Les automates ne cèdent pas devant les caprices de la

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Les automates ne cèdent pas devant les caprices de la
Reportage
Solutions Ecluses
Vu aux
de
la Meuse
A
AU
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MEESS
Les automates
ne cèdent
pas devant
les caprices de la Meuse
▼
Ce n’est pas l’Amazone, mais la Meuse a longtemps été difficile à dompter, plus
particulièrement lors de son passage en Belgique. En Wallonie, une quinzaine
d’ouvrages sont en cours de rénovation afin d’aller encore plus loin dans l’amélioration de la navigation et du contrôle des crues. Environ 75 automates
Premium de Schneider Electric ont été installés sur les 15 sites dotés de barrages
et écluses. Les informations issues des différentes supervisions locales peuvent
être consultées de n’importe quel site.
A
vec 950 km, la Meuse est un
fleuve plutôt long (il bat largement la Seine et la Garonne, il
n’est pas loin de la Loire) mais
qui n’a rien de tranquille, même si la chanson a vanté l’intérêt de ses croisières. “La
Meuse, fleuve capricieux et tourmenté, est
un véritable cauchemar pour les bateliers qui
transportent chaque jour marchandises et
matériaux vers le nord du pays”, peut-on
lire sur un site Internet belge qui évoque la
situation du fleuve au 18ème siècle. Les riverains n’appréciaient pas non plus ses caprices,
qui étaient pour eux synonymes d’inondations récurrentes. Il faut dire que le débit
varie de 10 m3/s en période d’étiage à
2 000 m3/s en période de crues.Alors, bien
sûr, à la fois pour faciliter la navigation et
limiter les dégâts, les hommes ont cherché
à domestiquer la Meuse en construisant force barrages et écluses. En Belgique, sur les
125 km navigables, c’est pas moins de
15 ouvrages qui ont ainsi été aménagés.
Chaque site comporte un barrage associé à
une ou deux écluses. Cela peut sembler beaucoup mais il faut dire qu’il y a 38 m de dénivelé entre l’amont (la frontière française) et
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l’aval (la frontière hollandaise). Pour réguler
le niveau, les barrages comportent de 3 à
6 “voies d’eau” (appelées pertuis) d’environ 20 m, sur lesquelles sont montées des
vannes de fond ainsi que des clapets (appelés des “hausses”) actionnés par des vérins
oléo-hydrauliques, des câbles, des chaînes
galles ou des crémaillères.
75 automates
Les barrages et les écluses sont pilotés par
des automates programmables Premium de
Schneider Electric. En fonction des contraintes
liées aux installations, l’architecture retenue
se décline en trois variantes exploitant toutes
les potentialités de redondance offertes par le
matériel. On trouve, dans l’architecture la
plus développée, deux automates par écluse,
un automate par pertuis, auxquels s’ajoutent deux automates redondants qui jouent
un rôle de concentrateur et gèrent le niveau
supérieur. Chaque site est équipé d’un serveur de supervision Monitor, associé à 3 à
4 postes clients. Globalement, lorsque les travaux de rénovation seront achevés (d’ici
deux ans), c’est ainsi 75 automates qui
auront été installés sur les 15 sites, auxquels
partie de la Meuse située en
s’ajoutent 16 serveurs de supervision Moni- La
Belgique comporte de nombreux
tor associés à 75 clients.
ouvrages comportant à la fois
Les différents sites sont reliés entre eux par un barrage à plusieurs ouverdes réseaux Ethernet TCP/IP et depuis un tures (pertuis) et une écluse.Un
site quelconque, il est possible d’aller voir vaste programme de rénovation
en cours,faisant un large
ce qui se passe sur les autres sites. Ainsi, si est
appel aux automates programun site est en train de faire un lâcher d’eau mables et à la supervision.
important (au moment d’une crue par
exemple), le site situé en aval en est informé et il peut commencer à entreprendre les
manœuvres d’ouverture des éléments
(vannes de fond et hausses) des pertuis. Le
réseau inter-site est fortement maillé et une
coupure à un endroit entraîne un reroutage
automatique du trafic, ce qui évite les indisponibilités.
Aujourd’hui, chaque site choisit la valeur de
la consigne du niveau de l’eau à réguler, en
fonction des débits
L’essentiel
mesurés, des informations qu’il reçoit sur la C’est un ambitieux et audasituation des autres sites
cieux programme de rénovation qu’a entrepris le
(amont et aval) et des
ministère de l’Equipement
prévisions
météo.
et des Transports de la
Demain, on ira sans douRégion wallonne (MET)
te plus loin. Il est en effet Des automates et supervienvisagé de modéliser le
seurs ont été installés sur
comportement de la
15 ouvrages comportant
un barrage et une ou deux
Meuse. En s’appuyant sur
écluses
ce modèle mathématique, il devrait être pos- Une solution “tout Schneider” a été retenue
sible de réaliser une affec
Plusieurs architectures ont
tation automatique des
été retenues afin de
valeurs de consigne de
s’adapter aux particularités
niveau pour chaque site.
des différents sites
A la fin des années 80 et
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Architecture 1
à l’issue de phases successives d’investissement, 13 des 15 ouvrages de la Meuse étaient
équipés de commandes électromécaniques.
Les deux sites restants étaient équipés d’une
écluse à commande manuelle et d’un barrage à aiguilles. Les “aiguilles” en question
étaient une sorte de poteaux de bois d’une
dizaine de centimètres de diamètre et d’une
dizaine de mètres de haut; elles étaient placées verticalement, côte à côte. Pour réguler
le débit de ces barrages à aiguilles, un
bataillon d’hommes forts allait retirer ou
rajouter des aiguilles. L’exercice était
périlleux, surtout quand il fallait braver les
éléments, le vent et le gel (avec en plus des
risques de verglas) notamment. Il y avait souvent mort d’homme. Tous ces efforts, tous
ces risques assumés ne suffisaient pourtant
pas à lutter efficacement contre les crues, le
tirant d’eau étant insuffisant.
(Sites d’Hastière,Waulsort,Yvoz et Monsin)
Vers une intégration des sites
Les crues exceptionnelles de 1993 et 1995
avaient endommagé et mis hors service les
équipements de commande des sites situés à
l’amont de la ville de Namur. Au même
moment,les équipements de certains ouvrages
montrent des signes d’obsolescence.
Tout ceci conduit en 1996 le Ministère de l’Equipement et des Transports de la Région wallonne (en Belgique, la régionalisation, c’est une réalité
depuis longtemps…) à lancer une vaste opération de rénovation, plus ou moins poussée d’un site à l’autre, en fonction de l’état
des installations. La décision est prise de
construire deux nouveaux barrages, de
reconstruire un barrage vétuste, d’automa-
tiser un barrage à commande manuelle et de
rénover les équipements électromécaniques
de 7 barrages. Tout cela devait s’accompagner d’installations de contrôle-commande.
Un cahier des charges très détaillé
Les équipes du MET lancent un appel d’offres.
« Pour éviter les risques de malentendus,nous avons élaboré un cahier des charges très volumineux (180 pages)
qui donnait une description fonctionnelle très détaillée des
installations », indique Dominique Simon, qui
travaille à la direction de contrôle et récep-
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(Sites : Anseremme, Dinant, Houx,Hun, Rivière, Tailefer, La Plante)
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tions techniques (division électricité, électromécanique, informatique et télécommunications) au MET. Chaque métier a son jargon, avec parfois des mots ésotériques mais
aussi des mots qui, bien que d’usage courant, ne sont pas forcément compris de la
même façon d’un interlocuteur à l’autre.
Conscient que cela pourrait poser des problèmes de compréhension, le MET fait attention au choix des mots utilisés. Par exemple,
les termes ouverture/fermeture sont préférés aux termes levé/couché utilisés par les
barragistes… Le cahier des charges préconise l’utilisation d’automates programmables (il
y en avait déjà sur certains sites), propose des
architectures et décrit dans le moindre détail,
sous forme de logigrammes, le fonctionnement des différents équipements des installations.
Beaucoup de choses sont prévues pour parer
aux risques de dysfonctionnement. « Nous
avons voulu prendre un maximum de précautions. Nous
avions en effet en mémoire une installation automatique
qui avait connu des problèmes de dysfonctionnement moins
d’un mois après son installation », argumente
M. Simon.
Par exemple, les techniciens du MET souhaitent qu’il y ait sur chaque site une chaîne de
mesure indépendante pour remonter les
informations de mesure des niveaux avant
et aval, des hauteurs des hausses, de l’état des
vannes. Ces informations sont également
remontées par les automates vers les systèmes
de supervision.
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Les installations ont de multiples modes de marche,plus ou moins automatiques.Les informations de mesure (du niveau notamment), si importantes dans ce type d’installation,sont remontées par deux circuits,
le circuit automate et un circuit indépendant.Elles sont affichées à la fois sur les écrans de supervision et sur des indicateurs de tableau.
Le cahier des charges stipule 5 modes de
marche. Parmi ces modes, deux doivent être
assurés par des relayages classiques, indépendants des automates, afin d’avoir des
modes de marche dégradée en cas de problème grave sur les automates.Avec ces commandes à relais, il est possible de piloter l’installation à partir d’un pupitre opérateur dédié
ou, en dernier recours, directement au niveau
des contacteurs.
Les trois autres modes de marche sont gérés
par les automates. Dans le mode “manupupitre”, le plus utilisé, l’éclusier appuie sur
les boutons et les commandes sont traitées
par l’automate. Le mode “manu-local” est
prévu pour pallier une défaillance de la communication entre automates : l’ordre est ici
généré au niveau du local technique de l’automate associé à chaque pertuis. Le dernier
mode est le mode “tout automatique”. L’opérateur indique sa consigne, la régulation du
niveau se fait en automatique. Plus tard, lorsqu’il existera un modèle mathématique du
fleuve, les valeurs de consigne à appliquer
sur chaque site seront calculées et automatiquement envoyées par le réseau…
Plusieurs ensembliers répondent à l’appel
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d’offres du MET. Fabricom GTI,qui est un groupe d’une vingtaine de sociétés et qui compte 6 500 personnes, emporte l’affaire. Ou
plutôt “les” affaires car la rénovation, qui
s’étale sur pratiquement 10 ans (entre 1996
et 2005), est divisée en lots.
Un choix technico-économique
« Pour la première affaire,nous avons été retenus parce que
notre offre était la mieux placée en terme de prix. Pour
les affaires suivantes,d’autres aspects sont intervenus,en particulier les choix techniques que nous avons proposés »,
explique Franco Mancini, responsable “projets” chez Fabricom GTI. La société base son
offre sur des équipements de Schneider Electric.
Elle répondait ainsi au souhait du MET d’homogénéiser les équipements présents sur les
différents sites. En fait, on l’imagine, de multiples raisons ont conduit à ce choix. « Il y
avait déjà des équipements Schneider sur certains sites et
il était donc intéressant de considérer l’offre du constructeur pour essayer d’aller plus loin.Nous l’avons également
retenu parce qu’il était bien placé sur le plan des prix.
Enfin, ses solutions techniques, et notamment son système de redondance “warm stand-by”,répondait bien aux
prescriptions du cahier des charges », explique
M. Mancini.
Le MET s’est fortement impliqué dans le
développement de l’application. « Nous connaissons très bien notre “process”et nous savions très précisément ce que nous voulions en termes d’automatismes.
Nous avons travaillé en étroite coopération avec Fabricom-GTI, notamment pour réaliser l’analyse fonctionnelle détaillée, celle qui conditionne tout le reste »,
indique M. Simon.
Pour ce qui est de la programmation des
automates, le langage littéral, pratiqué depuis
des années, avait la préférence des techniciens du MET. Il a été retenu mais la programmation des parties séquentielles de l’application a été réalisée en Grafcet. Ce langage
n’a pas eu de mal à se faire accepter. Pour ce
qui est de la supervision, l’outil de développement proposé Monitor 6 était jugé lourd
à utiliser. Par la suite, les choses se sont améliorées avec la mise sur le marché d’une nouvelle version (Monitor 7).
Trois architectures
Les principales interrogations ont en fait
concerné l’architecture des installations.Ainsi qu’on l’a dit, les dispositifs de commande
installés étaient très différents d’un site à
l’autre, ainsi que le câblage. Pour mener à
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Architecture 3
( sites de Grands-Malades,Andenne,Ampsin-Neuville et Lixhe)
Les architectures adoptées varient d’un site à l’autre.Mais on trouve invariablement un automate concentrateur redondant qui envoie ses informations,via Ethernet,vers un serveur de
supervision.Dans une des architectures,l’automate concentrateur gère lui-même les automatismes des différentes parties (pertuis et écluse) du process.
bien la rénovation, le MET se veut pragmatique et décide de s’adapter au cas par cas.
Tout en fixant dès le départ des idées directrices : c’est ainsi que des automates individuels sont affectés aux écluses et pertuis, et
qu’ils sont “surmontés” de deux automates
concentrateurs en redondance. Les informations entre les automates concentrateurs et
le système de supervision transitent par un
réseau Ethernet TCP/IP. Les différents sites
comportent des locaux techniques et un local
de conduite ; les distances inter-bâtiments
peuvent atteindre plusieurs centaines de
mètres. Trois variantes d’architecture sont
successivement mises en œuvre. Dans la première, qui porte sur 4 sites, les automates
affectés aux pertuis et à l’écluse sont raccordés à l’automate concentrateur via un bus
FIPWay à fibre optique en anneau. Chaque
automate de pertuis dispose de sa propre
interface homme-machine Magelis. Si un
automate de pertuis connaît une défaillance
et que les organes de commande (vanne et
hausse) sont bloqués, il n’y a pas grand
risque dans la mesure où il est possible de
se rattraper sur les autres pertuis. Pour l’écluse, c’est différent parce qu’il n’y en a qu’une
par site (et que les bateaux ne peuvent pas
passer à côté!). Et il n’est pas question de la
mettre à la merci d’une panne automate. Pour
cette raison, un automate redondant est prévu. Par contre, il n’y a pas d’interface homme-machine affectée à cet automate redon-
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dant. Les informations transitent par l’automate concentrateur de tête pour arriver sur
le serveur de supervision. Avec les redondances, normalement, il n’y a pas de risque.
Mais l’application se révèle assez complexe à
mettre en œuvre, notamment au niveau du
réseau FIPWay et de la supervision (les informations de terrain transitent par deux automates redondants successifs…). Et l’absence
d’interface homme-machine sur l’automate d’écluse présente quand même un risque
si une panne devait survenir entre le “long”
parcours entre cet automate et le poste client
de supervision (on passe par un réseau Ethernet, avec des coupleurs, et un serveur de
supervision).
La deuxième architecture a été décidée pour
des installations nécessitant des rénovations
plus légères (sept sites sont concernés). « Ici,
notre choix a été dicté par la possibilité de récupérer le
câblage existant. Nous l’avons utilisé pour raccorder des
entrées/sorties déportées TBX,via un réseau FIP I/O,à un
automate concentrateur redondant.Au-dessus,on retrouve le serveur de supervision,raccordé via un réseau Ethernet », explique M. Simon. Cette réalisation,
plus simple, ne pose pas de difficulté. Les
entrées/sorties TBX sont surveillées en permanence et, en cas d’un dysfonctionnement
du réseau, elles se mettent dans une position
de repli.
La troisième architecture se rapproche de la
première, si ce n’est qu’un réseau FIP I/O
est utilisé pour les liaisons inter-automates
(plus convivial que le réseau FIPWay) et qu’il
n’y a pas d’automate d’écluse.
Le nombre des entrées/sorties varie d’un site
à l’autre. Il y en a en moyenne environ un
millier par site.
Une abondance d’informations
Les postes de supervision permettent d’accéder à toutes les informations qui se trouvent sur le serveur. Les opérateurs de conduite ont beaucoup plus d’informations qu’ils
n’en avaient par le passé. Les techniciens de
maintenance ont aussi davantage d’informations, ce qui leur permet d’intervenir plus
rapidement. C’est ainsi que les écrans restituent les dessins des installations hydrauliques, avec leur état.Toutes les données de
fonctionnement de l’installation électrique
sont également visualisées.Toutes les commandes et actions effectuées sont mémorisées, aussi bien les commandes effectuées
par les opérateurs (via leurs pupitres) que
celles générées par les automates. Les alarmes,
bien évidemment, sont également archivées.
Des postes de surveillance de l’ensemble des
sites ont été installés à Namur au MET et à Liège au service de maintenance centralisée.
Désormais, la Meuse est sous contrôle…
Jean-François Peyrucat
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