La Cavale blanche
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La Cavale blanche
Hélicotronc et Spirale Production présentent La Cavale blanche un long métrage documentaire de Guy Bordin et Renaud De Putter Synopsis Deux personnages, sortes d’employées de l’au-delà, mènent une enquête documentaire et poétique sur la vie de deux hommes morts il y a quelques années dans leur quarantaine, l’un à Bruxelles et l’autre à Brest. Ces destins en apparence ordinaires et que rien ne semble d’abord relier, sont ainsi rendus à leur dimension mythique, lorsque se rejoue à l’échelle de chaque individu et dans un monde travaillé par la tentation faustienne, le drame de toute existence : limites, désirs, quête de vérité, renoncement. religieuses du terme : ce sont des « employées de l’au-delà » qui circulent incognito parmi les humains pour mener leur enquête et reconnaître, c’est-à-dire prendre en charge l’âme des défunts . Leur dialogue – allusif, poétique et parfois philosophique – effleurera de manière transversale les thèmes portés par les destinées d’Henry et de Stéphane, sans jamais donner de réponse univoque, rendant ces vies singulières à leur dimension universelle . Note d’intention Introduction Avant de développer le projet plus en détails, nous évoquons ici brièvement les vies de nos deux amis . Vies de Stéphane et d’Henry Stéphane (1963 – 2006) était liégeois . Il était diplômé en lettres anciennes et travaillait depuis 25 ans à Bruxelles dans une administration où il menait une carrière qu’il jugeait peu stimulante, sans lien avec ses vrais intérêts intellectuels . Il ne se souciait pas de son apparence et paraissait plus âgé qu’il n’était, toujours vêtu d’un costume sombre et usé, ne sacrifiant qu’au minimum aux standards d’apparence de ce milieu très conservateur . Il portait des lunettes épaisses et une petite moustache qui, avec un air malicieux, le faisaient ressembler à une sorte de mandarin débonnaire . Libre penseur, sans réel engagement politique, c’était un esprit brillant et caustique, qui portait sur l’actualité une vue acérée, très différente du consensus mou pratiqué généralement dans son environnement professionnel . Très généreux, parfois étrangement effacé, Deux destins à la fois tragiques et ordinaires nous inspirent La Cavale blanche . Ceux d’amis que nous avons perdus ces dernières années, disparus dans leur quarantaine, en des circonstances qu’apparemment rien ne relie – Stéphane à Bruxelles et Henry à Brest . Ils ne se connaissaient pas . Nous, réalisateurs, sommes l’unique lien objectif entre eux et le film, alliant éléments documentaires et épisodes fictionnels, sera leur point de rencontre subjectif . Cette subjectivité, nous l’assumons : le film ne prétend pas dresser un portrait complet des deux protagonistes – comment pourrait-il d’ailleurs le faire ? Il prendra la forme d’une méditation libre sur quelques motifs communs que nous décelons dans leur vies : l’amour ou son absence, le désir, la recherche de racines, la vie professionnelle, le souci d’authenticité et de vérité, la sublimation, le renoncement . Face à un monde en perte de repères et en permanence travaillé par les tentations faustiennes – pouvoir et plaisir sont les maître mots, et toutes les compromissions semblent permises pour les atteindre –, le film évoquera le destin de deux hommes qui ont préféré au contraire s’en tenir à leur authenticité, précipitant sans doute ainsi leur fin terrestre . d’autres fois (lorsqu’il était en confiance) réellement charismatique, il aimait philosopher et lisait énormément : des romans, de la littérature érotique, des auteurs grecs et latins . Après un bref mariage blanc avec jeune femme émigrée récemment, suivi d’un divorce (il avait subi des violences physiques de la part de sa femme), il avait commencé à fréquenter des prostituées, et était tombé amoureux de l’une d’elles, une belle métisse . Lorsque cette Sur la base du matériel documentaire, ces questions sont traitées par deux personnages fictionnels, Jenny et Isabelle, sortes de médiums ou d’anges, sans les dimensions 5 jeune femme s’était rangée, il s’était difficilement consolé de sa perte dans les bras d’une autre, qui vivait à un rythme effréné . Il n’a pu tenir ce mode de vie bien longtemps, et est mort – à 43 ans – d’un accident cardiaque . puzzle lui-même . Au-delà de leurs différences, ces destins nous touchent pour plusieurs raisons : - Parce qu’il s’agit d’amis proches, que nous connaissions de longue date . - Parce que nous aurions pu, nous aussi, vivre de telles existences, si le hasard en avait décidé ainsi . - Parce que – au-delà de leurs singularités – ces destinées nous semblent emblématiques des désarrois de notre temps et de notre monde . Nous y lisons une même dynamique existentielle : Henry (1958 – 2008) était brestois . Fils d’un marin breton et d’une mère Malgache qui l’avait élevé seule, il avait hérité d’elle ses traits asiatiques, son exubérance et sa générosité . Homosexuel, il était dans sa jeunesse d’une beauté spectaculaire, qu’il mettait en valeur par une mise souvent extravagante, à la limite du travestissement . Plus âgé, il ne se souciait plus beaucoup de son apparence . D’une déception amoureuse, il avait gardé une certaine amertume ; et de sa jeunesse libérée, le goût des aventures rapides . Diplômé en histoire – et passionné par cette matière –, il n’avait pu réaliser son rêve longtemps caressé d’être enseignant . Un engagement politique très à gauche ne l’empêchait pas de pratiquer une sorte de mystique personnelle assez baroque . Employé dans une entreprise publique récemment privatisée, il était également membre de son comité d’entreprise . Mais les conditions de travail s’étaient détériorées, ce qui le faisait • un désir de vie et d’épanouissement nourri par l’éducation humaniste typique de la démocratie sociale de l’après-guerre, qui se heurte aux dures limites imposées par l’âge et par un environnement de plus en plus désenchanté et hostile . • un refus de se compromettre ou de sacrifier sa vérité en adoptant des comportements de compromis ou compromissions (professionnels, affectifs, etc .), certes « profitables » en termes de pouvoir ou de plaisir dans la recherche d’un épanouissement personnel, mais en porte à faux par rapport à une intégrité profonde . beaucoup souffrir : il ne pouvait se résoudre à adopter les nouvelles manière de faire productivistes . De cela, il tentait de s’échapper notamment en multipliant les voyages, dont un – frustrant – au pays de sa mère, où il n’avait pu réellement renouer avec ses racines . Comme hanté par la figure de son père – que pourtant il détestait –, et sous l’influence de certaines fréquentations, il s’était mis à abuser de l’alcool et des médicaments . Il est mort de ces addictions . Dans les deux cas, la réaction a été une fuite en avant et un processus accéléré d’autodestruction, que l’on peut lire comme la seule issue possible dans cette situation de double contrainte . C’est, en quelque sorte, à des « suicides par respect d’intégrité » qu’on aurait ici à faire . Ces vies ne seront jamais présentées de manière aussi directe dans le film . Le spectateur en découvrira peu à peu des fragments, livrés sans commentaires : interviews de proches ou de personnes pouvant éclairer certains aspects, évocations de lieux, éclairage incident fourni par le dialogue de Jenny et Isabelle, etc . Il devra reconstituer le Dans ce mouvement, nous relevons une signature faustienne . La figure de Faust a traversé des siècles d’histoire culturelle de l’Occident et chaque époque en a proposé des nouvelles lectures1 . Au centre, il y a toujours un 1 Par exemple Marlowe, les Romantiques allemands, Boulgakov et Mac Orlan pour n’en citer que quelques-uns. Le cinéma nous a donné, entre autres, le Faust de Murnau ou bien La beauté du Diable de René Clair. 6 homme seul, Faust, porteur d’une demande qu’il adresse à la vie et qui, ne trouvant pas de réponse satisfaisante, revient de manière de plus en plus lancinante . Une grande partie de ces éléments documentaires (visuels et sonores) portant sur les vies de Stéphane et d’Henry a déjà été filmée (cf . Scénario) . Cette insatisfaction enferme l’homme dans une forme de mélancolie que vient solliciter, sous des aspects chaque fois différents, une tentation . Qu’elle soit de l’ordre du plaisir ou du pouvoir, la satisfaction qu’elle procure n’est jamais sans mélange, ni éternelle, et elle précipite l’homme dans le compromis, voire la compromission, au détriment de sa vérité propre . Les épisodes fictionnels seront, comme indiqué plus haut, centrés autour de Jenny et Isabelle . Ces deux personnages ont pour tâche ultime de reconnaître parmi la foule anonyme des âmes celles dont elles ont la charge spéciale : ici, respectivement Stéphane et Henry . Les deux « employées » ne sont pas dans le temps même des vies qu’elles évoquent, dans leurs urgences, leurs joies ou leurs douleurs : elles sont au-delà, à une certaine distance . Elles les considèrent alors qu’elles sont achevées, depuis un temps qui est celui du souvenir, de l’identification, de la réflexion . Au-delà de l’affect brut, c’est cette distance, emprunte de sérénité et de douceur, exempte de passions immédiates, qui donne le ton au dialogue qu’elles mènent tout au long du film . La Cavale blanche décrira le destin de deux hommes qui – par choix, par nécessité intérieure ou du fait des circonstances – ont préféré s’en tenir à leur vérité, et ne pas sacrifier leur intégrité au profit de quelque avantage que ce soit, précipitant sans doute ainsi leur fin terrestre . Elles apparaîtront dans douze séquences intégrées à la matière documentaire et qui suivront les différentes étapes de leur mission . Étant d’abord, comme le spectateur du film, étrangères aux vies des deux hommes, elles devront en premier lieu, comme des médiums, s’en imprégner et, en une sorte d’osmose, en arriver à « habiter » le plus possible leur univers mental . C’est cette tâche qu’elles vont peu à peu accomplir au fil de leurs premières rencontres à deux, tandis que la matière documentaire s’intercalera entre leurs séquences . Ainsi, elles pourront chaque fois envisager de nouvelles facettes des destins qu’elles doivent s’approprier . Au terme de cette phase d’identification, elles pourront alors en arriver à chanter chacune le « chant personnel » de Stéphane et d’Henry, chant qui chercherait à traduire la « tonalité » de leur vie et de leur rapport au monde . Ensuite, elles retrouveront peu à peu leur extériorité par rapport aux deux hommes, ce qui devrait leur permettre de les reconnaître lorsqu’elles seront mises en présence d’une foule dans laquelle ils seront sans doute . Leur mission sera alors accomplie . Le film Le dialogue de Jenny et Isabelle n’apporte pas de faits nouveaux relatifs aux vies de Stéphane et d’Henry (ceuxci seront réservés à la matière documentaire) . Il ne commente pas non plus directement la matière documentaire . Il s’agit d’un niveau allusif, dans un espace-temps poétique, mythique et philosophique propre, apparemment indépendant de la matière documentaire, mais en fait profondément lié à elle . Le dialogue viendra en effet Le film sera tourné en Belgique (Bruxelles et Liège) et en Bretagne (Brest), là où Stéphane et Henry ont vécu . Il fusionnera sans commentaire documents filmés et épisodes fictionnels . Les documents rassemblés réuniront plus particulièrement : - des entretiens avec des proches (familles, amis, collègues), des relations plus occasionnelles, ou des témoins susceptibles d’apporter un éclairage particulier sur certains aspects des vies (en voix in et/ou off) ; - des archives (photos, lettres, articles de journaux, etc .) ; - des portraits des lieux (espaces de vie, milieux professionnels, lieux de sortie et d’activités, à Brest, Bruxelles et Liège) ; - des évocations de l’univers mental (origines, intérêts intellectuels, artistiques, spirituels, fantasmatiques) des deux hommes . 7 et poétique . Il propose de rendre ces vies à leur dimension mythique, lorsque se rejoue à l’échelle de chaque individu, et sur une scène ordinaire, le drame de tout être vivant : désirs, limites, quête de vérité et renoncement . ponctuer régulièrement le flux des documents, y jouant le rôle de moment de réflexion ou de mise en perspective . On peut voir la matière documentaire qui s’accumule progressivement dans le film comme la mémoire de Jenny et Isabelle qui, en un mouvement parallèle à celle des spectateurs, se remplit peu à peu des vies des deux hommes . Lorsque les deux employées parlent, ce matériel est toujours là, derrière leur tête ; il ne leur est pas nécessaire de l’expliciter . Même si elles n’en parlent pas directement, ce qu’elles disent en vient directement, et elles parleraient autrement et diraient d’autres choses si ces documents n’étaient pas là . Le titre La Cavale blanche fait référence à un quartier périphérique de Brest où notre ami Henry a longtemps travaillé . Il avait dû le quitter peu de temps avant sa mort . Isabelle, chargée dans le film du destin d’Henry, sera jouée par l’actrice belge Isabelle Bats . Jenny, chargée du destin de Stéphane, sera jouée par l’acteur belge Philippe Grand’Henry, travesti en femme . Alors que les répétitions avec les acteurs ont déjà commencé (début mai 2012), leur dialogue en douze séquences est actuellement en cours de finalisation . Subjectivité du regard À travers la diversité des sources collectées et du dispositif choisi alliant documentaire et fiction, La Cavale blanche assume la subjectivité de notre regard de réalisateurs, teintée par ce qui a fait, des années durant, nos relations avec les deux hommes . Précisons par ailleurs que le film ne se place pas sur le terrain moral, il ne cherche pas à juger ces vies . En traçant un portrait affectueux, et en soulignant leurs dimensions Scénario/ traitement Le film résultera de l’imbrication étroite, lors du montage, de deux « couches » : - les séquences documentaires ; - les séquences fictionnelles écrites sur base des précédentes et qui scanderont à intervalles réguliers, et structureront, le flux des documents . La totalité de ces deux couches n’est pas encore filmée actuellement1 . Nous pouvons cependant déjà proposer ici : - une liste (ni exhaustive, ni chronologique) des documents collectés2/encore à collecter ; - une première esquisse de scénario des séquences fictionnelles . Séquences documentaires universelles, il désire simplement proposer des directions de réflexion qui pourraient peut-être nous aider à mieux vivre dans cet environnement qui est aussi le nôtre, et qui les a étouffés . Quatre types de documents filmés (étroitement liés entre eux) esquisseront les portraits (physique et mental) d’Henry et de Stéphane : des interviews de proches/ 1 Tout ce qui a déjà été filmé/enregistré est marqué d’une astérisque (*). Le questionnement est donc ici existentiel, philosophique 2 Le bout-à-bout joint à ce dossier donne un apercu du type de plans filmés (situation à la mi-avril). 8 témoins, des archives, des portraits de lieux qui leurs sont reliés, et des évocations de leur univers mental . - René et Olivier, autres amis proches d’Henry, qu’il connaissait depuis ses années d’étude à l’université de Brest . Ils avaient en particulier fait plusieurs voyages avec lui, dont l’un à New York . Nous les rencontrerons lors de notre prochain séjour à Brest, pour évoquer leurs souvenirs, et notamment le rapport d’Henry à la spiritualité (au sens large) . Portrait d’Henry • Interviews de proches / témoins • Archives - Séquence vidéo amateur filmée par des amis et où Henry apparaît (seule séquence connue) . - Photographies d’Henry à différentes périodes de sa vie . - Lettres et cartes postales adressées par Henry à Guy Bordin . - Lettres à fort contenu politique adressées à Henry par un correspondant non identifié de Quimper . - Henry aurait eu également un autre correspondant avec lequel il aurait eu une correspondance de nature spirituelle, et qui aurait eu sur lui un effet démoralisant . Nous en recherchons la trace . • Portraits de lieux hantés par Henry - Ses lieux de vie (*) : l’immeuble où il vivait depuis ses années d’étudiant, son appartement, ses lieux de travail, ses lieux de sorties nocturnes . Une première approche de ces lieux sera donnée par les images de Google Earth, qui seront immédiatement relayées par nos images filmées sur place . - Les rues de Brest sous un ciel d’hiver radieux (*) . - Le Cours d’Ajot qui surplombe le port, les nuées d’oiseaux au-dessus du jardin de l’Académie de Marine au crépuscule (*) . - La « Cavale blanche » (*) : une banlieue de Brest, avec le vieux fort du Questel, des friches autour d’un hôpital, un campement de Roms entouré de pâtures . Henry y avait travaillé à l’agence d’EDF-GDF . Avant sa mort, il y passait de longs moments, nourrissant des chevaux . Des enfants du campement l’accompagnaient parfois, nous les avons rencontrés . - L’Aphrodite Bar (*) : sur les hauteurs de Brest, un ancien bar gay où nous nous étions rendus un an plus tôt avec Henry, qui est devenu un bar à entraîneuses . - Le cimetière de Brest (*) où se trouve la tombe d’Henry, qui est aussi celle où repose son père que pourtant il n’appréciait pas . Sa mère avait tenu à ce que ses deux morts aimés reposent ensemble . - Les plages des alentours de Brest (Le Conquet, Tregana, le Moulin blanc), les chemins de douaniers de la presqu’île de Crozon et l’île d’Ouessant, où il aimait partir en randonnée . Nous filmerons ces lieux lors de notre prochain séjour à Brest (printemps/été 2012) . - La mère d’Henry (*) . Lors de notre premier séjour à Brest en 2010, nous avons pu la rencontrer et la filmer, à l’occasion d’un repas de Nouvel An dans son logement social du quartier de Recouvrance . Elle avait quitté Madagascar pour suivre son mari, un marin français, avec lequel elle avait eu trois enfants, dont Henry était le deuxième . Celui-ci avait une relation très intense avec elle, mais teintée d’ambivalence . Au cours de cette réunion familiale, elle nous montre et commente des photos de son fils décédé deux ans plus tôt . Elle est ellemême décédée depuis . - Brigitte, la sœur cadette d’Henry (*) . Elle témoigne longuement sur le lent naufrage dans la dépression de son frère . - Luc, le meilleur ami d’Henry (*), ayant longtemps travaillé à Paris . Lors du même séjour de 2010, nous l’avons rencontré dans son appartement donnant sur la rade de Brest . Il revient, avec sa sœur Nelly et son mari JeanJacques, sur les circonstances de la mort d’Henry et parcourt les dernières années de sa vie, en tentant d’en déceler les points de fracture . - Yann (*), ami d’université d’Henry habitant Quimper et qui était resté en contact avec lui, se rappelle notamment de ses premières impressions d’Henry . - Trois collègues de travail (*) : Jean-Marc D ., Gérard M . et Mireille L . Lors de notre dernier séjour, nous avons rencontré plusieurs anciens collègues de travail d’Henry . Syndicaliste et homme de gauche convaincu, il vivait difficilement la frénésie de rentabilité qui avait gagné son entreprise, au mépris des réalités humaines et de service public . Tous trois en témoignent . - Collègues des Restos du cœur (*) . Henry était depuis de nombreuses années bénévole de cette association caritative . Nous sommes allés rencontrer ses anciens collègues . • Évocation de l’univers mental d’Henry Nous intégrerons dans le film des documents visuels et sonores – certains originaux, d’autres pouvant provenir d’œuvres existantes (extraits de musiques, de textes, etc .) – qui nous permettront d’aborder plusieurs thèmes très importants pour Henry . - Voyages . Il était allé une fois à Madagascar, voulant connaître le pays d’origine de sa mère, mais ce périple 9 serne royale de Bélem, dont nous avons obtenu les droits pour le film . l’avait frustré, et il n’avait pu vraiment renouer avec ses racines . Il n’avait alors eu de cesse de multiplier les voyages partout dans le monde, y consacrant l’essentiel de ses ressources, sans souci de l’avenir . Ces déplacements le menaient surtout dans des pays chauds de l’hémisphère sud . - Désir d’être marin . Nous retrouvons son goût du voyage dans le désir qu’il avait manifesté dans sa jeunesse d’être marin, comme son père . Il avait été brièvement incorporé, mais quelqu’un l’avait dénoncé comme homosexuel . Brest tout entière était, jusqu’il y a quelques années, organisée autour du port militaire – par hasard, la migration de la marine française de Brest vers Toulon a coïncidé avec la mort d’Henry . - Émissions de variétés . C’est ici une autre facette curieuse de la personnalité d’Henry : lors de séjours à Paris, souvent en compagnie de son ami Luc, l’un de ses grands plaisirs était d’assister à l’enregistrement d’émissions de variétés, en particulier celles des animateurs les plus en vue . Un jour, il avait eu « l’honneur » d’un plan serré sur lui seul, « comme s’il était une star » . Il en avait été ravi . Si nous ne pensons pas pouvoir retrouver ce plan, nous aimerions intégrer au film des plans sur le public de telles émissions . - Érotisme . Henry n’avait pas de relation fixe . Il disait que ses illusions avaient été brisées par son amour de jeunesse . Dans le film nous l’appellerons Phœbus . Il Portrait de Stéphane • Interviews de proches / témoins S’agissant d’une personnalité toute autre que celle de Henry, beaucoup plus secrète et caractérisée en outre par une sorte de double vie (en lien avec sa fréquentation du monde des prostituées, largement ignorée par ses proches), il est ici plus difficile de recueillir des témoignages directs . - La mère de Stéphane (*) . Stéphane vivait à Liège, ville de sa jeunesse, dans une maison mitoyenne de celle de sa mère . Il entretenait avec elle des relations que nous pourrions également qualifier de « mitoyennes » : proches, mais à une certaine distance . Il admirait son intelligence et sa vitalité, mais la tenait à distance de certains détails de son existence . Par contre, comme s’il anticipait sa propre mort, nous avons découvert qu’il avait pris en sa faveur toutes les dispositions matérielles utiles . Nous avons rencontré une première fois la mère de Stéphane à la fin 2011, afin qu’elle nous trace le portrait de son fils . Nous la reverrons dans les semaines qui viennent . - Les sœurs jumelles de Stéphane (*), ses aînées de 7 ans . Toutes deux ingénieures civiles, elles vivent ensemble et sont célibataires . Stéphane entretenaient de bonnes relations avec elles, mais sans qu’on puisse parler de réelle proximité . Nous les avons rencontrées dans leur résidence bruxelloise . - Vincent P . (*), collègue de travail de Stéphane . Il nous parle de son professionnalisme allié à un non conformisme frappant dans ce monde assez conservateur . Selon ce témoignage, Stéphane parvenait à refuser les compromissions imposées par son travail, tout en jouissant d’une réputation de grand professionnel, souvent consulté pour sa maîtrise exceptionnelle du français . Toutefois, ses ambitions professionnelles – diriger la bibliothèque de l’administration où il travaillait – avaient été déçues et il en avait gardé une certaine amertume . multipliait donc les aventures éphémères dans les lieux de drague, situation dont il se disait heureux, mais qui générait aussi une certaine insatisfaction . Lors de ses sorties dans le milieu gay, il ramassait volontiers toute sorte de fanzines et gratuits qu’il rapportait chez lui pour « regarder toute cette jeunesse » . Après sa mort, ses neveux ont découvert son homosexualité – sujet qui avait toujours été tabou dans la famille – en trouvant des cassettes pornographiques dans son appartement . Nous approcherons cette dimension de l’univers d’Henry – proche du monde de Jean Genet – à travers des fragments d’un texte de Pierre Salducci, Depuis Colomb et Magellan, histoire des jeunes conscrits de l’ancienne ca10 - Les prostituées fréquentées par Stéphane ne témoigneront pas dans le film, pour des raisons de confidentialité . Cependant, par l’entremise de l’association Entre2 d’aide aux prostituées, nous avons recueilli le témoignage de deux femmes sur les relations de longue durée qu’elles ont pu établir avec certains clients, très analogues à celle que Stéphane entretenait avec la femme que dans le film nous appellerons Aphrodite (dans le monde de la prostitution, l’emploi de pseudonymes est la règle, et Stéphane n’y était d’ailleurs pas connu sous son vrai nom) : phane entretenait des rapports cordiaux, apportant un témoignage sur l’emploi du temps et le caractère un peu « explosé » de la jeune femme à un moment où elle envisageait de se retirer de la profession . • Portraits de lieux hantés par Stéphane - Liège : le quartier de la rue de Campine où il vivait ; les bars d’Outremeuse qu’il fréquentait parfois ; le quartier de Sclessin où vivait son amie Aphrodite . Une première approche de ces lieux sera donnée par les images de Google Earth, qui seront immédiatement relayées par nos images filmées sur place . - Le train Liège – Bruxelles : Stéphane a fait quotidiennement ce trajet pendant des années . En première classe, afin de lire confortablement . - Bruxelles : le flux des employés entrant et sortant de la gare centrale aux heures de pointe . - Bruxelles : le quartier administratif où Stéphane travaillait (*) . Les couloirs interminables de l’institution où il travaillait, traversés par des silhouettes lointaines . La bibliothèque dont il avait rêvé de prendre la direction . Son bureau rapidement réaménagé . Les tableaux qui l’ornaient et qui lui appartenaient et reflétaient les deux aspects de sa personnalité : un portrait de notable • Lube (*), prostituée de rue à Bruxelles. Sous couvert d’anonymat, elle nous parle de ses relations longues avec un homme ayant une « belle position », marié, fréquenté pendant quatre ans presque quotidiennement lors de 5 à 7 clandestins . Un jour, ne le voyant pas venir à l’un de leurs rendez-vous, elle a appris sa mort en appelant à son bureau . • Dédé (*), prostituée en vitrine à Bruxelles. Elle témoigne à visage découvert et nous parle avec beaucoup d’humour de ses stratégies avec les hommes, qui consistent essentiellement « à leur donner le moins possible et à leur prendre le plus possible » . Dédé est une prostituée ancienne manière, proche par exemple de la Nana de Zola (livre dont le nom est venu de lui-même dans la conversation, et par ailleurs très apprécié de Stéphane) . - Olivier C ., camarade de sorties et collègue de Stéphane . Il est un des seuls à pouvoir lier les deux aspects de la personnalité de Stéphane : au travail et dans le monde de la nuit (ou plutôt de la fin de journée) . Il évoquera cet univers où l’argent est dépensé sans compter pour des « filles faciles » . Stéphane y était connu pour sa générosité . Il témoignera aussi sur les intérêts philosophiques de Stéphane (épicurisme, stoïcisme, cynisme), non sans rapports avec son mode de vie, surtout vers la fin de sa vie . - La peintre Pierrette L . (*) . Nous l’avons rencontrée dans son atelier liégeois à la fin 2011 . Stéphane, qui appréciait ses œuvres volontiers érotiques, lui avait commandé plusieurs tableaux – des autoportraits . Il en avait placé un dans son bureau au travail, et le présentait à ceux qui connaissaient sa vie sentimentale comme un portrait de la jeune Aphrodite . • Archives liégeois du début du XIXe siècle (qu’il attribuait à Léonard Defrance), sérieux et grave ; le portrait en nu de Pierrette L ., qu’il présentait comme celui d’Aphrodite, et qui avait fait « scandale » . - Bruxelles : lieux de sorties . La galerie froide et impersonnelle près de la gare, les bars et les hôtels discrets où avaient lieu les rencontres avec les jeunes femmes . - Bruxelles : les urgences de la Clinique Saint-Jean (*) où il a été emmené inconscient après son attaque . Chambres, couloirs impersonnels . - Le cimetière de Liège où il repose . - Photographies de Stéphane à différentes époques de sa vie . - Il n’a pas à notre connaissance de trace de lui en film ou vidéo, ni aucun enregistrement de sa voix . - Archives laissées par Stéphane . Il s’agit de notes écrites, courriels et lettres qui apportent un témoignage direct sur sa passion amoureuse pour Aphrodite . C’est par exemple un carnet où Stéphane consigne pendant un mois toutes ses dépenses : celles réalisées à son usage personnel sont très limitées, les neuf dixièmes de son revenu passant en cadeaux pour la jeune femme (il s’était lourdement endetté) . C’est aussi un échange de mail avec un autre client d’Aphrodite, avec lequel Sté- • Évocation de l’univers mental de Stéphane 11 – Stéphane était particulièrement sensible aux œuvres érotiques . Il avait dans son ordinateur tout un dossier de photos de sa jeune amie, plus ou moins dévêtue et dans des mises en scène élaborées (romantiques, crues, etc .) . Il les montrait volontiers à certains de ses collègues . - Interrogations sur l’avenir . Le futur de l’humanité et de la planète était un des sujets de réflexion favoris de Stéphane . Il en avait une vision sombre mais lucide . Il s’inquiétait en particulier des dégradations environnementales et – bien avant la crise de 2008 – des conséquences délétères de l’ultralibéralisme . Cette réflexion globale sur le devenir du monde formait une toile de fond mélancolique tant à son refus de se projeter luimême dans le futur, qu’à la position hédoniste qui le caractérisait dans la dernière période de sa vie . Cette analyse vaut d’ailleurs également pour Henry . Séquences fictionnelles: prologue et dialogue de Jenny et Isabelle Comme pour Henry, nous intégrerons des documents visuels et sonores qui nous permettront d’aborder des thèmes très importants pour Stéphane : - Lettres classiques et modernes . Stéphane lisait les auteurs grecs et latins, surtout les philosophes – avec un amour particulier pour Épicure, Marc Aurèle et les Cyniques . Certaines citations brèves de ces philosophes seront intégrées au film sous la forme de cartons . Il aimait aussi beaucoup les écrivains du XIXe siècle, et spécialement Balzac et Baudelaire (dont un sonnet sera dit dans le film) . Ce goût du beau langage lui donnait une allure générale de « lettré » à l’ancienne, qui se sentait immédiatement dans sa manière de parler, châtiée et un peu théâtrale (proche d’ailleurs de celle d’Henry), d’abord un peu intimidante, mais volontiers facétieuse et parodique . - Érotisme . Parmi toutes les formes d’expression artistique – en littérature, peinture, photographie ou cinéma Le film s’ouvrira sur une séquence en voix off (*) . C’est le Désir qui parle, divinité fantasque, puissante et ignorante, vigilante et futile, privée de corps mais pouvant tous les emprunter, flottant là où elle veut et conduisant les destinées . C’est elle qui a régné sur les vies de Stéphane et d’Henry, empruntant les traits d’Aphrodite ou de Phœbus . Ce texte est dit par Édith Scob, l’actrice mythique des Yeux sans visage et de tant de rôles mémorables chez Ruiz, Bunuel ou Assayas . Après ce prologue, et s’insérant dans le flux documentaire à intervalles réguliers, douze séquences fictionnelles scanderont et structureront le film . Elles seront, comme indiqué plus haut, centrées autour de deux personnages, Jenny et Isabelle, « employées de l’au-delà » qui travaillent en binôme . Isabelle a une quarantaine d’années, elle a sans doute déjà plusieurs fois vécu le processus complet de la reconnaissance . Elle est chargée de la reconnaissance d’Henry . Jenny est sans doute une âme plus récente, moins expérimentée . C’est un travesti d’une quarantaine d’années, chargé de la reconnaissance de Stéphane . Toutes deux font connaissance au début du film . 12 leur permet d’endosser réellement leur personnalité le temps de chanter chacune le « chant personnel » de Stéphane et d’Henry, chant qui cherche à traduire la « tonalité » de leur vie et de leur rapport au monde . Isabelle chante la chanson d’Henry accompagnée par le groupe Avril, Jenny celle de Stéphane par le Philharmonik Bubblicious Show1 . Ces chansons sont chantées sur une scène et avec des éclairages de scène, mais face à une salle vide et obscure . Voici le début de chacun de ces chants, pour donner une idée de leur tonalité : Chanson d’Henry Moi aussi, avant, j’ai cru partir Né si loin d’imaginations voyageuses et d’improbables rencontres, le monde fut pour moi tant que j’ai pu miroir multiple devant lequel je me rêvais multiple et singulier hypnotisé par la ronde annuelle et presque cosmique des rapports, des notes, des discours, dont pour bien faire il ne faut changer que le moins possible, bercé par les navettes du train Liège-Bruxelles, par la suite des journées de travail secrètement agrémentées de quelques broderies, je me tiens ironique et distant. Je ne serai pas mort sans l’avoir contemplé – fendu de grandes espérances et seul dieu sait pourquoi la paix n’y était pas Sphinx énigmatique, majordome modèle, scribe évasif, antique satyre faustien, témoin muet des consentements raisonnables, cousin de Simenon, compagnon de Pessoa, Eliot, Cavafy, Melville, Kafka dans les enfilades mornes des bureaux et les échappées mentales, je plisse les yeux comme un mandarin usé, volant à votre insu, de-ci, de-là, quelques secondes de sommeil… Rio, le Siam, Helsinki, les îles surtout, 11 . Foyer d’un théâtre, intérieur nuit Jenny et Isabelle attendent dans le foyer d’un théâtre, devant une porte de loge fermée . Elles vont bientôt pouvoir procéder à la « reconnaissance » des deux âmes, cette opération mystérieuse pour laquelle elles sont mandatées . Avant de rentrer dans la loge où cette opération aura lieu, elles se serrent longuement dans les bras, avec tendresse . Leur compagnonnage l’une avec l’autre et avec les figures de Stéphane et d’Henry, va bientôt prendre fin . Tahiti, Ouessant, Madagascar – un jour ont cessé de m’appeler Maintenant hanté par la nostalgie des voyages, je reste, portant l’ailleurs en moi, et vous partez… 12 . Théâtre/gare, intérieur nuit Aux aguets, sur un balcon de théâtre et face à une scène vide, elles attendent . Soudain, dans le vide de la scène, apparaissent les images, extrêmement ralenties, d’une foule semblable à celle, anonyme, des fonctionnaires qu’elles avaient croisés à la séquence 3 . C’est dans cette foule qu’elles doivent reconnaître Stéphane et Henry . Elles se concentrent sur cette multitude de visages qui défilent devant elles . Puis, noir . On ne saura jamais si Jenny et Isabelle ont réussi ou non à reconnaître Stéphane et Henry . Chanson de Stéphane Dans mon imper beige et mon costume marine, avec ma chemise blanche, et ma cravate en nylon, abrité par mes lunettes épaisses et par la fumée de ma cigarette Stuyvesant dont je ne fume jamais que le bout, dans mon uniforme de rond de cuir si parfait qu’il en devient suspect, avec mon apparence d’homme creux, 1 Ces groupes sont ceux auxquels appartiennent respectivement Isabelle Bats et Philippe Grand’Henry, les comédiens jouant les rôles d’Isabelle et de Jenny. 14