La douleur chronique chez les aînés
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La douleur chronique chez les aînés
075-Douleur chronique 10/09/08 09:05 Page 75 j Mise à La douleur chronique chez les aînés : our Quel traitement pharmacologique utiliser? David Lussier, MD, FRCPC Présenté dans le cadre de la conférence : La gériatrie, Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, mars 2007 Le cas de Mme Bachand Madame Bachand, âgée de 85 ans, souffre d’une douleur lombaire avec irradiation dans la jambe droite, compatible avec une radiculopathie L5 droite, secondaire à une sténose spinale. Sa douleur n’est pas soulagée par la prise régulière d’acétaminophène. Que lui suggérez-vous? a douleur chronique est très fréquente chez les personnes âgées, dont plus de 50 % souffrent d’une douleur significative ayant un impact négatif sur leur fonctionnement physique, leur affect, leurs fonctions cognitives et leur qualité de vie. Heureusement, il est souvent possible de procurer un soulagement satisfaisant en utilisant une combinaison de plusieurs modalités thérapeutiques, incluant des approches non pharmacologiques, pharmacologiques et interventionnelles. L Le traitement pharmacologique Le traitement pharmacologique est traditionnellement basé sur l’échelle par paliers de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), dont le deuxième palier est maintenant souvent modifié pour en retirer la distinction artificielle entre opioïdes « faibles » et « puissants » (figure 1). De plus, il est maintenant recommandé de considérer cet algorithme comme un « ascenseur », où l’on peut passer directement aux paliers supérieurs en présence de douleur modérée ou grave, plutôt que comme une « échelle ». Le Dr Lussier est gériatre spécialisé en douleur et directeur de la clinique de douleur gériatrique du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Il pratique également à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Les analgésiques non opioïdes L’acétaminophène L’acétaminophène devrait être utilisé en première intervention pour la douleur légère à modérée, le clinicien décembre 2007 75 075-Douleur chronique 10/09/08 09:05 Page 77 La douleur chronique chez les aînés 3 Opioïdes Codéine 2 1 Non opioïdes Fentanyl Opioïdes « faibles » Méthadone Tramadol Morphine +/- analgésiques de l’étape 1 Oxycodone Acétaminophène +/- analgésiques de l’étape 1 et 2 AINS Adjuvant Figure 1. Échelle analgésique modifiée de l’Organisation mondiale de la Santé surtout si elle est d’oorigine musculosquelettique. En raison d’une demi-vie légèrement prolongée chez les patients âgés, il est possible d’obtenir une analgésie constante avec une administration aux six heures plutôt qu’aux quatre heures. Les comprimés à libération prolongée permettent également de diminuer le nombre de prises quotidiennes. Afin d’éviter le risque de toxicité hépatique, il est préférable de ne pas dépasser une dose maximale quotidienne de 2,6 grammes. Les AINS Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) peuvent être considérés en l’absence d’un soulagement adéquat avec des doses maximales d’acétaminophène. Leur supériorité par rapport à l’acétaminophène est toutefois incertaine pour la douleur musculosquelettique non inflammatoire (ex. : arthrose) et ils ne sont habituellement pas efficaces pour la douleur neuropathique (ex. : radiculopathie lombaire). Lorsque les AINS sont utilisés, il faut être très prudent en raison de la fréquence élevée d’effets indésirables (gastriques, rénaux, cardiovasculaires) chez les patients âgés. Lorsque des AINS sont prescrits, il est important de fréquemment réévaluer leur activité analgésique et la fonction rénale, particulièrement chez les patients avec une insuffisance rénale chronique ou qui prennent des diurétiques ou des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, car ils sont à risque élevé de toxicité rénale. orsque lesAINS sont utilisés, il faut être très prudent en raison de la fréquence élevée d’effets indésirables (gastriques, rénaux, cardiovasculaires) chez les patients âgés. L le clinicien décembre 2007 77 075-Douleur chronique Mise à 10/09/08 09:05 Page 78 jour Tableau 1 Utilisation d’opioïdes à courte action chez la personne âgée Médicament Dose de départ Dose équianalgésique (opioïde : morphine par voie orale) Tramadol* 37,5 mg aux 6 heures, au besoin 5:1 Morphine 1 à 5 mg aux 4 heures, au besoin 1:1 Codéine 15 à 30 mg aux 4 heures, au besoin 6,7 : 1 Oxycodone 2,5 à 5 mg aux 4 heures, au besoin 1 : 1,5 Hydromorphone 0,5 à 1 mg aux 4 heures, au besoin 1:4 * Au Canada, il existe seulement en combinaison avec 325 mg d’acétaminophène par comprimé; une dose maximale de huit comprimés par jour. Ce médicament n’est actuellement pas considéré comme un narcotique par Santé Canada. Les opioïdes à courte action (tableau 1) Le tramadol Le tramadol est indiqué pour la douleur modérée à grave ou non soulagée par les non opioïdes. Il a l’avantage de combiner plusieurs mécanismes d’action, incluant une faible activité agoniste des récepteurs opioïdes et une inhibition de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. Il a été très bien étudié chez les patients âgés et est habituellement bien toléré. Les analgésiques opioïdes Les analgésiques opioïdes sont indiqués pour la douleur modérée à grave ou ne répondant pas aux deux premiers paliers. Il existe peu de données sur les modifications pharmacologiques des opioïdes chez les patients âgés. Il est cependant clair que la mépéridine, la pentazocine et le propoxyphène devraient être évités en raison de toxicité fréquente. La morphine et la codéine, éliminées de façon rénale, devraient également être évitées chez les patients avec une insuffisance rénale chronique (fréquente 78 le clinicien décembre 2007 chez les patients âgés), car il peut y avoir une toxi-cité accrue en raison d’accumulation des métabolites. L’expérience clinique suggère que la codéine cause plus de constipation, de nausée et de délirium que les autres opioïdes. L’oxycodone et l’hydromorphone semblent être les opioïdes à courte action à favoriser chez les patients âgés, puisqu’il y a moins d’accumulation et d’effets indésirables en insuffisance rénale. Les opioïdes à longue action (tableau 2) Les patients avec une douleur chronique constante bénéficient de l’utilisation d’un opioïde à longue action. Il est toutefois important de ne jamais prescrire un opioïde à longue action à un patient qui n’est pas déjà traité par un opioïde à courte action. Chez ceux-là, il est préférable de débuter avec de petites doses d’opioïdes à courte action prescrites de façon régulière et de changer pour une longue action lorsque des doses équianalgésiques ont été atteintes. 075-Douleur chronique 10/09/08 09:05 Page 79 La douleur chronique chez les aînés Tableau 2 Utilisation d’opioïdes à longue action chez la personne âgée Médicament Doses disponibles Fréquence d’administration Commentaires Codéine 50, 100, 150, 200 mg aux 12 heures (certains patients nécessitent aux 8 heures) Comprimé doit être avalé entier Fentanyl transdermique 12, 25, 50, 100 mg/heure aux 72 heures (certains patients nécessitent aux 48 heures) Timbre ne doit pas être coupé Hydromorphone 3, 6, 12, 18, 24, 30 mg aux 12 heures (certains patients nécessitent aux 8 heures) Chez patients dysphagiques, capsule peut être ouverte et granules administrées sur aliments froids Méthadone 1, 5, 10, 25 mg aux 6-12 heures, selon réponse analgésique Devrait seulement être prescrit par médecins expérimentés avec son utilisation. Au Québec, nécessite permis spécial Morphine Morphine 12 heures 15, 30, 60, 100, 200 mg aux 12 heures (certains patients nécessitent aux 8 heures) Comprimé doit être avalé entier Morphine 24 heures 10, 20, 50, 100 mg 1 fois/jour Capsule doit être avalée entière Oxycodone 5, 10, 20, 40, 80 mg aux 12 heures (certains patients nécessitent aux 8 heures) Comprimé doit être avalé entier Tramadol* 100, 200, 300, 400 mg** 1 fois/jour Comprimé doit être avalé entier * Le tramadol n’est actuellement pas considéré comme un narcotique par Santé Canada. ** Le tramadol à longue durée d’action est présentement disponible sous trois noms commerciaux différents ayant des propriétés pharmacologiques très semblables mais disponibles en différentes doses. Particulièrement, le fentanyl transdermique ne devrait jamais être prescrit d’emblée, puisque même la dose la plus faible est trop élevée. Les adjuvants L’utilisation d’analgésiques adjuvants (parfois appelés « co-analgésiques ») permet d’obtenir un meilleur soulagement de la douleur en utilisant de plus faibles doses d’opioïdes, diminuant ainsi les effets indésirables. Les antidépresseurs sont considérés comme des adjuvants non spécifiques, car ils sont efficaces dans plusieurs types de douleur. Malgré leur activité analgésique bien démontrée, les tricycliques (surtout l’amitriptyline) sont contreindiqués chez les patients âgés en raison de leurs effets anticholinergiques (confusion, le clinicien décembre 2007 79 075-Douleur chronique Mise à 10/09/08 09:06 Page 80 jour Retour sur le cas de Mme Bachand Puisque la douleur n’est pas soulagée par l’acétaminophène, on devra utiliser, au début, un opioïde à courte action pris au besoin, soit du tramadol-acétaminophène, de l’hydromorphone ou de l’oxycodone. Si la douleur est constante et que les opioïdes à courte action sont bien tolérés, on pourra par la suite changer pour un opioïde à longue action à dose équianalgésique en gardant les opioïdes à courte action pris au besoin pour les pics de douleur. On prescrira également de la prégabaline, un adjuvant pour la douleur neuropathique, en augmentant la dose progressivement selon la réponse analgésique et les effets indésirables. On dirigera la patiente également pour de la physiothérapie et possiblement pour une injection épidurale de corticostéroïdes. À retenir... Chez les patients âgés souffrant de douleur chronique : • La dose quotidienne d’acétaminophène ne devrait pas dépasser 2,6 grammes. • Le tramadol devrait être considéré pour une douleur d’intensité modérée à grave, et il est habituellement bien toléré. • L’hydromorphone et l’oxycodone sont les opioïdes à courte action à favoriser. • Un opioïde à longue action ne devrait jamais être utilisé en première intervention. • La gabapentine ou la prégabaline administrées en dose unique au coucher peuvent soulager la douleur tout en favorisant un sommeil de bonne qualité. pour traiter l’anxiété, qui est fréquente chez les patients souffrant de douleur chronique. sédation, rétention urinaire, risque de chutes) et de la toxicité cardiaque. La venlafaxine et le bupropion sont habituellement mieux tolérés et sont efficaces pour traiter à la fois la douleur, la dépression et l’anxiété. Les adjuvants sont particulièrement utiles pour la douleur neuropathique. En plus des antidépresseurs, les anticonvulsivants sont ceux qui sont le plus souvent utilisés. La gabapentine et la prégabaline sont deux molécules très semblables, qui sont très efficaces et habituellement bien tolérées. La prégabaline favorise un sommeil de bonne qualité, donc elle peut être utile lorsque donnée seulement au coucher ce qui diminue la somnolence diurne; elle est également efficace 80 le clinicien décembre 2007 Il est possible de contrôler la douleur En utilisant une combinaison appropriée d’analgésiques non opioïdes, d’opioïdes et d’adjuvants, il est habituellement possible d’obtenir un contrôle satisfaisant de la douleur chronique chez les patients âgés. Il est néanmoins important de réévaluer fréquemment la réponse pharmacologique, de rechercher et traiter les effets indésirables et de combiner le traitement pharmacologique avec une approche interdisciplinaire, incluant des approches non pharmacologiques (physiothérapie, psychologie) et des interventions ciblées (épidurale, bloc facettaire, bloc nerveux). Clin