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Les Voies mystiques selon Madame Guyon
Mercurius – Juin 2002
Les voies mystiques selon Madame Guyon.
A la Gloire du Grand Architecte des Mondes.
Présentation de l’auteur et du cadre historique.
Si Madame Guyon a échappé aux flammes du bûcher, c'est que la sorcellerie avait
perdu sa crédibilité vers la fin du 16e siècle et que la vague de procès s'était
estompée. Mais après la possédée et la sorcière, voici qu'apparaît au 17e siècle la
dévote.
Dans cet âge d'or de ferveur religieuse et de conquête mystique, Madame Guyon,
femme, écrivain et mystique, est propulsée au coeur d'une violente querelle
religieuse en France. La reine craint de perdre son trône caché, Bossuet et Fénelon
s'affrontent et éblouissent l'Europe de leur prose, Rome est alertée, la carrière d'un
illustre prélat est brisée, et Madame Guyon, abandonnée, est confinée à la Bastille
pendant plus de 7 ans.
Et pourtant, dans toute l'histoire de l'Église, peu de personnes ont atteint comme
Madame Guyon un tel sommet de spiritualité et de dévotion. Tout au long de sa
carrière, et toujours sans justification, elle sera soupçonnée, calomniée, maltraitée et
persécutée, même dans les plus hautes sphères ecclésiastiques, sans pour autant
perdre la foi en son Église. Son seul crime est d'aimer Dieu, de clamer innocemment
son amour, et d'en faire partager les fruits.
Jeanne-Marie Bouvier de la Motte naît à Montargis, le 13 avril 1648, de parents «qui
faisaient profession d'une fort grande piété» et qui la trimbalent, de 2 à 11 ans, d'un
couvent à l'autre, chez les Ursulines, les Dominicaines et les Bénédictines, avec des
alternances à la maison. Très douée, la petite aime lire, rêver et prier.
Adolescente, elle se délecte de romans et de lectures spirituelles. Une vie de Jeanne
de Chantal la marque profondément, de même que les oeuvres de François de
Sales. Elle a des élans mystiques, ce qui ne l'empêche pas d'éprouver très tôt un
émoi amoureux pour un cousin. C'est qu'elle est belle, et elle s'en réjouit, mais elle
est aussi douce, ardente et énergique.
À 15 ans, elle se marie avec Jacques Guyon du Chesnoy, un riche parti de 22 ans
son aîné, malade, querelleur et mesquin. Les épousailles avaient été conclues en
catimini par les parents. Elle sera toujours une excellente épouse et mère, mais pour
surmonter sa vie conjugale difficile (cinq maternités, perte de deux enfants), elle
s'adonne à l'oraison, à l'ascèse et à la mortification, mais surtout à la mystique de
l'esprit d'enfance, de confiance et d'abandon, qui correspond mieux à son
tempérament joyeux et rayonnant. Elle s'émerveille de tout. Sur les conseils de son
directeur spirituel François La Combe, barnabite, elle contracte à 24 ans un mariage
mystique avec l'Enfant Jésus.
Veuve à 28 ans, elle se retrouve désemparée, avec une santé chancelante, mais
libre et fortunée. Écartant des offres de mariage, elle poursuit son aventure
spirituelle. Elle renonce à sa propre volonté pour se laisser habiter et mouvoir par la
volonté de Dieu «comme un petit poisson dans la mer.» C'est une passivité active
mais assumée dans la joie et la louange.
À 32 ans, elle quitte le foyer et entreprend une vie errante. Elle va d'abord à Paris où
elle rencontre Mgr D'Arenthon, évêque de Genève, qui l'attire vers les Nouvelles
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Les Voies mystiques selon Madame Guyon
Mercurius – Juin 2002
Catholiques, une oeuvre vouée à l'éducation religieuse des protestantes converties.
L'évêque, qui convoite sa fortune, la dirige à Gex, où un nouvel institut vient d'être
fondé. Madame Guyon comble l'œuvre de dons mais refuse de s'y engager par des
vœux. Elle se méfie de certains aspects de l'œuvre. Après des pressions, l'évêque la
met en demeure de partir ou de rester. Elle part. Une campagne de calomnies est
déclenchée contre Madame Guyon et le père La Combe.
Elle se réfugie à 35 ans chez les Ursulines de Thonon où elle passe deux années
décisives. Elle approfondit sa pensée et découvre que son expérience spirituelle est
communicable. Elle écrit Moyen court et très facile de faire oraison, appelé Moyen
Court. Elle compose aussi Les Torrents, long poème théologique sur le thème du Pur
Amour.
À cette époque d'intolérance, écrire sur des matières religieuses est déjà périlleux.
Mais pour une femme, laïque par surcroît et liée à aucun ordre ou clan religieux, le
danger est extrême, d'autant plus que la démarche spirituelle de Madame Guyon est
éminemment personnelle. Certains veillent jalousement au grain.
Reportons-nous au contexte politico-religieux de l'époque. La France vit sous un
régime de monarchie absolue avec Louis XIV. Quant à l'Église, qui est gallicane, elle
affiche pour les affaires temporelles une indépendance farouche face à Rome
(contrairement à l'Église du Québec qui, ultramontaine, s'en remet à l'autorité du
Saint-Siège).
La population française est composée de plus de 90% de catholiques. Quant au
reste, ce sont les huguenots (protestants calvinistes), l'élite économique du pays. Ça
grenouille et le roi est sur le point de révoquer l'édit de Nantes qui accorde des droits
minimes aux protestants. Ils seront alors persécutés et quitteront massivement le
pays.
L'État est aussi engagé dans une lutte à finir avec le jansénisme (qui influence
fortement l'Église du Québec). Le foyer des jansénistes est Port-Royal, ses têtes
d'affiche sont Saint-Cyran et Pascal, et un influent parti politique les soutient.
De plus, l'affaire Molinos fait du bruit. Selon la doctrine de ce théologien espagnol, il
est possible d'atteindre la perfection chrétienne dans un état de contemplation
passive et d'absorption en Dieu (quiétude). Ses oeuvres sont à la veille d'être
condamnées par Rome, et Molinos mourra en prison. Bref, tout ce qui se rapproche
du quiétisme est hérésie. La chasse aux mystiques est ouverte; ils sont traqués
comme les sorcières des siècles passés.
Le carrosse de la contre-réforme chevauche à plein galop, charriant le meilleur et le
pire. C'est donc sur ces chemins périlleux que s'engage le singulier apostolat de
Madame Bouvier de la Motte-Guyon.
Moyen Court est publié à Grenoble en 1684 et connaît un succès immédiat. Elle écrit
Examen de l'Écriture sainte. Partout où elle va, Turin, Marseille, Grenoble, elle attire
des foules qui l'écoutent parler avec simplicité et conviction de sa dévotion d'amour.
Elle a vraiment le don de la parole. Après avoir fondé un hôpital à Verceil, elle se
rend à Paris, où elle s'installe au cloître Notre-Dame. Elle a 40 ans.
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La calomnie se transforme en acharnement. Accusée de débauche et de quiétisme,
elle se tire d'embarras. Internée pendant 7 mois au couvent de la Visitation,
interrogée sur le Moyen Court, accusée d'hérésie, puis de crime contre l'État, elle se
dépêtre de la situation. Mais le malheureux La Combe, détenu arbitrairement à la
Bastille, y restera jusqu'à sa mort. Dans l'intervalle, Jeanne Guyon publie
Commentaire du Cantique des Cantiques.
Libérée, elle se retire chez Mme de Miramion. À la cour, un cercle de fidèles se
forme autour de Madame Guyon avec la Confrérie du « Pur Amour ». Même la reine
et Fénelon deviennent ses disciples. Jeanne écrit Vie, une sorte d'autobiographie
spirituelle. Ses écrits commencent toutefois à faire tache à Rome: son opuscule
Règle des associés à l'enfance de Jésus est condamné par le Saint Office. Elle en a
fait du chemin, la petite provinciale de Montargis!
La cabale fait aussi rage à Versailles. Inquiète de l'étrange influence que Madame
Guyon exerce sur les pensionnaires, la reine la prie de ne plus venir à Saint-Cyr et y
retire ses livres. Elle presse Bossuet d'intervenir auprès de Fénelon, qui ne bronche
pas. Ce fin Fénelon n'a rien à reprocher à Madame Guyon. Elle entretient une
correspondance nourrie avec Bossuet, qui s'efforce de la mettre au pas. Elle est
ébranlée mais la dame tient bon. Piqué, le rude Bossuet lance sa première salve
contre Fénelon dans sa Lettre au Roi. Le combat s'engage entre les deux titans.
Une commission (dont fait partie Bossuet) est chargée d'examiner la doctrine de
Madame Guyon. Elle rédige ses Justifications, et Fénelon, ses Recueils. Mme de
Maintenon et Bossuet condamnent les écrits de Madame Guyon, l'archevêque de
Paris s'en mêle. Bossuet publie une Ordonnance pastorale condamnant les ouvrages
mystiques. Il demande à Madame Guyon de signer un aveu d'hérésie, mais ne
réussit qu'à lui soutirer une soumission à la censure. Il lui décerne toutefois une
attestation d'orthodoxie. Quant à Fénelon, il refuse de la censurer dans son diocèse
de Cambrai. Bref, le feu est pris dans la cabane ecclésiastique.
Personne ne tient impunément tête à Bossuet. Madame Guyon, qui n'est plus qu'un
simple pion sur l'échiquier, est arrêtée et détenue. Fénelon publie sa retentissante
Explication des maximes des saints. Bossuet riposte par l'Instruction sur les états
d'oraison, qui s'attaque violemment à Madame Guyon. Le roi, qui n'a d'oreilles que
pour l'évêque de Meaux, appuie Bossuet. Fénelon soumet ses Maximes à la censure
de Rome. Et le carrousel papal tourne encore 2 années jusqu'à ce que les Maximes
soient finalement condamnées par bref.
Fénelon est disgracié et se retire à Cambrai. Quant à Madame Guyon, elle est
transférée à la Bastille, où elle y reste sept longues années. Après 3 ans de
résidence surveillée chez son fils à Blois, elle retrouve sa liberté. Elle a cessé
d'écrire, mais elle compose des chants, entourée d'amis. Elle meurt en 1717, à 69
ans, deux ans après le décès de Fénelon.
(N.B. : Ces informations ont été reprises à André Phaneuf sur son site internet)
Après avoir situé le personnage et la globalité de son oeuvre, venons-en à une partie
particulière de celle-ci : « Les Torrents ».
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Les Voies mystiques selon Madame Guyon
Mercurius – Juin 2002
Tout commence par un entretien avec un père franciscain à qui elle se plaignait des
résultats de ses oraisons. Il lui répondit « C’est, Madame, que vous cherchez audehors ce que vous avez au-dedans ». Ce fût pour elle une ouverture du cœur
instantanée « un coup de flèche qui perça mon cœur de part en part ». Elle avait
reçu une révélation.
C’est durant un séjour à Thonon que lui vint l’inspiration : « Dans cette retraite, il me
vint un si fort mouvement d’écrire que je ne pouvais y résister ». « En prenant la
plume, je ne savais pas le premier mot de ce que j’allais écrire. Je me mis à écrire
sans savoir comment, et je trouvais que cela venait avec une impétuosité étrange.
Ce qui me surprenait le plus était que cela coulait comme du fond, et ne passait point
par ma tête. Je n’étais pas encore accoutumé à cette manière d’écrire ; cependant,
j écrivis un traité entier sur toute la voie intérieure sous la comparaison des rivières et
des fleuves ». Si elle avait réajusté une phrase ou un mot de ce texte, elle aurait
selon ses dires cru commettre une « infidélité ».
Ce livre n’explore pas les trois voies d’une manière aussi fouillée. Elle a rédigé un
seul chapitre pour décrire les deux voies dites « inférieures » alors qu’elle va
développer abondamment la voie la plus haute qu’elle qualifiera de celle de la « Foi
Nue ».
Selon Madame Guyon, il existe plusieurs chemins pour les âmes désireuses de
retrouver Dieu.
Dieu leur donne on pourrait dire un « instinct » qui les guide. Il s’active lorsque les
premières purgations et la contrition ont agis et incite à délaisser les « amusements
et bagatelles » du monde.
Si cet « instinct » est placé dans toutes les âmes, en fonction des finalités divines, il
n’agira pas avec la même intensité.
Quelles sont donc ces trois voies ?
Les petites rivières – Voie d’activité et de méditation.
Les premières âmes sont celles qui après leur conversion s’adonnent à la méditation,
aux œuvres extérieures de la charité, elles font quelques activités extérieures, elles
tentent peu à peu de se purifier.
En fonction de leurs petites forces, elles avancement petitement et faiblement.
Ces âmes, ne sont ordinairement pas aptes à de grandes choses. Elles n’ont rien
pour les autres et Dieu ne se sert ordinairement pas d’elles pour les autres. Si elles
le font, ce sera avec l’aide d’autres âmes plus robustes.
Ces âmes connaissent beaucoup de hauts et de bas. Elles dépendent des apports
de l’extérieur et se découragent donc facilement.
Les grandes rivières – Voie passive mais de lumière.
Madame Guyon compare ces âmes aux grandes rivières qui cheminent à pas lents
et graves.
Si elles arrivent un jour à la mer, cela ne se fera que sur un tard vu leur train qui a
tout de celui du sénateur à la retraite.
Ces âmes sont chargées de dons, de grâces et de faveurs célestes. Elles font
l’admiration de leur contemporains et beaucoup de saints n’ont sans doute jamais
dépassé ce degré.
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Les Voies mystiques selon Madame Guyon
Mercurius – Juin 2002
Si ces âmes sont soutenues par Dieu, elles n’iront pas jusqu’à s’abandonner en lui.
Elles n’ont pas à supporter de grandes épreuves, de fortes tentations mais peuvent
également rencontrer des phases de mortification.
Parmi ces âmes, il y a différents degrés mais elles ne sont pas forcément très
stables car elles dépendent de dons extérieurs qui peuvent cesser du jour au
lendemain.
Ces âmes pourront évoluer plus loin si un guide leur fait comprendre qu’il existe une
voie plus sûre qui est celle de la foi et de l’abandon de ces richesses.
Les Torrents – Voie passive et de Foi Nue.
Ces âmes sortent de Dieu même et n’ont d’autre but que d’y retourner.
Elles ne se chargent de rien. Elles s’agietnt comme des folles pour rejoindre la mer et
se perdent souvent. Ce n’est qu’à la fin qu’elles aboutissent à la mer et en acquière
toute la vigueur en se perdant en elle.
Cette accession se fait par différentes étapes et épreuves que Madame Guyon
nomme degrés.
Degré 1 : Amour et intériorité.
L’âme sortie de Dieu veut retourner à lui. Ce cheminement est interrompu par le
péché et l’infidélité. Le cœur de l’homme est donc pris dans un mouvement perpétuel
et n’arrivera à accéder au repos que dans l’Eternel.
Certaines âmes parce qu’elles recherchent Dieu par des actions au dehors et non
par une quête en elle-même se perdent en méditations extérieures (Madame Guyon
parle de méditations mais pour ce que j’en comprends, ce sont des prières,
purifications, contritions démonstratives et orientées vers l’extérieur, ce qui ne
correspond pas au sens moderne de méditation) pour guérir une blessure qui est
intérieure.
Fréquemment, la Providence leur envie un instructeur qui les aide à comprendre
qu’elles cherchent au dehors ce qu’elles ont au dedans. Cela leur donne alors une
liberté nouvelle.
Cette âme s’aperçoit que son « oraison » devient quasi continuelle. Son amour
augmente sans cesse. Cette âme voudrait faire part de sa découverte à tout le
monde. Elle voudrait leur apprendre à aimer Dieu.
Mais à ce stade, il y a un risque que es âmes commencent à se reposer dans cet
état de grâce et perdent ainsi insensiblement leur activité amoureuse. Elles finissent
par acquérir une trop forte estime d’elle-même et se font propriétaires des dons de
Dieu.
Toute son occupation est un amour général, sans mobile.
Demandez-lui ce qu’elle fait à l’Oraison, elle répondra qu’elle aime.
Cette âme pourrait donc finir par de dessécher dans cet état si Dieu ne la faisait
chuter.
Il va s’en suivre tout un jeu que je qualifierai moi de « yo-yo sadique » et que
Madame Guyon décrit comme un acte d’amour et de salut remarquable.
D’autres appelerons cela un apprentissage du lâcher-prise mais Madame Guyon si
elle en a compris la finalité a-t-elle compris que cela pouvait peut-être se passer
autrement.
Degré 2 : Course tumultueuse de l’âme à sa perte et à sa mort.
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Les Voies mystiques selon Madame Guyon
Mercurius – Juin 2002
Après une phase de calme en un lac paisible voilà que cette eau trouve une pente et
se précipite vers ce qu’elle croit être sa perte.
Sur le trajet, elle se purifie alors qu’en restant dans le lac, elle se serait corrompue.
Dans cette phase, ses passions qu’elle croyait endormie s’agitent soudainement.
Il se passe ensuite toute une série de cycles où l’âme croit accéder au repos et à la
félicité et fini par trouver une nouvelle chute.
L’âme finit par comprendre qu’elle n’aura pas le repos dans son bien-aimé et
rencontre la tentation de penser le trouver dans la créature. Mais la non plus, elle ne
trouve pas le repos.
Quand elle retrouve Dieu, elle reçoit de nouvelles grâces mais comme elle finit par s ‘
accrocher et inéluctablement une nouvelle chute survient.
Dans ce cycle interminable, survient une phase de chute où cette âme perd son goût
pour la prière et l’oraison. Elle doit se faire violence pour y rester, elle trouve des
morts à chaque pas, ce qui autrefois la vivifiait aujourd’hui cause sa mort. En terme
moderne, la personne traverse une profonde dépression.
Dans ce jeu de cache-cache avec le Bien-Aimé, cette âme finit par ne plus trouver de
vie en rien. Elle abandonne toute volonté de posséder son Bien-Aimé et cela est une
purgation pour elle. Elle perd peu à peu sa propre jouissance et est préparée grâce à
cela à un nouvel état.
Degré 2 bis : Les dépouillements et le trépas mystique.
Notre Seigneur dépouille cette âme et lui ôte ses ornements, ses dons, ses grâces et
faveurs qui sont autant de charges.
A ce degré, l’âme fidèle doit se laisser dépouiller.
Enfin, cette pauvre âme qui a tout perdu doit encore renoncer à elle-même et mourir
accablée de fatigues horribles.
Degré 3 : L’ensevelissement à la poussière ou à l’anéantissement.
L’âme après bien des morts redoublées, expire enfin dans les bras de l’Amour, mais
elle n’aperçoit ces bras puisqu’elle que sa conscience s’est dissoute.
L’âme va alors peu à peu s’accoutumer à la corruption, elle est naturalisée au monde
de la pourriture.
L’âme réduite à néant doit y rester sans désirer en revenir. Elle doit demeurer
comme ce qui n’est plus et c’est alors qu’elle s’abîme et se perd dans la mer pour ne
plus faire qu’un avec elle.
C’est alors que cette morte recommence à sentir sans sentir, que ses cendres se
réaniment et prennent, progressivement, lentement, une nouvelle vie.
Cela se passe comme dans un rêve.
Degré 4 : Commencement de la vie divine.
Lorsque ce torrent commence à se perdre dans la mer, on le distingue fort bien
pendant un certain temps. On l’aperçoit de par son mouvement puis il finit par perdre
toute figure personnelle pour se perdre dans la mer.
L’âme sortant de ce degré et commençant à se perdre, conserve encore quelque
chose de propre mais après quelques temps, perd tout ce qu’elle avait de particulier.
De même, cette âme perd ce qu’elle avait encore d’humain pour se fondre dans le
divin.
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L’âme sortant de ce degré et commençant à se perdre conserve encore quelque
chose de propre pendant un court laps de temps mais ensuite elle perd toute
particularité. Elle perd l’humain pour se fondre dans le divin.
Elle ne possède plus rien mais est possédée par le divin et de ce fait bénéficie de
ses dons sans en jouir. Elle a perdu tous ses moyens mais elle est dans sa fin.
L’âme ne sent plus, ne voit plus, ne connaît plus. Elle ne voit rien de Dieu, n’en
comprend rien, n’en distingue rien.
Il n’y a plus d’amour, de lumières ni de connaissance. Dieu ne lui semble plus
quelque chose de distinct puisqu’elle a fusionné avec lui.
Autrefois, il fallait pratiquer les œuvres vertueuses. Ici, toute distinction dans l’action
a disparu puisqu’il n’y a plus de vertu propre mais tout étant Dieu.
Cette âme ne cherche plus à agir, elle est dans l’action du divin et cela lui suffit.
A l’inverse d’une personne toute dans l’humain, Dieu la fait agir à son insu.
L’obéissance est son guide car au moment de sa perte, elle a renoncé à toute
volonté.
Tous les désirs ont disparus. Ce torrent n’a plus de pente ni de mouvement, il est
dans l’éternel repos de l’Eternel.
Rien ne touche l’âme : amour, connaissance, intelligence, … . Ce repos n’a rien
d’une mort car il n’est pas douloureux. Ici, il y a comme une élévation au-dessus des
vanités de ce monde qui sans en priver les rend inutiles.
***
Cette approche de l’œuvre de Madame Guyon a commencé par une similitude
terminologique. En effet, Louis Clade de Saint-Martin parle de l’homme du torrent et
Madame Guyon des Torrents.
Je me suis donc lancé fébrilement dans la quête espérant démontrer un rapport
d’idée entre l’une et l’autre.
Hélas, si les concepts sont proches, je dois reconnaître que pour cette hypothèse de
filiation conceptuelle, j’ai probablement fait fausse route.
Plusieurs faits me le donne à penser :
1. L’image du torrent est répandue. En fouillant sur le net, j’ai même retrouver
des un élément de doctrine bouddhique très proche de Madame Guyon.
2. L’homme du Torrent serait plutôt à rechercher chez Jacob Boehme dans
« L’Aurore Naissante » ou du moins dans un passage de la Bible plutôt
troublant où Jacob affronte l’ange les pieds dans un torrent jusqu’à l’aurore
naissante. Mais cela, c’est un autre travail.
3. Le système métaphorique de Madame Guyon n’a pas tellement de rapport
avec ce que j’ai trouvé comme description donnée par Louis Claude de
Saint-Martin. Mais je n’ai consulté à cet effet que « L’homme de désir » et sur
ce plan, j’estime être un peu à court d’arguments tant pour rejeter que pour
valider l’hypothèse. Je me permet donc d’en appeler à votre aide si vous
aviez des données complémentaires.
4. Le titre « Les Torrents » attribué à son ouvrage n’est sans doute pas d’elle.
Et de fait, j’ai remarqué qu’elle a beaucoup plus fréquemment parlé de l’âme
que d’un torrent.
Ceci dit, j’ai trouvé des rapports entre cette description du retour de l’âme à Dieu,
telle que Madame Guyon nous la décrit et un concept fondateur du Martinisme : La
réintégration.
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Les Voies mystiques selon Madame Guyon
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En effet, une âme qui retourne à Dieu contribue à sa réintégration dans Dieu et par la
même à l’ouvrage de réintégration.
Cette technique est de type « cardiaque » et « passive » plutôt qu’intellectuelle et
active mais elle ne serait sans doute pas reniée par nos Maîtres fondateurs.
Suivrait-il Madame Guyon dans son aspect mortifiant ?
J’avoue que pour ma part, j’éprouve beaucoup de mal à me représenter que le flux
du retour à Dieu coulerait exclusivement dans un lit de douleurs.
Pourquoi un Dieu amour inflige-t-il un tel traitement à l’âme sur le chemin du retour ?
Quelques explications sont possible :
1. Madame Guyon déraille et exprime ses phantasmes sado-masochistes
converti en un montage mystique. Il y a des passages de son œuvres où le
lecteur peut se demander avec justesse si elle nous parle de Dieu ou d’un
amant. Sa description fait penser à celle d’une pauvre femme maltraitée par
un amant.
2. Madame Guyon ne déraille pas mais c’est nous qui nous faisons une
représentation erronée de la réalité spirituelle.
a. Dans sa chute première, l’âme a accumulé des malformations, des
tares, des maladies que seul un traitement douloureux peut guérir
(Pensons à une cure de désintoxication pour un toxicomane).
b. Si l’âme prenait la peine de lâcher-prise d’elle-même, elle aurait moins
mal.
c. Dieu ne serait pas amour mais comporterait des aspects noirs et des
aspects blanc. Par exemple , pourquoi s’il est amour tolère-t-il le mal et
accepte-t-il de laisser souffrir l’homme (Exemple de Job).
d. Cette représentation mortifiante que nous trace Madame Guyon n’est
pas spécifique mais est partagée par d’autres cultures et l’idée est
donc répandue parmi les hommes. Elle raurait rémerger chez Madame
Guyon.
Bref, de nombreux mystères demeurent et nous n’avons pas fini de tenter de les
percer.
J’ai dit.
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