Droit pénal du travail

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Droit pénal du travail
Rencontre du 19 février 2013 - Le droit pénal du travail
RENCONTRE du 19 FEVRIER 2013
Le droit pénal du travail
I.
Ouverture
Francis KESSLER, Président de l’AFERP
Bonjour à tous, et bienvenue.
Avant de commencer, je vous rappelle que nos deux prochaines séances d’avril et de mai
seront consacrées pour la première à la représentativité du monde patronal, et pour la
deuxième à la CNIL et à l’utilisation des données personnelles par les institutions de
protection sociale complémentaire.
J’ai le très grand plaisir d’accueillir mon collègue Alain CŒURET, venu ce matin nous
entretenir d’un thème qui m’est très cher, à savoir le droit pénal du travail. Il s’agit d’une
question très importante en pratique et très sous-éclairée en doctrine. Le Professeur
Alain CŒURET est l’auteur du manuel de référence en la matière. Monsieur Alain CŒURET
a également été Conseiller à la Chambre sociale de la Cour de cassation. C’est pourquoi nous
ne pouvions inviter plus grand expert des dossiers sociaux. Je lui cède à présent la parole.
II.Le droit pénal du travail
Alain CŒURET, Professeur à l’Université de Cergy-Pontoise, Directeur du Master du
Droit social, Avocat, ancien Conseiller à la Cour de cassation
Je vous remercie. Vous m’avez demandé de venir parler du droit pénal du travail, ce que j’ai
accepté bien volontiers, toujours avide d’échanges avec des professionnels, juristes ou non,
qui réfléchissent sur l’entreprise et les relations professionnelles. Mon appétit pour cette
matière trouve sa source dans un lointain passé. Jeune assistant des Facultés de Droit, et déjà
passionné par les rapports entre droit pénal et droit social, je tentais de convaincre ceux qui
allaient devenir mes collègues de l’intérêt d’une telle occurrence, tant pour les pénalistes que
pour les travaillistes. L’écho que je recevais alors était modeste, excepté de la part des aînés
déjà bien engagés dans la carrière, à commencer par Nicole Catala, à laquelle je rends
hommage aujourd'hui. Celle-ci me confiera très rapidement la rédaction des fascicules pénaux
du jurisclasseur travail traité qu’elle dirigeait alors. Je salue également la mémoire de la très
regrettée Marie-Elisabeth Cartier, qui me permit de trouver une tribune à la VarenneChennevières, où siégeait jadis la Faculté de Droit de Saint-Maur.
Au fil du temps, l’intérêt pour le droit pénal du travail a grandi, aidé en cela par la réforme du
Code pénal en 1992, puis par la généralisation de la responsabilité pénale des personnes
morales en 2004. Un certain nombre de facultés de droit ménagent aujourd'hui une place au
droit pénal du travail en tant que matière d’approfondissement du Master I et du Master II.
C’est ainsi le cas à Cergy-Pontoise, dans le Master que je dirige, et à l’Ecole de Droit de la
Sorbonne, où j’interviens depuis près de quinze ans sur le segment du cursus spécialisé en
droit social.
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Dans l’intervalle, j’ai co-écrit avec notre Elisabeth Fortis, Professeur de Droit pénal à Paris X
- Nanterre, un manuel de droit pénal du travail que Francis Kessler a eu la gentillesse de
présenter. Il me servira de guide ce matin, afin de vous exposer ce que j’estime être le plus
marquant dans cette matière. Celle-ci est constituée d’une rencontre entre deux disciplines a
priori assez différentes l’une de l’autre : le droit pénal, sorte d’iceberg normatif qui a
commencé sa course voilà fort longtemps et avance avec lenteur, et le droit social, forêt
tropicale où tout pousse et renouvelle à grande vitesse. Les liens entre ces deux champs se
forment et se reforment depuis le commencement de l’ère industrielle, qui a marqué le début
de l’interventionnisme législatif dans la vie économique et sociale.
Pourquoi des sanctions pénales dans les relations du travail ? S’agit-il d’un caprice législatif
renouvelé au gré des avatars de la vie politique ? Dans le domaine considéré, il existe déjà des
sanctions civiles de toute sorte : indemnitaires, en nature, provisoires, définitives, civiles à
proprement parler, administratives. Pourquoi donc y ajouter la sanction pénale ?
Répondre à cette question revient à s’interroger sur les fonctions de la règle pénale dans les
rapports de travail, et sur la raison de sa permanence. Cette question rejoint un débat plus
large, à savoir celui de la dépénalisation de la vie des affaires. Elle apparaît comme un
leitmotiv présent d’une part dans le rapport de Virville (2004), destiné à donner les clefs d’un
Code du travail plus efficace, et d’autre part dans le rapport Coulon (2008), dédié au droit des
sociétés, de la concurrence, et de la consommation.
Le rapport de Virville présentait la dépénalisation du droit de l’entreprise comme un objectif
positif. En effet, dans cette optique, la dépénalisation était censée donner une vigueur
nouvelle à l’activité économique, pour laquelle le droit pénal représenterait un véritable frein.
Elle visait également à permettre une hiérarchisation plus fine des comportements à
sanctionner par le droit pénal, soit une sorte de dépénalisation sélective. Nous pouvons
également lire dans le rapport de Virville que la pénalisation systématique du droit du travail
aboutit à placer sur le même plan des règles qui ont pourtant une portée très différente.
Ces travaux d’experts confirment, s’il en était besoin, les arguments classiques souvent
avancés en faveur de la dépénalisation du droit du travail, tant par les décideurs que par les
salariés et certains groupements qui les représentent. Nous pouvons en citer quelques-uns.
D’une part, la stigmatisation des chefs d’entreprise poursuivis pénalement nuirait aux
collectivités de travail, et par ricochet aux sociétés. D’autre part, les salariés hésiteraient dans
les faits à utiliser le droit pénal contre leur employeur, et ce droit ne leur apparaîtrait d’aucun
secours. Enfin, le droit pénal provoquerait la cristallisation inévitable des oppositions car,
instrumentalisé, il favoriserait l’émergence de rapports de force, et non de dialogue.
Cependant, devant tant d’inconvénients apparents provoqués par la pénalisation du droit du
travail, nous comprenons difficilement pourquoi l’objectif d’une dépénalisation rationnelle
n’a pas été poursuivi par le législateur. Bien au contraire, nous observons, en droit du travail
comme ailleurs, un élargissement constant du droit pénal. La dernière réforme du harcèlement
sexuel, et accessoirement du harcèlement moral, par la loi du 6 août 2012, peut illustrer ce
fait. En effet, nous savons que c’est le plus souvent dans les entreprises, entre employeurs et
salariés, mais également entre salariés, que se développent de tels comportements.
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Elisabeth Fortis n’hésite pas à parler à cet égard d’une attitude « schizophrène », qui consiste
à assortir nombre de lois de sanctions pénales, rattachées en outre de plus en plus souvent à la
catégorie des délits et non des simples contraventions, tout en commandant des rapports
destinés à préconiser l’inverse. Face à cette situation, la tentation est grande de se replier dans
le scepticisme et de reprendre l’explication traditionnelle selon laquelle, en droit du travail, la
sanction pénale est certes un mal, mais un mal nécessaire dont nous ne nous débarrasserons
pas de sitôt. Somme toute, c’est l’efficacité même de la règle sociale qui en dépendrait,
compte tenu des défis qu’elle a toujours rencontrés dans sa mise en application.
Néanmoins, si la dépénalisation semble ainsi être un objectif caduc, et le statu quo recherché,
sinon avoué, la réalité de la situation apparaît plus complexe. En effet, la dépénalisation ne se
mesure pas uniquement à l’aune d’un critère quantitatif, c'est-à-dire grâce au nombre des
textes pénaux qui seraient supprimés. Elle doit être évaluée à partir d’autres critères, au
premier rang desquels la mise en œuvre effective d’une procédure pénale via les procèsverbaux des inspecteurs du travail, aujourd'hui tombés à moins de 10 par an et par agent. La
dépénalisation peut également s’apprécier par l’attitude des parquets, qui montrent des
sensibilités variables en termes de déclenchement de l’action publique selon le type
d’infraction qui leur est transmise.
Nous pourrions dire à grands traits que, dans notre matière, l’intervention du droit pénal se
polarise dans quatre domaines, les autres faisant l’objet d’une sorte d’oubli, sinon d’une
désuétude. Ces quatre champs sont les suivants :

santé et sécurité au travail, qu’il y ait ou non un dommage corporel ;

représentation des salariés – les syndicats aiment à faire usage du fameux délit
d’entrave en se constituant partie civile ou, du moins à agiter sa menace lors de
tensions relationnelles avec les directions ;

travail illégal – le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi est une figure
emblématique des rapprochements possibles entre droit pénal et droit du travail ;

infractions commises contre la dignité de la personne et ses droits fondamentaux,
c'est-à-dire discrimination et harcèlement. Cependant, le prétoire pénal est
relativement déserté par les plaideurs en raison du régime favorable de la preuve
devant les juridictions civiles et de la présence d’une autorité administrative
indépendante, à savoir le Défenseur des droits. Ce dernier incite plutôt à la médiation
ou à la transaction, et ne paraît guère apprécier la procédure pénale.
Négligeant la multitude des incriminations délaissées, je m’en tiendrai à ces quatre familles
d’infraction qui constituent, selon moi, le « droit pénal vivant du travail », pour paraphraser
le titre d’un ouvrage célèbre. Néanmoins, connaître les infractions et leurs éléments
constitutifs ne renseigne pas complètement sur la responsabilité pénale. Il reste à comprendre
comment les incriminations sont mises en œuvre, et particulièrement la manière selon
laquelle, lors de la phase essentielle du procès, sont désignées les personnes devant répondre
des faits poursuivis. Cette imputation obéit depuis longtemps à des mécanismes originaux
dont le véritable périmètre est le monde de l’entreprise. C’est pourquoi nous pouvons dire que
le droit pénal du travail est en réalité un sous-ensemble du droit pénal des entreprises. Il s’agit
d’un sous-ensemble décisif car, d’une certaine manière, il donne les clefs pour comprendre les
mécanismes en œuvre à cette échelle.
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1. Une responsabilité pour quelles infractions ?
Aux quatre groupes de valeurs défendues par le droit pénal du travail correspondent quatre
familles d’infractions qui se présentent le plus souvent de manière éparse. Il faut donc aller les
chercher tantôt dans le Code du travail, tantôt dans le Code pénal, tantôt dans les deux. Dans
ce dernier cas, la responsabilité de la personne poursuivie est alors tributaire d’une association
entre droit commun et droit spécial. Cette association constitue un facteur de complexification
s'agissant des constatations des infractions réalisées par les inspecteurs et les contrôleurs du
travail. Ces derniers, sauf exception légale expresse, sont uniquement compétents pour relever
les infractions définies par le Code du travail. S'agissant des infractions prévues par le Code
pénal, ils ne disposent que de la loi – à l’efficacité relative – portant sur le rapport de
signalement de l’article 40 du Code de procédure pénale.
1.1. Vie et intégrité physique de la personne au travail
En matière de droit du travail, les premiers textes répressifs datent de la fin du XIXe siècle,
parmi lesquels la loi de 1893 relative aux grandes obligations de sécurité des chefs
d’industrie. Cependant, à côté de ce droit du travail naissant existe déjà un droit pénal
commun de l’imprudence : les homicide et blessures involontaires sont ainsi des
qualifications applicables dans tous les secteurs de la vie économique et sociale, dont celui
des entreprises.
Nous pouvons aujourd'hui distinguer deux sous-groupes dans le tableau des infractions
relatives à la vie et à l’intégrité physique de la personne au travail. L’un de ces sous-groupes
est constitué des atteintes redoutées et non réalisées. Il s’agit du délit visé par l’article L.47411 du Code du travail et ses satellites. Ce délit est très souvent relevé par les inspecteurs du
travail en raison de l’immensité de son domaine, qui recouvre presque toutes les obligations
particulières d’hygiène et de sécurité au travail.
L’incrimination étant trop connue pour y insister, je m’exprimerai simplement sur deux
points. D’une part, l’élément matériel de ce délit ne nécessite aucunement la réalisation d’un
dommage corporel. C’est en effet l’exposition de salariés au risque qui compte. Le délit ne
cesse pas pour autant de pouvoir être relevé en cas d’accident corporel, et se cumule dans ce
cas avec l’infraction de droit commun que je vais évoquer dans un instant. D’autre part, le
prix pénal de la violation de l’obligation relative à la sécurité au travail exempte de dommage
corporel s’élève à 3 750 euros d’amende maximum pour les personnes physiques. Cette
somme peut paraître dérisoire pour une grande entreprise, mais l’amende est susceptible
d’être multipliée par le nombre de salariés exposés au risque. En outre, si le coupable est une
personne morale, l’amende est multipliée par cinq, et par dix en cas de récidive. Il convient ici
de rappeler que l’inscription de la condamnation au casier judiciaire d’une personne morale
commence à partir de 30 000 euros.
S'agissant toujours des atteintes redoutées et non réalisées, un nouveau venu mérite d’être
signalé, à savoir le délit de risque causé à autrui, consacré en 1992 lors de la réforme du Code
pénal. Il s’agit d’une incrimination complexe, à la définition sophistiquée, traduisant la
prudence extrême du législateur. Ce dernier consacre pour la première fois une approche
correctionnelle des comportements d’imprudence non suivis de la réalisation d’un dommage
corporel. C’est la raison pour laquelle, au plan de l’élément moral de l’infraction, est exigé un
dol éventuel. Cette catégorie de faute est très proche de l’intention. Elle s’en démarque par le
fait que l’agent n’a pas voulu le dommage mais en a simplement accepté l’éventualité.
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Après une première période d’indifférence à l’égard des risques graves dans le milieu du
travail, le contentieux de cette infraction s’est orienté vers l’entreprise à travers quelques
affaires emblématiques, parmi lesquelles celles relatives à l’exposition des salariés aux
poussières d’amiante. Je pense en particulier à l’affaire soumise à la Cour d’appel de Douai le
6 mars 2008, dans laquelle il a été fait application du délit visé à l’article 223-1 du Code pénal
non seulement à une personne physique, c'est-à-dire le délégataire dirigeant du site, mais
également à la personne morale employeur des victimes. Les juges ont estimé qu’en l’espèce,
il y avait « violation manifestement délibérée d’une règle particulière de sécurité imposée par
la loi », et que cette violation conduisait à « exposer autrui à un risque immédiat de mort ou
de blessure de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ». Nous
pouvons nous demander dans quelle mesure ce raisonnement n’est pas transposable aux
risques psychosociaux, compte tenu des conséquences dramatiques que ces derniers peuvent
engendrer.
Les juridictions civiles se sont déjà prononcées en faveur de la qualification de « faute
inexcusable ». Or, la définition de la faute inexcusable n’est guère éloignée de l’exigence de
conscience du danger énoncée par l’article 223-1 du Code pénal. D’ores et déjà, la mise en
danger d’autrui fait partie du droit pénal du travail, ce qui renforce la présence du Code pénal
dans le registre de la protection de la vie humaine au travail.
Cette présence n’a du reste jamais été secondaire, car les délits d’homicide et de blessures
involontaires sont applicables dans ce champ. Ils sont sans doute à l’origine de la
condamnation pénale du plus grand nombre de personnes physiques dans l’entreprise.
J’emploie l’expression « personnes physiques » au pluriel car, face à ce droit pénal de
l’imprudence, bien que le chef d’entreprise soit le plus souvent poursuivi, les salariés le
peuvent être également, en raison d’une conception particulièrement large de la causalité.
Cette causalité a été redéfinie par la loi Fauchon du 10 juillet 2000, qui a conduit à la
disparition de l’unité des fautes civiles et pénales. En effet, s'agissant de l’auteur indirect,
c'est-à-dire de celui qui a seulement contribué à la survenance du dommage, la responsabilité
pénale suppose d’établir qu’il a commis une faute d’imprudence qualifiée. Cette dernière est
définie ainsi par l’article 121-3 du Code pénal, qui a pour objet de définir l’élément moral de
l’infraction : « faute caractérisée ou manquement délibéré à une obligation de sécurité ».
Les décideurs publics ou privés ont été très rapidement rangés dans la catégorie des auteurs
indirects par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, ce qui a généré nombre de
problèmes quant aux relations entre personnes physiques et morales. Aujourd'hui, c’est la
notion de « faute caractérisée » qui tend à monopoliser le contentieux, car sa mise en évidence
induit une moindre exigence pour les juges du fond auxquels la Cour de cassation demande de
rechercher si, en s’abstenant de veiller personnellement à la stricte et constante application de
la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité, la personne poursuivie n’a pas commis
une telle faute.
Malgré la volonté affichée par les auteurs de la réforme de 2000 de subordonner la
responsabilité des décideurs à des fautes d’une certaine gravité, il peut aujourd'hui être
affirmé, après dix ans de recul, que la faute caractérisée peut parfaitement être constituée par
la violation d’une règle de sécurité du travail imposée par un texte. Cela conduit à une grande
continuité des solutions entre l’avant et l’après de l’intervention législative.
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Néanmoins, ne soyons pas trop systématique dans nos conclusions. Certaines personnes
physiques sont parfois relaxées, ce qui met en évidence une différence de traitement entre
celles-ci et les personnes morales, qui ne sont pas concernées par le système de la loi
Fauchon.
1.2 . Travail illégal
La deuxième famille d’infractions comprend celles qui défendent une conception évoluée de
l’emploi, lequel doit d’abord être déclaré. A défaut, le délit de travail dissimulé est constitué.
L’emploi doit également être exempt de précarité, et ne pas se prêter à des opérations
préjudiciables à la personne qui l’occupe. Dans le cas contraire, il s’agit d’un délit de prêt
illicite de main-d’œuvre ou d’un délit de marchandage, c'est-à-dire d’une opération à trois
personnes dont le but lucratif est révélateur de la recherche d’un profit, ou d’une économie
pour l’une ou l’autre des entreprises concernées, ou pour les deux, ce qui conduit, via le
concept de « concert frauduleux », à des condamnations pénales cumulées.
Par la loi Cherpion du 28 juillet 2011, le législateur s’est efforcé de mettre un peu d’ordre
dans une matière passablement confuse. En effet, le juge pénal a parfois pris des positions
extrêmes en définissant le but lucratif à partir du caractère simplement onéreux de la
fourniture de main-d’œuvre, alors qu’à côté du prêt à titre gratuit, pour lequel le problème ne
se pose pas, il existe notamment la formule de prêt à prix coûtant, selon laquelle l’utilisateur
de la main-d’œuvre se borne à rembourser à l’entité employeur les salaires et les charges
sociales afférents à la main-d’œuvre prêtée. Cette pratique ne semble pas avoir été la cible du
législateur pénal lorsqu’il a défini ces infractions.
Pour autant, la définition en négatif du but lucratif élaborée par la loi Cherpion n’élimine pas
tout risque pénal. Il n’est que de songer à certaines affaires emblématiques telles que celle de
la Comex. Les dirigeants des sociétés concernées ont tenté de démontrer le prêt de maind’œuvre à prix coûtant, mais ils ont été condamnés sur la base du constat de la fraude à la loi
française réalisée par la création d’une filiale implantée en Suisse. Celle-ci n’avait d’autre rôle
que de fournir à la société mère française une main-d’œuvre juridiquement délocalisée et
assujettie à la loi moins favorable du travail suisse. C’est pourquoi le juge pénal a qualifié
cette filiale de « coquille vide », ce qui offre des perspectives d’analyse qui ne paraissent pas
être totalement asséchées par la loi Cherpion. Je ne développe pas plus avant, car nous
pourrons revenir tout à l’heure sur ces infractions techniques assez arides à décrire.
1.3 . Représentation des salariés
Le troisième groupe infractionnel vivant concerne les entraves au droit collectif de
représentation des salariés dans l’entreprise, dits « entraves aux IRP ». Cette matière est
étrange pour les pénalistes, car le principe de légalité et sa projection européenne – dans la
Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme, porteuse de l’exigence d’une
incrimination claire et précise – sont de prime abord quelque peu mis à mal par les tribunaux
français, sous le regard bienveillant de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
D’aucuns repondront qu’il n’y a là aucune malignité à l’encontre des employeurs, et que la
méthode d’interprétation déclarative ou téléologique, qui vise à donner toute leur portée aux
textes répressifs, n’est pas contraire aux principes de l’interprétation stricte de la loi pénale.
Les pénalistes sont surpris, donc, mais se résignent.
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Les travaillistes sont quant à eux étonnés par le contentieux que génèrent les délits d’entrave.
En effet, en raison des lacunes et imprécisions du droit de la représentation des salariés dans
l’entreprise, le juge pénal, bien souvent saisi en premier par la constitution de partie civile
d’un syndicat ou d’une IRP, doit dire au préalable ce que contient la règle extra pénale dont la
violation est invoquée comme constituant l’élément matériel de l’infraction. Ce travail
préalable ne prend tout son sens que s’il est approuvé par la Chambre criminelle, mais
nombreuses sont les hypothèses dans lesquelles les juges du fond et le juge du droit sont en
phase. C’est pourquoi la jurisprudence criminelle se pose souvent aujourd'hui en véritable
source du droit du travail, et non pas seulement du droit pénal du travail. Les exemples
abondent, de l'arrêt de la Chambre criminelle du 23 avril 1970, qui a posé la première pierre
de l’UES, à la définition de ce qu’il faut entendre par « consultation authentique » du Comité
d’entreprise. La jurisprudence sur l’entrave, source de droit du travail parfois divergente de
celle de la Chambre sociale, a pu faire écrire jadis que la Chambre criminelle était plus sociale
que la Chambre sociale, ce qui n’est plus le cas aujourd'hui. Désormais, il est effectivement
très fréquent que les deux chambres adoptent des réponses identiques.
Il arrive cependant que le juge pénal se trouve devant une page blanche. C’est le cas lorsqu’il
est confronté à un aspect particulier des infractions d’entraves, à savoir l’application de la loi
pénale française à des faits d’entrave qui présentent un caractère plus ou moins marqué
d’extranéité. Dans ces cas, la compétence territoriale du juge pénal est en question. Certaines
instances de représentation des salariés reposent en effet sur une réalité extraterritoriale
accentuée, à commencer par les Comités d’Entreprises Européens. Nous pouvons nous
demander ce qu’il adviendrait en cas de poursuites engagées contre le représentant français de
la direction centrale d’un groupe de dimension communautaire, dont le siège de la société
dominante est localisé hors du territoire de l’Union Européenne. Ce représentant pourrait-il
invoquer pour sa défense que la non-fourniture d’informations pertinentes qui lui est
reprochée est imputable à la seule direction centrale, sur laquelle il n’a aucune prise ?
En se référant aux principes généraux relatifs à l’application de la loi pénale dans l’espace, il
apparaît que le juge national dispose d’assez larges possibilités pour appliquer la loi française
à des entraves partiellement matérialisées hors du territoire national. L’hypothèse est du reste
réversible, ainsi qu’en témoigne l’affaire Renault Vilvorde et la condamnation du président de
la société dominante de l’époque par l’homologue belge du tribunal correctionnel français.
J’aurais souhaité évoquer ici l’affaire Marks & Spencer, car il s’agit d’une autre illustration de
ce qu’il est possible pour la loi française d’aller bien au-delà d’une frontière pour trouver un
responsable pénal. Peut-être y reviendrons-nous plus tard.
1.4 . Atteintes à la dignité
Les atteintes à la dignité constituent le quatrième pilier sur lequel repose le droit pénal du
travail. C’est le plus jeune mais le plus médiatisé, car les infractions qui s’y rattachent
regroupent largement des enjeux sociétaux, qui vont se renforçant. Les atteintes à la dignité
s’appuient sur deux qualifications pénales principales, à savoir la discrimination et le
harcèlement, tant sexuel que moral.
La dimension pénale de la discrimination dans l’emploi est une spécificité française par
rapport à l’approche européenne, peu attirée par les problématiques répressives. Les
incriminations reposent sur le Code du travail et sur le Code pénal, avec de très fortes
distorsions dans les définitions des comportements illicites et dans l’échelle des peines
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applicables. Selon le Code du travail, la discrimination est passible de 3 750 euros d’amende,
et éventuellement d’un an d’emprisonnement pour le motif sexiste à l’exclusion du motif
syndical. En effet, le Code du travail n’envisage que deux motifs illicites de discrimination.
En revanche, selon le Code pénal, la discrimination est passible de 45 000 euros d’amende et
de trois ans d’emprisonnement pour les personnes physiques. S'agissant des personnes
morales, l’amende est portée au quintuple.
Il existe un recoupement partiel entre les deux délits de discrimination sexiste et de
discrimination syndicale. L’un et l’autre sont punis théoriquement par les deux codes, mais il
faut convenir que la menace pénale qui procède du Code du travail est relativement faible, car
elle se limite à deux motifs discriminatoires. Elle fait en outre l’objet d’une répression plus
que mesurée, alors qu’à considérer l’article 225-1 du Code pénal, 18 motifs sont susceptibles
d’être le point de départ de poursuites - à la condition que, pour chacun d’entre eux, les actes
ou comportements incriminés correspondent à la définition qu’en donne l’article 225-2. Or,
s'agissant de la discrimination dans l’emploi, l’énumération opérée par cet article est pauvre.
Elle se limite, dans son paragraphe 3, à la trilogie refus d’embauche/sanction
disciplinaire/licenciement, et accessoirement, au paragraphe 5, aux refus de formation, de
stages ou d’offres d’emploi. Ces définitions laissent de côté de nombreux comportements, qui
sont pourtant loin d’être secondaires, par exemple la réduction de la rémunération ou le
freinage de carrière.
C’est certainement ce décalage entre les motifs et les actes qui explique la jurisprudence
audacieuse de la Chambre criminelle couronnée par son arrêt Michelin du 28 avril 2009. Elle
approuve en effet une condamnation prise sur la base de l’article 225-2 du Code pénal, alors
que l’élément matériel du délit consiste en une privation partielle de rémunération. Celle-ci, je
le rappelle derechef, ne fait pas partie de la liste légale des comportements punissables définis
aux paragraphes 3 et 5 de l’article.
Ceci a eu pour résultat une relecture du terme de « sanction » utilisé dans le paragraphe 3 de
l’article 225-2, dont la Chambre criminelle nous dit, dans l’arrêt précité, qu’elle consiste en
« toute décision de l’employeur affectant la carrière ou la rémunération d’un salarié, dès lors
qu’elle ne trouve aucune justification objective dans l’exercice normal du pouvoir de
direction ». Vous pouvez constater qu’il s’agit d’une définition extrêmement large de la
sanction disciplinaire.
Selon les chiffres de l’ex-HALDE, la discrimination dans l’emploi, dont l’incrimination est
complexe, représenterait plus de la moitié du total des discriminations. L’atteinte à la dignité
trouve également à s’exprimer dans la notion pénale de harcèlement, qu’il soit sexuel ou
moral.
La notion de harcèlement sexuel a évolué récemment à la suite de l’abrogation de l’article
222-33 du Code pénal dans sa version antérieure à la loi du 6 août 2012. Je ne me lancerai pas
dans un commentaire de la nouvelle incrimination. Observons simplement qu’elle a gagné en
précision, ce qui était le but avoué de la décision de censure du Conseil constitutionnel, mais
également en puissance. En effet, les peines ont été aggravées et l’élément matériel de
l’infraction a été étendu. Celui-ci recouvre désormais le harcèlement sexuel proprement dit,
c'est-à-dire « les comportements ou propos à connotation sexuelle » (article 222.33-1 du Code
pénal), mais également le « harcèlement sexuel par assimilation » (article 222.33-2 du Code
pénal), soit une « forme aggravée de harcèlement résidant dans le fait, même non répété,
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d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de
nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou d’un tiers ».
La circulaire du 7 août 2012 apporte des précisions importantes sur ces nouvelles définitions,
par exemple s'agissant de circonstances aggravantes telle que celle tirée d’un abus d’autorité
dans les fonctions exercées par l’auteur des agissements. Il me semble que ceci concerne au
premier chef l’entreprise et la subordination juridique. Il est dit à ce sujet que, dans la mesure
où le harcèlement prend cette forme à l’égard d’un apprenti ou d’un stagiaire, la circonstance
aggravante peut être retenue, car c’est non seulement l’employeur mais également les autres
salariés de l’entreprise qui disposent de fonctions d’autorité à l’égard de la victime. L’échelle
des peines augmente dans ce cas, s’élevant à 45 000 euros d’amende et trois ans
d’emprisonnement.
D’un point de vue pénal, il est remarquable de constater que le nouveau dispositif établit un
lien entre le harcèlement et la discrimination. Le délit général de l’article 225-1 du Code pénal
est en quelque sorte étendu à la différence de traitement consécutive à un harcèlement sexuel
ou moral.
Le délit de harcèlement moral coule des jours plus tranquilles, notamment depuis que la Cour
de cassation a refusé de transmettre la QPC remettant en cause sa définition au Conseil
constitutionnel. Dans l’arrêt du 11 juillet 2012, ce refus est étayé de la façon suivante « il n’y
a pas lieu de soumettre à nouveau les dispositions de l’article 222-33-2 du Code pénal, qui
définissent le harcèlement moral à son examen en l’absence de changements intervenus,
depuis la précédente décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les
circonstances, de droit ou de fait, de nature à affecter la portée des dispositions législatives
critiquées ».
Il est vrai que, à la différence du harcèlement sexuel, l’article 222-33-2 du Code pénal est
porteur d’une définition circonstanciée de la notion de harcèlement moral. Il énonce en effet
que « le fait de fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour
effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à
sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir
professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende ». Il s’agit
d’une pénalité nouvelle issue de la loi du 6 août 2012 s’expliquant par un souci
d’harmonisation avec le harcèlement sexuel.
Ce n’est toutefois pas la seule modification résultant de cette loi. Désormais, lorsque la
victime est un salarié, la répression du harcèlement moral repose uniquement sur l’article 22333-2 du Code pénal et non plus, comme auparavant, sur l’article L.1155-2 du Code du travail.
Ce dernier article n’est cependant pas sans fonction. Il a en effet dorénavant pour rôle de
réprimer les discriminations dans le travail commises à l’égard d’un salarié qui a subi ou a
refusé de subir un harcèlement moral, ou qui a témoigné sur de tels faits. Nous retrouvons là
la même règle que s'agissant du harcèlement sexuel, à savoir la différence de traitement
prenant appui sur un harcèlement moral ou sexuel, subi ou refusé.
Le contentieux pénal a déjà livré des précisions utiles sur l’élément matériel de l’infraction de
harcèlement moral. Je citerai par exemple l’arrêt de la Chambre criminelle du 15 mars 2011,
qui livre une hypothèse très pure du harcèlement moral. Celle-ci repose sur des colères, des
vexations, des humiliations de l’employeur à l’égard d’un salarié, auquel est imposée
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également une surcharge de travail l’obligeant à être disponible même en dehors de ses heures
de travail.
A travers cette affaire, nous constatons la possibilité d’une double matérialité de l’infraction
de harcèlement moral, constituée à la fois d’agressivité caractérielle, mais également de
comportements plus froids se rattachant à un rôle d’autorité. Nous touchons là à la délicate
question du harcèlement managérial qui, lorsqu’il est générateur de stress, entraîne des risques
psychosociaux dont les conséquences peuvent être dramatiques. En effet, après une période de
flottement, le droit pénal du harcèlement moral paraît s’orienter vers la prise en compte de ces
situations par nature collectives. Cette orientation s’assortit néanmoins d’une réserve, à savoir
que l’incrimination ne dégénère pas en délit d’imprudence. Cette précaution n’a pas à être
respectée par la Chambre sociale, mais elle s’impose en revanche au juge pénal.
Je pense que, pour le harcèlement managérial, le point névralgique n’est pas tant l’élément
matériel du délit, en l’occurrence une méthode ou une décision pathogène, que son élément
moral intentionnel, par application de l’article 121-3 du Code pénal exigeant une intention par
principe. Le terme « intentionnel » est toutefois susceptible d’avoir plusieurs acceptions en
droit pénal. Il ne coïncide pas nécessairement avec la recherche d’un dol spécial, qui serait en
l’espèce une intention de nuire à autrui. Une démarche pertinente consiste à se positionner par
rapport aux infractions de violences volontaires, lesquelles peuvent être psychologiques ou
physiques.
A travers quelques exemples tels que la qualification de violences inscrite dans l’article 22233-2-1 du Code pénal issue de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences conjugales, il est
clair que l’infraction est constituée dès qu’il existe un acte initial de violence, quel que soit le
mobile qui l’a inspiré, alors même que son auteur n’aurait pas voulu causer le dommage qui
en est résulté. L’intention d’obtenir le résultat n’est donc pas nécessaire dans cette conception
de l’élément intentionnel, ce qui permet d’écarter l’exigence de l’intention de nuire en tant
qu’élément psychologique constitutif.
Je pourrais évoquer d’autres décisions de jurisprudence, par exemple le jugement du tribunal
correctionnel de Paris du 25 octobre 2002 dans l’affaire Canal+. Celui-ci avait adopté une
conception très stricte de l’élément moral, qui parait aujourd'hui dépassée. Je pourrais
également citer une affaire jugée le 7 juillet 2010. Cette dernière était relative au suicide d’un
directeur dont le supérieur hiérarchique avait mis en place sciemment une organisation et une
gestion engendrant une négation de l’échelon parisien qu’il occupait. Nous sommes déjà là en
présence d’une conception beaucoup plus libérale de l’intention. Je conclurai en soulignant le
très important potentiel que recèle cette qualification, y compris dans sa dimension pénale.
2. Une responsabilité pour quelles personnes ?
Cette deuxième partie sera plus courte, et laissera peut-être davantage place à la discussion.
Nous sommes ici confrontés à un diptyque : d’un côté les personnes physiques,
essentiellement les décideurs, si mal nommés « employeurs » dans les textes répressifs issus
de la recodification du Code du travail, et de l’autre les personnes morales, c'est-à-dire les
vrais employeurs au sens contractuel du terme. Les règles de détermination du responsable de
l’infraction sont très différentes selon que les premiers ou les seconds sont considérés. De
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nature essentiellement prétorienne en ce qui concerne les décideurs, ces règles trouvent une
assise légale explicite s'agissant des personnes morales. Le législateur de 1992 n’a pas pour
autant été particulièrement bavard car, en réalité, tout tient dans l’article 121-2 du Code pénal.
Ce texte fondamental aborde le domaine de la responsabilité, énonce les conditions de celleci, et enfin esquisse un rapprochement avec le sort pénal des personnes physiques poursuivies
pour les mêmes infractions.
Nous pouvons relever le paradoxe suivant : les solutions relatives aux décideurs ont plus de
cent ans d’âge, mais la jurisprudence qui les a énoncées n’a jamais été démentie. Il semble
que les juges, singulièrement ceux qui siègent à la Chambre criminelle de la Cour de
cassation, adhèrent massivement, génération après génération, à ce qui fut mis au point et
développé par leurs prédécesseurs. Nous pourrions même aller jusqu’à dire que chaque
génération apporte une nouvelle pierre jurisprudentielle à l’édifice : supra-délégation dans les
groupes, subdélégation, etc.
En revanche, les solutions concernant les personnes morales sont récentes – la première
jurisprudence interprétative a quinze ans. Cependant, si nous en croyons les arrêts rendus, elle
est déjà pour partie obsolète. Nous sommes à l’heure des revirements et des remises en cause
de la conception même de la responsabilité pénale, au sujet de laquelle l’interrogation est
d’abord, il me semble, de nature philosophique.
La personne morale peut-elle désigner un être collectif doté d’une volonté propre, à l’image
des individus, ce qui se formule juridiquement dans la fameuse théorie de la réalité des
personnes morales ? Est-elle une simple construction juridique artificielle, ce qui correspond à
la théorie de la fiction ? Ces questions d’ordre pré-juridique n’ont probablement pas fait
l’objet de réflexions suffisantes avant l’adoption du principe de la responsabilité des
personnes morales en 1992. J’ai le sentiment que la Commission de réforme du Code pénal,
qui a beaucoup inspiré le législateur, croyait en l’existence d’une délinquance propre des
groupements, et adhérait donc plutôt à la théorie de la réalité des personnes morales.
2.1 . Personnes physiques
Les règles qui concernent les personnes physiques sont connues. Elles ne sont pas propres au
droit pénal du travail, même si celui-ci a substantiellement contribué à leur formulation,
particulièrement à travers les infractions d’imprudence relatives à la violation des obligations
de sécurité.
Il me paraît intéressant de relever, à partir de quelques exemples topiques, la vitalité de ce
dispositif pénal. Il a peut-être été considéré un peu rapidement qu’il serait rendu obsolète par
le développement de la responsabilité des groupements.
Je dois tout d’abord rappeler la concentration initiale de la responsabilité pénale sur la
personne du chef d’entreprise, qualité variable selon le type de sociétés concernées.
L’infraction remonte. Les juges n’ont jamais voulu chercher par eux-mêmes si ses
responsables se situaient à un niveau hiérarchique intermédiaire. S’agit-il d’une présomption
de responsabilité, comme cela a parfois été prétendu ? Nous pouvons parler différemment
d’une présomption d’autorité, surtout si nous pensons que la responsabilité pénale s’explique
par le pouvoir exercé sur autrui. Dans ce domaine, le juriste travailliste, familier de la
subordination et de ses effets, est certainement plus à l’aise que les autres pour comprendre la
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logique d’imputation des infractions, particulièrement si celles-ci sont de nature non
intentionnelle et si elles se rapportent par nature à la vie interne ou externe des entreprises.
Cependant, même s'agissant des infractions intentionnelles, le raisonnement en termes
d’autorité a un sens à chaque fois que l’obligation légale violée, qui matérialise l’infraction, a
pour auteur désigné la personne qui détient le pouvoir. Il demeure simplement à vérifier, au
cas particulier, que la personne mise en cause a bien eu un comportement personnel
expliquant l’infraction.
Pour résumer le système, celui-ci repose sur un responsable initial dans la personne du
décideur principal, dont la faute pénale est conçue elle-même de manière large, en fonction de
de ses capacités décisionnelles.
Il existe des formules célèbres qui n’ont pas été érodées par le temps. L’arrêt du 23 novembre
1950 de la Cour de cassation énonce que « la responsabilité pénale du dirigeant doit être
retenue car l’ouvrier chargé de diriger la manœuvre n’est pas exclusive de celle du chef
d’entreprise, à qui il incombait personnellement de veiller à la stricte application par ses
subordonnés des prescriptions légales ou réglementaires destinées à assurer la sécurité du
personnel ». Selon l’arrêt de 2006 : « l’indisponibilité du dirigeant n’a pas pour effet de le
soustraire à son obligation de veiller personnellement à la stricte et constante exécution des
dispositions édictées par le Code du travail en l’absence de toute délégation de pouvoir à un
préposé dans des conditions de nature à le décharger de sa responsabilité ». La dernière
partie de la phrase a une grande importance.
En effet, depuis 1902, la jurisprudence compense la sévérité de l’approche de la faute pénale
du chef d’entreprise par la possibilité de transférer la responsabilité sur une autre personne
physique, à savoir le délégataire assumant la responsabilité pénale à la place du déléguant.
S’il l’assume, c’est à la seule condition d’être le débiteur de l’obligation légale violée, et non
pas parce qu’il aurait reçu un mandat l’instituant représentant du chef d’entreprise. Dans ce
domaine règne l’ordre public le plus absolu. Il n’existe pas de place pour la volonté
contractuelle. Les fameuses conditions de validité de la délégation pénale de pouvoirs, qui
exonèrent le chef d’entreprise, sont toutes conçues pour vérifier que le délégataire est bien
devenu le débiteur de l’obligation légale dans tel ou tel domaine ou telle ou telle partie de
l’entreprise.
Il est donc loisible de constater que ces mécanismes de transfert ou de substitution sont d’une
très grande plasticité. Leur faculté d’adaptation à la réalité économique et sociale semble
considérable. Il a d’abord été exigé du délégataire qu’il soit techniquement compétent, puis
cette condition a migré vers le savoir juridique. Nul doute que, s'agissant des infractions liées
à la dimension administrative de l’entreprise, la délégation confiée aux DRH repose tout
entière sur cette compétence juridique. Ce point sera vérifié par le juge en cas de poursuites,
sans aucune possibilité d’invoquer une simple délégation tacite déduite du titre ou des
fonctions. Il existe là un point de divergence avec la délégation de pouvoirs telle
qu’apparaissant dans le contentieux social, notamment celui qui concerne l’exercice délégué
du droit de licenciement.
Ces dispositions ont également une grande capacité d’adaptation à la réalité des groupes, ou
encore au travail mené temporairement en commun par plusieurs entreprises pour
l’accomplissement d’une même tâche. La supra-délégation est aujourd'hui admise, bien que
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certaines zones d’ombres demeurent, notamment concernant la pertinence des habilitations
venant des entités non employeurs.
La capacité d’adaptation de ces dispositions est également importante à l’autre bout du
spectre, c'est-à-dire lorsque l’entreprise est unique, mais complexe et de grande taille. La
subdélégation, normalisée et banalisée depuis les années 1990, mériterait à elle seule un
exposé. Elle soulève en effet un certain nombre de questions, compte tenu de l’effet de
cascade qu’elle induit, et de la chute du responsable vers le bas de la hiérarchie, avec moins
d’autonomie, moins de contreparties et moins de moyens. Je laisse de côté ce point, sur lequel
nous pourrons revenir.
L’entrée en lice des personnes morales aurait pu reléguer ce dispositif prétorien – remarquons
qu’il n’est peut-être plus tout à fait prétorien car, depuis 2011, l’article L.4741-1 du Code du
travail vise expressément le délégataire. Or, il n’en est rien, car les personnes physiques sont
toujours poursuivies en fonction des procès-verbaux des inspecteurs du travail et des
décisions des parquets.
La circulaire d’accompagnement de la loi Perben II du 13 février 2006, qui généralise la
responsabilité des personnes morales, a bien tenté de mettre de l’ordre dans les poursuites. Par
exemple, elle réserve les possibilités de cumul à certaines infractions intentionnelles, ou
relatives à des imprudences graves, préconisant la poursuite de la seule personne morale pour
les infractions moins graves. Cependant, nous ne pouvons pas dire que le Garde des Sceaux
de l’époque ait été entendu sur ces points. D’une certaine manière, ce fait est compréhensible,
car la loi cherche à développer la prévention. Or, celle-ci repose sur la vigilance humaine. En
quoi le fait, pour un délégataire, de ne pas faire utiliser le matériel de chantier conforme qui
lui a été livré révèle-t-il une délinquance propre à la personne morale, qui permettrait de
mettre hors de cause la personne physique auteur immédiat des faits ?
2.2 . Personnes morales
Selon l’article 121-2 du Code pénal, l’infraction, pour être imputable à la personne morale,
doit avoir été accomplie par un organe ou un représentant pour le compte d’un groupement.
Tout ne peut donc aller vers la personne morale. L’obstacle ne réside pas dans la première
condition, car aussi bien le chef d’entreprise que le délégataire ont été assimilés à des organes
ou à des représentants au sens pénal - même si d’aucuns contestent vivement cette
assimilation et appellent de leurs vœux à un revirement. La difficulté résiderait davantage
dans la deuxième condition, à savoir une infraction commise pour le compte de la personne
morale, ce qui signifie a minima que l’infraction n’est pas imputable si le décideur l’a
commise pour satisfaire ses propres intérêts. Elle ne devrait pas plus être imputable si une
convergence d’intérêts avec ceux de la personne morale n’est pas constatée.
C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles la Chambre criminelle, par l’arrêt du
11 avril 2012, a abandonné sa jurisprudence sur l’arrêt Solac de 2006. Ce dernier concernait
l’anonymisation de l’organe ou du représentant toutes les fois que l’infraction supposait que
seul un organe, ou un représentant, ait pu commettre les faits. Cet arrêt du 11 avril 2012 a été
rendu en matière d’infractions d’imprudence mais semble avoir une portée plus large. La
Cour de cassation est donc revenue à une exigence d’identification précise et concrète de la
personne physique. Il s’agit de pouvoir vérifier que tous les éléments du délit sont bien réunis
sur la tête de celle-ci, et de mieux apprécier la cohérence, que semble exiger la loi, entre
intérêt du groupement et comportement du décideur.
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Je conclurai en disant que rien n’est simple en cette matière. A supposer que la coïncidence
entre les deux types de responsabilité soit souhaitée, encore faut-il tenir compte de contraintes
particulières issues d’évolutions parallèles du droit pénal. Souvenons-nous à cet égard de la
loi Fauchon et de la distinction qu’elle consacre entre auteur direct et auteur indirect de la
faute d’imprudence qui cause le dommage. Cette distinction ne vaut que pour les personnes
physiques, si bien que l’organe et le représentant étant quasiment toujours réputés auteurs
indirects, ils sont relaxés si leur faute caractérisée n’est pas prouvée. En revanche, en cas
d’imprudence simple, la personne morale peut être condamnée ou, du moins, ne fait pas
l’objet d’une relaxe au motif que son organe ou son représentant en a bénéficié. L’arrêt de la
Chambre criminelle du 2 octobre 2012 qui rappelle cette règle et dévoile ainsi un aspect
moins instable du régime de la responsabilité pénale des personnes morales.
Je n’ai pas évoqué la constatation des infractions et le rôle central que jouent les inspecteurs
du travail en la matière, ni les tentatives d’encadrement de cette fonction policière par la loi
Warsmann – une lettre d’information doit désormais être adressée aux personnes qui font
l’objet d’un procès-verbal. Je n’ai pas non plus parlé des initiatives procédurales des victimes,
ni de l’importance de l’action en défense des intérêts collectifs de la profession par les
syndicats au pénal, ni de la mesure des peines, du sursis, du cumul, de la récidive, etc. Enfin,
je ne me suis pas davantage exprimé sur des infractions telles que l’entrave à la liberté du
travail, les contraventions sur le salaire minimum, le droit pénal des CDD, ou encore les
conventions collectives. Néanmoins, j’espère vous avoir apporté quelques lumières sur le
droit pénal du travail. Je vous remercie.
Francis KESSLER
Je te remercie pour cette très riche excursion à l’intersection entre « l’iceberg et la forêt
tropicale ». Sans trop entrer dans les détails techniques, tu as bien fait ressortir la nécessité
d’organiser les deux codes de lois l’un par rapport à l’autre. J’ai été particulièrement
impressionné par ton rappel de l’impact des définitions données par la jurisprudence
criminelle en droit du travail, notamment en ce qui concerne la nouvelle définition de la
sanction. J’ai également apprécié que tu aies souligné, s'agissant des infractions imputées à la
personne du chef d’entreprise ou du décideur, toute la difficulté qu’il y a à identifier ce
dernier dans les organisations complexes.
La parole est à présent à la salle, librement.
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III. Discussion
De la SALLE
Votre exposé remet en cause un certain nombre de pratiques par rapport à la période où j’étais
amené à en faire usage. A cette époque, m’inspirant des travaux de Nicole Catala, j’ai élaboré
des modèles de délégation de pouvoirs. Ceux-ci avaient beaucoup d’importance, notamment
pour les responsables de sécurité qui endossaient l’ensemble de responsabilités à la place du
chef d’entreprise. Je voudrais savoir ce qu’il en est actuellement dans ce domaine.
Alain CŒURET
Si je comprends bien, votre question porte particulièrement sur les conditions de validité des
délégations. Il existe la trilogie classique, répétée au fil des centaines d’arrêts de la Chambre
criminelle, selon laquelle le délégué détient la compétence, l’autorité, et les moyens. Ces trois
termes paraissent précis mais sont en réalité extrêmement vagues, compte tenu de l’extrême
diversité des situations concrètes dans lesquelles les délégations sont susceptibles d’être
employées. En effet, qu’y a-t-il de commun entre les délégations conférées aux chefs de
chantier dans les petites entreprises du bâtiment et la délégation transversale d’un DRH, qui
gère tous les métiers à l’échelle d’une entreprise ou d’un groupe ? Ce point amène à
s’interroger sur la question de la supra délégation, ainsi sur la manière, satisfaisante ou non,
dont un DRH est investi des pouvoirs pour l’ensemble des personnels d’un groupe.
Il est difficile d’entrer dans le détail sans s’appuyer sur un exemple concret. Que puis-je vous
dire de l’autorité ? L’autorité n’est pas le leadership. Elle réside dans des prérogatives
institutionnelles et toutes leurs composantes : pouvoir de direction, pouvoir disciplinaire,
pouvoir réglementaire.
Somme toute, le « message subliminal » de la Chambre criminelle consiste à dire qu’un
délégataire est un salarié préposé. Pour mener à bien sa mission de gardien de la légalité, il ne
doit pas hésiter à exercer l’autorité sur ses collègues. Or, d’aucuns estiment qu’il ne revient
pas à un salarié de commander d’autres salariés ou de les sanctionner, mais aux dirigeants de
l’entreprise. Depuis très longtemps cependant, les juges pénaux croient en la possibilité de
répartir l’autorité dans les différents niveaux d’organisation de l’entreprise. Ils considèrent
donc que l’autorité n’est pas réservée à l’employeur ou au chef d’entreprise, et parient sur
l’effectivité de l’autorité quel que soit son niveau de répartition. Pourtant, il me semble que,
dans les situations où il est amené à faire respecter son autorité, l’action d’un délégataire peut
parfois être limitée par la culture d’entreprise ou de la branche professionnelle.
Le phénomène des subdélégations a peut-être aggravé encore le problème de l’exercice
effectif de l’autorité à l’égard des autres membres de l’entreprise. Il serait intéressant
d’entendre des témoignages de praticiens sur ce point. Je suis très séduit par les mécanismes
de délégation de pouvoir. Je sais néanmoins que certaines personnes estiment qu’elles
contribuent à désigner le lampiste, et qu’elles sont une sorte de leurre mis en place par les
juges.
Voici les différentes pistes que je puis vous soumettre pour essayer de répondre à votre
question, et peut-être susciter d’autres remarques.
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De la SALLE
Je vous remercie pour votre exposé. J’ai été, au cours de ma carrière professionnelle, l’objet
de procédures pénales en tant que directeur de caisse de Sécurité Sociale, et j’ai par ailleurs
conduit bon nombre de procédures.
A l’instar de beaucoup, je reste dubitatif quant à la notion de responsabilité pénale des
personnes morales. Il me semble en effet que ces dernières sont dénuées de réalité et, partant,
d’intentions. Pour autant, je ne suis pas favorable à leur suppression, car il est pratique
d’utiliser des fictions juridiques. Néanmoins, le problème de la peine des personnes morales
se pose. Elle est nécessairement d’ordre financier, puisque les cellules de prison pour
personnes morales n’existent pas. Or, si une personne morale est punie sur le plan pénal, qui
est réellement puni ? Cette question interroge sur ce qu’est une entreprise. Il existe un grand
flou juridique sur ce sujet. Une société peut être vue comme se réduisant à ses actionnaires,
car ils détiennent le pouvoir. Cependant, si une sanction financière est appliquée à une
entreprise, les actionnaires seront certes punis par l’appauvrissement de celle-ci, mais ses
autres parties prenantes souffriront davantage. C’est ce qu’illustre l’affaire Spanghero.
C’est pourquoi je pense que l’acquittement d’une sanction financière ne devrait pas être
supporté par les comptes d’une société, mais par ceux qui dirigent celle-ci, en l’occurrence ses
actionnaires. En cas d’impayé, ils devraient céder leurs titres de propriété.
Alain CŒURET
Je vous remercie pour cette question, qui aborde un autre aspect de la responsabilité des
personnes morales. Je crois comprendre que vous êtes très sceptique quant à cette notion, et
que vous suggérez de faire porter la responsabilité des infractions sur une ou plusieurs
personnes physiques. Votre intervention recoupe néanmoins mes précédents propos : avant
même de commenter les règles de droit, il faut prendre position de manière philosophique sur
ce qui paraît être juste et raisonnable. Peut-être sommes-nous confrontés à des errements
jurisprudentiels par défaut de réflexion philosophique.
Pour vous répondre plus précisément, si nous adoptions jusqu’au bout votre suggestion, nous
aboutirions à un retour à la situation antérieure, c'est-à-dire l’absence de responsabilité pénale
des personnes morales. Si je vous ai bien compris, il existerait certes un système de solidarité
entre personnes physiques et personnes morales, car ces dernières assumeraient la peine
prononcée à l’encontre des personnes physiques. Toutefois, fondamentalement, ce sont les
personnes physiques qui seraient responsables de l’infraction.
Ce débat a eu lieu avant l’élaboration de la loi de 1992. Il s’est plutôt soldé par l’échec des
partisans de la fiction juridique, dont vous êtes certainement, et la victoire de ceux qui pensent
que la délinquance d’un groupement n’est pas exactement similaire à celle d’un individu. De
ce fait, ils estiment qu’il faut punir la volonté collective, et que celle-ci est sociologiquement
distincte de celle d’une personne. Votre question est donc à la croisée des conceptions
fondamentales de ceux qui croient à la fiction juridique et de ceux qui n’y croient pas
Je souhaite néanmoins apporter deux précisions quant à la contagion des effets d’une
sanction. D’une part, l’une des dispositions du Code du travail vise à éviter que la
condamnation d’un chef d’entreprise ou d’un employeur ne se répercute directement sur
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Rencontre du 19 février 2013 - Le droit pénal du travail
l’emploi des salariés. Il s'agit d’une règle ancienne, dont il faudrait vérifier qu’elle est
vraiment de nature à faire barrage aux conséquences des condamnations des personnes
morales. Pour ma part, je ne le pense pas.
D’autre part, une disposition adoptée en 1992, mais passée un peu inaperçue, consiste à
confier aux procureurs une sorte de mission d’audition des représentants du personnel d’une
entreprise en cas de poursuite contre leur personne morale employeur. Il s’agit pour le
procureur d’apprécier le climat social d’une entreprise et les conséquences d’une éventuelle
condamnation de la personne morale. Aucune sanction juridique n’étant prévue pour garantir
le respect de cette règle, je suppose qu’elle est tombée en désuétude. Elle est inscrite dans le
Code pénal, mais je n’ai pas connaissance qu’elle soit appliquée. Sans doute faudrait-il
interroger les membres du Ministère public à ce sujet, car cette règle me paraît très
intéressante pour éviter que les répercussions d’une condamnation pénale d’une personne
morale ne pèsent trop lourdement sur les salariés. Je doute cependant qu’elle vous séduise, car
vous estimez certainement qu’il n’est pas fondé d’en arriver jusque-là.
De la SALLE
Je pense à l’anecdote selon laquelle les cochers de fiacre se battaient en fouettant les clients
de leurs collègues.
De la SALLE
Ma question porte sur la discrimination, le délit d’entrave, le harcèlement moral et la rupture
conventionnelle. J’ai assisté hier à un colloque dédié au licenciement des salariés protégés
organisé par le Barreau. Les inspecteurs du travail présents ont expliqué que 80 % des
autorisations de licenciement des salariés protégés étaient des ruptures conventionnelles. Or,
les salariés protégés sont souvent poussés à la rupture conventionnelle par du harcèlement
moral et de la discrimination syndicale.
Un arrêt de janvier 2013 de la Chambre sociale indique pourtant que le protocole
transactionnel est nul en cas de harcèlement moral. Par conséquent, serait-il possible de
caractériser le fait d’inciter un salarié protégé à la rupture conventionnelle par du harcèlement
moral et de la discrimination syndicale comme un délit d’entrave ? Pour compliquer encore le
problème, il faut savoir que si une rupture conventionnelle n’est pas attaquée dans les délais
impartis, il devient impossible d’attaquer sa validité devant le juge judiciaire, et de réclamer
des dommages et intérêts, en raison de la séparation entre l’autorité administrative et
judiciaire. Il me semble que ce point devrait faire l’objet d’une réflexion prospective.
Alain CŒURET
J’entrevois pour commencer une réponse classique à la situation que vous évoquez, à savoir
que les qualifications pénales de harcèlement et de discrimination peuvent parfaitement
s’appliquer sans difficulté particulière. Le problème résiderait davantage dans l’initiative
procédurale. En effet, l’intéressé doit réaliser le préjudice subi vis-à-vis du statut protecteur
dont il bénéficiait et à l’égard de la collectivité de travail tout entière. Je me demande donc
dans quelle mesure les acteurs sont mobilisables dans cette situation. Cette question n’appelle
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pas de réponse juridique. La réponse dépend plutôt de la capacité des personnes à prendre
conscience qu’elles sont en charge d’une affaire qui les dépasse, et qu’elles devraient refuser
de signer une rupture conventionnelle.
Par ailleurs, vous semblez estimer que le rôle de l’administration est réduit à sa plus simple
expression. Les chiffres que vous citez sont-ils véritablement représentatifs ? J’ai pour ma
part le sentiment que les inspecteurs du travail contrôlent les ruptures conventionnelles.
Il n’existe pas à ma connaissance d’affaires croisant discrimination, harcèlement et rupture
conventionnelle. Toutefois, je suppose que si le vice du consentement était avéré, les éléments
de la qualification de harcèlement ou de discrimination pourraient être réunis.
Je ne sais pas si j’ai répondu à tous les aspects de votre question, qui avaient de multiples
composantes.
De la SALLE
Je vous remercie. Le colloque d’hier a montré que les inspecteurs du travail pouvaient être
pris entre deux feux, c'est-à-dire la nécessité de contrôler les ruptures conventionnelles et les
requêtes des salariés. En effet, un salarié protégé a demandé à l’un des inspecteurs présents
d’autoriser son licenciement afin de lui permettre d’entreprendre un recours hiérarchique par
la suite. Le Conseil des Prud'hommes, saisi sur une affaire de harcèlement, s’était en effet
déclaré incompétent du fait de la séparation entre l’autorité administrative et judiciaire.
Par ailleurs, les salariés protégés, soumis à une contrainte morale au moment où ils
demandent à un inspecteur du travail d’autoriser la rupture conventionnelle, sont susceptibles
de se raviser quelques mois après. Dans ce cas, l’inspecteur a du mal à évaluer la contrainte
qu’ils subissent.
Alain CŒURET
Il ressort de votre explication que l'Inspection du Travail éprouve des difficultés à se
positionner. Ce fait n’est pas nouveau. En vertu du principe d’indépendance, les inspecteurs
peuvent agir comme ils l’entendent dans le respect d’un ensemble de bonnes pratiques qui
ressortissent plutôt de la déontologie que du droit à strictement parlé. Cette absence de prise
de position organique est l’une des grandes difficultés de leur métier.
De la SALLE
En effet. Les inspecteurs qui intervenaient au colloque expliquaient le hiatus existant entre la
pratique et les directives de DGP (Délégation générale au pilotage des DIRECCTE).
Alain CŒURET
Il n’existe même pas de directives. A supposer cependant qu’il en existât, avez-vous déjà eu
connaissance d’une procédure disciplinaire qui serait dirigée contre un inspecteur du travail
pour non-respect d’une directive interne ? Ce serait contraire au principe d’indépendance.
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Rencontre du 19 février 2013 - Le droit pénal du travail
Votre question met en lumière un angle mort juridique et m’amène à rebondir sur le rôle de
policier du travail que jouent les inspecteurs et contrôleurs du travail.
Chacun d’entre eux a sa vision des choses pour effectuer les relevés d’infraction. Les
pratiques sont aussi différentes d’un département à l’autre, sans qu’il existe une possibilité de
les unifier, en raison du principe d’indépendance. Dans d’autre pays, le rôle de police du
travail est organisé différemment. En Italie par exemple, les inspecteurs chargés du relevé des
infractions ne sont pas les mêmes que ceux qui fréquentent les entreprises de leur secteur de
manière habituelle.
L'Inspection du Travail devrait certainement mener une réflexion sur ces aspects, car son
pouvoir d’opportunité ne peut guère être contesté. Elle peut décider de poursuivre telle
infraction, et de refuser de poursuivre telle autre, ce qui explique certainement pour partie
l’état actuel du contentieux du droit du travail. Je ne doute pas que les inspecteurs échangent
entre eux, mais les relevés d’infractions sont considérablement différents selon les
départements.
De la SALLE
S'agissant du droit au travail, je souhaite poser la question de la responsabilité de l’Etat dans
le problème du chômage.
Alain COEURET
Je ne me sens pas du tout compétent pour intervenir sur ce point. L’article 121-2 du Code
pénal dispose que « Les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables
pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour
leur compte, par leurs organes ou représentants ». La responsabilité pénale de l’Etat n’a donc
jamais pu être envisagée en matière d’infraction, car il s’est mis à l’abri immédiatement.
Cependant, pour avoir discuté avec un juriste originaire d’un pays d’Europe du Nord, j’ai
appris qu’il estimait qu’un département ministériel pouvait parfaitement être poursuivi en
justice pour une infraction commise dans le domaine environnemental.
IV. Conclusion
Francis KESSLER
Je te remercie beaucoup pour ton intervention, que je qualifierais de leçon introductive. Elle
nous a en effet permis de découvrir que chacun des points évoqués pourrait faire l’objet de
débats. Je vous remercie tous d’avoir assisté à cette séance, et je vous souhaite une bonne
journée.
L’intervention et les débats du jour seront adressés par courriel aux membres de l’association.
Ils seront par ailleurs publiés dans Les Cahiers de l’AFERP.
La prochaine manifestation de l’AFERP est prévue le mardi 19 mars 2013 et sera consacrée
à la représentativité patronale.
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