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Tribune de Genève | Samedi-dimanche 8-9 octobre 2016
Fines gueules
Camille Boschung, au milieu de son éden
aromatique et fleuri. PHOTOS: OLIVIER VOGELSANG
Les mille et une herbettes
de Camille la Main verte
A Soral, un jeune horticulteur cultive une ribambelle de plantes aromatiques dans un jardin magique
Jérôme Estèbe
A
urions-nous débarqué
sans le savoir au beau milieu du jardin d’Eden? Le
val, cerné de bosquets
touffus, glisse doucement
vers la Laire (tralala la
Laire). L’air est doux, le soleil câlin. Il y a
des chenilles, des papillons, des lézards
frondeurs, des fleurs qui font les belles et
des plantes aromatiques en cascade. De la
verveine citronnée. De la sarriette des
montagnes. De la livèche. Du cerfeuil. De
l’aneth géant. De l’estragon à la saveur
pétaradante. De la ciboulette corsée. Des
basilics de toutes les confessions. L’Eden,
vous dis-je. A une demi-heure du tumulte
urbain. Aux portes de Soral. A un jet de
pétale de la frontière française. L’eusses-tu cru?
Nous voilà sur le lopin de Camille Boschung, qui, à l’enseigne de 1001 Herbes,
cultive ici herbes aromatiques et fleurs
comestibles. Sans produits chimiques. Bio
de chez bio. La trentaine imminente et la
main superverte, ce Genevois est tombé
tout petit dans les exquises senteurs de
Dame Nature. «Une de mes grands-mères,
Ima, est guérisseuse», raconte-t-il.
«Quand j’étais gamin, elle me faisait ranger ses petits flacons, crèmes et huiles
essentielles. J’adorais ça. J’ai fait l’Ecole
d’horticulture de Lullier en me disant que
si, un jour, j’arrivais à produire toutes ces
plantes-là, ce serait top.»
Huiles essentielles
Camille devient d’abord paysagiste. «Un
copain faisait l’entretien d’un jardin
privé; il m’a proposé de m’occuper du
potager. Le propriétaire était OK. J’ai demandé 20 m2 de terrain. Je me suis retrouvé avec 600 m2!» Il rêve de produire
des huiles essentielles. «Manquaient le
savoir-faire, l’équipement, les contacts…»
En attendant, il vend ses herbes fraîches
ou séchées sur le marché de Plainpalais,
Cosmos. Des fleurs à manger appréciées plus
pour leur look que pour leur saveur, fort discrète.
Contrôle qualité
en se demandant de quoi sera fait le lendemain. «Il me fallait plus de place. Je me
cherchais un coin de terre. Je suis allé voir
une vingtaine de paysans, en essuyant
autant de refus. Je commençais à être
découragé.»
Un jour, sur la Plaine, en fin de marché, un cycliste passe devant son stand. Il
s’arrête. Discute amicalement. Le cycliste,
c’est le vigneron Yves Batardon. Il aime le
projet de Camille. Et lui propose un demihectare à Soral, où le jeune horticulteur,
ravi, s’installe en 2013. Et se met à bêcher,
bouturer, irriguer. Un bonheur n’arrive
jamais seul, dit-on. Deux ans plus tard,
Camille rafle le 2e Prix Iddea (comprenez
Idées pour le développement durable et
les entreprises d’avenir) de la Ville de Genève. Le petit pactole ainsi acquis lui permet de s’offrir un séchoir pour ses plantes
chéries. Mais pas encore de réaliser son
rêve: la confection d’huiles essentielles.
Ces merveilles odoriférantes, il s’agit
certes de les vendre. Arnaud Lafond, ex-
L’absinthe. Elle entre certes dans la recette de la
«fée verte», mais peut aussi ravir en cuisine.
chef du Marignac et aujourd’hui maître de
L’Eveil des Sens, au boulevard de la Cluse,
est le premier à succomber au fumet des
herbettes bio de Camille. D’autres restaurateurs de la place, un distillateur et une
herboriste suivent. Mais c’est encore trop
peu. «Il faudrait que j’aille démarcher»,
soupire-t-il, en arrachant un pied de mauvaise herbe jailli au milieu de l’oseille.
«Mais la culture me prend trop de temps.
Récolter à la juste maturité, veiller aux
éventuelles maladies, c’est un boulot de
tous les jours.»
L’herbe qui rend fou
Cuisiniers genevois, si vous lisez ces lignes, sachez donc que prospère à Soral de
quoi enchanter vos marmites. L’hysope
par exemple, dont le singulier parfum
camphré et anisé participe à l’alchimie de
l’absinthe et devrait faire des miracles sur
une féra du lac. Ou l’exubérante sauge
ananas, qui, comme son nom l’indique
clairement, exhale un parfum entêtant
La sauge ananas. La ressemblance olfactive est
troublante. Nickel avec le cochon ou le canard.
étrangement semblable au plus célèbre
fruit tropical. Sans oublier la rigolote
herbe à curry (Helichrysum pour les intimes), la mélisse à la titillante senteur
d’agrume ou la très réglissée agastache.
«Celle-là me rend fou», assure Camille,
en désignant, vaguement troublé, un
buisson hirsute. Celle-là, c’est la sauge
sclarée, aux multiples vertus, puisqu’elle
régule les menstrues capricieuses, éloigne
les pellicules du chignon ou assèche les
sudations diluviennes. Et sent très fort
aussi, un je-ne-sais-quoi impérieux et entêtant qui, donc, «rend fou» notre jeune
entrepreneur. Que faire? «Ne pas en planter beaucoup», répond-il simplement. Il
est vrai que quelques pieds de sauge sclarée en moins ne devraient pas dénaturer
cet éden de la Genève méridionale.
1001 Herbes Camille Boschung.
Téléphone: 078 892 96 54.
Adresse mail: [email protected].
Site Internet: http://1001herbes.ch
L’herbe curry, qui offre un parfum en effet très
proche du célèbre mix d’épices indien.