La vie derrière le voile
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La vie derrière le voile
critique télé La vie derrière le voile critique télé TéléObs « A propos des garçons, des filles et du voile » : le titre annonce lintention de ne pas se laisser emprisonner dans un débat sur le voile& Yousry Nasrallah. Absolument. Lidée première est une enquête sur lamour au Caire. Je voulais savoir comment les gosses font aujourdhui pour se rencontrer, tomber amoureux et avoir des rapports malgré les contraintes de lordre moral. Par contraintes, jentends bien sûr le voile. Quelle est sa signification ? Le port du voile est-il une façon dannoncerla couleur, religieuse ou politique ? Ou plutôt, comme je le pressentais, une façon pour une fille déchapper à la surveillance permanente dun homme chaperon, grand frère ou père, fiancé ou mari, qui la suit pas à pas dès quelle met le pied dehors. Aujourdhui, en Egypte, beaucoup de filles entre 18 et 25 ans préfèrent mettre un bout de tissu sur la tête... et pouvoir sortir toutes seules. Et vous les suivez une caméra sur lépaule... [Rire...] Il nétait pas question de traiter le voile, en vrac, mais des personnes. La caméra suit dabord Bassem, un aspirant comédien qui a déjà joué de petits rôles dans mes films. Dans la vie, il a 23ans, travaille comme instituteur et rêve de devenir acteur. Même si tout le monde, autour de lui, le presse de se marier. Il me conduit vers ses amis, sa sSur, sa famille, son école, son quartier populaire de Gizeh, près des pyramides, et même dans son village dorigine, Mansoura, sur le delta du Nil. Ce sont tous des paysans fraîchement installés en ville, ne loublions pas. Tout au long du film, Bassem est le vecteur qui me permet de raconter la petite bourgeoisie égyptienne, sa conception du travail, du mariage, des enfants, de la maison, de la morale, et donc du voile. Les jeunes filles portent beaucoup le voile au Caire. Et cest nouveau. Dans les années 60, les Egyptiennes le portaient très peu. Quest-ce qui sest passé ? En 1919, une célèbre féministe égyptienne avait déjà fait scandale en enlevant publiquement son voile. Le culte de la virginité, le tabou de lamour avant le mariage ont toujours fait partie intégrante du tissu moral égyptien, et arabe. Puis est venu le grand rêve nassérien dune société moderne et libérale. Sur une photo de lépoque, on voit les parents de Bassem : le père, en complet-veston ; la mère, sans voile, bras nus et jupe courte. Aujourdhui, sa fille, la sSur de Bassem, porte le voile. Entre-temps, le grand rêve de lEgyptemoderne du xxe siècle sest effondré, victime de linefficacité des régimes arabes et de léchec de la bataille, mal menée, au nom de la modernité. Reste que la plupart des femmes égyptiennestravaillent et que leur salaire fait vivre bien des foyers. Du coup, les hommes, tenants de lidéologie machiste, nont plus les moyens financiers de nier le rôle de la femme. Concurrencés, frustrés, en crise, ils sont devenus très agressifs. Croyez-moi... Se promener dans la foule du Caire, ses rues et ses bus bondés, nest pas très agréable pour une femme ! Le voile deviendrait-il donc une protection ? Jean-Paul Mari Première publication : 4 novembre 1995 Page 1/3 Celle qui le porte veut dire : Moi, femme, je me réfugie dans la « décence » de mes origines paysannes. Pas religieuses. Et, cachée derrière cet uniforme « modeste », jessaie de trouver une solution à mes problèmes... Dans le film, une fille voilée dit : « Je dois être plus élégante que les autres. Pour pouvoir séduire, sans être scandaleuse. » Celles qui font des défilés de mode voilées ne sont pas des hypocrites mais des femmes, très humaines, qui éprouvent un besoin de liberté et cherchent à contourner lobstacle de lordre moral. Pour vous, le voile na pas forcément une connotation politique, intégriste ? Non. Et pourtant, il nest pas toujours innocent ? Bien sûr que non ! Une femme portant le tchador, ou qui tient un discours politique sur le voile, est une militante islamique. Dans le film, une des filles, en tchador, dénonce « lOccident abominable ». Mais les autres, pourtant voilées, en rient et se moquent gentiment delle. Quil soit le résultat dune modernisation, de la crise économique, de la pression sociale ou dune poussée intégriste, le voile reste une contrainte. Sans aucun doute. Il ne traite la femme que comme un objet de séduction, un être faible et sans défense contre la convoitise des hommes. Une partie honteuse quil faut cacher ! Le film montre le côté oppressif du voile avec des images « carcérales », des portes qui se referment. Il ya lhistoire dHanan, jeune fille à la tête nuequi finit par céder à la pression sociale, et parse voiler. Parce quil est temps de se marier. Ou lexemple de Hind, qui affirme avoir choisi « en toute liberté » alors quon comprend quen réalité elle sest voilée pour ne pas être considérée comme une paria. Et cest terrifiant ! Loppression est évidente. Mais ce nest pas le sujet de mon film. Le sujet, cest de saisir comment les jeunes gens résistent à cette oppression. Dans la rue, les conversations fourmillent de blagues politiques et les fêtes religieuses sont toujours très sensuelles. Au grand dam des intégristes ! Je voulais raconter comment ces filles luttent, sous leur voile, malgré lui, contre la vision intégriste de la femme. Cest cette résistance qui est merveilleuse. Derrière le voile, il ny a pas le grand Satan mais des problèmes très humains. Aujourdhui, compte tenu du contexte, de la symbolique du voile en Europe et de la montée dun islamisme radical, est-ce le pire ou le meilleur moment pour réaliser ce genre de film ? Cest le pire et le meilleur à la fois. En tout cas, cest le seul moment où lon peut, où il faut le faire. Pour décoder le problème du voile ? Pour le traiter, sans hystérie, en sociologue. Et non pas comme un tabou, religieux et politique. Moi, je suis chrétien mais je parle dêtres humains, pas didéologie. Avec une grande liberté de ton, qui est dailleurs celle des personnages du film. Voilà peut-être pourquoi Arte a cru en ce projet et la soutenu. Quelle est la conclusion de cette longue enquête ? Ce qui émane du film est très clair : le voile pose un problème, même à celles qui le portent. En Egypte, contrairement à ce que lon peut penser, le voile nest pas une affaire classée ! Jean-Paul Mari Première publication : 4 novembre 1995 Page 2/3 Propos recueillis par Jean-Paul Mari Jean-Paul Mari Première publication : 4 novembre 1995 Page 3/3