A propos de l`école d`architecture d`Anne Lacaton et Jean

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A propos de l`école d`architecture d`Anne Lacaton et Jean
A propos de l’école d’architecture d’Anne
Lacaton et Jean-Philippe Vassal, à Nantes
Une école d’architecture, pas une école d’ingénieur ou de commerce.
L'’enseignement de projet = 50% du temps de formation en premier cycle et 75% en second
cycle
- obligation d’un lieu où, en groupe, parler, débattre, dessiner, maquetter imaginer,
tester, gommer, refaire, etc… = le studio de projet
- besoin de lieux où se confronter à la matière, aux structures, à l’échelle 1 pour tester
des formes, des assemblages, des résistances, etc = la halle de fabrication
Une construction neuve en centre ville
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Conçu pour accueillir 450 étudiants, le site de Massenet en reçoit plus de neuf cent
dans les années 1990. Augmentation des effectifs + transformations de la pédagogie +
évolution des normes de confort et de sécurité = obligation de construire un nouveau
bâtiment.
Problème : l'isolement urbain = l'école n'est ni sur le campus, ni en ville
Choix du conseil d'administration en 1995 : relocalisation de l'école sur ce qui n'est
pas encore l'île de Nantes en terme de projet urbain, mais dans un secteur où existe
déjà une vraie dynamique urbaine au coeur du territoire métropolitain.
Création d'un groupe de pilotage interne (l'école se positionne en " maître d'usage ")
qui écrit le programme, avec l'assistance de Roberto Almeida, programmiste de la
société APOR.
Validation en 2000 d'un cahier d'intentions (orientations « politiques » du projet) et
d'un recueil de données analytiques quantitatives (surface, volumes, coûts
prévisionnels,…) et qualitatives (usages, prescriptions techniques, …) induites par les
orientations générales du cahier d'intentions.
Au plan urbain, souhait d'A. Chemetoff que la rue La Noue Bras de Fer ait un
débouché sur la Loire = il y aura deux bâtiments de part et d'autre d'une rue piétonne
publique.
Lancement du concours en juillet 2002 : 136 équipes candidates, 10 équipes retenues
en 1e phase, 5 équipes admises en seconde phase, 1 équipe lauréate = Anne Lacaton et
Jean-Philippe Vassal.
Octobre/novembre 2006 : début du chantier - évacuation/décapage. Coulage des
premiers pieux en janvier 2007
Février 2009 : emménagement
Trois raisons au choix de Lacaton et Vassal : un « cadeau » de 4000 m2,
un bâtiment évolutif, une « philosophie » séduisante.
Le cadeau
8300 m2 au programme, 12500 m2 proposés = 2600 m2 environ en sus (car 1600 m2
environ financés en cours d'opération - niveau 3 bâtiment Loire et parking 0C reconverti)
- 5500 m2 d'espaces tampon et 8000 m2 de terrasses, soit environ 26000 m2 de surfaces
hors œuvre brute
- grâce à un système constructif simple : bâtiment principal = une structure poteauxpoutres-plateformes béton (préfabriqués) tramée en carrés de 10 mètres de côté,
contreventée par deux noyaux centraux qui accueillent ascenseurs, sanitaires et cages
d’escalier ; bâtiment Loire = une structure poteaux-poutres métalliques (un mécano
boulonné) dont on retrouve les éléments standard dans les niveaux intermédiaires
glissés entre les plateformes béton du bâtiment principal
- grâce à des matériaux simples à mettre en œuvre et peu onéreux : béton, acier, verre,
polycarbonate. Pas de faïence, de cuivre ou de bois exotique.
- Où sont ces 5500 m2 ? Ce sont tous les espaces clos de polycarbonate et en double
hauteur (7 à 9 m) Les espaces programme sont clos en verre. Exception : la halle de
fabrication.
Le bâtiment évolutif
A l'exclusion de lieux comme la bibliothèque ou l'atelier machines, les studios de projet
comme les bureaux, les salles de cours ou les espaces tampons sont aisément « redéployables
» et « réaffectables » car la structure du bâtiment (voir ci-dessus) est indépendante du
programme qui se « se glisse » entre les plateformes béton.
Une philosophie séduisante
- le luxe c'est l'espace = « marque » des architectes depuis leurs premiers projets, aussi
bien dans des immeubles de bureaux, culturels ou d'habitat
- circulations internes et externes qui autorisent de multiples échanges entre les usagers
- un bâtiment « poreux »
A propos de la porosité de la construction
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Cette école est « ouverte » du dehors vers le dedans. Le public est « invité » à y
pénétrer pour voir (des travaux d'étudiants, des expos), se cultiver (la bibliothèque,
l'auditorium) et même « jouir » du bâtiment (sa place haute) et de ses services (la
cafeteria). La chose est physiquement visible : l'espace public se poursuit dans
l'école avec le sol bitume (= la rue) et les néons rose (signalent les lieux ouverts au
public comme des enseignes dans une rue commerçante).
Les usagers peuvent y entrer à tous les niveaux des deux façades ouest et sud
(toutes les fenêtres coulissent) grâce à la rampe qui est comme une « rue piétonne
», un prolongement de la rue publique.
Cette école est « ouverte » du dedans vers le dehors. A tous les niveaux, les
fenêtres vitrées et les parois de polycarbonate coulissent = possibilité (virtuelle au
nord et à l'est en se penchant ; physique à l'ouest et au sud en faisant seulement un
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pas) de « sortir » du bâtiment pour se retrouver « dans » la ville, en pleine ville,
historique et contemporaine avec sa multitude de formes, de volumes, de
matériaux, de peaux, de destinations.
Une conséquence = sécurité des biens difficile à assurer (une centaine -peut être
plus- d'ouvrants à vérifier chaque soir au moment de la fermeture).
La structure du bâtiment
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Fondé sur plus de 200 pieux qui trouvent le dur à moins 25 mètres
un terrassement au sol de 2,5 mètres de sable compacté
Un poteau porteur tous les dix mètres + des poutres de liaison + trois plateformes
de béton (tous ces éléments ayant été préfabriqués par l'entreprise Savoie) pour le
bâtiment principal. Compter l'espace entre les poteaux permet de calculer aisément
l'épaisseur du bâtiment
Des poteaux et des poutres acier + des sols bétons aux étages pour le bâtiment
Loire.
Dans le bâtiment principal, entre les plateformes béton, des niveaux intermédiaires
qui reprennent les éléments du bâtiment Loire avec création de volumes
différenciés, de circulations intérieures, de « points de vue » sur le coeur de
l'ouvrage, d'éclairages variés = une géométrie primaire simple (le carré, le
rectangle, le parallélépipède) mais des distributions complexes (justification de la
numérotation des niveaux OA, OB, OC, 1A, 1B, 2A, 2B)
Les lieux remarquables
L'atelier machines et la halle de fabrication/
Importance du « faire » et de l'expérimentation dans la pédagogie. Comprendre les structures
en les fabriquant : pourquoi et comment « ça tient », pourquoi et comment « ça se rompt » +
les qualités des matériaux + la résistance et l'élasticité des formes + le jeu des volumes =
maquettes de structures ou de sites ou de bâtiments = travail du bois, du métal, du papier, du
plastique, du verre, du polycarbonate, du tissu, etc (en atelier) et montage de prototypes en
vraie grandeur (8 mètres utilisables en hauteur dans la halle, 100 m2 entre chaque poteau).
Une rareté dans les écoles françaises. Quelques unes seulement dotées d'un tel atelier, aucune
autre dotée d'une halle de 600 m2.
Les ateliers d'art plastique/
L'apprentissage de la représentation = un élément majeur de la pédagogie. Un étudiant de 1e
semestre a le droit de ne pas savoir dessiner, un diplômé saura représenter n'importe quel
volume dans l'espace à l'aide de son seul crayon. Au demeurant, les arts plastiques ne
mobilisent pas que le dessin car « disposer un volume dans l’espace », y compris le volume
d’un corps –humain- en mouvement, peut s’apprendre aussi avec la photographie, la video, la
sculpture ou encore la danse.
L'auditorium
Pas dévolu à la pédagogie. Aussi un lieu de « porosité » mais intellectuelle. La pédagogie est
une transmission de savoirs et de savoir-faire mais elle aussi un questionnement continuel de
ces savoirs et savoir-faire et un questionnement continuel du contexte (physique, social,
géographique, scientifique) et un questionnement continuel du monde contemporain et des
futurs possibles = un lieu de débat où l'étudiant dialogue avec l'extérieur et où le public
extérieur dialogue avec les professionnels = un lieu pour des conférences, séminaires,
colloques.
Donc un lieu confortable (270 fauteuils cinéma) bénéficiant d'un équipement professionnel
(écran de 10x6 mètres, micros baladeurs) + galeries qui permettent des entrées/sorties
discrètes sans perturber intervenant et auditeurs + « geste » architectural étonnant, la paroi
coulissante (une fenêtre de 10x9 mètres sur la ville, pour faire entre des décors ou des
maquettes dans l'auditorium, aussi pour rétro-projeter des images visibles de l'extérieur)
Le « foyer bas » pour installer des expos en accompagnement d'une conférence, une table de
presse, un buffet autour duquel il est possible de converser librement.
L'amphi 150
Son nom = 150 places. Exclusivement dédié à la pédagogie. Pour des cours magistraux.
Même équipement professionnel que l'auditorium.
Confortable ! (largeur des plateaux, rien à voir avec les amphis nantais de lettre ou science)
Pas de fenêtre coulissante mais bouches pour le renouvellement de l'air, comme l'auditorium.
Seuls lieux de l'école avec cet équipement. Ailleurs renouvellement de l'air = geste simple et
vieux comme le monde : ouvrir une/des fenêtres. Avec un plus dans les espaces tampon : les
vantaux haut qui ouvrent et ferment automatiquement en fonction de la température (=
technologie issue des bâtiments de maraîchers que Lacaton-Vassal connaissent et utilisent
depuis leur début + contribution des deux architectes au développement durable, quoique le
bâtiment ne soit pas HQE)
La reprographie
Le projet abouti à une forme : le dessin (désormais concurrencé par le film numérique en 3D).
Le dessin (une/des vues, un/des plans, une/des coupes) et son commentaire font un « rendu ».
Ce renu est imprimé = obligation de disposer d'une imprimerie. Ici impression sur papier (y
compris photo) et bâche, tout format, toute longueur par un professionnel du métier.
Le studio de projet du 0C
En fait trois studios, dans un niveau préalablement destiné au parking. Lors de l'écriture du
programme, la règle urbaine impose 150 places de parking. Après le concours, au démarrage
du chantier, la nouvelle règle ne demande plus que 30 places. Choix de l'école (accepté par le
ministère) :
- aller au bout de la logique de l'école de centre ville = on y vient à pieds, en bus ou
tram, en vélo, pas en voiture = parking réservé aux seuls véhicules de l'école (4
minibus et une voiture) à ceux des visiteurs et à ceux des handicapés
- transformer un espace de parking en studio de projet de sorte que chaque étudiant ait
une place (assise) à lui. Une seule autre école offre ce luxe : Marne la vallée
- trois studios en un parce qu'interdiction de cloisonner (cet étage permet le
désenfumage du rez de chaussée en cas d'incendie dans la halle).
Place centrale
Le 1e étage (la 1e plateforme béton). La porosité du bâtiment lisible aisément (ouvrants du
nord et de l'est).
Un espace tampon donc peu chauffé : 12° quand il fait 0° à l'extérieur (19° dans les studios,
salles de cours et bureaux), obtenus avec des aérothermes qui utilisent l'eau chaude (plus
d'infos a/s du chauffage sur la place haute)
Un espace « à disposition » pour des expositions, des projections, des animations. Un espace
redimensionnable à volonté.
Place centrale parce lieu obligé de passage des usagers du bâtiment Loire (chercheurs et
administratifs) via la passerelle, pour qu'ils côtoient leurs autres collègues et les étudiants. A
noter : administration dispersée dans l'école (accueil-communication + logistique au rez de
chaussée du BP ; service des études + bibliothèque + service informatique au 1A du BP ; le
reste dans le bâtiment Loire)
Bibliothèque
Elle est « publique » au sens propre du terme. 900 m2 ouverts à toutes et tous pour la lecture
et le prêt (pour le prêt, obligation d'une carte de lecteur).
30 000 documents : livres, revues, cd, DVD, littérature grise, travaux d'étudiants, etc.
Le multimedia et l'informatique
Pas d'études d'architecture sans apprentissage de l'usage d'outils numériques, pas
d'administration sans informatique (quasi inexistants/tante il y a 25 ans).
Une salle serveur. Un plateau multimedia. Cinq salles de cours. Des studios de montage.
WIFI disponible dans les deux bâtiments.
La passerelle pour le bâtiment Loire
Transparente (est) et translucide (ouest) : un jeu avec la lumière et lecture de l'échelle du
bâtiment .
Le bâtiment Loire
Une galerie d’exposition (600 m2) au rez de chaussée. Réservée à des expositions de qualité
professionnelle. Avec le souhait d'accueillir des productions de premier plan et donc l'idée de
s'inscrire dans un réseau (informel) national de diffusion avec la Cité, le pavillon de l'Arsenal,
le FRAC centre, Arc en rêve...
Deux laboratoires (CERMA, sciences « dures » liées aux ambiances thermiques, lumineuses,
sonores, etc + LAUA, sciences humaines en lien avec l'urbanisme) et une équipe de recherche
(GERSA, travail sur la scénographie) aux 1e et 2d étages
La comptabilité, les ressources humaines et la direction au dernier étage + le plus beau lieu de
l'école = la salle des conseils (d'administration, de la recherche, des études, d'hygiène et
sécurité, etc).
Le service des études
Au coeur du bâtiment. Un agent par année et par formation + un agent pour les étrangers et
expatriés (en particulier erasmus).
Lieu de RdVous, rencontres, dialogues, transmissions d'informations, entretiens confidentiels
avec les 750 étudiants et la centaine d'enseignants (40 titulaires et associés et 60 vacataires par
an)
Les studios de projet du 2e
Lieu privilégié de travail (en groupe et individuel) de chaque étudiant.
Affectation change chaque semestre (sauf navale et scéno) = stabilité des étudiants
(l'enseignant se déplace, pas eux) mais refus de la « sédentarisation » (et donc de la
sédimentation des productions).
Un espace tampon accessible pour chaque studio, ou afficher, installer mais aussi... pratiquer
le badminton ou jouer de la musique et faire du théâtre !
La place haute
Parce que dans l'esprit de Lacaton et Vassal, ici est restitué l'espace de la parcelle disponible
pour le public avant sa construction. Donc un lieu « public », librement accessible par la rue
piétonne, aux heures d'ouverture de l'école.
Une vue sur la ville à 360°, donc une magnifique leçon d'architecture et d'urbanisme :
pourquoi cette ville ici et comment siècle après siècle + tous les matériaux (sauf le bois) +
tous les volumes et la verticalité et l'horizontalité + une infinie variété de façades et de peaux
+ toutes les destinations y compris le ludique et l'industriel + les deux Pritzker français et le
maître Corbusier.
L'incongruité rouge = la chaufferie. Au moment du lancement du concours, choix du
chauffage imposé par Nantes métropole : chauffage urbain (utilisation de l'eau chaude
produite grâce à l'incinérateur de la prairie de Mauves). Sauf que des problèmes techniques
apparus alors que le chantier en est à sa moitié... retardent de plusieurs années son arrivée
dans le quartier. L'alternative est nécessairement un chauffage central puisque toute la
plomberie est quasi achevée. Et ce chauffage central ne peut logiquement fonctionner qu'avec
du gaz de ville. D'où la nécessité d'installer une chaufferie gaz « provisoire »... sur le toit, pour
des raisons de sécurité et de volume, et non dans le local du rez de chaussée prévu à cet effet.
L’absence
Oeuvre des Ateliers Van Lieshout (Rotterdam) = 1% du bâtiment de la nouvelle école +
production de la biennale Estuaire 2007-2009-2011 Nantes <> Saint-Nazaire, le Lieu Unique
ayant doublé le budget initial.
Une sculpture qui répond à son environnement architectural. Sa matière, le polyester, comme
malléable, contraste avec le béton et l'acier, le verre et le polycarbonate des deux bâtiments de
l'école + à leurs lignes horizontales et verticales marquées , elle oppose sa masse mouvante et
vivante + au gris du béton et du métal, elle oppose un bleu clair d’une grande légèreté.
Une forme « intuitive » qui est habitable : à la demande des commanditaires, l'artiste a créé
une oeuvre qui est aussi un bar, un lieu de petite restauration = un lieu de vie et de discussion.
Raymond Leduc,
Chargé de communication de l’ensa Nantes
Avril 2009
Le concours de l’école d’architecture de Nantes
Catherine Séron-Pierre
Extrait de la revue AMC n°134, mai 2003
C’est l’équipe Lacaton & Vassal qui a été déclarée lauréate du concours pour la nouvelle école
d’architecture de Nantes. Le projet de Finn Geipel -Lin étant classé deuxième et celui de Matthieu
Poitevin-Pascal Raynaud, troisième. Ces résultats ont été officiellement annoncés par Jean-Jacques
Aillagon, ministre de la Culture, le 31 mars 2002. Le nouveau bâtiment devrait ouvrir à la rentrée 2006
pour accueillir 800 étudiants dans 12 500 m2 SHON pour un budget prévisionnel de 24 millions
d’euros. Ce concours s’est déroulé en deux phases : un appel à candidatures avec une sélection de
10 équipes, puis une audition des candidats, à l’issue de laquelle ont été retenues les cinq équipes
dont nous publions ici les projets.
[...]
Comme on pouvait s’y attendre, vu les concurrents sélectionnés, les réponses constituent des
attitudes marquées face aux trois critères croisés énoncés actuellement comme essentiels sur tous
les concours d’architecture : programme/flexibilité, surface/coût, construction/durable. Le projet lauréat
traduit une tendance actuelle en architecture qui consiste à considérer un bâtiment comme un
dispositif et à faire peu de cas de la composition formelle…
Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, projet lauréat
Ce projet est radical, il répond au programme en offrant beaucoup de SHOB (30500m2 de SHOB, soit
10 000 m2 de plus que les autres candidats) c’est-à-dire d’espaces supplémentaires non qualifiés. La
surface utile du programme est développée sur trois plates-formes en béton armé, économiques sur
une trame de 10,80 x 10,80m. Ce qui permet toutes sortes d’usages, il reste à fermer les volumes
posés sur le plateau par des enveloppes minimales et évolutives, à mettre en oeuvre une « stratégie
du disponible » en quelque sorte. L’ensemble est distribué par une large rampe, sorte de rue
extérieure, intégrée à l’emprise du projet. Les parkings sont répartis aux niveaux 0, 1, 2 et peuvent
aussi être transformés pour d’autres usages. La vaste terrasse accessible par la rampe peut accueillir
diverses activités, expérimentations, manifestations, ou événements. Le pari est osé, et d’aucuns
diront qu’il ne s’agit pas là d’architecture puisque tout est possible et rien ne semble vraiment ni arrêté,
ni dessiné, hormis les trois plates-formes, la rampe et les accès verticaux, néanmoins le dispositif est
là et tout peut être imaginé.
Avec Florian de Pous, Emmanuelle Delage, David Duchein, Cécile Graindorge, David Pradel (images
de synthèse) ; Martine Rigaud, collaboratrice ; Anne-Sophie Demare, Guillaume Baron, stagiaires
SETEC bâtiment, ingénieurs.
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L’invention d’un dispositif
Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal
Note d’intention du concours
En construisant une structure de grande capacité, le projet invente un dispositif capable de créer un
ensemble de situations riches et diverses, intéressant l’école d’architecture, la ville et le paysage.
Trois planchers en béton, largement ouverts, à 9 m, 16 m et 22 m au-dessus du sol naturel, desservis
par une rampe extérieure en pente douce, mettent progressivement en relation le sol de la ville et son
ciel.
Une structure légère re-divise la hauteur de ces niveaux principaux. Elle permet d’installer
généreusement les espaces dédiés au programme et crée un système propre à leur extension et leur
évolutivité future.
Aux espaces du programme sont associés d’amples volumes, en double hauteur, aux fonctions non
attribuées, dont les façades transparentes captent les apports solaires et assurent le climat intérieur. À
l’initiative des étudiants, des professeurs ou des invités ces espaces deviennent le lieu
d’appropriations, d’événements et de programmations possibles.
À tout moment, l’adaptation de l’école à de nouveaux enjeux et sa reconversion sont possibles.Tel un
outil pédagogique, le projet questionne le programme et les pratiques de l’école d’architecture autant
que les normes, les technologies ainsi que son propre processus d’élaboration.
Entretien avec Jean-Philippe Vassal et Florian Depous
par Karine Dana
Extrait de AMC Le Moniteur Architecture, n°185, Février 2009
Ikea
Nous voulions mettre en oeuvre un système constructif comparable aux mécanos. À la manière d’un
Ikea ou d’un Auchan, un ensemble d’éléments montés les uns sur les autres avec de grandes
portées.
Latapie
Comme un retour à notre tout premier projet, le projet Latapie. Nous avancions alors l’idée qu’en
doublant l’espace d’une maison, la manière de l’habiter changeait fondamentalement. Dans la
continuité de cette idée, l’école d’architecture de Nantes se développe sur 18000 m2 (26000 m2
incluant les espaces extérieurs) alors que 8 500 m2 utiles étaient exigés par le programme.
Flexibilité
Notre dispositif est basé sur une structure primaire principale de grande résistance et capacité en
poteaux béton préfabriqué et planchers alvéolaires. À l’intérieur de celle-ci, s’insère une structure
secondaire métallique légère. Cette stratégie constructive que nous avons mise en place a permis de
s’adapter à des évolutions et des modifications survenues en cours de projet et permettra des
adaptations d’usage et des évolutions.
Une fois cette ossature de grande capacité montée, on peut alors se demander comment une
architecture vient intégrer cet espace. Comme à la Cité Manifeste de Mulhouse, une fois mises en
place la structure et l’enveloppe, les habitations se sont imbriquées à l’intérieur.
M2
Cette multiplication d’espaces et de mètres carrés est construite pour que « quelque chose » se
produise, dans la continuité de fonctionnement de l’école d’architecture ou non.
Une tonne / m2
Cette capacité énorme de la structure ne représente pas un surcoût considérable. Chaque plancher
primaire peut porter une tonne par m2 plutôt que 350/400 kg/m2 comme le dicte la norme ce qui
permet d’y construire des planchers intermédiaires avec leurs propres charges.
Système pour la ville
Penser que l’école d’architecture serait en plein centre de la ville de Nantes -une position à l’opposé
de ce qu’elle occupe aujourd’hui - imposait de dépasser le programme même d’une école
d’architecture. Il fallait produire un système pour la ville. Une école d’architecture doit participer au
système de la ville.
Débat
Le débat sur l’architecture n’étant pas si ouvert que cela, il est donc important de pouvoir dire qu’à cet
endroit, il est rendu possible. Nous aimerions que les passants puissent entrer et discuter dans cette
école, que les étudiants d’autres écoles puissent se critiquer les uns les autres. Que ces débats, ces
confrontations puissent exister.
Ressources
Nulle part ailleurs ne cohabitent plus de connaissances, d’informations et d’énergie sur
l’aménagement d’une agglomération que dans une école d’architecture. Il en circule davantage que
dans un atelier d’urbanisme, une mairie, ou des agences d’architecture. Malheureusement, on n’a pas
le sentiment que ces ressources sont visibles, utilisables et accessibles. Il nous semblait important
qu’elles le deviennent.
Urbanisme vertical
Il est intéressant de mesurer comment le dispositif constructif mis en oeuvre est capable de proposer
et de produire de l’urbanisme. Un urbanisme vertical par le système de relations et de complexités
qu’il implique.
Autre chose
Chaque niveau est une place et sur cette place coexistent des espaces dédiés à l’école et à « autre
chose ». En plus de sa fonction première, l’école d’architecture devient un grand espace urbain à
plusieurs étages climatiquement et partiellement protégés.
Climats
Une première peau composée de grands coulissants en polycarbonate montés contre la structure
principale crée un premier climat, assez délicat. Un climat qui a à voir avec celui de Nantes et qui vient
l’adoucir quand il n’est pas agréable, le chauffer un peu en hiver, le ventiler l’été et le protéger du
soleil. Dans cet espace intermédiaire s’organise le programme de l’école d’architecture sur 13 900 m2
qui propose un second climat, lié à un confort de travail plus stable. Un 3e climat renvoie à celui des
espaces extérieurs : toit, rampe, places ouvertes qui se déploient sur 6 500 m2.
Place haute
Avoir libéré le toit, 2 500 m2 à 24 m du niveau de la rue, a permis de dégager une place haute. Un
espace potentiellement ouvrable au public et pour des événements. Nous avons prévu qu’il soit
largement accessible, que la résistance de son plancher soit la même que pour les niveaux inférieurs,
c’est-à-dire 1t/m2 et que tous les 100 m2, des points d’accroches permettent d’amarrer des
constructions démontables de type chapiteaux, serres, etc.
Superpositions
La rampe joue un rôle très important dans ce système de superposition de niveaux. Elle introduit un
système de liaisons. Il ne suffit pas de produire des plateaux libres pour créer de la relation. La rampe
qui a d’ailleurs servi pendant toute la durée du chantier est une façon assez douce et naturelle de
relier les plans. Elle leur apporte en outre de la lisibilité depuis l’extérieur. On perçoit que les plateaux
fonctionnent grâce à cette rampe.
Espaces à programmer
Il faut réfléchir à une programmation des espaces intermédiaires protégés, dont la surface (4100 m2)
est comparable à celle du Palais de Tokyo. L’idée que ce qu’il se déroule au Palais puisse se passer
également dans l’école est intéressante. Il pourrait y avoir une programmation artistique et locative
pour son fonctionnement qui créerait des dynamiques internes nouvelles.
Le statut de ces espaces intermédiaires renvoie à ceux d’une gare. Peut-on parler d’espaces publics ?
Ces espaces intermédiaires sont des espaces protégés –comme l’étaient les galeries et passages du
XIXe– qui fonctionnent comme un espace public et fabriquent de la relation.
Proximité
Il est possible de travailler sur la densité de la ville par superposition mais aussi par addition et
juxtaposition de programmes dont la liaison s’opère rapidement. Il faut éviter le système campus où
les activités sont souvent dilatées et dispersées. Il ne génère pas facilement des échanges car
proximité et relation font défaut.
Distance
L’absence de puits de lumière central a constitué un sujet de discussion difficile. Comme le bâtiment
est profond, il nous était reproché cette pénombre au coeur des planchers. Mais c’est précisément ce
qui nous intéressait. Une ambiance lumineuse que l’on retrouve dans les bâtiments industriels. Nous
cherchions à maintenir cette distance avec la façade et ne pas apporter une lumière zénithale qui
viendrait amoindrir cette impression de profondeur. Il y a beaucoup d’espaces dans le bâtiment qui
disposent d’une lumière naturelle intense. Dès lors que les espaces de cours, de travail ou de lecture,
étaient installés en lumière naturelle en façade, il nous semblait intéressant que d’autres espaces aux
ambiances lumineuses différentes puissent s’ajouter en complément, pour d’autres usages. Nous
avons profité de programmes liés aux projections, à l’informatique et à la photographie pour utiliser
ces espaces de coeur de plateaux.
M3
Ce qui est étonnant finalement, c’est d’avoir eu recours à si peu de matière pour construire autant de
m3.
Usages
Enseignants et d’étudiants manifestent beaucoup d’envies par rapport aux espaces de cette école,
des envies de construire dedans, d’utiliser le toit, aussi. Ce qui pourrait freiner les usages pourrait être
de l’ordre de l’autocensure.
Libertés
Ce projet rend compte d’une succession de libertés à commencer par celles qui proviennent du plan
d’urbanisme. L’on espère que l’activité de l’école va en produire de nouvelles. Il faut que nous
suivions ce qui se passe après la livraison du bâtiment. Mais il faut se demander jusqu’où travailler
avec les utilisateurs. Si l’on donne de la liberté par le projet, ce n’est pas pour chercher à contrôler son
utilisation.
Fun Palace
Le projet du Fun Palace constitue pour nous une référence importante. Le Centre Pompidou raconte
cette histoire. L’aboutissement d’une certaine liberté. Mais Beaubourg est devenu contraire à ce pour
quoi il était destiné, piégé par son hyperflexibilité. Sa réversibilité est néanmoins toujours possible.
Une façon de résister au cloisonnement est d’être trop grand, beaucoup trop grand. Cela devient
difficile alors de cloisonner !
S’extraire
Il est très difficile aujourd’hui de s’extraire du système économie /budget /programme qui détermine un
certain nombre de standards et de prix au m2 lesquels conduisent toujours à faire le minimum ou à
peine plus. Vingt ans que nous travaillons à faire exploser cela car ce système génère des objets
maitrisés formellement mais sans relation les uns avec les autres. Travailler sur cette relation est
compliqué pour un architecte car c’est l’urbaniste qui est censé s’en occuper. Nous essayons de faire
en sorte que ces relations se produisent à l’intérieur d’un bâtiment.
A propos de ce que la place haute donne à voir de
la ville de Nantes
Le développement urbain de Nantes, depuis ses origines, est conditionné par un site naturel favorable
aux échanges entre les hommes, lieu de convergence des voies terrestres et maritimes.
La ville remonte à l'époque gauloise. C’est la « capitale » des Namnètes, dont le territoire est conquis
par César en 56 av. J.-C. Sous l’Empire romain, elle est appelée Portus Namnetum et semble moins
importante que la ville de Ratiatum (Rezé), qui appartient aux Pictons (« capitale » Poitiers). Les deux
villes sont séparées par une série d’îles, vouées au pacage, dont certaines engraissent et dégraissent au
gré des crues du fleuve (l’onde de marée ne parvient pas jusqu’ici). Ces îles sont très nombreuses.
Elles mettront des siècles à être réunies en une seule, sous l’action de l’homme. « L’ile de Nantes »
n’existe que depuis la seconde moitié du XXe siècle et ne s’appelle ainsi que depuis le début du XXIe.
La multiplicité des îles rend difficile la circulation entre les deux rives mais n’interdit pas les
invasions... L’histoire en signale dès le IIIe siècle, puis au VI avec l’arrivée des Bretons chassés des
îles britanniques par les Anglais et les Saxons et bien sûr au Xe avec les Normands. Des Normands
qu’Alain Barbe-Torte chasse en 937, avant de fonder le duché de Bretagne qui sera rattaché à la
couronne de France cinq cent années plus tard en 1532. Symbole politique du duché, le château des
ducs de Bretagne, établit sur la rive droite de la Loire est aujourd’hui propriété de la ville et siège d’un
musée d’histoire et d’ethnographie aux belles collections.
Jusqu’au XVIIe siècle le port de Nantes est très modeste. La ville entretient certes une étroite relation
avec son fleuve mais c’est à sa fonction politique (siège de l’intendance et de la chambre des comptes,
le parlement étant à Rennes) qu’elle doit sa puissance, non à son commerce maritime.
Tout change avec Louis XIV qui met fin à certains monopoles accordés par Colbert puis dissout la
Compagnie des Indes occidentales (en 1674, ce qui a pour effet de doper la production de sucre et
l'importation d'esclaves africains.
L’essor du commerce triangulaire est à la base de la fortune des armateurs locaux et représente très
vite une fraction majoritaire de son activité, à côté notamment du commerce en droiture (vente directe
de marchandises dans les colonies). Cet essor a deux conséquences : il est à l’origine d’un nouveau
dessin de ville, il fonde la création puis le développement accéléré de chantiers navals d’importance
nationale.
Vers 1750, l’architecte-voyer Jean-Baptiste Ceineray établit un plan d’alignement, programme la
suppression des remparts et propose à la ville toute une série de tracés de places et de perspectives, très
inspirés des projets et réalisations de l’architecte Gabriel, qui vont forger l’image de la ville
contemporaine.
La bourgeoisie investit dans la pierre et respecte les ordonnances architecturales dessinées par
Ceineray. Des immeubles construits au siècle suivant continueront de suivre ce dessin.
Toute la cité se transforme, les classes aisées veulent des façades au goût du jour. Il faut être
« moderne » et la ville médiévale, autour de la cathédrale, disparaît ne léguant que son parcellaire. A
la fin du XVIIIe, Mathurin Crucy succède à Jean-Baptiste Ceineray. Il prolonge l’œuvre entreprise et
signe la composition urbaine de la rive droite de l’Erdre avec le financier Graslin. Le tissu bâti se
densifie, les rues sont plus étroites, les immeubles plus haut, les façades plus simples. La ville est entre
les mains de spéculateurs qui rentabilisent les investissements. La population urbaine s’est
considérablement accrue et il faut la loger.
Le quai de la Fosse tel qu’il se montre encore aujourd’hui date en grande partie de cette époque. Il
conserve quelques immeubles remarquables, dont certains sont protégés au titre des MH, et que
caractérise une distribution verticale qui attribue le stockage aux caves et rez de chaussées, les
affaires commerciales aux entresols et l’habitation aux étages.
Toutefois, avec le théâtre Graslin (1788, Mathurin Crucy, architecte), le témoignage le plus marquant
de cette période est l’île Feydeau, « lotissement » créé de toute pièce sur un banc de sable, sous
l’impulsion de l’intendant Feydeau de Brou, qui donne donc son nom à un quartier consacré au
commerce maritime et qui devient le symbole du dynamisme et de la richesse du port de Nantes.
Le commerce triangulaire génère une très importante activité de construction navale : de 1750 à la
Révolution, les chantiers de la Basse-Loire construisent un total de 135 000 tonneaux (134 000 à
Bordeaux). Quand survient la révolution, Nantes concentre la quasi totalité de l'armement
transatlantique et une bonne part de l'armement de cabotage européen. Si l'activité portuaire reste
dispersée (un quart seulement des navires négriers partent de Nantes même, ce qui crée une très
importante circulation de gabarres sur l'estuaire, entre Nantes et les ports satellites de Paimboeuf, et
du Pouliguen) les chantiers navals sont quasi tous ici, au bord de la Loire, en fond d’estuaire. Ils se
situent à Chantenay et sur la Prairie au duc où la puissance publique fait bientôt creuser des darses
(au XVIII) avant que de puissantes familles et compagnies (les chantiers Dubigeon, devenus chantiers
de la Loire (1917, René-Charles Ménard,architecte) investissent dans des outils de travail dont
l’architecture fait écho à celle de l’autre rive.
La révolution malgré ses excès (Carrier et ses noyades) ne met pas fin à cet essor, probablement du fait
que la ville n’ayant pas été prise par les insurgés n’a pas eu à souffrir dans ses pierres de la guerre
civile. La richesse de Nantes continue donc de croître pendant tout le XIXe, du moins les deux
premiers tiers, les échanges transatlantiques et le commerce asiatique se substituant au commerce
triangulaire tandis qu’une activité industrielle se développe au cœur de la ville : la fabrication
d’indiennes au XIXe, le raffinage de sucre au XVIII et XIX, la métallurgie et la fabrication de biscuits
au XIXe et XXe. Ce XIXe nantais « de progrès » a ses « icônes » parmi lesquelles une église et un
écrivain. Comme plusieurs siècles auparavant en effet, la campagne française (de l’ouest surtout) se
couvre d’un blanc manteau d’églises dont nombre s’inspirent de Saint-Nicolas (Jean-Baptiste-Antoine
Lassus , architecte), un édifice dont Jules Verne, aura peut être suivi la construction depuis sa
résidence parisienne. S’il a fait carrière à Paris avant de mourir à Caen, l’écrivain est en effet né ici
et y a passé son enfance, raison pourquoi la municipalité lui a dédié un musée, sur la butte SaintAnne au-dessus du port.
Le revers de ce progrès est l’incapacité physique du fleuve à suivre l’accroissement des tirant d’eau
des navires modernes : les grands voiliers à coque acier d’abord, les steamers ensuite. Si la question de
la « domestication » du fleuve est posée dès le XVIIIe, elle commence d’être « résolue » dans la
seconde moitié du XIX, avec le comblement des bras secondaires entre Nantes et Le Pellerin, ce qui
condamne un certain nombre d’industries et profite à de nombreuses autres, mais ne parvient pas à
enrayer l’inexorable déclin du port, malgré le creusement du canal de la Martinière (ouvert en 1889,
fermé en 1905), malgré la chenalisation de la section intermédiaire de l’estuaire au cours de la 1e
moitié du XXe, malgré l’effacement des seuils rocheux de Bellevue et Roche-Maurice puis le
creusement de la zone d’évitement de Trentemoult dans les années 1980. Le dernier chantier naval
(Dubigeon-Normandie) ferme en 1984, mais il y a déjà longtemps que les seuls navires qui remontent
jusqu’aux quais de la ville sont ceux qui approvisionnent la raffinerie Say, qui viennent chercher les
« ferrailles » du quai ou qui alimentent en potasse la société nantaise des engrais.
Ce déclin portuaire et industriel n’est pas vraiment un drame. La richesse n’a pas fui la ville. Le port
n’est plus nantais certes mais il demeure « port autonome de Nantes-Saint-Nazaire » quoique
l’essentiel de son trafic soit concentré entre Cordemais et Donges. Et si la construction navale est
désormais nazairienne, c’est presque l’entièreté de la rive droite du fleuve qui accueille des activités
industrielles fort variées ce qui profite bien sûr à la ville préfecture, laquelle souffre peu de la crise des
années trente et se reconstruit assez vite sitôt la seconde guerre mondiale.
Celle-ci en effet a laissé des traces profondes dans la chair de la ville : d’abord des ouvrages de
défense allemands (l’armée occupante est en ville dès juin 1940) dont les plus spectaculaires sont à
deux pas (le blokhaus DY10 et celui de « la Fabrique », ensuite des quartiers entièrement rasés lors de
deux bombardements alliés très meurtiers en septembre 1943.
Les premières de ces traces sont toujours présentes et désormais réutilisées. Les secondes ont disparu
très vite. La reconstruction de la ville est en effet confiée à partir de 1945 à l'architecte (prix de Rome)
Michel Roux-Spitz. Son plan de reconstruction et d'aménagement est approuvé en 1947. Il concerne
notamment les quartiers du centre-ville : la Place Royale, la rue du Calvaire, la Place Bretagne. Il
construit aussi la cité des Hauts-Pavés afin de reloger les sinistrés. Il reconstruit aussi plus tard avec
l'aide de son fils l'Hôtel-Dieu, actuel CHU, achevé en 1963.
Bien sûr Nantes participe à l’élan qui pendant les « trente glorieuses » couvre le territoire national de
routes et autoroutes, d’usines et de temples de loisir. L’automobile est reine. Pour elle, on comble un
bras de Loire et une importante section de L’Erdre à sa confluence. On lui consacre des bâtiments
comme le garage peugeot (ingénieur Lafaille) qui rivalisent avec les constructions cultuelles ou
culturelles (la métiathèque de Jean-François Salmon). Le sport à ses sanctuaires, tant il est vrai que le
célébrer en spectateur (en fidèle ?) à Saupin (architecte Robida) est aussi important que le pratiquer à
Gloriette (architecte Yves Liberge). La puissance publique urbanise le cœur de ce qui ne s’appelle pas
encore « l’île de Nantes » dans le cadre d’une ZAC (la ZAC Beaulieu,) mariant barres de logements,
centre commercial à l’américaine et immeuble de service (le tripode). Surtout la cité provinciale se
veut en phase avec l’architecture triomphante de son époque et se donne donc un gratte-ciel, la tour
Bretagne (1976, Claude Devorsine, architecte), qui fait écho à l’une des trois cités radieuse du
Corbusier, celle de Rezé achevée en 1955.
Rezé est une ville de la première couronne. Le Corbusier n’est pas le seul à y avoir construit.
Dominique Perrault, Maximiliano Fuskas aussi ont signé des immeubles dans cette « banlieue ». Car à
la fin du XXe siècle, Nantes est une (petite) métropole qui a absorbé ses voisines, sinon politiquement
comme Doulon et Chantenay cent ans plus tôt, du moins physiquement comme en témoignent les
noms des portes du « périphérique » dont l’ouvrage le plus remarquable est le pont de Cheviré qui
culmine à 50 mètres au dessus du fleuve afin de permettre… aux paquebot de remonter jusqu’aux
quais du centre désormais déserté par les cargos.
Le pont de Cheviré est un des plus récents ponts nantais, qui en vrai, le sont tous, à l’exception de
ceux de la « première ligne » (de ponts) formée du pont Audibert (ancien pont de la Madeleine) et du
pont de Pirmil, seul passage entre le Nord et le Sud de Nantes jusqu'à la fin des années 1960 ! En
1962, la construction tant attendue de deux nouveaux franchissements Nord-Sud commence enfin. Au
terme de quatre ans de travaux, les ponts Aristide Briand et Georges Clémenceau sont inaugurés en
1966.Ils sont suivis des ponts de Bellevue en 1970, Anne de Bretagne en 1975, Cheviré en 1991, Willy
Brandt et les Trois Continents en1995, Victor Schoelcher (une passerelle piéton) en 2001, auxquels il
faudra ajouter en 2011 deux nouveaux ouvrages signés Marc Barani et Marc Mimram.
Ces deux ponts accompagnent le projet urbain de l’île de Nantes qui ambitionne de doter Nantes d’un
« nouveau centre », ou mieux un second centre, dans le cadre d’un grand chantier de rénovation
urbaine lancé à la fin du siècle dernier. La maîtrise d'ouvrage en est assurée depuis 2003 par la
SAMOA (Société d'Aménagement de la Métropole Ouest Atlantique, société d'économie mixte créée
pour l'occasion) et la maîtrise d'œuvre par l’équipe de l’urbaniste Marcel Smets, qui a succédé en
2010 à l'architecte-urbaniste Alexandre Chemetoff (Atelier Île de Nantes) dont le contrat avait été
établi en 2000.
Le programme comporte des opérations de restructurations urbaines, principalement sur la partie
ouest de l'île, où les anciennes installations portuaires et les friches industrielles sont réaménagées ou
laissent la place à des équipements publics (le palais de justice, l’école d’architecture), de loisirs (les
machines le l’île, le hangar à banane), de logements, de bureaux (la maison de l’avocat, insula), de
commerces (idm) etc; tandis que les quais sont reconquis et qu’une nouvelle voirie est mise en place
.Le marché d’intérêt national et la gare de l’état devrait laisser la place à une extension du CHU mais
des voies devraient être conservées pour un futur tram-train desservant le nouveau quartier. Une
attention particulière est apportée aux espaces publics : jardins (le jardin de l’île Mabon, le jardin des
fonderies), mais aussi sur la rive de la Loire avec par exemple les éoliennes entourant les bassins du
site de l’ex tripode où Christian de Portzamparc construit à la fois des logements, des bureaux et un
centre d’affaire international.
Car ce projet urbain se veut aussi profondément novateur. Si Alexandre Chemetoff a été très attentif
aux traces du patrimoine dont il ne voulait perdre le sens, il n’en a pas moins accueilli à bras ouverts
ses collègues que la SAMOA incite à venir ici créer une architecture résolument contemporaine, une
architecture du XXIe siècle, à côté de celle des siècles passés dont les matériaux, les volumes, les
élévations, les peaux se donnent à voir comme dans un livre ouvert depuis la « place haute » de l’école
d’architecture. C’est ainsi que de très nombreux architectes, connus ou moins connus investissent l’île,
aux côtés des deux Pritzker français (Christian de Portzamparc en 1994 et Jean Nouvel en 2008),
dans l’ombre lointaine du Corbusier.
Raymond Leduc,
Chargé de communication de l’ensa Nantes
Avril 2009

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