Une cause rare de syndrome pneumo-rénal avec auto

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Une cause rare de syndrome pneumo-rénal avec auto
Une cause rare de syndrome pneumo-rénal avec auto-anticorps:
le syndrome primaire des antiphospholipides
A. Berezne1, A. Karras1, F. Martinez1, D. Droz2, J.-P. Clauvel3 et C. Legendre1
1
Service de néphrologie et transplantation rénale ; 2 Service d’anatomopathologie, 3 Service d’immuno-hématologie,
Hôpital Saint-Louis, Assistance publique Hôpitaux de Paris, Paris
Résumé • Summary
Nous rapportons l’observation d’un patient atteint de syndrome des antiphospholipides (SAPL) primaire présentant une
hémorragie intra-alvéolaire avec insuffisance rénale rapidement
progressive, traité avec succès par corticothérapie, cyclophosphamide et échanges plasmatiques. Le SAPL est défini par l’association de manifestations thrombotiques (artérielles et/ou veineuses)
et/ou de fausses couches répétées à la présence d’anticorps anticardiolipine (aCL). Les manifestations pulmonaires les plus fréquemment rapportées dans le SAPL sont les embolies pulmonaires et l’hypertension artérielle pulmonaire. les hémorragies
intra-alvéolaires sont rares et peuvent survenir isolément ou dans
le cadre d’un syndrome catastrophique des antiphospholipides.
Elles imposent une prise en charge thérapeutique lourde incluant
une anticoagulation prudente, une corticothérapie intraveineuse
et probablement des plasmaphérèses associées à des immunosuppresseurs dans les formes réfractaires.
We present a case of primary antiphospholipid syndrome with
acute renal failure and alveolar haemorrage. He was successfuly
treated with cyclophosphamide, corticosteroids and plasma
exchange.
Patients with antiphospholipid syndrome may develop a broad
spectrum of pulmonary disease. Pulmonary thromboembolism
and pulmonary hypertension are the most common complications, but alveolar haemorrhage have also been reported. Other
causes need to be excluded. Despite favourable outcome of many
patients with association of plasma exchange, immunosuppressive
drugs and anticoagulant therapy, definite conclusions about the
best therapeutic regimen could not be draw.
Mots-clés : Syndrome primaire des antiphospholipides – Hémorragie intra-alvéolaire – Insuffisance rénale – Plasmaphérèse –
Anticorps anticardiolipine – Anticorps anti-β2GPI.
Key words : Primary antiphospholipid syndrome – Acute alveolar haemorrhage – Renal failure – Plasma exchange – Anti-cardiolipin antibodies – Anti-β2GPI antibodies.
Ac :
Anticorps
HIA :
Hémorragie intra-alvéolaire
ANCA : Anti-neutrophil Cytoplasmic Antibody
LA :
Anticoagulant circulant de type lupique
aCL :
Anticorps anticardiolipine
MBG : Membrane basale glomérulaire
aPL :
Anticorps antiphospholipide
LED :
EP :
Echanges plasmatiques
SAPL : Syndrome des antiphospholipides
Lupus érythémateux disséminé
GEM : Glomérulonéphrite extra-membraneuse
■ Introduction
Le syndrome des antiphospholipides (SAPL) a été défini en
1987 par Harris et coll. par l’association de manifestations
thrombotiques (artérielles et/ou veineuses) et/ou de fausses
couches répétées à la présence d’anticorps anticardiolipine
(aCL).1 Une thrombopénie périphérique est parfois associée.
D’abord décrit chez des patients atteints de lupus systémique
Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004, pp. 53-57
(LED), il a ensuite été identifié chez des patients indemnes de LED
ou de toute autre maladie auto-immune. Il est appelé, dans ce
cas, syndrome « primaire » des antiphospholipides.2
Depuis sa description initiale, de nombreuses observations
sont venues enrichir les manifestations cliniques imputables au
SAPL.3 Les atteintes pulmonaires les plus fréquemment rapportées
dans le SAPL sont les embolies pulmonaires. L’hypertension artérielle pulmonaire pourrait également constituer une manifestation
53
articles originaux
● Abréviations
« spécifique » du SAPL. Quelques observations d’hémorragies
intra-alvéolaires ont été rapportées au cours du SAPL primaire,
s’intégrant ou non, dans le cadre d’un syndrome catastrophique
des antiphospholipides.4
Les atteintes rénales au cours des SAPL primaires sont la
conséquence des thromboses qui peuvent concerner tous les
vaisseaux rénaux (veine, tronc de l’artère rénale, artérioles intraparenchymateuses et/ou capillaires glomérulaires).5 Le tableau clinique associe une hypertension artérielle parfois maligne et une
insuffisance rénale de sévérité et d’évolutivité variables.6 A coté
des lésions aiguës (microangiopathie thrombotique), peuvent
être observées des lésions d’artériosclérose, de fibrose et d’hyperplasie intimale, d’occlusion artériolaire et d’atrophie corticale
focale.5,7 Sur une série de 1000 patients atteints de SAPL, la prévalence des atteintes rénales est de seulement 3%.8 L’atteinte
rénale est probablement plus fréquente, mais sous-estimée, car
rarement documentée en raison du risque que représente une
biopsie rénale chez ces patients souvent hypertendus, thrombopéniques et traités par anticoagulants.8 Très récemment, Fakouri
et coll. ont rapporté une série de neuf patients présentant un
SAPL et une maladie glomérulaire, enrichissant ainsi le spectre des
atteintes rénales identifiables au cours de ce syndrome.9
Nous rapportons ici un cas d’hémorragie intra-alvéolaire avec
insuffisance rénale rapidement progressive chez un patient
atteint de SAPL primaire, traité avec succès par corticothérapie,
cyclophosphamide et échanges plasmatiques.
articles originaux
■ Observation
M. P. F., 41 ans, d’origine caucasienne, sans profession, est
hospitalisé en décembre 2001 pour une douleur thoracique de
survenue brutale associée à une dyspnée et à une hémoptysie de
faible abondance. En 1986, un syndrome néphrotique associé à
une HTA maligne (fond d’œil stade IV) et à un livedo reticularis
avait justifié une première hospitalisation. La fonction rénale
était définie par une créatininémie à 170 µmol/l et une clairance
à 40 ml/min, la protéinurie était de 6 g/24 h associée à une
hématurie microscopique. Un examen ORL systématique montrait une perforation de la cloison nasale asymptomatique chez
un patient non toxicomane. Les explorations immunologiques
objectivaient alors un test de Coombs direct positif de type complément, la présence d’Ac anti-plaquettes et d’un anticoagulant
circulant de type lupique (LA). Les anticorps antinucléaires et
anti-ADN natifs étaient négatifs et le dosage du complément
normal. La biopsie rénale révélait une glomérulonéphrite extramembraneuse évoluée de type III avec des dépôts d’IgG, de C3,
d’IgM et de C1q, associée à une sclérose interstitielle importante
et à une endartérite fibreuse sans signe évident de microangiopathie thrombotique. Une corticothérapie était débutée en association avec des antiagrégants plaquettaires et un traitement
symptomatique de l’hypertension artérielle, permettant une rémission partielle de l’atteinte rénale.
En août 1994, une douleur lombaire avait justifié une seconde
hospitalisation, permettant de porter le diagnostic de dissection
spontanée de l’artère rénale gauche, compliquée d’une thrombose
d’une de ses branches de division. Les examens biologiques montraient alors un temps de céphaline avec activateur spontanément
allongé non corrigé par le témoin (M/T/M + T = 121/74/109). Le
temps de thromboplastine diluée (Rosner) était allongé, attestant la
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présence d’un anticoagulant circulant de type lupique. Le VDRL
était négatif mais les Ac anticardiolipines recherchés par un test
ELISA, étaient supérieurs à 100 UI à plusieurs reprises et de type
IgG (N < 10). La recherche d’IgG Ac anti-β2GPI était très positive
(> 50 UI/ml). Le complément était normal, les anticorps antinucléaires et anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles étaient
absents, de même que la recherche de cryoglobuline et de facteur
rhumatoïde. La capillaroscopie montrait quelques anomalies qualitatives non spécifiques, sans mégacapillaire. L’immunofluorescence directe de la biopsie cutanée ne montrait pas de bande
lupique. Le diagnostic de syndrome primaire des antiphospholides
était finalement porté. Une corticothérapie était à nouveau introduite ainsi qu’un traitement anticoagulant par anti-vitamines K.
En 1999, une perte de connaissance brutale et des troubles
mnésiques importants amènent à réaliser une IRM cérébrale, qui
montrait des hypersignaux multiples de la substance blanche en
séquence T2, compatibles avec une vasculopathie thrombotique
cérébrale distale.
Entre 1994 et 2001 la dysfonction rénale va lentement progresser avec une créatinine passant de 150 à 300 µmol/l
Enfin en décembre 2001, le patient est admis en urgence
pour une dyspnée associée à une douleur basi-thoracique et des
crachats hémoptoïques. La température est de 38°C. L’auscultation montrait des crépitants bilatéraux. La radio de thorax révélait
des opacités alvéolaires bilatérales. L’hémoglobine était à 7,9 g/dl.
La gazométrie montrait une hypoxie sévère à 60 mmHg en air
ambiant. Il existait une thrombopénie périphérique à 59 000/mm3
avec une recherche d’Ac antiplaquettes négative.
Le scanner thoracique montrait des images alvéolaires bilatérales avec des lésions en verre dépoli. Le lavage broncho-alvéolaire mettait en évidence une hémorragie intra-alvéolaire avec
55% de sidérophages et un score de Golde à 100.10 A côté de
l’atteinte pulmonaire, est constatée une altération rapide de la
fonction rénale caractérisée par une créatininémie à 740 µmol/l,
nécessitant la prise en charge en hémodialyse. La biopsie rénale
réalisée par voie transjugulaire montrait une néphropathie avancée comportant des lésions de microangiopathie thrombotique
glomérulaire et artériolaire d’âges différents. L’immunofluorescence montre des dépôts granuleux d’IgA, IgG et de C3 le long
des parois capillaires, en rapport avec la GEM préexistante. Il
n’existait aucun signe de vascularite ni lésions extracapillaires.
Les Ac anti-cardiolipine étaient très élevés, à 225 UI/ml, avec des
Ac anti-β2GPI à 11 UI/ml. Les tests immunologiques montraient
encore l’absence d’anticorps anti-ADN natifs, d’ANCA et d’anticorps anti-MBG. La recherche d’une cause infectieuse (cytomégalovirus, herpes virus, influenzae, parainfluenzae, virus respiratoire syncitial, légionnelle, tuberculose et pneumocystose) était
également négative.
Une corticothérapie à forte dose était entreprise, associée à
une anticoagulation efficace par héparine. A J10 de ce traitement, l’hémorragie intra-alvéolaire récidive de façon massive,
nécessitant une ventilation mécanique. Il est décidé d’intensifier
le traitement en ayant recours au cyclophosphamide intraveineux et aux échanges plasmatiques. La corticothérapie est poursuivie. Les échanges plasmatiques sont réalisés en alternance
avec les séances d’hémodialyse à raison de trois séances hebdomadaires. L’amélioration clinique, biologique et radiologique est
constatée rapidement permettant d’espacer les échanges plasmatiques à un par semaine. Douze séances d’échanges plasmatiques et six bolus de cyclophosphamide seront réalisés. La rémis-
Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004
■ Discussion
Historiquement, le SAPL a été caractérisé par l’association de
manifestations thrombotiques (artérielles et/ou veineuses) et/ou
de fausses couches spontanées répétées à la présence d’anticorps antiphospholipides (aPL) confirmée plus de trois mois après
leur mise en évidence. La fréquence des aPL dans la population
générale peut amener à des diagnostics par excès. En effet de
nombreuses situations pathologiques, comme les infections, les
cancers et hémopathies malignes, l’insuffisance rénale terminale
ou un traitement inducteur (procaïnamide, quinidine, hydralazine), peuvent s’accompagner de l’apparition d’aPL, mais en
dehors du SAPL primaire et des aPL associés au LED, ces anticorps sont rarement symptomatiques et considérés comme
« non pathogènes ».11 Harris et coll., en 1987, définissent le SAPL
comme l’association d’au moins une manifestation clinique à
une anomalie biologique (tableau I). Le cas particulier de la présence d’un anticoagulant lupique chez l’insuffisant rénal, dialysé
ou non, peut être discuté. Quereda12 rapporte une prévalence
accrue d’anticoagulant lupique chez les porteurs de néphropathies et les insuffisants rénaux dialysés pouvant aller jusqu’à
30% chez ces derniers. La présence de ces aPL est associée à un
risque accru de thrombose des accès vasculaires. Dans l’étude de
Brunet, réalisée chez des patients hémodialysés, les thromboses
de fistules artérioveineuses sont deux fois plus fréquentes chez
les patients porteurs d’un anticoagulant lupique.13
Tableau I : Définition du syndrome des anticorps antiphospholipides
selon Harris.1
Association d’une manifestation clinique parmi
• Thrombose veineuse
• Thrombose artérielle
• Pertes fœtales répétées
Avec une anomalie biologique (au moins une) parmi
• Anticoagulant circulant antiprothrombinase (LA)
• aCL confirmé à deux reprises à au moins huit semaines d’intervalle
LA : anticoagulant de type lupique ; aCL : anticorps anticardiolipine.
En 1999, les critères ont été revus et élargis par un groupe de travail en
incluant dans les critères :
• Thrombose des petits vaisseaux de n’importe quel tissu ou organe (sans
évidence d’inflammation de la paroi vasculaire).
• Naissance prématurée (< 34 semaines) en contexte d’éclampsie ou de prééclampsie.
• Les aCL sont de nature IgG ou IgM et mesurés par une technique ELISA
Dans le cas de notre patient, le diagnostic de SAPL primaire
est porté par l’association dans le temps d’un livedo, d’un épisode de thrombose de l’artère rénale, d’une vasculopathie cérébrale distale, d’une insuffisance rénale en rapport avec des
lésions de microangiopathie thrombotique, d’une hémorragie
intra-alvéolaire et de la présence d’anticorps anticardiolipine et
Néphrologie Vol. 25 n° 2 2004
d’anticorps anti-β2GPI. La distinction entre SAPL « primaire » et
SAPL secondaire au LED est souvent difficile et non figée au
cours du temps ; certains patients pouvant évoluer du syndrome
primaire vers le lupus. Les classiques critères de l’ARA ne permettent pas toujours une bonne discrimination entre ces deux
pathologies. Piette et coll. ont donc proposé de nouveaux critères d’exclusion du diagnostic de syndrome primaire des antiphospholipides qui sont présentés dans le tableau II.14
Tableau II : Critères d’exclusion du SAPL primaire.10
La présence de l’un de ces critère n’est pas compatible avec le diagnostic de SAPL primaire :
• Eruption malaire
• Lupus discoïde
• Ulcération orale ou pharyngée (sauf ulcération ou perforation
de la cloison nasale)
• Arthrite franche
• Pleurésie, en l’absence d’embolie pulmonaire ou d’insuffisance
cardiaque gauche
• Péricardite, en l’absence d’infarctus du myocarde ou d’insuffisance rénale marquée
• Protéinurie > 0,5g/l, due à une glomérulonéphrite par complexes
immuns prouvée histologiquement
• Anticorps anti-ADN natif, par radio-immunologie ou immunofluorescence sur Crithidia
• Lymphopénie inférieure à 1000/µl
• Anticorps anti-antigènes nucléaires solubles
• Anticorps anti-nucléaires à un titre supérieur à 1/320
• Traitement connu comme inducteur d’aPL
aPL : anticorps antiphospholipide.
Les atteintes rénales observées au cours des SAPL sont constituées de thromboses des gros vaisseaux artériels ou veineux et
d’autre part de néphropathies.6,9 Ces dernières sont hétérogènes.
En effet l’aspect le plus typique correspond à une néphropathie
vasculaire mais peuvent également exister des atteintes rénales ne
correspondant ni à une néphropathie vasculaire de type SAPL, ni à
un tableau de glomérulopathie lupique. Très récemment, Fakouri
et coll. ont rapporté une étude portant sur vingt-neuf biopsies
rénales de patients porteurs d’un SAPL primaire. Vingt biopsies
montraient un aspect typique de néphropathie vasculaire de type
SAPL et neuf retrouvaient des lésions distinctes dont trois glomérulonéphrites extramembraneuses, deux glomérulonéphrites à
dépots mésangiaux de C3 isolés, deux de type « lésions glomérulaires minimes », une hyalinose segmentaire et focale et une vascularite pauci-immune rénale.
Les atteintes pulmonaires dans le SAPL sont peu fréquentes
et sont très largement dominées par les embolies pulmonaires,
l’hypertension artérielle pulmonaire et le retentissement d’amont
des atteintes cardiaques (infarctus du myocarde, valvulopathie
ou exceptionnellement myocardiopathie spécifique secondaire à
des microthromboses distales).14 Un syndrome de détresse respiratoire aiguë de l’adulte est souvent observé au cours de SAPL
« catastrophique ».16 En dehors de ce cadre, quelques publications attribuent au SAPL des manifestations pulmonaires allant
de tableaux mineurs associant de la fièvre, des douleurs thoraciques, une toux parfois hémoptoïque et des infiltrats pulmonaires migrateurs jusqu’aux détresses respiratoires nécessitant,
comme pour notre patient, une ventilation assistée.17,18 Ces
55
articles originaux
sion clinique est obtenue avec l’absence de récidive d’hémorragie alvéolaire. Celle-ci est accompagnée d’une normalisation du
taux des Ac anticardiolipines et des Ac anti-β2GPI. La corticothérapie est dégressive. L’insuffisance rénale est traitée par hémodialyse chronique.
différentes atteintes pulmonaires sont résumées dans le tableau
III. Les rares documentations histologiques, post-mortem ou par
biopsie transbronchique, font état d’hémorragies intra-alvéolaires, de thromboses artériolaires disséminées et parfois d’une
capillarite pulmonaire.4,19
Tableau III : Manifestations respiratoires et des voies aériennes supérieures rencontrées dans le SAPL.
• Embolie pulmonaire
• Hypertension artérielle pulmonaire
• Syndrome de détresse respiratoire aiguë de l’adulte
• Capillarite pulmonaire
• Hémorragie intra-alvéolaire diffuse
• Thromboses artériolaires pulmonaires
articles originaux
• Perforation de la cloison nasale
Les hémorragies intra-alvéolaires (HIA) sont rares mais augmentent au cours du LED. Elles compliquent moins de 2% des
lupus mais sont d’évolution fatale dans 70 à 90% des cas.20 Au
cours du SAPL, les HIA isolées sont encore plus rares, sauf en cas
de syndrome catastrophique des aPL.16,21 Le syndrome catastrophique se définit comme une défaillance polyviscérale aiguë
secondaire à des thromboses multiples simultanées liées à une
microangiopathie thrombotique. Quatre-vingt cas ont été rapportés dans la littérature, qui ont en commun des thromboses
des vaisseaux de petit calibre, mais parfois de plus gros calibre,
affectant au moins trois organes différents avec fréquemment
une atteinte rénale, une hypertension artérielle et une atteinte
du système nerveux central. Le SAPL catastrophique complique
l’évolution de 1% des SAPL.8
Tout comme pour les syndromes catastrophiques, le traitement des HIA du SAPL n’est pas codifié. Il n’existe aucun consensus thérapeutique. La plupart des cas rapportés ont été traités
par corticostéroïdes, plasmaphérèses, immunoglobulines intraveineuses, cyclophosphamide ou plus souvent par une association de ces traitements.8,16,17,21,22 L’anticoagulation instaurée
dans les SAPL pour prévenir l’extension ou la récidive des thromboses, complique la prise en charge des HIA. Il est admis de réintroduire les anticoagulants dès la phase aiguë hémorragique
stabilisée. Les séries récentes de syndrome catastrophique des
antiphospholipides et d’HIA dans le cadre d’un SAPL primaire ou
secondaire à un lupus, suggèrent que le recours aux plasmaphérèses améliore le pronostic vital des patients en diminuant le taux
des aPL.7,23,24,25 Asherson et Piette ont rapporté trente et un cas
de syndrome catastrophique dont treize traités par EP avec une
survie de 69% contre 23% de survie chez les dix-huit patients
n’ayant pas bénéficié d’EP. Tous les patients avaient reçu en association des anticoagulants, des corticoïdes et du cyclophosphamide. Dans une série rétrospective plus récente et plus large
(80 patients), où la prise en charge thérapeutique est hétérogène,
l’effet bénéfique de l’anticoagulation ou de l’association anticoagulants plus corticoïdes est certain. L’utilisation du cyclophosphamide ou des EP était réservée aux patients les plus graves, 35% et
20% des patients respectivement. Leur efficacité thérapeutique
ne ressortait pas dans cette étude.16
L’hémorragie intra-alvéolaire diffuse, nécessitant l’intensification des traitements, s’accompagnait d’une élévation importante
des aCL (supérieure à 220 UI/ml) et des anti-β2GPI. L’amélioration clinique s’est accompagnée d’une décroissance rapide des
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deux types d’anticorps. Ultérieurement, nous avons constaté la
réascension du titre des aCL de 8 à 68 UI/ml mais la persistance
du titre d’anti-β2GPI en dessous du seuil de positivité. Cette dissociation de cinétique entre les deux types d’anticorps pose la
question de la spécificité et du rôle pathogène de chacun de ces
anticorps.26,27
■ Conclusion
Au cours des SAPL primaires les hémorragies intra-alvéolaires
sont rares et peuvent survenir isolément ou dans le cadre d’un
syndrome catastrophique des antiphospholipides. Leur gravité
potentielle impose de ne pas les méconnaître, d’exclure les
autres causes habituelles de détresse respiratoire aiguë et de
rechercher un facteur associé ou déclenchant (infection, insuffisance cardiaque gauche) potentiellement curable. De part leur
sévérité, elles imposent une prise en charge thérapeutique
lourde incluant une anticoagulation prudente, une corticothérapie intraveineuse et probablement de plasmaphérèse et d’immunosuppresseurs dans les formes réfractaires.
Adresse de correspondance :
Dr Frank Martinez
Service de néphrologie
Hôpital Saint-Louis
1, avenue Claude Vellefaux
F-75475 Paris
[email protected]
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