Intérêt du dosage de l`homocystéine en médecine générale.

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Intérêt du dosage de l`homocystéine en médecine générale.
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Intérêt du dosage de l’homocystéine en médecine générale.
Dr Elizabeth CAUSSÉ, Médecin Biologiste, Biochimie, CHU Rangueil
Membre du bureau du Groupe Homocystéine France (GHF)
C’est Mc Cully qui en 1969 a proposé le premier que l’homocystéine (Hcy), un acide
aminé soufré produit au cours du métabolisme de la méthionine, était responsable de
pathologies athérothrombotiques artérielles et veineuses. Sa théorie était basée sur
les observations que des enfants avec des taux plasmatiques très élevés d’Hcy dues
à une anomalie métabolique avaient une athérothrombose précoce et décédaient
avant l’âge de 20 ans. Ces désordres génétiques sont rares mais constituent un
modèle humain in vivo de lésions associées à une intoxication chronique par l’Hcy.
Les études in vivo et in vitro puis expérimentales ont permis de démontrer que l’Hcy
est responsable d’athérothrombose par production d’un stress oxydatif, de lésions
des cellules endothéliales, d’une dysfonction endothéliale, d’inflammation, de
thromboses et de prolifération cellulaires (cancer) (1).
Les études épidémiologiques ont généralement démontré des associations entre les
taux élevés d’Hcy et l’augmentation du risque de maladies coronariennes et plus
fortement avec l ‘augmentation du risque d’ischémie cérébrale (2). En France, 30 %
des décés sont d’origine cardiovasculaire. Dans 50 % des cas, il n’existe pas de
facteur de risque connu (HTA, diabète, cholestérol, tabagisme, obésité, sédentarité).
10 % des décés d’origine coronarienne seraient lié à un taux élevé d’homocystéine.
Nygard O. et al (3) a défini un score pronostic de survie à partir du taux d’Hcy chez
des patients souffrant de maladie coronaire (Figure 1). Une augmentation de 5
µmol/L d’homocystéine correspond au même risque qu’une augmentation de 0,5
mmol/L de cholestérol (4). Comme le suggère en août 2008 l’équipe irlandaise (5),
l’Homocystéine est-il le cholestérol du 21 ième siècle ?
Une méta-analyse d’études prospectives, après ajustement avec les facteurs de
risque classiques démontre qu’une réduction de 25 % des taux d’Hcy est associé à
une réduction de 11 % du risque de maladie coronarienne et à 19 % du risque
d’ischémie cérébrale (6).
Les récentes études prospectives d’interventions vitaminiques (VISP, NORVIT,
HOPE2 et WAFACS ) sont négatives (7,8,9). La réduction des taux d’homocystéine
par les traitements vitaminés n’apporte pas de bénéfice chez les patients porteurs
d’une maladie cardio-vasculaire ou à risque d’en développer une. Il faut noter que
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dans ces études, il est recommandé de supplémenter pour des Hcy à 10 µmol/L. Le
Groupe Homocystéine France (GHF) n’a pas validé les recommandations de la
Dach-Liga Homocystein (10) considérant ces taux normaux mais à cependant
reconnu les populations à risque définies (Figure 2). Au regard des 14 000
publications disponibles, nous pensons que la supplémentation vitaminique et surtout
des conseils diététiques doivent être proposés pour des Hcy > 20 µmol/L.
Contrôler les hyperhomocystéinémies (HHcy) modérées est possible car le plus
souvent il s’agit d’une cause nutritionnelle de déficit en vitamine B (et donc
modifiable). Toutes les études sont en accord sur le fait que HHcy est un marqueur
du déficit vitaminique et que la supplémentation en acide folique (Vit B9) et vitamine
B12, normalise les taux d’Hcy. Cependant, l’Hcy est au carrefour de voies
métaboliques et le traitement vitaminé n’intervient que dans une des voies
(reméthylation). L’Hcy, paramètre pro-oxydant est catabolisé en cystéine utilisé pour
la synthèse du glutathion, puissant anti-oxydant intracellulaire et engagé dans les
défenses de l’organisme. Déjà, de nouvelles molécules sont en cours d’évaluation
(Cerefolin NAC, association de N-acetylcystéine (NAC) et vitamines B)
Cependant,
le
bénéfice
du
traitement
vitaminique
est
confirmé
dans
l’hyperhomocystéinémie (HHcy) congénitale où les enfants sans traitement décèdent
de complications cardiovasculaires très jeunes, mais sont améliorés avec de la
vitamine B6, bétaine et choline, et régime pauvre en méthionine. Par ailleurs,
l’enrichissement des produits céréaliers en acide folique (140 µg/100 g) a montré au
Canada et aux USA un recul des ischémies cérébrales et surtout plus de 19 à 70 %
de réduction des anomalies du tube neural (spina bifida).
Ainsi, à coté des facteurs de risque classiques, le médecin généraliste peut être
amené à contrôler les nouveaux marqueurs impliqués comme l’homocystéine située
au carrefour de voies métaboliques et responsable de stress oxydatif.
Le médecin prescrit et surveille des médicaments dont la forme active est la fonction
thiol comme l’homocystéine. Des interactions sont donc possibles mais méconnues.
Métabolisme. L’homocystéine est un acide aminé soufré (fonction thiol) produit au
cours du catabolisme de la méthionine (acide aminé essentiel chez l’homme). Il
provient majoritairement du catabolisme de la méthionine des protéines animales et
végétales. L’Hcy se trouve à la jonction de deux voies métaboliques, reméthylation et
trans-sulfuration (Figure 3). Multiples enzymes interviennent dans ces voies de
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régulation et fonctionnent avec des cofacteurs vitaminiques (Vitamine B6, B9 ou
acide folique et B12 ou cobalamine), proposés en thérapeutiques.
Sa concentration plasmatique est considérée comme le reflet de son métabolisme
intracellulaire. L’Hcy est présent dans le plasma sous forme libre (20 à 30 %) et liée
aux protéines (70 à 80 %). C’est l’ensemble de ces formes cad Hcy totale qui est
quantifié par les différentes techniques d’analyse. Le taux normal plasmatique à jeun
est de 5 à 15 µmol/L.
L’HHcy est considérée comme modérée entre 15 et 30 µmol/L, intermédiaire entre
30 et 100 µmol/L et sévère > 100 µmol/L.
Prélèvement. Un groupe de travail de la SFBC a réalisé une comparaison des
méthodes analytiques disponibles et a proposé des recommandations (11). Le
prélèvement doit être réalisé à jeûn de 12 h, sur tube EDTA (5 ml). Le prélèvement
doit être centrifugé dans l’heure qui suit le prélèvement, sinon le tube doit être placé
dans la glace jusqu’à son arrivée au laboratoire, sinon l’utilisation de tube spécifique
(ACD) sera nécessaire. Le dosage n’est pas remboursé par la sécurité sociale mais
est assuré quotidiennement et comptabilisé dans les CHU, BHN 120 (soit 32 euros).
Le test de charge en méthionine ne doit plus être réalisé en raison de son risque
hépatique.
Interprétation. L’interprétation d’un taux d’Hcy doit tenir compte de plusieurs facteurs
qui expliquent des HHcy modérées : le sexe ( 10 % plus élevé chez l’homme) ; l’âge
(environ 1 µmol/L en plus par décennies d’âge) ; la fonction rénale (Hcy est corrélée
à la créatinémie) ; tabac (10 % en plus) ; café (> 4 /jour) ; alcool, vin, bière ; divers
médicaments : metformine, fénofibrate, diurétiques, oméprazole, cyclosporine,
lévodopa, protoxyde d’azote, anticonvulsivants, les antagonistes des folates (
méthotrexate, phénytoine, carbamazépine …) les antagonistes de la vitamine B6
(niacine, théophylline, azaribine, isoniazide, pénicillamine, contraceptifs oraux ….).
Nous présenterons les caractéristiques cliniques variables et différencierons :
1/ HHcy sévère : Hyperhomocystéinémie congénitale (déficit homozygote en CBS,
figure 1, Hcy > 100 µmol/L) dont le diagnostic est encore trop tardif pour un
traitement efficace.
2/ HHcy intermédiaire et modérée. Elle est présente chez le patient insuffisant rénal
chronique (12) ou hémodialysé (80 %) mais également au cours du diabète, de
l’hypothyroidie, de l’insuffisance cardiaque, lors de thromboses veineuses,
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démences, Alzheimer, ostéoporose précoce, anomalies fœtales chez la femme
enceinte, fausses couches spontanées, des maladies systémiques (lupus,
polyarthrite, sclérodermie, psoriasis) ainsi que de l’évolution cancéreuse (leucémies).
L’information et la prescription de B9 dans la prévention des anomalies du tube
neural (spina bifida) devraient être expliquées dès l’adolescence. Une meilleure
information sur une alimentation riche en B9 ou une supplémentation pourrait éviter
un grand nombre de fausses couches à répétitions (13).
Selon le contexte familial et génétique, nous conseillons avant la pratique sportive
intensive, de vérifier le taux d’Hcy en particulier pour la plongée (14).
En conclusion : L’analyse de l’Hcy dans la population générale n’est pas
recommandée mais devrait être contrôlée dans les populations à risque (figure 2).
L’évaluation de l’homocystéine permet de vérifier l’équilibre des voies métaboliques
et l’influence des médicaments nécessaires aux traitements des pathologies. Dans
l’évaluation pronostic, il faudrait rajouter l’homocystéine (> 20 µmol/L) dans le calcul
des scores de risque cardiovasculaire.
Le médecin généraliste joue un rôle majeur dans la prévention par sa connaissance
du contexte familial, par l’interrogatoire, les conseils diététiques et la surveillance des
thérapeutiques lourdes…
* Journées Nationales Homocystéine (GHF) - 13-14 Novembre 2008 PARIS Jussieu contact :
[email protected]
th
* 7 International Conférence on Homocysteine Metabolism, PRAGUE, 21-25 juin 2009
WWW.HOMOCYSTEINE2009.org
Abréviations : HOPE2, Heart Outcomes Prevention Evaluation ; NORVIT, Norwegian Vitamin ; VISP,
Vitamines Intervention for stroke Prevention ; WAFACS, Women’s Antioxidant and Folic Acid
Cardiovascular Study (5) ; WENBIT, Western Norway B-Vitamin Intervention Trial
Références :
1. Kaul S. et al J Am Coll Cardiol 2006 ;48 :914-23
2. Wald D. et al BMJ 2002;325:1-7.
3. Nygard O. . N Engl J Med 1997;337:230-236
4. Boushey CJ et al JAMA 1995;274:1049-1057.
5. Henegha, HM J Endovasc Ther 2008;15(4):399-407.
6. Clarke R. Clin Chem Lab Med 2007 ;45 :1575-81.
7. Albert CM et al JAMA 2008 ;299(17) :2027-2036.
8. Girs N et al Rev Med Liege 2006 ;61 :352-361.
7. Bonaa KH et al. N Engl J Med, 2006;354:1578-1588.
8 Loscalzo J. . N Engl J Med 2006:354:1629-1632.
9. Lonn E et al. JAMA 2008;299(17):2086-87.
10. Stanger O. Clin chem. Lab Med 2003;41(11):1392-403. review
11. Ducos V. Ann Biol Clin 2002 ;60(3) :313-319.
12. Rodionov RN et al Arterioscler Thromb Vasc Biol ;28 :1031-33.
13. Gris JC. Blood 2003;102 :3504-13.
14. Candito M. Rev Neurol (Paris) 2006;162(8-9) :840-4.
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Figure 1. Nygard O. (2)
Figure 2 : Populations à risque – Dach Liga homocystein 2003
M a la d ie s v a s c u la ir e s
S y m to m a tiq u e s
P o p u la t io n s à r is q u e P o p u la t io n s à r is q u e
de CVD
d e d é fic it v it a m in iq u e
p a th o lo g ie s c o ro n a rie n n e s
in fa rc tu s d u m y o c a rd e
h is to ir e fa m ilia le C A D
s u je t a g é
a th é ro sc lé ro s e A c a ro tid e s
HTA
v é g é ta r ie n s
a lc o o l
m a la d ie s o c c lu s iv e s a rté r ie lle s
p é rip h é riq u e s
ta b a c
in fla m m a tio n s g a s tro in te s tin a le s
h y p e rlip id é m ie
p ré e c la m s ie
in s r é n a le
m a la d ie r é n a le
d ia b è te
d e s é q u ilib r e a lim e n ta ir e
s y n d r o m e m é ta b o liq u e
m é d ic a m e n ts
a th é ro sc lé ro s e A
c é ré b ra le
th ro m b o se s v e in e u se s
e m b o lie A P u lm o n a ir e
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Figure 3
Méthionine
Transméthylation
Reméthylation
Méthionine
synthase
SAM
Méthyltransférase
BHMT
SAH
B12
Folate
MTHF
Homocystéine
CBS
B6
Cystéine
Purines
(DNA, RNA)
ADN, RNA
Protéines …...
Adenosine
Hcythiolactone
Trans-sulfuration
Glutathion
Légende :
BHMT : Bétaine homocystéine méthyl transférase
CBS : Cystathionine Béta Synthase
MTHFR : Méthyl TétraHydroFolate Réductase
SAM : S adénosyl méthionine
SAH : S adénosyl homocystéine
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