Les Amrindiens de la Terre de feu

Transcription

Les Amrindiens de la Terre de feu
Les Amérindiens de la Terre de feu.
Les Indiens de Terre de Feu et du canal de Magellan
Les indiens Tehuelche (Aónikenk)
Les Tehuelches (ou Patagones) vivaient dans le sud de la
Patagonie, entre la rivière Santa Cruz et le détroit de
Magellan. Dans un passé lointain, ces chasseurs étaient
contemporains d'une faune aujourd'hui disparue, comme le
fameux mylodon ou le cheval nain. Ils présentaient des
ressemblances avec les autres indiens de Patagonie, plus
au nord, comme les Mapuches ou les Pehuelches, avec
lesquels ils avaient régulièrement des contacts. Les
premiers explorateurs les comparaient, surtout pour leur
manière de chasser, avec les autres indiens qu'ils
connaissaient déjà : ceux du Rio de la Plata.
Ils devaient être environ 4.000 o 5.000 à l'arrivée
de la civilisation européenne, avant que les derniers
Tehuelches ne soient réduit à Camusu Aike et au lac
Cardiel, avant de disparaître complètement en tant que peuple.
Les Tehuelches du sud étaient les Aonikenk, tandis que ceux du nord étaient les Günün-A-Küna.
Le premier européen à avoir rencontré ces indiens fut Antonio Pigafetta, chroniqueur du voyage de Magellan
(1520). C'est lui qui a lancé le mythe du géant patagon.
Leur taille moyenne était de 1,80 mètre. Dumont d'Urville dit avoir été impressionné par 'leur énorme
largeur d'épaule, leur grosse et large tête, leurs membres musclés et vigoureux' insistant qu'ils 'sont une
belle race d'hommes, forts et vigoureux'.
Ils étaient très adroits avec leur boleadora, à une, deux ou trois boules. Ils utilisaient aussi la lance et l'arc.
L'homme blanc a importé le cheval en Patagonie, et les Tehuelches sont très vite devenu des cavaliers
exceptionnels. Ils chassaient surtout le guanaco et le nandou. Ils avaient aussi beaucoup de chiens (bruyants
et insupportables disaient les explorateurs).
Ils parlaient une langue gutturale, de type occlusive et agglutinante. Carlos Vega nous donne ces deux
exemples : “ne tombes pas” se disait “M'huatrhs” ; “c'est ma femme” : “Yas ksheh”.
Cosmogonie, création du monde et de la terre (recueilli par Mario Echevarria Baleta, cité par Carlos Vega) :
Kooch a toujours existé, il n'a eu ni naissance ni début. Il était comme l'air. Personne ne pouvait le toucher, et il
n'existait non plus personne pour le voir ou le toucher. Depuis le début de tout, Kooch était entouré de ténèbres.
Comme il vivait seul et entouré de ténèbres depuis toujours, personne ne pouvait voir, et cette situation le mit dans
un tel état de tristesse, qu'il se mit à pleurer, de pleurs profonds et interminables. Il eut tant de larmes qu'elles
formèrent la mer, où la vie put commencer sa gestation pour le monde futur. Quand il vit que le niveau de la mer
allait devenir trop haut, il cessa de pleurer, en un profond soupir, qui donna naissance au vent, lequel remua les
ténèbres, parvenant à les dissiper, de telle manière qu'il put observer la clarté autour de lui. Ce qui lui causa un
plaisir immense, réveillant ses envies de continuer à créer le reste des éléments qui formeraient le monde. Il créa
toute chose animée, même les pierres avaient une forme de vie. Kooch avait créé la mer de ses larmes et avait
dissipé les ténèbres autour de lui, mais elles étaient toujours présentes au loin, et malgré qu'elles s'éloignassent de
plus en plus loin, cela l'empêchait de voir son monde, aussi éleva-t-il la main en un rapide mouvement qui déchira
l'obscurité d'où jaillit une énorme étincelle qui accompagna le mouvement de sa main, parvenant à dissiper
entièrement les ténèbres. Il put enfin voir le monde merveilleux, éclairé par cette étincelle qu'il appela Xaleshen
(Soleil).
Quelques mots Tehuelche:
Soleil : Sheuen o Shehuen'à
Lune : Keingueinken o Keingueincon
Nuit : Ter-nsh
Jour : Chocheg Shehuem
Homme : Alen, Aln, Alnk
Femme : Ishé o Enack
Un : Chochieg
Deux : H'áuke
Trois : Ká'ash
Quatre : Kague
Cinq : K'tsàen
Cent : Pataca
(source: Franciso P.Moreno)
Les indiens Alacalufs (Kawésqar)
Selon certains chercheurs, la terminologie
Alakaluf
réunit
plusieurs
peuples
différents : les Alakalufs proprement dit
(en deux groupes, ceux de la zone du milieu,
et ceux du sud du canal de Magellan), et les
Kawésqar, ceux-ci plus au nord. Il se peut
que la confusion se doive au faible nombre
d'études qui ont concerné ces populations
avant qu'elles ne disparaissent totalement
(il faut se rappeler que la région du seno
Otway n'a vraiment été parcourue par
l'homme européen que vers 1829), ou bien à une confusion avec les Chonos, un
autre tribu maritime du nord des canaux chiliens, qui aurait disparu au 18ème
siècle (bien que Tomas Bridges ait dit qu'il en avait vu en 1885) ; de son côté,
Gusinde ne différencie comme tribus homogènes que les Alakalufs et les
Chonos.
Des gisements archéologiques ont montré que ces régions étaient déjà habitées en 6.000 ans av.J.C. (Punta
Baja, étude ethnologique de Dominique Legoupil, CNRS, France).
La taille moyenne des Alakalufs était de 1,66 mètres (indiens pêcheurs de corps moyen et mal proportionné
selon Juan de Ladrillo, 1557), et beaucoup de récit les décrivent comme taciturnes et tristes (ou même
traîtres et menteurs selon certains missionnaires).
Lire ce que dit Jean Raspail des Alakalufs, sur le site de jm.Saliege et sur le même site : ce que dit
Francisco Coloane des Alakalufs
Il vivaient la plus grande partie de la journée dans leur canot, et à la tombée de la nuit, ils campaient sur les plages,
dans une hutte.
Ils utilisaient le harpon, mais aussi la boleadora, à une, deux ou trois boules. L'arc, bien qu'ils savaient en fabriquer,
n'était quasiment pas utilisé.
Seules les femmes savaient nager (comme c'était le cas chez les yamana), elles plongeaient à la recherche de fruits
de mer, tenant un panier entre les dents ; elles allaient chercher le canot à la nage, car le canot était généralement
laissé à l'eau, ancré au niveau des étendues d'algues. Dans le canot, seules les femmes ramaient, ce qui permettait
au hommes de pouvoir rester à guetter, le harpon à la main, une possibilité de pêche (ce qui était aussi le cas de la
femme yamana, ou de la femme selk'nam, transportant le campement, pendant que l'homme restait à l'affût, l'arc à
la main).
L' owurkan , d'après Gusinde, pouvait être considéré comme un médecin, un shamán ou même un prêtre ensorceleur.
C'est lui qui se chargeait de soigner les malades, de prédire le temps, et de maintenir une influence spirituelle sur
les individus.
Emperaire a étudié les esprits alacalufes : Ayayema [qui] "quand il impose sa présence maléfique dans les rêves,
dans les maladies, alors, il vaut mieux changer de campement et émigrer à une autre plage" ; Kawtcho, l'esprit
rôdeur de la nuit, marchant sous terre pendant le jour ; Mwono, l'esprit du bruit, rodant dans les montagnes et les
glaciers. Et alors que Emperaire a exposé que "l'existence d'un être supérieur et bon ne tient pratiquement aucune
place dans leur vie religieuse", certains missionnaires, comme A.de Agostini, pensaient que les alacalufes croyaient
en un être bon et invisible, Alp-láyp, auquel ils rendaient grâce quand ils avaient de la nourriture en abondance, et
en un être mauvais, Alel-Cesislaber, un géant qui enlevait tous ceux qu'il croisait.
Ils croyaient qu'après la mort, les bons allaient dans un bois très agréable, où ils pouvaient manger à satiété tout ce
qu'ils avaient apprécié pendant leur vie, alors que les mauvais étaient précipités dans un puits très profond, dont ils
ne pouvaient plus jamais sortir.
Quelques mots Alakalufes :
Soleil : Areló o aswál-sélas
Lune : Iacepáaiselop o ak'éwek-sélas
Nuit : Ac-kiói
Jour : Kala
Homme : Yp'pa o Hoiken
Femme : Ypacolis o Scherkrs
Un : Takau-Taku
Deux : Tilkanon
Trois : Uokels-a-tol
Quatre : Uokels-a-tol-uokels
Cinq : Teáku-taku
José Emperaire a étudié les différences du langue et du vocabulaire, selon les divers modes d'expression : langage
expressif ou émotionnel (moquerie, relation entre mère et enfant), et langage non émotionnel (narration, récits
autour du feu).
Les indiens Haush (Manekenk)
Ils vivaient dans la partie est de la Grande Île de Terre de Feu,
entre la bahía Buen Suceso et le cap San Pablo. Bien que certains
les considèrent comme apparentés aux Selk'nam, on a aussi émit
l'hypothèse que les Aush peuplèrent la Terre de Feu avant eux,
puis furent repoussés vers le sud-est de l'île. Ils ont des
coutumes et des mythes assez différents de ceux de la tradition
Selk'nam, et une langue notablement différente. Une autre
différence avec les Selk'nam, l'autre peuple fuégien 'terrien',
est l'économie alimentaire et vestimentaire qui ne dépend pas
principalement du guanaco, mais du phoque.
Ce fut le premier peuple a disparaître totalement de la Terre de
Feu, en 1910, selon Antonio Coiazza, il ne restait qu'une tribu [qui]
"habitait entre la Bahía Tetis et la Bahía Fatley, et maintenant
elle se réduit à une famille composée du père et de ses deux filles, et d'une femme d'environ trente neuf ans." ; et
selon Lucas Bridges, qui le raconte en 1899 : "J'étais tout le temps avec Yoiyimmi et Saklhbarra afin d'apprendre
leur langue ? Si j'avais su à cette époque que le aush n'était parlé que par soixante indigènes dans toute la Terre de
Feu, je n'aurais certainement pas fait tant d'efforts."
Le peu de données précises sont connues grâce à Lucas Bridges dans son livre 'El ultimo confín de la tierra' (1899) :
"Lors des premières années que nous passâmes à Haberton, un petit groupe de Aush nous rendis visite plusieurs
fois [...] Ces Aush avaient peur des Onas, leurs voisins du nord ouest, encore plus que des Yaganes, et cette peur
était fondée. Pendant plusieurs générations, ils ont été obligés de quitter une bonne terre, de fuir jusqu'à
l'extrême sud-est du territoire, et se résoudre à vivre au milieu de la forêt et des marécages."
Et à propos de leur origine : "Je suis convaincu que les onas et les aush sont issus des tehuelches du sud de la
Patagonie, mais les aushs sont arrivés en Terre de Feu bien avant les onas [...] Il y a certainement beaucoup plus de
différences entre l'aush et l'ona qu'il n'y en a entre ce langage et celui des tehuelches. Je crois qu'au début les
aushs occupaient toute l'île, avant d'être obligés de se contenter de la pointe sud-est, de climat humide, et
pénalisée par des marécages et d'épais buissons. Ma théorie se trouve confirmée par le fait que dans les terres
occupées par les onas, il y a des endroits dont le nom ne signifient rien pour eux, mais qui, par contre, présente une
signification tout à fait adéquate dans la langue aush."
A propos de la différence de langue, Lucas Bridges raconte cette anecdote comique : "Je croyais avoir appris
environ six cent mots de aush, et même si je savais qu'il y avait de grandes différences entre les langues aush et
ona, j'ai essayé de le parler, voulant surtout impressionner mon père avec mes connaissances. Kaushel ne m'a pas
comprit, mais je me suis vraiment réjouis quand j'ai entendu sa femme Kohpen me répondre en aush, celle-ci était
originaire d'une tribu de l'est."
Mythe, raconté par Antonio Coiazza : "La renarde, chez eux aussi, tenait le rôle de l'animal peureux qui apprenait la
méchanceté aux autres. Jadis, le renard était domestiqué, comme le guanaco, le phoque, tous les poissons et les
oiseaux, et il chantait sur le même ton ekelé, ekelé, ekelé. Mais un jour on lui fit sentir une odeur vraiment puante,
et cela le rendit sauvage, ce à quoi il convertit les autres animaux."
Un autre mythe, raconté par Antonio Coiazza : Il y a un autre esprit mâle, "très mauvais, qui vit dans les entrailles
de la terre, et s'appelle Ksorten. [...] Il s'approche des abris, saisit des paniers, et en frappe les femmes, plus
spécialement les plus capricieuses ; pour cette raison elles en ont grand peur, et, quand elles le voient, elles se
masquent le visage et les yeux avec leur cape. Au contraire, les enfants, effrayés, s'enfuient."
Bien qu'apparemment l'Île des États n'ai jamais été habitée par les indiens fuégiens, Anne Chapman a recueilli un
mythe haush, l'histoire de Jáius : "Quand le grand chamán Kox ouvrit la lagune et créa Sati, le détroit de Le Maire,
Jáius s'éloigna de l'Île Grande, sa terre natale, et se transforma en l'île de l'autre côté du détroit, île qui pour
cette raison portait son nom. [...] Comme c'était la coutume à cette époque, coutume qui a toujours été suivie, son
frère, Ai-uken, se maria avec une des soeurs de son beau-frère, appelée Jáiwin. Et, comme le voulait l'usage, celleci vint vivre sur les terres de son époux, et ensuite elle se changea en le cap qui portait son nom (cap San Diego) sur
les côtes de Sati. Quand Ai-uken s'est marié, Jáius se mit en colère car elle ne voulait pas rester avec Jáiwin (sa
belle soeur). C'est pour cela qu'elle est partie et s'est transformée en une île. Elle ne s'est jamais mariée. Elle est
restée toute seule, séparée des autres."
Les indiens Selk'nam (Onas)
Les Selk'nam vivaient dans la Grande Île ; c'étaient, avec les Tehuelches,
les plus grands indiens d'Amérique, avec 1,80m de taille moyenne, et leur
force physique impressionnait leurs visiteurs européens(au 17ème siècle, la
taille moyenne en Europe ne devait pas dépasser 1,65m), comme leurs
voisins indiens, qui les craignaient.
C'étaient essentiellement des chasseurs, nomades, et occasionnellement
des pêcheurs en eau douce. Ils pouvaient aussi partager une baleine
échouée sur une plage avec les yamana, faisant la paix avec les yamana pour
cette occasion, profitant ainsi de la graisse de cet animal. Le guanaco
constituait leur source carnée principale, mais ils chassaient aussi des
rongeurs et des oiseaux. Ils vivaient également de cueillette de fruits et de
champignons.
Leur arme était l'arc, lequel, en plus d'être adroit
demandait de la force, étant donné les dimensions de
l'arc.
Lucas E.Briges raconte la finesse de leurs coutumes
sociales : "Quand ils dépeçaient un guanaco, les Onas
partageaient généralement l'animal en six morceaux
pour en faciliter le transport. Cette fois là, Tamimeoat
découpa l'animal en autant de morceaux qu'il et avait
d'hommes, et il donna sa part à chacun. A chaque fois, le
bénéficiaire était le seul à ne monter aucun intérêt au
partage ; il faisait semblant d'arranger le feu o de
s'enlever les mocassins, ou regardait dans le vide,
jusqu'à ce qu'un autre membre du groupe lui fasse
remarquer le cadeau reçu ; alors seulement il le prenait, presque sans le regarder, et sans monter le moindre plaisir,
le déposait à ses côtés.
Talimeoat et Kaichin ne s'étaient pas réservé le moindre morceau, ni même la poitrine, qui était toujours considérée
comme le morceau du chasseur. Un moment après, certains de ceux qui avaient, peut-être volontairement, reçu une
plus grosse portion que les autres, la partageaient avec les heureux chasseurs. Ainsi était chez les indiens Onas le
mode correct de répartition de la viande dans de telles circonstances..."
Bien que nomades, la Grande île avait été partagée en 39 régions, délimitées par des cours d'eau, des pierres, des
arbres, ... districts transmis de père en fils, une 'famille ona' vivant sur ce territoire pouvait atteindre 120
individus. Ce partage instituait une sorte de propriété, et les différentes tribus n'allaient pas chasser hors de leur
district : sauf pour faire la guerre, ou avec un cérémonial très précis (ou des joutes réparatrices).
Lucas E.Briges : "Les Onas n'avaient pas de chefs ni héréditaires, ni électifs, mais les hommes qui surpassaient les
autres par leur habilité, devenaient de fait presque toujours les dirigeants. Cependant, le chef d'un jour ne l'était
pas forcément le lendemain, car ils pouvaient en changer en fonction d'un objectif particulier, en fonction duquel ils
désignaient alors celui qui convenait le mieux. Leur catégorie sociale a été parfaitement définie plus tard par le
Kankoat :
Un scientifique nous visita une fois dans cette région, et en réponse aux questions qu'il me faisait, je lui répondais
que les onas n'avaient pas de chefs, selon le sens que nous donnons à ce mot. Comme il ne me croyait pas, j'ai appelé
Kankoat, qui parlait alors assez bien l'espagnol. En réponse à la question que lui fit le visiteur, Kankoat trop poli
pour répondre par la négative, lui dit : 'Oui, monsieur, nous avons des chefs : tous les hommes sont capitaines et
toutes les femmes sont des marins.'
Ils ne connaissaient pas la discipline. Pourtant, le plus impitoyable, le plus fort, physiquement ou intellectuellement,
pouvait dominer toute la communauté. "
Lucas Bridges , par cette anecdote, nous montre la sensibilité de ces Onas : "Talimeoat et moi contemplions
longuement et en silence les soixante cinq kilomètres de forêts qui s'étendaient le long du lac Kami (lac Fagnano),
teintés des couleurs d'un magnifique crépuscule. Je savais qu'il cherchait à voir un signe de fumée qui signalerait le
campement d'amis ou d'ennemis. Puis il vint s'asseoir à mes côtés et oublia sa surveillance et même ma propre
présence. Sentant la fraîcheur de la soirée, j'allais lui proposer que nous nous mettions en marche, quand il poussa
un profond soupir et dit, pour lui-même, d'une voix feutrée, et avec l'intonation que seul un Ona peut exprimer :
'Yak haruin ! (¡Ma terre!)'."
Lucas E.Briges, avec son humour british, raconte cette
anecdote si comique : "Un des onas s'absentait
fréquemment et pour de longues périodes pour travailler
dans l'île Picton. Lors d'une de ses absences, sa femme mit
au monde un enfant à la peau claire, aux cheveux blonds et
aux yeux bleus (qu'il soit bien clair que mes yeux sont
marrons, et qu'à cette époque mes cheveux étaient aussi
noirs que ceux d'un ona). Je me demandais, perplexe, ce
que dirait l'indien en voyant cet étrange rejeton.
L'indien revint de l'île Picton comme prévu, et un ou deux
jours après son retour, il vint me rendre visite pour me
demander une savonnette, pas de celle du modèle habituel,
sinon un savon magique, couleur de verre foncé et en
forme d'œuf d'oie des montagnes. Au début, je ne compris
pas de quoi il voulait parler ; mais il m'expliqua de bonne
foi que pendant son absence sa femme avait accouché d'un garçon brun comme tous les enfants onas, mais quand il
l'avait connu sa peau et ses cheveux avaient extraordinairement éclairci. A ses questions à propos de cette
incroyable transformation, sa femme, appuyée par le témoignage d'une des deux sages-femmes, attribue ce miracle
à la savonnette que lui avait donné ma sœur Alicia. Elle lui dit aussi qu'un peu de savon lui était entré dans les yeux,
qui étaient devenu immédiatement bleus comme le ciel. Le père, tout fier, et impressionné par cette merveille était
alors venu demander un autre savonnette. "
A propos de l'éducation des enfants, Lucas Bridges raconte : "Quand un bébé, apparemment en bonne santé,
n'arrêtait pas de pleurer, la mère montrait des signes d'impatience, et pouvait lui crier longuement dans les
oreilles. Généralement, l'enfant cessait alors de pleurer. [...]
Quand un enfant avait soif, la mère, pour lui éviter la sensation d'eau gelée, la tiédissait dans sa bouche avant de la
laisser couler dans celle de son petit enfant."
"Les enfants étaient généralement traités avec affection par tout le monde, et très estimés de leurs parents. Et,
bien que ces gens là ne s'embrassent jamais, j'ai déjà vu des hommes approcher leurs lèvres des corps de leurs
petits enfants.
Quand les hommes se faisaient vieux pour aller à la chasse, ils pouvaient toujours compter sur leurs fils pour les
défendre et répondre à leurs besoins. S'il était toujours possible de trouver une autre épouse, il n'était pas facile
de remplacer ses enfants."
"L'indien ona ne se préoccupait pas de sa manière de se vêtir ; pour lui, la seule raison d'avoir honte serait montrer
un corps déformé ou obèse ; ce qui prouverait que c'est un glouton, et que, comme probablement il n'était pas un
chasseur, c'était sa femme qui devait lui donner à manger, des poissons [...] Le chasseur doit être maigre et ne pas
trop manger car il deviendrait paresseux tandis que ses femmes doivent être grasses (signe qu'il est un chasseur
digne de respect)"
La polygamie était commune, mais c'était rare qu'un homme ait plus de deux femmes, ce qui était considéré avec un
mélange d'envie et de moquerie.
Mythe du perroquet, des saisons : "Les perroquets Kerrhprrh, descendants de Kamshoat, sont des oiseaux bruyants
qui signalent par leurs cris le passage furtif du chasseur à travers la forêt, ou se moquent de la difficulté
qu'éprouvait un ona à un passage difficile.
Autrefois, les arbres étaient toujours verts, et ne perdaient leurs feuilles qu'à leur mort. Kamshoat était alors un
initié : il n'était plus un telken (un enfant), mais un klokten (initié). Le temps vint pour lui de faire une de ces
tournées solitaires qu'on exige des novices. Kamshoat resta si longtemps absent que les siens le croyaient mort,
aussi sont-ils tout étonnés de le revoir un jour.
Il n'a pas beaucoup changé, mais il parle trop pour un klokten qui doit se taire et réfléchir. Il raconta qu'il a visité
un merveilleux pays très loin dans le nord, avec des forêts immenses dont les arbres perdent leurs feuilles en
automnes et meurent, puis les voient revivre avec des feuilles repoussées vertes au printemps. Évidemment
personne ne le croit, car une fois qu'un arbre est mort, rien ne peut lui rendre la vie, et tout le monde se moque de
lui et le traite de menteur. Fou de rage, Kamshoat s'en va, mais cette fois pour longtemps. Il revient transformé en
un immense perroquet, avec des plumes vertes sur le dos, et rouges sur la poitrine, exactement comme celles de ses
descendants. C'est alors l'automne, et Kamshoat vole d'arbre en arbre, dans ces forêts toujours vertes, peignant
les feuilles en rouge, avec la peinture de sa poitrine. Ces feuilles tombèrent rapidement, et les gens prirent peur.
Les rôles étaient inversés : c'était au tour de Kamshoat de se moquer. Il leur annonça qu'au printemps les arbres
renaîtraient, alors tout le monde se sentit de nouveau heureux. Kamshoat, à cause de son cri, fut nommé
Kerrhprrh."
Quelques mots selk'nam :
Soleil : Kré / kran
Lune : Kréen / krä
Nuit : Kauk'n
Jour : Kerren
Homme : C'ón / Chohn
Femme : Naa / Nah
Un : Sós
Deux : Sôki
Trois : Sauki
Quatre : Koni-sôki
Cinq : Kismarey
Les indiens Yamana (Yagán)
Le Yamana, inassimilable, "retourne avec délice à sa pirogue, sa vie indépendante et errante" (Hyades).
C'était les plus petits, avec une taille de 1,44 à 1,64m, avec le tronc, les épaules et les bras très
développés par rapport à leurs jambes chétives. Ils étaient si peu habitués à marcher sur la terre
ferme, qu'ils se tenaient toujours sur une jambe, puis sur l'autre, ne pouvant tenir en place, gênés,
gauches, marchant courbés en avant, inquiets.
Indiens de mer, il utilisaient le harpon (de plusieurs sortes, selon l'objectif), la lance et la fronde, celle-ci avec une
adresse incroyable. Par contre ils ne connaissaient pas l'arc.
Lucas E.Briges nous décrit : "Pour chasser des oiseaux et pécher, les yagans
utilisaient des harpons avec un pointe en os, parfois de plus de trente
centimètres de long, et multi barbelée. Pour décoller les coquillages, et même
pour chercher les crabes, ils utilisaient des harpons de bois à quatre pointes.
Par contre pour le plus gros gibier, ils utilisaient un grand harpon, pourvu d'une
énorme pique d'os, d'une quarantaine de centimètres de long, fixée dans une
rainure, à l'extrémité d'une canne d'environ cinq mètres de long, bien polie et
taillée en pointe. Une courroie était fermement attachée à la tige, environ au
tiers de la canne, du côté de la pique, de telle sorte que quand la pique
pénétrait dans le corps du phoque, et parfois d'une baleine affaiblie, l'animal se
projetait en avant et la tige se détachait, et entraînée par le courant, formait
un angle droit avec la direction suivie par la victime, dont la vitesse était alors
bien réduite, ce qui permettait à son poursuivant d'arriver avec son canot
jusqu'à l'animal exténué, et de le transpercer à coups de lance, ce qui terminait
la lutte. "
"Les femmes avaient leur propre méthode de pêche. Elles utilisaient des lignes
tressées avec leurs cheveux ; près de l'appât, elles attachaient une pierre
parfaitement ronde, par une rainure faite exactement pour retenir la ligne.
Elles abaissaient le bord du canot, solidement amarré à une brassée d'algues, quasiment au niveau de l'eau, à partir
d'où elles tenaient leurs lignes. Comme appât, elles utilisaient des queues de petits poissons, puis une fois englouti
par l'infortuné poisson, elles tiraient la canne sans aucune secousse. Le poisson, inconscient du danger et ne voulant
pas lâcher sa nourriture, s'y accrochait, et quand il n'était plus qu'à quelques centimètres de la surface, la main
agile de la pêcheuse le saisissait et le jetait dans le panier destiné à cet usage."
Les coquillages représentaient un grande part de leur nourriture, mais étaient aussi utilisés pour faire des outils.
Alors qu'aucune tribu fuégienne n'a jamais pratiqué ni la poterie, ni le tissage, les Yamana étaient les meilleurs
vanniers.
Les yamanas, comme les alakalufs, maintenaient en permanence un feu dans leur canot (sur un lit de sable). Que le
feu vienne à s'éteindre, et c'était le risque de mourir de froid. Faire un feu dans leur abri était une de leurs
premières tâches, une fois à terre.
Lucas Bridges nous enseigne que : "Les fuégiens obéissaient strictement à certaines pratiques sociales, et, bien que
le vol et le mensonge étaient monnaie courante, accuser quelqu'un de menteur, de voleur ou d'assassin, était
considéré comme un offense mortelle."
Quand une femme donnait naissance à une fille, dès le lendemain, même lors des hivers les plus rigoureux, elle
prenait la nouvelle née sur son dos et entrait dans l'eau avec elle, s'immergeant jusqu'au cou.
Comme les femmes alakalufs, seules les femmes yamana savaient nager, et c'est elles qui conduisaient le canot.
Lucas E.Briges raconte : "... ils vivaient souvent à des endroits où, sur plusieurs kilomètres, il
n'y avait aucune plage à partir de laquelle ils auraient pu mettre leur canot à la mer. Ils
devaient alors mettre l'ancre à l'endroit le plus à l'abri possible ; c'est les femmes qui s'en
occupaient : après avoir déchargé le canot, et que l'homme était allé chercher du bois pour le
feu, la femme en quelques brasses, arrivait parmi les épaisses algues qui faisaient un briselames parfait ; d'une botte d'algues elles formaient une amarre pour le canot, qui restait ainsi
fermement ancré. Une fois cette tâche accomplie, elle retournaient à terre à la nage, puis
courraient se réchauffer et se sécher au feu dans leur hutte. Ces femmes nageaient comme le
ferait un chien, et avançaient sans aucune difficulté parmi les algues. Je n'ai jamais vu un
homme blanc qui soit capable d'intenter un exploit si dangereux. Elles apprenait à nager dès
leur enfance : leurs mères les emmenaient avec elles pour les habituer. En hiver, lorsque les
algues étaient recouvertes d'une fine couche de neige, il pouvait quand même arriver que les
petites filles rendent plus difficile la natation de leur mère qui les portait sur la tête pour
leur éviter les eaux gelées. "
Lucas E.Briges, parlant d'une indienne yamana : "... elle s'était mariée ensuite avec un jeune de dix-huit ans, qui
était là à ses côtés. Elle avait alors près de cinquante ans. Cette différence d'âge au mariage était courante chez
les yagans ; et même c'était conseillé, et pas seulement pour l'intérêt de l'homme plus âgé, sinon pour que le mari
plus jeune puisse ainsi profiter d'une femme d'expérience, qui savait répondre à ses besoins, être de bon conseil,
conduire le canot, l'aider comme une jeune fille n'aurait jamais pu le faire."
Quelques mots yamana :
Soleil : Leum / lëm
Lune : Anoka / hánuxa
Nuit : Lakar
Jour : Maola
Homme : Ua
Femme : Kipa / Keepa
Un : Kavuéli
Deux : Amaka
Trois : Maten
Quatre : Kargá
Cinq : Kup'asprá
Tomas Bridges a compilé plus de 32.000 mots Yagán, la richesse de cette langue est surprenante : tant par son
vocabulaire que par sa grammaire. Lucas E.Briges : "La croyance en des indiens cannibales n'a pas été la seule
erreur de Charles Darwin à propos des fuégiens. En écoutant leurs conversations, la répétition de certaines phrases
l'avait marqué, et il en conclut que leur langue ne devait utiliser qu'une centaine de mots. Nous, qui l'avons parlé
depuis l'enfance, savons bien que cette langue, avec ses propres limites, est infiniment plus riche et expressive que
l'anglais ou l'espagnol. Le 'Dictionnaire Yagán o Yamana-Anglais', écrit par mon père, ne contient pas moins de
trente deux mille mots et inflexions, chiffre qui aurait pu être considérablement augmenté sans s'éloigner de la
langue correcte." Et il ajoute : "Les yagans avaient au moins cinq mots pour le vocable 'neige' ; pour 'plage' encore
plus ; le choix du mot adéquat dépendait de plusieurs facteurs, par exemple la localisation de la plage en question
par rapport à celui qui parle, ou le fait qu'il y ait des terres ou de la mer entre cette plage et lui, ou encore son
orientation. Les mêmes mots changeaient de sens suivant l'endroit d'où on le prononçait ; ainsi, un mot utilisé alors
qu'on était dans un canot ne signifiait pas la même chose que quand la personne était à terre. [ ahshuk, plage de
galets, duan, plage rocailleuse, lahpicun, plage fangeuse, asetan, plage de sable, wahan, plage sur laquelle on peut
tirer les canots au sec, ...]
Pour exprimer les relations de famille, les yagans avaient au moins cinquante mots, chacun précisant une
particularité."
L'usage des verbes était également d'une grande complexité : ata, lever avec les mains, mnikata, lever dans les
bars, kumata, élever un objet avec l'extrémité d'un autre, gaiata, élever un objet avec la pointe d'un autre, mulata,
lever quelque chose avec deux doigts, comme on tient une tasse, ...
Bove, cité par A.Coiazzi : " La langue yagana diffère sensiblement de celle de ses voisins, les alacalufes ou les onas ;
et si les mots de ces derniers ont une prononciation dure, gutturale, avec des mots formés surtout de consonnes,
les mots des yagans sont doux et agréables à entendre, pleins de voyelles. La richesse de leur langue leur donne une
facilité oratoire vraiment surprenante. J'ai vu mille fois dans les huttes, des anciens prendre la parole et continuer
à parler des heures et des heures, sans jamais s'arrêter, sans un seul changement d'intonation, sans le moindre
signe de fatigue chez l'orateur."
Comme pour leur langage, la mythologie des Yamana présente un richesse, une diversité, une fantaisie et une
finesse étonnantes par rapport à leur culture matérielle et artistique si rudimentaire.
Le mythe du phoque : Une jeune fille de Wujyasima quitte ses parents et va seule jusqu'à la plage où elle se met à
jouer, courant derrière les vagues. Un vieux lion de mer, amoureux d'elle, la guette sans qu'elle s'en doute. Il
profite du moment où une grosse vague soulève la jeune fille pour surgir près d'elle. Comme toutes les filles
Yaghan, elle est une nageuse experte et tente de lui échapper. Mais il l'empêche de reprendre pied et la force peu
à peu du côté du large. Épuisée, la jeune fille accepte de poser la main sur son encolure.
Maintenant que sa vie dépend de lui, elle ne tarde pas à ressentir de la sympathie pour son bizarre compagnon. Ils
nagent pendant des kilomètres et finissent par atteindre un grand rocher dans lequel il y a une caverne. La jeune
fille sait qu'elle ne peut rentrer chez elle et décide d'accepter son sort. Le lion de mer lui rapporte beaucoup de
poissons qu'elle mange crus parce qu'il n'ont pas de feu.
Le temps passe et un fils leur naît. Il ressemble à un petit garçon mais il est couvert de poils comme un phoque. Il
grandit vite et devient un compagnon pour sa mère, surtout quand il se met à parler. Le vieux lion de mer ne peut
parler, lui, mais il est si bon que la jeune femme s'attache beaucoup à lui. Elle languit cependant de voir sa famille
et, après s'être confiée au vieux lion, part avec lui et leur fils pour Wujyasima. Parfois la mère et son fils nageaient
aux côtés de leur protecteur, d'autres fois il les poussait rapidement sur les flots, ou les prenait sur son encolure.
Elle y revoit sa parenté qui la tenait pour morte depuis longtemps et grands sont leur surprise et leur intérêt à
l'écoute de son histoire et à la vue de son étrange petit garçon. L'excitation apaisée, les femmes suggèrent d'aller
chercher des moules et des oursins gros comme des pommes et dont les coques dures sont hérissées de piquants.
L'indienne les suit, alors que les hommes et les enfants restent au camp. Les enfants organisent des jeux auquel le
petit garçon-phoque participe bruyamment. Les hommes à la recherche de viande découvrent le lion de mer,
rampent jusqu'à lui et le tuent. Chargés de viande, ils retournent au camp et la mettent à rôtir. Les enfants hument
la délicieuse odeur du rôti et se rassemblent autour du feu. Le petit garçon reçoit sa part de viande comme les
autres. Il la goûte et s'écrie avec délice : -Amma sum undupa ! (C'est du rôti de phoque !)
Tout en mâchant, il court à la rencontre de sa mère à qui il offre la dernière bouchée. En un éclair, elle comprend ce
qui est arrivé. Attrapant un gros oursin, elle le jette à la tête de son fils qui tombe dans l'eau où il se
métamorphose en syuna. Les femmes se régalent du phoque rôti ; seule la femme du vieux lion de mer refuse de
manger, pleurant la perte de son petit garçon et de son vieil époux. Elle ne s'est pas remariée avec un homme de
son groupe.
Si vous regardez bien un syuna, vous verrez que sa tête est plate et pleine de petits trous laissés par les piquants
de l'oursin, ce qui prouve que l'histoire est vraie."
"Comme la plupart des autres peuples, les yagans croyaient que dans le passé les femmes avaient gouverné grâce à
leur magie et à leur astuce. D'après ce qu'ils racontaient, il y avait relativement peu de temps que les hommes
avaient assumé le commandement. Il semble qu'ils y soient parvenus par accord mutuel ; aucun indice ne laisse
supposer de tuerie des femmes comme ce qui était arrivé chez les Onas, si l'on en croie leur mythologie. On voit
encore, non loin de Ushuaia, des restes de ce qui fut une fois un grand peuplement, et où, d'après ce qu'on nous a
dit, eut lieu une assemblée d'indiens comme jamais il n'y en avait eu, ni en aura jamais. Les canots arrivaient de tous
les confins de la terre des yagans. Ce fut lors de cette réunion transcendantale que les hommes décidèrent de
prendre le pouvoir."
Les indigènes ont aujourd'hui disparu pour plusieurs raisons :
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Auto-extermination : Conflits entre Selk´nams et Yamanas/Menekenks.
Maladies : L´homme blanc a apporté la rubéole, la tuberculose...
Diffusion de l´alcool : Le prêtre Canclini a écrit sur les Yamanas, “les indigènes sont morts à cause des
maladies provoquées par l´alcool, la cigarette et autres vices
Massacres militaires : Plusieurs cas ont été enregistrés
Massacres individuels : Durant la conquête de ce territoire par l´homme blanc, les grands propriétaires
payaient une livre sterling par tête d´indigène sous prétexte qu´ils avaient besoin de défendre leur
cheptel. Les chercheurs d´or les tiraient pour le plaisir.

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