L`allaitement quand il dure

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L`allaitement quand il dure
Grandir en savourant | Allaitement
X
L’allaitement
QUAND IL DURE
X
Sophie
Guedes
Pourquoi certaines
mamans continuentelles d’allaiter après les
3 ans de leur enfant ?
Quels sont les bénéfices
nutritionnels et sanitaires ?
À quelles critiques ces
mamans font-elles face ?
Voici quelques-unes des
questions auxquelles nous
allons tenter de répondre
en nous penchant sur
l’allaitement dit long voire
très long.
© Murielle Favre
Q
uand on parle d’allaitement, dans le sens commun, on pense en mois : un mois (« donner un
bon départ au bébé »), trois mois (reprise du
travail pour la plupart des femmes, qui croient
pour une majorité que le sevrage est obligatoire).
Allaiter six mois, c’est se conformer aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé :
« l’OMS recommande l’allaitement maternel exclusif
pour les nourrissons pendant les 6 premiers mois pour
une croissance, un développement et un état de santé
optimaux1 ». Mais c’est aussi déjà souvent considéré
par beaucoup comme un allaitement long, voire
« inutile » puisque l’enfant commence à manger
des aliments solides.
Si allaiter un bambin après 1 an, 2 ans, est, dans
nos sociétés occidentales, un acte marginal, on peut
néanmoins le justifier en s’appuyant sur les recommandations de l’OMS, qui sont de « poursuivre l’allaitement jusqu’à la deuxième année de l’enfant, ou plus,
en lui donnant des aliments de complément appropriés ».
Allaiter au-delà de 3 ans, on en parlait que très
rarement, hormis dans les revues spécialisées ou
les associations de soutien à la parentalité. Jusqu’à
ce qu’en 2012, la revue Time 2 sorte un numéro
60 Juillet-Août 2015
XGrandir
Autrement n° 53
avec en couverture la photo d’une mère allaitant
son grand enfant de 3 ans. La couverture (enfant
debout sur une chaise pour téter, sa mère debout
elle aussi), a fait le tour du monde et créé une
polémique planétaire, donnant lieu à des débats
passionnés.
Pourtant, les anthropologues s’accordent à dire
que l’âge « naturel » auquel les enfants cessent de
téter se situe entre 2 et 6 ans.
Un bambin de 5 ans ne tète plus comme
un nouveau-né
Allaiter un enfant, ça ressemble à quoi finalement ?
C’est un enfant qui vit des journées passionnantes,
qui expérimente et voit des choses, qui est le plus
souvent scolarisé et a des camarades, s’exprime
généralement très bien et aime « vivre sa vie ». La
seule différence est que cet enfant, s’il a faim, soif,
sommeil, besoin de réconfort, se rapprochera de sa
maman et demandera de façon intelligible et non
équivoque à boire au sein. Cette demande peut être
sans pudeur, ou bien plutôt cachée, selon la demande
de la maman, les critiques de l’entourage familial
ou social… Ainsi, Marie, lorsque sa fille est entrée
Allaitement | Grandir en savourant
en première année de maternelle, lui a demandé
de ne pas dire à sa maîtresse qu’elle tétait encore,
parce que c’était « leur secret ». Même si les mamans
concernées sont convaincues d’offrir le meilleur à
leur enfant et de vivre une relation privilégiée avec
lui, l’allaitement après 3 ans est rarement étalé au
grand jour, dans notre pays où seuls 25 % des bébés
sont encore allaités à 6 mois et 9 % à 12 mois.
Il n’est pas rare non plus qu’à partir de 4 ans, le
rythme des tétées soit très espacé. Erica, dont l’aîné
a été allaité trois ans et sept mois, se souvient que,
les derniers mois, il ne réclamait plus pendant plusieurs jours d’affilée.
En effet, un enfant de cet âge n’a plus un rythme
bien établi (si tant est qu’il en ait eu un avant), ou
bien c’est un allaitement en pointillés, ainsi qu’en
témoigne Sophie, qui a allaité sa fille cinq ans : « Ma
fille ne tétait que quelques secondes le matin, avant de
boire un bol de lait cacaoté et de manger des tartines.
Le soir c’était encore plus rapide, elle tétait simplement
quelques secondes, en « coup de vent » pour dire bonne
nuit avant de partir dans sa chambre
avec Papa pour être bordée. Elle ne
pouvait pas s’en passer mais c’était
très furtif. »
avec lui, cette décision s’imposant souvent d’ellemême lorsqu’il s’agit du deuxième enfant, ainsi qu’en
témoigne une maman de trois enfants qui n’envisage pas de sevrer la dernière après avoir « laissé la
cadette aller jusqu’au sevrage naturel ».
Autonomie et langage de l’enfant
Le plus gros reproche fait à l’allaitement long et aux
mères qui « osent » allaiter encore leur enfant à cet
âge-là est que cela nuirait à l’autonomie de l’enfant. Allaiter si longtemps ferait d’eux des enfants
« collés à leur mère », dépendants, timides, craintifs. En réalité, c’est plutôt l’inverse qui se produit.
Tout comme dans la théorie de l’attachement, un
bébé puis un bambin que l’on a toujours rassuré
et respecté dans son rythme et ses besoins (proximité physique, faim, sommeil) et à qui l’on a permis d’attendre qu’il soit émotionnellement prêt à
se séparer devient un enfant plus secure, profondément rassuré, et donc apte à devenir un enfant
autonome et un adulte indépendant.
La même critique est faite vis-àvis du langage, le sein de la mère
étant considéré par les détracteurs de l’allaitement long comme
« un bouchon » que l’on colle dans
la bouche de l’enfant. C’est bien
mal connaître les mères et les
enfants, généralement des enfants
très bavards, curieux, sûrs d’eux.
Par ailleurs, il serait bien difficile
d’imposer à un enfant de 4 ans de
venir téter contre son gré !
Les anthropologues
s’accordent
à dire que
l’âge « naturel »
auquel les enfants
cessent de téter
se situe
entre 2 et 6 ans
Un allaitement « long »
ou « très long » ?
Même entre mamans allaitantes,
la frontière du « long » ou « trop
long » n’est pas la même. Souvent, lorsqu’une maman allaite
un nouveau-né, elle a du mal à
imaginer que certaines mères
allaitent encore des bambins qui
savent non seulement marcher,
mais aussi parler, se servir tout
seuls à manger, voire qui vont à
l’école. Le cheminement est souvent progressif, la « limite » étant repoussée au fur
et à mesure que le bébé grandit. Ainsi, une mère
qui avait dit qu’elle allaiterait jusqu’à l’âge de 1 an
ne voit finalement aucune raison d’arrêter « maintenant que tout va si bien » lorsque l’enfant souffle
sa première bougie. Hélène se souvient très bien
avoir été « choquée » lorsqu’elle a vu pour la première
fois lors d’une réunion de soutien à l’allaitement
un bambin de 2 ans et demi courir vers sa mère
et soulever son t-shirt pour téter alors qu’il était
en train de jouer. À l’époque, son bébé n’était âgé
que de quelques semaines. Aujourd’hui, il a 3 ans
et 2 mois et est « encore allaité », avec son petit frère
né entre-temps : sa vision des choses a naturellement évolué et ce qui lui semblait impensable il y
a trois ans est devenu naturel.
D’autres mamans se sont documentées pour déterminer quels étaient les réels bénéfices de la poursuite de l’allaitement et ont décidé d’aller jusqu’au
sevrage naturel pour offrir à leur enfant « cette
chance-là » tout en tissant une relation privilégiée
Cas de l’enfant hospitalisé
Pour un enfant malade, le lait
maternel est vraiment la meilleure
nourriture (parfois la seule qu’il
parvient à ingérer). Il contient des
facteurs immunologiques qui l’aideront à combattre
sa maladie. En outre, l’aspect psychologique est primordial : l’enfant garde ses repères et trouve dans
l’allaitement du réconfort, un geste familier, un câlin
avec maman. L’allaitement est particulièrement utile
et réconfortant après un geste invasif, un examen douloureux, stressant, une séparation. Pour autant, un
enfant toujours allaité n’est pas chose courante. Les
mamans qui allaitent un bambin peuvent faire face
à des critiques ou des remarques désobligeantes qui
les conduisent parfois à cacher purement et simplement qu’elles allaitent « encore ». C’est le cas de Stéphanie qui, lors d’un court séjour de sa fille de 4 ans
en pédiatrie, a préféré lui donner la tétée « en cachette »
par peur des critiques : « La tétée, je lui ai donné quand
on nous a laissées seules. Personne n’a vu, et j’avoue que
ça m’a arrangé car j’angoissais un peu de la réaction du
personnel s’il nous surprenait. » Quel étrange paradoxe
pour de nombreuses mères de savoir qu’elles font ce
qu’il y a de mieux tout en préférant le cacher par peur
d’être incomprises, voire critiquées…
Grandir Autrement n° 53 X Juillet-Août 2015 61
Grandir en savourant | Allaitement
Bénéfices en matière de santé
Après 3 ans, le lait maternel ne devient pas « que de
l’eau ». Certes, depuis longtemps, l’essentiel de l’alimentation de l’enfant est fourni par des aliments
solides, une nourriture variée. Mais le lait maternel contient encore des nutriments précieux, des
facteurs immunologiques, des acides gras polyinsaturés à longue chaîne (AGPI), particulièrement
importants pour le développement du système
nerveux central.
En outre, si les bienfaits et qualités nutritionnelles
du lait maternel ne sont plus à démontrer, il est des
situations et des pathologies où la durée de l’allaitement influence directement les pourcentages de
« chance » de développer (ou à l’inverse, d’échapper à) telle ou telle maladie.
On appelle cela les effets dose-dépendants de
l’allaitement. Une étude sur l’allaitement long et
l’allergie réalisée dans deux quartiers défavorisés
d’Afrique du Sud a démontré, par exemple, que,
pour les enfants sans prédisposition allergique (un
ou deux parents atteints eux-mêmes d’allergie étant
une situation qui donne un « terrain » allergique
à l’enfant), un allaitement supérieur à une durée
d’un an diminuait de 64 % le risque pour l’enfant
de développer une allergie par rapport à un allaitement inférieur à 6 mois et de 57 % pour l’asthme3.
Il ne faut pas oublier non plus qu’allaiter a une
incidence sur la santé de la mère. Pour ne citer qu’un
exemple, « plus la durée totale d’allaitement dans la
vie d’une femme est longue, plus le risque de cancer du
sein diminue. Le non-allaitement ou l’allaitement court,
qui sont la norme de la plupart des pays occidentaux,
contribuent de manière significative à l’incidence élevée
du cancer du sein dans ces pays4 ». X
X
1 Déclaration de l’Organisation mondiale de la santé du 15 janvier
2011. / 2 « Are you mom enough ? » Time, 21 mai 2012. / 3 Obihara et
csrs, « The association of prolonged breastfeeding and allergic disease
in poor urban children », European Respiratory Journal, 2005; 25 :970
-977. / 4 « Breast cancer and breastfeeding : collaborative reanalysis
of individual data from 47 epidemiological studies in 30 countries,
including 50 302 women with breast cancer and 96 973 women
without the disease », Collaborative Group on Hormonal Factors in
Breast Cancer, Lancet 2002; 360: 187-95.
Pour aller plus loin
L'Allaitement long expliqué à mon psy, Agnès
Vigouroux, Éditions du Hêtre (2015)
Récits d’allaitement au-delà de 3 ans :
L’allaitement quand il dure (longtemps), allaiter un
enfant de plus de 3 ans, récits, hors-série d’Allaiter
Aujourd’hui (2014).
Les années de lait, récit d’un allaitement au long
cours, Marie Australe, Éditions l’Instant Présent
(2009).
« L’allaitement dans les terres de Gengis Khan »,
Mothering n° 155 (2009).
© Aude Gertou
62 Juillet-Août 2015
XGrandir
Autrement n° 53

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