Strategie_291208

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Médias tactiques
08/01/2009 - Supports hétéroclites, marché atomisé, profession secouée par
d’incessantes querelles de chapelle… Les médias tactiques peinent à se
positionner. Pourtant, un peu partout, ils gagnent du terrain.
Médias de proximité, médias ambiants, contextuels, urbains, hors foyers… S'il fallait
nommer les choses pour leur prêter une existence, le sort des médias tactiques serait bien
fragile. Jamais catégorie médias ne s'était heurtée à tant de controverses lexicales. Mais
c'est surtout d'une problématique de positionnement qu'il s'agit. Il faut dire que les médias
tactiques actionnent des supports d'expression aussi pléthoriques qu'hétérogènes. Boîte à
pizza, set de table, toilettes des salles de sport, habitacle des taxis, carrosserie des
voitures, ticket de parking, gobelet de café, remonte-pente des stations de ski, table des
bistrots, stop-caisse, sac à pain, reçu de cartes bancaires, gourmandises distribuées dans
les cafés, etc.
N'en jetez plus, le périmètre d'expression publicitaire est quasi infini: intérieur et extérieur,
dans les foyers et hors foyers, en affichage et hors affichage… Ces médias "tactiques" –
puisqu'il faut bien les qualifier –, quelle place leur donner dans l'articulation médias/horsmédias? Où les situer, entre les médias traditionnels et leur logique d'organisation, leurs
réseaux, leurs systèmes d'audience, et le hors-médias, ses propriétés de proximité et de
ciblage?
Un pan non négligeable des médias tactiques s'apparente sans conteste à de l'affichage.
Pourtant, chez Metrobus, qui vient d'installer dans le métro parisien les premiers panneaux
d'une nouvelle génération de mobilier numérique, on se défend avec véhémence de verser
dans le tactique. «Surtout pas!, assène son PDG, Gérard Unger. Nous développons un
dispositif stratégique reposant sur un réseau puissant et sur des volumes de trafic.»
Nébuleuse d'activités
Tentons alors une définition par le contexte. Pour circonscrire les médias tactiques, leurs
promoteurs insistent sur les notions de mobilité, d'affinité, de lieux de vie, etc. Le média
tactique, c'est celui qui toucherait sa cible dans tous les instants et lieux où elle se montre
la plus réceptive: des temps d'exposition plus soutenus, pour des contacts plus captifs.
Soit. Mais peut-on véritablement parler de durée d'exposition et de perméabilité captive de
l'audience pour de l'affichage sur des voitures? Un support qui, loin de compter pour part
négligeable de ce marché, en constitue au contraire l'un des plus dynamiques.
Avec des chiffres d'affaires avoisinant pour l'une 4 millions d'euros et pour l'autre 3 millions
d'euros, les régies Euro Taxi Média et Carlogo figurent parmi les premiers acteurs du
secteur des médias de proximité. La régie Upskin et son parc de 550 Smart abrite l'une
des activités les plus lucratives du groupe Tapage Media.
Pas facile, décidément, de cerner ces médias tactiques. Et ce d'autant moins que le
marché attire chaque année nombre d'opportunistes qui, en lançant des microsociétés sur
des microniches, contribuent à alimenter la nébuleuse. Le secteur ne compte que 4
acteurs de taille significative, aux chiffres d'affaires avoisinant les 5 millions d'euros : Non
Stop Média, Tapage Communication, Carlogo et Quadriplay. Nul doute que la maturité et
la crédibilité du marché se gagneront au prix d'une nécessaire concentration (lire
également page xx).
Hiatus idéologique
Les tentatives de rationalisation se sont d'abord opérées sur le terrain de la
représentation. Pour engager la profession dans une même direction, encore faudrait-il
qu'elle s'exprime d'une même voix. En 2003 naissait l'Association des supports et médias
tactiques (ASMT), à l'initiative de Stéphane Marrapodi, aujourd'hui codirigeant de Tapage
Media. L'association a fédéré une quinzaine de sociétés, édité un guide des médias
tactiques et même organisé un grand prix des médias tactiques. Mais l'harmonie fut de
courte durée, troublée par la montée en puissance en son sein de Tapage et par des
intérêts divergents.
La plupart des membres de l'association ont claqué la porte, à l'image de Médiatables il y
a deux ans. «Nos métiers sont trop hétérogènes pour permettre une mutualisation des
outils de mesure», soutient Muriel Aït-Kaci, sa directrice générale, qui avoue aujourd'hui
ne pas se reconnaître dans l'appellation «médias tactiques».
Objet central de son désaccord, l'un des critères qualifiants définis par l'ASMT:
«L'audience d'un média tactique doit être quantifiable sur les critères majeurs: sexe, âge
et/ou catégorie socioprofessionnelle. Pour obtenir l'appellation "tactique", il doit
surpondérer un, deux ou trois de ces critères d'au moins 25%.» Abusivement discriminant
pour la dirigeante de Médiatables, aujourd'hui ralliée à l'Union de la publicité extérieure.
Scellant le hiatus idéologique, une autre organisation s'est constituée, à l'initiative cette
fois-ci de Stéphane Pinte, dirigeant de Made In Out. L'Association des médias de proximité
(AMP) a rallié une quinzaine de membres, dont certains déçus de l'ASMT.
Mais, là encore, le climat n'a pas tardé à tourner au vinaigre. «Nous nous sommes vite
rendu compte qu'on ne pouvait être efficace en faisant cohabiter de tout petits acteurs
avec des sociétés installées depuis vingt ans, explique Anne Rouch, responsable
communication et marketing de Cart Com. Les intérêts ne sont pas les mêmes.
Aujourd'hui, nous sommes en train de constituer un noyau cohérent de cinq ou six
membres.»
Même discours de la méthode chez Tapage: il faut relancer une représentation autour
d'une poignée d'acteurs soigneusement sélectionnés. Or, au vu de la configuration d'un
marché à la fois étroit et nécessairement voué à la concentration, difficile d'imaginer que
les deux entreprises ne se rejoignent pas.
Ouf! La profession serait donc enfin condamnée à une certaine pacification. Une
perspective somme toute légitime pour des sociétés et des activités qui ont fait leurs
preuves, et pour certaines depuis longtemps.
Quête de proximité
À l'image de Cart Com. Lancée il y a vingt ans, la carte publicitaire de cette société
bénéficie aujourd'hui de 6500 points de présence dans 60 villes de France, pour une
diffusion annuelle globale de 70 millions d'exemplaires. Volume moyen d'une campagne à
Paris: 60000 cartes, pour un budget moyen 30000 à 50000 euros. Parmi les clients
récurrents du réseau parisien: Orange, SFR, Nike, Adidas, la SNCF et la RATP, qui
achètent jusqu'à 10 campagnes par an.
Présente sur son marché depuis huit ans, la société Atout Ticket (400000 euros de chiffre
d'affaires) imprime les tickets dans 700 parkings, soit plus de 50% des espaces de
stationnement souterrain en France. «Un potentiel annuel de 180 millions de tickets, pour
des campagnes de 30000 à 4 millions de tickets», annonce Éric Lopez, directeur général.
Parmi les clients de la société aixoise, Total, adepte d'opérations volumineuses pouvant
atteindre les 3 millions d'unités.
En 2005, TNS identifiait 28 annonceurs totalement plurimédias, c'est-à-dire ayant investi
dans les 7 médias recensés par la société d'études. Un petit noyau qui représentait 10%
des annonceurs et 43% des recettes brutes des médias tactiques. «Petits» ou «gros», les
annonceurs investissant dans les médias tactiques recherchent le plus souvent la
proximité. Jusqu'à quel échelon local les régies peuvent-elles resserrer leur périmètre de
ciblage?
La société Tac-Tic Media, qui développe en Île-de-France le concept méridional du sac à
pain, commercialise volontiers son support dans le cadre de campagnes locales, avec des
volumes moyens de 50000 sacs. Chez Cartes sur table, on a monté des opérations à
l'échelle de la commune, notamment pour des concessionnaires automobiles.
Il faut dire que cette jeune société a clairement opté pour un réseau de diffusion de
proximité: les boulangeries, où elle installe des panneaux d'affichage en format 62x28 cm,
avec bac intégré pour la diffusion de brochures en libre prise. La régie recense aujourd'hui
plus de 600 commerces en Île-de-France, à 90% des boulangeries. «Une boulangerie
représente 16000 contacts par mois auprès d'une clientèle réceptive», argumente Alexis
Brane, directeur associé. Avec 40% des boulangeries parisiennes, Cartes sur table
revendique un potentiel de 6,21 millions de contacts mensuels sur la seule capitale. Le
volume moyen de prises par mois et par commerce varie de 200 à 250 brochures. Après
trois ans d'exercice, Cartes sur table affiche un chiffre d'affaires de 300000 euros. Présent
à Lyon depuis juin 2008, le réseau va consacrer en 2009 ses efforts commerciaux à son
déploiement dans les grandes agglomérations françaises.
Démarche chirurgicale
L'arme du média de proximité, c'est le réseau. Tapage Media a signé avec Mercedes un
contrat d'exclusivité portant sur 550 Smart et choisit ses conducteurs selon l'usage qu'ils
font de la voiture. Lorsque Atout Ticket signe avec Vinci ou Aéroports de Paris, c'est pour
écarter toute concurrence des parkings référencés. L'exclusivité d'une présence dans les
commerces se fait généralement au prix d'un échange de marchandises ou de services.
Certaines régies vont opter pour une réfection de toiture, un réaménagement de l'espace
ou encore une pose de meubles.
Cartes sur table dispose aujourd'hui d'un quasi-monopole de fait sur le parc des
boulangeries. Insert reste à l'extérieur des commerces et Cart Com ne s'attaque pas aux
boulangeries. La force de la société, c'est incontestablement la solidité de son réseau. La
régie signe avec chaque commerce un contrat d'exclusivité qui engage les partenaires
sur… 7 ans!
Pour avoir le droit de poser ses panneaux rétroéclairés, Non Stop Media offre pour sa part
un présentoir de 8 magazines (dont FHM, Ideat, Psychologies) et son
réapprovisionnement. «Nous entretenons des relations commerciales très étroites avec
les établissements. Il faut créer des liens personnels avec chaque gérant. Sinon, ça ne
prend pas», insiste Anne Rouch, chez Non Stop Media.
Si le qualificatif "tactique" trouve son sens, c'est sans doute autant dans la démarche
commerciale quasi chirurgicale des régies que dans l'impact des médias mis en œuvre.
Dans cette logique de ciblage, les régies multiplient les réseaux. Non Stop Media a
développé 3 circuits: le métropolitain (bars et restaurants), le culturel (musées, théâtres,
enseignes de produits culturels) et les étudiants (écoles de second cycle, universités,
campus). Tapage Communication commercialise pour sa part 8 réseaux: sorties et loisirs,
forme et bien-être, campus, culture, automobile, maison, business, évasion.
Médiatables (2 millions d'euros de chiffre d'affaires), qui offre aux annonceurs l'occasion
de s'inviter aux tables des cafés, propose 4 réseaux distincts: national, Île-de-France,
jeune CSP+, B to B. Créée en 1999, la régie dispose d'un parc de 20000 tables rondes à
plateau-boîtier clipable, fournies à un millier des 45000 cafés de France. L'entreprise, qui
en est à sa cinquième génération de tables, propose aujourd'hui à ses annonceurs des
tables électroluminescentes, émettant de la lumière dès que l'on pose un objet dessus.
Autour de la table, la société a développé un système de communication complet :
affichage, échantillonnage, habillage des chaises et des parasols.
L'art compliqué de la mesure
Le développement de réseaux constitue pour les régies l'un des leviers commerciaux
incontournables des régies dans leur rapport aux prescripteurs que sont les agences
médias. Et, là aussi, il y a à faire. «Les agences nous vendent mal parce que nous ne
sommes pas encore capables de leur fournir des systèmes de mesure associés à nos
médias. Or, pour créer des référents, il faut trouver des partenaires avec lesquels
mutualiser les investissements», note Stéphane Marrapodi, directeur associé de Tapage
Media.
La création de l'ASMT avait permis l'accès à la base de données de la pige plurimédia de
TNS Media Intelligence, dans une catégorie 7e média tout spécialement créée. Mais
l'éclatement de l'association a donné un coup d'arrêt à cette dynamique de mesure: plus
assez de représentativité.
«La mesure, c'est d'évidence le point faible de nos métiers, résume Florian Gibault,
patron de Tac-Tic Media. Nous ne sommes pas sur les mêmes tickets d'entrée que les
grands médias. Quand un annonceur dépense 40000 euros pour une campagne sur des
sacs à pain, difficile de lui demander d'ajouter 10000 euros de plus pour une étude
d'audience.»
Dès lors, à chacun de faire avec ses propres moyens. Les régies utilisent les post-tests de
reconnaissance et d'attribution, de type Affimétrie ou Ipsos, mais au compte-gouttes. Et
bien davantage comme un argument générique pour la commercialisation de chaque
média que comme un outil de mesure des campagnes.
La mesure s'avère plus aisée pour les médias à débit ou créateurs de trafic. «En
proposant 10% de remise sur présentation du ticket de parking, le magasin Boulanger de
Grenoble à engrangé un chiffre d'affaires de 90000 euros, pour un investissement initial
de 3000 euros», affirme Éric Lopez. Et le directeur général d'Atout Ticket de citer
également le cas du restaurant Le Sud, porte Maillot à Paris, qui s'assurerait 6 tables
quotidiennes contre une offre de 2 heures de stationnement.
Cart Com va pour sa part optimiser le débit de ses présentoirs en leur intégrant une puce
NFC, ce qui permettra par exemple aux équipes de terrain de compléter leur rapport avec
des photos instantanément envoyées au serveur de Non Stop Media et consultables dans
le quart d'heure par les annonceurs. Cartes sur table propose à ses clients un rapport
mensuel des volumes de brochures diffusés dans les commerces de proximité.
La mesure peut se renforcer d'indicateurs de transformation et de traçabilité lorsque les
annonceurs optent pour le couponing. La moitié des campagnes orchestrées par Tac-Tic
Media sur ses sacs à pain intègrent un système de codes promotionnels sur Internet ou de
bons détachables. «Maintenant, mesurer l'efficacité des actions en termes d'image, c'est
autre chose…», concède Florian Gibault.
Face à ces médias tactiques, il semble pourtant que les annonceurs ne font plus guère de
coquetteries. De l'enseigne locale au leader sectoriel national, tous se laissent convaincre.
«Je ne vois que Lacoste qui refuse encore l'idée de communiquer dans les parkings»,
remarque Éric Lopez, directeur général d'Atout Ticket.
Muriel Jaouën
Information traitée dans Stratégies Magazine n°1527

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