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MERCREDI 18 MAI 2011 L’EXPRESS - L’IMPARTIAL GROS PLAN 3 La «contrebatterie» du Brégot, entre Corcelles et Rochefort. Le faux rucher cache de vraies portes blindées, que manipulent André Gentil (à gauche) et Pierre-Yves Cousin. PATRIMOINE Des passionnés rachètent et restaurent des ouvrages militaires. A la découverte des anciens fortins CHRISTIAN GALLEY PHOTOS NICOLAS HEINIGER TEXTES Accrochées au plafond de la pièce circulaire et humide, deux antiques lampes à pétroles qui sentent davantage qu’elles n’éclairent. Sur les murs de béton dont la peinture blanche semble presque fraîche, des blasons en relief sur lesquels figurent les armoiries de grandes familles neuchâteloises: Borel, Sandoz et autres Perregaux. Audessus de la porte blindée qu’encadrent deux meurtrières, l’inscription «Mobilisation 1939-1940». Au centre de cet ancien observatoire militaire aux trois quarts enfoui dans le sol de La Vue-des-Alpes, Pierre-Yves Cousin et André Gentil entourent une vieille table en bois. Respectivement président et secrétaire de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine militaire, région Neuchâtel (ASPM), les deux hommes ont racheté cet ouvrage il y a une dizaine d’années, en même temps que dix autres fortins situés dans le secteur de La Vue-des-Alpes. Mais cet observatoire, classé d’importance nationale dans «L’inventaire des monuments militaires des cantons de Neuchâtel et Jura» édité par la Confédération, est l’un de leurs préférés. «Il a été remarquablement entretenu», note André Gentil. «Il faut dire qu’il se prête bien à boire l’apéro, c’est sans doute pour ça...» Faux rochers en ciment A l’intérieur de l’observatoire, comme dans les autres ouvrages détenus par l’ASPM, pas de fusils dans les râteliers. «Nous ne sommes pas des collectionneurs d’armes, ce sont les ouvrages qui nous intéressent», explique Pierre-Yves Cousin. «S’ils sont détruits, c’est une partie de l’histoire qui s’en va.» Les ouvrages militaires du canton n’ont rien des bases secrètes à la James Bond, avec des kilo- Le fortin du Brégot, entre Corcelles et Rochefort, camouflé en chalet. Le canon, sorti pour l’occasion, est d’origine, mais neutralisé. mètres de galeries secrètes serpentant sous la montagne. Mais s’ils restent de taille relativement modeste, ils ne manquent pas d’intérêt pour autant. A l’image de celui des Hauts-Geneveys, qui borde la route menant de Neuchâtel à La Vue-desAlpes, avec ses faux rochers faits de grillage et de ciment. fendre le fortin principal, est situé à quelque 200 mètres plus loin le long de la voie de chemin de fer. Celui-ci est camouflé en... rucher. Les membres de l’ASPM, s’improvisant tour à tour jardiniers, menuisiers et peintres, l’ont patiemment restauré. «Tous ces ouvrages ne résisteraient plus aux armes d’au- jourd’hui», note André Gentil. «Et même à l’époque, en cas d’attaque, il aurait mieux valu tirer quelques coups de canon et s’enfuir ensuite en courant sans attendre que l’ennemi ajuste son tir...» Camouflé en rucher Plus remarquables encore, les deux ouvrages du Brégot, entre Corcelles et Rochefort. Situé à un emplacement stratégique, au croisement entre la route et la voie de chemin de fer, l’ouvrage principal, avec son toit en tuiles et sa cheminée, ressemble à s’y méprendre à un petit chalet. Mais derrière les volets verts s’en cachent d’autres, blindés ceuxci. «A l’époque, il y avait même un petit jardin avec des fleurs devant», explique André Gentil. «L’art du camouflage était poussé à son maximum.» Le second ouvrage, appelé «contrebatterie» et censé dé- Jamais bombardés «Les ouvrages militaires du canton ont été occupés, mais leurs occupants n’ont pas été bombardés et n’ont jamais tiré sur personne», rappelle André Gentil. Ces abris ont été construits dès septembre 1939 par les hommes de la brigade frontière 2, chargée de défendre la région, d’abord en bois puis ensuite en béton. «Il s’agit un peu de fortifications du pauvre», explique André Gentil. Contrairement à ce que l’on peut voir dans d’autres régions de Suisse, les fortins neuchâtelois ne suivent pas de plan type, mais sont plus ou moins improvisés par la troupe elle-même en fonction de l’environnement. «Les murs sont moins épais, ils nécessitent davantage de soin.» Et c’est justement ce côté artisanal qui rend les ouvrages neuchâtelois, de formes et de constructions très diverses, si intéressants pour l’historien moderne. Sur les murs de l’observatoire de La Vue-des-Alpes figurent les armoiries de grandes familles neuchâteloises. NOMBRE TENU SECRET L’Association pour la sauvegarde du patrimoine militaire, région Neuchâtel possède 30 ouvrages d’infanterie dans le canton, la plupart situés dans le secteur de La Vue-des-Alpes. Le nombre total de fortins et autres bunkers en territoire neuchâtelois est tenu secret par l’armée, même si ces constructions sont aujourd’hui désaffectées. André Gentil estime qu’ils sont un peu plus d’une centaine. Neuf appartiennent à l’autre association neuchâteloise, Profortins, qui en possède sept dans le Valde-Travers et deux à Valangin (ces derniers peuvent se visiter). D’autres ont été rachetés par des privés. Pour une association, acheter un petit ouvrage coûte environ 1000 francs, auxquels il faut encore ajouter de nombreux frais administratifs, ainsi que le prix des serrures. «On doit rendre tous les cylindres à l’armée et en poser de nouveaux», explique André Gentil. Le fortin des Hauts-Geneveys, sur la route de La Vue-des-Alpes, et ses faux rochers faits de grillage et de ciment.