Diana Gay - Heidi Wood

Transcription

Diana Gay - Heidi Wood
Diana Gay : Nous sommes ici dans l’exposition Décor d’une vie ordinaire conçue en deux volets par le
Musée nationale Fernand Léger et le musée d’histoire et de céramique biotoises. Heidi, peux-tu nous parler
du point de départ que tu as imaginé pour ce projet.
Heidi Wood : Dans mon travail, le point de départ est toujours le contexte. Ici, c’est une invitation à dialoguer
avec le grand maître Fernand Léger, qui, en bon moderniste passionné de progrès et de technologie, a mis la
ville au cœur de son travail. J’arrive bien des années après. L’optimisme moderne, cette idée que les artistes
de l’avant-garde montraient le chemin vers un avenir radieux, est tombé comme un soufflé. L’exceptionnel a
été remplacé par le banal, en quelque sorte. J’ai choisi donc de travailler non pas sur la ville mais sur ses
périphéries ; non pas sur la folie urbaine mais sur la tranquillité domestique. L’exposition s’appelle Décor d’une
vie ordinaire. C’est un hommage à la banlieue et à son architecture, d’où ses deux volets : Grand ensemble au
Musée Fernand Léger et Pavillon au Musée d’histoire et de céramique biotoises. Dans ces deux parties, je
voulais souligner l’opposition entre l’architecture standardisée et l’intimité domestique.
DG : Quelle distinction fais-tu entre ces deux volets ?
HW : Ces deux volets correspondent à deux environnements. Au Musée Fernand Léger, les salles étaient
vides. C’est un espace dédié. Par contre, au Musée de Biot, les salles sont chargées. Mes oeuvres y dialoguent
avec une collection muséale. J’ai réalisé les assiettes souvenir – sorte de grand standard du tourisme – qui
valorise une architecture qui est aujourd’hui, en France, synonyme de troubles sociaux. Il y a aussi de grandes
affiches montrées en vitrines derrière les jarres de Biot. Sur des grilles imprimées, j’ai réalisé des collages
d’adhésifs colorés. Chaque affiche est une œuvre unique. Les affiches et les assiettes souvenir étaient les
réalisations expérimentales et artisanales, qui m’ont permis d’établir un répertoire de visuels.
Ensuite, ces mêmes visuels ou des variantes, ont été déclinés sur d’autres supports au Musée Fernand Léger.
Les tableaux et certaines peintures murales reprennent les motifs de bandes colorées sur les grilles. Les
plaques en émail et d’autres peintures murales reprennent les pictogrammes des assiettes souvenir. Dans ce
volet, je voulais reconstituer l’ambiance de ces zones péri-urbaines avec ses motifs standards : l’architecture,
les pylônes électriques et les fleurs. Il y a aussi 3 bibliothèques murales qui reprennent les plans au sol de
HLM. Lors de l’accrochage des œuvres, j’ai imaginé un parcours à travers un paysage, avec des bâtiments au
premier plan, d’autres au deuxième plan et encore d’autres en arrière plan. Il faut voir cet environnement
comme un syndicat d’initiative pour la région parisienne.
DG : Tu as déjà réalisé des projets dans les zones péri-urbaines. Comment abordes-tu le réel ? Quelle place
donnes-tu au dessin ?
HW : Mon travail prend ses racines dans l’abstraction géométrique mais devient de plus en plus figuratif. Le
dessin d’observation de ma formation initiale en Australie revient dans mon travail. Pour créer les
pictogrammes architecturaux, j’ai passé l’été dans les bus de banlieue avec un carnet de dessin. J’ai croqué
les grands blocs modernes comme les réalisations contemporaines, souvent très ambitieuses et très belles.
J’ai traité ces croquis sur l’ordinateur pour arriver à des fichiers Illustrator qui sont exploitables par les
prestataires industriels. Il y a eu aussi les dessins minutieux aux traits de fleurs et de pylônes électriques que
j’ai projetés sur de grandes feuilles de papier et reconstitués en bouts de scotchs noirs. On voit ces collages
sur les assiettes souvenirs et les panneaux routiers.
DG : Le troisième volet de ce projet consiste à diffuser les 5 visuels que tu as conçus pour le réseau
d’affichage de la ville de Biot. Vois-tu un lien entre cette occupation de l’espace urbain et les commandes
publiques que tu réalises parallèlement ?
HW : Quand les œuvres occupent l’espace urbain, que ce soit par le biais de projets monumentaux ou
d’ampleur plus modeste, on s’adresse directement au public. En France, 1% du budget de construction de
certains bâtiments publics, doit être consacré à une œuvre contemporaine. J’ai pu réaliser 5 projets de ce
type. Ces projets permettent la création d’œuvres pérennes qui doivent prendre en compte les usagers dans
leur quotidien. Souvent, il y a un cahier des charges. C’est donc d’autres contraintes que l’espace d’exposition.
Je suis très attachée à ce dialogue avec le plus grand nombre : l’art pour tous, pour lequel Fernand Léger,
entre autres, a milité. Cela incite des collaborations avec l’industrie du bâtiment plutôt que la création
d’œuvres dans l’atelier. Ces nouveaux partenaires industriels réalisent aujourd’hui les œuvres que je mets
également dans un contexte muséal.
Entretien avec Diana Gay, conservatrice au musée national Fernand Léger réalisé lors de l’exposition Décor
d’une vie ordinaire, du 9 novembre 2013 au 3 février 2014