l`interim cadre, revelateur de la complexification de la

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l`interim cadre, revelateur de la complexification de la
L’INTERIM CADRE, REVELATEUR DE LA COMPLEXIFICATION DE LA
NOTION DE STATUT CADRE ET DE L’EVOLUTION DE LA RELATION DE
TRAVAIL ET D’EMPLOI DE L’ENSEMBLE DE LA CATEGORIE
Pendant de longues années, la position des cadres a été liée à une situation stable au
sein de l'entreprise, au contrat à durée indéterminée (CDI) ainsi qu'à des possibilités de
carrière ascendante. Les cadres représentaient le « salariat de confiance » (P. Boufartigue, C.
Gadéa, 2000) ; ils s’investissaient de manière soutenue en échange d’une stabilité et d’une
possibilité de carrière au sein de l’organisation. Pourtant, depuis le milieu des années 1990,
les professions qualifiées sont, elles aussi concernées par la précarité. Bien que les chiffres
soient encore discrets (environ 10% de l’intérim global), ce type d'intérim représente un des
révélateurs sensibles de la transformation du statut ainsi que de l’évolution des situations de
l’emploi et de travail pour les professions qualifiées. Il relève de nouvelles représentations,
pratiques et stratégies aussi bien de la part des entreprises de travail temporaire, utilisatrices
que de celle des salariés, stratégies conduisant à de nouvelles normes de travail et d’emploi.
Même si ce fait social se situe à la marge, il n’en est pas pour autant anodin dans la mesure où
il dénote une extension de l’utilisation de la flexibilité par les entreprises. Par ailleurs,
l’enquête démontre que l’utilisation de l’intérim cadre a également des conséquences sur la
relation salariale des cadres CDI dans le sens où elle amène à une évolution des pratiques et
qu’elle fait partie d’un mouvement d’ensemble. L’utilisation de cette forme d’emploi renvoie
à un certain nombre de questions, à savoir, notamment pourquoi l’intérim cadre s’est
développé ? Quelle en est sa portée ? Comment les différents acteurs se sont organisés ?
L’étude analyse la réalité de ce nouveau construit social au travers des interactions
entretenues entre les différents acteurs en présence au sein de la triangulation.
La communication proposée s'inscrit dans le contexte des transformations du système
d'emploi dominant dans les années d'après-guerre, années marquées par l'emploi CDI ; elle
s’appuie sur une enquête réalisée de 1997 à 2003 qui a regroupé 304 personnes, soit 205
entretiens non directifs de responsables d’entreprises de travail temporaire1 , utilisatrices2 ,
intérimaires cadre et professions intermédiaires en Ile-de-France, Nord, Normandie et 99
cadres en recherche d’emploi n’ayant jamais exercé en intérim (réunions de groupe). L’étude
se penche à la fois sur les cadres et professions intermédiaires, les observations sur le terrain
montrant que c’est à l’articulation de ces deux catégories que l’intérim des professions
qualifiées se situe en grande partie. L’enquête met ainsi clairement en avant le fait que le
champ théorique se référant aux cadres est en pleine évolution, les frontières entre cadres et
professions intermédiaires se révélant de plus en plus floues, en évolution permanente, sans
doute plus que pour les cadres CDI. Les « cadres intermédiaires », c’est-à-dire ceux qui
peuvent être employés, selon les circonstances (taille de l’entreprise, par exemple), comme
cadre ou non-cadre car se situant à la limite de ces deux catégories (comptables,
informaticiens, par exemple), sont les plus concernés par cet état de fait.
L’évolution de la situation de l’emploi des cadres a mis en évidence trois phénomènes
concomitants. Tout d’abord, depuis le milieu des années 1990, on assiste au développement
du chômage de longue durée chez les cadres, facteur déclanchant de l’utilisation de l’intérim
chez cette catégorie. D'autre part, suite à la transformation des systèmes productifs, la
situation des cadres se modifie (statut, carrière, accès à l’emploi, relation de travail…), facteur
qui accentue le recours à l’intérim. Enfin, se développe de plus en plus, tant dans les milieux
patronaux que syndicaux une réflexion sur la pertinence du statut cadre ainsi que sur
1
2
L’enquête concerne en grande majorité les grands réseaux d’intérim (Manpower, Adecco, Vedior Bis…).
L’enquête ne concerne que les grandes entreprises.
l'opportunité de son maintien. C'est à l'articulation de ces phénomènes que se situe l'intérim
cadre.
L’hypothèse centrale repose sur le fait que l’émergence de l’intérim cadre résulte de
l’évolution des systèmes productifs. Un contexte de forte flexibilité a incité les organisations à
se restructurer en profondeur ; cette nouvelle donne a favorisé l'apparition de cette forme
d’emploi, engendrant une segmentation de la catégorie ainsi qu’une nouvelle relation d'emploi
et de travail, une complexification de la notion de statut cadre. Si l’évolution des systèmes
productifs a favorisé l’émergence de l’intérim cadre la transformation morphologique, voire la
rupture de la catégorie dans les années 1990 a également une influence sur son apparition3 .
Pour que l’intérim des professions qualifiées se développe il a fallu que le système de
représentation vis-à-vis de cette forme d’emploi évolue chez les cadres / professions
intermédiaires, évolution relativement brutale puisque ceux-ci se sont trouvés confrontés au
chômage de longue durée. Même si le taux des demandeurs d’emploi a à peine dépassé les 5%
pour les cadres et 7% pour les professions intermédiaires, le fait que ces catégories soient
concernées représente une réalité objective qui s’impose à eux.
Notre communication se propose tout d’abord d’analyser comment en fonction de l’évolution
du système organisationnel des entreprises et de l’évolution du marché de l’emploi, les cadres
s’organisent et adoptent de nouvelles stratégies, comment ils ont recours à un éventail de
formes particulières d’emploi qui peuvent se retrouver complémentaires et concurrentes dans
le temps. Dans la lignée de l’évolution des systèmes productifs, nous analyserons également
comment la notion de carrière des cadres s’est transformée, celle-ci se présentant dorénavant
bien souvent comme une succession d’emplois que les individus organisent le mieux possible
pour évoluer, le contrat de travail ne reposant plus sur une relation fondée sur la loyauté
contre la sécurité d’emploi mais se présentant comme une forme de modèle « mercenaire »
basé sur le «donnant-donnant ». En fait, l’évolution du statut et de la carrière représente deux
facteurs centraux de l’acceptation des cadres de l’utilisation de l’intérim, acceptation qui a eu
des conséquences qui ont dépassé le cadre strict de cette forme d’emploi. Nous verrons
comment l’utilisation de l’intérim cadre engendre une évolution de la relation de travail en
phase avec les nouvelles logiques organisationnelles mises en œuvre par les entreprises.
Nous montrerons ensuite comment les entreprises de travail temporaire, ayant analysées ces
nouvelles mutations, paradoxalement, les accompagnent et en accentuent l’évolution
engendrant ainsi des conséquences notables en matière de relation salariale pour l’ensemble
des catégories cadre et professions intermédiaires. Nous étudierons comment ces nouvelles
pratiques traduisent une mutation profonde, notamment comment la notion de statut cadre
s’en trouve altérée. Pour ce faire, nous étudierons comment les conditions d’accès à l’emploi
évoluent et comment les pratiques de recrutement des cadres / professions intermédiaires
intérimaires et CDI se transforment.
La communication présentée tend ainsi à analyser les significations, les causes, les
mécanismes que sous-tend l’utilisation de cette nouvelle forme d’emploi et montre comment
la dégradation du marché de l’emploi transforme le statut, les normes et les formes
institutionnelles de l’emploi et du travail des cadres / professions intermédiaires.
Laurence Puissant4
Laboratoire GRIS
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L’intérim cadre émerge dans les statistiques de manière plus significative en 1996.
Enseignante-Chercheuse et Chargée de mission pour l’égalité entre les hommes et les femmes à l’Université de
Rouen.
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