2012 - IRTS Paris

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2012 - IRTS Paris
Samedi 14 janvier 2012
Épreuve écrite d’admissibilité
Moniteur éducateur – Niveau IV
Durée : 3 heures
L'imaginaire enfantin et ses nouveaux héros
L’imaginaire enfantin et ses nouveaux héros Télévision, jeux, bandes dessinées : de New York
à Shanghai, les héros virtuels destinés aux enfants sont aujourd’hui les mêmes. D’où viennentils, dans quels mondes vivent-ils et de quelles valeurs sont-ils porteurs ?
Depuis les années 1970, l’univers fantastique des enfants et des jeunes du monde entier a été investi
par les mêmes personnages d’animation, les mêmes héros de jeux vidéo et de bandes dessinées,
sans compter les gadgets qui les accompagnent. Même s’il est difficile de savoir comment et à quel
point ces personnages de fiction influencent le comportement des jeunes, il est certain qu’ils
reflètent une façon de penser le monde. Leur mode d’existence a beau n’être qu’un imaginaire
hétéroclite et changeant, il leur permet de véhiculer des idées et des valeurs.
Les héros imaginaires d’aujourd’hui manifestent eux aussi des aspirations et des valeurs qui sont
celles de leur temps : individualisme et narcissisme, hédonisme et cynisme.
L’enfant d’aujourd’hui est invité à vivre le temps et l’espace de sociétés orales et tribales. Il est
exposé à toutes sortes de morales d’origines différentes : shintô japonais, puritanisme et cynisme
américains, neutralité morale européenne. Mais les histoires, conçues en Belgique, réalisées en
Espagne et produites en Corée, finissent par perdre toute trace de la morale qui les inspirait au
départ.
Autrefois, il était dans les habitudes des héros mythologiques de se révolter contre les dieux ou
l’ordre établi. Aujourd’hui, les téléhéros, bien que dotés de capacités extraordinaires de
dépassement, vont répétant toujours les mêmes gestes : ils deviennent les protagonistes du
quotidien. Bien qu’ils vivent dans des mondes autres, ils ne bouleversent pas l’ordre du nôtre et se
montrent, au bout du compte, très conformistes.
Les héros traditionnels présentaient souvent la particularité d’être dotés d’une force physique hors
du commun. De la tradition celtique à la romaine (Hercule), ceux d’aujourd’hui aussi mettent en
œuvre des qualités essentielles dans des dessins animés. L’intelligence n’est chez eux qu’un atout
supplémentaire et accessoire, alors que la passion de la lutte contre le mal est absolument
fondamentale. Les héros japonais, eux, sont marqués principalement par la détermination et
l’abnégation totale au bénéfice d’une grande cause. Le but de leur action n’est pas tant la victoire
que le dépassement de soi. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la courte durée de vie des héros
créés par l’industrie du loisir, changés tous les quatre ans, et le renouvellement des mythes qui les
inspirent.
Cette foi collective dans un avenir spatial et high-tech a été transmise aux enfants et aux jeunes des
générations suivantes en inventant l’ordinateur à forme humaine.
Par ailleurs, bien des inquiétudes ressenties par les adultes ont donné naissance à des héros adoptés
par les enfants. Au début des années 1980, le spectre des catastrophes environnementales qui
menacent notre planète a appelé une transformation des représentations du bien et du mal. Tandis
que le mouvement écologiste prenait de l’importance et proclamait de nouveaux droits et devoirs
envers la nature, les enfants virent apparaître sur tous les écrans du monde des personnages habitant
des sous-bois et des fonds marins.
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Un peu plus tard, à la fin des années 1980, la montée du narcissisme, théorisée par le sociologue
Christopher Lasch, lance la mode du fitness et sanctifie la recherche du bien-être personnel. Ces
modèles trouvent un écho chez les très jeunes sous la forme d’un imaginaire tourné vers les valeurs
personnelles, intimistes et sentimentales.
Bientôt, on assiste à la chute du mur de Berlin, et à celle des grandes idéologies. L’Occident se
cherche un nouvel axe, de nouvelles alliances politiques et une démocratie fondée sur de nouveaux
équilibres. La désorientation du monde adulte se projette sur l’imaginaire des enfants à travers des
séries exprimant le désir de s’emparer du pouvoir plus que de le transformer.
Plus récemment, dans les sociétés modernes, l’ambiguïté sexuelle s’est vue valorisée dans la culture
adulte. Il n’est pas étonnant que, du côté des jeunes, des personnages à double rôle et double statut
aient rencontré le succès. Paradoxalement, ces héros issus de l’esprit du shintô japonais viennent
promouvoir à l’écran la confusion des sexes encouragée par la mode occidentale. L’image
publicitaire fait souvent l’éloge de la confusion des sexes, des âges de la vie et des comportements
qui les caractérisent. Mais le phénomène est encore plus manifeste dans l’offre de fiction
fantastique : les héros de cette mythologie habitent des mondes en transformation perpétuelle.
Enfin, depuis quelques années, on note l’apparition de séries animées particulièrement cyniques,
violentes et grossières : les Simpson, South Park, et récemment, les Griffin Happy Tree Friends. De
quel monde ces personnages infréquentables sont-ils le reflet, si ce n’est celui des adultes
confrontés à la brutalité des sociétés modernes fondées sur la compétition et l’indifférence totale
aux malheurs d’autrui ?
Les contes pour enfants avaient pour ambition d’aider les jeunes à affronter les problèmes
psychologiques liés à leur développement et de contribuer ainsi à la formation de leur personnalité.
Les nouveaux héros, eux, n’ont pas pour mission de promouvoir, par des exemples, des modèles
psychologiques, philosophiques ou politiques, si ce n’est de manière très indirecte.
Contrairement aux héros classiques qui incarnaient des modèles de comportements figés mais
exemplaires, ces êtres en mutation constante font de leur transformation leur raison d’agir et
d’exister.
Les histoires qu’ils vivent et les mondes qu’ils habitent présentent cependant des traits constants.
C’est d’abord le triomphe de l’image sur la parole, car les dialogues sont souvent superflus ou
redondants. Ensuite, c’est leur temporalité cyclique : les histoires n’ont pas de fin, chaque épisode
étant un éternel recommencement. Enfin, c’est la fixité de l’espace, car rien ne change dans le décor
et les objets qui l’occupent.
La consécration des héros, quant à eux, est de se retrouver sur les étals des supermarchés
transformés en produits dérivés. La diffusion des épisodes de leurs exploits joue le rôle d’une
insertion publicitaire de très longue haleine, qui dure souvent plusieurs années. Pour les jeunes
spectateurs, l’identification au héros favori passe désormais par l’acte d’achat de la figurine et du
système d’objets qui l’accompagne. Ainsi va le destin des héros dans la société de consommation…
Marina d'Amato
Professeure de sociologie à l’université de Rome,
auteure de Téléfantaisie. La mondialisation de l’imaginaire,
Presses de l’université Laval (Québec), 2009
Revue « sciences Humaines »
Mensuel N° 219 - octobre 2010
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Travail à faire
1- Faites une synthèse de ce texte en dégageant les idées essentielles.
2- A partir de votre expérience personnelle et/ou professionnelle que pensez-vous de
l’influence des médias et nouvelles technologies (TV, magazines, jeux vidéo, internet,
réseaux sociaux...) dans l’éducation des enfants et des adolescents ?
Épreuve notée sur 20 :
Perception des idées essentielles = 6 points
Construction d'un raisonnement, organisation des idées = 6 points
Richesse des idées, implication personnelle = 4 points
Expression écrite (style, orthographe, présentation générale et soin) = 4 points
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