Faut-il avoir peur de l`enfer - Paroisse Presqu`île sud Lyon

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Faut-il avoir peur de l`enfer - Paroisse Presqu`île sud Lyon
Faut-il avoir peur de l’enfer ?
1. Au moment de la mort, la séparation de l’âme du corps et le temps du jugement
particulier, de l’exercice de la justice divine
Séparation de l’âme du corps
Avant toute chose il nous faut regarder la mort comme séparation de l’âme du corps. L'Église
professe que l'âme est la « forme » du corps, au sens d’informer le corps. Elle assume par là un des
points de la philosophie aristotélicienne. Et quand l'âme se sépare du corps, et bien le corps cesse
d'être un corps. Un cadavre n'est plus un corps. La preuve, c'est qu'il commence à se décomposer.
Tout médecin vous dira qu'au moment de la mort le corps commence à se décomposer. Il n'a plus de
forme substantielle, humaine qui le tient. Donc, qu'est-ce qui se passe ? Et bien ce sont des formes
très inférieures qui prennent le relais, celles des cellules, celles des bactéries, tout cela va se mettre à
fonctionner de manière anarchique, et dans quelques années il n'y aura plus que de la poussière.
D'autres formes de vie auront digéré tout cela, métabolisé tout cela d'une manière ou d'une autre, et
il ne restera plus que la partie minérale des os, parfois elle-même réduite à la poussière. La
décomposition du corps intervient parce que l'âme ne le vivifie plus, ne l'informe plus. Le terme
philosophique c'est cela, informer, donner forme, non seulement en terme de figure (la forme
extérieure), mais aussi en terme d'organisation, d’unification de cette substance qui compose
l'humain. On dit de l’âme qu’elle est principe de vie, source d’unité des toutes les opérations vitales.
Mort clinique/mort métaphysique
Au moment de la mort, l’âme se sépare donc du corps. Mais il faut bien distinguer la mort clinique de
la mort métaphysique :
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la mort clinique : elle correspond à l’électro-encéphalogramme plat, l’arrêt du cœur qui cesse
de battre
la mort métaphysique : elle se produit au moment où l'âme se sépare du corps
Marthe Robin, qui a une grande crédibilité étant donné l’odeur de sainteté dans laquelle elle est
morte (beaucoup de témoignages sont allés en ce sens), disait que le Christ lui avait révélé que le
laps de temps entre la mort clinique et la mort métaphysique était d'une demi-heure à sept heures,
en fonction de la préparation de la personne, de son âge :
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beaucoup plus vite quand on est préparé,
beaucoup plus vite aussi quand on est âgé,
beaucoup plus lentement quand on est jeune.
Entre la mort clinique et la mort métaphysique, il y a donc un laps de temps. Il y a des personnes (pas
beaucoup) qui ont été en état de mort clinique, dont l’électro-encéphalogramme était plat et qui ont
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repris vie. Cela montre bien que la mort clinique la plupart du temps conduit à la mort métaphysique,
sans pour autant qu’il y ait coïncidence entre ces deux morts.
Un signe de ce laps de temps entre la mort clinique et la mort métaphysique nous est donné au
niveau des traits du visage. Toutes les personnes qui ont été en contact avec des morts savent qu’au
bout d’un certain temps le visage change. Souvent des personnes qui sont mortes avec un rictus de
souffrance, ce n’est qu’au bout d’un certain moment que l’on voit le visage se détendre, comme si
justement l’âme était partie, avait quitté le corps et qu’en conséquence celui-ci se détendait, ou que
l’âme était entrée elle-même dans sa paix, laissant sa dernière trace sur le corps à travers une
expression très paisible, abandonnée, parfois même comme une espèce de mystérieux sourire.
Jugement particulier/jugement dernier
Et dans ce laps de temps, quand l’âme se sépare peu à peu du corps, que se passe-t-il ? Là nous
avons besoin de la Révélation. Au n° 1021 du CEC voilà ce qui nous est dit :
La mort met fin à la vie de l’homme, comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce divine
manifestée dans le Christ. Le Nouveau Testament parle du jugement, principalement dans la
perspective de la rencontre finale avec le Christ dans son second avènement, à la fin du monde. Mais
il affirme aussi, à plusieurs reprises, la rétribution immédiate après la mort de chacun en fonction de
ses œuvres et de sa foi. La parabole du pauvre Lazare que l’on voit conduit par les anges au ciel à sa
mort, dont l’âme est conduite par les anges au ciel à sa mort, et la parole du Christ en croix au bon
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larron , ainsi que d'autres textes du Nouveau Testament parlent d’une destinée ultime de l’âme.
Le CEC affirme donc non seulement un jugement général à la fin du monde, mais aussi un jugement
particulier, une rétribution immédiate après la mort, avec une destinée ultime de l'âme qui peut
varier d’une personne à l’autre. On le voit dans la parabole de Lazare et du riche (lecture de Lc 16,
19-31). Lazare va dans le sein d’Abraham, car le ciel n'est pas encore ouvert, Jésus n’étant pas
encore descendu aux enfers. Les justes descendent donc dans le sein d’Abraham. Ils ne voient pas
Dieu, mais ils sont heureux. Ils sont dans l’amitié de Dieu, jusqu’à la descente du Christ aux enfers. Et
le riche lui, va dans quelque chose de plus redoutable, on y souffre beaucoup. Est-ce l'enfer ?
Probablement pas car le riche intercède pour ses frères. Dans la parabole, il demande au Seigneur de
lui permettre d’apparaître à ses frères, pour qu’ils ne viennent pas à leur tour dans ce lieu de
souffrance qu’il est amené à découvrir. On voit donc que son cœur est saisi de charité. Cette charité
est impensable en enfer. Il faut donc penser que ce riche est au purgatoire, lieu où l’on peut
intercéder. Au purgatoire on est dans la charité, mais il y a une épaisseur qui doit être dégagée pour
que la charité puisse vraiment tout envahir.
Ce jugement particulier est quelque chose d’instantané. Ce n’est pas que l’on voie Dieu, sinon on
entrerait directement au ciel, en paradis. C’est le sort de ceux qui meurent dans une charité qui a
triomphé des scories et des obstacles de la vie terrestre (par exemple la Vierge Marie). Là, eux, ils
sont vraiment happés dans la vision béatifique. Pour les autres, ils vont être mis en présence de Dieu
et se voir dans une science infuse divine. Le Seigneur va leur donner une lumière instantanée sur
l’état de leur âme. L’âme va se voir en toute vérité, comme elle ne s’est jamais connue ici-bas. Cette
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« Ce soir tu seras avec moi en paradis ». L’âme du bon larron va directement en paradis tandis que son corps
est mis dans une fosse.
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connaissance est la mise en lumière par Dieu de l’acte ultime de la volonté de la personne, c'est-àdire de ce que cette personne a vraiment voulu de son vivant.
Jugement particulier surnaturel/jugement humain naturel
On touche là toute la différence entre ce jugement particulier surnaturel et le jugement humain. La
justice humaine n’est jamais parfaitement juste. On connaît tous le cas de grosses erreurs judiciaires,
qui pour certaines ont conduit injustement des personnes à la mort2. Même dans le cas où il n'y a pas
d’erreur judiciaire, et que la personne est vraiment coupable, il y a un décalage entre la sentence
objective, extérieure de la justice, et le secret du cœur que seul Dieu peut atteindre. Il y a un
décalage entre l’objectif et le subjectif, décalage qui tient à l'imperfection de la justice humaine. Le
jugement particulier est une mise en lumière dans laquelle la justice la plus objective, celle de la loi
divine, va coïncider absolument avec ce que la personne a voulu, ce qui ne pourra jamais arriver dans
la justice humaine.
Le jugement particulier va faire que l’on va tomber du côté où l’on penche, dans la mesure où l'on
penche déjà de manière déterminée au fond de soi. Il ne s’apparente pas aux sentences de la justice
humaine qui tombent sur les personnes avec cette part presque de surprise, même quand on est
vraiment coupable. Le jugement humain ou naturel dans son objectivité va condamner la personne à
travers ses actes. Dans le jugement surnaturel, Dieu connaît les secrets des cœurs, il sonde les reins
et les cœurs, donc ce jugement va faire sortir, dévoiler le désir le plus profond de la personne, et
c'est elle qui va se juger, c'est elle qui va aller d'elle-même vers « son lieu ».
C'est d'ailleurs l'expression qu'utilise saint Pierre au début des actes des apôtres à propos de Judas :
« Il a abandonné son ministère d’apôtre, et il s'en est allé vers son lieu et il faut que nous le
remplacions, que nous élisions quelqu'un »3. Cette l'expression « aller vers son lieu » renvoie au lieu
que la personne a désiré. Le jugement particulier n’est pas quelque chose qui s'impose à nous par
une sorte de violence extérieure comme s'impose la loi humaine. Mieux vaut quelle s’impose avec
violence plutôt qu’elle ne s'impose pas du tout, mais cela reste toujours une sorte d'approximation
qui sera ressentie souvent par les condamnés comme un acte de vengeance de la société4.
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Aux USA, où l’on pratique la peine de mort, grâce à l’ADN on a découvert plusieurs cas de personnes
exécutées par injection létale ou par chaise électrique, qui sont décédées en clamant leur innocence, et qui
l’étaient effectivement.
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Souvent on entend en prédication que Judas est allé directement en enfer. C’est plus complexe que cela.
Judas a été visiblement horrifié quand il a vu que le Christ sortait, arrêté, de l'entrevue avec le grand prêtre. Il
est allé jeter l'argent. C'est une lecture qui laisse ouverte la porte à de multiple interprétations : soit dans le
sens de la damnation, auquel cas le suicide est vraiment une sorte de ratification rageuse de son acte ; soit ce
suicide renvoie à quelqu'un qui craque sous le poids de la culpabilité. Alors on part dans quelque chose de tout
autre alors, qui relève beaucoup plus du purgatoire que de l'enfer.
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Sans parler des pays où cette vengeance est orchestrée, par exemple aux Etats-Unis où les familles ont le droit
d'assister à l'injection létale, pour avoir la satisfaction par le spectacle de mise à mort. Cela a été comme cela
en France, jusqu’en 1939 où la guillotine est restée publique. Puis il y a eu de tels excès que l'on a décidé de
guillotiner à l'intérieur des prisons. La vengeance est quelque chose d'aveugle. Ce n'est pas forcément l'aspect
le plus noble de l'homme. Dieu n'est pas ainsi. Il ne se venge jamais. La punition divine est une punition de
justice immanente : tu as, hélas, mon enfant, ce que tu t'es obstiné à vouloir. Quand c'est le mal, tu as le salaire
de tes œuvres, mais ce n'est pas que je te punis. Trop souvent nous avons une vision du jugement divin qui est
indigne de Dieu.
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En définitive ce jugement particulier surnaturel doit plus nous faire craindre de notre choix que de la
justice de Dieu. C’est ce que nous voulons qui est déterminant. Le Seigneur n'est pas là pour essayer
de nous saisir en état de péché mortel, de nous envoyer en enfer. Ce n'est vraiment pas son souci,
c’est surtout l’opposé. Il faut donc quitter un rigorisme que l’on entend parfois ! Par exemple si des
jeunes sont rentrés après avoir fait la bringue, et puis à trois heures du matin, ils se sont pris un
platane, et meurent sur le coup, ce rigorisme chrétien va s’écrier : Et bien oui, ils sont descendus
directement en enfer, pour peu qu'ils aient fait un certain nombre de choses qui sont des péchés
mortels. Allez, hop, la trappe s'ouvre et puis ils sont comme quand on pend quelqu'un. Ce n'est pas
du tout ce que Dieu veut. Et un jeune qui perd sa vie comme cela, certes il meurt cliniquement sur le
coup, son électro-encéphalogramme sera plat, mais il ne se damne par pour autant si facilement. Il
dispose de ce laps de temps pour que sa liberté donne sa réponse ultime. On ne se damne pas parce
que Dieu nous a "coincé" au mauvais moment, alors qu'il aurait pu attendre que l’on sorte d'une
confession pour avoir ensuite cet accident. C'est indigne de penser que Dieu agirait comme cela,
comme un Dieu capricieux et finalement méchant. Quel père agirait comme cela avec son enfant ?
Posez-vous la question : vous feriez cela, vous, à vos enfants ? Si nous ne le ferions pas pour nos
propres enfants, combien plus le Père céleste ne le ferait pas.
Pour conclure le jugement particulier est un instant spirituel au cours duquel se vit la justice de Dieu,
étant à la fois objective, mais nous rejoignant dans l’immanence même de notre acte libre, chacun
allant vers son lieu. La justice divine est une mise en lumière de notre désir le plus profond. Cela ne
peut être qu'une justice qu'on appelle immanente, c'est-à-dire qui nous saisit par l'intérieur de nousmêmes, et dans lequel nous recevons la rétribution de notre vouloir le plus profond. Donc,
finalement, c'est nous qui voulons ce à quoi nous aboutissons : nous allons vers notre lieu. Cette
justice divine nous ne pouvons pas nous la représenter puisqu’elle excède absolument toutes les
expériences de justice humaine que nous avons dans l'ordre du créé. Nous en avons comme une
sorte d'intuition très fugitive, par une sorte d'extrapolation.
Pour le dire autrement, au moment du jugement particulier se révèlera la gloire de Dieu, et selon le
sujet récepteur, la créature spirituelle, elle deviendra :
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vision de Dieu pour les bienheureux : la vision béatifique
feu purificateur pour l’âme qui ne refuse pas la charité, mais découvre une certaine
complicité dans le mal, celle du péché véniel : le purgatoire
feu de la damnation pour le damné qui refuse la charité divine, pêchant mortellement contre
l’Esprit Saint : l’enfer
2. Le péché contre l’Esprit Saint qui conduit à la damnation
On ne se damne que si on rejoint ultimement le péché contre l'Esprit Saint, c'est-à-dire si vraiment
on est devenu réfractaire à la charité, de façon complète. Bien sûr, les péchés mortels vous mettent
sur le chemin de la damnation, et en principe un péché mortel, porte en lui toute la logique de la
damnation, mais cela ne veut pas dire que le Seigneur ne peut pas arrêter cette logique, et même au
moment de la mort. Et c'est là où pour le pécheur endurci, c'est beaucoup plus difficile. On peut être
séparé de Dieu par l'épaisseur d'un papier de cigarette ou par un mur de béton. N'empêche que
déchirer un papier de cigarette, c'est très facile pour Dieu. Quand il y a un mur de béton et
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d'endurcissement, il est obligé de s'y prendre au marteau piqueur, c'est très long et très douloureux
pour la personne. Parce qu'il il faut de grands ébranlements pour que ce mur se descelle un peu,
tandis que le papier de cigarette, et bien c'est un regard. Et Dieu seul connaît là, le cœur de l'homme
pour savoir ce qu'il y a en lui, dans la séparation avec lui quand nous sommes en état de péché, si
c'est le papier de cigarette ou bien si c'est le mur de béton. C'est pour cela qu'il faut avoir une sainte
crainte de soi-même. L'Église nous rappelle que nous avons une épée de Damoclès dans notre
liberté, puisque nous pouvons, nous damner, mais ce n'est pas Dieu qui nous damne. Il fait tout pour
nous sauver au contraire. Souvenons-nous de la parole qu'a entendue saint François de Sales, que je
vous ai cité la fois précédente : "Je suis le Dieu qui sauve et non pas le Dieu qui condamne, et mon
nom est Jésus."
Le damné ne veut pas l'enfer, il n'aime pas l'enfer, personne n'aime l'enfer, bien sûr. Mais il n'est pas
prêt à payer sa sortie de l'enfer du tout petit acte d'humilité, de charité, qui ferait se volatiliser
l'enfer en un instant. Le moindre acte d'humilité, voyez, ferait immédiatement se volatiliser l'enfer, il
n'y aurait plus d'enfer pour lui, il serait en purgatoire. Nous avons une certaine expérience des
commencements de cet endurcissement final de l'homme, du péché contre le Saint Esprit. Nous en
avons une certaine expérience quand nous nous blindons dans l'orgueil, quand la charité des autres
nous est insupportable, que nous ne la voulons pas, que nous ne la désirons pas, que nous nous
durcissons. Cela c'est un début, d'ailleurs le vocabulaire courant le dit : c'est infernal.
Il y a des situations familiales parfois infernales, entre un mari et sa femme, entre les parents et les
enfants, entre les enfants, entre eux : c'est souvent là que c'est le plus infernal, parce qu'il y a une
proximité (pensons à toutes les questions d’héritage). Alors cela tourne mal. Donc, on ne peut pas
dire que cela n'existe pas. On sait très bien que l'on en a la possibilité, que l'on en a la capacité. Et
c'est vrai que cela nous semble terrible. Parce que si vous voulez, quand il y a une sentence judiciaire,
pénale dans le domaine humain, la personne peut toujours dire : Ah ! Mais ce n'était pas vraiment
cela que je voulais.
Mais avec Dieu, non, ce n'est pas pareil. C'est vraiment ce que j'ai voulu. Là, il n'y a plus de jeu entre
l'intérieur et l'extérieur. Le jugement et l'objectivité de la loi éclairent l'âme dans son vouloir le plus
profond. A tel point que chaque âme va vers son lieu, je dirais, d'elle-même. On voit cela à travers
certains monstres hystériques dont on ne peut pas dire évidemment qu'ils sont damnés, mais pour
lesquels on peut l’imaginer. Je pense par exemple à ce que l'on voit dans le film "La chute", avec les
époux Goebbels. La mère, quand elle empoisonne ses enfants, elle leur met l'ampoule de cyanure et
pendant qu'ils dorment, elle pousse la mâchoire pour faire craquer l'ampoule. Elle sort de là, et elle
va faire une réussite. C'est effrayant ! Et après les époux se tuent l'un l'autre. Là, on est dans quelque
chose qui nous dépasse complètement. Lui avait eu une éducation catholique, il était un ancien élève
des jésuites. Cela doit nous donner peur. Jusqu'où peut aller la liberté dans quelque chose qui
ressemble à la damnation. Évidemment il y a encore ce laps du temps. Mais là on a l'impression qu'ils
sont dans une telle détermination, qu'on voit difficilement comment le Seigneur va pouvoir glisser,
par quelle faille il va pouvoir entrer dans des âmes comme celles-là.
Donc ces âmes-là vont vers leur enfer, parce que d'une certaine manière, elles préfèrent l'enfer à
l'humilité, à la charité. Ce n'est pas qu'elles aiment l'enfer. C'est tout le drame du démon, il ne
préfère pas l’enfer. Il préfère être cause première dans le mal, que d'être humblement cause
seconde dans le bien. Dans le bien, on ne peut être que cause seconde, et tout recevoir de Dieu, qui
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est la cause première créatrice. En revanche, dans le mal, on est cause première. On peut détruire ou
se détruire, détruire les autres.
Pourquoi est-ce que le bon larron tombe comme un fruit mûr dans le royaume de Dieu ? Il est même
le premier à y rentrer, vous vous rendez compte ! Et bien parce que cet homme, qui avait
certainement commis beaucoup de crimes (on ne crucifiait pas comme cela pour n'importe quel
motif, mais probablement pour des meurtres, même si nous ne connaissons pas le motif de sa
crucifixion) ne se reconnaissait pas dans ses actes. Il y avait certainement encore un jeu entre
l'adhésion profonde de lui et ses actes. Ce qui est terrible, c'est le moment où l'on colle
complètement à son acte mauvais : c'est le mien, je le veux. Ce n'est même pas du béton, c'est de
l'acier, et c'est par là que se glisse la damnation. Et tout le reste, tous les péchés mortels sont une
stratégie lointaine, efficace d'ailleurs, pour nous conduire vers cet acte d'ultime désespérance,
d'ultime orgueil et d'ultime endurcissement que l'on l'appelle le péché contre le Saint Esprit. C'est le
moment où le bien, la charité devient insupportable. Cela devient un tourment, et les tourments de
l'enfer ne sont rien d'autre que cela. L'âme ne peut pas supporter le triomphe de la charité qui est la
gloire, car la gloire c'est le triomphe de la charité !
Or il y a un moment où Dieu impose la gloire à toutes les créatures :
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pour les uns cette gloire devient béatitude,
pour les autres cette gloire devient purification,
pour les autres cette gloire devient damnation,
tout cela uniquement par la disposition de notre volonté au moment de la mort. Et c'est vrai que tant
qu'on n'a pas collé complètement à son acte, il reste cette place pour désirer cette gloire. Il y a des
gens qui font un peu le mal, dont on se rend compte qu'ils ne sont pas dans la perversité ultime. Il y a
le côté pauvre, ils ont été entraînés, ils se sont pris les pieds dans des filets épouvantables, ils ont été
lâches. C'est souvent par lâcheté. Mais c'est redoutable, au contraire, quand l'âme a pu poser en
grande liberté, avec grande détermination des actes mauvais, de plus en plus mauvais, en toute
liberté, pas simplement par médiocrité ou par lâcheté.
J’attire votre attention sur le fait que le feu du purgatoire n'a rien à voir avec le feu de l'enfer. Nous y
viendrons quand nous parlerons du purgatoire. Cela a été une des grandes erreurs en catéchèse. On
a souvent parlé du purgatoire comme étant un enfer à temps limité. Or heureusement on en sortait,
mais enfin, c'était un enfer ! Alors c'est un enfer en ce sens que l'on n'y voit pas Dieu, l'élément
formel de l'enfer est commun. Mais la manière dont on vit ce "ne pas voir Dieu" n'a rien à voir pour
ceux qui sont dans la charité, et donc déjà dans une joie profonde d'appartenir indéfectiblement à
Dieu, de ne jamais plus pouvoir se détacher de lui. Le feu de l'enfer lui est un feu de révolte, de
haine, d'horreur, mais parce que la créature s'en fait une horreur. Donc, cela n'a rien à voir. Ce sont
deux modalités complètement distinctes, et en même temps il y a cette unité des trois états parce
que justement, il n'y a qu'une seule finalité. C'est la même gloire que Dieu donne à tous. Et Dieu sera
tout en tous dit saint Paul dans la première aux Corinthiens, chapitre IV. Dieu sera tout en tous, mais
pas de la même manière. Sa gloire sera présente, bien sûr dans les bienheureux du ciel, dans les
âmes du purgatoire tant qu'il y a purification avant la fin du monde, et dans les damnés parce que
Dieu se donne. Dieu donne la charité, son être profond, sous la forme glorieuse qui est la sienne, et si
on la refuse complètement, cela devient un tourment épouvantable.
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Voyez que tout cela est très simple et cohérent finalement. Quand la foi me dit cela, je me rends
compte que Dieu est infiniment sage. Et donc ce que j'apprends par la révélation n'est pas quelque
chose qui révolte ma raison. Si je veux bien me donner l'effort de le comprendre d'une manière qui
ne soit pas trop réductrice à l'humain. C'est sûr que si je me fais tout un enfer et un purgatoire, avec
des démons, des chaudrons, des salles de torture… qu'est-ce qui va se passer ? :
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soit je vais envoyer cela au magasin des vieilles lunes en disant : c'est complètement ridicule,
on apprend cela aux enfants mais, je ne peux pas croire à cela ;
soit je vais me révolter, je vais dire c'est une honte de prétendre faire croire cela à un
homme raisonnable, cela défie la raison, c'est une insulte à la raison. S'il y a un Dieu, il ne
peut pas agir comme cela, ou alors, c'est qu'il n'est pas Dieu.
soit c’est une invention.
En ce sens-là la théologie, pour une âme croyante, est quelque chose de merveilleux. C'est quelque
chose qui apporte une très grande paix.
Pour conclure je vais vous raconter une histoire qui résume bien ce qu'est le mystère de l'enfer, vous
allez voir, c'est très intéressant.
On dit que c'est un homme très, très, méchant qui est mort, et quand il est mort, il est monté, et il
est allé voir au ciel. Et il était assez embêté parce qu'il se rendait compte que cela n'allait pas se
passer comme cela. Alors, quand il arrive à la porte du ciel, il y a saint Pierre qui vient à sa rencontre.
Alors, il se dit mince, celui-là il vient pour me bloquer le passage. Alors il prend des manières, et il dit
voilà : « Je viens pour voir si jamais je pouvais entrer dans ce lieu de bonheur ».
Et saint Pierre lui dit : « Mais bien sûr, vous pouvez entrer ».
Alors là, il est très étonné : « Je peux entrer ? Mais je croyais que vous étiez là, pour quand même
empêcher justement, qu'ici entrent des gens qui ne doivent pas entrer ? »
Saint Pierre lui répond : « Mais pas du tout, moi je suis là pour accueillir, et tous ceux qui veulent
entrer sont les bienvenus ».
« Ah bon ! » Je pensais que vous étiez un gardien qui empêchait d'entrer ».
Et saint Pierre lui répond : « Mais non, vous vous trompez. Cela c'est Cerbère, un dieu de la
mythologie. Je ne suis pas du tout Cerbère, je ne suis pas là pour empêcher, je suis là pour accueillir,
ce qui est tout à fait différent ».
« Ah bon » dit l'autre ! « Mais j'ai entendu aussi que ici, il y avait une pesée des âmes, et que l'on
mettait d'un côté toutes les bonnes actions et de l'autre toutes les mauvaises actions. On voyait ce
qui pesait le plus, et si c'étaient les bonnes actions on entrait, et si c'étaient les mauvaises actions on
n'entrait pas ».
« Ah ! » lui dit « mais cela, ce n'est pas du tout dans la révélation chrétienne, ni dans la bible, cela
c'est le livre des morts des égyptiens, c'est encore de la mythologie. Vous êtes contaminé par la
mythologie, ce n'est pas du tout cela ».
« Ah ! Et alors il n'y a pas de pesée des âmes ici à la porte ? ».
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« Ah non, il n'y a pas de pesée des âmes ! ».
Il commence à prendre espoir. Et alors, il dit : « Mais il reste quand même une objection, c'est que
j'ai lu aussi qu'il y avait un livre, où étaient inscrits par Dieu, dès avant la fondation du monde, ceux
qui étaient appelés, ceux qui étaient prédestinés, et puis ceux qui n'étaient pas dans le livre et bien
ne pouvaient pas entrer ».
Alors saint Pierre lui dit : « Mais cela c'est une erreur qui s'est développée chez les chrétiens, c'est
celle de la double prédestination, et l'Église l'a condamnée. Il n'y a pas de double prédestination, il
n'y a pas ceux qui sont prédestinés et puis ceux qui ne sont pas prédestinés, tout le monde est
appelé à entrer dans la vie éternelle, Dieu l'a voulu pour toutes ses créatures spirituelles ».
« Ah bon, et donc je peux entrer ? ».
Et saint Pierre lui dit : « Mais oui bien sûr ».
« Alors je vais entrer dit le mauvais ».
Et saint Pierre lui dit : « Seulement je ne sais pas si cela va te plaire ! ».
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus a écrit : "Nous aurons autant que nous avons osé espérer". Si nous
avons mis notre bonheur dans l'amour, si nous nous sommes laissés connaturaliser par la charité, la
charité va être notre bonheur. Jacques Maritain résume mon propos dans cette formule : "L'homme
doit ultimement choisir entre, être éternellement cause seconde dans le bien", donc tout devoir à
Dieu, trouver sa béatitude dans le don de l'amour de Dieu, "ou choisir d'être cause première". Et là,
c'est par le bas, et donc dans la haine de ce qu'est Dieu, dans la haine de la charité, trouver son
bonheur dans son orgueil, et c'est pour cela que les damnés, même s'ils n'aiment pas bien sûr les
souffrances de l'enfer, veulent quand même l'enfer, parce qu'ils ne sont pas prêts à accepter la
charité. Et donc ils préfèrent tous ces tourments, qu’entrer dans l'acte d'humilité que représente la
charité. Et tous les péchés mortels sont une vaste stratégie démoniaque pour nous conduire vers
l'acte de désespérance, de l'affirmation de l'orgueil et donc de l'enfer.
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