Retour sur un Objet Filmique Non Identifié : Mars Attacks !
Transcription
Retour sur un Objet Filmique Non Identifié : Mars Attacks !
Retour sur un Objet Filmique Non Identifié : Mars Attacks ! S'il y a eu plus de deux millions de spectateurs en France pour Mars attacks !, vante la cassette vidéo, les Etats-Unis ont boudé le dernier film de Tim Burton, comprenant qu'à côté des multiples références au cinéma se cachait à peine une satire du peuple américain qui va plus loin que celle des Simpson. Avec Mars attacks !, Burton semble avoir réalisé un film plus commercial que certains de ses précédents (Ed Wood, Edward aux mains d'argent...) en utilisant effets spéciaux et extraterrestres, si chers au public américain. La critique s'est beaucoup amusée à repérer tous les hommages et clins d'œil que Burton fait dans ce film aux cinémas fantastique et de science fiction de tous âges, des premiers muets aux plus récents, en passant par la BD et toute l'imagerie américaine. Autant de références n'étaient évidemment pas gratuites, elles constituent un mélange d'esthétiques différentes et une relecture des visions antérieures ou actuelles du monde, du futur, des craintes et des illusions. A côté des petits jeux de décryptage, Burton nous délivre apparemment un message politique violent. Tausend Augen s'interrogeait, dans le numéro 2, sur "la dimension anarchique du propos de Burton". La question est à nouveau posée à travers ce film. Les humains de Mars attacks ! nous sont présentés dans tout ce qu'ils ont de plus détestable : soif de pouvoir, hypocrisie, égoïsme, orgueil… Face à eux des ennemis : ce ne sont ni des animaux surdimensionnés, ni des communistes, mais des extraterrestres, êtres auxquels on peut prêter n'importe quelle allure pourvue qu'elle soit étrange et effrayante ou très commune (ils prennent l'apparence humaine). La présence de ces êtres surnaturels est un biais pour mettre les formes humaines en valeur, pour montrer la combativité (ou l'hospitalité), l'intelligence de l'homme qui sortira vainqueur de la confrontation. Les martiens de Burton sont des personnages à part entière, la vie dans leur vaisseau (en slip rouge) nous est montrée. Ils paraissent venir avec des intentions pacifiques ("we come in peace"), mais ils ressemblent finalement beaucoup aux humains, non par leur apparence mais par leur attitude dans la mesure où ils utilisent les armes humaines : le mensonge, l'hypocrisie, la ruse. C'est en feignant les meilleures intentions qu'ils trompent les hommes, les piègent en les attendrissant et les abattent facilement. Ce sont des stratèges dont l'ambition est de tuer le plus d'humains possible. Le film est alors très désagréable et pendant une demi-heure, ce ne sont qu'explosions, corps désagrégés, bref un déchaînement de violence auquel Burton ne nous avait pas habitués, mais dont le cinéma commercial hollywoodien, lui, nous assomme. Bien sûr, Burton détourne ce cinéma, les effets spéciaux, le manichéisme. Burton s'attaque à l'Amérique, au monde peut-être, en tous cas au moins à ces Etats-Unis qui se prennent pour le monde. Et les extraterrestres burtoniens brisent méthodiquement - ou anarchiquement - tous les symboles de l'Amérique, de la puissance américaine : son histoire, le pouvoir établi (par l'intermédiaire du président), ses monuments (la symbolique Maison blanche est détruite, le Mont Rushmore est reconcocté à la sauce martienne), son armée, l'argent qui y règne en maître (Las Vegas), sa "nourriture" (le donut, le chewing-gum, véritable bouteille d'oxygène qui permet aux extraterrestres de respirer sur terre), la pin-up, la science… Les repères s'effondrent, les pouvoirs basculent. Le chaos est instauré, et Burton semble réellement vouloir nous faire croire que la fin de l'humanité est arrivée : les hommes se sont crus invincibles, et ils se brûlent les ailes. Ils sont anéantis par de nouvelles machines, sont "croisés" avec des animaux. Le cinéaste ne s'apitoie pas sur le sort des mortels, il est en son pouvoir de créer, donc de détruire, et il nous montre comment, lui aussi, il peut abuser de ce pouvoir, avec un certain humour. Sa démonstration est d'autant plus brillante que ce qu'il montre n'est ni poétique ni même joli, que l'identification est très difficile. Les hommes sont tués, mais bien que les meurtres soient nombreux, ils ne sont pas banalisés. Les hommes ont peur, souffrent. La cruauté des extraterrestres nous surprend au même titre qu'elle surprend les personnages. Le degré d'évolution de ces martiens semble correspondre à une dégénérescence : leur proéminente cervelle, qui semble vouloir sortir de leur tête, laisse apparaître, lorsqu'elle est écrasée comme une citrouille, une matière verte et gluante : l'intelligence ? Sans personnalité, tous identiques (à quelques détails vestimentaires près), ils sont unis pour tuer, tandis que les humains de Mars attacks !, par leur individualité, cherchent constamment à faire progresser leurs propres intérêts. Cette prise de pouvoir forcée, cette violence, n'est pas uniquement du cinéma. Elle rappelle la guerre en général, et singulièrement l'ascension au pouvoir d'Hitler, aussi légale que le premier atterrissage des Martiens et le massacre qui s'en est suivi, mais aussi et surtout l'arrivée des colons américains et le génocide des indiens semblable à ceux que l'on peut voir dans des westerns américains tels que Little Big Man d'Arthur Penn ou Soldat bleu de Ralph Nelson ; à la fin du film, le jeune sauveur encouragera les survivants à retourner vivre dans des tipis. Il s'agissait au départ de mensonges et de machinations diaboliques de la part des hommes. Dans Mars attacks ! plus l'homme est rusé, habile à échafauder des plans, plus il est faux, malveillant tant il est persuadé qu'il dupera son prochain. Jack Nicholson prête son sourire àla fois à un homme d'affaires véreux qui tente de profiter de la "guerre", et le président des Etats-Unis. La vision iconoclaste de la politique selon Burton est encore renforcée par le meurtre abominable du président, qui se voit planter le drapeau national dans le cœur. Chose surprenante, ceux que l'on pourraient prendre pour les héros, les acteurs connus (Michael J. Fox, Jack Nicholson, Pierce Brosnan) meurent. Où se trouve le héros qui sauvera notre monde ? Contrairement à beaucoup de films américains (Air Force One ou Independance day pour les plus récents), le président en est complètement incapable. En fait, les "sauveurs" sont des êtres décalés, qui ne paraissent pas bien adaptés à la société : l'adolescent, sa grand-mère gâteuse, l'écolo pure et dure, l'ancien boxeur noir divorcé et le crooner Tom Jones. Que veut nous dire Burton ? Qu'il faudrait un cataclysme, une destruction presque totale pour reconstruire un monde meilleur ? Bien sûr, l'anéantissement du pouvoir politique américain tel qu'il est, est très appuyé. La vision extrême d'apocalypse (qui signifie étymologiquement, faut-il le rappeler "la révélation") est une mise en garde : "L'inspiration première, c'est sans doute la folie qui nous entoure" confiait Burton à Positif (mars 1997). Effrayé semble-t-il par l'absurdité, l'hubris de certains et leurs conséquences parfois tragiques, le cinéaste néanmoins a tourné ce conte fantastique avec un humour constant. La victoire sur les extraterrestres grâce aux chansons du chanteur Slim Whitman est un pied de nez à tout ce qui est dans une norme intellectuellement élevée. Le retour à la paix est un nouveau rêve américain. Il a été obligé d'introduire les êtres surnaturels pour signifier la guerre qui règne partout. Tim Burton est actuellement le seul réalisateur américain à montrer ce qui a fait, fait et fera la guerre. Oriane Denneulin ©tausendaugen/1998