La grande dame barbare
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La grande dame barbare
Livres Hebdo numéro : 0724 Date : 07/03/2008 Rubrique : avant critiques Auteur : Jean-Maurice de Montremy Titre : Bruno Dumézil 12 mars > HISTOIRE France La grande dame barbare Bruno Dumézil enquête sur la reine Brunehaut. Une magnifique plongée dans les temps mérovingiens. C’était une scène à faire. Bruno Dumézil ne la manque pas. En 581, deux armées franques vont en découdre sur la plaine champenoise. Survient entre les lignes une femme de la trentaine, portant le baudrier, signe de la puissance publique. La bataille n’aura pas lieu. Les adversaires négocieront, pour une fois, au lieu de s’entre-tuer. Il s’agissait de savoir qui obtiendrait la régence de l’Austrasie, territoire qui s’étend de l’Atlantique à la Bavière et de l’Italie du Nord aux rives de l’Elbe. A l’étonnement général – et grâce à son coup d’audace –, ce fut la jeune femme qui l’emporta. Ainsi Brunehaut (« Cuirasse de Guerre ») entra-t-elle dans les chroniques. La reine mère d’Austrasie les défraierait trente années durant jusqu’à sa terrible mort en 613, au terme d’un supplice de trois jours. Clotaire II, roi de Neustrie (le nord-ouest de la Gaule franque) – ennemi juré de la reine – fit promener la sexagénaire à dos de chameau sous les insultes de la foule, puis on l’attacha par les pieds à l’arrière d’un cheval lancé au galop. Ainsi mourut, désarticulée, rouée de coups de sabots, cette princesse née dans l’Espagne wisigothique. Grâce à elle, l’Empire d’Occident – tombé depuis un siècle – avait connu en Austrasie un ultime « été indien ». Auteur d’une remarquable analyse de l’Europe des royaumes barbares, Les racines chrétiennes de l’Europe : Ve-VIIIe siècle (Fayard, 2005), Bruno Dumézil signe avec son enquête sur Brunehaut bien plus qu’une simple biographie. Il s’agit d’une plongée dans la civilisation mérovingienne « complexe et brillante », mal connue et méconnue, tant se sont accumulées destructions et légendes. Pour retrouver ce passé vieux de quatorze siècles, les documents ne sont pas si nombreux. Il faut, de surcroît, savoir lire entre les lignes et reconstituer les vides : choses tues ou, tout simplement, effacées par l’oubli. Bruno Dumézil s’appuie donc également sur l’archéologie et sur l’anthropologie. Ce qui nous vaut une prenante évocation de politique internationale (de la Méditerranée byzantine jusqu’aux terres anglo-saxonnes) aussi bien que la description passionnante d’un « mariage d’Etat » (celui de Brunehaut et du petit-fils de Clovis, Sigebert, sans doute à Metz). Mais on découvre aussi la vie intellectuelle, le droit, la littérature, l’art. Et bien sûr cette « conversion de l’Occident » dont Brunehaut sera l’un des acteurs importants : c’est l’époque de l’effervescence monastique, tandis que l’infatigable Colomban, venu d’Irlande, veut évangéliser ou réévangéliser le continent. L’historien s’intéresse aussi au destin d’une femme : ce que l’on peut savoir de son éducation (Brunehaut est hautement cultivée), de sa vie de mère et de grand-mère. Sans compter le veuvage. Lorsqu’elle prend la régence, vers l’âge de 35 ans, Brunehaut est veuve pour la deuxième fois : son premier mari a été assassiné, son second « suicidé ». Pour elle, garder le pouvoir n’est pas seulement une ambition : c’est une question de survie. Au-delà du bruit et de la fureur – les Mérovingiens surclassent n’importe quel drame shakespearien – Bruno Dumézil fait ressortir l’importante réflexion politique et juridique de celle qui fut une grande dame, encore « romaine », à un moment clé de l’évolution de l’Europe. J.-M. M. Bruno Dumézil La reine Brunehaut FAYARD TIRAGE : 4 500 EX. PRIX : 29 EUROS ; 564 P. ISBN : 978-2-213-63170-7 SORTIE : 12 MARS