CoMPTES RENDuS - Revue militaire canadienne
Transcription
CoMPTES RENDuS - Revue militaire canadienne
C o mptes rend u s THE SCIENCE OF BOMBING – OPERATIONAL RESEARCH IN RAF BOMBER COMMAND par Randall T. Wakelam Toronto : University of Toronto Press, 2009 347 pages plus 9 non numérotées, 75 $ ISBN 978-08020-9329-6 (couverture souple) Compte rendu de Jim Barrett T he Science of Bombing est bien plus que le récit fascinant de l’entrée en guerre de la science. Cet excellent premier livre du colonel Randall Wakelam jette un regard vraiment novateur sur les opérations du RAF Bomber Command et sur le fonctionnement de son quartier général à High Wycombe durant la Deuxième Guerre mondiale. Loin d’être un traité scientifique, il s’agit plutôt du compte rendu, agréable à lire, des activités d’un « groupe de brillants jeunes scientifiques et techniciens civils œuvrant au quartier général du Bomber Command, qui ont fait, selon les mots mêmes de Sir Walter Harris, un travail inestimable puisqu’ils soumettaient chaque facette de nos opérations à un examen minutieux »,. S’appuyant sur des sources de première main encore inédites, Wakelam raconte comment ces jeunes gens ont de ce fait contribué à l’éclosion d’une nouvelle discipline scientifique. Alors que la guerre menaçait, la mise au point accélérée du système radar Chain Home a amené les savants et les ingénieurs à l’intérieur des quartiers généraux militaires où ils ont mis en action leurs compétences pour résoudre des problèmes complexes d’importance opérationnelle immédiate. On avait alors adopté le terme « recherche opérationnelle » (R.O.) pour décrire cette innovation qui a fait ses preuves dans les domaines du commandement de la chasse aérienne (Fighter Command) et de protection des côtes (Coastal Command). En septembre 1941, la Section de recherche opérationnelle du Bomber Command (ORS) a été mise sur pied sous la direction de Basil Dickins, Ph. D., qui est resté à la tête d’une équipe de plus de 50 personnes jusqu’à la fin de la guerre. La plupart travaillaient à High Wycombe, mais plusieurs, aussi, avaient été détachés auprès des six groupes de bombardement. La démarche de recherche opérationnelle consistait à élaborer le modèle scientifique d’un problème donné, tout en tenant compte du plus haut degré de complexité possible, y compris de l’incidence relative de la chance et des risques. Les chercheurs recommandaient ensuite un plan d’action privilégié et confrontaient plus tard les décisions aux données fournies par les missions accomplies. Dickins lui-même donne un exemple de cette approche. Les aviateurs se demandaient depuis un bon moment si la concentration des appareils au-dessus d’une cible constituait une amélioration par rapport aux plans de vol dispersés employés jusque- 94 là. L’arrivée en masse de bombardiers aurait pour effet de saturer les défenses ennemies, mais la concentration entraînerait d’autres risques, notamment les risques de collisions. « Nous devions ramener tout cela sur un plan mathématique et […] il nous était devenu assez évident, à la Section de recherche opérationnelle, qu’alors que les chances de collision étaient d’un demi d’un pour cent, le risque d’être abattu par la D.C.A. ou les chasseurs était de trois ou quatre pour cent. Nous pouvions donc permettre au risque de collision d’augmenter sensiblement, pourvu qu’en faisant cela, nous réduisions le nombre de pertes dues à d’autres facteurs. » Trait caractéristique de cette démarche, l’évaluation ne fait aucune mention de ce que les aviateurs pensaient du risque accru de collision avec des avions amis. Les équipages avaient néanmoins eu voix au chapitre, comme l’a écrit plus tard un autre chercheur de la Section : « Notre mandat était un peu vague, […] nous enquêtions sur tout ce qu’on nous demandait d’enquêter et, si nous en avions le temps, sur tout ce que nous jugions possiblement utile. Cela fonctionnait bien dans les forces armées […] les contacts étroits entre le personnel de recherche opérationnelle et les officiers, non seulement dans les bureaux et les baraques Nissen, mais aussi au mess, favorisaient l’établissement de liens de confiance personnels […] et il était également possible d’entendre les conversations qui pouvaient révéler d’importants problèmes potentiels. » Ces « contacts étroits » ne racontent pas toute l’histoire, bien sûr. Sans la confiance du commandant en chef, le maréchal en chef de l’Air Sir Arthur Harris, la Section de recherche opérationnelle n’aurait pas accompli grand-chose. Même si Dickins ne travaillait pas directement pour Harris – son supérieur immédiat étant le commandant en chef adjoint, le maréchal de l’Air Sir Robert Saundby –, il était évident que leurs relations étaient très bonnes. The Science of Bombing relate en détail la contribution de la Section de recherche opérationnelle dans des domaines que connaissent bien tous ceux qui ont étudié la guerre de bombardement : les meilleures manœuvres évasives, les trappes d’évacuation des avions Halifax et Lancaster, les incendies de carburant et de moteur, les applications des systèmes de navigation Gee, Oboe et H2S, la création de la Pathfinder Force, l’emploi du dispositif antiradar Window et bien d’autres encore. Bref, tout problème relevant de la navigation, de l’identification des cibles et de la réduction des pertes faisait l’objet d’enquêtes de la Section. L’évolution des recherches opérationnelles et les actions subséquentes forment la trame narrative de The Science of Bombing, parallèlement au récit bien connu de l’offensive de bombardement de zone. Les politiques britanniques, qui à l’origine restreignaient les bombardements à des cibles militaires, avaient été assouplies en 1940 pour permettre les attaques contre des cibles industrielles. Les énormes pertes encourues lors des missions diurnes avaient forcé l’adoption d’une stratégie de bombardement nocturne qui a rapidement mis en évidence l’état navrant des techRevue militaire canadienne • Vol. 10, N o 1, 2009 C o mptes rend u s niques de navigation et de bombardement. Au début, seulement cinq pour cent des bombes larguées de nuit sur l’Allemagne atteignaient de vraies cibles. Churchill jugeait néanmoins que le bombardement stratégique constituait la « seule voie » qui mènerait assurément à la victoire et en juillet 1941, l’état-major de l’Air a ordonné une offensive de bombardement de zone afin de démoraliser la population civile allemande. C’était le mieux qu’on pouvait faire à ce moment-là. Mais ces campagnes difficiles et coûteuses – contre la Ruhr, Hambourg et Berlin – ont permis de réaliser des perfectionnements importants et, en 1944, le Bomber Command pouvait se vanter de posséder une capacité de bombardement précis et efficace, remettant en question la nécessité de poursuivre les bombardements de zone. Harris continuait cependant d’affirmer que ceux-ci entraîneraient à eux seuls l’effondrement de l’Allemagne et élimineraient la nécessité d’une invasion coûteuse. Les critiques formulées contre Dickins pour le rôle qu’a joué la Section de recherche opérationnelle dans ce débat constituent un des sujets les plus fascinants qu’aborde The Science of Bombing, car elles illustrent les défis que posait cette rencontre de la science et des opérations, et posent l’inévitable question de l’intégrité scientifique. La recherche opérationnelle en temps de guerre n’était pas une science de laboratoire. Les recommandations devaient avoir du sens pour les aviateurs dans le cadre de leurs opérations, et les conclusions soumises par la Section comprenaient souvent un « facteur opérationnel » entièrement fondé sur l’expérience et l’intuition des équipages. Cette approche pouvait poser problème à d’autres scientifiques. Par exemple, lorsque Harris a voulu faire la démonstration que le bombardement de cibles compactes monopolisait des ressources excessives (pour justifier la poursuite des bombardements de zone), Sir Solly Zuckerman, un scientifique au service du Commandement suprême du corps expéditionnaire allié, a dénoncé le fait que les évaluations avaient été grossièrement gonflées par ce « facteur opérationnel » non rigoureux. Il se The Security Dilemma: Fear, Cooperation and Trust in World Politics par Ken Booth et Nicolas J. Wheeler New York, NY : Palgrave Macmillan, 2008, 272 pages ISBN 978-0-333-58745-4 (édition à couverture souple), 37,95 $ Compte rendu de Nicola P. Contessi A lors que les universitaires et les analystes du monde entier cherchent des solutions novatrices aux nouvelles menaces que pose la mondialisation, Booth et Wheeler, dans leur analyse de ce concept classique des relations internationales (RI), semblent dire que nous ferions peut-être mieux de réinventer la roue. Pour cette raison, ils estiment que le temps est venu de reparler du « dilemme de sécurité » (DS): péril plus large et agissant sur davantage de plans en cette nouvelle ère d’incertitude que durant la Guerre froide. L’ouvrage en trois temps consiste en un long argument. Ce sont ces volets et cet argument qui constituent les quatre grands mérites du livre. Vol. 10, N o 1, 2009 • Revue militaire canadienne plaignait aussi que la Section de recherche opérationnelle se montrait à l’occasion « contrainte par des hypothèses qui correspondaient étrangement aux idées préconçues de ses maîtres. » Bien qu’il puisse y avoir là un brin de vérité, cette déclaration est très injuste, tant à l’égard des chercheurs que de leurs « maîtres ». Il est vrai que Dickins n’élaborait pas ses conclusions en vue d’un contrôle ouvert par des pairs, mais plutôt à titre d’officier d’état-major subordonné à un commandant supérieur qui était seul responsable de porter un jugement sur les conseils qu’il recevait. Tout porte à croire que Dickins parvenait à maintenir un habile équilibre entre l’obligation de répondre aux attentes de ses supérieurs et la nécessité de maintenir l’objectivité scientifique. À ce chapitre, Saundby aussi mérite assurément quelque reconnaissance car l’intégration d’une culture scientifique au sein d’un quartier général des opérations exige que les pratiques militaires acceptées soient adaptées, parfois même relâchées. Comme le souligne Wakelam dans sa conclusion, il y a là d’importantes leçons pour nos contemporains, qu’ils soient universitaires ou opérateurs; voilà un domaine qui exige de sérieuses études. The Science of Bombing nous donne un premier aperçu de ce qui se passait à l’intérieur d’un quartier général où la science et les opérations faisaient cause commune. On peut espérer qu’il ne s’agit là que de la première de nombreuses études de ce genre, ne serait-ce que parce qu’il se trouve encore une fois des quartiers généraux semblables dans les Forces canadiennes et que leur fonction n’est pas assez bien comprise. Jim Barrett, Ph. D., a été navigateur aérien au sein du Commandement maritime de l’Aviation royale du Canada (Lancaster). Il a enseigné au Collège militaire royal du Canada où il a été doyen des sciences et des études permanentes, et il a également été directeur du Directorat de l’apprentissage et de l’innovation à l’Académie canadienne de la Défense. Dans un premier temps, les auteurs s’emploient à exposer le problème et à dégager le sens et la portée du DS comme concept, à leurs yeux souvent appliqué à tort et à travers. Ceux-ci sont en désaccord avec la définition très répandue qui lie DS et situations où des externalités négatives découlent d’une recherche réciproque de politiques de défense par des intervenants soucieux de la sécurité. Au terme d’une reconstruction étymologique de la notion de dilemme en tant que situation exigeant la sélection de l’une de deux options également plausibles ainsi que d’une analyse critique de certains des auteurs classiques, ils en arrivent à la conclusion que cette définition est viciée puisqu’elle mêle ou fusionne un dénouement particulier et l’essence même du DS. Ils proposent plutôt une reformulation convaincante du DS comme « situation difficile stratégique à deux volets » née de l’incertitude inévitable inhérente à l’anarchie internationale. Le DS consiste selon eux en un « dilemme d’interprétation » relatif aux intentions, préférences et capacités des autres États et en un « dilemme de réponse » sur la façon la plus rationnelle d’y réagir. Les auteurs font donc une distinction entre deux résultats possibles : le « paradoxe de sécurité » qui renvoie à l’incapacité des 95