il est certain que de nombreux Bönpos étaient hostiles aux bouddhistes. Dans le Tibet de
Taksham, au dix-huitième siècle, et dans tout le sous-continent jusqu'à nos jours, l'hostilité est
née de paysans fourbes qui ne croyaient pas à la motivation de la religieuse ou de la yogini, et
pensaient que la robe était simplement une étoffe pour cacher la paresse et une astuce pour
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exploiter la charité des gens qui travaillaient dur. Un adage sanscrit dit, «Une femme est mille
fois plus concupiscente qu’un homme. » Quand elle fréquentait son gourou, ou un yogi, la
motivation de la yogini était constamment mise en doute et, ignorant des samayas secrets
tantriques mais en sachant que les religieuses étaient engagées au célibat, et conscient de la
notoriété de certains couvents, le profane était prompt à dénigrer une tantrika imprudente.
Il y a peu de preuves de la répression des femmes pendant la période des rois. En fait, les
femmes du palais, les reines et les princesses, semblent avoir eu un certain poids dans la
politique, dans laquelle elles ont joué un rôle actif. Mais à l'ère de la guerre héroïque, il est
facile de concevoir qu’un certain niveau de machisme était répandu parmi la gente masculine.
«Même une femme peut vous vaincre, cria la foule aux magiciens Bon après qu’ils aient été
confondus par les bouddhistes, dont Tsogyel. Nous entendons toutefois parler de prêtresses
Bön, et Tsogyel est la preuve de la participation des femmes aux activités les plus sacrées et
importantes de sa société.
Tsogyel n'insiste pas sur les dangers du viol ou du vol mais, comme la plupart des yoginis,
elle y fut confrontée durant sa vie. Il semblerait que ces tribulations des yoginis soient
universelles et perpétuelles. Cependant, dans le Tantra, la vulnérabilité personnelle, telle que
celle d'une femme seule, offre d'importantes possibilités d'exercer des moyens habiles de
transformation - apaisement, enrichissement, contrôle ou destruction. Si les violeurs d'une
femme peuvent être conduit à une profonde reconnaissance de leur réalité existentielle grâce à
l'expérience qu'une femme leur donne, c'est qu'il n'existe, sur la voie, aucune situation qui ne
puisse être mise à profit.
Dans le plus poignant de tous les épisodes de sa vie, Tsogyel fait preuve, non seulement d’une
méthode valable et efficace pour assimiler le viol, mais elle indique aussi comment une
relation sexuelle imprévue peut devenir une initiation comprenant des étapes formelles
implicites. La méthode de Tsogyel pour faire du viol une expérience positive, consistait à
accepter la situation puis à la contrôler. En se visualisant comme Tara, la déesse du Service,
prête à faire tout ce qui est nécessaire pour servir le Guru qui englobe tous les êtres sensibles,
la victime était transformée en Salvatrice. Malheureusement toutes les femmes n'ont pas la
shakti qui permette d'élever la kundalinî d'un violeur et de le propulser à travers les niveaux
de félicité de manière à lui offrir une réalisation totale.
Mais, de la même manière que toutes les femmes deviennent des Dakinis par rapport au
Gourou qui les voit comme telles, ici les violeurs sont transformés en Gourous des Dakinis
par la force de la visualisation que celles-ci projettent sur eux. La Dakini voit tous les
hommes comme ses Gourous. C’est une métaphore sexuelle, décrivant son absence de
discrimination et sa volonté de s’unir à tous les hommes, qui lui donne une réputation de
promiscuité. En fin de compte, en faisant face à chaque situation sur la voie, tant d’adversité
que de bonne fortune, avec une équanimité qui permette une réponse spontanée, libre de peur
et d’émotivité, en voyant chaque moment avec le « troisième œil », l’œil de la non-dualité et
de l’éveil, le vœu de bodhisattva (sems-bskyed) motive immédiatement la parole et l’action de
la Dakini.
L'ambiguïté du mot Dakini est amplement démontrée ci-dessus. C'est peut-être une erreur que
de rechercher une conceptualisation trop précise, car si la Dakini est considérée sous l'angle
d'une belle définition, elle devient un concept mort. Elle appartient à la langue équivoque du
monde crépusculaire, où elle peut provoquer un impact verbal modifiant l'esprit. La Dakini
reste un profond mystère tantrique, une énigme qui n'est résolue que lors de l'initiation,
lorsque les yogis en acquièrent une compréhension expérimentale.
Dans son introduction, en préambule à Tsogyel, Taksham est typiquement équivoque : «
c’était ce Bouddha (Padmasambhava) qui se servit de moyens habiles pour répandre le tantra.
Il avait un nombre plus grand de parèdres mystiques accomplies que le nombre des graines de
sésame (thig-le, essence-germe) nécessaires pour remplir une pièce supportée par quatre
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La Femme et la Dakini
piliers (les quatre kayas) et elles venaient toutes du plus haut paradis (‘Og-min), pour peupler
les terres de crémation, les paradis, le monde humain, les lieux de grand pouvoir, les
royaumes du naga et ceux des musiciens célestes. Dans ce monde de Jambudvipa il n’y avait
pas moins de 70.000 femmes accomplies, parmi lesquelles se trouvaient les cinq
(nirmanakaya) émanations du Corps de Varahi (sambhogakaya), dont il ne se séparait jamais :
l’émanation du Corps de Varahi, Mandarava, l’émanation de sa Parole, Yeshe Tsogyel,
l’émanation de son Esprit, Sakya Dema, l’émanation de sa Qualité, Kalasiddhi, l’émanation
de son Activité, Tashi Chidren (Khyidren) et l’émanation de son individualité essentielle et
indéfinissable, Khandro Wongchang (mKha’-‘gro dbang-‘chang). Celles-ci furent les six
aspects de son être d’apparition (nirmanakaya). Nous n’en savons que trop peu sur les
véritables histoires de Kalasiddhi, Tashi Khyidren et Sakya Dema et absolument rien de celle
de Khandro Wongchang, alors qu’en ce qui concerne Mandarava, il existe aujourd’hui
plusieurs biographies, et il en est fait substantiellement mention dans la propre biographie de
Gourou Pema. Voici quelques rapides épisodes de ces cinq vies :
Mandarava est la fille du Roi Zahor, née, au milieu du VIIIème siècle, dans la famille royale
d’un petit, mais non moins stratégique, royaume himalayen. Elle naquit Dakini de sagesse
(ye-shes mkha’-‘gro) et talentueuse. A l’âge du mariage, comme Tsogyel, elle repoussa toutes
les tentatives de la marier, mais ne réussit pas à convaincre son père qu’elle était destinée à
prendre l’ordination de none bouddhiste. Elle servit à son père la chair du cadavre d’un
Brahman – un crime odieux – puis, elle s’enfuit du palais en revêtant les robes d’un mendiant.
Après son ordination par l’Abbé Shantaraksita (également natif de Zahor), son père se fit à la
prédilection de sa fille pour la vie religieuse et lui fournit un palais pour ses méditations.
Quand Padmasambhava, le jeune prince devenu un yogi ascétique, apparaît à Mandi, venant
d’Orgyen, Mandarava est immédiatement séduite par lui – elle s’évanouit aussitôt qu'il se met
à flotter dans le ciel. Elle devient son disciple, comme c'était prédestiné. Mais des ragots
malveillants rapportent au Roi que sa fille, la none, se conduit mal avec un tantrika sans
scrupule, et le Roi outragé s'empare de Gourou Pema et le brûle sur un bûcher. Le huitième
jour, le roi trouve Gourou Pema ayant l’apparence d’un garçon de huit ans, assis sur un lotus
au milieu du lac. Mandarava fut jetée dans un fosse recouverte d’épines. Reconnaissant de
trouver sa fille encore en vie, le Roi l'unit à Gourou Pema et les vénère tous deux. Le Guru est
soutenu par les Dakinis et le feu se transforme en un lac qui fume pendant sept jours. Jusqu’à
ce qu’il aille au Tibet, lui et Mandarava restèrent inséparables.
Le Gourou demeure quelque temps à Zahor et, après avoir converti la population, sa parèdre
et lui s’en vont pour la grotte de Maratika, à Heileshe, au Népal (à côté de Lamidada, à l’est
de Okhuldunga) où ils pratiquent le yoga de l’immortalité dans le mandala d’Amitayus, et
Gourou Pema atteint le niveau de Détenteur du Savoir de l’Immortalité (tshe’i dbang-la
rig-’dzin). Du Népal, ils voyagent à Bangala où Mandarava est transformé en la Dakini au
visage de Chat et contribue à la conversion du pays (autrefois Pala, au Bengale). Retournant
dans sa patrie, puisque aucun prophète n’est reconnu dans son propre pays, il est de nouveau
brûlé sur un bûcher avec Mandarava cette fois et, de nouveau, ils s’en sortent sains et saufs.
Par la suite, Mandarava devient la Reine des Dakinis d’Orgyen – Orgyen est la Terre Pure des
Dakinis, un champ de nirmanakaya de bouddhas. Vers la fin de sa vie, Mandarava se présente
à Tsogyel tandis que cette dernière est en train de méditer à Phukmoche, et prie Tsogyel de lui
enseigner les vingt-sept préceptes secrets que Guru Pema ne lui avait pas enseigné en Inde, un
aveu rare que les doctrines Nyingma contenaient des préceptes qui n'avaient pas d'antécédents
indiens.
L’image du feu et de l’immolation apparaît deux fois dans cette légende. Dans le premier cas,
soutenu par les Dakinis, Gourou Pema seul, est rajeuni. Le feu dans le ventre de la Dakini se
font avec la vision concrète de la réalité centrée dans la tête, et dans le lac de la Vacuité qui en
résulte, pousse le lotus de la compassion dans lequel siège un jeune homme vierge et
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resplendissant, incarnant les miraculeuses qualités psychiques pré-pubères. La cause
existentielle essentielle de cette transformation est la passion de la relation qu’entretient le
Guru avec Mandarava. En attendant, Mandarava était assise en méditation dans une fosse - un
symbole de la yoni universelle. Dans le second cas, le Guru et la Dakini sont brûlés ensemble.
Le feu de la passion apparaît de manière récurrente dans la légende tantrique, marquant ainsi
la place importante qu’il occupe dans la pratique tantrique. En général, l'histoire des
déambulations du yogi et de la yogini en Inde est une histoire d'amour spirituelle, maintes fois
répétée.
Ce contexte offre une excellente opportunité de présenter les faits de l’existence de Tsogyel
d’un point de vue radicalement différent. Dépouillée des ornements hagiographiques, que
savons-nous ou que peut-on déduire, de la plus grande mystique du Tibet ? Lorsque Tsogyel
était sur le point de quitter cette terre, questionnée par ses disciples à propos de ce qu'ils
devraient dire d'elle pour la postérité, elle leur suggère un certain réalisme humaniste. Tout
d'abord, elle se dit une « vieille fille impossible à aimer, rejetée par les hommes du Tibet », et
comme le manque d'attirance physique, réel ou imaginaire, et le rejet de l'amour, peuvent
constituer deux raisons pour lesquelles les femmes se cloîtrent pour la vie, nous sommes
amenés à envisager la possibilité que Tsogyel n’était belle que spirituellement.
En outre, une jeune fille sensible est habituellement froissée de n’être courtisée que pour son
statut royal et sa fortune. Plutôt que de supporter un mariage arrangé, elle a fui, événement
qui n’est pas rare dans l’Inde contemporaine où la vision de noces avec un homme inconnu
inspire l’horreur à une vierge. Quoi qu’il en fût, nous voyons Tsogyel se réfugier dans la
religion pour fuir un monde dur. Elle se décrit elle-même comme dévergondée, sans
inhibition, passionnée et entêtée. Son impudicité se manifeste par la qualité de ses fantasmes
érotiques alors qu’elle médite à Nering, au Bhoutan, où elle rêve de séduction verbale et
physique. Mais ceci doit être considéré comme normal pour une jeune femme nubile privée de
toute compagnie masculine, de même que l’activité sexuelle excessive à laquelle elle se livre,
ultérieurement, avec trois robustes jeunes hommes au cours d’une retraite est également un
développement naturel.
L’achat d’un esclave masculin sent le phantasme freudien. Ses autres partenaires sexuels,
l’Empereur, qui lui offrit un magnifique mariage, et le gourou indien, étaient tous les deux
plus âgés qu’elle, et lui ont certainement procuré une expérience plus mature. Son entêtement
et sa persistance furent probablement ses qualités les plus ingrates, mais elles constituaient
aussi des facteurs essentiels la rendant capable d’endurer trois hivers dans la neige en ne
connaissant que des signes de succès partiels. c'est une adolescente résolue qui a franchement
maudit le ministre Shantipa quand il a accompli sa tâche, et c'est une femme mure qui savait
ce qu’elle voulait et comment l’obtenir quand elle l’emporta sur son gourou pour qu’il lui
donne l’initiation de Dorje Phurba, alors qu’il en avait décidé autrement.
Concernant sa "duplicité, sa tendance à intriguer et à trop s'impliquer dans le jeu du pouvoir",
il y a la preuve de l’attentat contre sa vie et de son bannissement pour avoir été la cause d’un
conflit et d’un schisme à l’intérieur du gouvernement après que le vieux roi fut mort et les
conséquences de son maintien d’une relation avec « le prêtre-diable étranger» contre la
volonté de la majorité des ministres, et aussi de son évasion de la première condamnation à
l’exil, avec la connivence du roi, quand elle accompagna son Gourou à Tidro. Quand les
circonstances l’exigeaient, elle était tout à fait capable d’ôter la vie en gardant les mains
propres – les dirigeants bönpos se suicidèrent à son instigation. Vers la fin de sa vie, elle
réussit à réunir une suite très importante et à créer plusieurs établissements monastiques. Elle
était la prêtresse de l’Empereur, l’abbesse des principales académies monastiques et le
Gourou de nombreuses personnalités du gouvernement. Dans le monde littéraire, elle atteignit
l’immortalité grâce à la part importante de textes Nyingma qui lui fut attribuée.
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La Femme et la Dakini
Le résumé ci-dessus, constitué dans le samsara sur la base du samsara, trouve ses sources dans
des preuves internes à la vie, généralement écrites sur la base du nirvana, dans le nirvana. Les
faits de la vie personnelle de Tsogyel ne sont pas pertinents, seul son aspect mythique est
significatif. Le propos de Taksham n’était sûrement pas de nous offrir un compte-rendu
objectif de la vie de Tsogyel, mais d’utiliser l’histoire de sa vie comme un point d’ancrage
pour projeter le lecteur hors de ses habitudes de penser habituelles et se retrouver dans un
royaume visionnaire de pure perception. Que Tsogyel fut un gigantesque ego manipulateur ou
une sainte n’apporte rien quand il s’agit de permettre au lecteur d’acquérir quelques
indications sur le tantra (fil), où les moments d’expérience psychotrope sont comptés comme
des perles sur un fil, chacun comme une union mystique du Gourou et de la Dakini.
Sakya Dema, ou Sakya Devi, est la première parèdre népalaise de Gourou Pema. Il la
rencontre à Sankhu, à l’extrémité nord-est de la vallée de Katmandou, sur sa route vers le
Tibet. Un vihara très ancien, Sankhu, offrait refuge aux pèlerins en route pour l’Inde. C’était
un vihara de maîtres forgerons du bronze dont les créations comptaient parmi les plus
raffinées de l’art [du royaume] népalais de Licchavi, à l’époque de la visite de Pema. Le
sanctuaire de Sankhu Bajra-Jogini est aujourd’hui dominé par un temple Ugratara appelé
Khadga Jogini (la Yogini de l’épée). Le nom de Bajra-Yogini trouve peut-être ses origines
dans l’association de Sakya-Dema avec l’établissement. Une reine locale meurt en couches et
sa dépouille est emmenée sur le lieu de crémation avec sa fille nouvelle-née. Le bébé survit,
allaité par des singes, et grandit avec eux, mais ses mains et ses pieds sont palmés (ye-shesmkha’-‘gro) parce qu’elle est une Dakini éveillée.
Gourou Pema la trouve là et l’emmène à Pharping, la sortie sud de la vallée, où il s’exerce
avec elle, à Yanglesho, à la pratique de la méditation mahamoudra, en utilisant les mandalas
de Yangdak et Dorje Phurba. C’est tout ce que nous savons de Sakya Dema, à part que,
lorsque Tsogyel visite Yanglesho quelques années plus tard, la précédente épouse du Gourou
vivait encore là comme une yogini. Les yogas dont Sakya Dema parle à Tsogyel sont les
phases simultanées de création et d’achèvement qui mènent au mahamoudra. La phase
d’achèvement, de « combustion et d’égouttement », le yoga zap-lam du plaisir et de la vacuité
coïncidant, le yoga total des quatre visions menant au corps d’arc-en-ciel et le yoga du
sommeil. En post-scriptum à l'histoire de Sakya Dema, certains tibétains contemporains
croient que la Raj Kumari, la prétendue Déesse Vivante de Basantapur Kumari Bahal à
Kathmandu, est une émanation de la Déesse Sakya Dema.
Kalasiddhi est également née au Népal. Dans les temps anciens, le Népal était réputé pour sa
laine. Les couvertures népalaises étaient vendues au marché de Mauryan Pataliputra. Les
parents de Kalasiddhi sont tisserands. Son père et sa mère, Bhadana et Nagini, appellent leur
enfant Dakini. Comme Sakya Dema, elle grandit dans un lieu de mort, son père l’ayant
abandonnée dans un charnier avec sa mère morte. Mandarava, sous la forme d’une tigresse,
allaite l’enfant tout en gardant le corps de sa mère chaud pour que l’enfant continue à s’y
agripper. Une fois suffisamment âgée, Dakini file le coton pendant la journée et le tisse la
nuit. La Dakini de quatorze ans est trouvée par Tsogyel pendant sa seconde visite au Népal,
où elle vient pour enseigner les préceptes secrets du Gourou. Tsogyel l’appelle Kalasiddhi :
kala est le nom du substrat des éléments du corps humain (la bile, la lymphe, le sperme, etc.)
ou « atomes », et comme Kalasiddhi appartient à la famille du « Corps » (kayakula) des
Dakinis et, plus particulièrement, au type conque de Dakini (samkini qui se réfère à la nature
physique de la matrice), elle obtiendra le siddhi par la réalisation de la vacuité fondamentale
de la structure « atomique » du corps.
A Mangyul, de l’autre côté de la frontière tibétaine, en amont de Trishuli-kola ; Kalasiddhi
reçoit l’initiation du tantra du mandala du Lama (gSangs-sngags bla-ma’i dkyil-‘khor) et
après une vaste méditation, elle atteint le siddhi. Elle accompagne Tsogyel à la cour de Mutri
Tsenpo, à Samye, et au centre de retraite de Chimphu où elle rencontre Gourou Pema. Le
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Gourou perçoit immédiatement le potentiel de Kalasiddhi comme un moudra dans sa pratique
pour développer le Tantra au Tibet et demande à Tsogyel de la lui donner dans ce but. Peu de
temps après, Gourou Pema s’en va vers le sud-ouest laissant Kalasiddhi aux soins de Tsogyel.
C’est à Kalasiddhi que Tsogyel donna l’instruction détaillée du zap-lam en cadeau d’adieu.
Tashi Khyidren du Bhoutan est un célèbre personnage populaire du Bhoutan occidental, où
elle est connue comme un don du Bhoutan au Grand Gourou pour son œuvre de propagation
des tantras au Tibet. Une source bhoutanaise rapporte qu’elle était la fille du légendaire
Sindhu Raja, le Roi du Palais de Fer (lCag-mkhar rgyal-po), qui invita le Gourou au Bhoutan
( la région de Bum-thang) pour soigner sa maladie. Jamgon Kongtrul fait de ‘Tashi
Khyeudren’ (Khye’u-’dren – la forme préférée de son nom au Bhoutan) et de ‘Tashi Chidren’
deux épouses distinctes du Gourou, avisant que la première était de Tsha-’og et que la
dernière était la fille du Roi Ha-mar ou Hamra.
La vie confirme que Tashi Khyidren était la fille du Roi Hamra(s). A treize ans, elle rencontre
Tsogyel méditant dans la grotte de Nering Drak, soumise aux ruses des démons et esprits
locaux. Emplie d’admiration pour la yogini, elle lui apporte de temps en temps du lait et du
miel. Une fois que Tsogyel a réussi à soumettre les esprits et également la population locale,
le père de Khyidren vient lui rendre hommage et Tsogyel lui demande de lui donner sa fille.
Le Roi Hamra(s) s’exécute et Tsogyel change le nom de sa fille de Khyidren en Chidren, bien
que [le monastère de] Taktasang continue à utiliser son précédent nom. Peu de temps après,
Khyidren accompagne Tsogyel à Womphu, Taktsang au Tibet, où elle rencontre Gourou
Pema. Il demande à Tsogyel de lui donner Khyidren pour qu’elle soit son moudra dans les
rites initiatiques de Dorje Phuba qu’il devait accomplir pour la protection du Tibet. Khyidren
joue un rôle important comme parèdre secondaire du Gourou dans cette initiation. Dans la
symbolique du Phurba Tantra, Khyidren est la tigresse sur laquelle Gourou Pema et Tsogyel,
en tant que Phuba et sa parèdre, montent pour soumettre les dieux et démons du Tibet. Elle
reste une disciple de Tsogyel jusqu’à la fin de la vie de gourou de la Dakini. Khyidren reprit
naissance comme fille de Machik Labdron.
Tsogyel vécut à l’apogée de la monarchie tibétaine. Quelques années après sa mort, il y eut
une période d’anarchie dans la société tibétaine d’où naquirent les racines du système
théocratique qui devait se développer et se maintenir, avec différents changements de cap,
jusqu’à l’invasion chinoise de Mao. Malgré la révolution politique précoce, il y a peu de
preuve d’un changement social drastique depuis l’époque de Tsogyel. A part quelques
influences indiennes, mongoles et chinoises, le Tibet est demeuré isolé socialement et depuis
que le Bouddhisme a été assimilé, les valeurs sous-jacentes sont restées inchangées. Les
bouddhistes (et les brahmans) enseignent le mythe d’un âge d’or originel et d’une théorie qui
reconnaît quatre âges, quatre phases dans un processus de décadence inexorable depuis la
gloire du paradis terrestre dans la dharmayuga, jusqu’à la corruption morale et physique du
cataclysme final, kaliyuga, dans lequel nous nous trouvons maintenant. Ces concepts
enracinent un profond conservatisme et un attachement intransigeant au statu quo, de sorte
qu’on a tendance à concevoir tout changement comme négatif, et à considérer le passé comme
modèle pour le présent. Après la seconde période de propagation du dharma (XIIIème siècle), la
tendance générale était de considérer les étrangers, qui amenaient inévitablement avec eux de
nouvelles idées, comme des précurseurs de catastrophes. C’est cette attitude xénophobe,
partagée avec les chinois, qui fit de Lhassa une cité interdite pour l’empire britannique et
donna au Tibet un siècle supplémentaire d’existence sociale et politique moribonde.
Toutefois, l’isolationnisme rigoureux qui protégeait le Tibet des britanniques laissa le pays
désespérément vulnérable aux chinois de Mao. Parce que le changement social fut
imperceptible au Tibet, au fil des siècles, nous pouvons en déduire la nature de la féminité du
VIIIème siècle à partir d’une observation contemporaine.
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A en juger nos contemporains, la fille du Tibet est une âme courageuse de nature, forte
physiquement, perspicace, opiniâtre, lente à s’enflammer mais ardente et passionnée quand
elle est stimulée, elle n’est pas fidèle à un code moral, craint peu les répercussions karmiques
de ses actes, croit totalement au pouvoir de ses prêtres à contrecarrer le mal et à satisfaire ses
demandes.
Elle est matérialiste mais, paradoxalement, elle croit implicitement en ce monde de pouvoirs
spirituels, indistinctement malveillant et féroce, qui l’entoure. Elle est extrêmement
superstitieuse, mais sa foi en l’efficacité de ses charmes et talismans, dans les pouvoirs de la
magie sympathique du Lama et dans le pouvoir de la fidélité de ses dieux protecteurs, l’isole
des préoccupations morbides d’un monde de mauvais esprits. Sauf si elle est éduquée dans un
couvent exceptionnel, elle est illettrée, sa seule source d’apprentissage est les classiques
épiques, comme l’histoire épique de Ling et les différentes légendes religieuses,
habituellement chantées au coin du feu par un barde ou par ses grands-parents. Elle est
éminemment pratique, quelque soit sa classe, et elle se livre souvent au commerce où elle se
comporte comme un banquier de famille, tenant les cordons de la bourse de son mari. Si elle
doit prendre part à une négociation, rare est l’homme qui saura tirer d’elle le meilleur.
Dans sa société, le mariage n’est pas un sacrement sacré, mais si les liens familiaux se
révèlent opportuns, elle reste plutôt fidèle à son mari. La polyandrie l’autorise à se marier
avec deux ou trois frères simultanément, mais il apparaît que seuls les premiers rois
pratiquèrent la polygamie. En général, la femme tibétaine n’est pas du genre mystique.
Fréquemment, les femmes tibétaines rejoignent les couvents pour régler les questions de
nourriture, d’abri et vestimentaires. Si les anecdotes populaires sont le reflet de la réalité, les
couvents étaient des havres pour femmes frustrées où la discipline était laxiste et la méditation
une préoccupation inhabituelle. Il y avait sans aucun doute des exceptions individuelles et
institutionnelles, des périodes de réforme relevant le niveau de temps en temps, et des Lamas
extraordinaires ont toujours dû inspirer leurs disciples à pratiquer les sadhanas. Une femme
dotée du désir d’un autre monde aurait été bien inspirée de se marier à un Lama ou un yogi
tantrique et d’acquérir ainsi un statut très spécial dans la société, assorti de nombreux
avantages sociaux et matériels.
Tsogyel est née dans une société hiérarchisée et patriarcale dans laquelle les clans étaient
encore les unités sociales les plus fortes. Taksham a pensé que c’était suffisamment
significatif pour indiquer que les pères Bönpos échangeaient leurs filles en mariage. On peut
en déduire que le mariage était un moyen social pour renforcer les liens politiques et
économiques à l’intérieur d’un clan ou pour conclure une alliance bénéfique avec un autre
clan. Des dots étaient échangées à l’occasion des mariages qui étaient célébrés par une fête
laïque. Les mariages arrangés étaient la norme dans les strates supérieures de la société, mais
il semble qu’une certaine considération ait été accordée aux souhaits de la fille. Une femme
avait certains droits d’héritage. La mère de Milarépa, par exemple, reçut des terres et
propriétés de la famille de sa mère. Ainsi, pour une femme, le divorce n’était qu’une simple
question de séparation. La morale sexuelle ne semble jamais avoir été puritaine ou légère. En
général, la sexualité des tibétains apparaît équilibrée.
En pratique, on peut dire que le statut de la femme dans la société où Tsogyel est née était
caractérisé par l’égalité avec les hommes. C’est vrai que la société était patriarcale, mais à
côté du pouvoir fondamental que détient la femme en tant que mère et maîtresse, un pouvoir
que les féministes célibataires sous-estiment invariablement dans leurs évaluations du statut
de la femme, dans toute sphère d’activité humaine où les femmes sont actives. En politique,
les avis des reines de Trisong pesaient d’un poids significatif, sans doute renforcé par le
soutien de leurs puissants clans, et leurs préjugés ont changé le cours de l’histoire du
bouddhisme : l’exil de Vairotsana dans la province de Kham, conçu par une reine, par
exemple, a transporté le dzogchen au Tibet oriental. En religion, les dieux Böns étaient adorés
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La Femme et la Dakini
par des prêtresses en plus des shamans masculins et, dans le bouddhisme, Tsogyel elle-même
fut le meilleur exemple de femme ayant atteint l’apogée de la réalisation. Cette société n’était
pas extrêmement sophistiquée, mais nous ne pouvond pas imaginer la finesse féminine,
l’intelligence et la sensibilité opprimées, dans une société tribale de guerriers masculins
revêtus de peaux, du sang encore chaud coulant sur leurs épées tout juste dégainées. Le culte
d’Avalokiteshvara avait été propagé dans une frange de l’aristocratie depuis un siècle voire
davantage, et le shamanisme Bön, avec ses dieux et démons malveillants qui exigeaient
jusqu’au sang humain pour leur propitiation, était sur la défensive. Ce sont probablement les
femmes, naturellement conservatrices, qui furent les principales fidèles de tels pouvoirs
spirituels ataviques. Dans un tel monde, Tsogyel brillait « comme une étoile dans le ciel du
jour ».
Pour conclure cet article sur la Femme et la Dakini, le mot Dakini, ou Khandroma, a introduit
un nouveau concept précieux pour le monde occidental. La valeur du concept réside dans son
absence même de définition précise. Il englobe toute une gamme de significations – le
principe féminin, un moment d’intégration spirituelle, la parèdre du Gourou, une partenaire
sexuelle – qui s’ajoute à l’énigme et au paradoxe. L’image que la « danseuse céleste »
évoque, avec la connotation d’une Dakini-déesse immatérielle, évanescente, se
métamorphosant, dansant dans l’empyrée, n’est pas moins énigmatique. Des concepts tels que
la « Dakini » satisfont les besoins des yogis occidentaux qui essaient de trouver l’expression
de leur expérience dans l’exploration de l’espace intérieur. Les découvertes sur cette frontière
re-trouvée, en particulier les expériences de sexualité gnostique, ne sont pas adaptées à la
tradition occidentale et son concept de réalité équivoque et dualiste, et son strict
cloisonnement du sexe et de dieu. Dans la terminologie synthétique et la métaphysique
existentielle du tantra, le mot Dakini est central, de même que l’expérience de la Dakini, à la
fois par les yogis et les yoginis, est centrale pour la vie intérieure.
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