Les caprices d`un mythe - histoire et images médiévales – Histoire et

Transcription

Les caprices d`un mythe - histoire et images médiévales – Histoire et
cinéma
Les caprices d’un mythe
Des croisés de saint Louis au sud du Sahara !
Les caprices d’un fleuve, film
envoûtant et très personnel
de Bernard Giraudeau sorti
dans les salles en 1996, décrit
le parcours initiatique d’un
noble exilé par Louis XVI
dans un comptoir sur les rives
de l’actuel Sénégal. À priori,
l’œuvre n’aurait rien à voir
avec le Moyen Âge si, au trois
quarts du film le personnage
principal (Jean-François de
la Plaine, joué par Bernard
Giraudeau lui-même) ne
rencontre, au plus profond du
désert, des cavaliers africains
«les moines du désert, les
guerriers de la pluie» vêtus
en chevaliers croisés.
Cette présence pour le moins
surprenante sert à appuyer
le propos de B. Giraudeau en
faveur du métissage, thème
central du film(1) en montrant
les voies étranges (sinueuses
comme les méandres d’un
fleuve) de l’acculturation :
des hommes noirs reprenant
les habits des ancêtres de
cette vieille noblesse d’épée
française qui les méprise
alors qu’au même moment
la Révolution menace de la
balayer.
L’idée que des croisés aient
pu survivre en plein Sahara
et que leur tradition ait pu
essaimer dans les cultures
locales n’est pas une simple
invention artistique, mais
date de la fin du XIXe siècle,
en pleine période coloniale.
Le Petit Journal, en 1910,
explique ainsi à ses lecteurs :
« On a dit des Touareg qu’ils
seraient les descendants
de chevaliers français qui
avaient accompagné Saint
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Louis à la croisade et qui,
après la mort du roi, auraient
été repoussés dans le désert
par les Arabes et se seraient
mêlés aux tribus berbères.
De fait, si peu qu’on ait
pu jusqu’ici étudier leurs
traditions, on y a trouvé des
croyances chrétiennes... Les
ancêtres de ces mauvais
Musulmans ont peut-être
été de bons chrétiens. On y
a même trouvé la trace de
légendes particulières au
pays normand et breton. »(2)
Projeter les touaregs dans
la peau de chevaliers du
XIIIe siècle répondait sans
doute à deux buts. Tout
d’abord, le Moyen âge agit
depuis le XVIe siècle, de
repoussoir. La culture des
touaregs, à la différence
de la culture européenne,
aurait donc été bloquée
dans une époque sombre,
anti-moderne. Mais Le Petit
Journal, comme on peut le
voir, est plus positif que cela.
Dans l’échelle racialiste des
colonisateurs, le touareg, à
la différence du « noir » et
« l’arabe », est plus proche du
« blanc », donc plus sensible
à l’assimilation (ce qui
impliquerait évidemment le
rejet de l’Islam, censément
moins authentique chez
les touaregs que chez les
arabes sédentaires). Certains
officiers des corps coloniaux,
issus généralement de
milieux aristocratiques,
n’auront ainsi aucun mal
à s’imaginer des ancêtres
communs avec les fiers
guerriers du déserts qu’ils
combattaient et idéalisaient
pour justifier cet a priori
racial, ascendance qui,
de plus, avait sans doute
l’avantage de flatter les chefs
touaregs dont ils souhaitaient
s’assurer la fidélité (le Sahara
ne sera conquis qu’à la fin des
années 1910-1920)(3).
L’une des sources de ce
mythe doit sans doute être
cherchée dans le parallèle
constant entre la colonisation
et les croisades, et ce depuis
le début du XIXe siècle. En
témoigne notamment cette
phrase de Chateaubriand
qui le 9 avril 1816 appelait
le roi de France à intervenir
contre les corsaires de
l’Afrique du Nord : « C’est
de France que fut prêchée
la première Croisade, c’est
en France qu’il faut lever
l’étendard de la dernière. »
Rappelons également que
la salle des croisades du
château de Versailles a
été commandée par LouisPhilippe dès l’année 1834 non
seulement pour complaire à
l’ancienne noblesse d’épée,
mais également pour
exalter, en pleine période de
l’orientalisme, le début de
la conquête de l’Algérie. On
était à ce moment bien loin
de l’éloge du métissage prôné
par Bernard Giraudeau.
(1) S. Rolet, « Entre la norme et le caprice : Les voies
du métissage dans Les Caprices d’un fleuve de
Bernard Giraudeau (1996) », La Licorne, 69, 2004.
(2) Le Petit Journal illustré, 21 Août 1910.
(3) Voir à ce sujet P. Panfolfli, « Les Touaregs et
nous : une relation triangulaire ? », Ethnologies
comparées, 2, 2001 et Id. « La construction
du mythe touareg. Quelques remarques et
hypothèses. », Ethnologies comparées, 7, 2004.
(4) Voir C. Constans, P. Lamarque, Les Salles des
croisades, éditions du Gui, 2002.
Les Caprice d’un fleuve, édition DVD,
éditions Montparnasse, 2003.
Photos : © Editions Montparnasse
William Blanc
Doctorant en Histoire médiévale, université Paris 1 - Lamop
Les caprices d’un fleuve,
de Bernard Giraudeau.
Editions Montparnasse, 16 €
http://www.editionsmontparnasse.fr
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