Le pouvoir de l`observation

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Le pouvoir de l`observation
1 Le pouvoir de l’observation
LE POUVOIR DE L’OBSERVATION
DE JOHN C. HARRISON
Traduit par Richard Parent
Il y a quelques années, dans un centre de santé holistique 1, j’assistai à une
présentation très intéressante de Fritjof Capra, auteur du remarquable livre Le Tao de la
Physique. Capra fait partie de cette horde de brillants jeunes physiciens qui contribuèrent
à accroître notre compréhension sur la formation de l’univers. Mais Capra est plus qu’un
simple scientifique. Pendant les années 1960, il avait été fasciné par la religion et la
philosophie orientales, passant beaucoup de temps à explorer les liens entre les pensées
occidentale et orientale. Son livre, Le Tao de la Physique, se voulait une synthèse de ses
observations.
Ce que je devais surtout retenir de sa causerie, c’est son admiration, sa fascination
du cheminement remarquablement différent que les penseurs (orientaux et occidentaux)
avaient emprunté pour finalement en arriver aux mêmes conclusions. Il était surtout
amusé par le fait que, il y a cinq mille ans, des prophètes chinois, par les seules pensée et
méditation, en sont venus à une représentation de l’univers identique à celle que Capra et
sa bande de brillants jeunes physiciens avaient élaborée à l’aide des outils modernes de la
physique.
Capra précisa – nous devions en venir à ces concepts avancés par un raisonnement
scientifique rigoureux. Mais les chinois, eux, y sont parvenus simplement par
l’observation.
On sous-estime trop souvent le pouvoir de l’observation. Je me souviens avoir eu,
dans un forum Internet sur le bégaiement, des échanges plutôt corsés avec un membre du
National Stuttering Project outré par mon audace à publiciser mes observations et mes
idées sur le bégaiement avec autant d’aplomb. Il croyait que je « devais plutôt garder ma
place » et laisser de telles investigations aux gens de laboratoires, vêtus de leurs sarraus
blancs, « bien plus qualifiés » pour manipuler ces problèmes et qui « savaient
réellement » ce qu’ils faisaient. Il était persuadé que les réponses au bégaiement seraient
éventuellement découvertes par des scientifiques qui les transmettraient avec
condescendance à la communauté des PQB.
Ceux d’entre nous qui avons grandi avec un trop grand respect envers les
personnes en autorité sommes susceptibles de reculer afin de permettre à ceux qui
1
Holistique fait référence à « la tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à
la somme de leurs parties, au travers de l'évolution créatrice ». C'est-à-dire, la tendance de l'univers à
construire des unités structurales de complexité croissante mais formant chacune une totalité.
(Wikipedia)
2 Le pouvoir de l’observation
peuvent ajouter des lettres après leurs noms de devancer nos pensées et de formuler nos
vérités, simplement parce que, comme professionnels, ils « savent » ce qu’ils font. En
agissant de la sorte, nous minimisons l’importance de la contribution que nous pouvons
apporter par nos découvertes issues de l’observation de soi et du comportement des
autres. Après tout, quelle importance peuvent bien avoir nos observations personnelles ?
Nous ne sommes pas des autorités en ce domaine. Nous n’avons ni lu ni rédigé de livres
académiques pertinents. Que pouvons-nous bien savoir d’important sur le bégaiement ?
Quoi, en effet ?
J’ai rencontré des personnes ayant substantiellement, sinon totalement, réglé leur
problème de bégaiement. Elles se sont avérées être des observatrices consommées.
Chacune d’elles pouvait s’exprimer à partir d’un point de vue précis – c’est-à-dire du
point de vue de son expérience personnelle. Ces individus ont su utiliser leurs
observations afin de travailler sur les difficultés à la base leur propre syndrome du
bégaiement.
Quatre-vingt quinze pourcent du matériel de ce livre découle de la simple
observation de mes pensées et de mes émotions ainsi que de mon écoute de la description
que d’autres personnes en ont faite. En vérité, je fis disparaître le bégaiement de ma vie
bien avant que ne s’estompent les comportements de blocage, et ce par la seule
observation, mais d’un point de vue différent, de ce que je faisais. Lorsque je cessai de
concevoir mon problème au travers une perspective étroite du « bégaiement », le
bégaiement per se s’est volatilisé – je veux dire que je cessai de considérer certaines
actions physiques comme « bégaiement ». Il s’agissait plutôt d’une poignée d’autres
problèmes en relation particulière et qui exigeaient une attention spéciale de ma part. En
travaillant tour à tour sur chacune de ces composantes, les actions physiques
accompagnant les blocages diminuèrent graduellement pour finalement disparaître après
un certain temps.
Un certain nombre de vérités émergèrent de cette expérience. Une des plus
pertinentes est que tout changement personnel commence avec l’observation.
Mais une observation d’un genre particulier.
Si on fait l’erreur de continuer à observer nos expériences au travers la même
fenêtre, les mêmes vérités et observations continueront à refaire surface. En effet, cette
« fenêtre » au travers laquelle nous concevons le problème exerce une puissante influence
sur notre perception. Un homme affamé ne regardera-t-il pas le menu d’un restaurant
d’une façon toute différente de celui qui vient tout juste de terminer un repas à six
services ? Le météorologiste local verra un coucher de soleil Hawaïen de façon bien
différente d’un peintre en vacances. Et un psychiatre travailleur social verra un détenu
d’une façon différente d’un avocat de la couronne ou d’un gardien de prison. À un degré
élevé, ce qui est important pour l’individu et ce qu’il ou elle s’attend à voir auront un
impact énorme sur ce qu’elle ou il observera.
Le défi réside donc, vous l’aurez deviné, à savoir observer en toute objectivité.
3 Le pouvoir de l’observation
FAIRE EXPLOSER VOTRE VISION TROP ÉTROITE
La plupart d’entre nous sommes des créatures d’habitudes ; on s’en aperçoit lorsque
nous abordons nos capacités d’observation. Par exemple, quelqu’un fait soudainement
irruption, tout excité et ému, en disant : « T’as vu ce que Bob A FAIT ? » et continuera
en s’en prenant à Bob. Bob a été injuste. Bob a manqué de respect. Bob est ceci ou cela.
Il est facile d’accepter comme vérité les affirmations d’un autre au sujet de Bob,
spécialement si cette personne présente sa position avec conviction. On s’en prendra alors
à Bob, le pauvre, à qui on ne laissera aucune chance. C’est que, voyez-vous, bien que
nous n’ayons aucune preuve concrète de ce qu’avance notre ami sur les actions prêtées à
Bob, on est déjà en furie contre lui. On interprétera tout ce que Bob fera et dira au travers
en ensemble de « lentilles teintes de colère » parce qu’il y a quelque chose de mal dans la
conduite de Bob.
On rencontre le même phénomène pour le bégaiement. Supposons que se présente
une situation où notre élocution bloque. On veut parler mais on n’y parvient pas.
Pourtant, notre interlocuteur espère que nous disions quelque chose. Vers quoi se
tournera alors notre concentration ? Vers notre élocution évidemment. Nous percevrons
alors le problème au travers des « lentilles teintes par le bégaiement », parce qu’il y a
quelque chose de pas correct dans la manière dont nous parlons.
Puis nous sortons de cet endroit et nous installons dans notre voiture. On la démarre
mais elle n’avance pas lorsqu’on appuie sur l’accélérateur.
Quel est le problème ?
Si on applique la même logique, on regardera tout naturellement les roues.
Elles ne tournent pas parce que quelque chose ne va pas avec les roues de la
voiture.
Mais voilà, nous sommes plus intelligents que cela. Nous savons très bien que les
roues ne constituent qu’une partie du système qui fait fonctionner la voiture. Une fois que
nous avons vérifié que rien ne bloque les roues, nous élargissons notre réflexion vers les
autres composantes du système. L’embrayage glisse-t-elle ? Le différentiel est-il brisé ?
Ayant déjà eu l’occasion de regarder sous le capot, nous savons que notre voiture est un
système composé de centaines de composantes qui interagissent d’une façon précise.
Lorsqu’une ou plusieurs de ces composantes ne fonctionnent pas comme il se doit, le
résultat net sera que les roues ne tourneront pas. Parce que nous considérons la voiture
avec des « lentilles filtrant un système », nous avons évité une fixation sur les roues.
La façon dont nous percevons les événements dépend de nos connaissances et de
nos croyances. En ignorant nos émotions, nos perceptions, nos croyances, nos intentions
et nos réactions physiologiques, nos actions physiques constitueront la seule composante
du système que nous verrons. De là à déduire qu’il s’agit de la cause de notre problème, il
n’y a qu’un pas. Si notre élocution ne fonctionne pas bien, c’est là qu’on devra se
concentrer. Considérant les circonstances, cela est logique.
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Les thérapeutes qui se concentrent principalement sur l’élocution pourront
contribuer au problème, nous amenant à nous concentrer, à limiter notre attention à la
seule physiologie de production de la parole. Pire, même si on abordera nos émotions,
nos perceptions et nos croyances, ce sera en les cataloguant comme résultant de notre
bégaiement – des éléments avec lesquels on devra composer parce que nous bégayons.
Mais il ne s’agit que d’une demi-vérité. Ce qu’on oublie souvent d’aborder, surtout parce
qu’on ne la comprend pas, c’est la façon dont nos émotions, nos perceptions et nos
croyances peuvent également créer les actions physiques accompagnant les blocages.
La raison pour laquelle cette autre moitié est ignorée découle du mot
« bégaiement » lui-même. Parce qu’il se réfère uniquement à nos actions physiques
plutôt qu’aux origines de ces actions physiques, ce mot n’est pas fonctionnel. Il ne nous
encourage donc pas à creuser davantage.
NOTRE LANGAGE INFLUENCE NOTRE PERCEPTION
Enfant, à New York, je ne connaissais que quatre textures de la neige. La neige
fondante (slush) qui se formait lorsqu’une bonne bordée de neige était suivie de pluie. La
neige glacée/croutée dont la surface est gelée et qui craque facilement. La poudreuse,
douce et légère, qui pénétrait nos manteaux lorsqu’on s’y roulait. Mais ma préférée entre
toutes, c’était la neige compacte car on pouvait en faire des balles de neige, des igloos et
des bonhommes de neige. Donc, si vous m’aviez demandé, il y a cinquante ans, le
nombre de textures de neige qui existent, je vous aurais répondu « quatre ».
Étant donné que leur style de vie, et même leur survie, dépendent de leur capacité à
identifier de subtiles différences, les esquimaux utilisent 26 termes différents pour décrire
la neige. Chaque terme met l’accent sur une qualité ou un aspect bien précis de la neige.
Un vocabulaire si enrichi donne aux esquimaux une perception bien plus précise de la
neige qu’un enfant vivant à New York attendant, balle de neige en mains, que le fils du
voisin sorte de chez lui. L’esquimau peut voir plus car il conçoit la neige au travers un
prisme élargi.
Mais quelle est la relation avec la perception du bégaiement ? Plusieurs personnes
ne connaissent que les bégaiements « primaire » et « secondaire » - le premier décrivant
une disfluence dépourvue d’effort, le second des actions physiques de blocage et de lutte.
Parce que ces deux expressions utilisent le mot « bégaiement », on assume qu’il s’agit de
deux embranchements d’un même arbre.
Ces deux genres de comportements langagiers peuvent se ressembler, certes. Mais
ils sont pourtant bien différents et les grouper sous le même terme générique de
« bégaiement » nous amène à formuler des hypothèses et à établir des relations qui
peuvent ou non exister. À cause de cette possible ambigüité, il m’est apparu nécessaire
d’inventer un nouveau mot - bafouillage2 - afin de distinguer entre une élocution bloquée
2
Bobulating.
5 Le pouvoir de l’observation
et le fait de trébucher sur un mot parce qu’on est fâché, confus ou ébranlé 3. Vous noterez,
dans l’exemple suivant, la meilleure compréhension découlant de l’utilisation de mots
différents afin de distinguer entre des habitudes d’élocution qui, bien qu’elles semblent
similaires, n’en sont pas moins bien différentes.
Richard, garçon de 4 ans, accourt vers sa mère en criant : « Regarde maman, j’ai
trouvé un dan-dan-dan-dandelion. »
Que se passe-t-il ?
Richard est excité, son émotion est au comble et il se bat avec (pour lui) un
nouveau mot difficile : dandelion. Mais sa façon de s’exprimer ne l’inquiète nullement. Il
veut surtout parler de sa découverte. Son monde, à ce moment précis, n’est pas moins
excitant qu’il ne l’était pour Thomas Edison lorsqu’il connecta, pour la première fois,
deux filaments qui produisirent la première lumière électrique.
Maintenant, comparons cette situation avec la suivante. Georges est un nouvel
étudiant au Lycée allant à un premier rendez-vous avec Marcia, une jolie étudiante de
son école. Georges a vraiment un faible pour Marcia et se sent à risque car il doute de
satisfaire les attentes de cette dernière. Après de multiples hésitations, il finit par inviter
Marcia à un pique-nique ; il veut à tout prix faire bonne impression. Ils se retrouvent
maintenant seuls dans les prés. La couverture est étalée sur le sol et ce repas que
Georges a préparé avec tant de soin est bien présenté. Alors qu’ils s’apprêtaient à
s’installer, Georges aperçoit un superbe dandelion. Il se penche pour le cueillir puis
l’offre à Marcia.
« Regarde ce merveilleux dan-dan-dan-dan-dandelion » dit-il avec son cœur qui
bat la chamade.
Georges a peur du mot « dandelion ». Bien qu’il ait réussit à dire « dan » sans
problème, il a peur de compléter le mot. Mais il craint davantage d’initier le mot par
peur de se retrouver pris dans un long silence des plus embarrassants. Il retarde donc le
moment craint en répétant « dan » encore et encore jusqu’à se sentir suffisamment
confiant pour compléter le mot.
Les répétitions de Georges découlent d’une dynamique totalement différente de
celles de Richard. Pourtant, elles se ressemblent. C’est pour cette raison qu’il est
absolument essentiel d’utiliser des mots différents afin de décrire ce que fait chacun
d’eux. En se contentant de dire que Richard et Georges bégaient, on ne fait que
perpétuer la confusion tout en faisant ombrage aux véritables phénomènes en présence.
La première disflunce est un réflexe tout à fait inconscient, un effort résultant de
l’apprentissage d’habiletés verbales et reflète peut-être une tendance à réagit trop
fortement au stress. L’autre est une stratégie, généralement accompagnée par un état de
grande inquiétude, afin d’échapper ou de se sortir de ce qui est perçu comme étant un
blocage de la parole difficile et menaçant.
3
Discombobulated.
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En disant que Richard bafouille et que Georges bloque, on distingue
immédiatement la différence. Plus important encore, la mère de Richard n’aura pas à
s’inquiéter parce qu’il « bégaie ». Elle saura distinguer entre bafouillage et blocage, lui
permettant ainsi de déceler la nécessité d’initier ou non une quelconque action
corrective.
Enrichir mon vocabulaire relatif au bégaiement devait constituer une étape cruciale
afin d’accroître ma capacité à mieux observer mes difficultés d’élocution. En ne
considérant pas mon problème comme « bégaiement, » mais comme une combinaison
d’un blocage d’élocution (un réflexe de retenue) et d’une stratégie pour traverser ou
éviter un blocage, j’étais amené à concentrer mon attention sur des éléments auxquels je
n’aurais autrement pas pensés.
« Pourquoi je bégaie ? » constitue également une curieuse de question à laquelle il
est difficile de répondre, surtout que la plupart des gens n’ont pas une compréhension
claire de ce qu’est le bégaiement. Par contre, des questions telles que « Pourquoi je
bloque ? » ou, encore mieux, « Qu’est-ce que je retiens ? » sont potentiellement plus
prometteuses. D’autres questions découlent logiquement de telles interrogations, comme
par exemple « Supposons que je n’aie pas bloqué dans cette situation. Que se serait-il
passé ? » Bien sûr, la première réponse qui viendra à l’esprit de la plupart d’entre nous
sera : « J’aurais pu bégayer. » Mais en faisant l’effort de regarder plus loin que ce qui est
évident, vous pourriez découvrir d’autres éléments dont vous craignez qu’ils se
manifestent et qui doivent être tenus sous contrôle. Il peut s’agir d’émotions oubliées. Ou
de la présence d’un facteur avec lequel vous ne voulez pas composer. Ou d’un sentiment
de vulnérabilité qui vous semble trop imposant pour y faire face. Chacun d’eux suffit
pour vous dissuader de parler jusqu’à ce que vous vous sentiez prêt. Comme le fit
remarquer Anthony Robbins dans son livre L'éveil de votre puissance intérieure 4, « ce
n’est pas tant la douleur qui nous motive, mais notre crainte que quelque chose provoque
cette douleur. La réalité ne dicte pas nos actions, c’est plutôt la perception de la réalité. »
Plusieurs disciplines peuvent vous aider à percevoir les choses plus clairement et
avec une meilleure acuité. Je suis familier avec la sémantique générale et la
programmation neurolinguistique.
La sémantique générale traite de notre perception du monde et de l’impact sur la
formation de cette perception exercé par le langage que nous utilisons, impact dont la
résultante est souvent de nous limiter à voir le monde d’une certaine manière. Bien que
nous connaissions surtout Wendell Johnson pour ses écrits sur le bégaiement, il était aussi
un ardent défenseur de la sémantique générale. Son livre, People in Quandaries,
représente selon moi la meilleure description de cette discipline. Un autre bon livre sur la
sémantique générale fut écrit par S.I. Hayakawa, Language in Thought and Action, qui
fut, il y a quelques années, primé par le Club du Livre du Mois.
La Programmation neurolinguistique (PNL), laquelle connaît une popularité
grandissante au sein de plusieurs segments de la population, a souvent été décrite comme
le « logiciel du cerveau. » On parle ici du cerveau, de cet ordinateur humain qui recueille
4
Awaken the Giant Within.
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les données sensorielles, les interprète, les organise et, enfin, les emmagasine. Les
« applications » qu’il créée sont ce sur quoi nous nous appuyons pour notre vie au jour le
jour. Ces programmes sont d’ordinaire créés de manière aléatoire par les gens et les
situations se présentant au cours de notre vie. La PNL constitue l’analyse nous guidant
pour renforcer, raffiner ou modifier ces applications. La PNL nous permet, en effet, de
faire la lumière sur nos perceptions inconscientes et de comprendre, d’évaluer et de
modifier nos attitudes, nos croyances et nos comportements afin de les harmoniser avec
nos valeurs personnelles profondes ainsi qu’avec nos objectifs.
Les quatre témoignages suivants ont été rédigés par des individus qui sont tous de
bons observateurs et qui ont acquis d’intéressantes connaissances sur leur bégaiement en
se permettant d’observer avec ouverture d’esprit, tout en remettant en question ce qu’ils
percevaient. De telles observations, échelonnées sur un certain laps de temps, peuvent
vous aider à modifier substantiellement vos perceptions sur vos schèmes de pensée, vos
schèmes d’émotions et vos actions chaque fois que vous bloquez et luttez pour parler.
CE QUE J’AI OBSERVÉ SUR LE BÉGAIEMENT
Par Babak Charepoo
Lorsqu’il écrivit cela, Babak Charepoo avait 31 ans et vivait à Phoenix, Arizona. Il
travaillait dans une entreprise de consultation qui concevait des réseaux de
communication pour les corporations. Né en Iran, il a vécu à plusieurs endroits aux
États-Unis depuis son arrivée au pays à l’âge de 4 ans.
J’ai vécu avec un problème de bégaiement presque toute ma vie. Plus jeune, mon
bégaiement était particulier en ce qu’il avait deux visages. Je ne bégayais jamais en
public ; je n’avais pas non plus cette mentalité accompagnant ordinairement le
bégaiement lorsqu’on est en public. Mais aussitôt que je communiquais avec ma famille,
vous auriez parié que j’allais bégayer. Pendant longtemps, je n’y compris rien.
J’ai complété mes années de Lycée sans aucune anicroche. Je faisais des
présentations orales et j’ai eu à défendre ma thèse en économie avancée devant un panel
de quatre professeurs. Sans jamais bégayer. J’avais des amis qui, jusqu’à tout récemment,
ne m’avaient jamais entendu bégayer. Lorsque je leur disais avoir un problème de
bégaiement, ils ne me prenaient pas au sérieux.
Puis quelque chose se produisit après ma graduation du Lycée. J’étais fatigué et
épuisé. Bien que j’étais fluide dans les situations loin de la maison, j’en avais assez de
cacher cela. Extérieurement, j’étais fluide ; mais je me considérais toujours comme une
personne qui bégayait, et cela me rongeait de l’intérieur. Je ne comprenais pas le
bégaiement. Je me sentais impuissant et bien seul. Mais, me doutant bien qu’il existait un
moyen de m’en sortir, je commençai à creuser.
Je cherchai d’abord à la bibliothèque. En cherchant « bégaiement », 20 livres furent
sélectionnés. J’ai lu pendant des heures et des heures. C’était pour moi un grand
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soulagement car je constatais ne pas être le seul. Mais le contenu de ces livres ne
répondait pas à mes questions. Je continuai donc à chercher.
J’ai rencontré, à Pittsburgh, un grand orthophoniste. Il contribua à m’ouvrir les
portes à plusieurs opportunités, m’encourageant même à partir ma propre entreprise.
Justement ce que j’avais toujours voulu faire ! Mais aussi bon que fut mon thérapeute, je
devais éventuellement avoir plus de questions sur le bégaiement auxquelles son modèle
ne pouvait répondre. Des questions telles que : « Pourquoi suis-je fluide à l’extérieur du
foyer alors que je bégaie en présence de ma famille ? Comment se fait-il que je bégaie
lorsque je me considère bègue alors que je suis fluide lorsque j’oublie que je bégaie ? »
Juste pour mettre les pendules à l’heure, je ne viens pas d’un foyer abusif. Mes
parents et mes sœurs m’aimaient ; ils ont toujours fait preuve de patience pour écouter ce
que j’avais à dire.
Récemment, je fis quelques autres observations sur mon bégaiement, observations
que j’aimerais partager avec vous. Ces nouvelles connaissances m’ont donné confiance
de trouver une manière de m’en sortir.
Une de ces observations se présenta à moi la nuit dernière. Je me trouvais au club
local de jazz avec un de mes bons amis. Avant même que l’orchestre commence à jouer,
mon ami et moi étions engagés dans une conversation. Ma mentalité de bégaiement était
à son comble. Bloquant pendant nos conversations, j’hésitais la plupart du temps à initier
d’autres sujets et, en plus, j’évitais certains mots.
Puis quelque chose se produisit. L’orchestre se mit à jouer à un volume très fort. Je
devais maintenait crier pour me faire entendre de mon ami. Mais j’étais parfaitement
fluide ! J’ai même initié des sujets de conversation. Je ne me souviens pas d’avoir évité
un seul mot. Puis la musique cessa et je recommençai à bloquer.
Je n’y pouvais rien sauf m’interroger à savoir « Pourquoi je recommençais à
bégayer en l’absence de la musique très forte ? »
La réponse était évidente : je me retenais.
Je ne pouvais me retenir lorsque la musique était forte parce que mon ami aurait eu
de la difficulté à comprendre si j’avais bégayé en plus de cette musique très forte. Je
décidai de me laisser aller et poussai mes poumons au maximum afin d’être compris. La
mentalité de bégaiement fut reléguée aux oubliettes. Et j’étais fluide.
Mais que pouvais-je bien retenir en l’absence de musique alors que je bégayais ?
Que pouvais-je bien vouloir cacher à mon conscient? Qu’avais-je peur de dire ? Pourquoi
craignais-je d’être moi-même avec mon ami, de me montrer sous mon vrai jour ? Je
n’avais aucune réponse à ces questions.
9 Le pouvoir de l’observation
Une autre observation se manifesta il n’y a pas longtemps. Mes croyances
religieuses me forcent à jeûner. Le jeûne implique de manger avant le lever du soleil et
après son coucher, et pas question de manger ou de boire entre ces deux moments.
Comme vous pouvez l’imaginer, c’est vraiment quelque chose qui met à l’épreuve
l’ascendant de votre esprit sur votre corps.
Les premiers jours du jeûne exigent une adaptation. Vers midi, votre corps réclame
de la nourriture et de l’eau. Mais vous devez apprendre à laisser passer ces pensées et ne
pas permettre à votre corps de contrôler votre esprit.
Quelque chose d’intéressant m’arriva pendant ces premiers jours. J’étais devenu
naturellement fluide dans plusieurs situations dans lesquelles où, normalement, je
bégayais. Que s’était-il donc passé ? En quoi cette situation était-elle similaire à celle du
club de jazz ?
J’observai que le degré de concentration de mon esprit sur mes besoins
fondamentaux de nourriture et de boire était tel que j’en avais oublié le bégaiement. Tout
ce à quoi je pensais c’était : « Quand vais-je donc pouvoir manger ? Dieu que j’ai soif ! »
J’avais même oublié que j’étais une personne qui bégayait !
Puis, un après-midi pendant le jeûne, un client me contacta pour me demander de
régler un problème d’ordinateur. Avant d’arriver à leurs bureaux, je me surpris à anticiper
ce qui se produirait chez le client. Bien que j’avais faim et soif, cela ne retenait plus mon
attention tellement je m’y étais habitué. Ce qui libéra mon esprit pour ruminer, encore et
encore, des scénarios de la situation à venir. Je commençai dès lors à ressentir les
tensions et le stress familiers qui accompagnent le bégaiement et, bien évidemment,
aussitôt que je parlais, je bégayais de nouveau.
Parce que nous avions déjà eu des problèmes avec ce client, le fait de transiger avec
celui-ci face à face était toujours source de difficulté pour moi. Parce qu’ils avaient
tendance à prendre avantage de leur contrat avec nous à un niveau excédant l’acceptable,
mon supérieur me disait toujours de faire preuve de fermeté envers eux. Comment avaisje l’habitude de composer avec ce genre de situations stressantes ? Réponse : en
anticipant ce qui pouvait arriver. J’essayais de me cramponner à ma position, de prendre
le contrôle et d’avoir le dessus. Cela exigeait de me montrer déterminé et confiant.
Mais si j’allais trop loin et qu’ils résiliaient le contrat ? Je serais fautif. On pourrait
alors me congédier. Que faire ? Vous avez deviné : je me suis retenu. Et la façon dont
j’appris à le faire impliquait le bégaiement et le blocage.
Ces observations m’amenèrent à réaliser quelque chose sur les fondements dont se
nourrit la mentalité du bégaiement. J’utilisais mes blocages de la parole pour masquer des
émotions que je considérais ne pas être appropriées ou que je me refusais de vivre. Et je
constatai qu’il s’agissait d’une habitude récurrente. Par contre, en vivant intensément le
moment présent, ces questions ne surgissent pas à l’esprit et je deviens naturellement
fluide. La mentalité du bégaiement n’y est plus.
10 Le pouvoir de l’observation
Ce sont les observations que je fis sur mon bégaiement et qui me furent utiles.
Possible que vous désiriez vous poser le même genre de questions. Ne vous inquiétez pas
de ne pas pouvoir trouver les réponses sur le champ. Contentez-vous de vous les poser.
Avec le temps, vous constaterez que les mêmes habitudes surgissent à répétition. Dès que
vous prendrez conscience de ces habitudes, vous pourrez alors commencer à implanter
des changements.
MES DEUX MODES DE BÉGAIEMENT
Par David Creek, Ph.D.
Au moment d’écrire ce texte, David Creek était physicien, vivait en Angleterre et écrivait
un livre sur le bégaiement, ouvrage qu’il souhaitait terminer quelque temps après son
retrait de la vie active. Ce qui suit est un extrait d’un article plus long publié dans le
bulletin trimestriel de la British Stammering Association, Speaking Out.
Le fait d’anticiper un blocage m’amène à prévoir la situation qui s’en vient et à
trébucher sur un mot. Il peut s’agir d’un mot que je crains déjà ; et même s’il ne l’est pas,
il le deviendra au fur et à mesure qu’approche le moment de le dire. Peu de temps avant
de tenter de le prononcer, je sais que je vais bloquer. Je constatai que les processus
physiques s’accompagnent d’une sensation désagréable, au creux de mon estomac, d’un
sentiment de déjà vu ; « Tiens donc, te voilà encore ; un autre blocage. » Revivant
l’action au ralenti, cette sensation est violente et très désagréable.
Puis je ressentis également une petite tension en haut de ma gorge, sans pouvoir la
localiser plus précisément, mais qui se trouvait certainement dans la région du larynx 5.
S’agissait-il du blocage des cordes vocales ? Peu probable puisque je pouvais inspirer et
expirer malgré la présence de cette tension. Puis lorsque je tentais de dire mon nom, cette
tension se transformait rapidement en une tension beaucoup plus grande impliquant toute
ma langue ainsi que d’autres parties de ma gorge. De toute évidence, j’allais avoir un
blocage complet. Bien sûr, tout cela était réparti dans le temps. Dans des circonstances
normales, tout se serait produit si rapidement que l’apparition d’un blocage aurait semblé
instantané sans que je puisse comprendre pourquoi je me comportais soudainement de
façon aussi bizarre.
Un peu plus tard, pendant mes appels téléphoniques expérimentaux, j’ai tenté de
me calmer malgré cette petite tension dans ma gorge. La première fois, cela exigea
beaucoup de concentration et plusieurs secondes : je respirai (inspirer/expirer) trois fois.
Éventuellement, je sentis la tension s’évaporer ; ma gorge étant alors libérée. J’essayai de
dire mon nom et fus vraiment surpris lorsque je prononçai les mots « David Creek » avec
une parfaite fluence. J’étais surpris à cause de la présence persistante de ce désagréable
sentiment au creux de mon estomac me signalant un blocage. Anticipant de bloquer,
j’avais préparé mon esprit, en fait mon corps tout entier, à composer avec cette
5
Le larynx est un organe situé au niveau de la gorge. Il est situé après la jonction du pharynx. Il est
l'intermédiaire entre le pharynx et la trachée et abrite les cordes vocales. Il fait partie des voies aériennes
supérieures. Larynx est issu du Grec larunx : gosier.
11 Le pouvoir de l’observation
expérience désagréable. Une telle fluence constituait donc, dans ces conditions, une
étonnante surprise.
D’autres expériences confirmèrent une règle évidente : en présence d’une tension à
la gorge, je bloquais ; sans tension, j’étais fluide. J’avais l’impression d’avoir un début de
réponse à mon problème de blocage de la gorge. Les personnes fluides n’ont pas de
tension aux muscles de la gorge. Par conséquent, pour atteindre la fluence, je devais
désapprendre cette mauvaise habitude et apprendre à garder mon calme.
Mais ce n’est pas tout. Alors que tout ceci se produisait, je réalisai également qu’en
situations stressantes, ma respiration avait l’habitude d’être erratique et irrégulière. Au
début, je ne comprenais pas ; puis j’eus soudainement un flash. Cette respiration erratique
était simplement le produit de la peur, une pure réaction de panique. J’avais la manie de
craindre les personnes en autorité. Si je devais demander une information à quelqu’un qui
en savait plus que moi, ou qu’on me questionnait, ou que je pensais être le perdant, je
tremblais littéralement de peur. Lorsque la peur dominait, ma respiration et mon
diaphragme devenaient incontrôlables et la qualité de mon élocution subissait une sévère
diminution.
J’en ai eu la démonstration lorsque, un week-end, je rendis visite à des membres de
ma famille, loin d’être une situation stressante. J’ai parlé avec fluence, m’appliquant à
contrôler les blocages anticipés en utilisant des pauses et en relaxant ma gorge. De retour
au travail le jour suivant, j’allais voir mon patron, une personne plaisante et détendue.
Juste au moment de commencer à parler, je fus surpris par une respiration de panique. Je
faisais presque de l’hyperventilation. J’ai bégayé de manière catastrophique pendant une
demi-minute puis je repris le contrôle. La peur est parfois si forte que seule une longue
pause, en ne disant absolument rien, est la seule manière de retrouver un état plus calme.
Maintenant, cette respiration erratique ne se manifeste plus qu’une ou deux fois par
jour, en situations de stress élevé, souvent en m’adressant à des étrangers. Cela fait du
sens. Lorsque je perds le contrôle de ma respiration, je me dis qu’il ne s’agit pas d’une
situation stressante mais plutôt d’un échange parfaitement ordinaire. Je suis persuadé que,
par le passé, cette respiration erratique déclenchée par la peur était bien plus fréquente et
contribua à mon incapacité à appliquer la « modification en blocage », « l’expiration
passive » ou toute autre technique.
Mon problème le plus persistant demeure le blocage de la gorge qui semble causé
par la peur de certains mots. Les blocages peuvent survenir toutes les deux ou trois
secondes. Ils sont indépendants du diaphragme puisque, malgré une respiration normale,
je continue à avoir des problèmes au niveau de la gorge. Je tente de mieux composer avec
cela par de minis pauses pendant lesquelles je tente de me détendre rapidement. Le
résultat apparent est une élocution hésitante, ou un réflexe de retenue, alors qu’en fait je
prends une pause tout en tentant de me détendre.
12 Le pouvoir de l’observation
Ce que je viens de dire ne s’applique pas à toutes les PQB. Certains individus
évitent (des situations ou des mots), d’autres n’anticipent pas, alors que d’autres ne
bloquent pas comme je le fais. Cela dit, je crois qu’il existe une vaste population de PQB
dont les habitudes physiques sont similaires aux miennes.
OBSERVATIONS AU JOUR LE JOUR
Par Andrew James Rees
Ce qui suit est une sélection d’une correspondance par Internet entre moi et Andrew Rees
qui avait alors vingt-quatre ans, vivait au pays de Galles, étudiant la sociologie et la
psychologie à l’Université de Swansea. Andrew nota : « Je bégaie depuis aussi
longtemps que je me souvienne; mais, jusqu’à l’âge de seize ans, je n’avais connu que
d’occasionnels blocages. Puis mon bégaiement est devenu plus accentué. Mais
aujourd’hui, le pouvoir de l’observation m’a donné une toute nouvelle perspective du
bégaiement. Ne considérant plus ce que je fais comme bégaiement, j’ai une toute autre –
et bien meilleure - perception de moi-même et du monde.
4 mars 1999
J’ai récemment fait une présentation devant ma classe de séminaire. Anticipant
cela, j’étais nerveux. Au début, j’ai vraiment bégayé malgré mes efforts pour glisser sur
les blocages mais, après un certain temps, je pris conscience de mes respirations trop
courtes. Je n’ai pas essayé de contrôler la réalité que je percevais. Je tentai d’avoir du
plaisir avec les blocages. C’est alors que je cessai d’avoir peur. Je portai attention à la
façon dont je me sentais. Bien que cette fois-là je n’avais pas atteint l’état où on est
totalement absorbé par le sujet de notre lecture, cela allait venir. Pas de regret, ni hantise
de soi. Non ; je ressentais plutôt une intégrité (une honnêteté) personnelle, un respect
envers moi-même, une véritable détermination et du cran, de la personnalité. J’étais
vraiment fier de moi.
Récemment, j’ai interrompu des étrangers sur la rue juste pour me pratiquer à poser
des questions. Ce que je constatai m’a vraiment ouvert les yeux. Le fait de me concentrer
à vouloir prononcer les mots sans anicroche m’amenait à lutter, à faire des efforts. Mais
lorsque je me concentrais plutôt à vraiment échanger avec mon interlocuteur et que mon
esprit considérait positivement cette connexion émotive, les mots semblaient couler sans
histoire ni ennui.
Lorsque j’anticipe de bégayer, je tente de ne pas paniquer. J’accepte la présence
de cette panique ; mais je sais maintenant que j’ai le choix de choisir d’avancer avec ou
sans elle. Au lieu de me concentrer sur mon élocution, j’essaie d’identifier ce que je
voulais bloquer. Je sais maintenant qu’il s’agit de bloquer l’expression de quelque chose,
étonnante réalisation.
13 Le pouvoir de l’observation
6 avril 1999
En fin de semaine, j’ai reçu un appel de ma copine qui se trouve à Milan. Je
ressentis alors ces vieilles pensées de contrôle et d’anticipation envahir mon esprit. Puis
je fis quelque chose d’intéressant. Je me demandai comment je désirais vraiment réagir à
ce qu’elle me disait, et non pas à ce que je croyais qu’elle voulait entendre ou à ce que je
pouvais dire afin d’éviter de bégayer. Ceci représenta une percée majeure car j’ai parlé
simplement. Je me demandais ce que je pouvais bien ressentir à dire ce que je voulais,
pour la première fois depuis des années, en l’absence de toute retenue.
C’était comme si je venais d’apprendre à surfer sur les vagues plutôt que de
toujours tomber à la mer et d’être emporté. Bien que j’aie eu des blocages, quelque chose
d’intéressant se produisit. Je ne leur portai que peu d’attention. J’étais trop préoccupé à
formuler mes pensées et mes sentiments. Pour la première fois depuis bien longtemps, ce
que je voulais dire était plus important que la façon de le dire. Lorsque j’avais des
moments de bégaiement, je me relevais rapidement sur ma planche de surf pour prendre
la vague suivante au lieu d’anticiper le prochain blocage et de laisser ce dernier
m’envoyer à la mer. Je ne peux vous dire à quel point je me sentais bien. C’était comme
si j’avais une bien meilleure perception de ce que constitue vraiment le plaisir de se
laisser aller.
28 avril 1999
J’ai eu une entrevue d’emploi aujourd’hui et je crois pouvoir dire que j’ai bloqué
mes émotions pendant toute la durée de l’entrevue. Mon élocution était très saccadée.
Difficile pour moi, après l’entrevue, de ne pas ruminer des sentiments d’embarras et de
tristesse.
Mais je restai positif comme toujours et tentai plutôt de tirer une leçon de cette
expérience. Je dois avouer que je me suis renfermé sur moi-même pendant toute
l’entrevue et que je suis retourné à mes anciennes habitudes de bloquer mes émotions. Je
n’étais même pas conscient que j’avais des émotions. En y repensant, je me dis : « Wow !
Que s’est-il passé ? » Le fait de réaliser que j’avais moi-même permis cela me
réconforta, ayant toujours cru qu’il s’agissait d’une force démoniaque ou de sorcellerie.
30 avril 1999
Pendant les semaines précédant l’entrevue, sans trop savoir pourquoi, je n’étais plus
en contact avec moi-même ; j’étais presqu’au neutre, ni vivant ni mort. Je réalise
maintenant que ce comportement découlait de ce que je m’étais retenu pendant ces
semaines, faisant ainsi entrave à la manière dont j’allais m’exprimer en entrevue. D’où la
perturbation de mon harmonie intérieure. Il s’agissait d’une manifestation externe de ce
qui se produisait intérieurement.
Je me suis toujours demandé ce que signifiait l’expression « se retenir ». Selon mon
expérience personnelle, cela voulait dire se protéger contre des émotions négatives. Mais
en s’empêchant de ressentir ces émotions négatives, on s’empêche aussi de s’ouvrir aux
sommets qui y correspondent. Je crois que cela devient beaucoup plus clair pour moi. La
14 Le pouvoir de l’observation
majeure partie du blocage qui se manifeste lorsqu’on parle résulte d’incapacités
intérieures non-verbales à accepter ce que nous ressentons. Là réside, je crois, une partie
de la raison pour laquelle j’ai bloqué pendant toute l’entrevue.
Certes, les entrevues représentent un défi car on doit jouer un rôle, ce qui est
particulièrement exigeant pour quelqu’un qui doit se connecter avec ce qu’il ressent. Le
rôle peut presque faire ombrage à ce que ressent l’individu, à moins que les émotions
présentes au moment de l’entrevue puissent contribuer à projeter une image positive de
soi.
Il y a deux jours, je déprimai, état qui devait persister le lendemain. Tout ce que je
percevais, je le percevais à travers des lentilles d’une personne déprimée. Puis je réalisai
ne pas être déprimé ; en fait, je résistais simplement à vivre le moment présent. Je me
trouvais en bordure de l’eau, craignant de m’aventurer dans l’eau froide, voulant éviter
l’effet de surprise du contact avec l’eau glacée. Pourtant, en plongeant, la surprise allait
s’atténuer au fur et à mesure que mon corps s’adapterait à la température de l’eau. Le
même soir, je réalisai soudainement ce que je faisais et je me suis permis de ressentir ce
que je m’empêchais de ressentir, ce que je retenais. J’ai pris l’autobus et mon élocution
reflétait comment je me sentais, et c’était correct. Après une demi-heure à déprimer à
cause de sentiments négatifs, mon esprit s’éclaira et je me sentis de nouveau mieux.
9 juin 1999
Je me rendis dans une boutique pour vendre une pièce d’équipement. Je ne pensais
même pas au bégaiement. J’étais trop préoccupé à connecter avec le vendeur.
M’apparaissant une bonne personne, je voulais le traiter amicalement. Puis il m’avoua
avoir été verbalement agressé par deux voleurs à l’étalage qu’il menaça avec violence. Je
ne voulais donc pas m’en faire un ennemi pour éviter qu’il ne me menace. Je m’efforçai
d’être invisible. Je ne voulais surtout pas l’importuner. Je m’efforçai d’être un bon gars.
Ce qui m’amena à me retenir.
Dimanche, j’ai regardé un film triste (je l’avais déjà visionné). Des événements
personnels sont survenus récemment dans ma vie et je me permis de vivre les sentiments
qu’ils évoquèrent. Je regardai le film en l’utilisant pour ressentir les émotions négatives
qui m’accompagnaient depuis l’événement (j’avais rompu avec ma copine). J’ai pleuré et
je me suis vraiment laissé aller. Nos émotions nous bouleversent. Je ressentais quelque
chose au fond de mon estomac mais je l’acceptais. Récemment, j’ai partagé avec mes
parents ce qui m’était arrivé ; je leur avouai ne pas avoir pleuré depuis bien des années,
pas plus que j’avais vraiment ri d’ailleurs.
Après une conversation avec ma mère, je me demandais pourquoi j’avais été
parfaitement fluide avec elle pendant une heure avant de commencer à me retenir.
« Pourquoi ? » Cela m’intriguait. Me rappelant cette conversation, je réalisai que je
voulais éviter de penser à un poseur de tapis que ma mère me suggéra pour qu’il vienne à
mon appartement poser un tapis. Cela ne fut que brièvement mentionné. Je connaissais
cette personne mais mes sentiments négatifs se tournaient vers son fils. Tentant de
bloquer ces sentiments, je me suis retenu pendant deux heures, jusqu’au départ de ma
mère. Je ne pouvais donc traiter clairement ce qui se disait, pas plus que je ne me laissais
15 Le pouvoir de l’observation
aller. Cela me révéla que je pouvais avoir une vive réaction envers quelque chose dont je
n’avais pas vraiment conscience, réaction qui m’amène à me retenir pendant des jours,
parfois des semaines et même davantage.
ANATOMIE D’UN BLOCAGE
Par John C. Harrison
Par un jour de printemps de 1982, j’entrai dans une boutique de photos sur la 24
ième rue, pas loin de ma résidence à San Francisco, afin de prendre livraison de quelques
imprimés. La vendeuse, une jolie jeune femme, se trouvait à l’autre extrémité du
comptoir ; elle vint à ma rencontre.
« Quel est votre non ? » me demanda-t-elle.
Cela déclencha chez moi une réaction de panique car j’avais auparavant l’habitude
de bloquer en disant mon nom. Toujours. Mais en 1982, le bégaiement n’était plus pour
moi un problème. Je n’y pensais jamais. J’aime parler avec les gens et je ne me souciais
jamais de mon élocution, car mes blocages avaient disparu.
Je commençais à dire « Harrison » lorsque je me retrouvai soudainement en état de
panique, totalement bloqué. Toutes ces vielles émotions si familières étaient de retour. Je
pouvais entendre mon cœur battre très rapidement. Je fis alors une pause, pris une
respiration, me permettant de me calmer et, alors que la vendeuse me regardait, retrouvai
suffisamment de mon aplomb pour dire « Harrison ».
Je sortis de la boutique avec mes imprimés, me sentant lessivé et totalement
mystifié. Mais d’où pouvait donc bien venir ce blocage ? Pourquoi étais-je soudainement
retombé dans ces vieilles habitudes ? Lorsque j’entrai dans la boutique, le bégaiement
était très éloigné de mes pensées. Je ne pensais jamais au bégaiement puisqu’il ne se
manifestait jamais. Je savais donc que ça ne pouvait être la peur de bégayer qui m’amena
à bloquer. Je fis alors ce que j’avais toujours fait auparavant quand le bégaiement était un
problème. Je commençai à revoir dans ma tête, maintes et maintes fois, la situation,
essayant de noter le plus de détails possible afin de pouvoir percevoir un indice
quelconque, quelque chose qui expliquerait ce qui s’était passé.
« Où se trouvait la fille lorsque j’entrai ? », me demandais-je.
Voyons voir. Je revoyais la scène. J’entrai et me retrouvai tout à côté de la caisse.
La fille se trouvait à l’autre bout du comptoir en train de parler avec quelqu’un.
« Qui était cette autre personne ? Y avait-il quelque chose de significatif chez cette
autre personne ? »
C’était un gars.
16 Le pouvoir de l’observation
« Et à quoi ressemblait-il ? »
Hmmmm. Ah, j’y suis ! C’était un motard. Avec un regard dur, des tatouages sur
les bras, et portant une veste Levi’s.
« Qu’as-tu noté d’autre ? »
Eh bien, que les deux semblaient prendre plaisir à converser. Le gars paraissait
attiré par la fille.
« Quelle impression t’a-t-il fait ? »
Un regard menaçant. Il me rappelait des gars plutôt menaçants de mon enfance. Je
me souviens très bien d’eux. Ils vivaient dans une municipalité voisine. Ils avaient un
regard qui me pétrifiait.
« Et comment réagissais-tu à ce genre de gars quand tu étais enfant ? »
Et bien, si je me trouvais sur le même trottoir lorsque ces gars-là y passaient, je me
faisais invisible afin qu’ils ne me voient pas et ne me harcèlent pas. J’y mettais toute mon
énergie. Je me confondais avec l’environnement. Je me transformais en arbre, en un
buisson, en un mur de briques. Aucune énergie n’émanerait de moi jusqu’à ce qu’ils
soient passés. Rien.
« Avais-tu d’autres impressions ou observations au sujet du motard dans la
boutique ? »
Peut-être ai-je eu l’impression d’avoir interrompu une importante conversation car
ces deux-là connectaient fort bien ensemble.
« Et comment cela t’a t-il fait sentir ? »
Je revis la scène une fois de plus, tentant de me souvenir comment je me sentais.
Comment me sentais-je ? Je me concentrai sérieusement puis un malaise m’envahit.
C’est alors que je compris. Je craignais qu’il soit irrité puisque la fille l’avait laissé pour
s’occuper de moi.
« Et comment réagissais-tu dans de telles situations quand tu étais enfant ? »
Je me retenais, je reculais. J’évitais de revendiquer ma place. Je ne voulais pas
sembler trop puissant ni trop affirmatif.
« Parce que... »
Parce que cela m’aurait placé en situation dangereuse. Le gars aurait pu me faire du
trouble ; alors je voulais éviter qu’il me « voit ».
17 Le pouvoir de l’observation
« Alors, dans la boutique de photos tu…. »
Exact. Je glissai de nouveau vers mon ancienne programmation. Je me suis retenu.
J’ai bloqué mon énergie. Je m’efforçai de me rendre invisible, tout comme auparavant.
Je venais à peine de réaliser cela que tous les muscles de mon cou et de mes épaules
relaxèrent, tous ces muscles qui se tendirent pendant le moment de panique dans la
boutique de photos.
Je devine ce que vous pensez : que je tente d’expliquer ce qui était arrivé. Ce n’est
pas comme cela que je conçois cette réflexion. Pendant toutes ces années j’ai constaté
que lorsque je découvre une vérité, j’ai une réaction physique…une libération. Cela s’est
produit tellement souvent que j’ai appris à en reconnaître les signaux.
Aujourd’hui, il n’y a pas de doute que j’ai trouvé la réponse.
Cette brève expérience m’enseigna quelque chose. J’avais eu l’habitude de croire
que je bégayais parce que je craignais de bégayer. Je croyais que tout tournait autour de
ma peur de bloquer et de la réaction des autres. Dans mon cas, cela représentait la vérité
pure et simple. Mais pas toujours. Et certainement pas dans la situation présente alors que
le bégaiement était si éloigné de mes pensées.
Un jour, un professeur d’art me donna un judicieux conseil. J’étais inscrit à une
classe de dessin et je ne réussissais pas à dessiner un croquis du modèle avec les bras
fléchis. Je ne parvenais pas à bien dessiner les bras. Le professeur s’approcha, m’observa
pendant quelques minutes avant de dire : « regardes l’espace. »
« Huh ? »
« Regardes l’espace. Plutôt que de te concentrer sur les contours des bras, regardes
plutôt l’espace entourant les bras. Remarque le vide créé au centre quand le modèle place
sa main sur sa hanche. Étudie la forme de cet espace. Puis dessine-la.
Je la remarquai. Je la dessinai. Puis le dessin se compléta comme par enchantement.
Vous pouvez faire la même chose avec le bégaiement en observant l’environnement
propre à chacune de vos situations de blocage. Prenez conscience de ce qui se passe en
même temps que le blocage au lieu de ne vous concentrer que sur le bégaiement.
Pouvez-vous voir ce qui se passe vraiment ? Que remarquez-vous ? Que pensez-vous et
que ressentez-vous ? Quelles sont vos attentes, vos perceptions et vos croyances ? Là se
cachent plusieurs des réponses au blocage de la parole. En gardant votre esprit ouvert et
en évitant de vous concentrer de façon obsessive sur votre élocution, vous découvrirez
plusieurs vérités intéressantes et utiles.
18 Le pouvoir de l’observation
Traduction de The Power of Observation, du livre de John C. Harrison, Redefining Stuttering,
What the struggle to speak is really all about ; douzième édition (2008) ; pages 239 à 253 ;
traduit par Richard Parent, septembre 2009.
Pour télécharger la version originale complète du livre de John :
www.mnsu.edu/comdis/kuster/Infostuttering/Harrison/redefining.html
Pour télécharger l’ensemble des textes traduits en format PDF, allez sur (sujet à révision aux six
mois, en janvier et août) : http://www.mnsu.edu/comdis/kuster/redefiniriebegaiment.pdf
Les traductions françaises de chacun des textes de John traduits jusqu’à présent sont disponibles
sur le site suivant (côtoyant les versions originales) :
http://www.mnsu.edu/comdis/kuster/Infostuttering/Harrison/essays.html
Pour communiquer avec John ou Richard :
John Harrison: [email protected]
Richard Parent: [email protected]
Nous vous encourageons à publiciser largement ces versions françaises des textes de John
Harrison à tous ceux qui sont susceptibles d’être intéressés, de près ou de loin, par le bégaiement.
L’utilisation de liens hypertextes dans vos sites Internet en est un excellent moyen.

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