«∞∞Juste parmi les Nations∞∞»

Transcription

«∞∞Juste parmi les Nations∞∞»
Vies consacrées, 84 (2012-1), 28-44
«∞∞Juste parmi les Nations∞∞»
Mère Marie-Véronique (Philomène Smeers) (1875-1973)
Une religieuse belge, longtemps supérieure générale d’une
petite congrégation diocésaine, vient d’être déclarée «∞∞juste parmi
les nations∞∞» par le Mémorial Yad Vashem de Jérusalem. De nombreux journaux et périodiques, sans compter des dizaines de sites
internet, ont répercuté la nouvelle, qui a par ailleurs fait l’objet de
plusieurs émissions de radio ou de télévision, en attendant d’autres
développements. Il nous a donc semblé intéressant de retracer
quelques fragments de l’histoire qui vient de sortir de l’ombre,
pour honorer tous ceux qui, autrefois comme aujourd’hui, donnent
leur vie pour leur prochain, en toute simplicité. Nous présentons
d’abord Mère Marie-Véronique, avant de citer les témoignages
qui ont été prononcés à Yad Vashem, le 3 novembre dernier. Nous
remercions Emmanuelle Jowa, de Paris-Match Belgique, de nous
avoir généreusement permis d’utiliser son remarquable reportage
du 10 novembre dernier∞∞; notre gratitude va également aux divers
protagonistes de la célébration publique de Jérusalem, dont nous
allons évoquer plus ou moins longuement les interventions.
Mère Marie-Véronique
Mère Marie-Véronique Smeers est née à Linsmeau, en Hesbaye brabançonne, le 12 octobre 1875, dans une famille de cultivateurs. Elle entre chez les Sœurs du Saint-Cœur de Marie de
Malaise (autrefois commune d’Overijse, aujourd’hui de La Hulpe),
le 28 août 1895∞∞; c’est que la Congrégation, mariale et ignatienne,
avait établi, dès 1891, une petite école d’enseignement élémentaire dans son village natal. Le 10 janvier 1896, elle reçoit l’habit
d’allure béguinale que l’institut tient de sa fondation (1859). Elle
émet les trois vœux religieux, à titre temporaire, le 25 avril 1898
et les vœux perpétuels, le 4 septembre 1903. Un parcours sans
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encombre, semble-t-il, qui la voit, de façon pionnière pour
l’époque, obtenir un diplôme d’institutrice de l’enseignement
primaire (via l’école normale de l’Institut de l’Enfant-Jésus, à
Nivelles), puis enseigner à Fumal, tout en s’occupant de l’école
dominicale pour jeunes filles et de la catéchèse. Maîtresse d’école
très appréciée, elle revint bientôt au Pensionnat de Malaise, où
était établie la maison-mère, et y reçut la charge de surveillante
des études secondaires — une fonction d’enseignement et de
direction. Beaucoup de personnes, disent les vieilles notices,
furent marquées par son éducation chrétienne. Après avoir été
maîtresse des novices, elle fut élue supérieure générale le 21 août
1929 (à l’âge de 54 ans), charge qu’elle exerça jusqu’au 29 août
1951 (durant 22 ans donc). C’est en 1930 qu’elle présida au changement du costume religieux (gardant la couleur noire d’origine,
assortie d’un monogramme marial bleu roi) et en 1931 qu’elle
réalisa, avec l’aide du Conseil de la Congrégation et du Père
J.Creusen, s.j.1, la rédaction des nouvelles Constitutions, adaptées au droit canonique de 1917. Elle garda toujours le souci de
la formation professionnelle des Sœurs en envoyant toutes celles
qui le pouvaient à l’école normale primaire ou moyenne (le
«∞∞régendat∞∞»). Elle fit réaménager les dortoirs du Pensionnat,
acheter les machines qui faciliteraient le travail de toutes (à la
buanderie, à la cuisine, pour le nettoyage, etc.) et entreprit, dès
1933, la construction d’un nouveau bâtiment. Malgré de très
grosses difficultés financières, elle accepta toujours des enfants
pauvres au Pensionnat, avant guerre et après2. Pendant la guerre
de 40-45, elle porta courageusement, note sa nécrologie, de nouvelles responsabilités matérielles et morales, «∞∞notamment par
l’accueil d’enfants juives∞∞». Sa confiance en la Providence était
remarquable. Elle s’éteignit à La Hulpe, le 19 septembre 1973,
après plusieurs années d’un déclin intellectuel (une sorte d’entrée dans l’éternelle enfance) qui ne la vit jamais manquer à la
1. Qui fut le premier directeur de notre revue, alors titrée «∞∞Revue des communautés
religieuses∞∞».
2. Il est notoire qu’après la guerre, elle y reçut également les filles de collaborateurs
ou autres rexistes qui, en raison de l’épuration, ne trouvaient pas à s’inscrire à Bruxelles
ou à Anvers.
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discrétion propre à ses responsabilités antérieures∞∞; elle avait
98 ans, dont 78 de vie religieuse.
La Médaille des Justes
Le nom de la plus haute distinction conférée par l’État d’Israël à des personnes non juives fait référence à l’un des versets
du livre d’Isaïe∞∞: «∞∞je leur donnerai dans ma maison et dans mes
murs un souvenir (yad ) et un nom (shem) qui vaudra mieux que
des fils et des filles∞∞; je leur donnerai un nom éternel, qui nous lie
pour l’éternité∞∞» (Is 56,5). Les «∞∞justes∞∞» sont ainsi inscrits à jamais
dans la mémoire d’Israël, et on grave leurs noms sur les murs du
«∞∞Jardin des justes∞∞», où ils rappellent la résistance à la barbarie
qui faillit emporter, avec les juifs, toute l’Europe. Au début de 2011,
23.788 «∞∞Justes parmi les Nations∞∞» avaient été ainsi reconnus,
dans 45 pays, dont 1.584 en Belgique, parmi lesquels de nombreux prêtres, religieux et religieuses. Sans doute brillent-ils
comme de pauvres lumières sur un océan de souffrances et
d’horreurs, mais ils manifestent aussi, comme le répétera l’un
des témoignages lus à la cérémonie, qu’«∞∞une seule personne
peut faire la différence∞∞».
La cérémonie au Mémorial de Yad Vashem a été suivie par
Sœur Paule Berghmans, actuelle supérieure générale, et Sœur
Marie-Justine Dujardin, qui a vécu l’époque de la guerre au couvent. Y assistaient également l’Ambassadrice de Belgique en
Israël, Madame Bénédicte Franquinet∞∞; des représentants de la
colonie belge∞∞; des religieux de congrégations différentes, dont
une délégation de Pologne∞∞; et, bien sûr, des membres de la commission Yad Vashem, dont Jacky Hoffen, ancien enfant caché en
Belgique∞∞; le tout sous la direction avisée et très cordiale d’Irena
Steinfeldt, responsable à Yad Vashem du département des Justes
parmi les Nations. Commencée dans la Crypte du souvenir du
Mémorial lui-même, la cérémonie s’est poursuivie dans la Synagogue et s’est achevée dans le Jardin des Justes, où a été dévoilé
le nom de Mère Marie-Véronique Smeers. Au Mémorial, après
qu’ait été récité un psaume de David (ps 23) et cantilée une
prière au Dieu de Miséricorde (El Maleh Rachamim), Irena Steinfeldt a demandé à Sœurs Marie-Justine et Paule de ranimer la
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flamme éternelle, en mémoire de tous ceux qui, dans les camps
ou l’insurrection des ghettos, ont été exterminés par les nazis.
Ce temps de recueillement fut introduit par I.Steinfeldt en ces
termes∞∞:
En ranimant la flamme perpétuelle, dans cette Crypte du souvenir, auprès des cendres de nos martyrs, nous communions avec
la mémoire des 6 millions de fils et filles de notre peuple voués au
supplice, à l’immolation et à l’anéantissement par les nazis et
leurs complices, des communautés et des familles de la maison
de Jacob dévastées et détruites dans l’intention haineuse d’effacer
le nom d’Israël de dessous les cieux. Nous nous rappelons avec
respect la force d’âme de nos frères qui se sacrifièrent pour leur
peuple en toute sainteté et pureté∞∞; l’épopée des assiégés des ghettos et des combattants qui se dressèrent et allumèrent le feu de
la révolte pour sauver l’honneur de leur peuple∞∞; la lutte exaltée
et persévérante des masses d’Israël pour préserver leur dignité
humaine et leur culture juive. Et nous nous souvenons des Justes
parmi les Nations qui risquèrent leur vie pour sauver des juifs.
A la synagogue, après l’introduction de J.Offen, Simone Berman (représentée par sa cousine Bluma Eckstein) et Élisabeth
Steiner ont offert les témoignages qu’on va lire, puis les deux
Religieuses et l’Ambassadrice de Belgique y ont fait écho. C’est
ainsi que la médaille et le diplôme de «∞∞Juste parmi les Nations∞∞»
ont été remis à la Supérieure actuelle, en l’honneur de Mère
Marie-Véronique, qui fit simplement «∞∞ce qui était à faire∞∞».
On notera que la synagogue est elle aussi un lieu du souvenir,
comme l’expliquait I.Steinfeldt∞∞:
La synagogue dans laquelle nous nous trouvons est un mémorial des synagogues qui furent détruites pendant la shoah et qui
étaient l’expression de l’âme juive. Autour de nous, les Aronôt
kodesh, les armoires qui contiennent les rouleaux de la Torah, en
provenance de Roumanie∞∞; des objets de culte en provenance des
synagogues polonaises et tchèques qui furent endommagées ou
détruites pendant la shoah, et des synagogues dont les communautés furent envoyées à l’extermination. Chaque élément de
cette synagogue est un vestige qui raconte l’histoire de sa propre
communauté. Mais c’est aussi un endroit qui fait le lien entre le
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N. Hausman, s.c.m.
passé et l’avenir, et dans cette synagogue devenue aujourd’hui
très active, nous sommes ici pour honorer une juste parmi
les nations qui a sauvé des enfants juives de la shoah et qui va aussi
nous servir de leçon pour le présent et pour l’avenir. Donc, l’endroit où nous nous trouvons est vraiment le bon endroit.
Revenons maintenant sur les protagonistes de l’événement.
Élisabeth Steiner
En 1942, Ilse Steiner a 13 ans. Elle comprend intuitivement la
guerre, elle ne connaît que trop ses relents. Née en 1929, elle a
déjà vécu la persécution, la traque et un exil forcé. Avec ses
parents, elle a fui l’Autriche et est arrivée clandestinement en
Belgique à l’âge de 9 ans. Scolarisée à Anderlecht où elle habite,
elle apprend à vive allure les bases du français, le néerlandais
aussi, proche de l’allemand. C’est elle qui guide ses parents dans
les démarches administratives. Toute petite encore, elle assume
tout comme une adulte et occulte son enfance volée. L’ostracisme infect la rejoint dans le quartier de la gare du Midi à
Bruxelles. «∞∞On venait y ramasser les juifs. C’était intenable∞∞».
Elle voit son père partir, embarqué en décembre 19423. «∞∞En tant
qu’émigré d’Autriche, il n’avait pas l’autorisation de travailler.
Il est parti comme d’autres à Auschwitz. On leur avait fait miroiter du travail. De ce transport, très peu sont revenus, ils ont été
rapidement gazés∞∞»4. Mais cela, la fillette ne l’apprendra qu’à la
Libération. Sur ces entrefaites, elle vit avec sa mère trois mois
d’angoisse, de souffrance intériorisée, de peur indicible, au
milieu des rafles. Sa mère prépare une fuite en Suisse, grâce à un
«∞∞contact∞∞». Elle aimerait emmener Ilse avec elle, envisageant de
la faire «∞∞passer∞∞» un peu plus tard, avec l’aide d’un guide de montagne, mais les risques sont terribles. Janvier 1943. Ilse a 14 ans
et elle a reçu d’une amie juive, Anna Rosenberg, l’adresse du
3. Par le XVIIIe transport, parti de Malines vers Auschwitz. Du XXe convoi, le seul que
put attaquer la résistance, une quinzaine de fugitifs seulement ne furent pas repris.
4. Ilse perdra ainsi beaucoup de membres de sa famille, dont ses grands-parents∞∞; elle
est persuadée que son grand-père, entrant dans la chambre à gaz, a récité le Sh’ma
Israël («∞∞Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un∞∞»∞∞: c’est la confession
de foi juive la plus pure, quotidiennement récitée∞∞; Dt 6,4).
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« Juste parmi les Nations »
­ ouvent de Malaise où se trouve la sécurité∞∞; mais Ilse cache à sa
C
mère ce bout de papier, par peur d’être séparée d’elle. Un jour
pourtant, il faut envisager le pire, et le petit billet doit sortir de
l’ombre. Lors de son arrivée au Pensionnat, le 20 mars, Ilse est
frappée par la paix, et envoûtée par une odeur de pommes∞∞; c’est
que l’enfant a faim, et le parloir où elle est accueillie est situé
­au-dessus d’un grand fruitier.
«∞∞Soixante-huit ans se sont écoulés depuis le jour où je me suis
présentée avec ma mère au couvent des Sœurs du Saint-Cœur de
Marie, traquée, blessée, en quête d’une main tendue. Mère Véronique est apparue au parloir, le visage soucieux puisqu’à l’époque
le couvent hébergeait déjà une vingtaine d’enfants juifs et le risque
était grand pour elle et toute sa communauté. Devant notre détresse,
Mère Véronique n’a pas hésité. Elle m’a accueillie5 et, après moi,
encore au moins une vingtaine d’autres enfants juifs dont l’une
d’entre elles avec sa maman6. Toutes ont survécu7∞ ; j’ai eu, moi,
le bonheur de recréer une famille. Aujourd’hui Mère Véronique est
honorée au Yad Vashem et reçoit le titre de «∞∞Juste parmi les
Nations∞∞». Je déplore que mon état de santé ne me permette pas
d’être présente en ce jour mémorable, mais je suis avec vous, avec
toute la force de ma gratitude envers Mère Véronique et tous les
êtres bienveillants qui m’ont tendu une main secourable∞∞»8.
Élisabeth sera hébergée au Couvent durant toute la guerre et
choisira d’y rester longtemps après, car sa mère sera arrêtée, sur
dénonciation, à la frontière franco-suisse et disparaîtra elle aussi
à Auschwitz. Les élèves juives ne se connaissent pas entre elles,
elles mémorisent leurs nouveaux noms et restent d’une discrétion infaillible. «∞∞On reconnaissait bien ça et là certains physiques
plus typés, cheveux et yeux plus sombres, mais nous étions
toutes discrètes∞∞». «∞∞La communauté n’avait pas d’argent, pas de 
timbres de ravitaillement [pour elle], mais elle m’a accueillie.
5. Élisabeth se souvient que sa mère, selon la coutume de l’Autriche-Hongrie d’autre­
fois, baisa la main de Mère Véronique en signe de reconnaissance éperdue.
6. Cette personne passa la guerre au Couvent, vêtue en postulante.
7. Une seule enfant fut prise, alors que, contre tous les conseils, elle quitta le Pensionnat pour rejoindre sa famille.
8. Texte lu par Irena Steinfeldt, Directrice du Département des Justes parmi les
Nations.
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N. Hausman, s.c.m.
On m’a nourrie, logée, encadrée. L’hiver, les Sœurs coupaient les
arbres du jardin pour nous réchauffer. Elles manquaient de
beaucoup de choses mais ont toujours partagé, m’ont toujours
soutenue et consolée. Elles ont fait preuve d’une force affective
incroyable∞∞»9.
Après son cycle secondaire, Ilse-Élisabeth sera employée, de
manière rémunérée, comme surveillante, et effectuera de petits
travaux. Élisabeth trouve, dès les débuts de son séjour, une
seconde famille chez la sœur d’une religieuse, Louisa Dujardin,
et son mari, qui tiennent une boulangerie et sont sans enfants.
Avec sa famille d’adoption ainsi qu’avec les Sœurs, elle gardera,
au fil des années, le meilleur des contacts. Partie s’installer seule
à Bruxelles à sa majorité, elle y trouvera du travail (chez un importateur d’animaux sauvages∞∞!), et bientôt un mari, juif d
­ ’Europe
centrale, rescapé d’Auschwitz et de Buchenwald, avec qui elle
fondera une famille, dont les enfants poursuivent leur trajectoire
en Belgique. La montée de l’extrême droite en Autriche, au temps
de Jörg Haider, va pourtant la renvoyer dans les années 1980 aux
épisodes terribles de son enfance, et l’obliger à un accompagnement psychologique intense. Aujourd’hui qu’elle gagne une
émouvante sérénité, c’est pour elle une joie d’exprimer sa reconnaissance à tous ces chrétiens qui ne l’ont jamais trompée. Sans
connaître les démarches parallèles de son ancienne condisciple,
elle entamera la procédure pour que Mère Marie-Véronique soit
reconnue «∞∞juste parmi les nations∞∞» — alors même que l’ouvrage
de A.Scharz-Bart, Le dernier des justes, publié au Seuil en 1959,
ne cesse de l’habiter10.
Simone Berman
Née en 1931, à Bruxelles, place de Ninove, près du canal,
Simone Najman est elle aussi enfant unique. Son père chapelier
tient une boutique rue du Marché aux Grains, près de la Bourse.
Un jour, en 1942, un officier de haut rang le sauve d’une rafle.
9. Extrait de la première demande de reconnaissance introduite par I.Steiner.
10. On sait que le Kaddish final (la prière pour les morts) de cet ouvrage sans pareil est
précisément inscrit dans le sol du Mémorial Yad Vashem.
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« Juste parmi les Nations »
«∞∞La même année, en 1942, le régime nazi qui occupe la Belgique
émet une nouvelle ordonnance∞∞: toutes les écoles du pays avaient
l’ordre d’expulser les enfants juifs de leurs classes∞∞». Simone est
envoyée par ses parents, qui se cachent à Uccle, au Pensionnat
de La Hulpe. Elle y découvre la discipline mais aussi la solidarité
et la force du secret. Les visites de la famille au pensionnat étaient
naturellement prohibées. «∞∞Mes parents, qui avaient toujours été
à la page, veillaient néanmoins à m’envoyer voir le médecin ou
le dentiste∞∞». Lors de ces petits déplacements à Bruxelles, Simone
vit de grandes émotions∞∞; elle ne doit son salut qu’à des inconnus
bienveillants∞∞:
Je me rendais en train à Bruxelles pour aller chez le dentiste.
A côté de moi, sur la banquette, une petite fille. Ses parents me
faisaient face. Le train quitte La Hulpe, s’arrête et on annonce une
alerte. Nous devions rejoindre les abris ou rester sur place. Paralysie totale. Quelques heures s’écoulent. Il se fait tard. On nous
annonce qu’à Bruxelles, il faudra passer par la Gestapo pour avoir
un permis de circuler et de regagner son domicile car il sera plus
de 22 heures. J’avais si peur que je ne parvenais plus à me remémorer le téléphone d’amis non juifs de mes parents, ni leur adresse.
Je me voyais déjà embarquée pour un camp. Le couple qui me
faisait face s’est rendu compte que j’étais pétrifiée. Dès notre arrivée à Bruxelles, le monsieur m’a mis la main sur l’épaule et m’a
dit∞∞: «∞∞Ce soir, j’aurai deux filles∞∞». La Gestapo nous a laissés passer.
Le couple et leur fille ne m’ont pas posé une seule question. Sentant que j’étais perdue, ils m’ont emmenée chez eux à Schaerbeek.
J’y ai passé la nuit dans une chambre d’amis. Le matin, ils m’ont
demandé si je savais où aller, je leur ai répondu que oui. Aucun
autre mot n’a été échangé. Lorsque je suis sortie, j’ai regardé
l’adresse, enregistré mentalement la maison en me disant qu’un
jour, je viendrai les remercier.
Ce qu’elle fit bien plus tard. Durant les années de pensionnat,
elle perd sa mère, des suites d’une intervention chirurgicale.
À la fin de l’Occupation, le père de Simone vient reprendre sa fille
pour la ramener à Bruxelles. Mais la ville a changé, la vie aussi.
Simone broie du noir dans cet univers qui fut impitoyable.
Elle décide de faire ses valises et met le cap sur le nouveau monde,
où les cieux sont plus cléments. «∞∞Je voulais aller où les gens
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N. Hausman, s.c.m.
étaient heureux. J’ai décidé de partir pour les États-Unis et je ne
l’ai jamais regretté… J’ai travaillé de longues années à New York,
je suis partie ensuite à Los Angeles où la Compagnie qui m’employait venait d’ouvrir un bureau. J’y suis restée. C’est un autre
type de culture, bien sûr. Tout y est différent∞∞! Je mange européen,
je pense européen. Je resterai toujours européenne dans l’âme.
Et je n’oublierai jamais ces belles personnalités qui ont changé
mon destin∞∞».
En 1996 seulement, Simone-Suzanne réalise qu’elle n’était
pas un cas isolé dans l’école. «∞∞Nous avions toutes adopté un nouveau nom (j’étais devenue Marie-Simone Van Laet). Lors d’une
visite à ma famille en Belgique, je suis allée saluer les Sœurs. Tout
à coup, j’apprends, en partageant un café, qu’elles ont dissimulé
bien d’autres enfants juives… De retour chez moi, j’ai téléphoné
au Yad Vashem à Jérusalem pour demander que l’on honore la
Mère supérieure. Ils m’ont envoyé les formulaires. Les procédures
ont pris du temps… Mais voilà, nous y sommes∞∞»11∞∞:
Nous nous tenons aujourd’hui, en ce jeudi 3 novembre 2011,
à Jérusalem, pour honorer officiellement la Mère Supérieure
Marie Véronique de l’ordre du Saint-Cœur de Marie à La Hulpe,
Belgique. Mon nom est Simone Suzanne Berman. Je dois ma vie à
ce remarquable être humain. Et il en est ainsi pour beaucoup
d’autres. Marie Véronique croyait qu’une personne peut faire la
différence. Son Credo∞∞? «∞∞On doit faire ce que l’on doit faire∞∞». C’est
parce qu’elle a fait ce qu’elle estimait devoir faire que je me tiens
ici aujourd’hui. En 1942, Le régime nazi qui occupait la Belgique
émit une nouvelle ordonnance∞∞: toutes les écoles du pays avaient
l’ordre d’expulser les enfants juifs de leurs classes. L’ordre ne
­permettait pas d’alternatives ou d’exceptions. Déjà en 1942, un
nombre substantiel d’enfants juifs avaient perdu parents, frères
et sœurs dans le programme nazi d’extermination des Juifs en
train de se dérouler. Parce que retenir un enfant juif à l’école le
mettait aussi en danger de devenir la victime d’un camp de
concentration, il n’y avait pas le choix∞∞! Les enfants devaient être
expulsés et affronter leur propre futur incertain. Mais la Mère
Supérieure Marie Véronique dans la petite ville de La Hulpe,
11. L’hommage de S.Berman a été lu par Myriam Eckstein, sa petite cousine, résidant
en Israël.
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« Juste parmi les Nations »
Belgique, croyait qu’elle avait le choix∞∞; elle pouvait mettre les
enfants en sécurité∞∞! En dépit de tous les problèmes et les dangers
auxquels elle savait qu’elle devrait faire face, y compris les dangers
pour sa propre vie, sauver les enfants des horreurs de l’Holocauste
demandait une action immédiate∞∞! Et ainsi cette femme brillante
et bien éduquée, physiquement petite, mais grande de cœur et
forte de volonté, devint le sauveur de nombreux enfants qui
auraient pu autrement ne pas réussir à survivre aux périls de ces
années. Comment s’est-il fait qu’une seule femme put nous protéger, nous les enfants, pour la postérité∞∞? Comment fit-elle∞∞?
Et pourquoi∞∞? Les anciens professeurs de son école, tous chrétiens
bien entendu, avaient été éduqués à comprendre, respecter et
apprécier tous les groupes religieux, ainsi qu’à honorer l’humanité. Ces mêmes diplômées savaient que des enfants juifs avaient
besoin de protection contre les exécutions criminelles perpétrées
continuellement par les nazis. Elles adressèrent leurs préoccupations à la Mère Supérieure Marie Véronique. Elles demandèrent
un avis et elle leur offrit une solution∞∞: laisser toutes les enfants
suffisamment capables de fréquenter les classes de la première à
la dernière année12, devenir une part intégrante du corps des
élèves pensionnaires de son école.
Des enfants en besoin d’une protection complète furent introduits auprès d’elle. Elle attribua un nom fictif à tous. Chacune de
nous comprit que notre sécurité collective n’était assurée que par
notre capacité à jouer nos rôles à chaque minute de chaque jour.
Une des «∞∞clés∞∞» du succès du plan est que nous n’avions jamais su
que telle autre élève partageait notre statut secret. Nous ne nous
connaissions pas les unes les autres et de ce fait nous avons évité
de devenir un «∞∞groupe∞∞» identifiable au sein de l’école. La Mère
Supérieure Marie Véronique était vraiment le «∞∞Général∞∞» en
charge de tout, chaque jour et à chaque minute du jour∞∞! Elle comprenait les difficultés auxquelles nous faisions face, nous les
enfants juifs cachés sous son aile. Nous n’avions pas de contacts
avec nos parents ou un membre de la famille. Nous n’avions
aucune idée si nous les reverrions jamais. Et des amitiés avec
d’autres élèves étaient particulièrement dangereuses∞∞! Comment
pouvait-on être amie en étant incapable de divulguer sa vraie
identité, où ses parents vivaient, combien avait-on de frères, de
12. Il y avait 6 primaires et trois «∞∞moyennes∞∞» (humanités)∞∞; en fait, l’une des enfants
juives n’avait que 4 ans.
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N. Hausman, s.c.m.
sœurs, de cousins, etc.∞∞? Comment se faisait-il que nous ne visitions jamais nos familles et que nous n’avions jamais de visiteurs∞∞?
Les détails de notre vie devaient être évités et cependant certaines
d’entre nous n’avaient que 7 ans. Mais nous le fîmes∞∞! Sous la direction de la Mère Supérieure Marie Véronique nous parvînmes à
réussir à maintenir la mascarade. Nous lui faisions confiance et
elle nous faisait confiance pour «∞∞jouer∞∞» les rôles qu’elle nous instruisait de suivre. Elle parvint à nous faire comprendre l’importance
de notre adhésion individuelle au «∞∞jeu∞∞». Nous comprenions que
toute bévue pouvait avoir des conséquences tragiques pour chacune
des résidentes de l’école. En dépit du fait que nous fréquentions
différentes classes vu notre grande différence d’âges, Marie Véronique trouva le moyen de nous aider toutes avec nos problèmes
individuels. Par exemple, quand ma mère mourut, Sœur Marie
Paule, qui était une des Sœurs que j’aimais beaucoup, fut déléguée
pour me visiter chaque soir quand j’étais seule dans ma chambrette
et en grand besoin de support et de réconfort. Ces visites continuèrent jusqu’à ce qu’elle soit certaine que j’accepte la mortalité
comme un fait de la vie. Beaucoup plus tard, j’appris que plusieurs
d’entre nous furent personnellement visitées et aidées par diverses
Sœurs quand le désespoir, la solitude, la peur et le besoin du
réconfort d’une famille devenait insupportable pour nous.
Aujourd’hui nous commémorons Mère Marie Véronique pour
avoir risqué sa vie pour sauver la vie d’autres. A une époque où les
forces du mal semblaient inexorables, elle crut et prouva qu’une
personne peut faire la différence. Moi-même, avec d’innombrables
autres, la remercie non seulement pour nos vies, mais aussi pour
son dévouement, pour nous avoir offert un environnement d’excellente éducation et pour nous avoir prodigué un sens de la normalité qui nous a permis d’affronter le monde extérieur avec le
sourire et l’espoir d’un futur dans lequel nous pourrions à nouveau
être libres d’être nous-mêmes. Mère Marie Véronique, au nom de
celles dont vous avez sauvé les vies d’une manière désintéressée et
de celles auxquelles vont avez fait don d’un futur, nous vous remercions. Et au nom de l’humanité, nous vous honorons pour la force
de votre exemple qui montre que même si l’on est seulement une
unique personne agissant seule, nous avons le devoir et le pouvoir
de protéger ceux qui sont sans défense face aux forces du mal.
Ce vibrant hommage permet aussi de comprendre, entre les
lignes, qu’une entreprise aussi audacieuse ne pouvait réussir
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« Juste parmi les Nations »
sans une solidarité générale, non seulement des enfants et des
Sœurs mises dans la confidence, mais aussi, du voisinage, voire,
des parents de certaines élèves externes (dont l’un cependant
rexiste avéré) qui surent garder le secret. On en veut pour preuve
ce récit savoureux, qui a trait à l’existence d’une cachette aménagée dans le Pensionnat, et de l’occasion où elle servit de refuge,
lors d’un incident heureusement sans conséquence pour les
«∞∞enfants cachées∞∞» et leurs protectrices.
Une astucieuse cachette
Un abri souterrain avait été préparé, sans doute en 1943, «∞∞pour
les juives et les jeunes hommes13∞∞», par les Sœurs elles-mêmes.
Nous avons creusé dans ce qu’on appelait le chauffage de
l’ancien bâtiment, dans le mur de droite à l’entrée, vers la salle de
bain. Il y avait là un volume non utilisé. Nous creusions dans les
pierres et les terres noires (peut-être chargées de suie). Chaque
soir, après la prière, nous passions nos longs tabliers pour travailler pendant le sommeil du reste de la maisonnée. Combien de
nuits cela a-t-il duré∞∞? Un maçon en a parfait le travail14, de sorte
que la cachette était à l’abri d’éboulements. L’entrée était une
trappe dans le vestiaire du rez de chaussée, sous le grand tapis.
L’escalier y aboutissait, il y avait une réserve d’eau et de biscuits
renouvelables. Un jour, à l’heure de l’étude, Monsieur l’Aumônier15 avertit que les camions allemands stationnent quelques
mètres plus bas. De fait, on les voit de la fenêtre du petit parloir
qui donne sur la rue. Sans aucun doute possible, c’est pour nous.
Monsieur l’Aumônier se poste à la fenêtre du petit parloir, toutes
portes ouvertes. Des sœurs sont en sentinelles aux endroits stratégiques du corridor. La salle d’étude du premier étage se vide en
ordre, le rang descend. Au passage devant le vestiaire, les juives,
sur un signe, quittent le groupe et entrent dans la classe en face.
Le tapis est roulé, la trappe ouverte. Les autres pensionnaires
­descendent à la salle de jeux rejoindre les petites qui y sont déjà.
Tout se passe dans le calme. C’est un trajet quotidien, mais
13. Des jeunes gens belges, réfractaires au travail obligatoire en Allemagne.
14. Ce qui, après la guerre, sauva ce maçon des représailles qui le menaçaient par
ailleurs.
15. Il s’agit de l’abbé Kestens, qui habitait en face du Pensionnat.
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N. Hausman, s.c.m.
habituellement un peu plus tardif. Le temps s’écoule. Monsieur
l’Aumônier annonce∞∞: «∞∞Les camions sont partis∞∞». Mieux vaut
attendre encore. Ensuite, la vie normale reprend, on a eu chaud∞∞! […]
Plus tard, le lundi 4 septembre 1944, une voisine d’en face,
raconte à la révérende Mère (Marie Véronique)∞∞: «∞∞Un jour, des
camions allemands se sont arrêtés devant la maison. Des soldats
ont sonné, m’ont tendu un mandat de perquisition sur lequel j’ai
lu le numéro du couvent. Comme je n’avais rien à cacher et que je
devinais qu’il se passait des choses chez vous, je n’ai pas fait
remarquer l’erreur. Ils ont tout fouillé, de la cave au grenier et
même le jardin∞∞»16. Le récit de la dame coïncidait avec notre grande
alerte et nous avons compris à quel point la Sainte Vierge nous
avait protégées17.
Il y eut donc tout un entourage fervent et discret. Car la résistance était forte, dans et autour du Pensionnat. Et la solidarité
aussi, puisque les neveux de Mère Marie-Véronique, par exemple,
n’hésitaient pas à franchir de grandes distances pour faire parvenir au Couvent les pommes de terre de leur récolte. C’est de
cette force d’âme générale que Sœur Paule, l’actuelle supérieure
générale voulut témoigner, après que sœur Marie-Justine, qui a
vécu cette époque, l’ait rappelée à son tour∞∞; Madame l’Ambassadrice de Belgique en Israël reprendra ce leitmotiv, pour finir.
Intervention de Sœur Marie-Justine,
contemporaine des événements
Personnellement, je suis entrée en religion en 1942, en pleine
guerre∞∞; je viens de la frontière française∞∞; j’avais pris ma décision,
je suis entrée∞∞; mais nous ne savions pas ce qui se passait exactement avec les juifs. A la fin de 1942 je crois, je suis allée avec une
Sœur [Marie-Michel] faire des courses à Bruxelles, rue de la Samaritaine, près du Palais de Justice. La Sœur devait y rencontrer une
famille. Dans une petite maison, tout en haut, au dernier étage,
16. Cette voisine (fille d’un général de l’armée belge) était seule, les enfants à l’école.
Réalisant que les Allemands visaient le Pensionnat, elle eut en effet le réflexe (salvateur) de rester calme, souriante, et de faire traîner la visite le plus longtemps possible,
tout en affirmant que ses visiteurs se trompaient vraisemblablement de quartier…
17. Extrait d’un document de la Congrégation, rapportant des souvenirs de la guerre.
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« Juste parmi les Nations »
j’ai vu de mes yeux vingt-deux personnes réunies, des juifs [dont
certains portaient l’étoile jaune], et pour moi, jeune Sœur, ce fut
un choc formidable. J’avais déjà connu la guerre, mais pas cela∞∞;
j’en ai été profondément touchée. En 1943, des enfants juives arrivaient chez nous sous un faux nom∞∞; certaines avaient «∞∞le type∞∞»,
d’autres non∞∞; de plus en plus d’enfants arrivaient au Pensionnat.
Je me souviens de plusieurs noms, je revois beaucoup de visages.
Un jour arrive une enfant juive avec sa Maman∞∞: c’est MarieÉlisabeth∞∞; je l’ai vue monter le grand escalier central (pour visiter
le dortoir) avec sa Maman, et j’ai dit à une consœur∞∞: «∞∞en voilà
encore une∞∞». La Maman est redescendue, et nous ne l’avons jamais
revue. Le père avait déjà été pris. Élisabeth est restée longtemps
chez nous∞∞; puisqu’elle connaissait plusieurs langues (flamand,
anglais, allemand), elle a donné des cours. Un petit souvenir me
revient d’elle. Comme ma famille l’avait adoptée, elle retournait
régulièrement, quand c’était possible, chez ma sœur. Le premier
billet de 500 F qu’elle a gagné, elle voulait l’encadrer∞∞; mais ma
sœur lui disait que l’argent est fait pour circuler∞∞! C’est vous dire
dans quel état était cette enfant. Elle s’est mariée, et ma sœur a
assisté à son mariage, ainsi qu’à celui de sa fille, à la synagogue.
Je l’ai encore visitée il y quelques semaines et nous avons toujours
gardé des liens, mais son cœur ne pouvait pas supporter le voyage.
Un autre flash de l’époque me revient. Un jour les Allemands
se présentent à Mère Véronique, ils sont à la recherche des cloches
du couvent (pour en faire des canons). Elle les promène dans toute
l’immense maison, mais une armoire dissimule parfaitement la
porte du clocher, qui d’ailleurs n’est pas facile à situer. Et la petite
Mère Véronique de laisser entendre qu’elle ne sait pas comment
y arriver… Le lendemain évidemment, les trois jeunes gens réfractaires que nous cachions aussi ont creusé un grand trou dans le
jardin, et les cloches y sont restées jusqu’à la Libération, avec les
cuivres de la chapelle d’ailleurs. Cela rappelle l’histoire de la cachette
aménagée pour les enfants, et qui n’a heureusement servi qu’une
fois. C’est ainsi que Marie-Élisabeth a survécu, est restée en relations avec beaucoup d’enfants juives et demeure toujours en lien
avec nous.
Intervention de Sœur Paule, supérieure générale
Chaque fois qu’une femme, un homme, un enfant se lève pour
sauver son frère, sa sœur en humanité jusqu’à risquer sa vie ou
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N. Hausman, s.c.m.
même la donner, chaque fois se révèle, souvent dans la plus
grande discrétion, la noblesse de l’être humain. Oui, comme tant
d’autres justes, Mère Véronique «∞∞croyait qu’elle avait le choix∞∞:
elle pouvait sauver les enfants∞∞», nous témoigne Simone [Berman]. Un violon a une âme18, vous le savez bien, Chers Amis∞∞!
Et elle vibre sous les doigts de l’artiste. Ensemble, laissons vibrer
notre âme en Dieu. Offrons-Lui notre action de grâce pour tous
les justes reconnus ou non, mais assurément tous connus de Lui.
Confions-Lui tous nos frères et sœurs en humanité qui aujourd’hui
encore sont sans secours devant les forces du mal. Croyons que
nous avons le choix de pouvoir les sauver. Merci, du fond du cœur
de votre amitié et de votre reconnaissance. A notre tour, laissez
nous vous dire, au nom de toutes nos Sœurs, celles d’hier, d’aujourd’hui et de demain, toute notre reconnaissance et notre amitié. «∞∞Je verrai la bonté de Dieu sur la terre des vivants∞∞» (Ps 26, du
jour).
Madame Bénédicte Franquinet,
Ambassadrice de Belgique en Israël
C’est toujours un grand honneur pour l’Ambassadrice de Belgique en Israël d’être associée à cette cérémonie de reconnaissance de citoyens belges comme justes parmi les nations, malheureusement souvent à titre posthume — ce qui n’en diminue
pas le caractère extraordinaire. Je pense que cette commémoration peut nous permettre de passer de l’universel au singulier,
pour repartir vers l’universel. Il y avait, au début de la guerre, 50 à
60.000 juifs en Belgique∞∞; plus de la moitié ont été déportés∞∞; bien
peu sont revenus. C’est un malheur pour les Juifs, un malheur
pour Israël, un malheur pour la Belgique. Mais près de la moitié
ont été sauvés, parce que des personnes en Belgique, comme
Mère Marie-Véronique, ont pris l’initiative et ont fait le choix
de protéger des autres personnes justement parce qu’elles étaient
vulnérables (beaucoup avaient récemment dû immigrer de
Pologne, de Tchécoslovaquie, d’Allemagne…). Des Belges ont
fait ce choix, sans trop se poser de questions, en pensant que
c’était là leur devoir∞∞; ils sont 1.584 reconnus comme justes, et une
18. Allusion à la fameuse comédie musicale «∞∞Un violon sur le toit∞∞» (Fiddler on the
Roof) de Joseph Stein, tirée de l’œuvre de Cholem Aleichem∞∞; créée en 1964 et adaptée
au cinéma en 1971.
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« Juste parmi les Nations »
dizaine s’y ajoute encore chaque année. Au-delà des chiffres, il y
a des histoires individuelles, des survivants et des sauveurs.
Quand on se penche sur ces «∞∞enfants cachés∞∞», chaque histoire est
extraordinaire et tout ensemble, vous tire des larmes et vous
redonne espoir. La cérémonie montre qu’il en fut ainsi individuellement de Simone, Ilse, Marie-Véronique. Ces histoires ne se
reproduisent pas, mais permettent de repartir vers l’universel∞∞: le
choix que ces personnes ont fait. On entend si souvent dire qu’«∞∞on
n’avait pas le choix∞∞», que c’était dangereux, qu’il y avait des
menaces sur la famille, etc. Mais un choix difficile et pénible était
pourtant possible, et certains l’ont fait. Après trois ans de présence
en Israël, c’est la grande leçon d’avenir que je retiens, celle qu’il
faut enseigner aux enfants et à tous. Si au lieu de 1.500 justes, il y
en avait eu 15.000 ou 150.000, le projet épouvantable de l’extermination n’aurait peut-être pas abouti. Ainsi, il est toujours possible de réfléchir devant des situations terrifiantes, et de prendre
le temps de nous dire à nouveau∞∞: j’ai le choix. C’est la leçon universelle que j’aimerais proposer∞∞: nous avons le choix∞∞; faisons le
bon choix.
Pour finir
Comment mieux finir qu’en publiant encore l’attachant
courrier de Albert Guigui, Grand Rabbin de Bruxelles, qui écrivait
à la Congrégation, le 6 novembre∞∞:
Un immense merci pour avoir essayé de nous mettre au courant du bel hommage qui a été rendu à votre supérieure générale
qui a caché des enfants juifs pendant la tourmente. Notre peuple
n’oubliera jamais le courage de ces hommes et de ces femmes qui
au péril de leur vie ont arraché des hommes, des femmes et des
enfants des griffes des nazis. Notre Communauté leur sera éternellement reconnaissante. J’ai eu le privilège de connaître certains de ces justes des nations∞∞: le père Passelecq19 entre autres.
Un homme d’une grande humanité. Un Père remarquable qui a
tellement œuvré à jeter des ponts entre juifs et chrétiens […]. Je
voudrais vous dire que je me tiens à votre entière disposition.
19. Georges Passelecq, o.s.b., décédé en 1999, a notamment signé avec B.Suchecky
L’Encyclique cachée de Pie XI∞∞: une occasion manquée de l’Église face à l’antisémitisme,
préface d’É.Poulat, Paris, La Découverte, 1995.
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N. Hausman, s.c.m.
N’hésitez pas à faire appel à moi quand vous le souhaiterez. Que le
Tout-Puissant vous bénisse et vous accorde longue vie et bonne
santé.
Qu’il en soit donc ainsi.
- N.Hausman, s.c.m.
Avenue Pré-au-Bois, 9
BE-1640 Rhode-Saint-Genèse
Belgique
Quelques personnes juives survivantes ont voulu œuvrer, depuis les ÉtatsUnis, Israël ou la Belgique, à ce que soit reconnue la résistance spirituelle
d’un religieuse belge, courageuse figure, qui estimait, selon l’hommage
écrit pour la cérémonie par l’une des juives rescapées, qu’«∞∞on doit faire ce
qui est à faire∞∞»∞∞; car «∞∞même si nous ne sommes qu’une personne agissant
seule, nous avons le devoir et le pouvoir de protéger ceux qui sont sans
secours devant les forces du mal∞∞».
a
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