territoires mémoire

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territoires mémoire
Voyage d'étude en Belgique (27 au 30 novembre 2012)
« Territoires de la mémoire », Liège
Présentation et visite
Jeudi 29 novembre 2012
Compte-rendu rédigé par Marina Chauliac
Philippe Marchal (directeur adjoint de l’association) et Philippe Raxhon, (Professeur
d’histoire contemporaine, ULG, président du conseil de transmission de la mémoire) nous
reçoivent très aimablement. A la table André Gob et Veronica Granata, historienne chercheuse
post-doctorale à ULG, co-fondatrice d’un centre de recherche sur l’étude de la transmission de
la mémoire qui n’interviendra que très brièvement.
A tour de rôle, Philippe Marchal et Philippe Raxhon nous présentent les origines et le projet
des territoires de la mémoire (TM), avec un volet plus institutionnel pour l’un, plus scientifique,
pour l’autre. Didactiques et bien rodés, les discours se complètent. Un des objectifs de cet
accueil est aussi de nouer un partenariat avec Mémorha.
Il est d’emblée bien précisé que nous ne nous trouvons pas dans un musée. « C’est un centre
d’éducation à la résistance et à la citoyenneté ». L’éducation citoyenne se pense ici
« démocratique et active ». L’accent est mis sur la transmission aux jeunes générations d’une
histoire avec laquelle les liens sont distendus, sur le travail, plus que le devoir de mémoire. Le
projet est né d’une réaction au retour de l’extrême droite dans le champ politique belge en
1991. Dans les fondateurs de l’association, on trouve des rescapés des camps et des membres
laïcs. C’est le centre d’action laïque des territoires de Liège qui est à l’origine des Territoires de
la Mémoire.
Les Territoires de la Mémoire sont un des trois centres de la mémoire reconnu par la
communauté wallonie-Bruxelles. L’association regroupe 20 permanents avec : un service de
soutien aux écoles, un pôle voyage, avec organisation de 20-30 voyages par an (Auschwitz,
Mauthausen, Dachau…), un centre de documentation, un service recherche… Elle porte un
projet d’agrandissement et de renouvellement du parcours permanent. Par ailleurs, elle
contribue à la mise en place d’itinéraires mémoriels en tant que déplacement dans l’espace,
mise en valeur de lieux de mémoire au sens premier du terme. Plus de 100 000 jeunes de la
communauté francophone sont venus depuis 20 ans découvrir les Territoires de la Mémoire.
Le budget annuel est environ d'un million deux cent milles euros, avec les emplois, financés en
partie aussi par le public. Le financeur principal est la communauté française de Belgique ou
fédération Wallonie-Bruxelle. Les actions s’inscrivent dans le cadre du décret d’éducation
permanente (pour le public adulte) et le décret mémoire qui s’adresse plutôt au monde scolaire1.
Territoires de la Mémoire a aussi un partenariat avec le privé et bénéficie de dons, legs.
La frontière avec la Flandres est ici patente. Il est d’ailleurs précisé que l’étape suivante est
l’extension du réseau au niveau international, sans que la Flandres ne soit évoqué (par
contre ils ont des contacts avec l’Espagne et l’Italie…) La question de la citoyenneté dont
il est constamment question est ici détachée de la problématique belgo-belge. « C’est un
terme générique en tant que participation citoyenne. Un électeur est le premier citoyen (ou le
futur électeur), c'est-à-dire celui qui va participer au parlementarisme ».
Philippe Raxhon nous fait part de son regard concernant l’implication de l’historien dans la
société. Pour lui l’historien est apte à concilier la mémoire, en tant que choix pour un « objet ou
une séquence passée que l’on ramène dans le présent » et l’histoire, comprise comme une
production de connaissance selon des procédures, avec une validation. Il ne croit pas au
détachement intellectuel de l’universitaire qui garantirait un esprit critique. Un autre point qui
guide son action réside dans la nécessité de recontextualiser afin d’éviter les pièges de
l’analogie qui conduit à ne voir que les ressemblances et comporte des risques de confusion.
Quand on fait l’histoire comparative, il est nécessaire d’avoir un raisonnement critique et
cartésien, avant d’avoir un raisonnement analogique. La concurrence mémorielle en référence à
la tragédie doit être évitée. Cela peut se faire en introduisant la notion de patrimoine. On peut
ainsi parfois remplacer la notion de mémoire par celle de patrimoine qui est un apport au
monde, alors que la mémoire renvoie à la notion de retranchement du monde.
Veronica Granata, rappelle la volonté de ne pas montrer seuls les aspects les plus radicaux,
mais aussi l’aspect séduisant des régimes fascistes pour mieux comprendre ce qui peut se passer
dans des régimes démocratiques. Selon elle, il est devenu plus difficile de reconnaître certains
mouvements populistes qui font usages des nouvelles communications et tentent de travailler à
l’intérieur de la démocratie pour faire passer des messages qui ne sont pas démocratiques.
Un certain décalage avec le réseau Mémorha est perceptible, tant à travers le vocabulaire
employé (cordon sanitaire, barbarie..) que les outils de transmission, à savoir le pin’s
triangle rouge et le parcours pédagogique de « mise en situation de déportation » jouant
sur le registre du pathos. De même qu’à la caserne de Dossin, on a le sentiment que « tous les
moyens sont bons » pour faire prendre conscience aux « jeunes » des dangers des partis
d’extrême droite dans la Belgique aujourd’hui qui renvoient à la montée du nazisme dans
l’Allemagne des années 30. La question de l’efficacité des moyens employés reste pour autant
posée. Le public est essentiellement adolescent. Sans avoir d’enquête sur le sujet, notre propre
expérience de visiteur (certes initié, connaisseur du sujet, adulte et français) nous amène à
pointer un certain nombre d’effets provoqués par ce qui est ici qualifié de « choc
pédagogique ». Le sentiment désagréable d’être manipulé peut être relié à l’imposition du
parcours (on ne peut avancer plus vite que prévu, ni « sauter » une étape), mais aussi à la
mobilisation d’images et de sons (musique, voix dramatique des comédiens...), la semiobscurité et les différences de température concourent au malaise. On peut ressentir un effet de
saturation, d’envie de fuir ce lieu (et donc ne plus entendre le message) ou bien une impression
d’artificialité qui conduit plutôt à rire.
Un certain manque de rigueur dans les discours du parcours (confusion des types de camps, des
types de supports : films, photos sans citer les sources…) pose incontestablement problème. En
définitive, la recherche d’empathie, la volonté de provoquer l’émotion – qui en soit ne
constituent pas un obstacle à la réflexion – semblent abolir ici une bonne partie de l’esprit
critique, pourtant nécessaire à l’éducation citoyenne, voir se retourne contre un dispositif aux
ficelles trop grosses.
Porter un triangle rouge pour lutter contre les idées de l’extrême droite peut également
interroger. Il s’agirait ici d’une forme de connivence citoyenne et un moyen d’engager la
discussion. Au-delà du choix de s’attribuer le symbole pour les déportés politiques, quel peut
être l’impact de ce type de démarche ?
1
Décret de 2009 dans la communauté française pour la diffusion des action pédagogiques de transmission de la
mémoire, notamment première et seconde guerre mondiale, avec un appel à projets soutenu par le gouvernement wallon