La longue balade de la Belle Dame

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La longue balade de la Belle Dame
par Daniel Marin
Quand la mauvaise saison menace en France, que les insectes volants (mouches et moustiques)
disparaissent, un passereau de 17 g, l'Hirondelle rustique, prend son envol pour l'Afrique. Elle va parcourir en vol
battu 5 à 7 000 km, passant au-dessus de la Méditerranée et du Sahara, pour s'arrêter au Cameroun, au Gabon ou
encore au Congo. Au printemps suivant, elle refera le parcours en sens inverse pour rejoindre le nid qui l'a vu naître.
Ce phénomène s'appelle la migration. Jusqu'au 18e siècle, beaucoup de naturalistes « en chambre »,
reprenant sans vérifier l'hypothèse d'Aristote (350 avant J.-C.), pensaient que l'hirondelle passait l'hiver enfouie dans la
vase des marais et se réveillait au printemps, fraîche et dispose. La pratique du baguage, généralisée à partir de 1900, a
mis fin à cette croyance absurde. Beaucoup d'autres oiseaux
migrent, cela ne surprend plus personne.
Plus étonnante est la migration de certains papillons
(plus de 300 espèces, surtout tropicales). Ces légers insectes de
moins de 1 g arrivent à parcourir parfois plusieurs milliers de
kilomètres. Aussi n'y a-t-il rien de surprenant si P. Toussaint de
Serres, en 1842, relatant dans Des causes des migrations de
divers animaux la migration en France de différents papillons
venant d'Afrique du Nord, ne fut pas cru. C'est la publication en
1925, dans la revue Nature, d'un article comportant plus de
1000 rapports concernant plus de 200 espèces de papillons qui en
apporta la preuve définitive.
De nombreux documentaires décrivent le voyage du
Monarque (Danaus plexippus) délaissant le nord des États-Unis et
la Californie pour rejoindre le centre du Mexique. Mais beaucoup
Belle Dame
d'autres papillons migrants, notamment en Europe, n'ont pas cet
honneur. C'est le cas du Vulcain (Vanessa atalanta), du Moro-Sphinx (Macroglossum stellarum), du Gamma
(Autographa gamma) et de la Belle Dame ou Vanesse des chardons (Vanessa cardui), objet de cette étude.
Vanessa cardui1 ressemble un peu au Vulcain, dont il a l'envergure (45 à 60 mm), le jaune orangé ayant
relégué le noir sur le bord des ailes antérieures. Mâles et femelles sont identiques. La Belle Dame, comme le Vulcain
et le Paon du jour, appartient à la même famille des Nymphalidae.
En principe, la migration chez les oiseaux consiste en un aller et retour périodique, effectué par les
mêmes individus. C'est un peu différent pour les Lépidoptères. Leur vie est courte. Ce sera donc un aller simple pour
les Belles Dames. La progression vers le Nord et le retour seront accomplis par les générations suivantes. C'est en effet
une espèce plurivoltine, c'est-à-dire que se succèdent, du printemps à l'automne, deux, trois ou peut-être quatre
générations, chacune passant le relais à la suivante.
Fin mars, les Belles Dames partent d'Afrique du Nord. Une
partie survole le détroit de Gibraltar, suit la façade atlantique du Portugal et de
la France avant de se diriger vers les îles britanniques. Une autre branche longe
la côte méditerranéenne, emprunte la vallée du Rhône, gagne la Suisse ou
remonte vers les Pays-Bas. Les individus arrivés en Angleterre poursuivent vers
la Scandinavie, certains atteignant le cercle polaire arctique. Une seconde partie
traverse directement la Méditerranée ou survole la Sardaigne et la Corse. Plus à
l'Est, elles peuvent gagner Chypre, les Balkans ou la Syrie.
Les papillons en migration se reconnaissent à leur vol rapide ;
ils suivent une direction fixe (cap au nord au printemps, plein sud à la fin de
l'été et en automne). Ils préfèrent survoler les obstacles (maisons, grands arbres,
Carte des migrations
etc...), plutôt que de les contourner. Rarement isolés, ils se déplacent en petits
groupes de 2 ou 3 qui se succèdent à 15 ou 30 secondes d'intervalle, et ce pendant des heures et même parfois
plusieurs jours dans des endroits privilégiés (vallée du Rhône, cols alpins, côtes de l'Atlantique et de la Manche...).
Au printemps, des courants d'air chauds venant d'Afrique favorisent la migration de ces papillons vers
le nord. Battant des ailes entre 50 et 80 fois par seconde, leur vitesse moyenne de déplacement atteint 25 km/h. Cela
paraît beaucoup, mais les Sphinx sont encore plus rapides. Le Sphinx du liseron vole en moyenne à 50 km/h, et le
Moro-sphinx à 40 km/h.
Plusieurs raisons sont avancées qui expliquent ce besoin de migration. Ainsi le manque de pluie au
printemps en Afrique du Nord et dans le sud de l'Espagne dessèche orties et chardons, plantes-hôtes des chenilles de
1 Nommée également Cynthia cardui. En anglais, la Belle Dame est appelée Painted Lady.
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Vanessa cardui. Les papillons adultes remontent vers le nord pour pondre sur des plantes capables de nourrir leurs
chenilles. La durée du jour par rapport à la nuit, agissant sur la maturation sexuelle, est une autre hypothèse. La densité
de population sur les lieux de départ due à la régulation effectuée par les parasitoïdes qui pondent leurs œufs sur les
chenilles expliquerait aussi la plus ou moins grande abondance des migrations de Belles Dames. Celles de 1996 et de
2009 étaient exceptionnelles. Qu'en sera-t-il en 2013 ?
Jusqu'à peu, un mystère demeurait. Existait-il une
migration retour ? Des observations, relativement rares,
semblaient le confirmer. Ce sont les Anglais, plus intéressés que
nous par cette énigme, qui viennent d'en apporter la preuve, grâce
à l'analyse des observations de 60 000 entomologistes ou
ornithologues amateurs et l'emploi de radars pour le suivi des
échos.
Il y a bien une migration retour, mais peu visible pour
des observateurs terrestres puisque les papillons peuvent voler
souvent très haut, à plus de 500 m, et, aidés par des vents
favorables, atteindre une vitesse avoisinant les 50 km/h avec des
pointes à 90 km/h (!!!). A cette allure, les papillons provenant de
Norvège, par exemple, rejoignent l'Afrique du nord en une
semaine. Ils doivent cependant s'arrêter de temps en temps pour
refaire le plein de carburant. Leurs stations-services, ce sont les
Belle Dame butinant
fleurs nectarifères.
Ces fameux radars ont détecté 11 millions de
papillons arrivant au printemps et 26 millions sur le chemin du retour, deux générations repartant sans doute ensemble.
Il serait intéressant que d'autres études confirment ces chiffres.
Comment les papillons rejoignent-ils leur destination ? Une étude, parmi d'autres, montre que
l'incidence de la lumière sur leurs antennes leur permet de « visualiser » le sud, ce phénomène étant neutralisé si on les
leur peint. Cette sorte de compas solaire leur permettrait de modifier leur cap si les vents dominants changent de
direction.
Bien des questions restent encore en suspens, et c'est là que les entomologistes amateurs peuvent jouer
un rôle non négligeable en apportant leurs observations au Groupe « OPIE – Insectes migrateurs ».
(Voir encadré ci-dessous).
Si les migrations des papillons en Europe sont étudiées
depuis longtemps par les Anglais et les Néerlandais, plus récemment par les Belges,
mais aussi par les Allemands, les Danois et les Suisses, en France aucune étude
coordonnée n'avait été mise en place. Depuis 1999, quelques naturalistes passionnés
ont œuvrés pour que les données françaises ne soit plus dispersées. Cette démarche a
abouti en 2000 à la création du Groupe OPIE - Insectes Migrateurs.
Son principal objectif est de collecter chaque année le maximum de données
d'observation des papillons migrateurs sur notre territoire : espèce, date, lieu, nombre
d'individus... Cette matière sert à la rédaction d'un rapport annuel. Ces informations
pourront également permettre d'affiner le statut (migrateur / indigène) de plusieurs
espèces dans certaines régions de France et de mieux connaître les voies de
migrations de nos lépidoptères.
Le Groupe OPIE - Insectes migrateurs repose sur la constitution d'un réseau
d'observateurs suffisamment vaste et réparti sur l'ensemble du territoire français.
Toute personne intéressée peut contacter le coordinateur de l'étude :
Antoine LEVEQUE
Groupe OPIE - Insectes migrateurs
42, rue Emile Zola
45000 ORLEANS
E-mail : [email protected]
Belle Dame ailes pliées