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I
hommes & migrations n° 1266
KARIM SARROUB
Racaille
Mercure de France, 2007, 155 p., 14 euros
Sans vouloir médire de Gide, il n’est pas certain que l’on ne
dénonciations (la barbarie de la circoncision, l’islam, les
puisse pas faire de bonne littérature avec de bons sentiments ;
terroristes, le pouvoir algérien, l’antisémitisme,
mais d’évidence on ne fait pas un bon livre en accumulant
la discrimination dont sont victimes les Kabyles en Algérie
des poncifs, même de bon aloi, mâtinés de vérités assenées
ou les “Beurs” en France, le sexisme et autres misères
à la hussarde et de provocations dont il faut souhaiter
sexuelles…) Comme si l’auteur avait été emporté par ce qu’il
que l’auteur n’aura pas à les regretter. C’est l’impression que
avait sur le cœur. Un trop-plein de silences et
laisse Racaille après en avoir fini la lecture.
de souffrances. L’empathie peut jouer, mais le lecteur reste
Ce qui est en cause ici, ce n’est ni l’auteur, qui semble plus
sur sa faim. Quand il n’est pas surpris, voire interloqué.
qu’estimable, ni ses prises de position qui, pour être parfois
Ainsi Karim Sarroub veut sans doute faire son Houellebecq
exagérées, renferment aussi leur part de vérité et de courage
quand il affirme d’entrée : “Je m’appelle Mohamed, j’ai seize
(on pense à Taslima Nasreen, à Mina Ahadi en Allemagne ou
ans […], je déteste les religions surtout l’islam […].” Le ton est
à Chahdortt Djavann en France). Non ! le hic concerne
ainsi donné, mais il n’est pas certain que cette charge sans
d’abord et exclusivement la littérature. On ne croit pas à cette
discernement (c’est du moins l’impression qui se dégage)
histoire, qui voit un certain Mohamed s’échapper de l’asile
fasse mouche. D’autant plus quand le livre apostrophe
d’aliénés dans lequel il est enfermé et, après un passage par
les “intellectuels arabes” pour leur manque de courage quand
Skikda (sa ville), Constantine puis Alger, embarquer
il est question d’islam. Voilà qui fait peu de cas
clandestinement pour la France où l’infortuné retournera à la
des Abdelwahab Meddeb, Maleck Chebel ou Fethi Benslama
case départ. Pourtant, ce Mohamed a une savoureuse idée :
(pour s’en tenir à la France), et des critiques émises au sein
créer une association humanitaire et rapatrier en Algérie
même de l’islam (voir par exemple Ghaleb Bencheikh et
“les Juifs, les harkis et les bons pieds-noirs, sauf un”, dont on
son frère Soheib), ou des perspectives ouvertes par certains
taira ici volontairement l’identité. Cette idée, bien sûr, ne peut
penseurs rationalistes (Mohamed Arkoun ou Youcef Seddik).
que le rendre suspect aux yeux des gardiens de la loi et de la
Reste que sur cette question religieuse, notre Mohamed,
foi.
s’adressant à Moh, ci-devant immigré de Lille, voit juste :
Évidemment, pour Mohamed, c’est l’Algérie qui est devenue
“Vous savez ce que vous êtes, là-bas [en France] ?
folle et, s’il ne s’agit pas de revenir en arrière (que les
La communauté musulmane. L’islam. En France, on vous
nostalgiques de l’Algérie de papa ne piaffent pas), du moins
appelle les musulmans. C’est scandaleux. C’est pire que
serait-il temps de réparer le gâchis. Iconoclaste à souhait,
racaille. Vous nous faites franchement pitié. Si ce n’est pas ça
Mohamed inscrit d’ailleurs sur le monument aux morts érigé
le mépris, mon vieux, faudra me l’expliquer”. Zahia Rahmani
sur les hauteurs d’Alger : “De Gaulle, on t’a bien pourri la vie
laissait entendre la même chose dans Musulman, paru en
et repris l’Algérie de force, n’est-ce pas. Mais, gros malin, si tu
2005 chez Sabine Wespieser.
voyais l’état du pays aujourd’hui…une vraie poubelle. Pour ça,
Voilà qui est sûrement plus pertinent que de céder à cette
chapeau, tu as su te venger et tu continues encore à te
facilité qui consiste à comparer les banlieues aux ex-colonies
venger des décennies après. Tu n’aurais pas pu faire pire, tu
ou de prédire que, demain, les “beurs” reconnaîtront la France
sais…”
pour leur patrie. Ils le savent, et depuis longtemps, a t-on envie
Jusqu’ici l’histoire pourrait fonctionner, mais la démonstration
de rappeler. Ce n’est plus eux qu’il faut convaincre, mais ceux
pêche par l’inconsistance des personnages et l’enfilade des
qui traitent ces “beurs” de “racailles”, avec lesquelles
Mohamed le clandestin ne veut surtout pas être confondu…
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