SUISSE Août 1291 Communautés d`Unterwald, Uri et Schwytz Le
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SUISSE Août 1291 Communautés d`Unterwald, Uri et Schwytz Le
Texte 54 : SUISSE Août 1291 Communautés d'Unterwald, Uri et Schwytz Le pacte fédéral pour la défense des libertés Pendant presqu'un quart de siècle, entre 1249 et 1273, les communes d'Uri, Unterwald et Schwytz vécurent dans une quasi-indépendance. En 1273, Rodolphe III de Habsbourg, le futur empereur Rodolphe Ier, acheta les droits seigneuriaux et rétablit l'autorité. C'est cette reprise en mains des affaires, se heurtant à la liberté acquise pendant l'interrègne, qui révolta la population. La révolte s'achemina vers le fameux serment du Grûtli et le pacte du Ier août 1291, premier pas décisif vers l'indépendance politique de la future Suisse. " Diverses clauses, de nature judiciaire, ont un caractère nettement conservateur, leur but est de maintenir d'anciens usages, d'affirmer d'anciens privilèges (...). ( Mais ) on voit apparaître une fronde sous cette apparente fidélité aux traditions. D'autres clauses, enfin..., brisaient avec la coutume et avaient pour but de briser essentiellement les droits féodaux... Sous une forme habile, c'étaient là, en réalité, des dispositions politiques et révolutionnaires" (William Martin -1888-1934, Histoire de la Suisse, Lausanne, 1928, éd. de 1980). Au nom du Seigneur, Amen. C'est accomplir une action honorable et profitable au bien public que de confirmer, selon les formes consacrées, les mesures prises en vue de la sécurité et de la paix. Que chacun sache donc que, considérant la malice des temps et pour être mieux à même de défendre et maintenir dans leur intégrité leurs vies et leurs biens, les gens de la vallée d'Uri, la landsgemeinde de la vallée de Schwytz et celle des gens de la vallée inférieure d'Unterwald se sont engagés, sous serment pris en bonne foi, à se prêter les uns aux autres n'importe quel secours, appui et assistance, de tout leur pouvoir et de tous leurs efforts, sans ménager ni leurs vies ni leurs biens, dans leur vallée et au dehors, contre celui et contre tous ceux qui, par n'importe quel acte hostile, attenteraient à leurs personnes ou à leurs biens (ou à un seul d'entre eux), les attaqueraient ou leur causeraient quelque dommage. Quoiqu'il arrive, chacune des communautés promet à l'autre d'accourir à son secours en cas de nécessité, à ses propres frais, et de l'aider autant qu'il le faudra pour résister à l'agression des méchants et imposer réparation du tort commis. C'est ce que, par le geste consacré, ils ont juré d'observer en toute loyauté, renouvelant par le présent traité le texte de l'ancien pacte corroboré par un serment; sous réserve que chacun , selon sa condition personnelle, reste soumis comme il convient, à son seigneur et lui rende les prestations auxquelles il est tenu. De même, après commune délibération, et d'un accord unanime, nous avons juré, statué et décidé que nous n'accepterons et ne reconnaîtrons en aucun cas dans les dites vallées, un juge qui aurait payé sa charge de quelque manière, soit en argent, soit à quelque autre prix, ou qui ne serait pas de chez nous et membre de nos communautés. Si d'autre part un conflit surgit entre quelques uns, les plus sages des confédérés doivent intervenir en médiateurs pour apaiser le différend de la façon qui leur paraîtra efficace; et les autres confédérés doivent se tourner contre la partie qui repousserait leur sentence. Outre tout cela, ils ont établi un statut commun, stipulant que celui qui, criminellement et sans provocation, commettra un meurtre, sera, si on a pu se saisir de lui, puni de mort comme son crime infâme l'exige; à moins qu'il ne puisse prouver qu'il est innocent; et s'il réussit à s'échapper, il lui est à jamais interdit de revenir au pays. Ceux qui accorderaient abri ou protection au dit malfaiteur doivent être expulsés des vallées, aussi longtemps qu'ils n'auront pas été rappelés par les confédérés. Si quelqu'un, de jour ou dans le silence de la nuit, met criminellement le feu aux biens d'un confédéré, on ne doit plus jamais le considérer comme le membre d'une de nos communautés. Et celui qui, dans nos vallées, prendrait le parti du dit malfaiteur et le protègerait devrait indemniser la victime. De plus, si l'un des confédérés en dépouille un autre de ses biens ou lui cause n'importe quel autre dommage, les biens du coupable que l'on pourra saisir dans les vallées doivent être mis sous séquestre pour dédommager la victime conformément au droit. En outre, nul n'a le droit de saisie envers un autre confédéré, à moins que celui-ci ne soit notoirement son débiteur ou ne se soit porté caution envers lui ; et il ne doit le faire qu'en vertu d'un prononcé spécial du juge. Outre cela, chacun est tenu d'obéir à son juge et doit, s'il est besoin, indiquer de quel juge il relève dans la vallée. Et si quelqu'un refuse de se soumettre au jugement rendu, et que l'un des conférés subisse quelque dommage du fait de son obstination, tous les confédérés sont tenus de contraindre à réparation le récalcitrant. Et surgisse une querelle ou une discorde entre quelque confédérés, si l'une des parties se refuse à tout arrangement par voie judiciaire ou par accommodement, les confédérés sont tenus de prendre fait et cause pour l'autre partie. Les décisions ci-dessus consignées, prises dans l'intérêt et au profit de tous, doivent, si Dieu y consent, durer à perpétuité, en témoignage et confirmation de quoi le présent acte, dressé à la requête des prénommés, a été muni des sceaux des trois communautés des vallées susdites. Fait en l'an du Seigneur 1291 au début du mois d'août. Source : Extrait du Pacte fédéral: Peter Blickle, Friede und Verfassung, Voraussetzung und Folgen der Eidgenossenschaft von 1291, dans: Innerschweiz und frühe Eidgenossenschaft. Jubiläumsschrift 700 Jahre Eidgenossenschaft. 1. Band, Olten 1991, pp. 15-202. Traduction : Anonyme dans: Comité d’Organisation/Ville de Genève: Brochure de la Ville de Genève lors de la fête nationale du 1er août 1996, p. 13. Texte 55 : SUISSE 1573 Théodore de Bèze "De jure magistratruum" (1573) Les limites fixées aux pouvoirs du souverain Théodore de Bèze (Vézelay, France, 1519 - Genève, Suisse 1604), noble français de famille catholique, se rallia à la Réforme en 1548 et décida alors de rejoindre Calvin à Genève; à la mort de celui-ci en 1564, il lui succéda à la tête de l'Eglise réformée de Genève. C'est donc en Suisse que Théodore de Bèze exerça l'essentiel de sa mission, mais il suivit aussi très activement les conflits religieux qui opposaient en France catholiques et protestants. En plus de sa célèbre traduction des Psaumes (où il poursuivit l'oeuvre de Clément Marot) et de nombreux travaux théologiques, il s'engagea également dans la réflexion politique et écrivit, entre autres, un "De jure magistratuum - Du droit des magistrats" (1573). Il y présenta, face aux excès d'un souverain qui deviendrait un tyran, le droit non pas du peuple ou de n'importe quelles personne privée, mais de certaines personnes investies d'une autorité publique - les "magistrats inférieurs" - à se dresser contre de tels excès. Par là, il participa au vaste mouvement qui conduisit la pensée protestante à s'engager dans la voie qui devait mener à la reconnaissance de l'existence des droits de l'homme. Il faut entendre que tous ceux-ci (les magistrats inférieurs), encore qu'ils soient audessous de leur souverain (duquel ils reçoivent commandement, et lequel les installe et les approuve), toutefois ne dépendent pas du souverain, mais de la souveraineté (...). Le souverain même, avant qu'il soit mis en possession de son administration souveraine, jure fidélité à la souveraineté sous les conditions apposées à son serment (...). Par cela il appert qu'il y a une mutuelle obligation entre un roi et les officiers d'un royaume (...). Ces conditions n'étant pas observées par ces officiers inférieurs, il appartient au souverain de les démettre et de les punir de cause, selon les lois du royaume et non autrement, s'il ne veut pas lui-même contrevenir au serment qu'il a fait d'exercer son état selon les lois. Mais d'un autre côté, puisque les officiers du royaume ont reçu, de par la souveraineté, l'observation et la maintenance des lois parmi ceux qui leur sont commis, ce à quoi ils sont astreints par serment (duquel ne peut les absoudre la coupe de celui qui de roi est devenu tyran et transgresse manifestement les conditions sous lesquelles il avait été reçu roi et qu'il avait jurées), n'est-il pas raisonnable, pour tout droit divin et humain, que quelque chose soit permis à de tels magistrats inférieurs pour le devoir de leur serment et la conservation des lois, plus qu'à ceux qui sont simplement des personnes privées et sans charges ? Je dis donc que, s'ils sont réduits à telle nécessité, ils sont tenus (même par (la voie des) armes si faire se peut) de pourvoir, contre une tyrannie toute manifeste, au salut de ceux qu'ils ont en charge, jusqu'à ce que, par une délibération commune des Etats, ou de ceux qui portent les lois du royaume ou de l'empire dont il s'agit, il puisse être pourvu au public plus avant et ainsi qu'il convient. Et cela ne s'appelle point être séditieux ou déloyal envers son souverain, mais plutôt être loyal et tenir son serment envers ceux qu'on a reçus en son gouvernement, à l'encontre de celui qui a enfreint son serment et qui oppresse le royaume dont il devait être le protecteur. Car il est certain que c'est une parole très fausse (...) de dire que les souverains ne sont astreints à nulles lois. (ainsi commence à poindre le concept de contrat). Le souverain gouvernement est tellement entre les mains des rois, ou autres tels souverains magistrats, que si, malgré cela, se détourant des bonnes lois et conditions qu'ils ont jurées, ils se rendent tyrans tout manifestes et ne donnent lieu à meilleur conseil, alors il est permis aux magistrats inférieurs de pourvoir à soi et à ceux qu'ils ont en charge, résistant à ce tyran manifeste. Et quant aux Etats du pays ou autres à qui telle autorité est donnée par les lois, ils peuvent et doivent s'opposer jusqu'à remettre ces choses en leur état et punir même le tyran, si besoin est, selon ses démérites. Ce faisant, loin s'en faut qu'ils doivent être tenus pour séditieux et rebelles; tout au contraire ils s'acquittent du devoir et du serment qu'ils ont envers Dieu et envers leur patrie. Je dis que l'équité même et ce droit de nature, duquel dépend l'entretien de toute la société humaine, ne permettent que nous mettions en doute aucun de ces deux points, à savoir qu'en toutes conventions qui se contractent par le seul consentement des parties, ceux par lesquels l'obligation est contractée peuvent aussi la défaire quand il y a une raison, et par conséquent que ceux-là ont puissance de déposer un roi, qui ont puissance de le créer. Secondement, que s'il y a une juste occasion de dissoudre un contrat ou une convention, et par laquelle une obligation s'annule d'elle-même, c'est quand les conditions essentielles sont notoirement violées, au moyen desquelles et en vue du respect desquelles l'obligation avait été contractée. Source : P. PLANTON. Voies et images de la Réforme au XVIème siècle. Bibliothèque d'histoire du christianisme 9 Paris. Desclées. 1986 p 138-139 (texte en français) Texte 57 : SUISSE 1777 Joseph-Ignaz ZIMMERMANN Guillaume Tell et le refus de la tyrannie Guillaume Tell et son histoire comptent parmi les mythes fondateurs de la nation suisse. En mettant en jeu la vie de son fils par refus d'obéissance à un ordre tyrannique - le bailli Gessler exige qu'on salue son chapeau et Guillaume Tell qui a refusé doit percer d'une flèche une pomme posée sur la tête de son fils - celui-ci devient le héros et le chef de file des mouvements d'indépendance. Commencée au XVème siècle, la tradition populaire littéraire et iconographique en fit le héros national qu'il est encore aujourd'hui. A l'époque des Lumières, le thème de Tell résistant à la tyrannie monarchique inspira plusieurs auteurs, dont Friedrich Schiller qui écrivit en 1804 un "Wilhelm Tell". Josph-Ignaz Zimmermann n'était pas un inconnu. Né le 15 octobre 1733 à Scheukon (Suisse), il entra dans les ordres chez les Jésuites en 1755. A partir de 1766, il exerça la fonction de professeur de rhétorique dans les collèges jésuites de plusieurs villes suisses et allemandes. Il fut un professeur vénéré de ses élèves. Zimmermann est l'auteur de plusieurs pièces de théâtre, écrites pour et jouées par les collégiens, dont son "Wilhelm Tell. Ein Trauerspiel in 5 Aufzûgen". (Guillaume Tell. Tragédie en 5 actes), imprimé à Bâle en 1777 (réimpression en 1779), joué au collège de Lucerne les 2, 3 et 5 septembre 1777. Beaucoup de ses pièces tendent à inspirer à la jeunesse un sentiment patriotique. WERNER. Le nombre de conjurés croît de jour en jour. Et aussi la colère, la fidélité et la confiance enfantine en celui qui est notre libérateur. ARNOLD. Quoi, le chapeau, cet ancien signe d'une belle liberté serait maintenant transformé en monument d'une basse servitude ? ... TELL (au bailli). Celui que tous craignent craint chacun. L'orgueil s'anéantit lui-même et c'est contre lui que tous les traits sont tournés. Jamais je préférerai la servitude à mes jours. Une vie sans liberté m'est à charge [...]. Tell a pris la défense des droits des hommes en se dressant sans crainte contre les brigands effrénés; que cela soit mon honneur, mon salaire. GESSLER. La populace ne doit pas savoir qu'elle a une volonté, que la nature lui a donné des droits, une dignité humaine; que l'Etat lui a donné la propriété. Ces connaissances dangereuses doivent être totalement extirpées. ... GESSLER (à Hedewig). La nature te pare de dons remarquables : ne les enfouis pas. Place toi devant les autres et distingue-toi d'eux. HEDEWIG (répondant au bailli). Notre pays ne connaît pas de distinctions, si ce n'est celle qu'accorde la vertu à une femme. WERNER (au bailli). Tu ne plieras pas notre courage avec des menaces. Il augmentera par la résistance aussi longtemps que notre bonne conscience nous protège. Je parle en homme libre [...] Même si j'avais le roi en face de moi [...] et toutes ces âmes nées libres doivent te paraître odieuses. ... TELL. Ce bonheur [d'avoir chassé le bailli], chers concitoyens, n'est que le premier pas. Rappelez-vous que la liberté doit être consolidée. Personnages cités dans l’extrait: Tell; Hedewig, sa femme; Werner et Arnold, les amis de Tell; Gessler, le bailli tyrannique, nommé par les Habsbourg, seigneurs du pays: Source : Extrait en français, du “Guillaume Tell” de Joseph-Ignaz Zimmermann, 1777, dans: Jeanne Hersch (dir.), Le droit d’être un homme. Anthologie mondiale de la liberté, UNESCO, deuxième réimpression 1990, pp. 135-136. Texte 57 : SUISSE 1862 Henry DUNANT A l'origine de la Croix-Rouge C'est en «simple profane, civil, mais témoin épouvanté» (A.KRAFT, président du Souvenir Henry Dunant, 1959) qu'Henry Dunant (Genève 1828- Herden, Canton d'Appenzell 1910) assista le 24 juin 1859 à la bataille de Solférino où s'opposèrent les troupes autrichiennes et les troupes piémontaises et françaises. Dans cette bataille difficilement gagnée par les franco-piémontais, Henry Dunant découvrit avec horreur à la fois le nombre des victimes, morts et blessés, et plus encore l'incapacité où se trouvèrent les responsables d'organiser le retrait et le soin des blessés. Lui-même participa aux secours immédiats, mais surtout, forma le projet à plus long terme de la création d'une association sanitaire internationale. L'extrait ci-dessous est tiré «d'un souvenir de Solférino», petit livre qu'il écrivit en 1862 et où il raconte les atrocités de la bataille et le projet qui en sortit. Ce livre, qui provoqua beaucoup d'émotion, aida à la réussite de la Conférence de Genève de 1863 d'où naquit, le 22 août 1864 la Convention sur les blessés de guerre. Cette Convention fut révisée et remise au point en 1906. Henry Dunant reçut le prix Nobel de la Paix en 1911. Simple touriste, entièrement étranger à cette grande lutte, j'eus le rare privilège, par un concours de circonstances particulières, de pouvoir assister aux scènes émouvantes que je me suis décidé à retracer. Je ne raconte, dans ces pages, que mes impressions personnelles : on ne doit donc y chercher ni détails spéciaux, ni des renseignements stratégiques qui ont leur place dans d'autres ouvrages. Dans cette journée mémorable du 24 juin, plus de trois cents mille hommes se sont trouvés en présence; la ligne de bataille avait cinq lieues d'étendue, et l'on s'est battu pendant plus de quinze heures. [...] Depuis Castiglione les blessés devaient être conduits dans les hôpitaux de Brescia, de Crémone, de Bergame et de Milan, pour y recevoir enfin des soins réguliers ou y subir les amputations nécessaires. Mais les Autrichiens ayant enlevé, à leur passage, presque tous les chars du pays par leurs réquisitions forcées, et les moyens de transport de l'armée française étant très insuffisants en proportion de la masse effrayante de blessés, on fut obligé de les faire attendre deux ou trois jours, avant de pouvoir les entreposer à Castiglione où l'encombrement devint indescriptible. Cette ville se transforme tout entière, pour les Français et les Autrichiens, en un vaste hôpital improvisé; déjà dans la journée du vendredi l'ambulance du grand quartier général s'y était établie, des caissons de charpie y avaient été déballés, de même que des appareils et des médicaments; les habitants ont donné tout ce dont ils pouvaient disposer en couvertures, linge, paillasses et matelas. L'hôpital de Castiglione, l'église, le cloître et la caserne San Luigi, l'église des Capucins, la caserne de la gendarmerie, ainsi que les églises Maggiore, San Giuseppe, Santa Rosalia sont remplis de blessés qui y sont entassés et couchés seulement sur de la paille; on met aussi de la paille dans les rues, dans les cours, sur les places, où l'on a établi à la hâte ici des couverts en planches, là tendu des toiles, pour préserver un peu du soleil les blessés qui arrivent de tous les côtés à la fois. Les maisons particulières ne tardent pas à être elles-mêmes occupées; officiers et soldats y sont reçus par les propriétaires les plus aisés qui s'empressent de leur procurer tous les adoucissements qui sont en leur pouvoir; quelques uns d'entre eux courent, tous effarés, par les rues, à la recherche d'un médecin pour leurs hôtes; d'autres vont et viennent par la ville, d'un air désolé, en demandant avec instances qu'on enlève de chez eux des cadavres dont ils ne savent comment se débarrasser. C'est à Castiglione qu'ont été portés les généraux de Ladmirault, Dieu et Auger, les colonels Broutta, Brincourt et d'autres officiers supérieurs auxquels des soins sont donnés par l'habile docteur Bertherand, qui fait, depuis le vendredi matin, des amputations à San Luigi. Deux autres chirurgiens-majors, les Docteurs Leuret et Haspel, deux médecins italiens, et aidesmajors Riolacci et Lobstein ont appliqué des appareils et fait des pansements pendant deux jours, et ils continuent même leur pénible ministère pendant la nuit. Le général d'artillerie Auger, transporté d'abord à la Casa Morino où se trouvait l'ambulance du quartier général du corps du Maréchal Mac Mahon dont il faisait partie, a été ensuite emmené à Castiglione : cet officier si éminent a eu l'épaule gauche fracassée par un boulet de six, qui est resté enclavé, pendant vingt-quatre heures, dans la profondeur des muscles de l'aisselle : il succomba le 29 aux suites de l'opération de la désarticulation du bras, nécessitée pour l'extraction de ce boulet et à la gangrène qui avait envahi la plaie. Pendant la journée du samedi, le nombre de convois de blessés devient si considérable que l'administration, les habitants et le détachement de troupes laissées à Castiglione sont absolument incapables de suffire à tant de misères. Alors commencent des scènes aussi lamentables que celles de la veille, quoique d'un genre tout différent : il y a de l'eau et des vivres, et pourtant les blessés meurent de faim et de soif, il y a de la charpie en abondance, mais pas assez de mains pour l'appliquer sur les plaies; la plupart des médecins de l'armée ont dû partir pour Cavriana, les infirmier font défaut et les bras manquent dans ce moment si critique. Il faut donc, tant bien que mal, organiser un service volontaire, mais c'est bien difficile au milieu d'un pareil désordre, qui se complique d'une espèce de panique, laquelle vient s'emparer des habitants de Castiglione et a pour résultats désastreux d'augmenter prodigieusement la confusion, et d'aggraver, par l'émotion qu'elle leur donna, le misérable état des blessés. [...] Qu'était devenue cette ivresse profonde, intime, inexprimable qui électrisait ce valeureux combattant, d'une manière si étrange et si mystérieuse, à l'ouverture de la campagne, et lors de la journée de Solférino, dans les moments mêmes où il jouait sa vie, et où sa bravoure avait en quelque sorte soif du sang de ses semblables qu'il courait répandre d'un pied si léger? Qu'étaient devenus, comme dans les premiers combats, ou lors de ces entrées triomphantes dans les grandes cités de la Lombardie, cet amour de la gloire et cet entraînement si communicatif, augmentés mille fois par les accents mélodieux et fiers des musiques guerrières et par les sons belliqueux des fanfares retentissantes, et ardemment aiguillonnés par le sifflement des balles, le frémissement des bombes et les mugissements métalliques des fusées et des obus qui éclatent et qui se brisent, dans ces heures où l'enthousiasme, la séduction du péril et une excitation violente et inconsciente font perdre de vue la pensée du trépas ? C'est dans ces nombreux hôpitaux de Lombardie que l'on pouvait voir et apprendre à quel prix s'achète ce que les hommes appellent pompeusement la gloire, et combien cette gloire se paie cher ! — La bataille de Solférino est la seule qui, au XIXème siècle, puisse être mise en parallèle, pour l'étendue des pertes qu'elle entraîna, avec les batailles de Borodino, de Leipsick et de Waterloo. En effet, comme résultat de la journée du 24 juin 1859, on comptait en tués ou blessés, dans les armées autrichiennes et franco-sardes, 3 feldmaréchaux, 9 généraux, 1566 officiers de tous grades, dont 630 autrichiens et 936 alliés, et environ 40 000 soldats ou sous-officiers. Deux mois après il fallait joindre à ces chiffres pour les trois armées réunies, plus de 40000 fiévreux et morts de maladie, soit par suite des fatigues excessives éprouvées le 24 juin et les jours qui précédèrent immédiatement ou qui suivirent cette date, soit par l'influence pernicieuse du climat au milieu de l'été et les chaleurs tropicales des plaines de la Lombardie, soit enfin par les accidents provenant des imprudences que commettaient les soldats.— Abstraction faite du point de vue militaire et glorieux, cette bataille de Solférino était donc, aux yeux de toute personne neutre et impartiale, un désastre pour ainsi dire européen. [...] Mais pourquoi avoir raconté tant de scènes de douleur et de désolation, et avoir peut-être fait éprouver des émotions pénibles? Pourquoi s'être étendu comme avec complaisance sur des tableaux lamentables, et les avoir retracés d'une manière qui peut paraître minutieuse et désespérante ? A cette question toute naturelle, qu'il nous soit permis de répondre par cette autre question : N'y aurait-il pas moyen de fonder des sociétés de volontaires de secours qui auraient pour but de donner ou de faire donner, en temps de guerre, des soins aux blessés ! Puisqu'il faut renoncer aux voeux et aux espérances des membres de la Société des amis de la paix ou aux rêves de l'abbé de Saint-Pierre et aux inspiration d'un comte de Sellon; puisque les hommes continuent à s'entre-tuer sans se haïr, et que le comble de la gloire est, à la guerre, d'en exterminer le plus grand nombre; puisque l'on déclare, comme l'affirme le comte Joseph de Maistre, que « la guerre est divine»; puisque l'on invente tous les jours, avec une persévérance digne d'un meilleur but, des moyens de destruction plus terribles que ceux que l'on possède déjà, et que les inventeurs de ces engins meurtriers sont encouragés dans la plupart des Etats de l'Europe, où l'on arme à qui mieux mieux: Pourquoi ne profiterait-on pas d'un temps de tranquillité relative et de calme pour résoudre une question d'une si haute importance, au double point de vue de l'humanité et du christianisme? Une fois livré aux méditations de chacun, ce sujet provoquera sans doute les réflexions et les écrits de personnes plus habiles et plus compétentes; mais ne faut-il pas d'abord que cette idée présentée aux diverses branches de la famille européenne, fixe l'attention et conquière les sympathies de tous ceux qui ont une âme élevée et un coeur susceptible de s'émouvoir aux souffrances de leurs semblables? Des sociétés de ce genre, une fois constituées, et avec une existence permanente, demeureraient en quelques sortes inactives en temps de paix, mais elles se trouveraient tout organisées vis-à-vis d'une éventualité de guerre; elles devraient obtenir la bienveillance des pays où elles auraient pris naissance, et solliciter, en cas de guerre, auprès des Souverains des puissances belligérantes, des permissions et des facilités pour conduire leur oeuvre à bonne fin. Ces sociétés devraient donc renfermer dans leur sein, et pour chaque pays, comme membres du comité supérieur dirigeant, des hommes aussi honorablement connus qu'estimés. Ces comités feraient appel à toute personne qui, pressée par des sentiments de vrais philanthropie, consentirait à se consacrer momentanément à cette oeuvre, laquelle consisterait 1° à apporter, d'accord avec les Intendances militaires, c'est à dire avec leur appui et leurs directions au besoin, des secours et des soins sur un champ de bataille au moment même du conflit; puis 2° à continuer, dans les hôpitaux, ces soins aux blessés jusqu'à leur entière convalescence. [...] Dans des conditions extraordinaires, comme celles qui réunissent, par exemple à Cologne ou à Châlons, des princes de l'art militaire, de nationalités différentes, ne serait-il pas à souhaiter qu'ils profitent de cet espèce de congrès pour formuler quelque principe international, conventionnel et sacré, lequel une fois agréé et ratifié, servirait de base à des sociétés de secours pour les blessés dans les divers pays d'Europe ? Il est d'autant plus important de se mettre d'accord et d'adopter d'avance des mesures, que lors d'un commencement d'hostilités, les belligérants sont déjà mal disposés les uns envers les autres, et ne traitent plus les questions qu'au point de vue unique de leurs ressortissants. L'humanité et la civilisation demandent impérieusement une oeuvre comme celle qui est indiquée ici; il semble qu'il y ait même là un devoir, à l'accomplissement duquel tout homme exerçant quelque influence doit son concours, et tout homme de bien au moins une pensée. Source : DUNANT (Henry) " Un souvenir de Solférino" Edition du Centenaire de la Bataille de Solférino. Lausanne. Abbaye du Livre, 1959, Pages 17, 58-61, 107-109, 119-121, 130131. Texte 58 : SUISSE 1er juin 1937 Conseil fédéral suisse Message concernant la reconnaissance du romanche comme langue nationale Après la Première Guerre mondiale, l’importance, à la fois quantitative et qualitative des mouvements de populations, frappa la langue romanche, ou plutôt ses cinq dialectes, sur son propre territoire. A l’époque, déjà, elle était pratiquée par à peine un pour cent de la population suisse. En 1935, le Petit Conseil (gouvernement cantonal) des Grisons, adressa une requête au Conseil fédéral (gouvernement fédéral). Il lui demanda de faire reconnaître le romanche comme langue nationale. Deux ans plus tard, le Conseil fédéral saisit l’occasion, non seulement pour secourir la langue romanche, mais surtout pour énoncer une conception de la patrie suisse destinée à faire pièce aux menées d’Hitler et de Mussolini. Il adressa à l’Assemblée fédérale (parlement fédéral) un Message (rapport explicatif) proposant de modifier l’article 116 de la Constitution fédérale. La réforme fut acceptée le 20 février 1938, à la majorité du peuple et à l’unanimité des cantons. (Commentaire tiré de Yves Le Roy, Histoire de l’article 116 de la Constitution fédérale suisse, in: Cours d’histoire du droit et des institutions, Université de Fribourg/Suisse, 1993). Un des principes juridiques essentiels sur lesquels est fondé notre Etat fédératif est celui de l'égalité de droit des langues nationales. La nation suisse n'est pas le résultat d'une communauté de langues. Elle est, au contraire, une communauté de l'esprit; elle est née du fait que des populations de langues différentes ont voulu vivre en une nation, sauvegarder et défendre ensemble la liberté qui a été acquise et les liens qui se sont formés au cours d'une destinée commune. La coexistence pacifique de nos populations de langues différentes en une nation est garantie, dans notre Etat fédératif, par le principe selon lequel chacune de nos langues nationale doit pouvoir maintenir en toute liberté sa pureté et son originalité. Les trois principales langues du pays, l'allemand, le français et l'italien sont expressément reconnues comme langues nationales dans la constitution fédérale. Le droit public fédéral ignore la notion de protection des minorités linguistiques. Il ne connaît que celle de l'égalité des langues. Cette règle libérale ne répond pas seulement à la composition naturelle de notre peuple et à la structure de notre Etat fédératif. Elle a encore une racine plus profonde dans un des traits essentiels qui caractérisent l'aspect spirituel de la démocratie suisse : le respect du droit et de la liberté de l'individu, et, par suite, le respect du droit de la langue maternelle. Sans liberté de la langue maternelle, il n'est pas de véritable liberté de l'esprit. Selon nous, c'est cette loi non écrite, mais d'autant plus puissante du respect de l'être humain et de sa langue maternelle qui explique comment il se fait que, dans un pays où vivent en étroite communion des populations de quatre langues différentes, nos rapports n'aient jamais été troublés par une question de langue. L'histoire de l'ancienne confédération des treize cantons peut s'enorgueillir du fait que les cantons souverains n'ont jamais tenté de porter atteinte à la liberté de langue de leurs sujets ou de la supprimer par la force. Là où les frontières linguistiques se déplacèrent dans la plupart des cas temporairement - ce fut presque toujours le résultat d'un développement organique plutôt que la conséquence de mesures officielles...Le fait que 44.000 Suisses seulement soit à peine un pour cent de la population de notre pays sont langue romanche ne saurait nous empêcher d'accorder à celle-ci le droit qu'elle revendique d'être reconnue constitutionnellement. Pour nous, la seule chose décisive est qu'une fraction du peuple suisse a pour langue maternelle le romanche, qui est fortement enraciné dans une partie de notre sol. Qu'un petit peuple,dans les montagnes des Grisons, ait, pendant de longs siècles, trouvé l'énergie d'avoir son propre idiome, de le défendre victorieusement et même d'en faire une langue écrite et littéraire hautement développée, voilà qui force l'admiration. Il est conforme aux exigences de la défense spirituelle de notre pays de reconnaître juridiquement cette langue et d'en encourager la conservation. Le fait même qu'il s'agit d'une langue parlée par une petite fraction seulement de notre peuple nous paraît être le fondement d'une obligation spéciale pour le pays. Si d'autres Etats sont issus d'une communauté de langue et voient dans cette unité linguistique un des facteurs essentiels de leur force, nous concevons nous-mêmes la grandeur de l'Etat dans la réunion, la coexistence de toutes les langues qui sont enracinées dans notre sol et constituent le patrimoine linguistique de notre nation. La richesse de notre vie nationale a sa source dans la multiplicité des formes de nos valeurs spirituelles et l'épanouissement de la vie et de l'esprit. C'est pourquoi il est conforme à notre conception de l'Etat d'accorder aux plus petits de nos groupes linguistiques la même liberté, le même droit qu'au autres. La réalité impose, il est vrai certaines limites aux conséquences matérielles et juridiques d'une telle égalité de droits. Si nous voulions faire du romanche une langue officielle de la Confédération, comme les trois autres langues nationales, il en résulterait pour l'administration et les finances fédérales une charge hors de proportion avec les buts envisagés. Source : Extrait de la Feuille fédérale, 1937, II, p. 1s