H.L. Simpson

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H.L. Simpson
Henry Lamont Simpson (1897-1918)
Auteur d’un recueil de poèmes posthume, Moods
and tenses (1919), H.L. Simpson fait partie de ces nombreux
écrivains-combattants sur lesquels il est difficile de trouver
des informations biographiques. La publication d’un recueil
de poèmes pendant la guerre ou peu de temps après
l’Armistice n’a pas toujours entraîné un intérêt pour l’auteur,
ni de la part du public ni des critiques. La profusion des
témoignages publiés, en particulier sous la forme poétique,
ne pouvait qu’entraîner l’oubli pour la plupart de leurs
auteurs. Quant aux redécouvertes et réhabilitations au fil des décennies, peu de
poètes des tranchées en ont bénéficié. D’où l’intérêt des anthologies. Elles ont
commencé à être publiées dès la deuxième année de la guerre et n’ont cessé
depuis lors. Leur succès ne s’est jamais démenti. Elles nous permettent de lire des
poèmes d’écrivains-combattants condamnés à un relatif anonymat et sur lesquels
aucune étude ne sera jamais publiée. La même chose vaut pour les anthologies de
lettres. Dans Letters From the Front, publié en 1973, John Laffin a eu la bonne
idée d’inclure une lettre de Simpson, qui, aussi bien par son style que par ce
qu’elle dit, se démarque de ce qu’on peut lire habituellement. Le thème abordé est
la force du lien qui unissait les combattants du front. Il ne s’agit pas ici du
phénomène de la camaraderie, régulièrement abordé et glorifié dans les mémoires.
Henry Lamont Simpson est un jeune officier qui évoque les hommes qu’il a sous
son commandement. Si les officiers ont régulièrement fait part de l’admiration et
de la sympathie qu’ils éprouvaient pour les hommes du rang, peu sont allés
jusqu’à l’exaltation dont fait preuve Simpson. Dans un élan qu’il ne cherche pas
canaliser, il tente de définir ce qu’il ressent avec une sincérité rare. A l’occasion
de la publication de son recueil de poèmes en 1919, un critique a écrit : C’était un
idéaliste, et parce qu’il était idéaliste il avait une conscience intense et terrible de
l’horreur et de la barbarie de la guerre. La lettre qui suit nous parle de cet
idéalisme qui n’a pas péri dans les tranchées.
Né en 1897 à Crosby-on-Eden, Henry Lamont Simpson a intégré l’université
de Cambridge en 1915. Il est devenu officier en juin 1917 et a été tué au combat à
Hazebrouck le 29 août 1918. Son nom est aujourd’hui commémoré sur le
mémorial de Vis-en-Artois, près d’Arras.
Destinataire inconnu
Plus je côtoie les hommes, plus je les aime. Une chanson populaire (même si elle est
quelque peu salace à certains endroits) peut vous rendre joyeux et triste au-delà des
mots parce qu’on a entendu les hommes la chanter à tue-tête. Très sérieusement, les
petites chansons de troupe de ces dernières années sont capables de m’émouvoir
infiniment plus que la plus divine des musiques parce que je me souviens des
hommes qui les ont chantées. Il ne s’agit pas seulement de sentimentalisme et de
nostalgie à propos d’amitiés défuntes et de passions individuelles, ces éléments
restant marginaux. La principale raison réside dans l’amour que je porte à mes
semblables et dans la foi passionnée que j’ai en eux. Je crois de tout mon cœur qu’un
homme est, globalement, une créature que l’on peut aimer et qu’au fond il est bon.
(Au diable ce dernier mot, mais tu me comprends : digne, droit, sincère, vrai.) Le
soldat chante des chansons paillardes et jure, et n’est parfois qu’une brute avinée et
bestiale ; mais si on apprend à le connaître on se met à l’aimer, à croire en lui dur
comme fer et on n’est jamais déçu.
Je suis conscient que tout cela est chaotique, illogique et peut-être même BOCHE
aux yeux de ceux qui prétendent savoir. Mais cette croyance, je l’avais déjà à l’école
et elle m’occupait l’esprit. Elle a pu s’amplifier au contact de l’armée en Angleterre et
a porté ses fruits en France. Elle fait partie de ma personne, c’est ce qu’il y a de
mieux en moi, et que ce soit bien ou mal je ne la renierai jamais. (Je dis bien ou mal à
ton encontre, car pour ma part je sais que j’ai raison). Et c’est pour cela que,
furieusement, je veux écrire, pour que tout le monde le sache ; et pour la première fois
de ma vie je suis incapable d’écrire le moindre vers. Je ne suis pas arrivé au stade de
me souvenir en toute tranquillité. Ma foi déborde de toutes parts et m’empêche d’être
cohérent. [Wordsworth a écrit que la poésie était de l’émotion dont on se souvient
en toute tranquillité.]