Karine Le Sager Diouf

Transcription

Karine Le Sager Diouf
Karine Le Sager Diouf, « Femme et villes : note ». Texte initialement publié dans Femmes et Villes, textes
réunis et présentés par Sylvette Denèfle, Collection Perspectives « Villes et Territoires » no 8, Presses
Universitaires François-Rabelais, Maison des Sciences de l’Homme « Villes et Territoires », Tours, 2004,
p. 25-40.
Ce texte est mis en ligne sous format électronique par les Presses Universitaires François-Rabelais
et le Centre de Ressources Électroniques sur les Villes dans le cadre de leur programme commun de
rétroconversion d’ouvrages épuisés, collection « Sciences sociales de la ville ».
Presses
Universitaires
RANÇOIS­ RABELAIS
Avertissement :
Les œuvres reproduites sur le site des PUFR sont protégées par les dispositions générales du Code de
la propriété intellectuelle. Le contenu du site des PUFR relève de la législation française sur la propriété
intellectuelle et est la propriété exclusive de l’éditeur.
Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou
numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou
pédagogique excluant toute exploitation commerciale.
La reproduction devra obligatoirement mentionner l’éditeur, le nom de la revue, l’auteur et la référence du
document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, de l'auteur et de ses
ayants droit, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France.
Contact :
Presses Universitaires François-Rabelais de Tours
3, place Anatole France
BP 4103 37041 Tours cedex 1
Tel : 02 47 36 79 80
Mel : [email protected]
LES FEMMES DANS LA VILLE
FEMME ET VILLES :
NOTE
Karine LE SAGER DIOUF
Agence d’Urbanisme de l’Agglomération de Tours
Les villes françaises se sont globalement développées pour répondre aux
besoins de l’économie urbaine en s’appuyant sur les structures familiales
traditionnelles et sur les idées généralement acceptées sur la différence de
rôle entre les sexes.
Les nombreux changements sociaux, économiques et démographiques en
œuvre dans notre société ainsi que le souci de la qualité de l’environnement
remettent aujourd’hui en cause bon nombre de principes sur lesquels s’est
fondé l’urbanisme du 19e et du 20e siècle. Parmi ces changements majeurs :
-
l’apparition de nouvelles structures familiales ;
une participation accrue des femmes au marché du travail ;
le vieillissement général de la population, et en particulier des
femmes ;
l’apparition de problèmes de fonctionnement et de gestion des
services urbains liés à l’étalement urbain et au zoning.
Ces mutations ont permis la prise de conscience d’une diversification
croissante des modes de vie. Ce cheminement vers l’acceptation de
différences liées à l’âge, aux conditions physiques, au sexe, à la culture fut
plus lent dans une France dominée par l’emprise du modèle républicain, où
la manière de penser vise l’homogénéité et l’universalité, que dans d’autres
pays européens ou nord-américains. On assiste ainsi aujourd’hui à une
26
FEMME ET VILLES : NOTE
demande accrue de politiques urbaines plus axées sur les habitants, dans
toute leur diversité, pour répondre à ce que Claude Bartelone, ministre
délégué à la ville, appelle « l’émergence d’une nouvelle civilisation
urbaine »1.
C’est dans ce contexte général que l’Agence d’Urbanisme de
l’agglomération de Tours a voulu replacer la réflexion sur la place de la
femme dans la ville, en développant une approche « genre » partant de
l’évolution générale des modes de vie (liée aux transformations de la famille,
à celles du rapport des femmes au travail, au vieillissement de la population,
à l’urbanisation croissante de la société) et à ses implications en terme de
pratiques et de besoins urbains pour enfin déboucher sur des pistes d’actions.
La finalité ultime étant de démontrer comment, en réfléchissant à une ville
pour les femmes, l’on est amené à porter un autre regard sur les pratiques de
gestion et de planification urbaines.
Sur le plan méthodologique, c’est l’approche statistique qui a été
privilégiée. Malheureusement, étant donné le faible développement de
l’approche « genre » en France, le recours à une approche « intuitive »,
exploratoire a été parallèlement inévitable. Trois éléments ont guidé la
réflexion :
- un postulat à démontrer : la manière dont les femmes utilisent la
ville est différente ;
- une option : ne pas se situer dans une logique d’opposition
homme/femme, mais dans une approche ambitieuse qui vise à
intégrer le concept de diversité sociale dans l’action publique ;
- au final, une ambition : démontrer que les problèmes qui concernent
les femmes sont des problèmes qui concernent tout le monde et que
leur résolution sera bénéfique à tous.
LA FEMME AU CŒUR DES EVOLUTIONS SOCIETALES
La femme face à l’évolution des structures familiales
On assiste depuis quelques décennies à une diversification croissante des
types de ménages. Ainsi, le nombre de ménages de deux adultes avec
enfants, où le partenaire masculin est l’unique ou le principal apporteur de
revenu a fortement diminué ces dernières années. A l’inverse, on note une
1
Bartelone Claude, Discours du ministre délégué à la ville, lors de la Conférence sur le
temps des villes, 12 décembre 2000.
Karine LE SAGER DIOUF
27
très forte augmentation des personnes seules (+26 % entre 1990 et 1999) et
des familles monoparentales (+22 %).
Les femmes sont particulièrement concernées par ces mutations des
structures familiales en grande partie dues au processus d’urbanisation. C’est
que l’urbanisation ne se résume pas à une simple question de densité de
population ou de bâti et de déplacements des habitants dans la ville ou
l’agglomération, c’est aussi une question d’évolution des structures et des
processus sociaux. Le mode de vie urbain s’accompagne, voire génère, une
évolution des rapports entre les sexes à différents niveaux.
En l’espace de 30 ans, la proportion de personnes seules a doublé (6,1 %
de la population en 1962, 12,6 % en 1999). Cette augmentation résulte des
changements de comportements et de l’amélioration des conditions de vie,
notamment en terme de logement et de santé. Si elle a affecté toutes les
classes d’âges, elle est plus prononcée dans la tranche des 60 ans et plus qui
constituent plus de la moitié des personnes vivant seules. Elle touche aussi
plus particulièrement les femmes qui restent globalement plus nombreuses à
vivre seules que les hommes (4,4 millions contre 3 millions) mais ce constat
doit être nuancé selon l’âge (cf. graphique)2. Entre 30 et 50 ans les hommes
sont plus nombreux que les femmes dans cette situation, puisque après
divorce ou séparation, les femmes obtiennent la garde des enfants dans 85 %
des cas. Au-delà, la tendance s’inverse. Ainsi, elles représentent 2/3 des
adultes de 40 à 60 ans qui habitent seuls. La difficulté des femmes ayant des
enfants à renouer une union après 40 ans explique le déséquilibre entre
hommes et femmes. Enfin, après 60 ans, les femmes les devancent largement
puisque leur durée de vie est supérieure. Ainsi sur 10 femmes vivant seules,
5 sont des veuves plutôt âgées.
2
Chaleix Mylène, « Recensement de la population de 1999, 7,4 millions de personnes
vivent seules en 1999 », division Recensement de la population, Insee, Insee Première n° 788,
juillet 2001.
28
FEMME ET VILLES : NOTE
Des différenciations apparaissent aussi selon la position socioprofessionnelle. Plus une femme appartient à une catégorie sociale élevée,
plus sa probabilité de vivre seule est élevée : 21 % pour les femmes cadres
contre 9 % pour les ouvrières. Ces différences entre les groupes sociaux
rejoignent d’ailleurs celles observées en matière de nuptialité : les femmes
les plus diplômées ont moins tendance à se marier et à vivre en couple.
Sur la même période, le deuxième phénomène marquant est le doublement
de la part des familles monoparentales (4,2 % des ménages en 1968 contre
8,3 % en 1999). Au total 20 % des familles avec enfants sont
monoparentales en 1999 et parmi ces dernières les femmes sont majoritaires
(88 %) puisque la garde des enfants leur est le plus souvent confiée et
qu’elles se remettent moins souvent en ménage que les hommes après une
séparation ou un divorce.
Enfin, l’accès généralisé des femmes au travail se traduit aussi par le recul
de l’âge de la maternité. Le premier enfant apparaît en moyenne à 29,4 ans
en 2001 contre 26,8 ans en 1980. Et c’est surtout après 30 ans que les
femmes ont aujourd’hui plus d’enfants.
La femme face au travail
Les chiffres du dernier recensement confirment les tendances à l’œuvre
depuis plusieurs décennies avec un emploi de plus en plus féminisé (44,9 %
de l’emploi total en 1999 contre 39,6 % en 1982).
Si en termes quantitatifs, la situation des femmes rejoint progressivement
celle des hommes, en termes qualitatifs, les différences sont encore
importantes. Les femmes sont beaucoup plus concernées par le travail à
temps partiel que les hommes. En 1997, la part du temps partiel parmi les
actifs occupés était de 30,8 % chez les femmes contre seulement 4,7 % chez
les hommes. Le temps partiel est, dans plus de la moitié des cas (52 %),
imposé par le type de contrat ou de poste et dans 1/3 des cas pour des raisons
familiales3.
De même, les écarts de salaires entre les hommes et les femmes sont
encore importants. Cela a évidemment des conséquences en termes
d’accessibilité financières aux activités, aux services urbains et au logement.
3
Cristofari Marie-France – Labarthe Géraldine, « Recensement de la population de 1999.
Des ménages de plus en plus petits », département de la Démographie, Insee, Insee Première
n° 789, juillet 2001.
Karine LE SAGER DIOUF
29
Enfin en 1999, on compte 15 % de chômeurs chez les femmes contre 11 %
chez les hommes.
La femme face au vieillissement général de la population
Le vieillissement général de la population est un bouleversement structurel
important : les personnes âgées de plus de 60 ans représentaient 16 % de la
population nationale en 1946 ; elles en représentent 20 % aujourd’hui et on
estime qu’elles en représenteront 27 % en 2020. La retraite est donc devenue
un nouvel âge de la vie, véritable troisième âge dont la durée tend à se
rapprocher des autres étapes de la vie.
Par ailleurs, on sait aujourd’hui que l’on gagne en espérance de vie mais
aussi en espérance de vie sans incapacité (EVSI) ce qui se traduit par une
institutionnalisation des personnes âgées de plus en plus tardive, rarement
avant 80 ans.
Si globalement un net recul de la mortalité est à noter, il se fait surtout au
profit des femmes. L’espérance de vie moyenne à la naissance en 2001 est
de 75,5 ans pour les hommes contre 83 ans pour les femmes4. D’ores et déjà
la répartition par classes d’âge démontre une nette prédominance des
femmes parmi les personnes âgées.
Une espérance de vie plus grande chez les femmes
Population de 60 A 74 ans
Population de 75 ans ou plus
Population totale
Source : Insee, RP 99
4
Insee Première n° 825.
Hommes
%
46,1
35,8
48,6
femmes
%
53,9
64,2
51,4
30
FEMME ET VILLES : NOTE
Mode de vies des femmes âgées (en % de la classe d’âge)
1962
1975
Femmes de 75 à 84 ans
En institution
7,1
8,3
En couple
17,8
22
Avec un autre ménage (souvent chez
38,3
27,6
les enfants)
Seule
36,9
42,2
Femmes de 85 ans ou plus
En institution
14,8
19,8
En couple
5,2
5,3
Avec un autre ménage (souvent chez
51,9
40,2
les enfants)
Seule
28,2
34,8
1982
1990
7,5
25,1
21,0
6,8
28,1
16,0
46,4
49,1
21,0
6,4
32,5
22,0
7,9
25,8
40,1
44,3
Source : Recensement de la population, INSEE et Statistiques de l’Etat Civil, INSEE
La proportion de femmes vivant en couple diminue considérablement avec
l’âge (67 % à 65 ans, 16 % à 85 ans) alors qu’elle reste importante jusqu’à
des âges élevés pour les hommes (80 % à 65 ans et 61 % à 85 ans)5. La durée
de vie plus élevée des femmes en est la principale raison. Il en résulte un
sentiment d’isolement plus fort et un rapport à la ville différent, un besoin de
services plus grand.
Ces mutations profondes génèrent de nouvelles formes de pratiques
urbaines et souvent des difficultés accrues de gestion de la vie quotidienne et
plus généralement d’accès à la ville chez les femmes.
LES CONSEQUENCES EN TERME DE MODE DE VIE URBAIN
Le temps de la femme, le temps de la ville
L’intérêt en France pour le temps de la ville est assez récent. Et comme
dans d’autres pays européens, ce sont les femmes qui ont porté ce sujet au
devant de l’actualité. C’est en effet, lors du colloque sur « Le temps des
femmes, le temps des villes » organisé en mai 2000 à Poitiers, que Claude
Bartelone, ministre délégué à la ville, a mandaté Edmond Hervé, députémaire de Rennes, pour réaliser un rapport sur le temps des villes en partant
du constat, partagé avec les pays européens, de l’émergence d’une nouvelle
civilisation urbaine aspirant à concilier vie professionnelle, vie familiale,
5
Cristofari Marie-France – Labarthe Géraldine, op.cit., Insee Première n° 789.
Karine LE SAGER DIOUF
31
loisirs et vie associative. Ces nouvelles aspirations ont d’abord été identifiées
chez les femmes souhaitant allier vie au travail et vie hors travail. Elles ont
servi en quelques sortes de révélateur d’une problématique plus générale de
gestion quotidienne de la vie urbaine.
Conséquence de la généralisation du travail féminin et de l’augmentation
du nombre de familles monoparentales, « le temps de la femme est beaucoup
plus chargé d’activités diverses que celui de l’homme ; c’est ce qui, au
départ, fait la différence ». Les femmes sont plus sujettes au manque de
temps que les hommes surtout quand elles concilient vie familiale et vie
professionnelle.
L’évolution des modes de vie ne signifie pas révolution dans la répartition
des tâches domestiques. La femme est toujours lésée. Il ressort d’une
enquête réalisée par l’Insee en 1999 que la majorité du temps consacré à des
activités reproductives qui permettent la survie des individus et des familles
(tâches ménagères, cuisine, courses, gestion du ménage, démarches
administratives, soins à donner aux enfants, aux personnes âgées, aux
malades) pèse principalement sur les femmes adultes. En étant en couple,
l’homme reporte 1/3 de son temps d’activités ménagères sur sa compagne
puisque lorsqu’elle y consacre une heure lui n’y passe que dix minutes. Et
même quand ils sont seuls, le temps minimum que les hommes consacrent à
ces activités est bien inférieur à celui des femmes. Le rapport sexué des rôles
au sein de l’univers domestique est donc intériorisé aussi bien par les
hommes que par les femmes6.
Cette somme de travail très importante socialement mais peu visible, bien
que quantitativement plus importante que la somme du travail rémunéré,
n’avait jusqu’alors que très rarement fait l’objet de mesures d’actions
publiques. Or les conséquences pour les femmes sont multiples, cela génère :
- un problème de choix de travail moins impliquant ;
- des problèmes d’accès à la vie sociale publique (manque de temps) ;
- des problèmes de déplacement dans la ville ;
- des exigences particulières en matière d’habitat.
De fait, les temporalités de la vie professionnelle et de la vie familiale ne
sont plus articulées. On parle de « désynchronisation » entre les horaires des
services privés et publics et les emplois du temps individuels. Les femmes
réclament de nouveaux services de soutien familial tels que des services de
6
Dumontier Françoise – Pan Ké Shon Jean-Louis, « En 13 ans, moins de temps contraints
et plus de loisirs », Division Conditions de vie des ménages, Insee, Insee Première n° 675,
octobre 1999.
32
FEMME ET VILLES : NOTE
garde d’enfants plus nombreux et plus flexibles, des services de nettoyage,
des livraisons de repas à domicile et une adaptation des horaires des services
à celui de la vie urbaine, faute de quoi, certaines femmes ne peuvent plus
accéder à l’emploi par manque de services adaptés.
Par ailleurs la ville est organisée en fonction d’un modèle dominant, celui
du citadin actif et jeune. D’où de nombreux dysfonctionnements en raison
d’une diversité sociale accrue. Ainsi, des études ont montré que les
modalités et les horaires actuels des services de transport public ne cadrent
pas avec les besoins de déplacement de nombreuses femmes. Alors qu’elles
sont majoritaires parmi les usagers des transports publics et qu’elles ont le
plus souvent des schémas de déplacement complexes liés à la diversité de
leurs tâches quotidiennes, les horaires proposés restent calqués sur des
déplacements domicile/travail. De même, en raison d’un mode de
développement urbain privilégiant la voiture, le vieillissement devient
problématique dans certaines communes périphériques car la sociabilité se
réalisait dans le centre grâce à des déplacements en voiture et les personnes
âgées (en majorité des femmes) se retrouvent avec des problèmes pour
circuler d’où un risque d’isolement accru.
Si les femmes sont les premières victimes de ce décalage, les habitants des
quartiers populaires sont les plus exposés aux temps contraints7. Ce sont
toujours les personnes les moins fortunées qui sont le plus éloignées de leur
travail. Les inégalités sociales sont ainsi renforcées par des inégalités
temporelles d’accès à la ville. Elles touchent particulièrement les personnes
âgées, les femmes seules vivant dans des banlieues mal desservies, les
femmes au chômage, etc.
De manière plus générale, les nouveaux modes de vie impliquent une
modification des rythmes urbains. Aujourd’hui, la tendance est à la
flexibilité des horaires, à une valorisation des loisirs et au culte de son propre
mode de vie avec pour conséquences l’irrégularité, la variabilité, la diversité
des rythmes de vie. Cette problématique de l’inadaptation du temps de la
ville à celui de ses usagers, mise en évidence pour la femme, est une réalité
qui concerne tout le monde.
Si traditionnellement le développement urbain a été régi par une vision
spatiale et par la division tayloriste rigoriste du temps, avec une priorité
donnée au travail, il est temps de penser une réorganisation de la vie urbaine
7
Jerôme Béatrice, « Les villes tentent de s’adapter aux rythmes de vie de leurs habitants »,
Le Monde, 20 juin 2001.
Karine LE SAGER DIOUF
33
autour de la question de la flexibilité. De nouvelles cohérences urbaines
restent à inventer, à la fois spatiales et temporelles.
Sentiment de solitude et isolement relationnel plus prononcés chez les
femmes
Les conséquences des modes de vie urbains privilégiant autonomie,
indépendance et individualisme ont pour conséquences, chez certaines
catégories de population, une forme de « désocialisation ». Les femmes
figurent parmi les plus vulnérables.
En effet, une enquête sur les relations de la vie quotidienne réalisée par
l’Insee en 1997 démontre que l’isolement relationnel et le sentiment de
solitude augmentent avec l’âge, de manière plus aiguë en milieu urbain, et
qu’ils sont d’autant plus ressentis que le niveau de revenu est bas. Il apparaît
donc logique que les femmes montrent une plus grande vulnérabilité à la
solitude.
Les femmes âgées de plus en plus nombreuses, sont fortement exposées
aux risques d’exclusion ou plus précisément de désinsertion sociale. La
retraite est parfois vécue comme un retrait du monde du travail qui se traduit
par une forme de « mort sociale ».
Les familles monoparentales – à majorité féminines – sont aussi parmi les
plus sensibles. Enfin, de tous les types de ménages, ce sont les personnes
vivant seules qui non seulement sont les plus isolées relationnellement mais
aussi les plus sensibles au sentiment de solitude ; et le veuvage touche avant
tout les femmes puisque 85 % des veufs sont des veuves.
Vers une remise en cause du modèle d’habitat dominant
A travers les statistiques nationales, on observe, sur la longue période, la
diffusion massive d’un mode d’habitat « dominant »: il consiste, pour les
couples et leurs enfants éventuels, à opter de plus en plus souvent pour un
habitat en maison individuelle, achetée à crédit et localisée dans une zone
périurbaine. Plus de 70 % des couples mariés de plus de 40 ans avec enfants
sont propriétaires, habitent une maison individuelle située en grande majorité
dans le périurbain8.
8
Arbonville Denise, « Les choix de localisation résidentielle à l’épreuve des évolutions de
société », Les Actes du Club Habitat, Villes et Territoires, INED, Journées de la FNAU,
organisées par l’AUMA à Mantes-la-Jolie, les 21 et 22 Juin 2001.
34
FEMME ET VILLES : NOTE
Ce modèle dominant était calqué, à la base, sur une vision traditionaliste
du modèle familial basé sur un homme actif et une femme au foyer
s’occupant des enfants. Cependant, ces dernières années, avec l’émergence
de nouveaux modes de vie, une diversification de la demande apparaît. Le
modèle dominant montre ses limites laissant apparaître des
dysfonctionnements.
La bi-activité des couples, qui est devenue un phénomène majeur dans la
société française, modifie les comportements résidentiels. Il a été montré que
le choix dépend prioritairement du lieu de travail des femmes. En particulier
les couples avec enfants peuvent renoncer à la maison individuelle pour
privilégier un appartement mieux desservi en centre ville.
Par ailleurs, « La rupture des unions, plus fréquente, entraîne souvent la
revente du logement acheté à crédit et à deux et l’obligation de prendre une
location si possible dans un lieu plus central : pour des raisons budgétaires
bien sûr mais également, lorsqu’il y a des enfants, pour assurer la proximité
des gardes (par des crèches, l’autre parent, les grands-parents) ». Enfin,
« L’étape post-parentale ou le veuvage prolongé induisent pour certains la
revente de l’ancien logement, désormais trop grand ou trop cher à
entretenir. Et l’extrême vieillissement rend nécessaire la proximité de
services et d’équipements médicaux »9.
Le rôle des mutations relatives à la position sociale de la femme dans la
famille et face au travail dans l’évolution des comportements résidentiels est
déterminant. Le zonage fonctionnel des agglomérations urbaines a
lourdement compliqué la vie des femmes en leur rendant la gestion des
tâches quotidiennes plus difficile. Les effets ségrégatifs de certains types
d’habitat (banlieue pavillonnaire excentrée, quartier HLM enclavé) sont
aujourd’hui fortement ressentis chez certaines femmes. D’autres optent pour
de nouvelles formes d’habitat plus adaptées.
Aujourd’hui, comparativement aux hommes, les femmes investissent
davantage les zones centrales. Elles sont aussi plus présentes dans le parc
locatif, plus central mais aussi plus abordable (en particulier chef de famille
monoparentale, ou femmes âgées mais pas seulement) et moins dans le parc
de maisons individuelles (cf. tableau). Des études plus approfondies seraient
nécessaires pour déterminer ce qui relève du choix d’un mode de vie
différent et ce qui relève de la contrainte dans les stratégies résidentielles
féminines spécifiques.
9
Arbonville Denise, op.cit.
Karine LE SAGER DIOUF
Exemples de modes d’habitats différenciés des ménages selon l’âge,
le genre et la situation matrimoniale en 1996
35
36
FEMME ET VILLES : NOTE
DES PISTES POUR L’ACTION
Vers une politique des temps plus adaptée aux nouveaux rythmes de la vie
urbaine
La prise de conscience nationale de cette « désynchronisation » des temps
sociaux généralisée est récente. Suite à la remise du rapport d’Edmond
Hervé sur le « Temps des villes » le 19 juin 2001, la première conférence
gouvernementale des temps de la vie quotidienne s’est tenue le 20 septembre
2001. D’ores et déjà, des pistes d’action d’amélioration privilégiées
soutenues par la DATAR et la DIV ont été proposées et un appel à projet
lancé auprès des collectivités territoriales et des associations. Elles
s’articulent autour de 5 axes :
- la création et l’amélioration de services à la personne (gardes
d’enfants, aides à domicile, médiations) ;
- l’évolution des horaires des services (école, transports, services
publics, commerces, entreprises dans le cadre de plans de régulation des
horaires et de plans de déplacements urbains) ;
- la modernisation des services publics (maisons de services publics,
administration électronique) ;
- l’articulation entre services publics et privés (accessibilité aux
services, projets éducatifs locaux) ;
- l’aménagement du territoire et la conception intégrée des espaces
publics (contrats de ville, d’agglomération, de pays).
La démarche pour y arriver repose sur un processus partagé de diagnostic
de l’accessibilité temporelle de la ville, qui aboutit à une amélioration pour
les femmes en premier lieu mais, au final, pour tous les habitants.
Un besoin accru de politiques publiques de renforcement des liens sociaux
Le besoin de sociabilité plus fort chez certaines femmes et le risque
d’isolement relationnel plaident pour une réflexion accrue pour proposer des
aménagements d’espaces publics de qualité, des équipements collectifs, des
lieux et des services favorisant le développement de nouveaux liens sociaux
en fonction des besoins spécifiques des femmes, des enfants, des personnes
âgées.
En particulier, des études sont nécessaires pour répondre aux besoins
spécifiques de la population du troisième âge. Il s’agit de développer une
vision politique de projets de vie à construire pour cette étape de la vie et des
Karine LE SAGER DIOUF
37
actions publiques les accompagnant, pour que la retraite ne soit plus
seulement considérée comme un temps pour se reposer et tuer le temps.
Une politique du logement et de l’habitat plus respectueuse de la diversité
sociale
La planification du logement et des quartiers doit refléter la complexité de
la vie familiale contemporaine. Concernant les femmes, quelques besoins
peuvent être identifiés à titre d’exemple :
- les jeunes femmes souhaitent pouvoir accéder aisément aux
transports afin de se déplacer librement dans la ville ;
- les mères seules ont besoin de logements abordables proches de leur
travail et des services de garderie d’enfants ;
- les femmes dont les enfants sont jeunes ou adolescents ont besoin
d’espaces de jeux et d’équipements pour cette tranche d’âge ainsi qu’un
accès aux transports publics favorisant leur autonomie ;
- les femmes âgées ont besoin de logements adaptés avec un accès aux
services de base, à des services d’aide à domicile, de transport en commun
et proches de leur réseau familial et amical ;
- toutes ont besoin d’aménagements qui minimisent le sentiment
d’insécurité.
Dans tous les cas, les politiques de l’habitat devront répondre à la diversité
des situations sociales et familiales et concevoir le logement en tenant
compte du cadre plus large de l’environnement global. En attachant une
importance particulière aux possibilités d’accès aux services, à l’emploi, aux
transports publics, aux équipements de loisirs et aux aménités sociales et
culturelles, il s’agit de permettre aux ménages de vivre et d’élever leurs
enfants dans des conditions meilleures et moins stressantes. Et comme
aujourd’hui encore, les femmes passent plus de temps dans leur logement
que les hommes, en particulier à certains moments de leur vie, le rôle accru
qu’elles sont amenées à jouer dans la conception et l’aménagement du
logement et du quartier, grâce à la loi sur la parité et à leur présence au
niveau des maîtrises d’ouvrage municipales, ne pourra être que bénéfique.
Une ville plus adaptée aux besoins des femmes, c’est une ville plus à
l’écoute de ses citoyens. C’est la principale conclusion du colloque « Les
femmes et la ville : logements services et environnement » organisé en 1994
par l’OCDE. Dans la démarche, cela se traduit par :
- le développement d’une planification et d’une gestion urbaines qui
tiennent compte des préoccupations des diverses composantes de la
population, et qui reconnaissent donc la diversité sociale ;
38
FEMME ET VILLES : NOTE
- l’élargissement du rôle des usagers des services publics et de la ville
avec la reconnaissance d’une maîtrise d’usage à côté des traditionnelles
maîtrises d’ouvrage et d’œuvre ;
- la réhabilitation de l’intérêt pour les questions de vie quotidienne
dans l’élaboration des politiques urbaines qui permette de dépasser les
logiques sectorielles pour aborder la vie urbaine de manière globale ;
- le développement d’une connaissance et donc d’une observation
plus fine de l’évolution des modes de vie et des besoins associés.
Enfin, cette volonté d’associer les habitants concernés dans toute leur
diversité à l’action publique favorisera l’exercice d’une citoyenneté active
sur le territoire de la ville et plus largement de l’agglomération.
BIBLIOGRAPHIE
ARBONVILLE Denise [2001], « Les choix de localisation résidentielle à
l’épreuve des évolutions de société », Les Actes du Club Habitat, Villes et
Territoires, INED, Journées de la FNAU, organisées par l’AUMA à Mantesla-Jolie, les 21 et 22 Juin.
BARTELONE Claude [2000], Discours du ministre délégué à la ville, lors de
la Conférence sur le temps des villes, 12 décembre.
CHALEIX Mylène [2001], « Recensement de la population de 1999, 7,4
millions de personnes vivent seules en 1999 », division Recensement de la
population, Insee, Insee Première n° 788, juillet.
CRISTOFARI Marie-France – LABARTHE Géraldine [2001], « Recensement
de la population de 1999. Des ménages de plus en plus petits », département
de la Démographie, Insee, Insee Première n°789, juillet.
COLLECTIF [1995], Les femmes et la ville, Logements, services et
environnement urbain, OCDE, Paris.
DUMONTIER Françoise – PAN KE SHON Jean-Louis [1999], « En 13 ans,
moins de temps contraints et plus de loisirs », Division Conditions de vie des
ménages, Insee, Insee Première n° 675, octobre.
JEROME Béatrice [2001], « Les villes tentent de s’adapter aux rythmes de
vie de leurs habitants », Le Monde, 20 juin.
Karine LE SAGER DIOUF
39
PAN KE SHON Jean-Louis [1999], « Vivre seul, sentiment de solitude et
isolement relationnel », Division Conditions de vie des ménages, Insee,
Insee Première n° 678, octobre.
« Vieillesse, nouvelles vague » [2001], Agence d’urbanisme de la région
grenobloise, juillet.
« Espaces, temps, modes de vie. Nouvelles cohérences urbaines », 22e
Rencontres nationales des agences d’urbanisme, Nantes, 12, 13 et 14
décembre 2001, Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement,
FNAU, Communauté Urbaine de Nantes, Agence d’Urbanisme de
l’agglomération nantaise.
« Habitat et services de proximité face aux évolutions des modes de vie »,
Actes du Club Habitat, Villes et Territoires de la FNAU, 21 et 22 juin 2001,
FNAU, Agence d’Urbanisme du Mantois.

Documents pareils