Le jeudi 5 février 1998, le dôme de la gare de Limoges, joyau

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Le jeudi 5 février 1998, le dôme de la gare de Limoges, joyau
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INTERVENTIONS INTÉRESSANTES
Paris (F)
Du martelage à chaud ...
le toit de la gare est ravagé
Le jeudi 5 février 1998, le dôme de la gare de Limoges, joyau architectural local, a
été totalement ravagé par le feu à la suite de travaux par point chaud. L’intervention des sapeurs-pompiers fut éprouvante et dangereuse.
■ René Dosne
FACE AU RISQUE
Jeudi 5 février 1998, le toit de la gare de
Limoges est rongé une après-midi entière
par un incendie insidieux courant sous sa
couverture de cuivre. C’est au moment
du martelage à chaud d’une pièce de
cuivre, à la base du dôme de la gare, qu’un
vraisemblable phénomène de conduction
transmet le feu à la double couche de
plancher supportant la couverture. Un
extincteur a été préparé et entre en action
dès que les ouvriers voient la fumée filtrer
entre les joints de la toiture. Il est trop
tard.
Il faut des moyens professionnels
Le bois sec, l’effet de pente, l’inaccessibilité du feu protégé par la couche de cuivre
réclament déjà des gestes et des moyens
professionnels. Les ouvriers appellent les
secours à 13 h 20 pour «début d’incendie». Ce sera l’unique appel.
A l’arrivée du fourgon pompe tonne
et de l’échelle pivotante, quelques minutes plus tard, la police et le personnel
de la gare ont déjà commencé l’évacuation du public et le dégagement du parvis où évolueront les engins. Le panache
de fumée qui s’échappe au sommet du
dôme est révélateur de l’avancée du sinistre.
Le plancher de bois sec favorise
la progression du feu
L’accès au feu le plus direct est l’échelle
pivotante, qui est immédiatement développée, alors que d’autres accès plus
longs sont possibles par les communications traditionnelles et les toits voisins.
Tandis que des renforts sont demandés,
une première équipe gravit la paroi du
dôme jusqu’à une trappe permettant de
pénétrer dans l’espace compris entre la
toiture et la voûte de plâtre et de staff qui
forme le plafond du hall de la gare. C’est
là, sous la toiture, que l’attaque du feu se
révélera la plus efficace. La progression
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du feu est rapide car les flammes dévorent le plancher de bois sec. Des débris
tombent sur la mince couche de staff et
la percent en plusieurs endroits; 35 m
plus bas, c’est le hall, son restaurant, ses
boutiques, sa billetterie. L’intervention
sera longue, difficile, périlleuse et
n’aboutira sans dommage grave pour les
sauveteurs que grâce à une structuration
solide de l’intervention, l’application et
le respect de mesures de précaution draconiennes.
Quatre secteurs: attaque – alimentation – logistique – médecine
de cuivre ou pénétration dans le volume
compris entre les deux voûtes. Le dispositif va se constituer de 4 équipes de 4 sapeurs-pompiers, encadrée chacune, pour
sa sécurité, d’un spécialiste du G.R.I.M.P.
(Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux), rompu à l’emploi des équipements d’escalade. Des
trouées, pratiquées à la hache ou à la scie
à disque, permettront aux équipes de pénétrer sous le dôme et d’y attaquer efficacement le feu qui progresse en tournant
vers le sommet.
Un milieu particulièrement
dangereux
Le milieu est particulièrement dangereux. Amarrés par des harnais, sous
ARI, dans une atmosphère enfumée et
chaude, les sauveteurs ne peuvent progresser qu’en s’aidant de la structure métallique du dôme. Un faux pas et la botte crève le voile mince de staff qui forme
le plafond du hall, dont le sol est 35 m
plus bas.
Les engins en renfort se présentent. Trois
secteurs sont définis – attaque, alimentation, logistique – bientôt renforcé d’un
secteur médical. Deux points d’eau relativement éloignés (350 et 400 m), alimenteront le dispositif de lutte. Une seconde
petite lance, puis une grosse lance sur
échelle entrent en manœuvre sur le dôme, à l’opposé de la première lance qui elle, progresse à l’intérieur. Il apparaît rapidement que le contrôle et l’extinction du
feu passe par une action directe sur la
double couche de plancher seulement accessible par arrachement de la couverture
La gare de Limoges
Construite en 1929, classée à l’inventaire supplémentaire des monuments
historiques depuis 1975, la gare de Limoges voit transiter sous la haute coupole 2000 voyageurs/jour. Son dôme
culminant à 35 m, couvre 1200 m2
pour un diamètre de 30 m. Il surmonte un hall carré en pierre, sur lequel repose la charpente métallique supportant la toiture hémisphérique. L’épaisseur de la charpente (2 à 3 m) définit
un volume compris entre le plafond du
hall, hémisphère de staff et de plâtre,
et la toiture, composée de deux
couches de lattis de bois sur lequel repose la couverture de cuivre.
L’intervention au
dôme de la gare
de Limoges fut
éprouvante et dangereuse.
Dessin: René Dosne
Le martelage à chaud d’une
pièce de cuivre transmet le feu
à la double couche de plancher
supportant la couverture.
Photos: Jean-Marc Savy
Plus d’une heure après l’arrivée des secours, la partie haute de la toiture s’embrase, sous l’effet de l’accumulation de
gaz chauds. Deux grosses lances supplémentaires et une petite sont établies. Une
de plain-pied dans le hall, une autre à
25 m du sol, une troisième sur le dôme
par une trouée. Il est 14 h 38. Le directeur
départemental des services d’incendie et
de secours prend le commandement des
opérations. Au PC installé sur le parvis,
convergent les autorités locales, tandis
que la presse est régulièrement informée
par un officier sur l’avancée de cet événement à la portée médiatique régionale
considérable.
«Feu circonscrit»
Il est 16 h 30 lorsque le feu est circonscrit.
Mais son extinction complète est encore
bien loin d’être obtenue. Conjointement
à l’action des équipes engagées à l’intérieur de la structure, il est procédé à la mise à jour des foyers par dégarnissage de la
toiture. Celle-ci a évidemment pour effet
de créer de nombreuses reprises par oxygénation des feux couvants.
Les sapeurs-pompiers
du G.R.I.M.P.
Dès lors que la nuit
tombe (nous sommes en février),
seuls les sapeurs-pompiers du
G.R.I.M.P. (renforcés à 17 h 40) vont être
autorisés à poursuivre l’extinction, sur le
dôme de 1200 m2 éclairé par quatre projecteurs. En bas, près du parvis, une foule
nombreuse suit la progression du feu et
l’action des secours, alors que, sous une
tente du poste médical avancé, 3 sapeurspompiers victimes de chutes et d’intoxications sont traités par les 5 médecins
sapeurs-pompiers présents.
«Maîtres du feu»
Les secours sont «maîtres du feu» à 18 h
30, alors que 3 grosses lances et 3 petites
sont en manœuvre. Inlassablement, les
compresseurs de la cellule d’assistance
respiratoire rechargent les bouteilles
d’ARI, en attendant le renfort des cellules
de la Corrèze et de la Charente. La chute
de la température entraîne bientôt la formation de gel sur le dôme et ses abords,
aggravant encore le risque d’accident. Les
cheminements périphériques doivent
être salés.
Il est 21 h 30 quand l’action entreprise sur les deux faces du dôme conduit à
l’extinction du feu, prolongée d’une
longue phase de surveillance, puis de
rondes qui se poursuivront jusqu’au lendemain.
Après avoir procédé à la mise en sécurité du dôme, par l’installation de points
d’ancrage et de mains courantes de corde,
les hommes du G.R.I.M.P. interviendront
ponctuellement jusqu’au 9 février, pour
assumer l’enlèvement des matériaux menaçant de tomber, la sécurité des ouvriers
chargés du bâchage et la surveillance des
deux faces, interne et externe, du dôme.
Les opérations, qui auront mobilisé près
d’une soixantaine de sapeurs-pompiers,
prendront fin le 9 février à 19 h.
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INTERVENTIONS INTÉRESSANTES
Les enseignements
Parlement de Bretagne à Rennes, Château
de Rosny sur Seine, Palais de Justice de
Roanne, Palais de Chaillot à Paris, Château des Ducs de Savoie à Chambéry, Gare de Limoge, etc. la liste des constructions entrant dans notre patrimoine historique et perdant leur toit au cours d’incendies est longue. Leur majestueuse toiture, chargée de protéger leurs trésors architecturaux, artistiques et mobiliers des
intempéries, représenterait-elle leur principe menace?
De véritables greniers empoussiérés
Il est vrai que la charpente de ces
constructions, où le bois entre pour une
large part, et les volumes importants non
recoupés permettant une libre circulation
du feu et des fumées, génèrent rapidement de spectaculaires sinistres. Que dire
si, comme on le rencontre souvent, ces
combles deviennent avec le temps des dépôts d’archives, de meubles ou de véritables greniers empoussiérés où personne
ne va plus ...
Un dilemma: les forts débits
et les dégâts de l’eau
Sur ce type d’incendie, le COS est généralement confronté à un dilemme: utiliser de forts débits pour mater au plus vite les hautes flammes que génèrent ces
feux, stopper leur étalement destructeur
et conjointement songer aux dégâts entraînés par les eaux de ruissellement qui
ne vont pas tarder à dévaler les escaliers
ou à filtrer au travers des lambris dorés ...
sur les meubles et tapisseries. Si au cours
de la phase active du sinistre, on peut
imaginer qu’une grande partie de l’eau
plongeant dans le brasier s’y vaporise, le
noyage des décombres, plus long, et malgré l’emploi de jets diffusés, comporte les
effets les plus destructeurs. Les opérations
de bâchage et de déménagement des
biens sont entreprises au plus tôt,
conjointement aux opérations de lutte.
Et la prévention de l’incendie?
Il est rare qu’un violent feu de comble
soit stoppé sans le secours d’un écran
quelconque. Le plus souvent, on «l’attend» à un endroit où existe une discontinuité architecturale: traversée de cheminées, changement d’aile, sommet d’escalier, abaissement du faîte, etc. tout dôme et autre clocheton recueillant les gaz
chauds étant souvent irrémédiablement
perdus.
Compartimenter les longs volumes,
proscrire les stockages d’archives et autre
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mobilier, imposer un minimum d’entretien, placer les volumes sous détection (à
condition que l’alarme aboutisse ...), installer des colonnes sèches écourtant le
temps d’établissement des lances constituent des mesures propres à limiter le développement d’un feu et sa cascade de
conséquences.
Une succession de contretemps
Les travaux de couverture représentent
un moment particulièrement délicat et
requièrent des précautions indispensables.
Ici, c’est une succession de contretemps qui vont conduire à l’acte imprudent. Une pénétration d’eau dans le dôme entraîne l’intervention d’une entreprise de couverture plomberie. Rendezvous est pris avec le responsable incendie
de la SNCF pour le 5 février au matin. Hélas, les conditions météo sont rigoureuses
et les toits gelés, rendant l’intervention
périlleuse. C’est en début d’après-midi
que les ouvriers vont décider d’intervenir,
la température étant redevenue positive.
Sans responsable SNCF, sans permis de
feu. On connaît la suite ...
Incendie par point chaud
au Louvre
Paris, vendredi 3 avril, début d’aprèsmidi, au Louvre. La cacophonie des
avertisseurs de pompiers emplit soudain le quartier où se répand une
vague odeur de fumée. Une aile du
prestigieux musée, bordant la rue de
Rivoli, disparaît sous un imposant
échafaudage englobant sa toiture. Le
feu est à la base d’un campanile culminant à une quarantaine de mètres.
L’équipe de sécurité du musée (détachement BSPP), puil le 1er échelon des
secours extérieurs (6 engins pompe,
4 échelles, 1 PC, 1 engin de protection/ventilation, 1 dévidoir automobile) viendront très rapidement à bout
du début d’incendie provoqué par ...
un travail par point chaud!
Les travaux par point chaud ...
Les travaux par point chaud sur toiture requièrent un certain nombre de précautions. Les couvertures, qu’elles soient
de cuivre, de zinc ou d’ardoise reposent
sur un lattis de bois. Une couche intermédiaire goudronnée vient parfois corser
le tout, quand on n’a pas, parfois, conservé une partie de l’ancienne toiture donnant ainsi de redoutables multicouches!
Si la flamme du chalumeau atteint la
couche de bois, tous les extincteurs pourront être vidés sans succès tant que l’on
n’aura pas largement dégarni la couverture, en amont du départ de feu, afin de
le mettre à jour et l’atteindre efficacement.
... et la sensibilisation des employés
Outre le permis de feu et le rassemblement de moyens de lutte, la sensibilisation de l’employé au type de feu particulier qu’il est susceptible de générer s’impose. Et ce à partir d’informations
simples, du type: chantier propre et dégagé, éloignement ou protection des matières combustibles environnantes, reconnaissance des locaux contigus,
connaissance du phénomène de conduc-
INTERVENTIONS INTÉRESSANTES 51
tion pouvant, et ce n’est pas rare, enflammer des marchandises de l’autre côté
d’une cloison par l’intermédiaire d’une
canalisation ou d’un élément de charpente métallique, surveillance des lieux
prolongée sous forme de rondes sont les
précautions essentielles.
Origines de nombreux incendies
Les incendies ayant pour origine un
travail par point chaud sont nombreux et
souvent relatés dans ces colonnes. En effet, incendie d’un entrepôt de 5000 m2
consécutif aux travaux de réfection de
L’échelle pivotante permettant
un accès direct au feu est déployée tandis qu’une équipe
de SP pénètre entre la toiture
et la voûte.
toiture causés par un ... précèdent incendie, marchandises déjà sauvées d’un feu
d’usine placées sous le déluge d’étincelles
d’un travail de découpe de charpente, canalisation dégelée dans les combles d’un
hospice, avec un grille-poulet (24 morts),
«filmage» de palettes de caoutchouc effectué encore une fois au grille-poulet ...
au milieu d’en entrepôt de caoutchouc
constituent quelques exemples concrets
indiquant l’ampleur du travail de sensibilisation à effectuer.
Le plancher de bois
Le dôme de la gare de Limoges est accessible par une trappe permettant le passage d’un homme. Ici, le feu qui dévore la
toiture est d’un autre type. Ce n’est pas
un feu de comble spéctaculaire qui ravage les charpentes de bois. Il ne concerne
«que» le plancher de bois supportant la
couverture. Il est semblable au feu qui détruisit partiellement, l’été dernier, le toit
du musée des Monuments Français au Palais de Chaillot, à Paris. Là aussi, difficultés d’accès, chutes au travers du voile de
staff, sans conséquences grâce à l’emploi
généralisé du lot de sauvetage, feu courant sous la couche de cuivre, dégâts
d’eau sur les œuvres d’art.
Progression vers le sommet
L’incendie de la gare de Limoges éclate au point le plus défavorable du dôme,
à sa partie basse. Il tend, comme sur une
colline, à progresser vers le sommet en
s’élargissant. Il faudrait pouvoir pratiquer
une véritable ligne d’arrêt sur son passage, en interrompant la couche de bois qui
fait ici office de mèche. En théorie. Car le
bois est sec, le feu rapide, les établissements de tuyaux longs (jusqu’à 3 km), la
progression délicate. L’unique accès se
fait par les toits voisins, jusqu’à la base du
dôme, ou par les échelles aériennes. Il
faut gravir 2 à 3 m pour atteindre la trappe qui permet de pénétrer dans le volume
intérieur.
Les risques de chute
Pour les sapeurs-pompiers, l’accès au
feu et la composition de la toiture seront
les deux problèmes à affronter. La surface
du dôme est pratiquement lisse et sans
ancrages, les risques de chute sont importants. La progression par l’intérieur du
dôme offre les points d’attaque les plus efficaces, mais la faiblesse du plafond du
hall peut entraîner là aussi des chutes. Par
ailleurs, fumée et chaleur intense viennent ajouter à la dangerosité du lieu. Trois
trouées seront effectuées pour permettre
la pénétration des équipes dans le dôme.
Face à ce constat, deux mesures seront
prises: d’abord, encadrement des équipes
d’attaque par des hommes du G.R.I.M.P.,
préparant les cheminements et vérifiant
l’amarrage grâce aux lots de sauvetage,
afin de limiter les risques de chute. Ensuite, mise en place d’une structure médicale forte de 2 VSAB, 5 médecins sapeurs-pompiers, disposant d’un PMA assurant soins, surveillance médicale, salle
de repos, subsistance (l’intervention est
longue et les personnels d’attaque sont
éprouvés après plusieurs heures d’engagement).
Un grand nombre de bouteilles d’ARI
Un grand nombre de bouteilles d’ARI
sera manipulé au cours de l’intervention.
Un parc à matériel sera instauré près de la
cellule d’assistance respiratoire et un parc
secondaire, au pied du dôme. Le matériel
y sera acheminé par une échelle à nacelle. Outre les bouteilles d’air, on y rassemblera tuyaux et scies à disque.
Les automobilistes et les tuyaux
A plusieurs reprises, des conducteurs
récupérant leur véhicule sur le parvis de la
gare rouleront sur les tuyaux et provoqueront leur éclatement, mettant soudain en danger les porte-lances privés
d’eau confrontés à l’avancée du feu.
Le trafic ferroviaire continue
Le trafic ferroviaire ne sera pas interrompu durant l’incendie; les trains stopperont simplement plus loin du corps
central.
(Reproduction autorisée de la revue «FACE AU
RISQUE», No 344/1998. La Rédaction) ◆
Zusammenfassung
chj/SFZ. In einer kalten Februarnacht
des vergangenen Jahres brannte die
Kuppel des Bahnhofgebäudes in Limoges (F). Grund: Reparaturarbeiten
von Spenglern am Kupferdach. Die
Hitze der Lötlampen hatte den darunter liegenden, sehr trockenen Holzboden entzündet. Wegen der sehr erschwerten Zugänglichkeit des Brandherdes war die Bekämpfung der Flammen ausserordentlich heikel. Zudem
herrschte grosse Absturzgefahr: nach
innen wegen der schwachen Innenhaut, aussen wegen des gefrorenen
Löschwassers. Die Sonderrettungstruppe GRIMP erwies sich auch hier als
wertvolle Hilfe.
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Journal des sapeurs-pompiers suisses

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