DES NOUVELLES D`ALGERIE(GUY DUVIGNEAU, sj

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DES NOUVELLES D`ALGERIE(GUY DUVIGNEAU, sj
REUNION DU CEMAM
juin 95
DES NOUVELLES D'ALGERIE (GUY DUVIGNEAU, sj - ALGER)
L'Algérie n'est pas en guerre civile. C'est une société qui essaye d'avancer dans les
problèmes cruciaux de son développement, à travers une crise politique et culturelle très
profonde, qui mettra certainement plusieurs décennies à se régler. C'est une société qui
doit affronter ce virus interne du terrorisme. Mais l'Algérie est un pays qui tient, ne
serait-ce que du point de vue du fonctionnement socio-économique. Les véhicules
circulent, les postes etle téléphone fonctionnent. Le pays tient malgré tous les sabotages,
attentats, dégradations. La cohésion sociale se maintient et se reforme sans cesse, malgré
le soupçon qui infeste les relations.
La gestion macro-économique du pays est bien assurée, c'est-à-dire la gestion des
ressources publiques. Malgré une très lourde dette, imputable à des problèmes plus
d'ordre structurel que de l'ordre des ressources, la gestion du pays reste fiable, de l'avis
d'économistes intègres. L'Etat peut gérer les moratoires de la dette, les importations, et
assurer un minimum d'intégration du pays sur le marché mondial. Les circuits de
distribution nationaux sont maîtrisés, malgré les sabotages, malgré l'économie informelle
frauduleuse. Les produits alimentaires de base - farine, café, huile, sucre, lait - arrivent.
Les salaires sont versés à temps.
C'est un pays qui amorce un passage, de l'économie centralisée bureaucratique d'Etat à
une économie de marché. L'Algérie réussit à négocier les moratoires sur la dette, et à la
restructurer. Elle obtient des prêts. Les investissements internationaux se maintiennent.
L'Etat est resté parfait du point de vue de ses structures majeures.
La gestion politique et culturelle s'avère cependant plus complexe. Devant ce très grand
pays, avec ses particularités culturelles régionales, avec les problèmes de la gestion de
l'eau, avec les difficultés liées à l'urbanisation, il est difficile d'assurer une cohésion et des
projets communs entre toutes ces grandes forces régionales. Il y a blocage politique, lié à
la post-modernité, à l'échec des modèles de développement.
L'islamisme se présente alors comme étant le seul projet de société cohérent
actuellement. C'est un problème politico-culturel. L'Etat fonctionne, mais les tenants de
l'Etat n'ont pas de légitimité. L'opinion publique, toutes tendances confondues, soutient
l'Etat, même si elle n'en veut pas à long terme. Il y a un revirement de l'opinion publique,
qui fait que la population veut le maintient d'un Etat. La résistance est maintenant plus
active, dans les familles, autour des établissements scolaires.
Au coeur de chaque algérien et de chaque algérienne, il y a prise de conscience de
l'autonomie de la conscience individuelle. On ne peut plus être des suiveurs. Chacun doit
prendre sa responsabilité. On n'est plus un membre de la Umma qui suit les mots d'ordre
de la mosquée. Chacun prend ses décisions. Mais en même temps, chacun se demande
quel est le modèle de croyant, de vrai musulman, qu'il faut adopter et mettre en oeuvre
dans sa vie. On a un pluralisme de modèles d'idéologie religieuse. Qu'est-ce qu'être un
vrai musulman et un vrai homme ?
Débat
* Actuellement, on dénombre chaque jour, sur l'ensemble du territoire national, entre 20
et 100 victimes. Mais c'est un grand pays : l'Algérie fait la surface de 17 Etats européens,
2 434 000 km2. Depuis le début des violences meurtrières, c'est-à-dire à partir de
l'assassinat du président Boudiaf, on a entre 35 000 et 50 000 victimes, soient 15 000
morts par an.
* Les islamistes en Algérie manquent de penseurs. L'islamisme y prend alors figure de
pègre. Les émirs qui commandent ces groupes armés sont des bandits d'honneur. Ils ont
recruté dans les milieux de la drogue. Derrière le terrorisme, on a le développement de
réseaux mafieux, qui profitent et entretiennent cette crise pour leur commerce. Il y a des
meneurs affairistes crapuleux.
* Un des centres culturels du terrorisme algérien se trouverait à Peshawa, en Afghanistan.
C'est de là par exemple que semblent venir les tracts distribués aux sorties des mosquées,
expliquant les attentats contre les étrangers : croisés, ennemis de l'Islam, agents de
l'Occident.
* L'Algérie a été, jusqu'à l'époque de la colonisation, une mosaïque de petits villages, qui
vivaient en auto-défense. Il n'y avait pas de cohérence culturelle. La référence à l'Islam,
assez composite, cohabitait avec un animisme agraire, dont on trouve encore des
expressions aujourd'hui.
* L'Islamisme a été toléré, sinon soutenu, dans les années soixante-dix, pour faire contrepoids et neutraliser les groupes de gauche. C'est ainsi que l'Islamisme a commencé à se
développer.
* Culturellement, l'Algérie est une société qui ignore ce qui se passe à l'extérieur. Il y a
un espèce d'isolationnisme, d'auto-suffisance. On y a l'impression d'être à part des
mouvements de la planète, et en particulier du monde arabe.
L'Eglise en Algérie
Nous sommes actuellement 14 jésuites en Algérie : 4 à Constantine, 5 à Alger, et 5 à
Oran et Tlemcen. Individuellement, et collectivement, chacun dira : quoiqu'il arrive, il
faut que la Compagnie reste. Il y a un enjeu d'Eglise, d'abord exprimé par la communauté
des Evêques, et par une très grande partie des prêtres, religieux et religieuses présents en
Algérie. C'est un discernement commun et partagé. Comment exprimer cette nécessité ?
Ce n'est pas ce que nous faisons qui compte. Nous ne faisons presque plus rien. Il y a un
retrait très visible de l'Eglise, pour des questions de survie. Nous faisons une expérience
de passage. Nous sentons que si l'Eglise traverse cette tourmente, c'est l'avenir de l'Eglise
au Maghreb qui sera assuré. Nous assurons le passage. Nous sommes les porte-relais. Et
s'il n'y a personne pour amener le relais jusqu'au suivant... Il y avait un avant, et nous
estimons qu'il y aura un après. Nous n'avons pas converti grand monde, nous n'avons
presque plus d'institutions. Ce que nous avons vécu, c'est une communion, une proximité
avec des gens qui ont à s'assumer comme hommes, dans leur destin d'homme devant
Dieu, ce qui n'est pas tellement leur dire qu'il vaudrait mieux qu'ils soient chrétiens, ou
que nous leur apportons un trésor. De cela nous en avions conscience, mais nous ne
pouvions le dire, à cause du malentendu de la langue, et à cause de la situation postcoloniale. Nous avons participé à la marche de ce pays, de manière très modeste. Il y a
une communion qui s'est établie, une communion au delà de la confession religieuse, qui
est vécue dans l'intériorité. Il y a eu une vie intense de relation, dans le respect, la
reconnaissance de la dignité de l'autre. Essayer d'aimer ce peuple, ce qui est parfois
difficile, parce que ce n'est pas notre culture. On s'aperçoit en fait que nous sommes très
liés, et ce sont eux qui nous le disent. Il nous semble que, pour ceux qui nous
connaissent, et ceux qui parlent de nous à leurs voisins, nous rendons l'Eglise crédible, et
nous la rendons surtout dans les circonstances actuelles. Car si nous restons, en ce
moment, ce n'est pas pour l'argent, pour l'influence, ce n'est pas pour le bien-vivre à l'aise.
On est là parce qu'on aime bien les gens, parce que ce sont nos amis, et que l'on a de
l'amitié pour ce pays. Nous sommes obligés malgré nous d'aller jusqu'au bout du
désintéressement, et nous découvrons que c'est la racine de la mission, que la mission
suppose cela, qu'on essaye d'aimer l'autre comme Dieu l'aime. Et ça oblige à aller
jusqu'au bout dans cette logique, les aimer jusqu'au bout : "Le Seigneur Jésus-Christ, ...
ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'au bout". C'est un peu
mystique, mais c'est aussi concret, et les gens nous le font comprendre. Ainsi, ce
boulanger, devant trente personnes qui faisaient la chaîne devant sa boutique, me crie à
haute-voix : "Alors, mon Père, vous allez bien ? Les autres Pères vont bien ? Vous êtes
bien ? Personne ne vous ennuie ? Vous avez du travail ? Al hamdouliallah. Alors pour
nous tous, puisque vous êtes là, la journée sera bonne". Pendant cette situation
d'exception, nous avons à rendre crédible les intentions de l'Eglise, et c'est vraiment cela
que nous vivons, au delà du fait que nous connaissons quand-même beaucoup de gens, et
que nous sommes "embarqués" comme eux. Ils risquent autant que nous, et ils risquent
parce qu'ils nous connaissent : il y a risque pour eux, ils seraient compromis. Mais
visiblement, cela les aide à vivre que l'on soit là.
II. LES GROUPES ISLAMISTES EN PALESTINE
Compte-rendu de quelques études récentes (R. BENEDICTY, J. Donohue)
Dans les années trente, les Frères Musulmans s'installent en Palestine. Dès 1935, les
toutes premières "cellules" sont fondées dans les villes et les villages. En 1936, les Frères
apportent une aide efficace aux grévistes.
La guerre de 1948 a été une étape importante dans l'histoire de la Djamâ'ah en Palestine.
Un contingent de 1500 Frères est formé à Gazza pour combattre les Sionistes. Après la
fondation de l'Etat d'Israël, le mouvement des Frères Musulmans connaît une importante
extension, atteignant jusqu'à 25 000 membres répartis en 25 branches.
Après 1948, Gazza passe sous contrôle égyptien. Les Frères Musulmans subiront le
même sort que leurs homologues égyptiens, réussissant toutefois à se maintenir, sous une
variété de noms. Les idéologies dominantes, nationalisme et socialisme, attirent au
détriment du mouvement des Frères : le nombre total de leurs membres est estimé à
moins de 1000 au milieu des années soixante.
La guerre de 1967 marque alors un tournant, avec l'échec des idéologies nationalistes.
Des contacts sont pris entre Gaza et la West Bank. Le mouvement est incorporé dans
l'organisation des Frères Musulmans de Jordanie, reconnu par les autorités.
Après 1970, les Frères Musulmans sont encouragés par Sadate en Egypte, et par le Roi
Hussein en Jordanie. La stratégie des Frères consiste à éviter tout conflit avec le pouvoir,
et former les générations futures d'islamisés. Le mouvement garde l'espoir que la
Jordanie ou la Syrie deviennent prochainement un Etat islamique pouvant servir de base
pour une attaque vers Israël. De temps en temps, certains membres opteront pour le Jihad,
la confrontation ouverte.
Au milieu des années 70, le réveil islamique s'accompagne d'une montée en puissance
des organisations islamiques. Avec Khomeini, une nouvelle génération des Frères
Musulmans va considérer le Jihad comme une nécessité.
L'année 1980 est marquée par la formation de al Jihad a Islami, par deux jeunes militants
de Gaza : Fathi al Shaqaqi et le Cheikh Abd al Aziz al 'Awdah. L'organisation demeurait
alors secrète, bien organisée, et disciplinée. Ses membres ont exécuté des opération
audacieuses, et ont recruté de nouveaux membres dans les prisons.
L'Intifadah a ensuite éclaté. Les statistiques israéliennes relevaient plus de 3150
démonstrations violentes entre avril 1986 et mai 1987. Les Frères Musulmans ont été un
peu pris de court. Ils ont décidé d'appeler leurs membres à la résistance, créant ainsi le
groupe HAMAS (Harakat al-Muqawamah al-Islamiyah). Pendant que l'OLP formait un
Commandement National Unifié pour l'intifadah, Hamas gardait jalousement sa propre
indépendance.
Aujourd'hui, trois forces s'affrontent sur la scène politique palestinienne : Fath, Hamas et
le Jihad.
Les positions islamistes par rapport au Processus de Paix sont déterminées par le Hamas,
et, dans une moindre mesure, par le Jihad. Partant de ses positions idéologiques et
religieuses, le Hamas a refusé le processus de paix à sa phase "Madrilène". Le traité
d'Oslo a ensuite provisoirement privé le Hamas du soutient de la société palestinienne,
redevenue favorable au FATH. Toutefois, les développements ultérieurs de la mise en
pratique du "Traité Ghazzah-Jéricho" ont certainement relativisé les pertes subies par le
Hamas.
Les groupes palestiniens des deux courants présentent quelques traits caractéristiques
communs dus aux circonstances historiques de leur devenir.
A. Tout en étant des organisations de société civile avec une infrastructure
correspondante, ces groupes constituent une structure d'autorité de remplacement : depuis
1948/1967, ils ont assumé, dans la société palestinienne privée de toute autorité
nationale, le rôle d'une autorité civile (tribunal, police).
B. Ces groupes se marquent par un manque de comportement démocratique dû aux
circonstances historiques : prépondérance du style militaire dans les relations internes et
dans les rapports avec l'extérieur, tendance à la clandestinité, oppression de la liberté
d'opinion, tendance à la sécession et au sectarisme politique, insensibilité à l'opinion
publique changeante, émergence des allégeances traditionnelles à l'intérieur des groupes
(famille, tribus, régions).
Le manque de rapports démocratique reçoit, dans les groupes islamistes, une justification
théologique. Ceux-ci refusent, en effet, à partir de leurs prémisses idéologiques, la
formule de la démocratie occidentale, proposant comme rechange la formule islamique
de la "chûrâ". L'acceptation du pluralisme ne semble être alors qu'une tactique dans le but
d'instaurer l'Etat islamique