hommage a paul arnold (1909-1992)
Transcription
hommage a paul arnold (1909-1992)
HOMMAGE A PAUL ARNOLD (1909-1992) Y Y Y Table Programme du stage annuel de la tradition bouddhiste en France Lettre au manager d’un important centre de méditation tibétain aux USA dirigé par Trungpa Rinpoché Paul Arnold, The Maya book of the dead, a german revised version of the original french book Vingt-trois lettres de Paul Arnold à Serge Bouyat Bibliographie de Paul Arnold © Serge Bouyat 2009 pour « Vingt-trois lettres de Paul Arnold à Serge Bouyat ». 1 PRORAMME DU STAGE ANNUEL DE LA TRADITION BOUDDHISTE EN FRANCE [Nous publions ici ce texte parce qu’il montre de manière très concrète et circonstanciée combien le dévoué Paul Arnold paya de sa personne pour contribuer pratiquement à la diffusion du bouddhisme en France en organisant des stages d’enseignement du bouddhisme et de méditation] LA TRADITION BOUDDHISTE 40 rue du Ranelagh 75016 Paris Comme chaque année, la Tradition bouddhiste tiendra, du 16 juillet au 15 août, sa session intensive d’enseignement et de méditation bouddhistes dans son centre de l’Ain. Seront enseignés successivement : la vie du Bouddha, l’Octuple sentier (vue ou opinion juste, représentation mentale juste, parole juste, activité juste, moyens d’existence juste, effort juste, mémoire ou attention juste, concentration juste), techniques de méditation theravada du vipassana, techniques du mahayana (jappa, mantra, mandala, stupa, thanka, Bardo thödol, Roue de la vie), symbolisme bouddhique, histoire du bouddhisme. Des méditations dirigées et individuelles appliqueront ces enseignements quotidiennement pendant une à trois heures. D’autre part seront enseignées les normes d’une vie bouddhique selon les principes de la compassion, de l’entraide, de l’ordre et de la totale intégration dans notre société occidentale moderne et normale. Moins sensible aux exaltations souvent éphémères ou prétendues initiations secrètes qu’à une connaissance approfondie et claire de la doctrine selon l’enseignement du Bouddha, la Tradition bouddhiste présidée par Paul Arnold (en religion Pema Drimey Rangdrol), qui a pratiqué pendant sept séjours sous la direction de lama Thupten au monastère tibétain de Bhutia Busty près Darjeeling (Himalaya indien), entend transmettre aux personnes en quête de véritable spiritualité les bases solides et sérieuses de l’avancement spirituel, sans aucune exclusive d’école ni même de religion. Les méditants peuvent choisir la période souhaitée d’un séjour minimum d’une semaine entre les dates limites mentionnées. Il serait toutefois dans leur intérêt de choisir de préférence un des cycles de quinze jours débutant le 16 juillet et le 1er août. Des cours de rattrapage sont prévus. Conditions : internat obligatoire. Repas en commun, végétariens. En dehors des exercices, promenades à discrétion dans le site admirable du centre. Frais : 45 f. par jour pour pension complète en cellule individuelle (literie complète), 35 f. par jour en dortoir (lit et matelas, couverture dans la limite disponible). Arrhes : un tiers du prix du séjour. Accès par le rail et par la route. S’inscrire sans retard en écrivant au secrétariat de la Tradition bouddhiste à Paris. [Paul ARNOLD, texte de 1977] Y 2 LETTRE AU MANAGER D’UN IMPORTANT CENTRE DE MEDITATION TIBETAIN AUX USA DIRIGE PAR TRUNGPA RINPOCHE C’est avec un très vif intérêt que j’ai reçu votre lettre du 13 octobre 1982, et j’espère qu’elle ouvrira entre nous des contacts réguliers et fructueux pour la diffusion du bouddhisme en occident. L’Union bouddhique d’Europe a été fondée à mon initiative à Paris en 1975 par des représentants de la Communauté bouddhique de France (que je préside également) et de l’Union bouddhique d’Allemagne et des bouddhistes éminents d’Autriche, de Suisse, d’Italie, des Pays-Bas, en présence d’observateurs du Royaume-Uni. A l’instigation de notre Union se sont ensuite formées des Unions bouddhistes d’Autriche, de Suisse, d’Italie, de Belgique, des Pays-Bas qui ont adhéré à l’UBE et rassemblent la plupart des groupes bouddhistes de ces pays. La Buddhist society de Londres a de même adhéré et travaille actuellement à un rapprochement des grandes organisations bouddhistes anglaises. Notre Union a des correspondants en Espagne, Portugal et Suède notamment. L’UBE n’entend pas s’opposer à la World fellowship of buddhists, mais en est totalement indépendante. Elle agit exclusivement en Europe et pour l’Europe dont les problèmes particuliers ne sont pas et ne sauraient être vraiment compris par la WFB établie en Asie au milieu de conditions spirituelles et matérielles totalement différentes. Les buts principaux que nous poursuivons sont : 1° faciliter les contacts entre les diverses écoles bouddhiques établies en Europe par suite d’essaimage des diverses traditions asiatiques : cet état de choses crée souvent des rivalités et la résurgence en Europe de querelles traditionnelles en orient, fort nuisibles à la diffusion du bouddhisme ici ; 2° faciliter par tous les moyens et à tous égards la diffusion du bouddhisme en Europe ; 3° organiser tous les trois ans un Congrès bouddhiste pan-européen. Le premier congrès s’est tenu à Paris à l’UNESCO en juin 1979, et a largement contribué à créer un esprit commun entre bouddhistes européens. Le second congrès aura lieu à Londres en septembre 1983 ; vous trouverez ci-joint une preliminary notice. La présence d’observateurs américains est vivement souhaitée. 4° favoriser l’élaboration progressive d’un bouddhisme européen. Ceci ne touche en rien les questions de doctrine, mais uniquement l’aspect extérieur : cadre, usages, liturgie, mode d’enseignement, comportement dans la vie quotidienne, etc. à mettre en harmonie avec notre vie occidentale moderne. Il nous est apparu lors de la fondation que, s’il est vrai que les cultures européenne et américaine sont d’un type analogue proprement occidental, les conditions matérielles – et notamment l’indigence des groupes et des individus – en Europe sont profondément différentes de celles d’Amérique. C’est pourquoi nous avons estimé ne pas devoir envisager une Union occidentale qui engloberait le continent américain. Mais il est hors de doute qu’il y a le plus grand intérêt à ce que notre Union entre et reste en étroites relations avec les organisations américaines et notamment avec la vôtre aux branches très nombreuses. Lorsque naît, dans le plus total dénuement matériel, un organisme spiritualiste tel que l’Union bouddhique d’Europe, deux voies s’offrent à lui. La première est faite de timidité, d’excès de prudence, de commodité, de formalisme, de crainte de choquer, de peur d’entreprendre faute 3 de moyens assurés : alors l’organisme ne se développera pas, ne croîtra pas, végètera et finira par s’éteindre. La seconde voie est faite d’initiative, d’audace, d’innovation, de volonté de briser les commodités et les accoutumances, de créer un mouvement inédit, sans trop se laisser paralyser d’avance par le vertige des chiffres : alors l’organisme prend son essor, croît, prospère, a de l’impact, réussit. Nous avons dès le début choisi cette seconde voie en préparant, malgré une caisse peu garnie et avec les risques de l’improvisation, le premier véritable congrès bouddhiste européen à l’UNESCO en 1979. Et ce fut le succès. J’entends encore les jeunes, notamment ceux du Western buddhist order – lui-même un bel exemple d’une pareille audace payée de réussite – me dire avec émotion à la fin du congrès : « C’était une chose importante d’avoir pu rassembler ainsi toutes les écoles et toutes les tendances pour discuter ensemble ». Nous pouvons donc légitimement croire que le second congrès connaîtra le même succès. Mais si nous ne voulons pas perdre le bénéfice de cet élan, il importe de poursuivre les initiatives sans relâche et dans l’audace, laquelle n’est pas témérité. Prenons un exemple entre cent. Je ne le choisirai pas parmi les thèmes primordiaux. Je le choisirai dans les initiatives secondaires, périphériques. J’ai toujours pensé et penserai toujours que les bouddhistes européens, infime minorité, doivent sortir de leur coquille, s’inspirer de tous les moyens modernes de propagande et de séduction parmi lesquels, sur vingt autres, des voyages organisés en orient bouddhiste. On rétorque que c’est l’affaire des agences de voyage et que nous pouvons tout au plus les signaler à nos membres. Eh bien, un mois après notre session de Genève, un centre tibétain de France, l’Institut Vajra Yogini – où le Dalaï lama vient d’enseigner pendant quatre jours – annonçait par de somptueux prospectus qu’il organisera désormais des voyages de ce genre. Vajra Yogini n’est pas une agence de voyage et encore moins un transporteur ; il s’abouchera avec ceux-là qui se chargeront de l’opération matérielle, et il bénéficiera de l’effet spirituel. Soyons sûr qu’il y réussira, donnant ainsi à l’enseignement un tour plus actuel et plus vivant et amenant au bouddhisme plus d’hommes en quête que nos petits cénacles où l’on se rencontre périodiquement et tranquillement dans une stricte intimité. Ce n’est, je le répète, qu’un thème secondaire. Combien alors est plus nécessaire encore l’esprit d’initiative pour les thèmes importants, la modernisation du cadre dans les écoles traditionnelles, la suscitation d’un bouddhisme européen, la croissance d’ordres monastiques et laïcs d’un aspect réellement européen, la création en Europe d’un grand centre de dévotion et d’études, etc. Ouvrir les volets sur le monde, sortir de la poussière des siècles et de l’esprit formaliste et bureaucratique, moderniser la façon d’enseigner le dharma, bousculer les habitudes, aller de l’avant, voilà quel a été l’esprit que les premiers disciples et encore plus les temps d’Ashoka opposaient aux brahmanes. C’est cet esprit-là qui doit nous animer. Si nous ne nous y résolvions pas, si nous faisions de l’UBE une tranquille petite administration, un simple bureau d’information soucieux de ménager tout le monde et ne s’occupant qu’à envoyer les lettres et à ranger des dossiers, notre Union n’intéresserait personne et mourrait très vite d’inanition. Le Président [Paul ARNOLD] Y 4 PAUL ARNOLD, THE MAYA BOOK OF THE DEAD, A GERMAN REVISED VERSION OF THE ORIGINAL FRENCH BOOK First, the book shows the similarity between maya and chinese languages (syntax and lexicology). Then, on this basis, the writer propounds a comparison between maya writing signs and chinese hieroglyphic and pictographic primitive signs (ideograms), the latter documents dating from about 2000 years b.C. The very few mayan signs whose meaning is known use symbols close to those of the chinese archaic signs of the same meaning. This clew authorized the author to make comparisons between mayan signs (whose meaning was lost) and chinese similar signs. The recurrences and the contexts of the signs studied first in the maya Paris codex, and then in the maya manuscripts of Madrid and Dresden, permitted the author to decipher all the signs used in the Paris codex. This deciphering sets totally aside all the attempts proposed until to-day. The complete translation of the Paris codex will be found at the end of the book, with a certain percentage of inaccuracy linked mostly with the defective condition of the maya manuscripts, partially damaged and representing, according to the sayings of all the experts, only about one quarter of the original book : this explains the allusions (uncomprehensible when considered superficially) to concepts and rituals whose meaning become clear after the studying of the considerably more developped texts of Madrid and Dresden. A glossary of the deciphered signs (206) is given on pages 164 and 207, with on the opposite page, in case of need, the corresponding chinese archaic signs. Setting aside the traditional numbering based on a wrong classification, the author initiates a new numbering by classifying the signs in relation with their meaning and the chinese lexicological system founded on signs called basic keys. The author discovered that the deciphered text of the Paris codex is a ritual aiming to guide the dead belonging to the human, animal or vegetal worlds (although in this codex, it is mostly the human world which is considered, unlike in the other manuscripts), towards a rebirth in a supra-terrestrial sphere, then towards reincarnation upon earth, through uninterrupted and endless cycles, similar to the buddhist concepts. Here lies the reason why the title of the book is The Maya book of the dead. The author concludes in favor of a proto-mayan migration from oriental Asia to Guatemala across the Pacific, bringing over the elements of a writing system elaborated in common with the chinese. As for the german version, the author considerably modified his book originally writen in french (Paris, 1978) : modifications have been made mostly in the translation of the maya text and in the list of signs (it was not always possible to modify the already printed preceding annotation : this explains the few mistakes in concordance). The author gives notice of a second book, The Religion of the mayas, soon to be published, a synthesis of the maya religious thought, based upon the deciphering of the manuscripts of Madrid and Dresden, a work he has just finished. [Texte de Paul ARNOLD, traduit en anglais par Serge Bouyat] Y 5 VINGT-TROIS LETTRES DE PAUL ARNOLD A SERGE BOUYAT Paris, le 27 août 1977 Mon cher Serge, […] J’ai recueilli auprès de M. Gouhier quelques renseignements sur les études d’anthropologie. Le centre le plus important paraît bien être le Collège de France à Paris, avec M.M. Lévi-Strauss et Leroi-Gouran qui ont une équipe de chercheurs. Anciennement 6ème section de l’Ecole pratique des hautes études, cela semble s’appeler actuellement Ecole des sciences économiques et sociales dont le quartier général serait 38 rue du Cherche-midi, Paris. C’est en tout cas le seul secteur qui porte le titre même d’anthropologie à l’affiche. Dans les autres universités, ces sortes d’études figurent sous le nom de sociologie, psychologie sociale, etc. M. Gouhier connaît M. Gilbert Durand à Grenoble II, Balandier et Bourricaud à Paris IV, et Servier à Montpellier. C’est tout ce que j’ai pu savoir à ce sujet. Je suis persuadé que vous poursuivez votre effort pour approfondir et expérimenter la voie bouddhique. […] Bien amicalement Paul Arnold * Paris le 22 septembre 1977 Cher Serge, La veille de mon départ pour Hambourg d’où je rentre après des journées exaltantes mais fatigantes, j’ai reçu un mot de M. Vella qui me parle aussi de vous. Je conçois qu’on puisse redouter le dédain d’un milieu qu’on quitte à bon escient, non point pour aller se fondre servilement à un autre, mais pour suivre ses propres chemins. C’est cela que j’ai fait dès mon adolescence, et je suis resté sourd et insensible aux ricanements de quelque côté qu’ils soient venus. Je m’en félicite aujourd’hui, quelque amères qu’aient pu être certaines heures. Si vous voulez aller, finalement, un peu plus loin que d’autres, que ce soit pour vos études ou pour votre vie spirituelle, il faut vous armer d’une forte volonté, et vous en avez l’étoffe. La voie bouddhique y aide en passant au crible les causes de désarroi. Et puis vous avez suffisamment d’atouts personnels, j’allais presque dire de charme et de talent pour susciter des amitiés plus claires, moins grégaires, moins sujettes aux modes et servilités nouvelles, moins aveuglées par des illusions depuis longtemps percées à jour par des esprits nets. On ne plaisante ni avec l’agrégation que vous avez décidée, et je m’en réjouis, ni avec la vie qui est chose bien plus sérieuse pour le bouddhiste et l’homme éclairé que de vagues et éphémères sensations. Je n’en dirai pas plus : le bouddhiste est responsable devant lui-même ; il n’appartient pas à un autre de diriger son karma, pas même à un lama – autre illusion d’esprits moins mûrs – qui montre le chemin, mais ne vous prend point par la main. 6 Malgré un travail écrasant qui commence pour toute l’année à venir, je suis résolu à faire une nouvelle session l’été prochain. Vous pourrez y faire un pas en avant, si vous persévérez d’icilà dans l’étude de la doctrine et dans la pratique de la méditation. Ne manquez pas de m’écrire. Amicalement dans le dharma. Paul Arnold * Le 15 octobre 1977 Cher Serge, Mon lama (lama Thupten) m’annonce qu’il sera à l’inauguration du centre Karmapa de Dordogne (Château de Chaban) du 28 octobre au 10 novembre. Je pourrai d’autant moins m’y rendre que le même 28 octobre aura lieu l’inauguration du temple de Paris dont je m’occupe. Je l’ai écrit à lama Thupten que j’espère avoir l’occasion de voir à Paris et si possible de loger pendant quelques jours, s’il y séjourne. Si vous le pouvez, rendez-vous à Chaban et voyez le lama de ma part sans vous laisser griser, comme tant d’autres, par les cérémonies qu’il convient d’apprécier. J’hésite à vous envoyer votre collier de crainte qu’il ne s’égare ou ne soit endommagé. Si lama Thupten vient ici, je le lui remettrai. J’ai d’excellentes nouvelles de M. Vella qui surveille à merveille le fort. J’annonce la session 78 dans le numéro double qui est en cours de tirage. Mon livre sur les Maya paraîtra chez un des plus grands éditeurs parisiens, en avril 78. Inutile de vous dire que je suis surchargé. Bien amicalement à vous dans le dharma. Paul Arnold * Le 23 novembre 1977 Cher Serge, Votre lettre me rassure non seulement quant à votre persévérance mais quant à votre résistance aux engouements. Croyez bien que plus d’un sont contrariés par les fastes princiers ou funambulesques dont on entoure le Karmapa : elles [sic] viennent d’ailleurs moins de lui que d’une camarilla dont je n’étais pas et de loin personna grata. Les réactions ne sont pas moins vives à l’étranger, et j’y vois un signe de santé. Les ferveurs que vous me décrivez sont émouvantes et souvent bénéfiques ; il en faut pour préparer le terrain de la mysticité ; il faut aussi savoir les contrôler pour ne pas trop aisément s’illusionner. Ces braves tibétains confondent le goût du folklore et des névroses avec la réelle dévotion accoutumée dans l’ancien Tibet à des manifestations extérieures traditionnelles. Je n’ai jamais pu apprendre la prosternation devant un homme, cet homme fût-il le siège de tous les « pouvoirs » qu’on 7 voudra et le représentant du Bouddha. Ce sont là mœurs d’autres temps ; nos prosternations à nous – quelques rites mis à part où elles aident – sont intérieures. Mais croyez bien que ce n’est pas moi qui vous reprocherai des moments de sceptiscisme : il en faut, je les ai connus, il en faut à titre de contrôle et de correctif. N’oubliez pas l’image du lent et progressif approfondissement – comme l’océan… […] Avec mes amicales pensées, Paul Arnold * Paris le 20 janvier 1978 Cher Serge, Excusez le retard avec lequel je réponds à vos vœux. Je viens de remettre à l’éditeur le texte définitif de mon livre des Morts maya ; la mise au point a été très absorbante. Rien n’est plus difficile, pour ne pas dire impossible, que de concilier des voies et des doctrines différentes. Les hindouistes s’y appliquent traditionnellement et il en résulte un syncrétisme qui piétine gaîment les données fondamentales des autres explications de l’univers. Je ne dis pas cela pour Krishnamurti que je ne connais pratiquement pas et dont les rares lectures que j’en ai faites ne m’ont jamais apporté autre chose qu’un grand souffle – celui-là même que j’ai trouvé à votre âge dans la lecture combien exaltante des ouvrages de Romain Rolland sur Ramakrishna et Vivekananda. Je ne crois pas à l’unité initiale des traditions : elles sont nées de vues foncièrement distinctes entre lesquelles il faut choisir. Le bouddhisme a cette particularité qu’il ne perd pas pied et qu’il est issu de l’observation – aussi bien physique que métaphysique. Le grand souffle est canalisé, ce qui ne signifie pas qu’il est rétréci. Avez-vous l’intention de revenir à Fort-les-Bancs l’été prochain (du 2 au 15 août) ? Je ne me déciderai à faire une session que si je suis certain de participations suffisantes et efficaces. […] Ne manquez pas de m’écrire. Tous mes vœux pour vous, vos études, vos recherches. Avec mes bien cordiales pensées. Paul Arnold * Paris le 5 avril 1978 Mon cher Serge, […] J’en arrive à votre question. Ce que je pense de l’armée ? Rien de bon, encore que, exempté définitif, je n’aie jamais goûté des plaisirs caserniers. Et il va de soi que le bouddhisme n’approuve aucune tuerie. Mais c’est justement dans ce refus que réside le problème. Si le monde entier désarmait, nous serions à l’abri de la nécessité d’une armée. A 8 défaut il n’y [a] le choix qu’entre deux partis : ceux qui dévorent et ceux qui sont dévorés. Je viens d’écrire ce livre sur la religion des Mayas, ce qui m’a conduit à revoir l’histoire de ce peuple qui, moins fort, a été asservi par les Toltèques puis par les Aztèques, et a failli être éliminé par les Espagnols. Je publie dans une revue un résumé de l’invasion espagnole au Mexique, de la résistance puis de la chute de Tenochtitlan-Mexico city. Les jours les plus sinistres de la dernière guerre – que vous n’avez pas connue – ne dépassent pas ce que les Mexicains ont enduré pour tenter de garder leur liberté, avant de tomber dans le génocide, l’esclavage le pire, le droit de jambage et j’en passe. J’écris actuellement sur commande l’Histoire de l’Alsace, ma province natale, dévorée d’abord par les Germains d’Ariovist, délivrée par Jules César pour tomber au pouvoir des barbares Alamans et être ensuite convoitée par l’empire allemand sans avoir voix au chapitre faute d’armée. L’histoire entière des peuples est faite de cela : le droit du plus fort. Que faire contre cela en un temps où nous risquons une guerre générale et l’asservissement à un régime qui ne nous demande pas avis notamment sur le point de savoir s’il est bon ou non d’avoir une armée. La solution, la seule est celle que préconisaient déjà les Romains – sans pouvoir toujours s’y tenir, en dépit du principe de la Pax romana : Si vis pacem para bellum, si tu veux la paix prépare la guerre. Autrement dit : avoir une force de dissuasion pour tenir en respect les loups du dehors. Rien de plus caractéristique à cet égard que l’histoire de ces mêmes Germains qui se tenaient tranquilles quand l’adversaire était fort et menaçant, et venaient razzier et dévaster dès qu’il s’affaiblissait. Que les exercices qu’on vous impose durant le service militaire soient pour la plupart vains ou absurdes, je vous l’accorde, mon neveu qui y a passé il y a quelque temps m’en a souvent parlé. Mais de 14 à 18 les « poilus » ont finalement empêché une occupation que nous avons goûtée depuis avec des Oradour et des Mont Valérien. Si l’armée était supprimée, nos voisins pourraient s’en apercevoir ; étant ce qu’elle est, elle peut faire illusion et finalement servir un armement défensif ou dissuasif intelligent. En d’autres termes, spirituellement toute armée comme toute guerre est immonde ; objectivement, dans le monde tel qu’il est, c’est un moindre mal qu’il convient de tolérer physiquement en le rejetant ou le condamnant spirituellement. Notre liberté est intérieure. Toute autre attitude, actuellement, est vaine et anarchique, étant tout de suite précisé que les anarchistes sont ceux qui se moquent le plus de la vie humaine et vous pendent un homme plus facilement qu’un chien ou un rat, cher Serge. C’est décevant, mais réaliste, jusqu’au jour où l’homme ne sera plus un loup pour l’homme, et ce n’est pas demain la veille, croyez-moi. Ceci dit : il importe que des gens comme vous et moi travaillions sans relâche à changer les esprits, à préparer cet avenir lointain mais point impossible. L’hominidé n’a qu’un million d’années encore. Il lui faut un ou plusieurs autres millions d’années pour devenir un yogui, quoi qu’en pense Sri Aurobindo qui voyait ce bel avenir plus proche de nous. Mais pour nous il n’y a pas de durée : il n’y a que la résolution – qu’elle ne désarme pas ! Merci de me dire que le stage de l’an passé vous a été bénéfique. Cela m’encourage. Tenez-moi au courant. De tout cœur dans la spiritualité, Paul Arnold * Le 6 juillet 1978 9 Mon cher Serge, On m’a fait suivre votre lettre à Strasbourg où je travaille actuellement. […] Prenez au mieux la petite épreuve qui vous attend ; apprenez à obéir aux circonstances et aux hommes remplis de leur autorité ; et sachez – vous le savez – préserver votre véritable nature. […] Bien amicalement dans le dharma, Paul Arnold * Paris, 18 oct. 79 Mon cher Serge, […] Il faut […] apprendre à vivre sans cesse sur deux plans afin que le travail de fond se poursuive dans le subconscient pendant les tâches nourricières. Il en va ainsi comme de notre plan profond qui doit tout sous-tendre. Il va de soi que je suis toujours prêt à vous proposer un conseil si vous avez à me consulter. Ma femme est rentrée ce matin épuisée, grippée, ne tenant presque pas sur ses jambes, ayant inquiété tous les passagers par sa pâleur ; quelques heures de conversation avec moi lui ont rendu la couleur ; dans quelques jours il n’y paraitra plus. Je l’accompagnerai dorénavant dans ses voyages lointains ; son cœur lâcherait à la longue. J’ai achevé dans une pointe de grippe enfin surmontée les derniers travaux de réfection de la maison pour laquelle les tractations que vous savez sont sur le point de s’achever dans de bonnes conditions. Nous ne changerons de résidence qu’au printemps. Pour l’instant tout cela me prend beaucoup de temps, et je ne suis pas sûr de pouvoir faire un saut à Bruxelles où séjourne pour l’instant mon lama en attendant que son permis de séjour au Danemark soit renouvelé. Tenez-moi au courant de votre travail. Avec mes meilleures pensées, Paul Arnold * Paris, 9 déc. 79 Mon cher Serge, […] Nous avons réalisé l’opération immobilière que je vous ai laissé entrevoir ; le Ranelagh est vendu mais nous y resterons jusqu’à début mai. Nous partons demain pour Menton afin d’acheter une propriété en retrait de la ville, puis nous nous occuperons d’un appartement à Paris. A l’heure qu’il est, je suis détaché de cette maison où j’ai œuvré pendant 40 ans et où ma mère a changé d’apparence : je sais qu’elle approuve et me suivra. 10 Hier, grand colloque public des grandes religions où j’ai fait applaudir le bouddhisme et parallèlement le Livre des morts égyptien et le Livre des morts maya. A mon retour de Menton je composerai et tirerai le dernier bulletin de la T[radition] B[ouddhiste] tandis que la communauté bouddhique de France est brusquement devenue la réalité dont j’avais rêvé, cela à la faveur d’un intérêt commun pour combattre ensemble contre l’écrasante législation de sécurité sociale des ministres du culte. Quant à l’Union d’Europe que je présiderai encore deux ans, elle est bien et solidement assise. Ainsi l’œuvre a chance de se perpétuer sans moi, moi qui entends consacrer la troisième tranche de ma vie – je suis gourmand, voyez-vous – à des livres et de nouvelles trouvailles. J’espère que mon fils spirituel poursuit sur le bon chemin dans la relative sérénité et la raisonnable félicité que j’ai sentie - et un peu semée – en lui. […] Paul Arnold * Paris, 3.1.80 Mon cher Serge, […] L’orgueil ne commence que lorsqu’on se croit supérieur, alors que l’homme le plus doué n’est jamais qu’un être faillible qui accomplit ce qui est simplement normal. Plaignons ceux qui ne le peuvent pas ou se complaisent dans leur ignorance : ils se préparent des lendemains amers. […] Paul Arnold * Paris, 23 janvier 1980 Cher Serge, […] Il me reste à faire d’ici la fin du mois un exposé de 50 pages sur le bouddhisme pour un ouvrage sur les grandes religions multi-auteurs. Et si possible le dernier bulletin de la T[radition] B[ouddhiste] ainsi que les derniers cours de sanscrit. […] Affectueusement, Paul Arnold * Paris, 6.2.80 Mon cher ami, 11 […] Le gros bouquin de Longworth-Chambrun Sh[akespeare] retrouvé, surtout biographique (l’auteur que j’ai connue et qui avait une érudition prodigieuse tient, comme moi, Sh. pour Sh., prenant le contre-pied de Abel Lefranc dont on parlait beaucoup naguère (je joins son livre moins pour cette thèse que pour des aperçus souvent intéressants sur l’œuvre) : mais il faut que vous sachiez les circonstances historiques de la reprise de Richard II au Globe. […] Pour la plupart des auteurs, j’ai lu leurs œuvres dans le texte à la Biblioth. Nat. […] Paul Arnold * [avant le 6 juin 1980] Cher Serge, Le déménagement se fait (sauf que les livres sont empilés en attendant la construction de la bibliothèque). […] * Menton, 15 juillet 1980. Mon cher ami, […] Je me souviens des efforts que j’ai faits, jeune, pour passer du français quotidien au français littéraire: je déclamais à haute voix, à longueur d’heures, les oraisons funèbres de Bossuet ; j’y ai gagné un sens du rythme qui s’impose à moi dans mes œuvres littéraires. Lisez, en anglais, des auteurs moins funèbres, mais lisez-les à haute voix : cela pénètre par les yeux, les oreilles et l’intellect, on se fond dans le texte. […] En attendant je viens de corriger les épreuves du livre qui est pour moi le plus précieux de tous, l’or de mes ors comme je dis parfois, le Neuvième soleil, récit d’une apocalypse, sorte de Divine comédie moderne débouchant sur une expérience mystique. Cela paraîtra à la rentrée – seul, puisque la Religion des maya est retardé. […] Nous ne sommes encore que partiellement installés. Le permis de construire [pour] mon bureau est encore à venir ; ma bibliothèque est enfouie dans les paquets, sauf les ouvrages indispensables pour mon prochain livre. Je consacre de longues heures au jardinage, remodelant une terre traitée sans goût. Cet été frais, presque froid pour la Côte d’azur, facilite les choses. […] Notre dépendance (le Chalet) n’est pas encore installée, nous ne pourrons donc vous loger cette fois, ce sera pour une autre année. […] Le 10 septembre nous irons à Turin où je dirigerai l’assemblée plénière de l’Union bouddhique d’Europe ; le 25 sept. ma femme s’envolera pour le Japon jusqu’au 5 novembre, veille d’élections redoutées. Avec mes plus amicales pensées, Paul Arnold * Menton, 16 septembre 1980 12 Cher Serge, J’ai un service à vous demander que vous ne me refuserez pas. La version allemande de mon Livre des morts maya vient de paraître en une édition presque luxueuse et comportant la traduction définitive et le lexique des signes rectifié outre des illustrations dont les légendes donnent un aperçu du livre dont je vous avais communiqué le manuscrit. J’ai donc décidé d’envoyer cette version allemande à une cinquantaine d’universités du monde entier en y joignant un résumé en une page de son contenu en anglais. Je viens vous demander de traduire […] la page ci-jointe le plus rapidement possible (j’entends par là une quinzaine de jours). Notre installation ici progresse lentement. J’ai passé l’été à reconstruire le jardin qui est devenu fort plaisant. Mais le permis de construire n’étant pas encore délivré, je n’ai toujours pas de bureau et de bibliothèque ; mes livres restent dans les paquets. Par bonheur j’ai laissé en évidence les ouvrages dont j’ai besoin pour le travail auquel je vais m’atteler dès mon retour de Paris où je pars demain avant tout pour le service de presse du livre qui m’est le plus cher, le Neuvième soleil, récit d’une apocalypse, cette sorte de Divine comédie moderne dont je crois vous avoir parlé. Bien entendu je continue à diriger l’Union bouddhique d’Europe et la Communauté bouddhique de France, et ai décidé de faire prolonger de deux ans ma présidence de la première qui expirera l’année prochaine, l’expiration de l’autre étant dans cinq ans. Notre séjour ici bénéficie à notre santé et nous avons trouvé la détente qui nous manquait de plus en plus à Paris, outre un panorama qui réjouit l’œil à tout instant. […] Paul Arnold * Menton, 4 octobre 1980 Cher Serge, […] Me voilà presque au bout d’une nouvelle découverte dont je crois vous avoir parlé, le déchiffrement de la langue des anciens Crétois écrite en linéaire A (le B recouvre du grec) dont je lis maintenant des tablettes et inscriptions entières, et c’est étonnant de lire l’équivalent du grec Minotaure, labyrinthe, Dionysos, etc. Tout le passé préhellénique et la religion des mystères proche du bouddhisme vont revivre, confirmant ma thèse sur l’apparentement du bouddhisme et du pythagorisme. Je vais rédiger mon livre. […] Paul Arnold * Menton, 15 décembre 80 Cher Serge, 13 Les scrupules qui hérissent votre lettre, loin de m’alarmer, me rassurent. Nous avons, nous devons avoir sans cesse pareils antagonismes qui créent en nous la tension indispensable tant que le but final n’est pas atteint, et il serait trop proche si on l’atteignait si aisément. Rien ne paraît plus malaisé que d’accorder les impératifs de la vie quotidienne et le cheminement spirituel. Je me souviendrai toujours de ce quatrain d’Omar Kayyam, poète mystique iranien, chantant celui qui, à son sens, servait le mieux Allah : le paysan qui, se levant à l’aube, faisait une courte prière puis travaillait dur aux champs jusqu’à la nuit. Il s’acquittait alors d’une autre courte prière et plongeait dans le sommeil mérité. Mais toute sa vie tenait entre ces deux instants de totale dévotion et sa journée en était l’accomplissement, une prière implicite et permanente. Telle est aujourd’hui ma propre vie, telle est la journée de celui qui, par-delà ce que nous avons ou aurons fait, a accompli le chemin. Il restera à parcourir celui-ci aussi loin qu’il nous est donné de le faire. Cela exigera plus de disponibilité que vous en pouvez raisonnablement accorder quant à présent : vos études doivent avoir la priorité pour vous ouvrir la porte des moyens d’existence juste que vous avez choisie. Car n’oubliez jamais l’image des huit fils de la grande corde. Demain plus de temps vous sera délivré. Ne soyez pas impatient. La patience fait partie du chemin. Que celui-ci soit hérissé d’obstacles – j’en subodore dans votre lettre – comment en serait-il autrement ? Je ne cesse d’en franchir ou de m’y heurter et maintes fois je suis au bord du découragement. Je me relève le lendemain et repars à l’assaut. La longue nuit a transmué le spasme en surcroit de patience et volonté restaurée. C’est cela que vous faîtes, de cela vous faîtes l’apprentissage, à cette heure encore neuve. Mon fils spirituel saura, ici, suivre mon exemple. De tout cœur, Paul Arnold Je vous enverrai ces jours-ci mon livre qui m’est le plus cher, ce « récit d’une apocalypse » Le Neuvième soleil qui vient de sortir : terrible, amer, et rempli d’espérance. * Menton, 7 octobre 1981 Cher Serge, Mon séjour de labeur en Belgique ne m’a pas fait rechuter mais a momentanément arrêté le cours et l’effet de l’indispensable repos. Je suis en train de me ressaisir tout à fait, m’accordant deux mois de demie activité de plus et renvoyant à décembre la première réunion du comité restreint de l’Union bouddhique d’Europe que j’ai fait voter à Bruxelles. Ainsi je me sens armé pour durer cent ans. […] La persévérance m’a toujours paru la vertu suprême (en dépit du perseverare que me reprochait un baudelairiste connu pour son sectarisme, après lecture de mon Esotérisme). Tenir compte des avertissements pour rectifier le tir, ne jamais abandonner. Vous avez la chance de n’être pas contraint d’assuer coûte que coûte la matérielle. […] Je m’apprête à pourfendre Rousseau et son Emile, idéal qui ne lui valut que déboires. L’amour du prochain – que ce soit anatta bouddhique ou charité chrétienne – ne doit pas nous aveugler, pas plus que l’expectative ne doit verser dans le scepticisme sans fin. Il me semble vous avoir dit un jour que j’ai aimé ma mère autant que fils le peut, et je ne puis encore penser 14 à elle sans que montent des larmes. Mais je suis toujours resté conscient de ses minimes défauts, comme je cherche à ne pas oublier les miens. Cet œil scrutateur peut nous éviter des surprises, sans cependant nous brouiller avec l’humanité. […] Tel est du reste l’enseignement bouddhique qui ignore le péché et ne connaît la faute que pour une leçon de sagesse. Que de déboires et combien amers ai-je endurés durant ces 72 ans ! Je les regarde aujourd’hui avec le sourire, pour autant de bienfaits. Jeune comme vous avez la chance de l’être, vous pouvez attendre le destin de pied ferme, mais l’œil bien ouvert derechef. Une union est longue (je n’approuve pas ces passades que nos jeunes générations confondent avec le mariage, avec l’arrière-pensée que cela ne doit pas durer), elle doit reposer sur des analogies profondes (qui ne se fondent pas nécessairement dans des engouements communs). […] Je vais passer au crible ma bibliothèque enfin reconstituée et voir si Hamlet y trouve d’autres commentaires en français ou en anglais. Les réflexions en préface de mon adaptation me paraissent encore valables. Mais chacun a son optique, et soutenir aujourd’hui que la peine capitale n’est pas criminelle, est évidemment risqué et bien sûr sujet à caution. Vous savez que mon Livre des morts maya, rejeté avec mépris par les américanistes, va paraître à Mexico (d’où, j’en suis persuadé, il ira aux U.S.A.) et donc affronter enfin directement les milieux intéressés. De nouvelles traductions en cours me confirment dans ma certitude. Il suffit d’attendre. Ecrivez-moi bientôt. J’ai toujours plaisir à vous lire. Affectueusement, Paul Arnold Vous ai-je envoyé mon Neuvième soleil ? Mais vous n’avez pas le temps de lire. * 14.11.81 Cher Serge, Mon Neuvième soleil (que je ne vous ai pas encore envoyé car vous avez d’autres soucis) vient d’obtenir un Grand prix de littérature ésotérique. Je veux en profiter pour tenter ma chance auprès d’éditeurs anglo-saxons. Comment traduiriez-vous le nom du prix ? Répondez vite sur ce point. Amitiés. Paul Arnold * Menton, 9 mars 1982 Cher Serge, Ce n’est que le 12 février que j’ai achevé le texte définitif du livre à paraître. Deux heures plus tard j’accueillais mon plus vieil ami qui à 80 ans venait de perdre une épouse parfaite et 15 d’y perdre aussi le goût de l’existence. Je tenais à le réconcilier avec ce qu’il lui reste à vivre et je crois y avoir réussi en dix jours de soins. […] Cher Serge, vous êtes merveilleusement romantique, une âme égarée dans ce siècle corrompu, liant deux tendances contradictoires de tout temps en guerre. Sous ma plume c’est un éloge (j’y reconnais beaucoup de moi-même) ; pour la vie c’est une faiblessequi rend vulnérable et j’en ai terriblement souffert ; pour la philosophie bouddhique c’est une erreur car aucun attachement n’est sacré. […] L’existence ne connaît aucun absolu et le bouddhisme le renie. Le bouddhisme cherche la voie du milieu. Ni dépravation, ni ascétisme. Ni lâcheté ni héroïsme. Le bouddhisme cherche à concilier les laides réalités, l’exigeante pureté et les passions normales. Objectif, il connaît l’homme et son conditionnement. Tâchant de blesser autrui le moins possible, il laisse aux passions usuelles leur jeu conforme aux lois de la nature, se bornant à les maintenir d’un poing ferme, les guider, les domestiquer sans les étouffer, jusqu’au jour où progressivement elles lâchent prise d’elles-mêmes. Quiconque les violente s’en repentira. […] Ne lisez pas en cela un carpe diem mais la sagesse du prud’homme qui ne brûle pas les étapes et qui reconnaît à l’existence sa part d’allégresse passagère derrière laquelle se profile sa vanité : pour celle-là attendez à plus tard l’heure de la ripeness [« maturité »] dont il est parlé dans Lear, elle ne manquera pas de sonner dans un esprit prudent. Il n’est pire danger que la peur de mal faire. Ainsi vivez ! Tel que vous êtes [illisible] vous êtes armé pour ne pas chanter bas. Affectueusement, Paul Arnold * 12 juillet 1982 Cher Serge, […] Je viens de faire paraître mon nouveau livre Le Mystère basque dévoilé et prépare pour la rentrée un Tour du monde des mystères. Amicalement, Paul Arnold * Menton, 12.3.84 Cher Serge, […] Je joins à tout hasard une photo prise pendant mon allocution lors de l’inauguration du temple bouddhiste de Paris, en novembre 1977. En avant, écrivant, M. Chirac, maire de Paris. […] * 16 Menton, 23 mars 1984 Cher Serge, Comme nous sommes heureux ! Voici s’accomplir le vœu que nous avons formé, ma femme et moi, dès votre retour d’Irlande. Nous pressentons que vous sont dévolues à Marie-Joëlle et à vous les félicités terrestres attendues et méritées. Celle dont l’écriture claire et l’anglais fluide tracent un portrait de pureté saura combler mon fils spirituel de qui le graphisme aujourd’hui reflète la soudaine maturité. […] Affectueusement à vous et dès à présent à Marie-Joëlle, Paul Arnold Y 17 BIBLIOGRAPHIE DE PAUL ARNOLD Sur le théatre : Frontières du théatre, Paris, Pavois 1946. L’Avenir du théatre, Paris, Savel 1947. Le Théatre japonais, nô, kabuki, shimpa, shingeki, L’Arche 1957. Le Théatre japonais d’aujourd’hui, Bruxelles, La Renaissance du livre. Neuf nô japonais, trad. Paul Arnold et Yoshio Fukui, Paris, Librairie théatrale 1957. Sur Baudelaire : Le Dieu de Baudelaire, Paris, Savel 1947. Esotérisme de Baudelaire, Paris, Vrin 1972. Sur Shakespeare : Esotérisme de Shakespeare, Paris, Mercure de France 1955. Lecture de Shakespeare, Paris, C.A.L. 1971. Clef pour Shakespeare. Esotérisme de l’œuvre shakespearienne, Paris, Vrin 1977. Sur la Rose-croix : Histoire des Rose-croix, Paris, Mercure de France 1955. La Rose-croix et ses rapports avec la franc-maçonnerie, Paris, Maisonneuve et Larose 1970. Histoire des Rose-croix et les origines de la franc-maçonnerie, Paris, Mercure de France 1990. Sur le bouddhisme : Avec les lamas tibétains, Paris, Fayard 1970. Avec les sages du Japon, Paris, Fayard 1972. Le Zen et la tradition japonaise, Paris, C.A.L. 1973. Sur la religion et l’ésotérisme : Les Grands inspirés fondateurs de religions de Pythagore à Mohammed, Paris, C.A.L. 1973. Livre des morts mayas, Paris, Laffont 1978. Histoire secrète de l’Alsace, Paris, Albin Michel 1979. Mystère basque dévoilé, Monaco, Rocher 1982. Romans : Les Dévoyés, Paris, Albin Michel 1958. Le Silence de Célia, Paris, Mercure de France 1960. Une Larme pour tous, idem 1961. Le Neuvième soleil, nuit d’une apocalypse, Poët-Laval, Curandera 1980. Traductions : F. NIETZSCHE, Poésies complètes, trad. Paul Arnold et Yanette Delétang-Tardif, Paris, Presses littéraires de France 1949, 2 vol. GOETHE, Faust, Paris, Culture, art, loisirs 1965. SHAKESPEARE, Œuvres, trad. Paul Arnold, 20 vol., Paris, C.A.L. 1961-1971. Y 18