cannes - Les Économistes Atterrés

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cannes - Les Économistes Atterrés
SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
TOUTE L’ACTUALITÉ DU FESTIVAL
CAHIER CENTRAL
WEEK-END
WWW.LIBERATION.FR
CANNES
WHY NOT PRODUCTIONS
• 2,70 EUROS. DEUXIÈME ÉDITION NO10571
COMMENT
ON A AIMÉ
DESPLECHIN
(ET PAS
WOODY
ALLEN)
UNE AUTRE ÉCONOMIE
EST POSSIBLE
B.B. KING,
LA NOTE BLUES
PAGES 26-29
CHARLIE GILLETT . REDFERNS . GETTY
Les chercheurs hétérodoxes, favorables à plus d’ouverture de leur discipline aux sciences
sociales, dénoncent leur sous-représentation à l’université et la mainmise libérale. PAGES 2-7
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 3,40 €, Andorre 3,40 €, Autriche 3,90 €, Belgique 2,80 €, Canada 6,20 $, Danemark 36 Kr, DOM 3,50 €, Espagne 3,40 €, Etats-Unis 6,00 $, Finlande 3,80 €, Grande-Bretagne 2,80 £, Grèce
3,80 €, Irlande 3,50 €, Israël 27 ILS, Italie 3,40 €, Luxembourg 2,80 €, Maroc 30 Dh, Norvège 36 Kr, Pays-Bas 3,40 €, Portugal (cont.) 3,60 €, Slovénie 3,80 €, Suède 34 Kr, Suisse 4,40 FS, TOM 560 CFP, Tunisie 4,90 DT, Zone CFA 2 900 CFA.
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•
EVENEMENT
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
Sous-représentés à l’université, les économistes
hétérodoxes défendent une ouverture de la discipline
aux sciences sociales et se rebiffent dans un manifeste.
Economistes:
la révolte
«hétéro»
Par VITTORIO DE FILIPPIS
Photos PASCAL COLRAT
C’
est un espoir déçu. Celui
d’une partie des professeurs d’université et
maîtres de conférences
en économie. C’est aussi l’histoire
d’une réforme universitaire empêchée notamment par le Nobel
d’économie Jean Tirole. Réforme
pourtant portée par des centaines
d’enseignants-chercheurs en économie. C’est enfin un manifeste (1)
signé par ces mêmes universitaires,
intitulé A quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose ?
Un livre qui montre comment les
économistes «orthodoxes», ceux
qui estiment que le marché est efficace et que les forces économiques
tendent spontanément vers un
équilibre, ont fini par monopoliser
le discours économique en étouffant la diversité des conceptions
académiques. Et ce au détriment de
leurs confrères dits «hétérodoxes»:
pour résumer à gros traits, ceux qui
fondent leur travail sur l’analyse
des rapports de forces économiques
et sociaux, sans forcément être
néomarxistes.
Cette lutte des places se déroule au
cœur même du système universitaire. Tout commence par un cons-
DIXIT
L’ESSENTIEL
LE CONTEXTE
Les économistes
hétérodoxes s’insurgent
contre la pensée unique qui
règne dans leur discipline.
L’ENJEU
Ouvrir l’économie aux
sciences sociales et au réel.
tat accablant : la part des hétérodoxes dans le recrutement des profs
d’université ne cesse de baisser.
«Sur les 209 professeurs d’économie
recrutés dans les universités entre 2000 et 2011, seuls 22 sont des hétérodoxes. Et sur la période 20052011, on n’en compte que 6, tous courants confondus, sur un total de 120»,
pointe le manifeste. «Pour faire disparaître sans bruit le pluralisme, suffit-il simplement de remplacer la majorité des professeurs hétérodoxes qui
partent à la retraite par de jeunes collègues orthodoxes ?» questionnent
les auteurs.
Il ne s’agit pas d’une simple bisbille
opposant les libéraux conquérants,
fans de Milton Friedman, à des néokeynésiens atterrés. L’affaire est sé-
rieuse puisqu’elle touche une discipline omniprésente, dont personne
ne peut se soustraire tant elle imprègne la vie de tout un chacun.
Une science économique censée
servir le bien commun, aider à
comprendre et soigner les maux de
la société, les inégalités sociales, la
progression de la pauvreté dans les
pays prétendument riches, la dégradation de l’environnement, la
gratuité…
DROIT DE CITÉ. A l’université, cette
question de la domination d’un
courant sur un autre est d’autant
plus importante que les profs ne
sont pas là seulement pour transmettre un savoir aux étudiants. «Ils
sont également nécessaires au renouvellement des générations d’enseignants-chercheurs. Ce sont eux qui
dirigent les masters et les équipes de
recherche, encadrent les thèses, président les comités scientifiques des revues et des colloques et, enfin, recrutent leurs collègues. Sans professeur,
pas de master de recherche, pas de
doctorant, ni a fortiori de futur enseignant-chercheur», estime le manifeste. Alors, forcément, si les professeurs d’économie qui remettent
en question l’efficacité des marchés
financiers, qui refusent de s’aligner
sur l’utilitarisme supposé de
«Il y a une lutte des classes, évidemment,
mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène
la lutte. Et nous sommes en train de gagner.»
L’investisseur Warren Buffett l’un des hommes les plus riches
du monde avec une fortune estimée à 72 milliards de dollars en 2015.
Il plaide régulièrement pour que les riches payent plus d’impôts, moins
par mauvaise conscience que pour préserver l’économie de marché
L’orthodoxe.
LA TOUTE-PUISSANCE DES REVUES
«Pour juger de l’excellence d’un économiste, il suffit d’observer dans quelle
revue un économiste universitaire a publié ses travaux de recherche»,
dénoncent les signataires du manifeste. Et d’ajouter: «S’il a publié dans des
revues prétendument excellentes, il est excellent. Dans des moyennes, il est
moyen.» Alors, quand ces économistes publient dans des revues en bas du
système de classement pris en compte par le Conseil national des
universités pour devenir professeur des universités, ils sont médiocres.
Pour le moins simpliste. «Et c’est la raison pour laquelle le classement des
revues est devenu l’instrument central dans toutes les instances de
recrutement», dénonce le manifeste. Pas étonnant qu’on se bouscule aux
portillons des American Economic Review, Quarterly Journal of
Economics, Review of Monetary Economics ou du Journal Economic of
Poverty… Ces quatre-là exigent de la plupart des auteurs qu’ils citent des
articles déjà parus dans leur revue. Dans quel but? Faire tourner le RePec,
un logiciel qui répertorie le nombre de fois où une revue est citée en
bibliographie. Plus ce compteur tourne et plus ces revues déjà dominantes
restent au top du classement mondial. Cherchez l’erreur. V.D.F.
«Les pensées
de la classe dominante
sont aussi, à toutes les
époques, les pensées
dominantes.»
«Le capitalisme est cette
croyance stupéfiante
que les pires des hommes
feront les pires choses
pour le plus grand bien
de tout le monde.»
Karl Marx
John Maynard Keynes
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LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
L’hétérodoxe.
l’Homo œconomicus et qui rejettent l’économiste quantificateur
n’ont plus droit de cité, c’est tout
une partie de la recherche qui se
meurt. Avec, en prime, une pensée
unique qui règne sur le plan académique et s’impose aux politiques
économiques.
«UNE RAZZIA». Comment en est-on
arrivé là? Pour s’y retrouver, il faut
regarder le système de recrutement
des professeurs des universités. En
France, deux voies principales permettent de devenir professeur des
universités. La première, sur le
point de disparaître, fut longtemps
dominée par l’agrégation du supérieur. «Cette voie porte une grande
responsabilité dans la marginalisation des hétérodoxes. Car les jurys de
concours de l’agrégation en économie
étaient majoritairement tenus par des
économistes orthodoxes, souligne
Pierre Salama professeur émérite
d’économie. Ces économistes ont fait
une razzia. Leur composition sociale
s’est reproduite rapidement. Plus ils
étaient majoritaires dans les jurys,
moins ils jugeaient aptes les hétérodoxes à devenir professeurs.»
La seconde, qui devrait devenir la
norme, passe par le Conseil national
des universités (CNU). Certes, grâce
à cette voie, les universités peuvent
choisir les candidats (c’est la norme
à l’étranger). Mais, conformément
à la tradition jacobine, ils doivent
«L’histoire est sans appel: il n’y a à ce jour aucun
moyen, pour améliorer la situation de l’homme de la
rue, qui arrive à la cheville des activités productives
libérées par un système de libre entreprise.»
L’Américain Milton Friedman Nobel en 1976, considéré comme
l’un des économistes les plus influents du XXe siècle, il s’est opposé
de front à Keynes et a inauguré la pensée économique libérale moderne
d’abord recevoir une «qualification» du CNU. Et, là encore, siège
une large majorité d’économistes
orthodoxes. Ce conseil national est
divisé en 77 sections selon les disciplines enseignées dans les universités. Contrairement à la physique, à
la biologie ou au droit, les sciences
économiques n’occupent pour
l’instant qu’une section : la section 05 qui confère (ou non) le sésame de la qualification.
C’est dans ce climat que les économistes hétérodoxes ont demandé,
à titre expérimental, la création
d’une nouvelle section intitulée
«Economie et société». Son ambition? Favoriser une hybridation de
l’économie avec les autres sciences
sociales (anthropologie, droit, histoire, sociologie, sciences politiques…). Montrer qu’on ne peut pas
penser l’économie avec des équations et des modèles mathématiques indépendamment des autres
sciences humaines. Arrêter de faire
croire que la science des chiffres et
graphiques est le seul moule explicatif dans lequel doit se dissoudre
toute complexité sociale.
PLAISANTINS. Ces hétérodoxes reprennent volontiers à leur compte
la question du partage de la richesse. L’interrogation «Qui regarde le gâteau et qui tient le couteau ?» est au centre de leur
économie politique. Les orthodoxes
affirment, eux, que l’économie est
une science dure et regardent souvent les hétérodoxes comme
d’aimables plaisantins. Les hétérodoxes répondent dans leur manifeste : «L’économie est une science
sociale, une science morale […]. En
outrepassant son domaine initial, en
s’imposant comme la science universelle des choix humains rationnels,
l’économie dominante s’est emparée
de nouveaux terrains, jusqu’à étendre
son modèle d’Homo œconomicus aux
domaines des autres sciences sociales
(mariage, criminalité…)».
Ce discours, cette absence de pluralisme, Geneviève Fioraso l’a entendu en son temps, lorsqu’elle
était encore secrétaire d’Etat chargée de l’Enseignement supérieur et
de la Recherche. A tel point qu’en
décembre, le ministère annonce la
création d’une nouvelle section
nommée «Institutions, économie,
territoire et société». Rendez-vous
est pris pour la mi-janvier. Cette
fois les hétérodoxes imaginent que
la bataille est gagnée. Ils vont déchanter… Le 13 janvier, Geneviève
Fioraso fait marche arrière. La raison? Un tir de barrage d’une force
incroyable. Plusieurs présidents
d’université, notamment ceux de
Paris-Dauphine, d’Aix-Marseille ou
encore de Toulouse-Capitole, se
fendent d’une lettre auprès de la secrétaire d’Etat qui lui demande de
«surseoir à la création d’une nouvelle
section du CNU». S’ajoute à ça une
missive allant dans le même sens
envoyée à Fioraso par Jean Tirole,
tout juste auréolé de son Nobel.
Contacté par Libération, ce dernier
«ne souhaite pas commenter ce sujet». Silence radio aussi du côté de
la ministre de l’Education nationale, qui vient de récupérer l’Enseignement supérieur. Il faut dire que
Najat Vallaud-Belkacem a déjà fort
à faire pour défendre sa réforme du
collège. •
(1) «A quoi servent les économistes s’ils
disent tous la même chose? Manifeste
pour une économie pluraliste»,
éd. Les Liens qui libèrent, 112pp., 10€.
«Ce qui pèse le plus lourdement sur les conditions
d’existence de la population, les politiques
économiques, nous ne pouvons plus le discuter:
les réponses sont déjà toutes écrites et enfermées
dans d’inaccessibles traités.»
Frédéric Lordon économiste atterré
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ÉDITORIAL
Par LAURENT JOFFRIN
Partis pris
«Always wrong, never
in doubt.» Ils ont toujours tort
mais ils ne doutent jamais…
Il y a beaucoup de vrai
dans cette devise burlesque
attribuée aux économistes
par quelques mauvais esprits
anglo-saxons.
Un seul exemple :
les économistes orthodoxes,
avec une assurance d’acier,
ont préconisé pour l’Europe
une cure d’austérité
budgétaire sévère doublée
d’une politique monétaire
étroitement restrictive.
Quelques commentateurs
de bon sens leur ont fait
remarquer que cette
conjonction rigoriste
risquait d’aggraver le mal
en prolongeant outre mesure
la récession provoquée
par la crise de 2008. Ils ont
été traités d’idéologues ou
de démagogues. Sept ans plus
tard, l’Europe a connu l’une
des périodes de stagnation les
plus longues de son histoire.
Et si son économie se relève
lentement, c’est parce
que la Banque centrale
et les gouvernements ont jeté
par-dessus les moulins
les prescriptions
de leurs économistes.
«Always wrong…» La
sophistication croissante des
modèles macroéconomiques
a donné aux économistes
du courant dominant
un sentiment d’impunité
arrogante. Alors que dans
cette science, par définition
inexacte – comment mettre
la réalité des sociétés
en équations certaines ? –,
les chiffres cachent le plus
souvent des partis pris
idéologiques. Il n’y a
d’économie que politique.
A droite comme à gauche,
l’erreur se mêle sans cesse
à la vérité. Certes, il y a des
lois économiques : le marché
n’est pas infaillible, mais on
se trompe si l’on croit pouvoir
s’en affranchir ; l’orthodoxie
financière est paralysante
mais la politique du déficit
permanent ne mène à rien,
sinon à une austérité plus
grande. Elles s’appliquent aux
hommes et non aux choses.
Elles sont donc fragiles
et avant tout politiques.
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LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
EVENEMENT
L’ENSEIGNEMENT DOIT ÊTRE REPENSÉ
André Orléan, chercheur au CNRS, dénonce
l’hégémonie des théories néoclassiques:
D
dront à leur compte le «il n’y a
pas d’alternative» de Margaret
Thatcher, la démocratie ne sera
plus alors que de façade. Cela dit,
il n’en est pas moins vrai que, la
gauche, par le passé, se distinguait de la droite par sa volonté
de faire advenir de nouveaux
rapports économiques en rupture avec le
salariat et le marché. Or, il est bien clair
que de telles ruptures appellent des pensées
économiques alternatives, aptes à imaginer
d’autres mécanismes sociaux que les seuls
marchés. Pour cette raison, l’Afep [Association française d’économie politique, ndlr]
pensait trouver en la personne de Geneviève Fioraso, secrétaire d’Etat chargée de
l’Enseignement supérieur d’un gouvernement de gauche, une personnalité ouverte
à ses propositions. Il n’en a rien été et cela
pose question.
Que dites-vous aux présidents des universités Paris-Dauphine, Toulouse-Capitole et
Aix-Marseille, qui pensent qu’il n’y a pas
d’un côté des orthodoxes et de l’autre des
hétérodoxes?
Qu’ils posent très mal le problème! Ce qui
est aujourd’hui en cause est le fait incontestable qu’un certain nombre d’approches
théoriques se trouvent de facto exclues de
l’université et du CNRS. Il en est ainsi
parce que les méthodes d’évaluation imposées par l’orthodoxie reposent sur un
classement des revues qui met en haut du
hit-parade les seules revues néoclassiques.
Quelle impartialité ! Que certains travaux
d’économistes hétérodoxes puissent être
publiés dans ces revues ne contredit en
rien le fait que l’extrême majorité des travaux hors du courant dominant y sont refusés. Par exemple, deux économistes
aussi incontestables que Michel Aglietta et
Robert Boyer, les pères fondateurs de la
théorie de la régulation, n’ont jamais publié – ou presque – dans ce qu’on nomme
le «top five», c’est-à-dire les soi-disant
cinq meilleures revues, toutes de langue
anglaise. Aujourd’hui, ils ne pourraient pas
devenir professeurs. Doit-on considérer
que c’est là une méthode objective d’évaluation? Surtout si on songe aux 60 publications de Jean Tirole dans ces cinq revues.
Ces présidents d’université
pensent-ils pouvoir nous convaincre que ces différences
n’ont rien à voir avec les orientations théoriques ? Soyons
sérieux !
Diriez-vous, comme le Nobel
d’économie Ronald Coase, que
«la science économique usurpe le terme de
science»?
Absolument. L’économie n’est pas une
science. Contrairement aux particules élémentaires de la physique, les individus
suivent des comportements variables, qui
dépendent étroitement des contextes institutionnels et des croyances collectives.
Cela ne signifie pas qu’on peut y dire n’importe quoi, mais que les enseignements du
passé doivent être utilisés avec circonspection. Leur transposition à la situation contemporaine ne peut se faire qu’avec une
extrême prudence, en tenant compte de
l’évolution des structures sociales et
cognitives.
Pourquoi les pouvoirs publics devraient-ils
intervenir dans les querelles entre chapelles
universitaires?
Les pouvoirs publics n’ont pas à intervenir
dans les controverses scientifiques. Cependant, ils sont les garants du bon fonctionnement de l’université et ce sont eux qui
ont voulu la création d’un organisme centralisé, le Conseil national des universités,
qui juge ceux qui sont dignes d’y entrer et
d’y faire carrière. Du fait de cette organisation institutionnelle, notre projet d’un
nouvel espace d’enseignement et de recherche, nommé «Economie et société»,
ne peut voir le jour sans que l’Etat donne
son aval. Dans d’autres pays, ce sont les
universités elles-mêmes qui déterminent
quels enseignants elles souhaitent recruter. Rappelons pour conclure que notre
proposition ne met nullement en cause la
légitimité des approches néoclassiques, qui
continueront de faire valoir leur excellence. Nous demandons simplement que
soit reconnue la légitimité d’autres visions.
Il ne s’agit pas de contraindre qui que ce
soit, mais bien au contraire d’étendre les
libertés académiques.
«L’économie est la cendre
dont notre temps couvre
son triste visage.»
«La science économique
est d’une extrême utilité
parce qu’elle fournit des
emplois aux économistes.»
«Un grand économiste, c’est
quelqu’un qui saura bien vous
expliquer demain pourquoi
ce qu’il a prévu hier ne
s’est pas produit aujourd’hui.»
Bernard Maris assassiné le 7 janvier lors
de la tuerie de Charlie Hebdo, dans son
dernier essai, Houellebecq économiste
(Flammarion, 2014)
CNRS
irecteur de recherche au CNRS et
d’études à l’Ecole des hautes études
en sciences sociales (EHESS), André
Orléan est corédacteur du manifeste pour
une économie plurielle A quoi servent les
économistes s’ils disent tous la même chose?
Vous êtes un économiste hétérodoxe.
Qu’est-ce qui vous différencie d’un orthodoxe qui, selon vous, serait en position de
monopole, tant dans les universités que dans
la conduite des politiques économiques?
L’idée d’orthodoxie trouve son origine
dans l’œuvre de Keynes. Il nomme orthodoxes ceux qui croient à l’autorégulation
concurrentielle des économies de marché.
Il les oppose aux hérétiques, parmi lesquels lui-même se classe. Alors que les
orthodoxes attribuent la cause du chômage
de masse à des salaires trop élevés, Keynes
y voit principalement la conséquence
d’une demande défaillante. Aujourd’hui,
cet affrontement entre orthodoxes et hétérodoxes se retrouve pour l’essentiel autour
des mêmes oppositions conceptuelles, si
ce n’est que les théories en présence ont
gagné en sophistication et que la dominante, dite «néoclassique», est devenue
de plus en plus dominante. En s’arrogeant
le monopole de la vraie science, elle
s’autorise à rejeter toutes les approches
concurrentes, qualifiées de «non scientifiques». On le voit clairement en France,
pays qui traditionnellement accueillait une
grande diversité de points de vue et de
démarches, comme par exemple le
marxisme, la théorie de la régulation,
l’économie des conventions, l’approche
dite post-keynésienne et l’histoire de la
pensée économique.
Comment expliquez-vous qu’un gouvernement de gauche fasse la sourde oreille et
qu’il finisse même par céder aux pressions
d’économistes libéraux?
Notre débat n’est pas un affrontement
gauche contre droite. La défense du pluralisme en économie est un impératif démocratique qui devrait transcender les clivages
partisans. Il s’agit essentiellement de faire
en sorte que le peuple souverain puisse
choisir d’une manière informée, en disposant d’analyses plurielles. Le jour où les
économistes seront unanimes et repren-
Le keynésien de gauche John Kenneth
Galbraith qui a publié juste avant sa mort,
en 2006, Economie hétérodoxe (Seuil)
Recueilli par V.D.F.
Jacques Attali avec un sens
certain de l’autodérision
PASCAL COLRAT
«Le pluralisme
en économie est un
impératif démocratique»
«Un économiste est quelqu’un
qui voit fonctionner les choses
en pratique et se demande si elles
pourraient fonctionner en théorie.»
L’économiste américain Stephen M. Goldfeld
professeur à Princeton et ancien conseiller
de l’administration Carter
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
EVENEMENT
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UNE RÉFORME N’EST PAS NÉCESSAIRE
Pour Antoine d’Autume, professeur
à Paris-I, l’économie est indivisible:
«Ces deux étiquettes
n’ont plus de sens»
A
«Si d’ordinaire on ne distingue pas capitalisme
et économie de marché, c’est que l’un et l’autre
ont progressé du même pas, du Moyen Age
à nos jours, et que l’on a souvent représenté
le capitalisme comme le moteur de
l’épanouissement du progrès économique.»
L’historien Fernand Braudel auteur de la Dynamique du capitalisme
très bien le qualifier
d’hétérodoxe! Toutes ces
étiquettes n’ont plus de
sens dans une discipline
devenue beaucoup moins
monolithique.
Les hétérodoxes soutiennent qu’une majorité des
nominations de professeurs concernent des économistes du courant dominant et que ceux issus des courants minoritaires n’ont que les
miettes…
Je ne crois pas à cette classification.
Beaucoup d’économistes étiquetés
comme orthodoxes par l’Association française d’économie politique
[Afep, ndlr] mènent en réalité des
travaux très variés, dont certains
sont très éloignés de la théorie néoclassique traditionnelle. Les comptages effectués par l’Afep sont très
contestables. A quoi reconnaît-on
un hétérodoxe ? Je note que le dernier comptage de l’Afep n’emploie
pas le terme et oppose économistes
mainstream et économistes pluralistes, en suggérant de manière scandaleuse que ceux de la première catégorie ne sont pas hétérodoxes.
N’y a-t-il pas un primat accordé au
marché et à la théorie néoclassique,
dont se plaignent de plus en plus les
étudiants?
Il est vrai que l’enseignement de
l’économie reste centré sur l’étude
du marché, mais il est difficile de
faire autrement si nous voulons
parler du monde dans lequel nous
vivons. Il est aussi vrai que les livres
de microéconomie racontent qu’un
système de marché a beaucoup de
vertus et constitue un mode de production efficace. Mais ces manuels
expliquent aussi qu’il ne résout pas
tous les problèmes et l’étude des
échecs du marché constitue le second versant de l’analyse microéconomique. Le marché peut conduire à des situations de monopole
dommageables pour l’économie. Il
ne permet pas une production suffisante de biens et de services publics. Il se préoccupe d’efficacité
mais pas de justice et doit donc être
complété par des politiques publiques redistributives. Tous les économistes ne sont pas des libéraux,
loin de là. Ils sont plutôt des sociaux-libéraux
croyant qu’on ne peut
pas se passer du marché,
mais qu’il doit être complété et amendé.
Vous dites également que
les critères de validation
de la recherche ont changé. Dans
quel sens?
L’exigence de publication dans des
revues scientifiques, où les articles
soumis sont évalués par des pairs,
est incontestable et joue un rôle
dans les recrutements et promotions. Certaines revues sont plus cotées, et on ne peut être recruté
comme enseignant chercheur en
économie sans un ensemble de publications reconnues sur le plan international. La variété des revues est
grande et il n’est pas possible de
soutenir, comme le fait l’Afep, que
des recherches hétérodoxes n’y
trouvent pas de place. Même les
tenants des théories keynésiennes
les plus simplistes –à mon avis!– le
peuvent. Mais cette nécessité de publier ne signifie pas que les instances de recrutement doivent être des
esclaves de la bibliométrie.
Pourquoi refuser la création d’une
nouvelle section «Economie et société» plus ouverte à l’influence des
sciences sociales ? Les vertus de la
concurrence ne sont-elles pas au
fondement de votre discipline?
Acter cette division de notre discipline en deux écoles de pensée hermétiquement séparées ne ferait
qu’affaiblir la recherche et l’enseignement de l’économie. Ce serait
d’autant plus inutile que la pluralité
des approches existe déjà. La procédure de recrutement lancée à titre
expérimental et qui permet de se
passer de l’agrégation pour devenir
professeur a permis d’élargir les
profils, ce qui est bien la preuve que
l’on n’a pas besoin de créer une
nouvelle section. Le débat s’était
déjà posé il y a trente ans, je m’y
étais opposé à l’époque avec les
mêmes arguments qu’aujourd’hui.
L’économie est un tout complexe et
varié, mais elle reste une seule et
même discipline.
«Le rôle de la science
économique est de rendre
les pauvres plus riches,
pas de rendre les riches
plus riches.»
«Si je devais
revivre, je ferais
de la psycho.»
«Le libéralisme,
c’est l’extension
du domaine de la lutte»
Confession d’Alfred Marshall
l’un des pères fondateurs de l’école
néoclassique, courant de pensée
dominant actuellement
Michel Houellebecq
dans Extension du domaine
de la lutte, le livre qui l’a fait
connaître en 1994
Gary Becker Nobel d’économie
100% libéral, à Libé, le 22 mars 2005
DR
ntoine d’Autume est professeur à l’université Paris-I et
à l’Ecole d’économie de Paris
(PSE). Il se définit comme un généraliste de l’économie, «par goût et
pratique», et juge «très exagérées»
les critiques des hétérodoxes.
Comment vous situez-vous dans
le débat actuel?
L’accusation de manque de pluralisme me semble injustifiée et les
chiffres avancés pour la soutenir
sont très exagérés. La manière de
faire de la recherche en économie a
énormément changé ces dernières
décennies. Il y a trente ans, un premier virage avait été pris vers plus
de théorie et de modélisation, ce qui
était nécessaire pour professionnaliser notre discipline. Mais elle a continué à évoluer. Depuis une dizaine
d’années, la recherche est devenue
beaucoup plus empirique et a élargi
son champ bien au-delà de l’étude
des marchés ou des grands agrégats
macroéconomiques, comme le PIB
ou le taux de chômage. Les études
de terrain sont beaucoup plus nombreuses et la discipline s’est éloignée
du modèle unique de l’Homo œconomicus traditionnel, forcément rationnel et vierge de toute influence
extérieure dans sa manière de prendre ses décisions.
Vous avez des exemples de cette
ouverture?
Le développement le plus frappant
est celui de l’économie comportementale et même expérimentale. Il
a montré que, dans bien des cas, les
agents économiques n’agissent pas
de manière égoïste et non coopérative, et que leurs comportements
sont largement influencés par leurs
systèmes de valeurs, leur environnement et leurs trajectoires personnelles. Certains chercheurs à l’Ecole
d’économie de Paris (PSE) ou à celle
de Toulouse (TSE), qui sont les deux
principaux centres de la recherche
économique en France, travaillent
sur des sujets se situant à la limite
de l’économie et c’est très bien
comme ça. Le Prix Nobel d’économie Jean Tirole, grand spécialiste
des incitations financières, explore
aussi des approches bien plus larges
des comportements et on pourrait
Recueilli par CHRISTOPHE ALIX
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LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
EVENEMENT
A la fac, une révolte en sourdine
Les étudiants en économie sont unanimes pour dénoncer le manque de pluralisme dans l’enseignement
de la matière, jugé «passéiste». Mais bien souvent, leurs carrières priment sur leurs revendications.
«Le retard des sciences économiques
et sociales sur les sciences de la
matière est l’une des causes
des malheurs actuels de l’humanité.
La technique emporte l’homme vers
des horizons imprévus.»
Jean Joseph Hubert Fourastié (1907-1990)
PASCAL COLRAT
C
hez les économistes en herbe, encore vu d’étudiants lever la main pour
il y a d’un côté les cours de dire “On adore notre enseignement de
«micro», de l’autre ceux de l’économie”, alors on continue notre
«macro». Des modélisations matheu- combat», explique le thésard.
ses à plusieurs inconnues, de la statis- Une lutte d’autant plus importante que
tique, et une théorie néoclassique (en ces dernières années, les professeurs
gros, le marché se régule par lui- hétérodoxes, enseignant leur matière
même) dominante. Pas ou très peu de à partir de courants différant des théosciences sociales, d’histoire de la pen- ries néoclassiques, sont en voie de
sée économique, d’ouverture sur les disparition. Entre 2005 et 2011, sur
courants minoritaires. Une vision or- 120 nominations de professeurs d’écothodoxe de l’économie qui a poussé nomie, seuls six appartenaient à des
Robin, en troisième année de licence, courants minoritaires. Sur les bancs
à regretter ce que beauuniversitaires, ce vercoup d’étudiants considèREPORTAGE rouillage dérange. «Les
rent pourtant comme deux
discours des professeurs tiannées de calvaire: la prépa. «L’écono- tulaires sont souvent homogènes et cormie y était enseignée d’une manière bien respondent à des articles lus dans telle ou
plus intéressante qu’elle ne l’est à la fac. telle revue de référence, affirme
Le côté plus littéraire nous permettait de Guillaume, en fin de master 2 Econodévelopper une vraie réflexion, assure mie monétaire et financière, à Daul’étudiant, assis dans un coin de l’am- phine. Or la manière dont on va penser
phithéâtre 5C de l’université Paris-Di- l’économie à la sortie de l’école dépend
derot. A la fac, on ne nous enseigne qua- largement du cursus qu’on a suivi, de ce
siment que les théories classiques, qui y a été raconté.»
parfois sous la forme d’hypothèses un Carrière. L’hétérodoxie gagne en repeu étonnantes.»
vanche du terrain chez les étudiants.
Ce ras-le-bol semble partagé par un «J’ai fait de nombreuses salles de cours
grand nombre d’étudiants, quelle que pour défendre le pluralisme et je n’ai jasoit la faculté. Même derrière les portes mais rencontré d’élèves s’y opposant»,
de Dauphine, présentée – souvent de assure Arthur Jatteau. «L’enseignement
manière caricaturale– comme le tem- actuel de l’économie est passéiste. Il faut
ple du libéralisme estudiantin parisien. s’ouvrir aux nouveaux courants de pen«Je suis parti de cette fac, j’ai tout sim- sée, même si on n’est pas d’accord avec
plement arrêté l’économie parce qu’il y a eux», ajoute Marc, étudiant en masune sorte de mensonge dans l’enseigne- ter 1 à l’Institut d’études européennes
ment de cette matière, soutient Isaac, de l’université Paris-VIII.
ancien «dauphinois» en licence scien- Ces revendications n’empêchent pas
ces de la société, désormais sur les les étudiants de s’inquiéter des consébancs de Sciences-Po. On nous répète quences que pourraient avoir leurs
par exemple que le prix est égal au coût convictions sur leur carrière. «Pour
marginal. C’est une des équations de base moi, c’est trop tard, je suis déjà grillé»,
en économie, mais elle n’est pas tout le sourit Arthur Jatteau. Face à lui, Lautemps exacte, même les économistes le rène, en master 1 d’économie à Parissavent! Les modèles théoriques, mathé- XIII, n’est pas aussi sereine. «Je me suis
matiques, sont utiles, mais il faudrait googlisée, et heureusement, mon adhéaussi étudier les forces politiques et socia- sion à Peps-Economie n’apparaît que sur
les qui font que le modèle ne s’applique la quatrième page de recherche.» La
pas toujours bien à la réalité.»
jeune fille craint pour sa future thèse.
Pluralisme. Le social, la politique, Quand on ne pense pas comme la mal’histoire sont les parents pauvres des jorité des titulaires orthodoxes, trouver
cursus d’économie. Dans les amphis un directeur de thèse et conquérir le
français, ce qu’on appelle les «ensei- jury peut s’avérer plus compliqué. «Le
gnements réflexifs» ne représentent simple fait que l’on puisse le penser, ça
que 2,2% des formations économi- révèle toute l’ampleur du problème,
ques, selon une étude menée en 2013 poursuit l’étudiante. Le triptyque mipar le collectif Peps-Economie. C’est cro-macro-maths nous déprécie intellecce manque de pluralisme et d’interdis- tuellement. Nous voulons changer les
ciplinarité qui a poussé Arthur Jatteau choses.» Pour que l’enseignement de
à fonder ce groupe étudiant en 2010. l’économie ressemble davantage à un
Aujourd’hui, le combat n’a pas avancé. kaléidoscope… qu’à une démonstra«On aurait bien aimé ne plus avoir les tion en trois parties blindée de chiffres
mêmes revendications qu’il y a qua- et de graphiques.
tre ans, mais rien n’a changé. On n’a pas
MORGANE LE CAM
«Un économiste peut
commettre deux erreurs,
la première consiste à ne pas
calculer et la seconde à croire
en ce qu’il a calculé.»
«L’économie pure se révèle être une para science aussi
éloignée de la science sociale que la parapsychologie
l’est de la psychologie. Comme les autres para sciences,
elle peut prouver tout et son contraire: dis-moi ce que
tu veux, et je te fabriquerai le modèle qui le justifie.»
Michal Kalecki (1899-1970) économiste
polonais de formation keynésienne
Samir Amin, économiste franco-égyptien
fondateur du Forum du Tiers-monde
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
REUTERS
auréat 2014 du prix Nobel d’économie, Jean Tirole, 61 ans, a pu
incarner jusqu’à la caricature une
excellence académique recluse dans sa
tour d’ivoire. Réputé pour sa discrétion,
très apprécié de ses étudiants thésards
dont il suit avec une «méticulosité rare»,
dixit l’un d’eux, l’avancée des travaux,
ce polytechnicien a changé de statut en
accédant au graal de sa discipline. Alors
que sa carrière, résumée dans un CV de
24 pages, s’est longtemps déroulée à
l’écart des médias, ce «polar» est désormais l’objet de nombreuses sollicitations qui l’amènent à intervenir dans le
débat public, comme récemment sur la
réforme du marché du travail. Estampillé orthodoxe par le camp d’en face,
ce féru de mathématiques peu tourné
vers l’analyse empirique a étonné en
écrivant qu’une séparation de l’économie en deux écoles favoriserait le «relativisme des connaissances, antichambre
de l’obscurantisme». S’il reconnaît être
«un théoricien pur et dur», il n’en revendique pas moins une certaine ouverture
vers les sciences sociales au sein de
l’Ecole d’économie de Toulouse qu’il
dirige. C.Al.
•
7
Frédéric Lordon poète
contre les équations
E
LAURENT HAZGUI. DIVERGENCE
Jean Tirole top modèle
des théoriciens
L
EVENEMENT
mpêcheur de ronronner à gauche,
économiste «atterré», Frédéric
Lordon est chargé de recherche au
CNRS. Il a suivi les cours de Robert
Boyer, chef de file de l’école française
de la régulation, inspirée du marxisme.
Bourdieusien, il combat ces économistes qui voudraient faire de leur discipline une science autonome, une sorte
de physique du monde économique. Si
l’économiste mainstream croit à la parfaite rationalité des agents économiques, Lordon pense au contraire que
leur comportement est toujours façonné par le cadre des structures et des
institutions dans lesquels ils évoluent.
Dans ses livres et sur son blog, il ne
cesse de réinterroger le fonctionnement
du capitalisme et son avatar, le néolibéralisme. Jusqu’à en esquisser une critique spinoziste. Il a recours au théâtre,
utilise l’alexandrin pour décortiquer
l’avidité des banquiers ou l’aveuglement des politiques qui ont rendu possible la crise des subprimes… Ce qu’il
déteste plus que tout? Les pseudo-vérités assénées par ceux qu’il appelle «les
économistes à gage», ne pas prendre le
temps d’expliquer la complexité. V.D.F.
Les deux économistes déplorent l’un et l’autre le conservatisme à l’œuvre dans leur discipline.
Patrick Artus regrette une «dérive technique»,
Thomas Piketty invoque l’interdisciplinarité
I
ls se sont largement tenus à l’écart d’une
querelle de «frontières» qu’ils considèrent
en partie «artificielle» et «stérile» et lié à
«des enjeux de recrutements universitaires» qui
les dépassent et ne les concernent pas. Mais
malgré leurs profils très opposés, le spécialiste mondial des inégalités sociales Thomas
Piketty, classé à gauche, et l’économiste de
banque proche des milieux d’affaires Patrick
Artus, chef économiste de la banque Natixis
et par ailleurs enseignant à l’université Panthéon-Sorbonne Paris-I, se retrouvent pour
dénoncer, chacun à leur manière, un conservatisme académique en économie qui leur
paraît totalement dépassé.
Absconce. Le premier, qui se définit avant
tout comme un chercheur en sciences sociales sans «identité» économique –et dont les
travaux sont appuyés sur de colossales séries
empiriques de données qu’il a lui-même
constitué –, juge qu’il faudrait créer une
grande section des sciences sociales dans laquelle l’économie serait incluse. «Cela réglerait le problème une fois pour toutes, dit-il, mais
à dépasser le débat sur la prétention des «orthodoxes» à se dire plus «scientifiques» que
des économistes issus d’autres courants
moins tournés vers la modélisation mathématique. Cet économiste, qui multiplie les références littéraires dans son best-seller le Capital au XXIe siècle en citant Balzac ou
Jane Austen, juge par ailleurs «ab«99% des articles publiés prennent
surde» le fait de «spécialiser les étu25 pages pour prouver à coups
diants en économie dès la première and’équations des hypothèses qui se
née à l’université».
vérifient de manière intuitive.»
«Fulgurantes». Patrick Artus, pour
sa part, juge qu’il serait «dommage sur
Patrick Artus
le fond» de couper l’économie en deux
mathématique et abstraite –pour ne pas dire tendances, l’une «mainstream et formelle jusabsconse – de cette discipline, Thomas Pi- qu’à l’extrême», et l’autre «alternative». Mais
ketty qui a enseigné plusieurs années au MIT ce polytechnicien déplore surtout «la dérive
de Boston se félicite de la collaboration qu’il technique» de sa discipline. «99% des articles
va entamer avec la prestigieuse London publiés dans les grandes revues internationales
School of Economics (LSE). «Nous avons une prennent 25 pages pour prouver à coups d’équachance unique de créer à la LSE un dynamique tions mathématiques des hypothèses qui se véricentre interdisciplinaire qui nous permettra de fient de manière intuitive, quelle perte de temps
mieux comprendre les causes et les conséquen- et d’énergie ! Lorsque vous avez lu l’introducces de l’inégalité», explique-t-il, en appelant tion, vous savez à coup sûr quelle sera la conclu-
sion.» Au-delà de l’exigence d’interdisciplinarité qu’il partage, Artus, qui a publié de
nombreux ouvrages de vulgarisation dont le
dernier consacré au retour d’une Croissance
zéro, s’inquiète que nombre d’économistes
qui connaissent des carrières académiques
«fulgurantes» peuvent y parvenir sans avoir
contribué au moindre débat de politique économique. «Les élites universitaires n’ont généralement aucune idée sur comment mener une
politique publique, alors qu’ils devraient être en
mesure de peser sur le débat public.» Une
forme de démission des clercs qui l’inquiète
pour l’avenir. «Qui va vouloir enseigner l’économie dans dix ans si l’on maintient ce cadre
académique formel dominé par les AngloSaxons?» Et de citer le «testament» d’Olivier
Blanchard, chef économiste du FMI qui vient
d’annoncer son départ de l’institution, lequel
s’inquiétait récemment «qu’aucun de nos instruments actuels ne permettent de prédire ce que
l’on voit». L’économie ou l’ivresse aveugle de
la théorie ?
«Les économistes sont
présentement au volant
de notre société,
alors qu’ils devraient être
sur la banquette arrière.»
«Il serait un mauvais
économiste celui qui ne serait
qu’économiste.»
«Admettre comme des vérités
absolues les propositions
des économistes, c’est passer de
l’économie […] à l’économisme,
intégrisme aussi ravageur
que les intégrismes religieux.»
John Maynard Keynes
la meilleure réponse à ce débat parfois vain, c’est
de montrer par la pratique que faire des sciences
sociales en ayant recours à l’histoire ou à la sociologie peut être une excellente manière de faire
de l’économie.» Alors que les Anglos-Saxons
sont parfois décriés pour leur approche très
Friedrich Hayek
(1899-1992) économiste et philosophe
autrichien, il a reçu le prix Nobel
d’économie en 1974
«Les économistes sont
des chirurgiens qui ont un
excellent scalpel et un bistouri
ébréché, opérant à merveille sur
le mort et martyrisant le vif.»
Sébastien-Roch Nicolas
dit «Chamfort» (1741-1794)
CHRISTOPHE ALIX
Albert Jacquard (1925-2013)
8
•
MONDE
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
AsieduSud-Est:
lesdamnés
delamer
Refoulés pas tous, des bateaux de réfugiés,
pour beaucoup des Rohingyas de Birmanie,
dérivent sans nourriture ni assistance.
Par ARNAUD VAULERIN
Correspondant à Tokyo
naires des quartiers rohingyas de Maungdaw
et Buthidaung, dans le nord de l’Etat
Rakhine, en Birmanie. «Ils sont en mer depuis
uelquefois, un téléphone portable plus de deux mois. L’équipage les a nourris
peut sauver des vies. Grâce à un avant de casser le moteur du navire et de
mobile thaïlandais, ils ont
s’échapper avec un petit bateau il y a
pu se faire connaître et raRÉCIT cinq jours. Depuis, ils n’ont plus de
conter leur calvaire. Perdus
nourriture, plus d’eau et certains sont
sur un rafiot au milieu de la mer d’Andaman, malades. On a le plus grand mal à les localiser.»
environ 350 migrants en grande partie issus
de la minorité persécutée des Rohingyas, en LARGE. Ces damnés de la mer ne représenBirmanie, luttent depuis plusieurs jours pour tent qu’une petite partie des réfugiés en perne pas mourir de faim, de soif et de maladie. dition dans une vaste région maritime entre
Chris Lewa, qui dirige l’ONG Arakan Project, la Birmanie, la Thaïlande, l’Indonésie et la
a eu l’occasion de leur parler à plusieurs re- Malaisie. Fuyant trafics, misère et persécuprises ces derniers jours pour tenter de les tions ethniques, plus de 2000 ont déjà débarlocaliser. «Au téléphone, j’entends les pleurs qué à Aceh (Indonésie) et sur l’île de Langdes enfants et les cris des adultes qui alertent les kawi (Malaisie). 700 migrants repoussés par
bateaux de patrouille et de pêche qui passent la Malaisie ont bien été secourus vendredi par
sans s’arrêter», témoigne cette humanitaire des pêcheurs après le naufrage de leur baindignée par une situation «ridicule et dingue. teau, au large de la province d’Aceh, dans le
On doit au moins les sauver».
nord-ouest de l’Indonésie, mais tous n’ont
D’après elle, 84 enfants et 50 femmes figu- pas cette chance. Certains ont même rejoint
rent parmi ces migrants pour la plupart origi- les côtes à la nage pour éviter les agressions
et échapper à la faim à bord.
Selon Chris Lewa, qui suit les traces de ces
BANGLADESH
migrants depuis des années, «8 000 autres
pourraient se trouver en mer». Le Bureau des
BIRMANIE
Si!we
migrations internationales (IOM) juge l’estiLAOS
ETAT!!!!
mation «crédible et tout à fait possible». Le
RAKHINE
chef de l’IOM à Bangkok, Jeffrey Labovitz,
précise que «plus de cinq bateaux voguent actuellement sur ces mers, dont un avec 500 perTHAÏLANDE
sonnes au large de Penang [Malaisie, ndlr], un
Bangkok
autre plus important, heureusement avec un peu
CAMBODGE
de provisions à bord, et le navire avec ses
Mer
d’Andaman
400 réfugiés refoulé mardi par les autorités inVIETNAM
Golfe de
donésiennes. Il y en a probablement d’autres».
Thaïlande
Ile de
Jeudi, c’est la marine malaise qui a chassé
Langkawi
(MALAISIE)
vers le large deux bateaux avec environ
MALAISIE
600 personnes à bord.
Penang
ACEH
Chaque jour qui passe aggrave la situation de
Kuala
ces migrants dont certains souffrent de bériLumpur
béri (grande carence en vitamine) et «ne sont
SINGAPOUR
plus que des squelettes mourants, incapables de
marcher. Si les bateaux n’accostent pas vite,
INDONÉSIE
nous pourrions faire face à une crise humanitaire inquiétante», ajoute Labovitz. Les organisations humanitaires et les Nations unies
Jakarta ont demandé aux pays de la région de laisser
leurs frontières ouvertes pour sauver ces mi200 km
grants. Sans états d’âme, Jakarta et Kuala
Q
Un hélicoptère thaïlandais largue des victuailles dans la mer d’Andaman, jeudi.
Des Rohingyas, premières victimes de ces trafics d’êtres humains, en mer jeudi.
Lumpur avaient indiqué mardi qu’ils refouleraient à la mer tout nouveau navire pénétrant
leurs eaux territoriales, après leur avoir procuré des vivres et s’être assuré que le bateau
ne menace pas de sombrer. Sous pression de
l’Union européenne et des Etats-Unis, la
Thaïlande a annoncé la tenue d’un sommet
régional le 29 mai à Bangkok. Mais la Birmanie, qui refuse la citoyenneté à la minorité
rohingya, a menacé de boycotter l’événement. «Il est peu probable que nous participions. Nous n’acceptons pas si [les Thaïlandais]
nous invitent uniquement pour alléger la pression à laquelle ils sont confrontés», a dit la présidence birmane. Contrairement à l’UE, qui
vient d’adopter un plan pour faire face à un
afflux de migrants et de réfugiés en Méditerranée, les nations de l’Asie du Sud-Est peinent à trouver une réponse commune à cette
crise sans précédent.
TRAFIC. Depuis début mai, les Etats de la région sont dépassés par les événements. La
découverte d’un charnier avec une trentaine
de corps de clandestins birmans et bangladais dans la jungle de la province de Songkhla (sud de la Thaïlande) a sonné le branlebas dans la police thaïlandaise et a complètement désorganisé la filière de la traite d’humains dans la région. Jusqu’à présent, des
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
MONDE
•
9
Selon le Bureau des migrations, au moins cinq bateaux de migrants, en majorité des Rohingyas, erreraient en mer. PHOTOS CHRISTOPHE ARCHAMBAULT. AFP
REPÈRES
«Je suis consterné [par le fait
que] la Thaïlande, l’Indonésie
et la Malaisie [refoulent] en
mer des bateaux remplis de
migrants, ce qui provoquera
inévitablement des morts.»
Zeid Ra’ad Al Hussein Haut Commissaire
aux droits de l’homme, vendredi
A Aceh, en Indonésie, vendredi. RONI BINTANG. REUTERS
milliers de candidats à l’exil transitaient chaque année par des dizaines de camps, sinon
des prisons, établis par des trafiquants dans
le sud de la Thaïlande. De là, ils gagnaient la
Malaisie et toute l’Asie du Sud. En janvier
déjà, la junte thaïlandaise avait annoncé des
poursuites contre une dizaine de fonctionnaires, dont des officiers de police et de la
marine, pour trafic d’êtres humains. Les passeurs ont donc changé leurs itinéraires et gagné les mers. Quand ils ne trouvent pas d’issue, ils abandonnent leurs cargaisons
humaines à leur sort.
Si on compte des Bangladais quittant leur
pays pour un meilleur travail, ce sont surtout
La Birmanie refuse la citoyenneté aux Rohingyas, la minorité musulmane.
les Rohingyas qui sont les premières victimes
de cette traite. Ces musulmans apatrides
fuient l’Etat Rakhine, dans le sud-ouest de
la Birmanie, où la majorité bouddhiste lui dénie toute citoyenneté. Ostracisée, souvent
privée des libertés fondamentales depuis des
décennies, cette population a vu sa situation
se dégrader depuis trois ans. Au moins
280 personnes ont trouvé la mort dans des
opérations qui s’apparentent à du nettoyage
ethnique et 140000 autres ont été déplacées
dans des camps autour de Sittwe, la capitale
du Rakhine. «L’annonce, effective en mai, de
la suppression de la carte blanche, une carte
d’identité temporaire pour les minorités, a pro-
bablement inquiété les Rohingyas qui se sentent
encore plus menacés avant les élections de
l’automne et la surenchère xénophobe, juge une
chercheuse établie en Birmanie. Il y a unanimité dans la société birmane pour les considérer
comme des illégaux.» Ce climat préélectoral
tendu a vraisemblablement été un argument
supplémentaire pour tenter l’exil. Dans un
rapport accablant sur l’ampleur de ces migrations régionales, le Haut Commissariat
aux réfugiés indiquait que 25000 personnes
avaient pris la mer dans le golfe du Bengale
lors des trois premiers mois de cette année.
Un chiffre qui a doublé en un an et appelle
une réponse des Etats de l’Asean. •
3100
dollars, soit 2730 euros, c’est le prix
exorbitant que doivent payer les
migrants qui fuient le sud-est de la
Birmanie. Pour cette somme, ils obtiennent leur libération d’un camp et une
place sur un bateau vers la Malaisie.
735000
C’est approximativement le nombre
de Rohingyas présents en Birmanie.
De confession musulmane, victimes
de persécutions, ils ne représentent
que 1,4% de la population.
10
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
MONDE
Rien n’est encore joué au Burundi
Deux jours après la tentative de coup d’Etat des putschistes qui contestaient sa prétention à un
troisième mandat, le président Nkurunziza est rentré au pays. Mais la situation reste incertaine.
nait que les chefs des mutins arrêtés auraient été conduits à «la Documentation», le très redouté siège
des services secrets. Le conditionnel s’impose : les forces fidèles à
Nkurunziza ayant en priorité ciblé
les médias indépendants dès lors
réduits au silence, seuls les médias
officiels, et les rumeurs, fonctionnent désormais à Bujumbura. Ce
qui dans l’immédiat, dessert le
camp des vaincus.
«Une victoire qui serait celle d’un seul
camp ne tiendra qu’à court terme»,
prévient Sylvestre Ntibantunganya,
joint lui aussi au téléphone «dans
un pays voisin» du Burundi. Cet
homme politique, candidat déjà
déclaré aux prochaines élections,
fut le premier président à succéder
à Melchior Ndadaye, assassiné lors
du coup d’Etat de 1993 qui allait
déclencher une longue guerre civile
au Burundi. Avec trois autres anciens présidents burundais, il a signé le 11 mai une lettre adressée
aux chefs d’Etat présents à la réunion de Dar es-Salaam, déclarant
«anticonstitutionnelle» la volonté de
Nkurunziza de se représenter pour
un troisième mandat.
Des partisans du président Pierre Nkurunziza à Bujumbura vendredi. PHOTO GORAN TOMASEVIC. REUTERS
Par MARIA MALAGARDIS
aussi «ceux qui cherchent à s’emparer du pouvoir par des moyens illée vendredi à Bujumbura, gaux». Reste à savoir si ces prises
l’ambassade des Etats- de position ont entériné la défaite
Unis et la représentation des putschistes ou si elles l’ont acdes Nations unies auraient célérée. Ce qui est clair en tout cas,
demandé à leur personnel «non es- c’est que les Etats de la région et les
sentiel», selon la formule
observateurs occidentaux
consacrée, de quitter le BuRÉCIT présents à Dar es-Salaam, en
rundi. Preuve s’il en est que
Tanzanie, pour une réunion
l’échec du coup d’Etat de mercredi régionale sur le Burundi au moment
et le retour au pays du président où le pouvoir a semblé basculer à
Pierre Nkurunziza ne sont pas Bujumbura, n’ont pas su ou voulu
exactement perçus comme le signe mettre hors jeu Nkurunziza alors
d’un «retour à la normale» par la que ce dernier était, par la force des
communauté internationale. La- choses, coincé sur place avec eux.
quelle risque pourtant d’être sollicitée et observée ces prochains REPRÉSAILLES. A aucun moment
jours alors que la situation au Bu- de ces trois jours de crise le présirundi reste incertaine.
dent en exercice n’a semblé lâcher
Vendredi matin, la reddition des prise, qualifiant la tentative de
militaires putschistes n’aura été que coup d’Etat d’«imposture» et orgale dernier soubresaut d’une semaine riche en rebondissements,
qui a vu le président en exercice,
REPÈRES
Pierre Nkurunziza, «destitué» alors
qu’il était en dehors du pays, puis
RWANDA
«sauvé» par ceux qui lui étaient
restés fidèles. Jeudi soir, la première
annonce de la reddition des putsBURUNDI
chistes, vers 23 heures, aura été
Lac
Tanganyika
Bujumbura
50 km
TANZANIE
précédée de peu par celle des EtatsUnis qui, pour la première fois depuis le coup d’Etat, apportaient officiellement leur soutien à Nkurunziza. Juste avant que le Conseil de
sécurité de l’ONU ne condamne lui
RDC
C
nisant à distance la reprise en main
de la capitale. «Mais il faudra bien à
présent que la communauté internationale dépasse la phraséologie diplomatique. Car si elle n’arrive pas à peser sur Nkurunziza pour qu’il
abandonne l’idée d’un troisième
mandat, alors il ne faut pas se faire
d’illusions : les manifestations vont
tes de représailles de la part du
camp Nkurunziza restaient très
fortes. «Les putschistes bénéficiaient
de sympathies réelles au sein de la
population car ces officiers n’incarnaient pas une faction mais l’ensemble des sensibilités burundaises. Leur
échec ne signifie pas la fin du mouvement, loin de là. Les gens n’ont plus
rien à perdre, ils défieront Nkurunziza jus«Les gens n’ont plus rien
qu’au bout», poursuià perdre, ils défieront Pierre
vait-il.
Nkurunziza jusqu’au bout.»
Dans la matinée, alors
François Nyamoya avocat et opposant burundais que Nkurunziza venait
de rentrer au Burundi,
reprendre avec un degré de violences des manifestants opposés à sa canaccru», constate François Nya- didature étaient déjà redescendus
moya, avocat et opposant bien dans la rue à Musaga, un quartier
connu à Bujumbura. Joint vendredi du sud de Bujumbura. Avant d’être
au téléphone, il affichait une séré- dispersés par les tirs de sommation
nité apparente, alors que les crain- de la police. Peu après, on appre-
LES ACCORDS D’ARUSHA
Conclus en 2000 à l’issue d’une
longue guerre civile, ces accords
prévoient qu’un président ne
peut être élu que deux fois, au
suffrage universel. Elu la première
fois par le seul Parlement, Nkurunziza joue de cet artifice pour
briguer ce mandat «de trop»
auquel s’opposent les putschistes.
40
militaires putschistes auraient
été arrêtés dès vendredi juste
aprés l’annonce de l’échec du
coup d’Etat fomenté par des
militaires opposés au troisième
mandat du Président.
DÉFI. «Même au sein du parti présidentiel, des personnalités sont opposées à ce troisième mandat», rappelle Ntibantunganya, qui assure
qu’à Dar es-Salaam les participants
avaient adressé «un message clair»
à Nkurunziza, l’incitant à «respecter la Constitution». Et donc à ne
pas se représenter ? «La communauté internationale a toujours aidé
le Burundi dans les multiples crises
qu’il a traversées. Pour les accords de
paix d’Arusha en 2000, deux illustres chefs d’Etat africains
aujourd’hui décédés, le Tanzanien
Julius Nyerere et le Sud-Africain Nelson Mandela, s’étaient personnellement impliqués pour leur réussite.
Personne n’a intérêt à gaspiller l’héritage de ces accords qui ont ramené
la paix au Burundi», soulignait vendredi l’ancien président, qui avait
vécu douloureusement les événements de 1993 : «Tous mes amis politiques sont morts lors de cette crise.
Et ma femme a été tuée parce que les
tueurs ne m’ont pas trouvé chez
moi.» Aujourd’hui, le Burundi est
à nouveau dans la tourmente et la
communauté internationale attendue au tournant. Avec un premier
défi: s’assurer que les mutins arrêtés ne soient pas assassinés. «J’espère qu’ils ne vont pas nous tuer»,
avait glissé leur chef à l’AFP. Vendredi soir, Godefroid Niyombare
était encore en fuite. Mais trois de
ses plus proches collaborateurs,
dont Venant Ntabaneze interviewé
la veille par Libération, étaient déjà
aux mains des partisans de Nkurunziza. •
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015 H
MONDEXPRESSO
La peine de mort, c’est la condamnation qu’a infligée vendredi la cour de
Boston (Massachusetts) à Djokhar
Tsarnaev, 21 ans, l’un des auteurs des
attentats qui avaient frappé la ville
américaine lors de l’organisation d’un
marathon le 15 avril 2013. Trois spectateurs, dont un enfant de 8 ans,
avaient été tués par l’explosion de
deux bombes artisanales près de la li-
350
gne d’arrivée. L’attaque avait aussi
blessé 264 personnes, dont 17 ont dû
être amputées. Les douze jurés devaient décider entre peine de mort et
perpétuité. Ils ont délibéré quatorze heures avant de parvenir à leur
verdict. La loi américaine exige l’unanimité pour imposer la peine de mort.
«C’est une punition adéquate», a réagi
le ministre de la Justice américain.
A l’audience, les procureurs ont décrit
Tsarnaev, musulman d’origine tchétchène, comme un terroriste sans remords, qui faisait jeu égal avec son
frère aîné, Tamerlan, 26 ans, coauteur
des attentats, tué par la police quatre jours après l’attaque. La défense à
l’inverse l’a décrit comme un «enfant
perdu», sous la coupe de Tamerlan qui
s’était autoradicalisé via Internet.
enfants soldats, dont
certains âgés de moins
de 12 ans, ont été libérés,
jeudi, par des groupes
armés en Centrafrique.
La libération survient
une semaine après l’accord
conclu avec l’Unicef.
LES GENS
Ayelet Shaked, la nouvelle ministre de la Justice, à la Knesset à Jérusalem, jeudi. PHOTO AP
LE TRAVAILLISTE
CHUKA UMUNNA
JETTE L’ÉPONGE
Chuka Umunna, élu de
Streatham (quartier du sud
de Londres) et figure
montante du Labour
britannique (lire Libération
de jeudi), le Parti travailliste, a annoncé vendredi qu’il abandonnait
officiellement la course
pour la tête du parti.
Sa décision intervient
seulement trois jours après
l’annonce de sa candidature. Ses raisons? Il invoque la pression médiatique
accrue après la lourde
défaite des travaillistes
le 7 mai: «Chacun peut
imaginer à quoi cela peut
ressembler d’être candidat
à la tête du parti, comprendre les exigences et l’attention qui vont avec, mais
ce n’est rien comparé
à être véritablement
candidat et à l’impact
que cela peut avoir sur
sa vie.» Cette pression
aurait affecté sa famille
proche, dont une grandmère de 102 ans. Chuka
Umunna forfait, cinq
autres candidats restent
en lice pour l’élection
du leader du Labour
le 12 septembre.
PHOTO REUTERS
Lafineéquipede
BenyaminNétanyahou
ISRAËL Le nouveau gouvernement est composé
d’ultraorthodoxes aux pratiques douteuses.
L
e nouveau gouvernement du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, compte de
gracieux personnages. Un
ancien condamné pour corruption, des religieux jusqu’au-boutistes et une ministre de la Justice qui s’est
fait remarquer par ses propos
incendiaires sur les Palestiniens. Par exemple, le ministre de l’Economie, Arié Deri,
chef de file du parti ultraorthodoxe Shass, a passé
vingt-trois mois en prison
après avoir été reconnu coupable, en 2000, d’avoir reçu
155 000 dollars de pots-devin alors qu’il était ministre
de l’Intérieur.
Boucliers. Dans son genre,
la ministre de la Justice, Ayelet Shaked, numéro 3 du parti
nationaliste religieux Foyer
juif, se débrouille remarquablement. Elle a suscité des levées de boucliers depuis
qu’elle est entrée à la Knesset
en 2013 en mettant en exergue sur sa page Facebook
l’été dernier un article écrit
en 2002 par le leader des colons de l’époque, Uri Elitzur,
qui qualifiait les activistes
palestiniens de «serpents» et
affirmait que quiconque soutenait le terrorisme devait
être tué. Le ministre de
l’Education et chef du Foyer
juif, Naftali Bennett, a, lui, un
langage fleuri: le conflit avec
les Palestiniens est insoluble
et il faut s’en accommoder
comme «d’un éclat d’obus
dans les fesses».
Le meilleur restant l’ancien
général Yoav Galant. Un véritable bâtisseur que cet
homme-là: pressenti en 2010
comme chef d’état-major, il
avait été disqualifié en raison
d’accusations d’appropriation illégale de terres autour
de sa villa de luxe. Malgré le
scandale provoqué alors par
la publication des photos de
sa maison, le numéro 2 du
parti de centre droit Koulanou a été nommé ministre du
Logement. Le cas de la formation ultraorthodoxe Judaïsme unifié de la Torah a
tout d’un casse-tête constitutionnel. Ce parti, qui n’a
pas reçu de portefeuille ministériel bien qu’il ait été le
premier à signer un accord
de coalition avec Nétanyahou, répugne par conviction
religieuse à prêter serment à
un Etat séculier.
Paluches. Pour simplifier le
protocole, Nétanyahou a
nommé ministre adjointe des
Affaires étrangères Tzipi Hotovely (Likoud), une juive orthodoxe. Va-t-elle appliquer
strictement les règles de sa
religion et refuser de serrer la
main aux officiels? Elle a dit
par communiqué qu’elle
n’offenserait pas les dirigeants étrangers et serrerait
les paluches, même masculines, qui lui seraient tendues.
S. Étr
11
QUESTIONS À TIÉBILÉ DRAMÉ
EX-MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU MALI
«L’accord d’Alger
ouvre un boulevard
à la partition du Mali»
Le Malien Tiébilé Dramé, 58 ans, ancien
ministre des Affaires étrangères et président du Parti pour la renaissance nationale, pointe les risques et les conséquences de l’accord d’Alger conclu
jeudi, après huit mois de négociation,
entre le pouvoir central et les groupes
armés. Ces derniers étaient cependant
absents de la signature officielle à Bamako le lendemain.
w Le diable se cachant dans les détails: où se cache-t-il dans
cet accord d’Alger?
D’abord, l’absence de la Coordination des mouvements de
l’Azawad (CMA), qui a paraphé jeudi mais pas signé vendredi,
en fragilise déjà la valeur. Surtout, cet accord nous fait entrer,
à notre insu, dans un nouveau régime institutionnel, celui
des régions-Etats [trois actuellement, Gao, Kidal, Tombouctou, ndlr] disposant de pouvoirs étendus et dirigées par un
hyper-Président. Ce dernier sera élu au suffrage universel
direct. Il sera à la fois président de l’assemblée régionale, président de l’exécutif régional et chef de l’administration de
la région-Etat. Il cumulera l’exécutif et le législatif. C’est un
pouvoir considérable.
w Quels en seraient les dangers?
Dans un pays en crise profonde, dans un Nord-Mali caractérisé par une polarisation ethnique et communautaire, un
mode de scrutin sans proportionnelle n’encourage pas le partage et la négociation. Ce mode réunit une concentration excessive des pouvoirs. Il contient les germes de nouvelles frustrations et de nouveaux conflits qu’un accord de paix aurait
du, hélas, prévoir.
w Vous parliez la semaine dernière de «ferments» de la partition du pays. En voyez-vous un?
Dans le contexte d’un Etat central affaibli et dont le crédit
s’est érodé aux yeux des populations, le mode d’élection du
président de région et la concentration de pouvoirs renforceront les tendances centrifuges. C’est une autonomie de fait
qui ouvre un boulevard vers la partition.
w Quelles sont les causes profondes de la «déconstruction» du
pays qui n’ont pas été évoquées dans l’accord?
L’économie criminelle basée sur divers trafics, dont le narcotrafic, la gangrène de la corruption et le manque de vitalité
des institutions et des contre-pouvoirs. Il aurait fallu tirer les
leçons de l’effondrement de l’Etat et dessiner les contours
d’un nouveau Mali sur la base d’une vision refondatrice de
sa gouvernance et de ses institutions pour réduire les risques
de rechute.
w Pourquoi les groupes armés ont-ils attendu si longtemps pour
signer alors que l’accord prévoit une large autonomie?
A mon avis, ils voulaient (veulent) tirer tous les dividendes,
tous les avantages de l’affaiblissement du Mali et de la défaite
douloureuse de mai 2014 [déroute de l’armée malienne à Kidal
face aux groupes armés touaregs]. En ignorant, ou faisant
semblant d’ignorer, qu’ils restent engagés par leurs signatures apposées en juin 2013 sur l’accord de Ouagadougou et par
lequel ils reconnaissent l’intégrité du territoire, l’unité nationale, la forme laïque et républicaine de l’Etat.
REUTERS
A Djokhar Tsarnaev écope de la peine capitale
RETOUR SUR LE PROCÈS DES ATTENTATS DE BOSTON
•
Recueilli par JEAN-LOUIS LE TOUZET
«Ces problèmes de grandes migrations
ressemblent beaucoup à ceux de l’exode
rural. Les gens quittent les campagnes
pour les villes, poussés par la pauvreté […]
tout simplement parce que leur situation
est intenable.»
Mahamadou Issoufou le président nigérien, vendredi,
réagissant au plan de la Commission européenne prévoyant
l’ouverture d’ici à la fin de l’année à Agadez d’une structure
d’accueil pilote où les migrants se feraient une «image
réaliste» de leurs chances de succès et où «des options
pour l’aide au retour» leur seraient offertes
12
•
FRANCE
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
Bruno Le Maire, député UMP, plaide pour la suppression de la deuxième langue
pour tous et la constitution d’un seul corps de professeurs du CP à la troisième:
«Ilfautremplacerlecollège
uniqueparuncollège
diversifié»
Recueilli
parALAIN
AUFFRAY
REPÈRES
A
la pointe du combat contre la réforme deuxième langue à tous dès la classe de 5e. Il aurait
du collège, le député UMP Bruno mieux valu amener un plus grand nombre vers
Le Maire a grillé la politesse à tous ses ces classes, qui marchent. Je crois surtout à la diaînés, Sarkozy, Juppé et Fillon. Probable versification des parcours et à la reconnaissance
candidat à la primaire qui désignera le candidat de de la diversité des talents. On peut avoir des intella droite à l’élection présidentielle, il dévoile pour ligences dans le domaine manuel comme en
Libération les principes d’une politique éducative français ou en mathématiques. Cela doit être
dont la droite doit faire, selon lui, sa priorité: rem- reconnu.
placement du collège unique par un «collège di- En réalité, ces classes bilangues que vous défendez
versifié» où des options professionalisantes se- servent souvent à échapper à la mixité sociale dans
raient proposées dès la sixième ; fusion des des classes jugées trop hétérogènes…
instituteurs et des enseignants de collège dans un Je ne le conteste pas. Je dis que sur la base de ce
corps unique de professeurs polyvalents
constat, il y a deux orientations possiencadrant toute la scolarité obligatoire,
INTERVIEW bles. Soit on se bat pour diversifier le
du CP jusqu’à la troisième. Des mesures
recrutement de ces classes en les
radicales, selon lui plus «justes» que le «nivelle- ouvrant aux élèves de milieux plus modestes: c’est
ment» prôné par la gauche.
mon choix, celui de l’excellence pour chacun. Soit
Des élèves qui régressent en français, en maths et on impose une deuxième langue pour tous en
en histoire; 140000 décrocheurs chaque année. classe de 5e : c’est le choix du gouvernement. Or
N’est-ce pas aussi le bilan de la droite?
soyons réalistes: est-ce que les élèves de 5e qui ont
Le plus grand scandale de la République, c’est des difficultés en français pourront apprendre
l’échec de notre école qui est incapable de valori- correctement une deuxième langue ? La réponse
ser les talents de nos enfants, de leur donner des est non. Mieux vaudrait faire le maximum pour
perspectives d’épanouissement et de réussite so- aider ces enfants à rattraper leur retard. Je préfère
ciale. Cet échec national nous concerne tous.
une égalité réelle à une égalité théorique.
La France est l’un des pays les plus injustes, celui Parce que ce projet ne garantit pas la maîtrise des
où l’origine sociale a le plus d’influence sur le destin connaissances fondamentales, il aggravera les
des élèves. Najat Vallaud-Belkacem explique qu’elle inégalités.
veut changer ça. Comment lui donner tort?
Vous voulez donc supprimer la deuxième langue
Sa réforme lui donne tort: elle uniformise, au lieu vivante obligatoire au collège?
de diversifier, elle nivelle, au lieu de tirer vers le Deux langues, ce n’est pas une priorité. Nous
haut. Ce n’est pas comme cela qu’on offrira avons des jeunes en classe de 3e qui sont incapales mêmes chances à chacun. Elle supprime par bles d’aligner deux phrases correctes en français.
exemple les classes bilangues pour donner une Ces enfants sont condamnés à l’échec, parce que
BRUNO LE MAIRE
2002 - 2005 Conseiller de Dominique de Villepin au Quai d’Orsay puis à Matignon.
2006 Directeur de cabinet du Premier ministre.
2007 Député de l’Eure, réélu en 2012.
2008 -2012 Ministre du gouvernement Fillon
(Affaires européennes, Agriculture)
«L’égalitarisme ne peut pas faire
un projet pour notre nation.»
Lettre ouverte de Bruno le Maire
au chef de l’Etat demandant le retrait
de la réforme du collège. Signée par
248 parlementaires
29%
c’est le score de Bruno Le Maire concurrent de Nicolas Sarkozy à l’élection à la présidence de l’UMP, le 29 novembre 2014
«Une primaire vaut bien
une messe, elle sera chez vous
en latin.»
Lettre ouverte du numéro 1 du PS
Jean Christophe Cambadelis, ironisant sur
le combat de Bruno Le Maire contre la réforme
du collège
nous ne leur avons pas donné la maîtrise des savoirs fondamentaux, qui garantit la liberté dans
la société.
Ce qui inspire cette réforme, c’est l’idée que la
mixité sociale serait la condition d’une école plus
juste et plus performante. Vous contestez cela?
La gauche veut amener tout le monde au baccalauréat. Je conteste cette obsession. Je regrette que la
droite ait suivi ce chemin. Notre objectif ne doit
pas être 80% d’une classe d’âge au baccalauréat,
mais 100% avec un emploi. Sortons de Bourdieu!
La reproduction sociale commence par le chômage. La liberté se trouve dans la capacité à prendre sa place dans la société. Je réitère ma proposition de débat au Premier ministre.
Il faut donc, selon vous, renoncer au collège
unique?
Je propose de remplacer le collège unique par un
collège diversifié. Il serait fondé sur un socle de
connaissances comprenant le français, les maths,
l’histoire et une langue étrangère. Ces quatre matières fondamentales devraient être maîtrisées
parfaitement, grâce à un accompagnement personnalisé réservé aux collégiens en difficulté.
Comment s’organiserait, concrètement ce collège
diversifié?
Ce tronc commun représenterait une vingtaine
d’heures par semaine. On y ajouterait six à
huit heures dédiées aux options. Que ceux qui sont
doués pour les nouvelles technologies ou la mécanique par exemple puissent en faire vraiment sérieusement, comme pour le sport ou les langues.
Imposer à chacun un moule unique, c’est une
souffrance pour les élèves, leurs parents et leurs
professeurs.
Dans votre collège, certains collégiens seraient, de
facto, orientés dès la 6e vers la voie professionnelle?
Non! C’est un mauvais procès. Je dis juste: garantissons l’acquisition des connaissances fondamentales et reconnaissons la diversité des parcours. De
sorte qu’en fin de 3e, l’orientation n’apparaisse pas
comme une sanction. Que se passe-t-il
aujourd’hui ? On évalue exclusivement sur des
compétences académiques. En gonflant les notes,
on fait croire aux collégiens qu’ils ont le niveau
pour passer en classe supérieure. Et en 3e, on finit
par leur dire «désolé, la voie générale ce n’est pas
pour vous». Je préfère des jeunes en filière professionnelle épanouis plutôt que ces millions de chômeurs que nous avons fabriqués depuis trente ans,
droite et gauche confondues, en envoyant des générations vers des filières universitaires qui ont des
taux d’employabilité très faibles.
C’est donc bien, au minimum, une préprofession-
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
FRANCE
A Paris le 4 novembre.
PHOTO ALBERT FACELLY
•
13
nalisation que vous préconisez!
Ce n’est pas ce que je propose ! Prenons un élève
qui a choisi de découvrir la mécanique : il pourra
très bien rattraper son retard en français grâce à
l’accompagnement personnalisé. Rien ne lui interdit, en 5e, de prendre une autre option et de découvrir un autre parcours. Le plus important est
que chaque élève trouve sa voie.
Depuis les années 80, la droite réclame l’autonomie
des établissements scolaires. Mais curieusement,
elle n’en fait rien quand elle est au pouvoir…
Si la droite avait réussi, nous aurions été réélus.
Oui, il faut donner plus de responsabilité
aux enseignants. Mais pourquoi vouloir encadrer
cette autonomie dans l’usine à gaz des «enseignements pratiques interdisciplinaires» ? La droite
a trop longtemps considéré que l’éducation était
la chasse gardée de la gauche. Nous devons
en faire notre priorité pour les dix prochaines
années.
Najat Vallaud-Belkacem n’est pas la plus mal placée
pour parler d’élitisme républicain. Elle en est ellemême l’incarnation…
Je ne fais aucune attaque personnelle, contrairement au Parti socialiste et aux membres du gouvernement. 250 parlementaires ont signé ma lettre
ouverte au chef de l’Etat, et plus de 20 000 citoyens. Je suis comptable auprès de chacun d’eux
du sérieux et de la dignité de mes propositions.
Faut-il réformer aussi le métier d’enseignant?
Je propose de constituer un seul corps de professeurs du CP à la fin du collège, c’est-à-dire pour
toute la scolarité obligatoire. Il faut des possibilités
de bivalence, ce qui permettrait de répondre au
besoin de passerelles entre les disciplines. Le
service hebdomadaire des enseignants serait de
vingt heures environ au collège. En compensation,
nous devons garantir aux professeurs – dont la
gestion de carrière doit être retirée aux syndicats–
de meilleures conditions de travail, avec une
revalorisation salariale significative, des salles de
travail plus dignes. Il faut aussi rétablir leur autorité : à l’école, ce ne sont pas les élèves ou les
parents qui font la loi, mais les professeurs. Nous
devons enfin réfléchir à la deuxième carrière
que nous pourrions offrir aux enseignants, qui, au
bout de dix ou quinze ans, voudraient passer à
autre chose.
Vous imaginez l’ampleur des protestations qui accueilleront de telles propositions?
Et pourquoi donc ? Il est temps que nous assumions des changements en profondeur. La formation pédagogique doit aussi être revue. Comme
agrégé, spécialiste de Marcel Proust, je suis formé
à tout sauf à enseigner en collège. Parce que mon
savoir est inversement proportionnel à mes compétences pédagogiques. Avec ce nouveau corps
d’enseignants, je propose de trouver le bon équilibre entre savoir et maîtrise pédagogique.
Le projet de réforme des programmes ferait, selon
vous, trop de peu de place au «roman national». Le
cours d’histoire doit-il être un cours d’identité nationale?
Je condamne cette tendance à aller gratter les
plaies de l’histoire de France. On peut regarder en
face son histoire, avec ses heures de gloires et ses
heures sombres, sans céder à cette obsession maladive. Pourquoi mettre en avant la traite négrière
et la colonisation et rendre facultatives les Lumières ? Une nation est son histoire, et les Lumières
sont au cœur de notre Histoire. On ne peut pas
défiler le 11 janvier en disant «je suis Charlie» et
renoncer à dire «je suis Voltaire». Le rôle de l’histoire au collège, c’est de faire comprendre à
chaque élève qu’il appartient à une nation dont il
peut être fier. Oui, je reprends le mot de roman
national. Il ne peut pas y avoir de nation ni de
destin commun sans connaissance de ce roman.
Il ne peut pas y avoir d’intégration sans partage
de mémoire. •
14
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
FRANCEXPRESSO
VU D’ORLÉANS
Par MOURAD GUICHARD
CARNET
La police fait sa pub
par des clips assaisonnés
d’hémoglobine
C’
est devenu le moyen
de communication à
la mode. Un peu partout en France, dans les halls
d’accueil et salles d’attente
des administrations, des
écrans plasma fleurissent,
diffusant des clips de promotion et d’information.
Depuis décembre 2014, le
commissariat de Blois (Loiret-Cher) a franchi le pas en
proposant des diaporamas
présentant le fonctionnement de la Direction centrale
de la sécurité publique, le
quotidien de «la police nationale, une force de protection et
d’action au service de tous» et
vantant des actions à l’attention des seniors ou dans le
cadre de la lutte contre les
cambriolages.
Fin avril, au détour d’une séquence, l’œil de Marie-Paule
est attiré par un tout autre
type d’informations. «On a
commencé à voir des articles
de la Nouvelle République, le
journal local, qui traitaient de
faits divers avec des titres plus
sordides les uns que les autres,
comme “Drame conjugal : un
père de famille érythréenne a
[…] blessé sa compagne et son
bébé d’une vingtaine de coups
de couteau” ou encore “le pédophile avait sévi plusieurs fois
en Vendômois“. Quel message
CONFÉRENCES
le commissariat veut-il faire
passer aux usagers ?» interroge cette enseignante dans
une lettre ouverte adressée
au préfet, au ministre de
l’Intérieur et au président de
la République.
Contactée par Libération, la
préfecture du Loir-et-Cher
assure que le but de ce diaporama est «d’améliorer les
conditions d’accueil du public
et des victimes et la perception
que les citoyens ont de la police». Pour Marie-Paule, «si
l’objectif de redorer le blason
de la police est tout à fait défendable», il doit se faire «sur
des messages valorisant réellement le travail des policiers»,
rappelant la présence régulière de jeunes enfants dans
ces lieux d’accueil.
Derrière la diffusion de ces
clips, l’enseignante voit une
initiative maladroite pouvant
favoriser les adeptes de thèses extrémistes. «Les usagers
qui se présentent au commissariat sont-ils dans un état
d’esprit qui les dispose à recevoir ces informations avec discernement ?» s’interroge-telle. «La police nationale de
Blois travaille-t-elle à la promotion du maintien de l’ordre
ou à l’organisation du désordre ? Au vivre ensemble ou au
rejet de l’autre ?» •
LES GENS
GILLES LE GUEN,
DU MALI AU VIOLON
Reconnu coupable d’avoir combattu au Mali dans
les rangs d’Aqmi, Gilles Le Guen, 60 ans, surnommé le
«jihadiste breton», a été condamné vendredi à huit ans de
prison. Il est le premier à écoper d’une peine sur le fondement de la loi votée fin 2012, permettant de poursuivre
plus facilement des Français participant à des actes terroristes, des combats, ou partant s’entraîner à l’étranger.
Arrivé au Mali en 2011, Gilles Le Guen y avait été arrêté
par les forces spéciales françaises en avril 2013. PHOTO AFP
«J’ignore qui a eu l’idée de te faire faire
cette “faute politique”. […] On remet
l’égalité sous le tapis, comme si cela n’était
plus une priorité. 47,5% des salariés sont
des femmes, comment est-ce possible pour
un ministre du Travail de les oublier?»
Yvette Roudy ex-ministre des Droits de la femme,
dans une lettre à François Rebsamen, ministre du Travail,
au sujet de la remise en cause des outils relatifs à l’égalité
professionnelle dans le code du travail
CONFERENCE PUBLIQUE
« Condorcet - Brossolette »
On compte environ 2000 enfants nés d’une GPA en France. PHOTO MEYER. TENDANCE FLOUE
GPA:troisenfantsont le
feuvertpourdespapiers
DROIT Le TGI de Nantes ordonne d’inscrire dans l’état
civil trois Français nés d’une gestation pour autrui.
L
a France va-t-elle enfin
délivrer sans rechigner
des papiers aux enfants
nés d’une gestation pour
autrui à l’étranger ? Un pas
vient à l’évidence d’être
franchi. En mars, le parquet
de Nantes, compétent en
matière d’état civil pour
toute la France, s’était opposé à la transcription dans
l’état civil français des actes
de naissance de trois enfants,
nés de GPA (en Ukraine, en
Inde et aux Etats-Unis). Il a
pris mercredi un sacré coup
de baguette sur les doigts: le
tribunal de grande instance
(TGI) de la ville l’a enjoint à
procéder à la transcription.
Et de surcroît condamné à
verser 1 000 euros de frais
d’avocat aux familles.
Filiation. Un virage à 180° de
la justice face à la gestation
pour autrui? En rien. La GPA
reste (et restera sans doute
longtemps) interdite en
France. Et cette décision du
tribunal de grande instance
de Nantes n’est en fait
qu’une simple application de
deux arrêts de la Cour européenne des droits de
l’homme (CEDH) qui prônent le respect de l’intérêt
supérieur des enfants. Etre
en possession de papiers
d’identité, figurer sur un livret de famille (et avoir ainsi
une filiation établie), pouvoir
disposer d’un passeport font
en l’occurrence partie de cet
«intérêt supérieur». Pour
mémoire, la CEDH avait
condamné en juin 2014 la
France dans deux affaires relatives à la situation de trois
enfants (dont les célèbres jumelles Mennesson) nés de
GPA aux Etats-Unis et que la
France privait de papiers.
Ces deux arrêts sont devenus
applicables en septembre, la
France n’ayant pas fait appel
de cette décision, malgré
d’intenses pressions des anti-GPA. Depuis, au grand désarroi des familles hétérosexuelles (la majorité des cas,
et suite à des problèmes
d’utérus) et homosexuelles
pour lesquelles la GPA est la
seule façon de fonder une famille, le parquet de Nantes
faisait de la résistance. Pour
l’avocate Caroline Mécary,
cette décision du TGI de
Nantes «est une victoire pour
chacun des enfants concernés… C’est enfin la victoire du
droit sur les tergiversations politiciennes au plus haut niveau
de l’Etat», commente-t-elle,
déplorant que la question de
la GPA «se règle dans le silence
des tribunaux» plutôt que par
une décision politique.
En octobre, le Premier ministre, Manuel Valls, avait en
effet assuré que la reconnaissance des enfants nés par
GPA resterait interdite en
France, malgré la condamnation par la CEDH. Claude
Bartolone, président de l’Assemblée et candidat socialiste aux régionales en Ilede-France, a de son côté
souligné la «contradiction»
qui règne sur le sujet : luimême se dit contre la «marchandisation des corps», mais
favorable à la reconnaissance
des enfants nés d’une GPA,
car «une fois qu’ils sont là»,
ils sont bel et bien «de chair
et de sang». «C’est le droit de
l’enfant qui doit primer»,
plaide-t-il.
Tribune. A peine révélée par
Ouest-France, l’injonction du
TGI de Nantes de demander
l’inscription de ces trois enfants sur les registres français
de l’état civil a réveillé l’ire
de ceux qui condamnent le
recours à cette pratique.
«Reconnaître» ces enfants
revient à légitimer la gestation pour autrui, bien que la
CEDH ne se soit aucunement
prononcée pour ou contre la
GPA, disent-ils.
Ils sont nombreux dans ce
cas, tant dans le camp des
féministes et de certains altermondialistes, comme l’a
encore montré une tribune
parue dans Libération, que
dans les rangs de la Manif
pour tous. «Derrière ces trois
lettres, GPA, se cache un
scandale que la France, patrie
des droits de l’homme, doit
combattre et non avaliser par
l’intermédiaire des tribunaux», a réagi la présidente
de ce mouvement, Ludovine
de la Rochère.
Dans le camp adverse, on se
réjouit de la décision du TGI.
Un signe favorable, alors que
la Cour de cassation, instance suprême, doit statuer
en juin sur les cas de deux
enfants nés en Russie et toujours privés de papiers. Une
décision très attendue, car
propre à régler une fois pour
toutes le sort de ceux qu’on
appelle les petits «fantômes
de la République».
CATHERINE MALLAVAL
Le jeudi 21 mai à 19 h 30
Avec Alain Graesel,
ancien Grand Maître de
la Grande Loge de France,
Président de la Confédération
des Grandes Loges Unies
La Grande Loge de France
Principes, valeurs, identité.
Les perspectives.
Entrée Libre
Temple Pierre Brossolette
à la Grande Loge de France
8, rue Puteaux - 75017 Paris
SOUVENIRS
Rucha ANAHORY
DE
VASCONCELLOS
3 ans que t'es partie.
Et tout est dépeuplé.
Le Carnet
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Abonnés et associations : -10%
Tél. 01 40 10 52 45
Fax. 01 40 10 52 35
Vous pouvez nous faire parvenir
vos textes par e.mail :
[email protected]
La reproduction
de nos petites annonces
est interdite
Le Carnet
Emilie Rigaudias
0140105245
[email protected]
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
FRANCEXPRESSO
CONCERT
GRAND CORPS
MALADE SE DIT
«CENSURÉ»
Par ALAIN AUFFRAY
#NSDirect: Sarkozy
tweete de tout et de rien
L
es communicants ont
fait leurs comptes.
L’opération «Nicolas
Sarkozy répond à vos questions sur Twitter» est à leurs
yeux un franc succès. Vendredi soir le haschtag #NSDirect avait généré, selon
eux, des «millions de pages
vues». En tout cas, plus de
60 000 internautes auraient
participé à ce tchat, en posant des questions à l’ancien
chef d’Etat.
PatrickDevedjian,esclave
despolémiquesdouteuses
GALÈRES L’ex-ministre UMP tente de relativiser la traite négrière
REUTERS
en mettant en parallèle les captifs blancs des «Barbaresques».
Patrick Devedjian
A
u micro de France
Bleu le 11 mai, Patrick
Devedjian réagissait à
la commémoration de l’abolition de l’esclavage par
François Hollande, qui avait
inauguré
la
INTOX veille un mémorial en Guadeloupe. Après avoir admis que
«l’esclavage est une horreur…», Devedjian ne peut
s’empêcher une touche de
relativisme historique très
spéciale : «[…] Mais c’est un
crime mondial qui a été partagé par toutes les civilisations. Je rappelle que les plus
nombreux esclaves ont été les
15
DROIT DE SUITE
Annulé, le concert de
Grand Corps Malade,
le 21 mai, au Blanc-Mesnil
(Seine-Saint-Denis). La
faute, à la «censure», selon
le slameur: le maire UMP,
Thierry Meignen aurait
voulu éviter la venue d’un
invité de l’artiste, Rachid
Taxi, ayant l’habitude de le
«calomnier sur Internet».
Une décision jugée «inacceptable» par la ministre
de la Culture, Fleur
Pellerin. PHOTO REUTERS
«Je rappelle que les
Blancs européens,
y compris les
Français, mais
surtout les Italiens
et les Espagnols,
ont été esclaves
de Constantinople
pendant des siècles.
Ça ne concerne pas
seulement l’Afrique,
ça concerne tout le
monde.»
•
esclaves des Barbaresques,
c’est-à-dire des Turcs. Et que
les Blancs européens, y compris les Français mais surtout
les Italiens et les Espagnols,
ont été esclaves de Constantinople pendant des siècles. Ça
ne concerne pas seulement
l’Afrique, ça concerne tout le
monde.»
O
pposer l’esclavage des
Blancs par les Barbaresques à la traite des
Noirs, et affirmer que le premier a été équivalent voire
plus important en nombre
que le seDÉSINTOX cond, c’est
quelque
chose qu’on lit… essentiellement dans la galaxie des sites
d’extrême droite. Certes,
l’histoire de l’esclavage n’a
pas commencé au XVIe siècle
avec la traite et l’esclavage
des Noirs. Depuis l’Antiquité,
des prisonniers sont utilisés
par des peuples de Méditerranée comme monnaie
d’échange ou comme outil de
travail. Les «Barbaresques»
évoqués par Patrick Devedjian, en fait des corsaires musulmans du Maghreb (Maroc,
Algérie) et de l’Empire ottoman, ont effectivement
capturé des Européens et
pratiqué l’esclavage, en particulier au XVIe siècle. Mais
pour l’historienne américaine Gillian Weiss, auteure
du livre Captifs et corsaires.
L’identité française et l’esclavage en Méditerranée, la comparaison de Devedjian est
«absurde». Et d’abord en
termes d’échelle. «Plus de
douze millions d’Africains
noirs ont été transportés de
l’autre côté de l’Atlantique entre le XVIe et le XIXe siècles.
Un million, au plus, et probablement moins d’Européens
blancs ont été capturés en Méditerranée.»
Au-delà de sa comparaison
numérique improbable, Patrick Devedjian amalgame
aussi des formes de servitude
très différentes. Comme l’explique Gillian Weiss, au
XVIe siècle, les Européens
capturés en Méditerranée
sont le plus souvent des prisonniers de guerre et deviennent donc esclaves «par malchance» – en se trouvant au
mauvais endroit au mauvais
moment. Le commerce
triangulaire répond, lui, à
une logique coloniale et une
idéologie «racialiste». «Du
XVIe au XIXe siècle, on considère que c’est le destin des
Noirs que d’être esclave.»
Portugais, Espagnols et Français achètent des Africains et
les transportent par bateau
jusqu’en Amérique, où ils
sont revendus pour servir
d’esclaves aux colons blancs.
Interrogé sur ses sources, Patrick Devedjian nous a répondu de manière évasive :
«L’esclavage est d’abord un
phénomène antique. L’Egypte,
la Grèce, Rome, les Barbaresques d’Afrique du Nord qui
alimentent leurs galères. L’esclavage d’Africains vers
l’Amérique commence au
XVIIe siècle. Lire Pétré-Grenouilleau.»
Olivier Pétré-Grenouilleau,
auquel renvoie Devedjian, est
un historien qui a fait polémique lors de la sortie d’un
ouvrage paru en 2004, les
Traites négrières : il avait
comparé l’importance numéraire des différentes traites dans l’histoire et déploré
qu’on se focalise davantage
sur l’esclavage transatlantique que sur les traites négrières intra-africaine ou orientale. Mais sans jamais
affirmer, comme Devedjian,
que l’esclavage des Européens par les Barbaresques a
été le plus important dans
l’histoire.
La confusion du responsable
UMP tient peut-être à une
lecture rapide d’une interview donnée au Figaro, en
2006, du même Olivier Pétré-Grenouilleau. Interrogé
sur un ouvrage d’un historien américain consacré à
l’esclavage des Blancs, il déclarait: «Pour le XVIe siècle, le
nombre des esclaves chrétiens
razziés par les musulmans est
supérieur à celui des Africains
déportés aux Amériques»,
ajoutant immédiatement: «Il
est vrai que la traite des Noirs
ne prendra vraiment son essor
qu’à la fin du XVIIe siècle, avec
la révolution sucrière dans les
Antilles.» Peut-être Devedjian a-t-il retenu la première
phrase. Et oublié la suivante.
SARAH BOSQUET
RETROUVEZ
DÉSINTOX
DANS LE
«28 MINUTES»
D’ÉLISABETH
QUIN, SUR ARTE
À 20 H 05
En fait de questions, c’est
surtout une avalanche de
moqueries et d’insultes que
cette opération aura provoquée. A l’évidence le tweetos
moyen – plutôt jeune et urbain – n’est pas spontanément fan du «républicain»
en chef. Qu’importe : «Que
ce soit en bien ou en mal, l’essentiel est qu’on parle de lui»,
expliquent les sarkozystes.
Parmi les dizaines de milliers
de sympathisants, un bon
nombre ont tout de même
posé quelques questions sérieuses et bienveillantes. Sélectionnées avec soin au
standard du parti, elles ont
été présentées au chef qui a
ainsi pu rédiger soixantedix réponses sur son compte
Twitter. L’une des questions
les plus «retweetées», et
aussi l’une des plus grotesques, aura été celle de son fils
Louis, demandant s’il pouvait avoir «une plus grande
télé pour sa chambre». «Une
plus grande télé contre la suppression de ton addiction à
ton ordi», a répondu son
père, dans la grande tradition de l’exhibitionnisme
sarkozyste. Dans un tout
autre genre, il a dû réagir au
message délirant d’un
élu UMP suggérant d’interdire le culte musulman en
France. Sarkozy «condamne». «Même si la laïcité,
c’est aussi fixer des limites»,
juge-t-il utile de préciser.
S’il a répondu sur ses séries
préférées – Homeland ? «Incroyable» –, l’ancien président de la République a laissé
sans réponses les milliers de
tweets souvent cruels et drôles qui lui ont été adressés :
«Si en 2017 vous reperdez,
est-ce que vous re-quitterez la
politique pour re-revenir?» Le
mystère reste entier. •
«En décidant qu’elle se dénommerait
dorénavant “les Républicains”, [l’UMP]
a délibérément créé un trouble civil, social
et politique majeur en France.»
Plusieurs organisations et élus de gauche
qui dénoncent la légalité de l’utilisation du nouveau nom
proposé par Nicolas Sarkozy pour rebaptiser son parti.
Vendredi, la justice a accepté d’examiner leur recours
en urgence, le 22 mai, soit six jours avant qu’il soit proposé
au vote des militants.
L’HISTOIRE
ROMS: UN COMITÉ DE L’ONU S’ÉLÈVE
CONTRE LES DÉRIVES FRANÇAISES
«Discours de haine raciale, y compris par des élus politiques», «exclusion», «renforcement des stéréotypes».
La France est loin d’être un modèle en matière de politique envers les Roms. C’est ce que dénonce le Comité
pour l’élimination de la discrimination raciale (Cerd,
ONU) qui souligne une «stigmatisation croissante» de ces
populations. Dans ses observations, le Comité s’alarme
des «atteintes incessantes et répétées à leur droit au
logement, caractérisées par les évacuations forcées
de campements où vivent les Roms sans offrir, dans un
grand nombre de cas, de solutions alternatives de relogement» ou encore des «violences répétées par des personnes privées et l’usage excessif de la force par la police
lors d’évacuations forcées de campements».
Face à ces dérives, les experts de l’ONU invitent
la France à «prendre en urgence les mesures nécessaires
pour protéger les Roms contre toutes violences» et proposent «de promouvoir la tolérance à [leur] égard» avec
des campagnes de sensibilisation.
16
•
ECONOMIE
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
Deux réacteurs
du royaume
vont être arrêtés
d’ici à 2020. Au
gouvernement,
Verts et sociauxdémocrates
misent sur
le «tout
renouvelable».
Par ANNE-FRANÇOISE HIVERT
Correspondante en Scandinavie
L
La centrale de Ringhals, en juin 2012, dont deux des réacteurs vont être arrêtés. PHOTO BJORN LARSSON. AFP
LaSuèdefaitfidelafission
énergétique. Difficile, dans ces
conditions, d’assurer la rentabilité
des réacteurs vieillissants. A droite,
conservateurs et libéraux dénoncent une manœuvre du gouvernement, composé des Verts et des
sociaux-démocrates, qui vient
d’augmenter de 17% la taxe sur
l’énergie nucléaire alors que l’objectif devrait être «d’assurer la
sauvegarde de cette
énergie, indispensable
A droite, on dénonce une
pour l’emploi et les enmanœuvre du gouvernement qui
treprises», s’insurge
vient d’augmenter de 17% la taxe
Lars Hjälmered, porsur l’énergie nucléaire.
te-parole des conservateurs. Mais si Vaten 1980, 58% des Suédois avaient tenfall a reconnu que l’impôt
voté pour le démantèlement pro- représentait 20% de ses coûts
gressif du parc nucléaire. Deux des de production, son patron, Magnus
douze réacteurs ont été «décom- Hall, a assuré que la réforme n’avait
missionnés» en 1999 et 2005. Mais, pas affecté la décision du groupe.
en 2010, la coalition de droite au Les réacteurs de Ringhals, et sans
pouvoir a créé la surprise en an- doute d’autres avec eux, étaient de
nonçant qu’elle était prête à soute- toute façon condamnés, selon
nir la construction de nouvelles l’analyste Christian Holtz.
centrales pour remplacer celles qui
arriveraient en fin de vie.
GRAND FROID. Après la catastrophe
Depuis, l’effondrement du prix de de Fukushima, au Japon, l’Agence
l’électricité a changé la donne. suédoise de la sûreté nucléaire a
«C’est en partie le résultat d’une décidé de renforcer la sécurité en
baisse de la demande et de la politique imposant la construction d’un sysde subvention en faveur des énergies tème indépendant de refroidisserenouvelables, menée en Suède mais ment d’urgence pour chaque réacaussi chez les voisins danois et alle- teur : «C’est un investissement de
mand», constate Magnus Thors- plusieurs milliards de couronnes»,
tensson, analyste auprès de l’orga- commente l’analyste. Les centrales
nisation Svensk Energi, qui ont jusqu’à 2020 pour prendre
représente les intérêts du secteur des mesures temporaires et jus-
qu’à 2025 pour trouver une solution
permanente. Que ceux qui craignent une pénurie d’électricité
se rassurent: «Il n’y a aucune raison
de paniquer», affirme Magnus
Thorstensson. Car la Suède produit
plus d’électricité qu’elle n’en
consomme. En 2014, le royaume a
exporté 15,6 térawattheure (TWh),
alors que Ringhals 1 et 2 n’ont
produit que 10 TWh. Les deux réacteurs, d’ailleurs, sont à l’arrêt
depuis plusieurs mois : l’un pour
révision, l’autre en raison de problèmes techniques.
La perte de puissance dans le réseau, cependant, pourrait poser des
difficultés les jours de grand froid
sans vent. Le développement de la
filière hydroélectrique, qui couvre
déjà près de la moitié des besoins du
pays, est limité, tandis que l’éolien,
qui représente 8% de la production
d’électricité et devrait tripler d’ici
à 2030, ne suffira pas: «La situation
pourrait devenir tendue si nous ne
REPÈRES
100 km
NORVÈGE
Forsmarck
SUÈDE
!"#$
Stockholm
Hydraulique
Agesta
!"#
Oskarshamn
Ringhals
!"""
&#
%&&'
Barsebäck
'DANEMARK
Réacteurs
en service
La production
d’électricité
en Suède
%(%)"'TWh
$#
Mer
Baltique
Réacteurs
arrêtés
Eolien
Thermique
Réacteurs
en projet d’arrêt
!%#
Nucléaire
Centrale
nucléaire
Source : Nuclear Transparency Watch, Agence suédoise
de la sûreté nucléaire
e nucléaire n’a décidément
plus la cote en Suède.
Après avoir annoncé en
janvier qu’il renonçait à
construire un nouveau réacteur, le
groupe énergétique Vattenfall,
contrôlé à 70% par l’Etat et à
30% par l’allemand E.On, a fait savoir qu’il comptait arrêter deux des
quatre réacteurs de sa centrale de
Ringhals d’ici à 2020.
RÉCIT Situés sur la côte ouest
du pays, ils auraient dû
rester en activité jusqu’en 2025.
Mais leur rentabilité n’est plus assurée, selon l’opérateur. D’autres
pourraient subir le même sort.
Chez les écolos, on jubile. Pour
Svante Axelsson, secrétaire général
de l’Association suédoise de protection de la nature (SNF), c’est
bien la preuve que «la parenthèse nucléaire est en train de se refermer». La députée verte Lise Nordin confirme : «Plus personne,
aujourd’hui en Suède, n’envisage
d’investir dans ce secteur qui n’a plus
d’avenir.» Lors d’un référendum,
compensons pas avec une nouvelle
production qu’on puisse planifier»,
explique Olof Klingvall, porte-parole de Svensk Kraftnät, responsable du réseau électrique suédois.
BIOMASSE. Le gouvernement a mis
en place une commission énergétique qui doit présenter des solutions
d’ici au 1er janvier 2017. L’idée est
d’aboutir à une stratégie sur le long
terme, au-delà des divisions partisanes. Svante Axelsson, de
l’Agence de protection de l’environnement, assure que la transition
vers le «tout renouvelable» est à
portée de main, à condition de
maintenir les subventions publiques qui ont dopé les investissements dans l’éolien, l’énergie solaire et la biomasse. La baisse de la
consommation d’électricité, dans
un pays qui en utilise 2,5 fois plus
que ses voisins européens –pour se
chauffer, notamment– devrait
aussi faciliter la transition. Quant à
l’impact environnemental de la
fermeture de Ringhals, il sera limité : la production d’électricité
n’est responsable que de 5% des
émissions en CO2 du pays. «Nous
n’utilisons quasiment plus d’énergie
fossile pour produire de l’électricité et
il n’y a aucune raison que nous revenions en arrière», assure Lise Nordin. L’effet sur l’environnement
n’est donc que positif, selon elle :
«Nous réduisons les risques et les déchets à traiter.» •
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
ECONOMIEXPRESSO
200
c’est le nombre de
conseillers Pôle Emploi
qui seront chargés de
vérifier la réalité des
recherches d’emploi
effectuées par les
chômeurs à partir d’août.
Le Vladivostok, dans le port de Saint-Nazaire, en novembre. PHOTO LAETITIA NOTARIANNI. AP
France-Russie,
Mistralperdants
BATAILLE Paris a offert de rembourser une partie des
navires. Une option pour l’heure rejetée par Moscou.
L
es chiffres arrivent sur
la table des négociations. Entre la France et
la Russie, le contentieux
autour de la livraison de deux
bâtiments de projection et de
commandement (BPC) a
commencé il y a plus d’un
an. Reprochant à Moscou
son implication auprès des
séparatistes prorusses en
Ukraine, la France a longuement hésité avant de suspendre la livraison des Mistral.
Restait donc à trouver une
«solution de sortie de crise»,
annoncée par François Hollande mi-avril: la date limite
pour dénoncer le contrat arrive à échéance ce samedi.
Selon le quotidien russe
Kommersant, Paris a fait une
proposition pour résilier officiellement l’accord : revendre à un tiers les deux
navires en échange du remboursement de 785 millions
d’euros. Réaction, plus que
fraîche, de Moscou, citée par
Kommersant: «La proposition
de remboursement formulée
par la France ne nous convient
catégoriquement pas, ce dont
le vice-Premier ministre, Dmitri Rogozine, a informé [la
partie française].»
«Entretien». A vrai dire, les
deux points posent problème. Question remboursement: la commande de Moscou s’élevait à 1,2 milliard
d’euros. Auxquels s’ajoutent
les frais engagés pour adapter
ses équipements portuaires à
l’arrivée des deux bâtiments
militaires et la formation de
ses 400 marins. Côté navires,
le Vladivostok est toujours
amarré à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) alors qu’il devait être livré à l’automne. Et
le Sébastopol, qui sera achevé
dans les prochaines semaines, n’a pas été payé en intégralité. Le Kremlin a versé
890 millions d’euros, et chiffre son préjudice à 1,163 milliard. Loin des 785 millions
proposés par Paris, à en
res, systèmes de dégivrage
pour affronter le grand froid,
installation électrique aux
normes russes… «Quelques
dizaines de millions d’euros»
seraient nécéssaires pour les
défaire, avance une source
chez DCNS, maître d’œuvre
de la conception des Mistral.
Le marché pour ce genre de
bâtiments militaires n’est pas
immense non plus. Ni l’Otan
ni l’UE n’ont le
budget pour un tel
Mais à qui revendre les
achat. Et la Manavires? Les BTC ont été
rine nationale
construits en fonction des
française en possède déjà trois.
besoins spécifiques russes.
Les navires pourcroire la presse russe. Que raient donc être purement et
faire, ensuite, des navires ? simplement démantelés. Une
Les garder dans le port de opération coûteuse et peu
Saint-Nazaire est ruineux. flatteuse en termes d’image.
«Il faut payer la location du Croisière. Seul motif de saquai, le gardiennage à bord et tisfaction pour les chantiers
l’entretien», dit Nathalie Du- de Saint-Nazaire : le carnet
rand-Prinborgne, déléguée de commande s’est rempli
FO des chantiers navals de ces derniers mois avec des
STX France à Saint-Nazaire. paquebots de croisière, dissiLes évaluations du coût men- pant les inquiétudes des synsuel varient, mais il dépasse- dicats, très remontés par la
rait largement le million suspension des livraisons des
d’euros. La France ne vou- Mistral. «Les salariés de STX
drait donc pas s’éterniser.
n’étaient pas du tout responsaFrançois Hollande a confié bles de la situation: il n’y avait
les négociations à Louis Gau- pas malfaçon, pas de retard,
tier, secrétaire général de la c’était une décision de politique
défense et de la sécurité na- étrangère», rappelle Nathalie
tionale, qui s’est déjà rendu Durand-Prinborgne. Une inen Russie. Paris souhaite que terrogation demeure néanMoscou accepte le principe moins, ajoute la syndicaliste:
de la revente à un tiers. Mais «Si la non-livraison est intéà qui ? Les deux BTC ont été grée aux résultats de STX par
construits en fonction des le commissaire aux comptes,
besoins spécifiques des Rus- ce ne sera pas bon pour les gases: adaptation de la hauteur ranties bancaires.»
des ponts à leurs hélicoptèPIERRE ALONSO
«Je suis choquée
et scandalisée
qu’une direction
qui a bénéficié
d’autant de soutien
après les attentats
de janvier fasse
preuve d’aussi peu
de soutien envers
un de ses salariés.»
•
17
L’HISTOIRE
LE FRANÇAIS MYFERRYLINK GAGNE
SA BATAILLE D’ANGLETERRE
Touchée, mais pas coulée. Ce vendredi, la compagnie de
transport maritime française MyFerryLink a gagné sa
bataille juridique contre l’Autorité de la concurrence et
des marchés britannique, et pourra continuer d’accoster
au port anglais de Douvres depuis Calais. «Cette décision
représente une victoire significative pour nos employés
dévoués et nos clients, qui vont continuer à bénéficier
d’une concurrence saine sur les traversées maritimes
courtes», a réagi MyFerryLink, qui emploie 577 salariés.
L’an passé, les autorités britanniques avaient interdit à la
compagnie d’opérer entre Douvres et Calais après
juillet 2015, estimant que sa proximité avec Eurotunnel
–dont elle est une filiale depuis 2012– posait des problèmes de concurrence. Une décision cassée par la cour
d’appel britannique qui a estimé ce vendredi qu’il n’y
avait pas eu de fusion au sens juridique du terme.
-0,71 % / 4 993,82 PTS
4 086 476 576€ +54,63%
Zineb El Rhazoui journaliste
à Charlie Hebdo, a vivement
critiqué la direction du
journal qui l’a convoquée,
mercredi par courrier, pour
un entretien préalable à un
licenciement. La direction a
minimisé vendredi, indiquant
qu’il s’agissait de la «rappeler
à ses obligations minimales
vis-à-vis de son employeur».
Les 3 plus fortes
ACCOR
ARCELORMITTAL
UNIBAIL-RODAMCO
Les 3 plus basses
TECHNIP
TOTAL
ORANGE
18 231,25 -0,11 %
5 042,52 -0,16 %
6 960,49 -0,18 %
19 732,92 +0,83 %
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LA!VIE!DE!GALILÉE!AU!MONFORT!THÉÂTRE!
La Vie de Galilée raconte la destruction d’un certain ordre du
monde et l’édification d’unautre. En Italie, au début du xviie
siècle, Galilée braque un télescope vers les astres, déplace la
Terre, abolit le ciel. La Terre n’est plus le centre de l’Univers :
c’est le vertige absolu pour l’Église qui lui fera abjurer ses théories sans pouvoir l’empêcher de travailler en secret à la « signature » de son œuvre, ses Discorsi.
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18
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
ECONOMIE
Au Toulouse Hacker
Space, jeudi. PHOTO
ULRICH LEBEUF. MYOP
jeudi, pour l’ouverture. Les questionnements brassés ici dépassent
largement la pratique du do-ityourself ou l’attachement à reprendre le contrôle des «tuyaux» – le
Tetalab est aussi à l’origine de Tetaneutral, un fournisseur d’accès à
Internet associatif qui compte
quelque 700 adhérents et opère notamment en zones blanches. Au
THSF, on parle gouvernance collaborative en entreprise, dangers de
la géolocalisation, censure en ligne
ou loi sur le renseignement. On invite Reporters sans frontières, mais
aussi Célia Izoard, spécialiste du
mouvement luddite, ces tisserands
anglais briseurs de machines du
début du XIXe siècle. Pour cette
dernière, «mettre un frein à l’innovation» est un préalable à toute
«émancipation technique».
AToulouse,leshackers
surfentsurlecanalduMidi
Pour la sixième année consécutive, le Toulouse Hacker Space Factory
réunit passionnés et spécialistes pour échanger, créer et surtout débattre.
Par AMAELLE GUITTON
Envoyée spéciale à Toulouse
rure – ou à la sérigraphie, entre
deux conférences consacrées à l’ordinateur quantique ou aux droits et
est un entrepôt toulou- libertés sur Internet, pendant que
sain de plus de 4000 m², les plus jeunes découvrent le retroà quelques encablures du gaming et les jeux d’arcade Atari.
canal du Midi. Il héberge Pour la sixième année consécutive,
quatre jours durant, au
le collectif d’artistes
fil des allées, un «synREPORTAGE autogéré Mix’art Myrys,
thétiseur collaboratif» à
établi là depuis dix ans,
base de joysticks, un Photomaton et le Tetalab, le hackerspace que le
bricolé avec une caméra et un na- lieu héberge depuis sa création,
no-ordinateur, ou encore une poi- en 2009, coorganisent le Toulouse
gnée de Minitel qui diffusent une Hacker Space Factory (THSF).
délirante adaptation animée «télé- L’événement entend réhabiliter le
matique» de Justine ou les malheurs sens originel du mot hacking –celui
de la vertu, du marquis de Sade. Jus- d’un usage créatif de la technologie.
qu’à dimanche, le flâneur peut
s’initier aux joies de l’Arduino, le «IMPACTS». Les congrès du Chaos
circuit imprimé italien devenu in- Computer Club allemand, le plus
dispensable aux bidouilleurs gros club de hackers au monde, ont
d’électronique, à l’art délicat du servi d’inspiration, explique Marc
lockpicking – le crochetage de ser- Bruyère, l’un des initiateurs de
C’
REPÈRES
«[Les hackers] partagent
une idée simple: […]
le partage, le refus de
l’autorité, et la nécessité
d’agir par soi-même.»
Steven Levy dans l’Ethique des
hackers, 2013 (éditions du Globe)
l’événement. Mais le THSF a sa
patte. On n’y cultive pas seulement
l’art de la bidouille ou des chemins
de traverse, mais aussi la proposition artistique, à travers performances, installations et concerts :
«Dès le départ, ça nous a paru être
le déplacement –les premiers avec
une performance sonore inspirée
du trading boursier baptisée
«FlashCrash», les seconds avec
leur collection de Minitel et un remake tourné avec des bouts de ficelle rebaptisé «Citoyenquatre», de
Citizenfour, le documenAu THSF, on parle gouvernance taire de Laura Poitras consacré aux révélations
collaborative en entreprise,
d’Edward Snowden sur la
censure en ligne ou loi sur
surveillance pratiquée par
le renseignement.
la NSA.
Car qu’on ne s’y trompe
l’essence de ce qu’on avait à faire», pas : les hackers, ces fous de techexplique Joël Lécussan, le coordi- nologie, sont aussi les premiers à en
nateur de Mix’art Myrys. «On es- dénoncer l’emprise. «Ce sont sousaie d’inviter des artistes qui ont vent mes interlocuteurs les plus réconscience des impacts de la techno- ceptifs», juge le philosophe Berlogie», précise Pierre, plasticien et nard Stiegler. Venu parler
membre du Tetalab.
«nouveau projet d’économie poliLes Parisiens du collectif RYBN et tique» et expérimentation territoles Orléanais de Labomedia ont fait riale, Stiegler a fait salle comble
TOULOUSE HACKER
SPACE FACTORY
L’événement, issu d’une
collaboration entre le Tetalab
et Mix’Art Myrys, se tient
jusqu’a dimanche à Toulouse.
Programme disponible
sur le site Thsf.tetalab.org
LES HACKERSPACES
Les hackerspaces sont des
lieux physiques, des sortes de
laboratoires communautaires,
où hackers et autres technophiles peuvent partager
ressources et savoirs avec
le plus grand nombre.
RÉAPPROPRIATION. Sans aller jusque là, la devise choisie pour l’édition 2015 –«less is more»: «moins,
c’est plus» – sonne a minima
comme une invite à réduire le flux
de données personnelles devenues
outils de traçabilité permanente des
individus autant que combustible
de l’économie numérique. Elle est
aussi, dit Marc Bruyère, le point
d’accroche d’«une réflexion autour
du tout-économique». Pour Bernard
Stiegler, le discours «technocritique» est «de plus en plus entendu depuis trois ou quatre ans, avant même
l’affaire Snowden». Et le propos des
hackers, fervents défenseurs de la
réappropriation de la technologie et
du partage des savoirs, de plus en
plus écouté.
«L’événement s’affirme d’un point de
vue politique, assure Joël Lécussan.
Et on sent qu’il y a un intérêt croissant, le public est de plus en plus nombreux.» L’an dernier, le THSF a attiré plus de 2 500 personnes, une
audience qui dépasse clairement les
franges purement geeks. Le tout
pour 30 000 euros de budget et un
noyau dur d’organisateurs d’une
vingtaine de personnes. «Un événement comme celui-là n’est pérenne
que si on fait en sorte que chacun
puisse contribuer, sourit Pierre. Mon
job, aujourd’hui, c’est de convaincre
les gens de participer.» De fait, ils
sont 150 bénévoles à s’activer, indique-t-il. L’hiver dernier, entre Noël
et le Nouvel An, le «grand frère» allemand a drainé plus de 10000 personnes. Le festival de hacking toulousain n’en est certes pas là, mais
les sujets qu’il brasse et croise ne
sont pas près de s’épuiser. •
1200
C’est le nombre de hackerspaces actifs dans le monde,
dont une quarantaine en France,
d’après le site contributif
Hackerspaces.org.
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
SPORTS
PSG, Monaco, Montpellier:
les clés du champ’
LIGUE1 Les Parisiens attendent le titre, tandis que l’ASM file vers la Ligue des
champions. Les Héraultais sont en embuscade pour une place en Europa.
L
a 37e journée de L1 est
pour samedi (21 heures) avec les dix matchs
en simultané par souci
d’équité et un suspense plus
ou moins relatif selon les
étages. Les multiples déclarations fracassantes (le président de Lyon, Jean-Michel
Aulas, l’entraîneur stéphanois, Christophe Galtier) et
les mises à l’écart de joueurs
(le Marseillais Florian Thauvin ou le milieu d’Evian
Daniel Wass) disent cependant la nervosité extrême des
acteurs.
Qui en Ligue
des champions ?
En cas de nul à Montpellier
ou de non-victoire de Lyon à
domicile devant Bordeaux, le
PSG sera sacré champion
pour la 3e fois de suite. Ce
week-end ou le suivant, le
sacre de Cavani et consorts
ne fait aucun doute. La jeune
garde de l’OL – huit joueurs
de l’équipe type formés au
club– accompagnera le mastodonte parisien en Ligue des
champions. Quant aux tours
préliminaires de la compétition reine, l’AS Monaco est
en pole: la réception de Metz
(déjà relégué) samedi et
2 points d’avance sur Marseille et Saint-Etienne, c’est
le petit Jésus en culotte de
velours. D’autant qu’on
parle d’une équipe quart de
finaliste de Ligue des champions, sortie par la Juve (en
finale le 6 juin contre Barcelone) après deux rencontres
à touche-touche (0-1, 0-0)
et sur un penalty de farceur.
Le PSG à l’entraînement au Camp des Loges, le 4 avril. PHOTO FRANCK FIFE. AFP
Qui en Ligue Europa ?
Contrairement à une idée reçue, les clubs français la
jouent à fond depuis deux
ans, étalant cependant leurs
limites : solide équipe de L1,
Saint-Etienne n’y a inscrit
que 3 buts en 8 matchs cette
saison contre des équipes
turque, ukrainienne, italienne et azerbaïdjanaise.
En principe, les équipes classées 4e et 5e sont éligibles
pour la Ligue Europa : va
pour les deux laissés-pourcompte du duel à trois entre
Monaco (65 points), Marseille (63 points) et SaintEtienne (63 points), le calendrier des Verts – déplacement à Evian et réception de
Guingamp – semblant des
plus favorables. Bordeaux
(6e, 59 points) paraît loin.
Le classement
36e/38 journées
POINTS JOUÉS GAGNÉS NULS PERDUS MARQ.
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
Paris SG
Lyon
Monaco
Marseille
Saint-Etienne
Bordeaux
Montpellier
Lille
Rennes
Bastia
Guingamp
Nantes
Caen
Lorient
Nice
Toulouse
Reims
Evian-TG
Metz
Lens
77
71
65
63
63
59
56
53
50
46
46
44
42
42
42
42
41
37
30
26
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
36
22
21
18
19
17
16
16
15
13
12
14
11
11
12
11
12
11
11
7
6
11
8
11
6
12
11
8
8
11
10
4
11
9
6
9
6
8
4
9
8
3
7
7
11
7
9
12
13
12
14
18
14
16
18
16
18
17
21
20
22
78
70
48
69
47
44
44
39
35
36
38
28
50
43
39
40
44
38
30
30
ENC.
DIFF.
33
32
26
42
28
42
35
37
40
42
52
38
52
48
50
59
63
57
55
59
45
38
22
27
19
2
9
2
-5
-6
-14
-10
-2
-5
-11
-19
-19
-19
-25
-29
Sauf qu’il y a un truc : la finale de la Coupe de France le
30 mai, qui opposera le Paris-SG à un pensionnaire de
Ligue 2, l’AJ Auxerre. Or, si
Paris l’emporte, ce n’est pas
le vainqueur de la Coupe qui
ira en Ligue Europa mais le
6e de L1, c’est-à-dire Bordeaux ou Montpellier
(56 points). Le calendrier des
Héraultais est maousse : le
PSG à la Mosson, avant, le
week-end prochain, de se
déplacer… dans le nouveau
stade de Bordeaux. N’empêche : si les hommes de Rolland Courbis abordent ce
tout dernier match avec
3 points ou moins de retard,
une victoire leur suffira en
Gironde, puisqu’ils ont le
goal-average (+9 contre +2)
par rapport aux joueurs de
Willy Sagnol.
Le 3e relégué sera Evian
(37 points) si les Savoyards
ne battent pas Saint-Etienne
samedi à Annecy et si Reims
(41 points) ne perd pas chez
lui contre Rennes, où il aura
grand intérêt à assurer le
coup : le dernier déplacement des Champenois, au
Parc des princes, est une
sorte de mission impossible.
Caen, Lorient, Nice et Toulouse sont à 42 points et
disposent dès ce week-end
d’une balle de match, un nul
suffisant aux trois premiers
nommés.
GRÉGORY SCHNEIDER
Samedi, 21 heures MontpellierParis-SG, Lyon-Bordeaux,
Evian-TG-Saint-Etienne, BastiaCaen, Lille-Marseille, NantesLorient, Guingamp-Toulouse,
Nice-Lens, Monaco-Metz,
Reims-Rennes.
•
LES GENS
STEVEN GERRARD,
ADIEU ANFIELD,
BONJOUR TRISTESSE
Une ultime standing ovation, un dernier You’ll Never Walk
Alone à la gloire de l’idole du club. Et sans doute des torrents de larmes dans les yeux des 45000 supporteurs de
Liverpool et de celui qu’ils vont honorer. Steven Gerrard,
le mythique capitaine des Reds, va fouler samedi pour la
dernière fois la pelouse d’Anfield. Celle qui l’a vu grandir
et devenir l’un des meilleurs milieux de terrain au monde.
Le gamin de Whiston, banlieue des bords de la Mersey,
n’a jamais porté d’autre maillot que celui des Reds. Mais à
34 ans, en baisse de forme et de niveau, «Stevie-G» quitte
Liverpool et le championnat anglais pour une expérience
aux Etats-Unis. En 708 matchs, l’élégant numéro 8 a presque tout gagné avec son club, de la finale miraculeuse de
la Ligue des Champions en 2005 (3-3, victoire aux tirs au
but face au Milan AC), à la coupe d’Angleterre (2001,
2006). Seule case vide à son palmarès, le championnat
anglais. «Ça va rester comme une cicatrice», confiait Gerrard, dont l’objectif cet après-midi est «de bien finir à
Anfield et d’essayer de rester fort pour éviter les larmes».
Son entraîneur, Brendan Rodgers, lui a déjà rendu hommage: «Le seul mot pour décrire Steven, c’est Liverpool.
Ce qu’il a donné à cette ville, les politiciens ne l’ont pas
donné.» PHOTO REUTERS
19
c’était le nombre de points d’avance des Los Angeles
Clippers sur les Houston Rockets à un quart d’heure de
la fin du match 6 de la demi-finale de la conférence Ouest
de NBA. Autant dire que les Angelinos (qui menaient la
série 3-2) avaient un pied et demi en finale de conférence.
Las, ils se sont écroulés pour finalement s’incliner (107-119)
et devront jouer, dimanche, un match décisif au Texas.
L’HISTOIRE
AIR VICIÉ À BUENOS AIRES ENTRE
BOCA JUNIORS ET RIVER PLATE
Le derby de Buenos Aires entre Boca Juniors et River
Plate, en 8e de finale retour de Copa Libertadores
(la Ligue des champions sud-américaine), sur la pelouse
de Boca, avait commencé par une minute de silence
en hommage à un joueur de 4e division décédé sur
un terrain. Il ne s’est pas terminé. Au retour de la pause,
les joueurs de River Plate ont été agressés à coups
de gaz irritant par les supporteurs de Boca. La violence
endémique des barra bravas argentins a fait 14 morts
en 2014.
Qui en Ligue 2 ?
Metz et Lens sont déjà relégués. Pas sûr cependant que
les Nordistes repartent un
étage plus bas : le dépôt de
bilan menace, ce qui contraindrait le club du président Gervais Martel à reprend re en C FA , le
4e échelon. Martel a annoncé
l’arrivée de 15 millions
d’euros cette semaine, mais
comme il a passé sa saison à
dire que le pognon allait venir après-demain d’Azerbaïdjan (sa zone de prospection, à l’entendre), c’est un
peu comme si un illuminé
annonçait le remboursement
des emprunts russes depuis
un fil suspendu au-dessus du
Grand Canyon.
19
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Cannes
avec
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LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
IDÉES GRAND FORMAT
IDÉES
20
A travers l’incroyable
histoire de la «Fuite
en Egypte» de Nicolas
Poussin, le sociologue
Bernard Lahire
raconte comment une
croûte devient tableau
d’exception.
CECI N’EST PAS
QU’UN TABLEAU
de BERNARD
LAHIRE
La Découverte,
550 pp., 25 €.
Recueilli par PHILIPPE DOUROUX
et SONYA FAURE
Dessin YANN LEGENDRE
L
e Pape Innocent X de Vélasquez au Grand Palais, le
Moïse de Poussin au Louvre,
le Cri de Munch à la Fondation Louis-Vuitton (1)… En
ce moment, des milliers de
spectateurs se pressent pour
admirer les grands maîtres.
Mais, c’est quoi, un chef-d’œuvre ? Dans
Ceci n’est pas qu’un tableau, Bernard Lahire,
professeur à Normale Sup Lyon, retrace l’histoire rocambolesque d’une peinture de Nicolas Poussin, une Fuite en Egypte au voyageur
couché, aujourd’hui exposée au musée des
Beaux-Arts de Lyon. A travers lui, le sociologue scrute les mécanismes qui transforment
un objet –des pigments posés sur une toile–
en relique sacrée.
Votre livre raconte un conte de fées. En 1982,
un chef-d’œuvre de Poussin apparaît sur le
marché. Il relègue alors le tableau que les experts considéraient jusqu’ici comme le «vrai»
au rang de copie. La famille qui pensait posséder une croûte se retrouve avec de l’or entre
les mains… Derrière ce récit, vous dévoilez
une affaire de rapports de force et de croyances collectives. C’est magique?
On sait que Nicolas Poussin a peint, en 1657,
une Fuite en Egypte. En 1665, Le Bernin,
grand sculpteur italien admiratif de Poussin,
est très critique face à cette toile: «On devrait
s’arrêter de peindre, avant de peindre des choses pareilles», dit-il. Le premier avis autorisé
est donc négatif. A la mort du commanditaire, l’œuvre a déjà disparu. Le mystère
s’installe.
Siècle après siècle, des «Fuite» et des «Repos
en Egypte» apparaissent sans qu’on sache si
l’un d’entre eux est «le» tableau peint de la
main de Poussin…
Jusqu’à ce qu’en 1982, un Anglais, sir Anthony Blunt, le «pape» des poussinistes et le
conservateur de la collection de la reine
d’Angleterre, affirme à propos d’une toile
réapparue qu’il s’agit du tableau de Poussin.
Il appartient à une riche collectionneuse
américaine, Mme Piasecka Johnson. Mais, une
deuxième toile apparaît en 1986, à l’occasion
d’une vente aux enchères à Versailles. Elle est
mise en vente à 80000 francs, en étant désignée comme une copie de bonne facture. La
famille qui la vend se débarrasse d’un objet
encombrant, pensant que la peinture religieuse «ne vaut rien». Pierre Rosenberg, qui
deviendra président du Louvre, affirme à
l’époque que le tableau n’est pas de Poussin.
Il est acheté par des marchands de tableaux
français, les frères Pardo, pour la somme
de 1,5 million de francs. Le prix «parle» de
lui-même. Il dit : «Nous parions que ce tableau est le vrai.»
S’ouvre alors une bataille pour savoir quelle
toile doit être sacrée comme le chef-d’œuvre
de Nicolas Poussin?
Une controverse s’installe avec, d’un côté,
les Anglo-Saxons, emmenés par Blunt et un
autre poussiniste, sir Denis Mahon, qui défendent le tableau Piasecka Johnson et, de
l’autre, deux experts français : Jacques
Thuillier, professeur au Collège de France, et
Pierre Rosenberg, qui, entre-temps, a changé
d’avis sur l’authenticité du tableau. La bataille des Fuite en Egypte commence. Des laboratoires scientifiques sont mobilisés – un
peu comme lorsque l’Eglise fait appel à la
science pour authentifier le saint suaire. Cependant, aucun résultat d’analyse ne permet
de trancher en faveur de l’un ou de l’autre.
A l’usure, c’est le «camp» français qui gagnera, en partie faute de combattants: Blunt
est mort en 1983 et Mahon est très âgé [il
meurt en 2011 à 100 ans, ndlr]. En 1994, la
version des frères Pardo est «publiée» par
Jacques Thuillier et apparaît dans le catalo-
«La toile jugée
médiocre se mue
en chef-d’œuvre»
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
gue d’une exposition du Grand Palais sur
Poussin. La justice parachève le travail des
conservateurs et historiens d’art. En effet, la
famille qui avait vendu le tableau comme une
copie à bas prix demande l’annulation de la
vente et l’obtient. Cette fois, ce sont des juges
qui disent qu’il s’agit bien du tableau de
Poussin. A la suite de quoi, l’Etat le classe
Trésor national –ce qui lui interdit toute sortie du territoire. La famille revend alors le tableau au musée des Beaux-Arts de Lyon pour
17 millions d’euros. La
toile initialement
jugée médiocre par Le Bernin s’est métamorphosée en chef-d’œuvre.
Et une nouvelle Fuite en Egypte apparaît…
Elle est exposée dans un petit lieu, tenu par
une association, qui est ouvert une fois par
mois à Verrières-le-Buisson, en région parisienne. Le président de l’association constate
une ressemblance évidente entre le tableau
et celui dont il voit la photo dans les journaux. Il contacte le musée des Beaux-Arts de
Lyon qui envoie un jeune historien d’art
chargé de rédiger un texte sur les
copies du tableau. Avant
même tout examen, la toile ne
GRAND FORMAT IDÉES
peut qu’être une copie. La chose est réglée
par avance, car on s’est suffisamment battu.
Thuillier et Rosenberg ont désigné le tableau
autographe, un musée a acquis à grands frais
le chef-d’œuvre désigné, les Anglo-Saxons
n’ont plus de combattants, la collectionneuse
nord-américaine meurt en 2013 et on en
reste là (2). Finalement, tout le jeu a consisté
à produire de la certitude avec une dose d’incertitude majeure.
La réalité d’un chef-d’œuvre repose sur des
croyances collectives. Le culte de l’œuvre
d’art a ses grands prêtres et sa liturgie…
Il faut se demander qui a le pouvoir de sacraliser un objet profane et qui tient la baguette
magique, qui change le crapaud en prince
charmant. Les frères Pardo sont des marchands. Ils ont une intuition, engagent beaucoup d’argent, mais ne détiennent pas la baguette. Ils demandent à un historien italien
peu reconnu de légitimer leur version de
•
21
les galeries. La sacralisation de l’art a commencé au Moyen Age quand on a commencé
à comparer les poètes au Créateur. Ça n’a
rien d’anodin: en en faisant des démiurges,
on rattache les artistes au pôle dominant du
monde social, donc du côté du sacré, de ce
qu’il faut protéger et respecter. On retire les
objets d’art de la circulation ordinaire et, de
la Renaissance au XVIIIe siècle, les artistes
vont progressivement émerger comme
groupe social en se séparant des artisans qui,
eux, fabriquent des objets profanes. Le musée, qui apparaît au XIXe siècle, n’est que
l’aboutissement de cette longue histoire.
A travers l’exemple d’un tableau, vous voulez
démontrer que notre monde est loin d’être
désenchanté. Nos sociétés occidentales fontelles encore place au sacré?
Il ne faut pas confondre la religion et le sacré, ce qui arrive souvent en France où nous
pensons qu’avec la Révolution française et
les Lumières, la raison l’a emporté
sur les croyances. Certes, les reli«Qui a le pouvoir de sacraliser
gions se sont affaiblies comme prinun objet profane et qui tient
cipe structurant l’ensemble des sola baguette magique, qui change
ciétés, mais la pensée magique
le crapaud en prince charmant?»
existait avant les religions, et continue d’exister sans elles dans toutes
la Fuite en Egypte. Celui-ci l’écrit… Mais les situations où il y a du pouvoir. La division
tout le monde s’en fiche. Ils sollicitent alors entre sacré et profane apparaît dès lors
Thuillier et Rosenberg qui, eux, connais- qu’on distingue ce qui est important de ce
sent la formule magique. Encore faut-il qui est insignifiant, ce qui doit être manipulé
qu’elle soit écrite et publiée. Il se passe six avec précaution de ce qui peut être utilisé
ans entre le moment où Thuillier laisse en- sans attention particulière. On le voit bien
tendre oralement qu’il pense que c’est avec l’œuvre de Poussin: le même objet qui
le bon et celui où il l’écrit en 1994. A ce avait été entreposé dans un bâtiment de
moment-là seulement, la magie opère. ferme se retrouve manipulé avec des gants
S’il existe de telles batailles, c’est que blancs quand il arrive au musée des Beauxtout le monde –Etat, marchands, his- Arts de Lyon.
toriens d’art, conservateurs, commis- Et vous, avec cet intimidant livre de près
saires-priseurs– croit en l’art, participe de 600 pages construit comme un raisonneau culte de l’authenticité et du génie, ment philosophique à la manière de Spinoza,
admet l’existence de hiérarchies entre avez-vous voulu faire votre chef-d’œuvre?
peintres et souhaite s’approprier une Pff… (embarrassé). C’est un travail où de
œuvre d’un grand nom de la peinture. Si nombreux éléments s’emboîtent comme
le jugement ne peut être pur, c’est que dans une mécanique de haute précision, un
tous les acteurs ont intérêt à ce que «leur» travail qui m’a demandé un temps fou et
version soit la bonne. Chacun veut profiter pour lequel je n’ai eu que très peu d’argent.
de ce morceau de sacré.
Cet ouvrage a une conception grothendiecPourquoi dites-vous que l’œuvre d’art kienne (3) : le cas particulier de l’histoire de
a remplacé les reliques et que le la Fuite en Egypte ne prend son sens que
visiteur de musée est l’objet comme un cas parmi d’autres d’un problème
d’un envoûtement?
beaucoup plus général dont je parle au début
L’histoire des reli- du livre. Je porte cette problématique de
ques, qui a commencé l’opposition du sacré et du profane, et de son
au IVe siècle, a largement préfiguré articulation à des rapports de domination,
l’histoire de l’art: de simples osse- depuis ma thèse de doctorat… J’ai mis ça sous
ments deviennent des reliques vé- le boisseau pendant vingt-cinq ans, et là j’ai
nérées, qui attirent des milliers de trouvé l’occasion d’y revenir et me suis enfin
visiteurs dans les églises; des luttes autorisé à le faire. La taille du livre est impos’engagent entre ceux qui préten- sante et sa forme a un côté abrupt, c’est vrai,
dent posséder les bonnes reli- mais il faut écrire les livres qu’on ressent la
ques, etc. Aujourd’hui, nous nécessité d’écrire et ne pas se demander si ça
croyons, quand nous allons au va être lu ou si ça va plaire. Le lecteur peut
musée, avoir un rapport direct d’ailleurs parfaitement commencer par l’hisavec les œuvres, mais nous toire du Poussin, ou ne lire que les “Proposiéprouvons une émotion unique- tions” [en gras dans le livre]… En fait, je crois
ment parce que tout a été fait, que j’écris pour la postérité (il rit). •
collectivement, pour qu’elle
puisse s’exprimer. Le musée et
tous les experts qui certifient (1) «Velásquez», au Grand Palais jusqu’au 13 juillet.
«Poussin et Dieu», au Louvre, jusqu’au 29 juin.
l’authenticité des œuvres trans- «Les Clés d’une passion», à la Fondation
forment l’ordinaire en exception- Louis Vuitton, jusqu’au 6 juillet.
nel, le profane en sacré. Quand (2) Aux dernières nouvelles, Pierre Rosenberg
l’artiste Banksy installe ses œuvres sur n’est pas passé à Verrières-le-Buisson.
(3) Alexandre Grothendieck, l’un des plus grands
un trottoir à New York, il ne les vend qu’à mathématiciens du XXe siècle, recherchait
quelques dizaines de dollars alors qu’elles en toujours la plus grande généralisation possible
«valent» plusieurs dizaines de milliers dans pour résoudre des cas particuliers.
•
22
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
IDÉES CHRONIQUES
EXPERTISES EN TOUS GENRES
REGARDER VOIR
Par MATHIEU LINDON
Par CLÉMENTINE MERCIER
François Hollande,
VRP máximo
La Havane que vaille
P
etite pause clope.
A Cuba, sur le Malecón, la route côtière
qui sépare La Havane
de la mer, le couple est venu
assister à un concert. Malgré
la fête, leurs yeux expriment
la lassitude, surtout ceux du
monsieur, qui tire sur sa roulée, la tête baissée et la paupière lourde. La femme soutient son compagnon. Avec
sa posture de danseuse et son
débardeur rouge moulant,
très chaleur chaleur, elle fixe
de l’autre côté. Les regards
s’entrecroisent mais ne se
rencontrent pas. Pas plus
qu’ils ne soutiennent celui du
photographe, qui les observe
pourtant de très près. Ont-ils
remarqué celui qui les regarde? Pensent-ils à la fin du
blocus? Vers qui se tourner?
L’ex-ennemi américain ? La
convoitise française? La voie
chinoise ? Ils sont un peu
déboussolés.
Cette photographie, parue le
11 mai dans l’événement de
Libération consacré à la situation à Cuba, illustre parfaitement les propos recueillis à La Havane par
l’envoyé spécial du quotidien, Christian Losson: «La
révolution sans fin a épuisé les
Cubains. Ils sont las, mais une
lueur existe encore dans leur
regard.» On cherche quand
même un peu la lueur dans
les yeux de ce couple.
La photo a été prise fin décembre 2014 lors d’un concert de reggaeton. Si ce magnifique portrait paraît à la
fois si réaliste et si intrigant,
c’est qu’il y a un truc. Le secret ? Michael Christopher
Brown, nominé à l’agence
Magnum Photos depuis 2013,
shoote avec son téléphone
portable. Il s’est fait connaî-
4
•
LIBÉRATION LUNDI 11 MAI 2015
EVENEMENT
une clope achetée à
l’unité. «Mais elle a entraîné aussi un développement des inégalités entre ceux qui peuvent le
faire et les autres, entre les propriétaires et ceux
qui ne le sont pas», note Ariel Camejo, jeune
écrivain et prof de littérature.
Pour obtenir une licence de casa particular,
il faut sortir entre 150 à 300 CUC (peso convertible, équivalent à l’euro) chaque mois,
plus une «taxe gastronomique» mensuelle et
un impôt annuel sur les bénéfices. «Les inégalités sont déjà là, ajoute Camejo. Entre ceux
qui ont de la famille à l’étranger et qui reçoivent
de l’aide [la remesa, soit environ 60 % de la
population, ndlr] et les autres. Entre les “Palestinos”, ces déplacés venus de l’est de l’île, et
les Havanais.» Dans son bureau de la faculté
de lettres, où s’ébrouent des étudiants à la
recherche de profs souvent absents, Camejo
avance : «L’Etat devra peut-être à l’avenir se
recentrer sur les plus faibles.»
Pourtant, il y aurait, assure Jorge Perugorría,
l’acteur le plus célèbre de Cuba, une sorte de
ruissellement des bénéfices de l’ouverture,
qui toucherait de plus en plus de Cubains.
«Prenez la vieille Havane. Il y a quelques années, on ne voyait que la reconstruction officielle», portée par un Etat tentaculaire. «Désormais, on voit la dynamique privée, l’essor
d’initiatives individuelles, notamment avec la
multiplication de paladares», ces restaurants
chics aux mains de particuliers, infréquentables pour les Cubains: un repas à 10 CUC représente une semaine de salaire. L’acteur le
sait bien, mais veut croire que «l’Etat va récupérer davantage d’impôts et pourra à terme
augmenter les salaires les plus bas et jouer son
rôle de filet social. Les derniers seront les premiers : on se développera sans faire les mêmes
erreurs que les pays riches».
Suite de la page 3
PIANO STEINWAY. «L’artiste, à Cuba, est
peut-être celui qui est le plus en contact avec
le peuple, il a quasiment le même niveau de vie,
il lutte au quotidien», analyse le musicien XAlfonso, qui a créé la Fábrica de arte cubano,
lieu avant-gardiste et symbole du bouillonnement culturel dans la capitale (Libération
du 29 avril). Enfin, ici comme ailleurs, tous
les artistes ne sont pas égaux. Jorge Perugorría ne le cache pas quand il reçoit chez lui à
Santa Fe, une banlieue chic. La majestueuse
maison des années 50, avec une Lada devant
le porche et un Steinway dans le salon,
donne sur la mer. Elle est truffée de ses propres peintures. Le beau gosse aux yeux bleus
de Fraise et Chocolat et, plus récemment, de
Retour à Ithaque, n’a jamais cédé aux sirènes
de l’exil hollywoodien («Jamais je n’aurais
abandonné ma famille, ma ville.») Il n’a
aucune raison de le faire aujourd’hui. «Je
suis optimiste sur ce rapprochement sans condition ni préalable avec les Etats-Unis, sourit-il. Les gens ont le sentiment qu’ils vont pouvoir faire ce qu’ils ne pouvaient pas faire avant.
Ce processus de libéralisation est à mon avis
irréversible.» Comme beaucoup, il semble
hésiter sur le tempo à venir du dégel du pays
du socialisme réel. «On aimerait que les changements soient plus rapides, mais si on va trop
vite, cela peut virer au chaos», dit Perugorría.
L’acteur a plus de 50 films à son actif et s’apprête à incarner Mario Conde, le détective
fétiche d’un autre Cubain célèbre, le romancier Leonardo Padura.
Va-t-on vers une thérapie de choc, comme
dans les anciens pays du bloc de l’Est ? La
voie d’un capitalisme d’Etat, comme en
Chine et au Vietnam, sera-t-elle suivie? Ou
un entre-deux, «une sorte de développement
à la française, ou à la suédoise, avec encore un
Etat-providence», esquisse un dessinateur qui
rêve de voir la première visite d’un chef
d’Etat français, ce lundi, déboucher sur quelque chose dont il peine à définir les contours.
MICHAEL CHRISTOPHER BROWN. MAGNUM
P
rofesseur(e)s Toc et Zoc, vous êtes
les spécialistes mondiaux de toute
situation. Que nous décryptez-vous
cette semaine ?
Pr Zoc : La devise française actuelle en matière
de droits de l’homme ? La vérité si je vends.
Pr Toc : On ne peut dénier à François Hollande
un talent pour prendre possession de l’espace :
c’était Dominique Strauss-Kahn le favori
de la primaire socialiste. L’homme a eu un
empêchement et hop, Hollande est président.
Les Américains agacent Egyptiens et Qataris
et hop, les contrats tombent en Rafale. Alors,
les Cubains ne sont-ils pas plus demandeurs
de camemberts que d’un régime plus coulant ?
Comptons sur le président french kiss
pour tartiner une synthèse.
Pr Zoc : Il ne manquerait plus que François
Hollande vende l’Europe aux Anglais.
Il nous a bien vendu sa lutte contre la finance
internationale, le chômage et le désemploi
des jeunes (et des seniors).
Pr Toc : Ce n’est pas pour rien que la France est
la première destination touristique : on arrive à
tout faire avaler aux étrangers, nos chauffeurs
de taxi, nos garçons de café et nos pizzas.
Pr Zoc : Il est souvent question de la fuite des
cerveaux, mais il serait plus adéquat de parler
d’exportation de cerveaux, qu’il faudrait
prendre en compte dans la balance
du commerce extérieur.
Pr Toc : Et les paradis fiscaux, les sommes qui y
arrivent de France sont-elles portées au crédit
de nos exportations ? Parce que vous évoquiez
la finance internationale, il faut aussi lui rendre
justice : n’est-ce pas parce que le dollar est si
haut que notre continent redevient
compétitif ? On peut seulement regretter
que ce pouvoir n’appartienne pas aux électeurs
européens, ni d’ailleurs à leurs élus.
Pr Zoc: Il semble que les polémiques
politiciennes nous aient également rendus
injustes envers la compétitivité française
puisque, par exemple, les capitaux qataris
paraissent trouver le terrain propice aux
bonnes affaires, et alors même qu’on n’a
pas encore adopté le droit du travail en vigueur
là-bas. Ils ont confiance, eux. Les Français
devraient en prendre de la graine.
Pr Toc : Louons aussi le génie français qui,
en cette période de compétitivité sans merci
et de haute technologie, a pu tirer son épingle
du jeu pour devenir le leader incontesté du sac
à main, et sans rien brader.
Pr Zoc : Et les cosmétiques, on oublie souvent
les cosmétiques.
Pr Toc : C’est pour ça qu’il y a tant de chômeurs
en France. Le pays excelle plutôt dans le luxe.
Le bon goût français ne se mange pas en salade.
Pr Zoc : Mais nos armes redoutables, que nous
diffusons dans le monde entier, ne nous
empêchent pas d’être, pour le bien et pour le
meilleur, un peu sous les ordres de notre voisin
allemand, pourtant plus ou moins désarmé.
Pr Toc : Ça doit être rude pour Nicolas Sarkozy,
le messie du ni-ni, de voir l’actuel président
semer les Rafale sur tous les grands théâtres
du monde, avant d’entrer sous les ovations
dans la salle des fêtes de Saint-Bonnet-surBébête pour son meeting sur l’islam. •
tre pour ses images de la révolution libyenne, prises avec
le petit appareil, et dont il a
fait un style en dynamitant la
Michael Christopher Brown
a refait le coup du téléphone
et s’est approché, incognito,
des Cubains. Comme un touriste. Il confie:
«ComparativeLes doigts de la belle,
ment au Congo,
glissés dans la poche avant
où j’ai passé
du pantalon, cherchent-ils
beaucoup de
un briquet ou la ferveur
temps et où dès
que tu sors un
amoureuse de son homme?
appareil photo,
photographie de guerre. On les protestations et les pourimagine les discussions en parlers commencent, faire des
interne chez Magnum pour le photos à Cuba, c’est un peu
recrutement de ce photogra- comme être en vacances !»
phe phonophile! Envoyé par Avec cette technique et cette
le New York Times à Cuba, approche, il pénètre l’intimité et brosse un tableau
vivant.
Ses deux protagonistes ont
une attitude «post coïtum
animal triste». Pourtant,
quelques détails trahissent
l’érotisme. Les vêtements retiennent l’attention dans un
sacré mélange des genres.
Les lettres gothiques sur le
tee-shirt du monsieur, ainsi
que sa coupe de footballeur
grisonnant, contrastent fort
avec sa ceinture bling-bling
incrustée de strass Dolce
& Gabbana. On remarque
aussi la ceinture de la dame,
LIBÉRATION LUNDI 11 MAI 2015
EVENEMENT
•
5
A gauche:
dans une rue de
la vieille Havane.
A droite: lors
d’un concert
sur le Malecón,
en bord de mer.
PHOTOS MICHAEL
CHRISTOPHER
BROWN. MAGNUM
Il est seulement sûr d’une chose : Cuba ne
doit pas «foncer tête baissée et se faire avaler»
par l’oncle Sam.
«Le rapprochement avec la France? C’est certainement le pays dont nous sommes culturellement les plus proches. Même si la France, il faut
dans le monstre et j’en connais les entrailles.»
L’écrivain Wendy Guerra, qui a suivi les ateliers d’écriture de Gabriel García Márquez et
dont la plupart des romans sont interdits à
Cuba, le dit à sa manière: «Je veux que Cuba
ne soit plus le Cuba que l’on connaît depuis la
révolution, souffle-t-elle. Mais
je ne veux pas que Cuba de«Notre île va devoir se voir telle qu’elle
vienne la succursale des Etatsest: une femme qui rêve de s’habiller en
Unis.» L’auteure de Tout le
Chanel mais qui n’a pas de quoi manger.
monde s’en va (Stock, 2008) ou
Negra (Stock, 2014) dit «avoir
Et nous, les Cubains, comme notre pays,
peur du passé, mais pas du funous allons devoir nous reconstruire.»
tur», et vit le présent à cent à
Wendy Guerra écrivain
l’heure, parce qu’elle ne sait
pas où elle va, comme son
aller la chercher, note Eduardo Torres, direc- pays. Elle montre du doigt les caméras qu’elle
teur de la bibliothèque nationale et député. a installées dans son duplex. «Je ne suis pas
Avec les Etats-Unis, en revanche, l’embargo fut parano, mais je veux voir qui vient me visiter
antinaturel car les relations entre les deux pays quand je ne suis pas là, surveiller ceux qui me
ont toujours existé.»
surveillent…»
A La Havane, beaucoup d’artistes et d’intellectuels rappellent ce mot de José Martí DAVID SANS GOLIATH. Si l’accélération des
(1853-1895), le héros de l’indépendance un réformes économiques et sociales suscite
temps exilé sur le sol américain : «J’ai vécu parfois la méfiance – «c’est donner le senti-
ment que cela change pour une minorité, quand
rien ne change pour la majorité des Cubains»,
dit un opposant–, l’écrivain, elle, assure que
le changement en cours brouille les cartes
depuis si longtemps distribuées. Elle insiste:
«L’obsession américaine a vécu, notre ennemi
n’est plus.» Ce ne sera bientôt plus à cause de
lui qu’il sera si compliqué «d’avoir un logement, au lieu de s’entasser à plusieurs générations dans un taudis». Ni à cause de lui qu’il
sera «si compliqué de voyager, de parler librement». Ou qu’on dira à un enfant: «La coupure d’eau ? C’est la faute de l’embargo.»
Comment vivra David sans Goliath? Wendy
Guerra parle de la tétanie, de la peur qui dure
et durera encore bien après les menaces,
quand les interdits se seront évanouis. Pas
uniquement ceux qui entourent les libertés
publiques, le droit de créer une association,
un parti, un journal. A Cuba, il est interdit de
tuer une vache, au terme du décret 225
de 1997 qui réprime «les violations personnelles
de la réglementation pour le contrôle et l’enregistrement des bovins et des races pures». Interdit de vendre des crevettes ou des lan-
Libération du lundi 11 mai.
goustes (on en trouve dans les restaurants
pour touristes, jamais sur les tables des habitants). Interdit de monter sur des voiliers touristiques. «Mais pas interdit de corrompre ou
d’arnaquer, car cela tient du mode de vie ou de
la survie», note la romancière. Elle en rit, car
le rire, à Cuba, renforce les défenses immunitaires : «Notre île va devoir se voir telle qu’elle
est: une femme qui rêve de s’habiller en Chanel
mais qui n’a pas de quoi manger. Et nous, les
Cubains, comme notre capitale, notre pays, nous
allons devoir nous reconstruire.»
Se reconstruire. Ou se construire, déjà. Car,
comme commente un poète, la liberté artistique, la liberté tout court, il faut aller la
chercher. «Elle est déjà là, rétorque Eduardo
Torres Cuevas, apparatchik critique. Parlez
aux gens, vous verrez : ce sont les plus grands
critiques de la société actuelle. Ils ont une conscience aiguë de ce qu’ils ont et ne veulent pas
perdre.» Une conscience aiguë aussi de ce
qu’ils ne veulent pas garder, comme cet Etat
policier en déréliction, qu’un opposant désigne comme un «totalitarisme soft».
Quand on évoque le sujet avec Raúl Paz,
«ON N’ENVOIE PLUS EN
PRISON, ON HARCÈLE»
En janvier, le premier geste de
«bonne volonté» de Cuba vis-à-vis
de son nouvel ami américain a été la
libération de 53 prisonniers politiques
mi-janvier. «C’est un point positif»,
note Robin Guittard, chargé de
campagne d’Amnesty International
pour la région caraïbe. Mais, selon lui,
il s’agit «davantage d’un changement
de tactique» que d’une avancée
démocratique: «On n’envoie plus
les opposants en prison pour dix ou
quinze ans, mais on les harcèle en
les arrêtant plusieurs fois par mois.»
L’ONG rappelle que «les droits de
réunion, d’association et d’expression»
ne sont pas possibles en dehors de
structures contrôlées par le régime.
Ni Amnesty ni les commissions de
l’ONU n’ont l’autorisation de se rendre
sur place pour constater la situation
réelle des droits humains. F.-X.G.
chanteur de soul cubaine de retour depuis
six ans après un exil de dix-sept ans en
France, il livre cette réponse étonnante: «On
parle des libertés publiques, de démocratisation,
et c’est évidemment essentiel. Mais il y a aussi
ici une liberté de respirer un air pas encore pollué
par les industries. Une liberté de voir ses enfants
pas encore dévorés par les écrans ou les publicités. Une liberté de se promener dans des rues
épargnées par la violence qui gangrène toute
l’Amérique, du nord au sud.» Paz se dit heureux de sa vie à La Havane. Il se sait favorisé,
mais il a un double regard passionnant sur la
vie dans et hors de l’île. «Ce que je sais, c’est
que l’énorme majorité des Cubains n’étaient pas
nés au moment de la révolution : arrêtons de la
fétichiser au point de tout excuser.»
«PETITE ÉLITE». Raúl Paz se sent libre. Libre
en particulier d’interpeller le ministre de la
Culture sur un sujet brûlant: l’accès à Internet. «Il faut le démocratiser. Vous trouvez que
c’est révolutionnaire d’avoir un outil auquel n’a
droit qu’une petite élite ?» lui a-t-il lancé. Le
pays tient encore de «l’île des déconnectés»,
comme l’appelle la blogueuse dissidente
Yoani Sánchez dont le site, 14ymedio, a été
censuré dès sa mise en ligne, en mai 2014.
Freedom Home, qui étudie l’étendue de la
démocratie dans le monde, estime le taux de
pénétration d’Internet à 25%. «C’est très surévalué, relève un artiste. Une connexion mensuelle coûte 180 dollars, pour un débit frôlant le
ridicule.» Le régime a, enfin, autorisé en 2008
l’achat d’un ordinateur personnel. Mais la
connexion à domicile n’est autorisée qu’aux
étrangers et à certaines personnes agréées :
fonctionnaires, médecins, journalistes… Les
autres doivent passer par les ordinateurs mis
à disposition dans les hôtels ou dans les boutiques de la compagnie d’Etat Etecsa. Et la
connexion coûte au minimum 4,50 CUC.
«Il faut rêver à un vrai changement, là-dessus
comme sur le reste: le rêve est ce qui peut nous
arriver de meilleur», résume Moisés Finalé.
Autre expatrié un temps en France, ce plasticien développe un imaginaire baroque et fantastique qui rappelle celui de l’écrivain Alejo
Carpentier, autre mythe cubain. Pas un rideau, pas un lustre, dans son Suite page 6
portée taille basse et assortie
au tee-shirt. La mode made
in Cuba se débrouille avec les
moyens du bord, et les marques internationales – sans
doute leurs contrefaçons –
ont réussi à percer le barrage
des frontières. Les magasins
vides, on se demande bien
comment les Cubains arrivent à se procurer ces vêtements logotypés. Sous les
habits, il y a la peau. C’est là
le tour de force du photographe, qui n’est pas n’importe
quel touriste. Il arrive à capter la lumière et les nuances
de la peau brune. Ventre,
cuisse, décolleté, dos. Le pelvis de l’homme, négligemment découvert, appelle la
caresse. D’ailleurs, sa compagne y risque la main. Les
doigts de la belle, glissés
dans la poche avant du pantalon, cherchent-ils un briquet ou la ferveur amoureuse
de son homme? Dernier détail: la barre métallique juste
derrière le couple, sortie de
nulle part et pointée vers le
ciel. Là, cela saute aux yeux.
Il y a un message subliminal.
Oui, Cuba, un peu lasse,
bande encore. •
CANNES•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
Dolores Fonzi,
à Cannes. PHOTO
FREDÉRIC STUCIN
RESTONS
PALME
Netflixisation
Par CLÉMENT GHYS
et JOHANNA LUYSSEN
Dolores Fonzi,
belle obstinée
CRITIQUE DE
«PAULINA», PAGE III
«Nous assistons à un nouvel
âge d’or de la télévision, où
le cinéma est bousculé par
les séries.» C’est ainsi que
Ted Sarandos, patron des
acquisitions de Netflix,
a entamé sa petite
«conversation» cannoise,
vendredi matin au Marché
du film. Il a de quoi se
rengorger. Le géant de
la VOD agit comme une
ombre, courtisée de toutes
parts, avec la même
intensité qu’il est craint.
The Hollywood Reporter
citait le producteur Nigel
Sinclair : «Tout le monde
veut rencontrer Netflix
– tous les artistes, les
talents qui veulent sceller
un projet innovant.»
En somme, tous ceux
qui veulent profiter de
la manne que le service
promet. Et cela sans
compter la nouvelle étape
de l’entreprise américaine :
pénétrer la Chine et son
1,4 milliard de spectateurs
potentiels. Mais les chiffres
d’audience sont encore
assez opaques. Et ils sont
nombreux à s’inquiéter des
conséquences structurelles
d’une netflixisation de
l’écosystème du cinéma.
Cela pourrait être
l’affaiblissement des salles,
la baisse des subventions
ou un phagocytage
de la chaîne de la création,
en laissant sur le carreau
les intermédiaires.
Cela dénote une angoisse
dans un milieu en pleine
mutation. Ainsi du coup
de neurasthénie de Woody
Allen qui, à la conférence
de presse de son film, a
estimé avoir commis «une
erreur catastrophique»
en signant le contrat d’une
série avec le service de
VOD d’Amazon (rival de
Netflix). Une série dont on
ignore les détails mais
qu’il juge déjà comme un
«embarras cosmique».
Au magazine Deadline,
le New-Yorkais a avoué
«ne pas savoir ce qu’est
le streaming», ni même
Amazon, et «ne jamais
regarder toutes ces séries,
même sur le câble».
II
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
CANNES
SAGA «Trois Souvenirs de ma jeunesse», superbe nouvel épisode de la vie de Paul Dédalus.
Desplechin,
déroulez jeunesse
Jeunes et pas
jaunis. PHOTO
JEAN-CLAUDE
LOTHER.
WHY NOT PROD.
QUINZAINE DES RÉALISATEURS
TROIS SOUVENIRS
DE MA JEUNESSE
d’ARNAUD DESPLECHIN
avec Quentin Dolmaire, Lou Roy Lecollinet,
Mathieu Amalric… 2 heures. Sortie le 20 mai.
F
rançois Truffaut avait Antoine Doinel, Arnaud Desplechin a Paul Dédalus. Ce
personnage, au patronyme
emprunté à James Joyce, on
l’a rencontré en 1996 avec
Comment je me suis disputé…
(ma vie sexuelle) où il était un prof de
philo trentenaire, normalien et surpsychanalysé, empêtré dans ses histoires d’amour. Et puis, il est apparu en
adolescent confus dans Un conte de Noël
en 2008. Desplechin n’est pas Truffaut,
et son héros incarne bien son cinéma si-
nueux et complexe, parfois volubile. Il
n’y a, comme chez Hugo Pratt, aucune
trajectoire biographique figée, ni parcours qui défilerait avec logique comme
tombent des dominos. Paul Dédalus est
le personnage principal de Trois Souvenirs de ma jeunesse. Adulte, il est joué,
comme dans Comment je me suis disputé… par Mathieu Amalric. Jeune
homme, c’est le velouté Quentin Dolmaire qui endosse le rôle (lire son portrait dans Libération de vendredi) et à qui
le cinéaste a demandé de regarder Baisers volés avant le tournage.
Prête-nom. A quoi correspond le
«ma» du titre ? A qui appartient cette
jeunesse, à Paul Dédalus ou à Arnaud
Desplechin ? Qui sait ? Au fil de sa filmographie, la biographie du cinéaste
nous est devenue familière, quasi intime. On en connaît le décor, l’ancrage
roubaisien, les rues de brique orange ou
le lycée Baudelaire, les personnages (la
mère honnie, la tante adorée, la bande
de potes-cousins), les mystères (les garçons qui s’échangent les filles, le judaïsme fantasmé). Paul Dédalus pourrait être une anagramme d’Arnaud
Desplechin, c’est son prête-nom.
C’est justement une question de nom
qui donne au film son souffle premier,
le démarrage de cette haletante péripétie dans l’intime. Après des années passées au Tadjikistan –pour y faire quoi ?
on ne sait pas vraiment – , le héros revient en France et, arrêté par la police
des frontières, se voit informer qu’un
autre Paul Dédalus existe quelque part,
un Russe réfugié en Israël et mort en
Australie. Face au constat d’une identité
parallèle, il se met à sonder la sienne, se
penche sur ses souvenirs. Trois chapitres, qui graduellement montent en ampleur et en durée, façonnent le personnage, depuis sa petite enfance où il
s’oppose à une mère folle et inco-
JUSTE UN
DÉTAIL
LA BIBLIOTHÈQUE DE DÉDALUS
Dans les films d’Arnaud Desplechin, on lit beaucoup.
Et Paul Dédalus souffre quelque peu de bibliophagie.
Dans de nombreux plans, on voit des couvertures
de livres, souvent écornées ou jaunies. Apparaissent
ainsi, entre autres, les Aventures d’Arthur Gordon Pym,
seul roman achevé d’Edgar Allan Poe et délirant
récit d’expédition antarctique, le poème Among
School Children de William Butler Yeats. Mais également des travaux plus académiques, comme l’Interprétation du rêve de Sigmund Freud (ici en version
allemande originale), Mœurs et Sexualité en Océanie
de l’anthropologue Margaret Mead, des textes
de l’historien Jean Zafiropulo ou de l’ethnologue
Claude Lévi-Strauss.
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
hérente qui meurt vite et laisse la
fratrie Dédalus avec un père (l’intrigant
Olivier Rabourdin) incapable d’exprimer la moindre émotion. Le film suit la
trajectoire brouillée du garçon qui devient homme.
Avec Trois Souvenirs de ma jeunesse,
se profile la volonté d’Arnaud Desplechin de fabriquer, si ce n’est un
chef-d’œuvre, une somme, un monument à son héros (donc lui-même) mais
aussi à son cinéma. S’entrecroisent des
fragments de ses films passés, des décors, bribes de dialogues, atmosphères
ou intonations de la Sentinelle, Rois et
Reine ou l’Aimée… Mais dans ce vaste
corpus, la vie fictionnelle de Dédalus
imbriquée à sa filmographie, Desplechin trace une ligne incroyablement
claire. Il fait de ce Roubaix grisâtre un
Moulinsart d’où partir à l’aventure.
Passeport. Le cinéaste n’est jamais
aussi juste que dans son traitement de
l’adolescence. Plutôt que de la décrire,
façon documentariste, il la réinvente,
offre à ses héros un romanesque que
l’on aurait adoré vivre. A l’occasion
d’un voyage scolaire en URSS, Paul cache de l’argent dans ses valises et le livre à des juifs qui rêvent de fuir en Israël. Lors de cette mission de petit agent
secret, il donne son passeport à un
jeune homme partant pour l’exil. Ce
dédoublement initial, qui intrigue les
douaniers des décennies plus tard, l’accompagne secrètement dans sa formation, lui offre un «ailleurs» intime.
Dans Comment je me suis disputé…, Paul
adulte se souvenait d’un roman d’aventures de pirates, entamé dans sa chambre. Même si les amarres sont vissées au
port d’attache nordiste (un personnage
lance d’ailleurs «Roubaix est ma malédiction»), Desplechin ose faire du Stevenson. Il fait étudier l’ethnologie à son
héros, envoie son film à la découverte
des derniers mondes inconnus, dans les
cafés tapissés de cette Asie centrale,
l’un des derniers pôles d’exotisme d’un
monde mondialisé.
Passion. Les déplacements géographiques que Trois Souvenirs de ma jeunesse
met en place ou imagine ne sont rien à
côté d’un encore plus grand voyage. Ça
peut paraître niais, trop simple, déjà
traité dans tous les sens, mais cette envolée-là, c’est celle du premier amour:
Esther, une jeune femme belle et légère.
Une annonce publiée dans Nord éclair au
moment du casting en mai 2014 définissait le rôle ainsi : «Arrogante, voluptueuse. Elle a son franc-parler et une belle
assurance.» Lou Roy-Lecollinet (autre
merveille révélée par Desplechin) est
cette fille-là, obsédant Paul et affolant
son entourage. Pendant plusieurs années, le couple s’aime passionnément,
se déchire, se rabiboche, se trompe, ne
s’oublie jamais. Est filmée la passion
adolescente dans ce qu’elle a de plus
grandiose et de tragique. A la fois une
liberté, qui aide à se construire, à devenir sujet, et un poids dont on ne sait que
faire une fois adulte. La jeunesse chez
Desplechin consiste moins en la nostalgie de ce qui a été qu’en un regard déchirant sur un passé parallèle, sur des
vies non avenues. Esther (illuminée par
la chef op Irina Lubtchansky) a les cheveux blonds qui scintillent, son visage
charnu avale le cadre. Elle est magnifique, mais sa beauté n’est pas celle d’une
vie réelle, c’est celle, imbattable et indépassable, d’un souvenir.
CLÉMENT GHYS
CANNES
•
III
GROSSE TENDANCE À...
00h04 goodies
A la fête inaugurale de la Quinzaine des
réalisateurs sur la plage du même nom
(où les trois quarts de la rédaction
cannoise de Libé n’ont pu rentrer, merci
bien), Philippe Garrel est à l’honneur,
son Ombre des femmes faisant l’ouverture de la sélection. Comme de coutume, sont distribués des goodies. Oui,
des produits dérivés du cinéma de Garrel, soit sans doute le plus bel oxymore
croisé depuis ce début de Festival et du
jamais-vu depuis les pochons de LSD
donnés à la sortie de la projo de la Cicatrice intérieure. En l’occurrence, il s’agit
de lunettes de soleil, aux branches noires ou blanches. On va encore en passer
des heures sous les sunlights.
01h34 1+1
C’est en errant au hasard de la Croisette
la nuit (dans un état très digne, merci de
vous inquiéter) que l’on tombe en arrêt
devant l’affiche de THE film qui nous
excite pour le futur (et au-delà):
Un+Une. Et c’est de qui? De notre adoré
Claude Lelouch. Et c’est avec qui? Jean
Dujardin et Elsa Zylberstein. Qui dit
mieux? Il s’agit, selon les propos du
maestro sur Allociné, d’un «road-movie à
travers l’Inde, une comédie initiatique
centrée sur l’histoire d’un mec qui se fout
de tout sauf de ce qu’il fait et… d’une
femme». Et donc pas un remake signé
Lelouch du portrait godardien des Stones, One+One, avec les Enfoirés en lieu
et place des papys rockers. Trop dommage.
02h21 Robinwood
On croise n’importe qui à Cannes. Sur
l’esplanade-terrasse du Grand Hôtel, on
noue connaissance avec un individu se
présentant sous le nom de Locksley, oui,
comme Robin des bois, son aïeul assuret-il, à l’évocation duquel l’énergumène
–qui lui-même réside à Nottingham– se
met à pleurer des larmes de bière très
pure. On se trouvera toutefois obligés
de couper court à notre nouvelle
accointance avec la noblesse fin de race
anglaise lorsque, pour se redorer le
moral, celle-ci se pique de nous conter
une blague. Horrible. Raciste. Prince des
voleurs, mon cul!
16h34 woody
De passage avec Un homme irrationnel
(lire page VI) sur la Croisette, où il dispense des entretiens paraît-il parfois
chèrement tarifés par son distributeur,
Woody Allen aurait confessé à nos
confrères du Point cette sentence implacable: «L’industrie du cinéma va très
mal.» Un peu comme son inspiration?
C.Ga., J.G. et C.Gh.
DRAME Santiago Mitre filme l’obstination d’une jeune femme à mener sa vie
en accord avec ses idéaux, et à ses risques et périls
«Paulina», cry for me Argentina
SEMAINE DE LA CRITIQUE
PAULINA
de SANTIAGO MITRE
avec Dolores Fonzi, Oscar
Martinez, Esteban Lamothe… 1h43.
F
ort du succès d’El Estudiante, un saisissant premier long métrage autoproduit, remarqué à
Locarno en 2011 et couvert de
prix lors de son tour d’honneur
festivalier, le jeune cinéaste argentin Santiago Mitre, scénariste aguerri de 34 ans, a pu
échafauder son projet suivant
dans un confort de production
tout autre, avec notamment
l’appui du réalisateur brésilien
Walter Salles.
La forme de son cinéma telle
qu’esquissée par son premier
film ne s’en trouve toutefois
nullement altérée, au point que
les prémices de Paulina pourraient en paraître une ramification tardive, une manière de
continuation projetée quelques
années plus tard – bien qu’il
s’agisse là d’un remake, semble-t-il très libre, d’un film homonyme de 1960.
Détermination. Après les joutes militantes et les jeux de
pouvoir au sein du laboratoire
idéologique de l’Université de
Buenos Aires d’El Estudiante, il
dépeint ici un nouvel affrontement rhétorique, politique, au
sens le plus noble (que chacune
de ses réalisations s’échine
joliment à remobiliser), dès
l’ouverture du film, qui tient en
un alerte plan-séquence de huit
minutes. Une fille et son père
aux airs de baron de la magistrature à la voix de miel s’y opposent ici encore sur la façon la
Paulina (Dolores Fonzi), avocate qui lâche le barreau. PHOTO AD VITAM
plus juste d’agir en accord avec
ses idéaux progressistes, la manière la plus opérante d’intervenir sur le cours inégalitaire de
la société. Déjà engagée dans
une prometteuse carrière dans
la justice, Paulina affirme sa
détermination à abandonner
cette vocation et sa vie à Buenos
Aires pour partir prodiguer la
culture politique aux confins de
la frontière paraguayenne.
Lui raille ce choix mais ploie
vite devant l’obstination de la
jeune femme, qui file donc
seule dispenser ses évangiles
démocratiques à de sales gosses
récalcitrants, lesquels l’invectivent en dialecte et fuient la salle
de classe à la première occasion
– par la fenêtre s’il le faut.
Elle, d’un entêtement que l’excellente Dolores Fonzi incarne
joliment de son regard tendu,
s’accroche pourtant, jusqu’à se
retrouver la cible arbitraire d’un
gang de jeunes parmi lesquels
figurent quelques-unes de ses
ouailles, qui la violent et la
laissent enceinte. Lorsqu’elle
refuse d’avorter et fait mine de
ne vouloir ni endosser une
posture de victime ni de faire
condamner les coupables mais
de dialoguer avec eux pour
sonder leurs motivations,
germe autour d’elle un faisceau
d’incompréhensions plus ou
moins hostiles, dont elle se
défie sèchement, malgré l’ingérence de son père.
Caractère. Si les principaux
fils de l’intrigue d’El Estudiante
trament une nouvelle fois la trajectoire de Paulina (conflit intergénérationnel, émancipation
et affirmation dialectique d’un
tempérament), Mitre déjoue le
didactisme un peu sentencieux
qui pouvait pointer çà et là en
son précédent film tissé de trahisons et de longues tirades
entrechoquées. Sans tellement
signifier la plénitude de son ad-
hésion à sa conception du problème, il endosse une posture
semblable à celle de son héroïne, qui lui fait interroger tour
à tour chaque point de vue antagoniste par de brusques flashbacks et décrochages de la narration, où l’on glisse successivement du sillage de Paulina à
celui de ses agresseurs, puis de
son père. A la clé, nul lièvre levé
– figurez-vous qu’ici comme
ailleurs chacun a ses raisons –,
mais une manière très sûre et
sensible de déployer et parcourir les enjeux de son drame sans
jamais s’improviser juge des
affaires sociales.
Alors que l’essentiel de la génération précédente d’auteurs argentins (les Lucrecia Martel ou
Pablo Trapero, dont Mitre fut le
collaborateur) paraît à bout de
souffle, cela suffit à désigner en
lui un talent, et plus encore un
caractère, à suivre.
JULIEN GESTER
IV
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
CANNES
Géza Röhrig.
PHOTO AD VITAM
SHOAH Le premier long métrage du Hongrois László Nemes, annoncé comme le film
choc de la compétition, pose problème tant par son style que par ses intentions.
Auschwitz, caméra embarquée
EN COMPÉTITION
LE FILS DE SAUL
de LÁSZLÓ NEMES
avec Géza Röhrig, Molnar Levente,
Urs Rechn… 1h47. Sortie en novembre.
U
n jeune homme, vivant entre Paris et Budapest, veut
faire un premier long métrage. Il se passera dans le
camp de concentration d’Auschwitz et le personnage principal
sera un juif obligé de travailler
dans un Sonderkommando. A
l’instar d’un Jonathan Littell, quasi
inconnu, sortant de la foule avec
son imposant roman les Bienveillantes écrit à 39 ans, László Nemes,
38 ans, est en compétition officielle
dès son premier film, apparemment vu et gardé au chaud par les
sélectionneurs dès le mois de décembre, présenté à la conférence de
presse en avril par Thierry Frémaux
comme une œuvre qui allait fortement partager l’audience du
Festival.
Le Fils de Saul est porté par une ambition et une virtuosité qui ne peuvent manquer de saisir le spectateur
d’une sorte de tétanie craintive
pendant toute la projection mais
dont on est quand même bien obligé
d’interroger les principes et la finalité. Que peut aujourd’hui une
fiction steadycamée nous dire de la
réalité d’Auschwitz et de l’expérience des déportés ? Le parti pris
du film est de ne jamais perdre le
point de vue d’un personnage principal, Saul Ausländer (Géza Röhrig),
qui s’active à pousser les nouveaux
arrivants dans les vestiaires, vestibules de l’anéantissement. Une fois
que les victimes en nombre sont
enfermées dans les chambres à gaz,
il trie les vêtements, jette les papiers
d’identité, met de côté bijoux et objets de prix. Puis les portes des
chambres à gaz s’ouvrent, et il
lui faut évacuer les cadavres, puis
brosser le sol à l’eau savonneuse.
Puis attendre un nouveau convoi.
La mécanique de la mise à mort
dont il est un des rouages hagards
est subitement entravée par une
idée fixe qui s’empare de Saul après
avoir vu un jeune garçon respirer
encore malgré le traitement au
Zyklon B et qu’un médecin ausculte
avant de l’étouffer. Saul désignera
plus tard l’enfant comme étant son
fils, même si tous lui affirment qu’il
n’en a pas. On dira qu’il lui en faut
un pour se sauver du néant physique et moral dans lequel, avec
d’autres, il a été précipité par les
nazis. Il ne veut pas que ce gamin
soit autopsié, puis jeté dans un four
crématoire. Il veut une sépulture et,
avant cela, un kaddich, une prière.
Meurtrière. Pendant toute la durée du film, il cherche à dissimuler
le petit cadavre et à trouver, à travers le chaos incessant des chargements humains voués à la mort, un
Cette dimension épique du film,
qui rappelle le Requiem pour un
massacre (1984) du Russe Elem Klimov sur les massacres nazis en Biélorussie, est là pour impressionner,
frapper les esprits en plongeant
le spectateur dans une expérience
violente, traumatique. La bandeson fracassante qui
se compose d’une
La bande-son fracassante
cacophonie remonqui se compose d’une cacophonie
des enfers (inremontée des enfers (vociférations, tée
cessantes vociféraportes qui claquent…) supplée à
tions allemandes,
ce que le cinéaste choisit de ne pas
bruits de portes en
fer qui claquent suimontrer.
vis des stridences
rabbin pour l’aider dans cette tâche. horrifiées des hommes, femmes,
Ces pérégrinations dans la topogra- enfants, vieillards voués à l’asphie labyrinthique du camp nous phyxie, détonations et aboieintroduisent dans les espaces suc- ments…) supplée à ce que le cicessifs d’un monde répugnant néaste choisit de ne pas montrer.
et incompréhensible perçu par Jeu vidéo. Mais la focalisation sur
l’étroite meurtrière du regard d’un Saul est aussi de l’ordre du spectacle
zombie à conscience à la fois alerte immersif et le cheminement dans le
et mutilée. L’essentiel de ce qui se vortex du camp selon une trajecpasse échappe au regard, ou ne sur- toire aussi frondeuse que tremgit que fugacement pour être aussi- blante rappelle étrangement la protôt chassé, ou avalé dans le flou de gression par paliers du jeu vidéo
l’arrière-plan, effacé par la fumée, dont le cinéaste use et abuse avec
la cendre, les flammes. Il faut tou- les mêmes stratégies à impacts.
jours baisser les yeux, bouger d’un C’est une méthode à double tranpoint à un autre, esquiver les coups, chant, car elle permet à László Neles balles perdues, s’activer à n’être mes de ne pas se fixer sur les visages
rien pour échapper au sort de tous. et les yeux des victimes, s’affran-
chissant ainsi de la sentimentalité,
mais elle évacue aussi la dimension
de témoignage et de survie d’un
monde moral à la jointure fugace de
ces échanges entre réprouvés, y
compris aux pires confins de l’indéchiffrable usine de mort mise en
place par les nazis.
Dans ses écrits, le violoniste polonais Simon Laks, devenu le chef
d’orchestre des prisonniers d’Auschwitz, raconte: «Les bribes ténues
de ma mémoire reconstituent une
impression floue, comme si cette rencontre brutale avec la vie du camp
m’avait à la fois plongé dans une stupeur léthargique et catapulté sur une
autre planète. Je me souviens parfaitement d’une chose: la première question que je me pose est “qu’est-ce que
c’est que ce monde ?”» Cette question demeure profondément insoluble et même si László Nemes semble avoir digéré toute la tradition
critique du texte de Rivette sur Kapo
aux débats sur la Liste de Schindler,
il reste, en dépit de son audace ou
de son inconscience, désemparé.
Il aura peut-être (sûrement ?) un
prix, mais parions que le film, privé
de l’effet de surprise de sa révélation cannoise, apparaîtra rapidement d’un kitch somme toute bien
embarrassant.
DIDIER PÉRON
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
CANNES
•
V
“ÉMOUVANT ET SEC, VIOLENT ET AMOUREUX,
SOCIAL ET CHARNEL”
HORS-SOL
DIS, CANNES
REVIENDRAS-TU?
Par THOMAS CLERC (1)
Cannes, j’y suis allé
entre 10 et 17 ans tous
les étés. Cannes n’est
pas le cinéma, pour
moi, c’est la jeunesse, et
même pire, l’enfance.
La mer, la plage, mes
seconds parents. Le
soleil, mon grand ami. L’appartement est
situé dans le sud de la ville, au bout de la
pointe, près du Palm Beach (le casino), place
de l’Etang. On y va tout le mois d’août tous
les mois d’août. Mon amour inaltérable du
Sud est constitué de plusieurs couches, le
Var, la Corse, Cannes. La sédimentation s’est
faite tôt. Entre 1975 et 1982, l’été a déployé
sur moi sa grande tyrannie magnifique. Je me
méfie des gens qui n’aiment pas le Sud. Je
connais leurs arguments par cœur. Le Sud,
c’est vulgaire, puant, bondé. Les gens sont
pas sympas. Ils sont vulgaires. Ils arnaquent
les touristes. Ils sont racistes, ils sont beaufs.
Ils puent le fric. Ils votent à droite quand ils
se croient de gauche et à l’extrême droite
“ÉBLOUISSANT”
”
RUE 89
quand ils se disent de droite. Il n’y a pas de
culture. Ils n’aiment pas les Parisiens. C’est
sinistre en hiver. Je connais, je sais tout ça.
L’enfant n’est pas sensible à ces arguments.
L’enfant n’est pas argumentatif. L’enfant
impose sa présence au monde, qui la lui
rend; la mer, le sable, les jeux m’ont imposé
leur présence solaire. La période que j’ai
préférée dans ma vie, peut-être, fut ces
étés cannois des années septante-cinq
à octante-deux. Le cinéma, c’est moins bien
l’été; l’été, c’est mieux que le cinéma. C’est
vrai à 10 ans, ça sera encore vrai quand je
serai plus grand, c’est encore plus vrai
aujourd’hui. Je n’ai jamais envie de voir de
films dans la lumière d’août. Le Festival de
Cannes naît et meurt en mai. En juillet, la
fête du 7e art ferait un flop comparable à un
film d’art.
Donc, la place de l’Etang, ce carré bordé
d’immeubles plus ou moins moches (le
genre riche-moche, résidentiel balnéaire,
avec des balcons en plexiglas), est le décor
de vacances inoubliées. J’y reviendrai. Sans
doute pas physiquement. Mais bientôt.
TÉLÉRAMA
STUDIO CINÉ LIVE
(1) Tous les jours, l’écrivain livre sa vision
du Festival de Cannes, où qu’il soit.
VOISINAGE Retour à froid sur un crime conjugal
par le discret cinéaste roumain Radu Muntean.
Témoin gêné
à «l’étage du dessous»
Teodor Corban, quidam mutique. PHOTO DR
UN CERTAIN REGARD
L’ÉTAGE DU DESSOUS
de RADU MUNTEAN
avec Teodor Corban, Iulian Postelnicu, Oxana
Moravec… 1h33. Sortie en novembre.
E
n Roumanie, on achève bien les voisins
et les épouses sans que personne n’y
trouve, semble-t-il, rien à redire. Voici
en filigrane les prémices de l’Etage du
dessous, inspiré d’un fait divers. En allant
promener son chien, un certain Patrascu,
quinqua débonnaire, est témoin malgré lui
d’une dispute conjugale qui dégénère –suppute-t-on – en meurtre : celui de sa jeune
voisine par son amant, Vali, un troisième voisin (vous suivez ?). Une fois le train-train
quotidien de la copropriété remis de la mort
violente et non élucidée de la jeune femme,
le patriarche ventripotent Patrascu continue
comme si de rien n’était à faire tourner les
affaires de sa société d’immatriculation de
voitures – gag totalement opaque sur les affres de la bureaucratie roumaine – jusqu’à
être gagné par la culpabilité.
Radu Muntean évolue depuis une dizaine
d’années en sourdine dans le sillage de ce que
l’on a baptisé «nouvelle vague roumaine»,
également représentée cette année par son
compatriote Corneliu Porumboiu (Comoara).
Le cinéaste de Bucarest concourrait déjà
en 2010 à Cannes avec Mardi, après noël, tour
de force tranquille actant en quelques plansséquences la dégradation d’un couple. Déployé selon le même principe à combustion
lente, ce polar placide tourné cette fois en
plans fixes renvoie le crime au hors-champ
et suit sans effusions la ronde de ce quidam
mutique interprété par Teodor Corban,
s’acheminant tranquillement vers son paroxysme. Conçu dans l’évitement des arcs
narratifs les plus logiques (Patrascu doit-il,
va-t-il dénoncer le principal suspect, Vali, le
jeune voisin?), le scénario opte pour un louable refus de toute psychologie ostentatoire,
propice à l’enlisement dans un pénible dilemme moral ou règlement de comptes à
l’emporte-pièce. A renvoyer systématiquement personnages et mise en scène à leur
quant-à-soi, le film se mure peu à peu dans
une réserve ingrate que renforce sa conclusion énoncée du bout des lèvres.
CLÉMENTINE GALLOT
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
VI
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
CANNES
PANCAKES «L’homme irrationnel»
ou le portrait absurde d’un prof
aux instincts criminels.
Woody Allen,
retour
de flemme
HORS COMPÉTITION
L’HOMME IRRATIONNEL
de WOODY ALLEN
avec Joaquin Phoenix, Emma
Stone… 1h36. Sortie le
14 octobre.
Chien ou homard, une question d’affinités pour Colin Farrell et Rachel Weisz. PHOTO HAUT ET COURT
HOMARD Le Grec Yórgos Lánthimos signe avec «The Lobster»
une fable étrange où les célibataires sont changés en animaux.
Satire dans tous les sens
EN COMPÉTITION
THE LOBSTER
de YÓRGOS LÁNTHIMOS
avec Colin Farrell, John C. Reilly, Léa
Seydoux… 1h58. Sortie le 30 octobre.
T
hierry Frémaux avait raison
lors de l’annonce de la présence en compétition de The
Lobster, de Yórgos Lánthimos, de le désigner comme l’«un de
ces films dont on ne comprend pas
tout». A commencer par la cote dont
jouit, d’une nomination aux oscars
pour Canine à une fanbase hystérique, ce jeune cinéaste grec, cette
fois exilé en Irlande et entouré d’une
clinquante distribution internationale (Colin Farrell génial de douce
folie atone, en plein retour de bedaine moustachue dix ans après
Miami Vice, Léa Seydoux, Rachel
Weisz, John C. Reilly, Ben Whishaw…). Alors que l’affaire, si elle
cultive ses accents consciencieusement obscurcis d’imbitable étrangeté, n’a rien non plus d’un dédale
impénétrable.
Il s’agit d’un monde qui a presque
tous les traits du nôtre, où les individus sont sommés de se trouver une
moitié sous peine d’être reconfigurés sous une forme animale choisie
–la plupart se choisissent un devenir chien, quand le héros se verrait
bien virer homard (d’où le titre)
pour des questions d’affinité marine, de longévité et de perpétuelle
propension à la reproduction. Les
célibataires en instance de transformation sont massés dans une sorte
de palace balnéaire perpétuellement
hors-saison, où une ultime opportunité d’accouplement leur est offerte selon les modalités d’une sociabilité étrange. Cela, entre deux
chasses aux «Solitaires» qui peuplent la forêt non loin et résistent à
cette sommation de s’unir, fédérés
par une idéologie tout aussi clano-
autoritaire, qui dicte notamment à
chacun de creuser sa propre tombe,
au moins à titre préventif.
Dystopie. Avec une indéniable force
plastique (l’image est somptueuse,
chacune de ses compositions grinçantes transpire une minutie extrême) et une inventivité très sûre,
Lánthimos ordonnance sa dystopie,
mi-conte horrifique des mœurs
amoureuses, mi-satire monstrueuse
de l’injonction à la normativité sociale, comme une succession de vignettes éteintes, qui peut certes évoquer dans ses accès les plus drôles et
inspirés la farce poétique à la Dupieux, mais souvent trop asphyxiée
et surconsciente de ses effets de
manche pour jamais s’incarner pardelà la brillance de l’acteur. Il n’est
toutefois pas interdit de croire que
tant de férocité à l’absurdité ripolinée
suscite l’admiration des frères Coen
–à eux, il aura fallu un peu plus de
vingt ans de carrière pour atteindre
un tel degré de triste dessèchement.
JULIEN GESTER
L’écrivain israélien revu par la native de Jérusalem
Natalie Portman, dans un pensum littéraire académique.
DÉRACINEMENT
Un mauvais sort fait à Amos Oz
SÉANCE SPÉCIALE
UNE HISTOIRE D’AMOUR
ET DE TÉNÈBRES
de et avec NATALIE PORTMAN
et aussi Giald Kahana, Amir Tessler… 1h45.
N’
en déplaise aux scrupuleux programmateurs du
Festival, la sélection hors
compétition (séance spéciale) de ce premier essai réalisé par
la comédienne Natalie Portman relève sans doute davantage du flair
stratégique que d’un engouement
sincère, quand bien même celui-ci
lui tiendrait visiblement très à
cœur. Tiré du recueil autobiographique d’Amos Oz, Une histoire
d’amour et de ténèbres relate son
enfance à Jérusalem au sortir de la
guerre, concomitante à la naissance
de l’Etat d’Israël, entre un émigré
lituanien lettré, pour le père, et une
mère mélancolique issue de la bourgeoisie polonaise. Cette dernière,
Fania, interprétée par l’actrice ellemême, souffrit d’un déracinement
dont elle ne se remit jamais, la conduisant à la dépression puis au suicide. Elle serait à l’origine de la vocation de l’écrivain au travers de
contes et paraboles narrés au coucher, à la chandelle.
Bilingue, la comédienne américaine
née à Jérusalem et passée par l’Université hébraïque a le mérite de faire
résonner le très beau texte de ces
mémoires de l’écrivain israélien star
publiés il y a une dizaine d’années,
dont elle a coordonné l’adaptation
littéraire. Cette reconstitution costumée dans un sépia délavé de carte
postale jaunie (effet d’époque garanti) verse rapidement dans un
académisme embarrassant, lesté de
ralentis, voix off et violons intempestifs. Jusqu’à se défausser en mettant ces propos géopolitiques dans
la bouche de l’enfant: «Il y a assez de
place ici pour nos deux peuples, il faut
apprendre à vivre en paix.» Certes…
CLÉMENTINE GALLOT
O
res familiales qui s’apprête à
retirer la garde des enfants
à une mère de famille. Du
moins, le prof aux instincts
de justicier criminel se
fonde-t-il sur la seule captation dans un dinner d’une
conversation entre membres
d’une famille qu’il ne
connaît pas, et que l’on ne
reverra d’ailleurs jamais par
la suite. Le plan d’action
se déroule comme prévu,
le juge meurt et Lucas pète
la forme, mangeant des
quantités anormales de pancakes et retrouvant une ardeur sexuelle perdue depuis
un an.
Le film n’est qu’une succession de conversations (à ta-
n ne sait pas trop
où en est Woody
Allen du temps
d’écriture de ses
scripts et dialogues, mais on
peut dire qu’il ne s’est pas
trop fatigué pour essayer
de rendre crédible le statut
de professeur de philo audacieux et brillant qu’est censé
incarner Abe Lucas (Joaquin
Phoenix) quand il débarque
sur le campus de
Newport. Débi- Devant ses étudiants, Abe
tant devant ses
Lucas débite des banalités
étudiants des
banalités sur Em- sur Kant, Heidegger et finit
manuel Kant, même par dégainer «l’enfer,
Martin Heidegger c’est les autres» sartrien.
ou l’existentialisme, il finit même par dé- ble, au café, dans un jargainer «l’enfer, c’est les din…) où, franchement, il est
autres» sartrien, alors que difficile de s’accrocher à quoi
tout le monde le félicite pour que ce soit tant ces gens ont
la nouveauté de sa pensée. l’air d’avoir des préoccupaOn serait dans le registre de tions qui ne tiennent pas
la comédie, ce genre d’ins- debout. Dans le Rêve de Castallation schématique de sandre, Woody Allen avait
l’univers professionnel du imaginé un polar angoissé
personnage ne serait pas gê- sur deux frères acceptant
nant mais, ici, le ton ironique contre rétribution de suppridu début laisse place à un ré- mer un homme qu’ils ne
cit plus grave qui se veut une connaissaient pas. Cette fois,
nouvelle méditation sur le il reconduit cette veine qu’on
destin, le hasard, la culpabi- pourrait qualifier de «souslité et le libre arbitre.
dostoïevskienne» mais tout
Lucas, totalement alcoolique est planté à la diable et on
et dépressif, tombe les fem- s’ennuie de devoir passer du
mes, fascine ses élèves mais temps en si mauvaise comil ne retrouve goût à la vie pagnie, terriblement bavarde
qu’après avoir décidé de et désinvestie.
supprimer un juge des affaiDIDIER PÉRON
Abe Lucas (Joaquin Phoenix), alcoolo-meurtrier. MARS FILMS
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
CANNES
KIKADI?
Je suis ici pour
voir des films
avec mon cœur,
ma responsabilité, c’est
de déclarer humainement
ce qui me touche.»
A.Xavier Dolan (cinéaste, acteur et juré)
B. Sophie Marceau (actrice et jurée)
C. Gilles Jacob (écrivain et retraité)
Réponse: A, lors de la traditionnelle
conférence de presse du jury, mercredi
dernier. Mais ç’aurait pu être n’importe qui.
PITIÉ!
C’est arrivé comme ça, sans qu’on s’y attende (ou
presque) : pendant la montée des marches de
jeudi soir, Sophie Marceau, au bras du réalisateur mexicain Guillermo del Toro, a eu un accident vestimentaire. Sa robe portefeuille en satin
de soie blanche s’est ouverte et a dévoilé une
culotte couleur chair. On ne rappellera que très
brièvement le pedigree cannois de la nudité de
l’actrice: «Oh flûte, on voit mon sein» en 2005,
«Oh flûte, on voit tout», l’année suivante. Alors
que le débat terrassait les festivaliers autour de
la question «l’a-t-elle fait exprès?» la marque
Alexandre Vauthier envoyait un mail, l’air de rien,
précisant qu’elle avait habillé l’actrice. Tout cela
en publiant une photo non compromettante.
Petit Bateau n’a pas précisé si la culotte sortait
de son tiroir. Sophie Marceau, à dessein ou non,
coup de com pour affoler Instagram ou pas,
ramène un peu de joie de vivre dans ce Festival
qui frise parfois, non pas le puritanisme, mais les
ensembles corsetés et les allures robotiques.
Après tout, quand on est belle comme Marceau,
pourquoi ne pas se dénuder, pourquoi rester
engoncé(e) dans des tenues d’apparat? La
magie de la programmation pléthorique (et
non érotique) cannoise, et de son lot d’acteursactrices du monde entier, fait que chacun a
sa Marceau wish list de personnes qu’il nous
plairait de voir en culotte, voire sans. Sophie
Marceau précisément, mais aussi Emma Stone,
Tom Hardy ou Ben Whishaw (entre autres).
PORTRAIT NAOMI KAWASE
RÉALISATRICE D’«AN»
C
FRITZ-LANG VON PÜT
UN FIL INFO
Tous les jours, et
à tout moment, suivez
le direct Libération
de Cannes 2015: bandesannonces, interviews,
choses vues, sorties
de séances, critiques,
portraits, photos,
anecdotes, chiffres.
De la montée des
marches aux polémiques
cannoises, en passant
par le bilan des
projections du jour, le
fil du Festival est à
remonter sur le direct
de Liberation.fr.
e vendredi matin,
il souffle sur Cannes un vent à décorner un bœuf.
Sur la terrasse du Palace, les
coussins volent et les parasols menacent de se transformer en javelots. Voilà qui doit
plaire à Naomi, se dit-on,
tant son film An frémit, tra-
•
@FREDSTUCIN
LIBERATION.FR CANNES 2015
Ame nature
LA QUESTION
Tous les jours, les figures
du Festival répondent à la
question de nos reporters:
«Quelle est, pour vous,
la scène de cinéma la plus
marquante?»
INSTACANNES
Coulisses, à-côtés,
portraits… Pendant toute
la quinzaine, le photographe Frédéric Stucin
poste sur Instagram
(@fredstucin) et sur
Liberation.fr.
SUR TWITTER
Suivez les comptes de
l’équipe de Libération
présente à Cannes:
@didierperon, @juliengester, @sabbchamp,
@GhysClement,
@ClementineNYC
et @johannaluyssen.
versé par les saisons et la floraison des fameux cerisiers
japonais. Sa filmographie fait
une large place à la nature et
aux éléments tels l’eau, la
végétation, le soleil dans Still
the Water. Naomi Kawase
sourit, dit que le vent, elle ne
«déteste pas» et qu’elle lui a
accordé beaucoup d’atten-
tion sur le tournage d’An, au
plan visuel mais aussi sonore.
Une approche animiste, on
suggère. «Je ne sais pas exactement de quoi est fait l’animisme… Disons que je me considère comme faisant partie de
la nature.» Naomi Kawase,
45 ans, est frêle mais dégage
beaucoup de force, dans le
•
VII
registre posé, décidé (japonais?). Et elle se révèle moins
lunaire qu’attendu, moins
perchée que ses films empreints de mélancolie et
d’esprits le suggèrent.
Kawase est même marrante.
Par exemple, quand elle dit,
après nous avoir montré des
photos sur son smartphone
du potager qu’elle cultive et
dont elle se nourrit: «Appelez-moi Biomi Kawase!» Elle
vit à Hana, où elle est née :
«A Tokyo, tout va trop vite, et
les cellules de mon corps savent
que d’y demeurer me rendrait
malade.»
An est, à partir des dorayaki
(crêpes), un hymne à la cuisine et à la nourriture, qui en
deviennent spirituelles. La
réalisatrice filiforme dit leur
porter «énormément» d’intérêt. «D’ailleurs, sur mes films,
je fais très attention à la cantine, à la qualité des produits
utilisés… On mange si bien que
certains ont guéri de syndromes atopiques.» Son plat de
prédilection ? «Pas un plat,
plutôt une tendance: tout ce qui
est fermenté.» Vue par la cinéaste, qui fut abandonnée
par ses parents et élevée par
une grand-tante et un grandoncle, la cuisine An brise les
solitudes, apaise et transcende les générations comme
les conditions. A commencer
par celle des lépreux, que le
Japon a maintenus en quarantaine jusqu’en 1993.
Kawase : «Je redoutais d’en
rencontrer, j’appréhendais
d’être confrontée à des corps et
des visages déformés, à tout ce
malheur et, en fait, j’ai vu des
gens heureux, qui nous ont
donné du courage.» Si l’actrice principale est une star à
domicile, les acteurs lépreux
sont des non-professionnels.
«Ils sont présents ici à Cannes», précise Kawase. Elle a
l’aura d’une chamane mais
fait bye bye de la main comme
une enfant.
SABRINA CHAMPENOIS
Photo FRÉDÉRIC STUCIN
ESEC-ÉCOLE SUPÉRIEURE
D’ÉTUDES
CINÉMATOGRAPHIQUES
PARIS
Enseignement supérieur libre
Réalisation/Scénario/Production/Montage SFX
Formations professionnelles (niveau II / Licence-Maîtrise)
www.esec.edu
VIII
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
CANNES
PORTRAIT JOHN C. REILLY
ACTEUR DANS «LE CONTE DES CONTES», «THE LOBSTER» ET «LES COWBOYS»
E
Le freak, c’est chic
légant comme un personnage de Jean
Renoir, John C. Reilly se tient à l’aide
d’une canne ornée d’une cane, au
cœur de Cannes. Dans le décor ambiant (cinquième étage de l’hôtel Marriott,
au milieu des strass et des stars), la chose paraît incongrue. Une canne, une cane, à Cannes… A bien y réfléchir, la musicalité de cette
phrase, qui sonne comme une comptine
pour enfants, va très bien à l’acteur américain, qui fête ses 50 ans la semaine prochaine.
Pour sa septième venue au Festival, il est
venu présenter le film de Matteo Garrone, le
Conte des contes, odyssée étrange mêlant un
prince albinos, un ogre tout en grognements
et une reine (Salma Hayek) dévorant un
cœur de monstre marin afin d’engendrer
l’enfant d’un roi sacrifié. Le roi, c’est lui. Enfin, pas seulement, car il figure aussi dans un
autre film de la sélection, The Lobster, de
Yórgos Lánthimos (lire page VI), où il campe
un type qui zézaie, et aussi dans les Cowboys,
de Thomas Bidegain, où il interprète un
chasseur de tête ricain face à François Damiens…
Comique. Ainsi va John C. Reilly. On l’a forcément déjà vu quelque part : il a joué dans
plus de 70 films. Il est le mari de Tilda Swinton dans We Need to Talk About Kevin; le frère
de Will Ferrell dans la comédie culte Frangins
malgré eux ; une star de porno dans Boogie
Nights ; le policier moustachu de Magnolia ;
ou encore un père névrosé dans le Carnage
de Roman Polanski. Il a, comme on dit, une
trogne, une allure, une présence, un charisme. Paradoxe : le monde connaît à la fois
très bien et très mal son visage, si marquant
– et si marqué. Qu’est-ce que ça fait d’être
cet homme qu’on-a-vu-dans-un-filmmais-lequel-déjà? Il s’amuse de cette singulière notoriété. «C’est un jeu que j’adore faire
à l’aéroport. Les gens viennent me voir et me
disent : “Vous êtes un acteur, non ? Je vous ai
vu dans un film, mais où ?” Mon truc, c’est de
deviner, à partir de ce que je perçois des gens,
dans quel film ils m’ont vu.» Et ça marche ?
«Parfois, je dois m’y prendre à plusieurs fois,
mais oui, j’y arrive. Vous, par exemple, vous
êtes peut-être fan de Frangins malgré eux.»
Gagné.
John C. Reilly a débuté en 1989. Alors qu’il
était étudiant en art dramatique à Chicago,
il se présente à un casting pour figurer dans
un film de Brian De Palma, Outrages. Il ne
s’agit alors que d’une journée de tournage,
de la figuration en somme. Mais il finit par
décrocher bien plus : un rôle conséquent
dans le film, point de départ d’une longue
carrière. Il raconte tout cela avec une gentille
assurance, semble trouver cela à la fois normal et exceptionnel. «J’imagine que cela a à
voir avec de la chance, mais aussi avec une
forme de préparation.» Certes, on l’a vu par-
tout, et il excelle dans le drame, mais il existe
une constante dans son œuvre : un amour
absolu pour le comique. L’humour absurde
lui est nécessaire, presque existentiel. Après
avoir tourné deux comédies cultes avec Will
Ferrell (Frangins malgré eux, donc, et Ricky
Bobby, roi du circuit), il incarne, pour une série diffusée sur la chaîne américaine Adult
Swim, Steve Brule, un vendeur de supermarché maladroit, burlesque, outrageusement
chevelu, jerry-lewisien en somme. Le show,
intitulé Check It Out! with Dr Steve Brule, fait
rire jaune. «J’aime les contradictions. Il n’y a
rien de meilleur que la comédie quand elle n’est
pas de la pure comédie. Ce moment où la drôlerie se transforme en tristesse ; le charme en
danger.»
Emeutes. On l’interroge longuement sur sa
tenue, un costume blanc en lin, qui tranche
avec les codes vestimentaires cannois en vigueur. Pas de marques ostentatoires, mais un
chic assumé; le chapeau vient de la meilleure
fabrique de Chicago, le complet de chez
Brooks Brothers (c’est la marque que portait
Lincoln au moment de son assassinat). Le
sujet l’intéresse plus qu’on ne l’imaginait :
«Je préfère être trop bien habillé que pas assez.
Et je trouve que c’est un problème quand, de nos
jours, les gens arrivent à bord d’un avion en pyjama. Je ne suis pas obsédé par les marques,
mais j’estime qu’une robe bien coupée et de belles chaussures ajoutent quelque chose à la
beauté du monde.» Parle-t-il encore de mode
lorsqu’il dit «si mes vêtements sont conservateurs, l’homme à l’intérieur est un freak. J’ai
l’impression d’être hors du temps»? A ses heures perdues, il chante dans un groupe de
folk-country, John Reilly & Friends, lui qui
se targue d’être né le même jour que Bob Dylan (le 24 mai, donc). Cette culture folk l’irrigue, lui qui a grandi en écoutant des chansons traditionnelles irlandaises – ses
ancêtres, les Reilly, ont débarqué voici cinq
générations dans l’Illinois. Pour évoquer les
récentes émeutes qui secouent les Etats-Unis
depuis plusieurs mois, c’est donc un air de
Dylan qu’il entonne, dans le bar de l’hôtel
Marriott: The Lonesome Death of Hattie Carroll, l’histoire d’une femme noire, brutalement assassinée dans les années 50 par un
homme, blanc et riche. Il relève que cette
histoire s’est déroulée à Baltimore.
«Voilà ce que j’aime dans la comédie. Elle est
subversive. Elle est politique. Elle peut toucher
des choses plus sombres, plus dures.» La démonstration est réussie : on est passé en un
clin d’œil de la potacherie la plus pure aux
émeutes de Baltimore. D’ailleurs, on ne sait
même plus par quel chemin on est arrivé à
cette sortie, qui lui va bien, elle aussi : «La
belle sérendipité. Cela pourrait être le titre de
mon autobiographie.»
JOHANNA LUYSSEN
Photos FRÉDÉRIC STUCIN
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
«L
CHRONIQUES IDÉES
•
23
ÉCRITURES
LA CITÉ DES LIVRES
Par MARIE DARRIEUSSECQ
Par LAURENT JOFFRIN
Un génocide
de proximité
Jean Zay, de l’école
au Panthéon
e 8 avril 1994, c’est le
jour de ma mort»; «Ils
m’ont tuée et j’ai été
morte cinq jours dans le
marais» ; «J’étais morte, et
quand on a soulevé mon corps,
mes yeux ont bougé.» J’entends
encore les voix des rescapés, de
mon voyage d’avril au Rwanda.
Dans les Naufragés et les Rescapés, Primo Levi dit que les
naufragés, les morts, leur parole est perdue. Mais au Rwanda, certains rescapés
sont aussi des naufragés. Ils ont traversé
la mort, avec des séquelles terribles. Il leur
manque un bras ou un œil. Ils n’ont plus
aucune famille. Les femmes, systématiquement violées, ont souvent le sida. Ces
morts encore vivants ont été assassinés
parce qu’ils étaient tutsis ou qu’ils aidaient
les Tutsis, et ils ont tous la même histoire:
ils ont été laissés pour morts. Quand ils ont
la force de témoigner, c’est pour demander justice, et pour prévenir de ce qu’est
un génocide. Révérien Rurangwa écrit,
dans son livre Génocidé, que témoigner est
tout ce qui lui reste.
J’ai pris conscience sur place de ce fait
simple: au Rwanda, dans ce petit pays, les
survivants sont beaucoup, beaucoup
moins nombreux que leurs assassins. Et ils
Au Rwanda, les survivants sont
beaucoup, beaucoup moins
nombreux que leurs assassins.
vivent en voisins. C’était un «génocide de
proximité». Témoigner leur est difficile,
ne serait-ce que parce que leur parole est
confrontée à la clameur de bandes qui ont
de nombreux «témoins», de prétendus
«alibis», etc. Et qui menacent, encore
aujourd’hui: si tu parles, on te tue. Alors,
malgré le processus de réconciliation,
on entend : «C’est leur faute s’ils sont
morts ; d’ailleurs, ils ne sont pas morts ; et
il n’y a jamais eu de Tutsis dans ce village.»
Et les rescapés, déjà si éprouvés, doivent
encore lutter contre la mise en doute de
leur assassinat…
Un génocide ne va pas sans négation. Le
négationnisme est illogique, mais le contrer est d’autant plus difficile qu’il a les
apparences du raisonnement. Freud
donne, pour illustrer ce qu’est la dénégation, l’exemple du chaudron: «Je ne t’ai
jamais emprunté de chaudron ; il avait déjà
un trou au départ ; je te l’ai rendu en parfait
état.» Négation et génocide sont les deux
faces d’une même destruction: rationnelle
(organisée, programmée) et irrationnelle
(injustifiable en raison).
«Tuez les tous» signifie : aucun ne doit
témoigner. Personne ne doit pouvoir dire:
«j’ai été», «les miens ont été», «on nous
a tués». La visée du génocide est l’éradi-
cation complète, et il ne s’envisage que comme réussi et
total. L’effacement des traces
en fait partie: au Rwanda, c’est
jusqu’aux photos des victimes
qui ont été systématiquement
détruites. Enormément de
noms sont perdus, car il n’est
plus resté personne pour témoigner. Dans certaines zones,
les Tutsis ont disparu jusqu’au
dernier. Le silence. «Il faut résumer l’affaire», c’était l’expression des tueurs.
«Un génocide vous tue pour longtemps, dit
Assumpta Mugiraneza, et le temps qui passe
n’arrange pas les choses, c’est le signe du
grand trauma.» Cette chercheure, basée
à Kigali, veut traduire Primo Levi en
kinyarwanda. Les auteurs de massacres de
guerre ne nient pas, eux, ou peu de temps.
Parce que leur crime, malgré son ampleur,
reste isolé. Ils montrent à la longue des
remords, et se dénoncent et s’entre-dénoncent. Car ils restent sujets de leur acte.
Les auteurs de génocide se dissolvent dans
une masse qui nie. Un génocidaire n’est
jamais seul: c’est une communauté entière
qui tue, en s’appuyant sur un Etat. Sans
Etat, il y a les massacres du chaos. Avec un
Etat, il y a une entreprise de mort.
Le mot de génocide ne doit pas être galvaudé, on l’entend. Si l’on suit les
définitions de l’ONU, il y a eu génocide contre les Arméniens,
contre les Juifs, contre les Roms,
contre les Tutsis ; génocide aussi
contre les Hereros de Namibie,
presque complètement oubliés de l’histoire ; génocide contre les Bosniaques
à Srebrenica, même si le mot reste discuté.
On parle d’un génocide de classe au Cambodge; d’un génocide contre les Noirs par
l’esclavage ; on évoque le mot pour
les Kurdes, les yézidis, et des communautés du Darfour. La liste n’est pas close.
Depuis mes dix jours trimballée dans tout
le Rwanda, en compagnie d’associations
européennes et locales (Egam et AERG),
je n’ai cessé de penser à ce mot. «Génocide». Et je me demande forcément quels
sont les génocides en cours. Je me demande ce qui se passe en ce moment en
Méditerranée. Non, d’accord, ce n’est pas
un génocide. Mais la masse toujours grandissante des corps disparus dans la mer,
la difficulté de récolter les noms, le nombre de femmes et d’enfants, la prévisibilité
du carnage, et le fait que ça arrange pas
mal de monde, non, tous ces immigrants
en moins ? Quel est le nom de ça ?
En hommage aux squelettes anonymes,
au Rwanda, en réponse à ces points d’interrogations faits d’os, on dit : «Ce que je
sais de toi, c’est que tu es mort.» •
Cette chronique est assurée en alternance
par Olivier Adam, Christine Angot,
Thomas Clerc et Marie Darrieussecq.
C
ontre le projet de réforme du gouvernement socialiste, la
droite se déchaîne :
«Il faut défendre les humanités
gréco-latines contre l’école unique totalitaire.» Une sortie de
l’UMP ? Une saillie du Front
national ? Une attaque d’Alain
Finkielkraut contre Najat Vallaud-Belkacem ? Non. Nous
sommes en 1937, et la droite sonne le tocsin contre la réforme scolaire… de Jean
Zay. Ce même Jean Zay que la République,
unanime ou presque, s’apprête à panthéoniser avec trois autres grandes figures de
la Résistance, Pierre Brossolette, Geneviève De Gaulle-Anthonioz et Germaine
Tillion.
Historiens chevronnés, l’un spécialiste de
l’école, l’autre de l’Occupation, Antoine
Prost et Pascal Ory ont retracé, de manière
vivante et claire, la vie de celui qu’il faut
bien appeler un martyr de la République.
Il l’ont fait dans un livre complet, mi-texte
mi-documents, qui retrace, par les mots
et l’image, l’itinéraire météorique de ce
surdoué de la politique, tête de turc de
l’extrême droite, et père d’une réforme
décisive pour l’école française.
Jean Zay est le fils d’un père juif, directeur
d’un journal radical, et d’une mère institutrice et protestante. Il suit le parcours
idéal d’un enfant de la République. Elève
brillant de l’école publique, il obtient deux
prix au concours général tout en se passionnant pour la politique dès l’adolescence. Il crée un journal au lycée, une revue littéraire, puis devient brièvement
journaliste dans sa ville natale d’Orléans.
Cultivé, amical et facile avec tous, il ouvre
un cabinet d’avocat et gagne plusieurs
procès difficiles qui le font connaître. C’est
la politique qui le fascine: suivant les traces de son père, il s’inscrit au Parti radical.
En 1932, le parti le présente dans une circonscription ingagnable. Son éloquence
et son énergie font mentir les pronostics:
il est député à 27 ans. En 1936, Léon Blum,
qui vient de gagner les élections, cherche
un jeune radical pour équilibrer son ministère. A 31 ans, Jean Zay est ministre de
l’Education nationale.
Il est tout sauf spécialiste de l’école. Mais
sa culture républicaine le guide, et les liens
qu’il tisse rapidement avec les réformateurs et les pédagogues du milieu lui permettent de lancer une politique de réforme. Il se fonde sur deux idées qui sont
encore aujourd’hui la base des controverses sur l’école: démocratiser le système
éducatif en l’unifiant ; moderniser la pédagogie pour aller au-delà de la simple
transmission du savoir, et faire de l’élève
un citoyen capable de réfléchir par luimême. Rien de neuf sous le soleil: comme
aujourd’hui, mais sous une forme autre-
ment virulente, ces deux ambitions provoquent une réaction
hystérique à droite, doublée
d’un déferlement de haine personnelle (nous sommes dans
les années 30). Jean Zay cumule
toutes les qualités qui mettent
en rage l’extrême droite : il est
juif, franc-maçon, radical,
membre de la Ligue des droits
de l’homme et ministre du
Front populaire. Il a de plus écrit en 1924,
au cours d’un jeu d’étudiants, un texte
qu’il ne destinait pas à publication, dans
la veine des militants pacifistes de l’aprèsguerre, où le drapeau français des militaristes est rendu responsable du massacre
et qualifié de «torche-cul». Léon Daudet
stigmatise l’action du «juif Torche Zay».
Céline écrit que «sous le négrite juif Jean
Zay, la Sorbonne n’est plus qu’un ghetto»
avant de poursuivre par «je vous zay».
Jouhandeau résume le tout: «Un Juif a entre les mains l’avenir vivant de ce pays : il
peut en pétrir à sa guise, à sa mode, la matière et l’esprit. Tout dépend de sa volonté et,
en effet, il vient de réformer l’enseignement.»
Jusque-là, ce sont des mots. Mais la guerre
montre ce qu’ils peuvent produire.
En 1939, Jean Zay démissionne de son
poste de ministre pour rejoindre l’armée.
En juin 1940, il est parmi les parlementaires qui veulent continuer le combat.
Il s’embarque sur le Massilia pour rallier
le Maroc. En dépit de ses états de service,
il est arrêté et est accusé de désertion sur
ordre de Vichy. Au terme d’un procès truqué, il est condamné à la prison à vie.
Il reste détenu pendant toute la guerre
à Riom (Puy-de-Dôme), préparant les réformes qu’il compte mettre en œuvre à la
Libération. Mais le 20 juin 1944, sur ordre
de Darnand, trois miliciens l’extraient de
la prison et le tuent dans un bois. En 1945,
Jean Zay est réhabilité, et son œuvre
reconnue. Pourtant, aujourd’hui encore,
son entrée au Panthéon fait grincer des
dents à l’extrême droite et chez certains
officiers, alors même que Jean Zay fut un
modèle de patriote quand ses adversaires
collaboraient avec l’ennemi. Pérennité de
la haine… •
JEAN ZAY,
LE MINISTRE
ASSASSINÉ,
1904-1944
ANTOINE PROST,
PASCAL ORY
Editions Tallandier,
24,90 €.
24
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
IDÉES CHRONIQUES
À CONTRESENS
Par MARCELA IACUB
Caron «le con», l’insulte faite aux femmes
O
n dit que notre société est victime
du puritanisme et du politiquement correct. Qu’on ne peut plus
prononcer des phrases considérées autrefois aussi banales que naturelles.
Ceux qui s’en plaignent ont parfois raison.
Certaines expressions sont bannies de façon
si maladroite que les censeurs frisent le ridicule. A-t-on oublié la volonté de supprimer
l’appellation «mademoiselle» des documents administratifs pour le remplacer par
un émancipateur «madame» ?
Mais le mot «con» – lorsqu’il est employé
pour désigner les faibles compétences intellectuelles d’un mâle – est passé d’une manière inexplicable sous les radars de cette
censure. Pourtant, n’est-il pas plus sexiste
que «mademoiselle» ?
On rétorquera que cette insulte a perdu toute
relation avec son référent anatomique. Mais
cet argument est loin d’être convaincant.
Parmi les nombreux auteurs, Michelet s’en
était plaint en ces termes: «C’est une impiété
inepte d’avoir fait du mot “con” un terme bas,
une injure.» En réalité, pour ne pas
laisser le sexisme contaminer notre langue, on devrait dire d’une
femme qu’elle est «conne» et d’un
homme qu’il est «couillon». Cela
signifierait qu’ils sont aussi peu intelligents qu’un vagin ou une paire
de testicules sans que l’égalité des
sexes se trouve atteinte. Tandis que
traiter un homme de «con», c’est
rendre cet organe responsable de
sa bêtise. Comme si le fait de posséder un
vagin provoquait une imbécillité spécifique
et inéluctable. Ou bien qu’être bête et être
femme était synonyme. Bref, il est évident,
voire flagrant, que traiter un homme
de «con» constitue une insulte à toutes les
femmes.
Voilà ce qui a révélé la bruyante polémique
entre Caroline Fourest et Aymeric Caron dans
l’émission On n’est pas couché. La demoiselle,
s’adressant à Caron, a fini par un élégant :
«Ça me fait chier de discuter avec quelqu’un
d’aussi con que vous !» Certes, la polémique
n’a pas porté sur l’emploi du mot
«con», mais sur le mensonge de
cette demoiselle à propos d’un
procès en cours – elle a prétendu
qu’elle l’avait gagné en appel alors
qu’aucune décision n’avait été
rendue. Dans les nombreuses
explications qu’elle a données ici
et là pour expliquer pourquoi elle
avait été aussi approximative avec
la vérité devant des millions de
personnes, elle n’a pas dit un mot à propos
de son emploi sexiste du mot «con». Pour
quelqu’un qui se présente au monde comme
une militante des plus acharnées de la cause
des femmes, il aurait été bien plus convenable de lancer un «couillon» à Caron.
J’ai attendu en vain que ce Robespierre du
studio Gabriel sorte sa guillotine afin de couper la tête contre-révolutionnaire de son interlocutrice. Qu’il dénonce cette déviation
lexicale avec le talent oratoire qu’on lui connaît. Que ce soit lui qui, en prenant fait et
cause pour la dignité des femmes, lance à la
L'AIR DU RIEN
Par AUDE PICAULT
demoiselle : «Couillon, d’accord, mais pas
con». Au lieu de cela il a joué les offusqués,
faisant preuve d’une vanité digne d’un petitbourgeois conservateur. Comme si c’était lui,
le principal insulté, et non l’ensemble des
femmes. Pire, sa réaction pourrait faire penser que s’il a été si choqué, c’est parce que
Caroline Fourest l’avait traité de femme.
De fait, moi, je me suis sentie personnellement insultée quand elle a dit: «Ça me chier
de discuter avec quelqu’un d’aussi con que
vous!» Et j’ai pensé immédiatement que c’est
pour cette raison seule que Caroline Fourest
aurait dû être bannie à vie d’On n’est pas couché. Les mensonges pour lesquels elle a été
sanctionnée sont beaucoup moins graves.
D’une part, ils ont été découverts très vite ;
de l’autre, ils témoignent davantage d’une
confusion que d’un esprit réactionnaire. Et
personne ne peut l’accuser, et encore moins
la condamner pour de tels propos. Alors que
rien ne justifie d’insulter le genre féminin
dans son ensemble pour se payer la tête d’un
couillon. D’un Caron. •
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
S’
CHRONIQUES IDÉES
•
PHILOSOPHIQUES
SOCIÉTÉS
Par FRÉDÉRIC WORMS
Par NATHALIE HEINICH
La dispute
du 11 janvier
L’égalité contre
l’équité
il y a une erreur et
même une imposture,
elle consiste à unifier
dans une même «identité» (pour la revendiquer ou la
critiquer) tous ceux qui ont défilé le 11 janvier 2015.
Ce que cette «manifestation» a
de nouveau rendu possible,
n’est-ce pas plutôt une division,
une discussion, un débat, justement sur cette question de
l’identité ?
Il nous semble que tel est bien le cas. Il fallait cette manifestation pour introduire à
nouveau une identité divisée, en marquant
les deux extrêmes que sont d’abord la
haine et le meurtre liés à cette clôture des
identités, et aussi le refus de principe de
la haine et du meurtre, refus qui ne peut
donc figer personne dans une identité, pas
même (et surtout pas d’ailleurs) ceux qui
ont commis ces meurtres et ces actes
(puisque ce sont les actes qui font les êtres
et non pas les essences !). Sur tous les
écrans et dans toutes les conversations du
monde, c’est donc le débat sur la limite
des revendications identitaires, qui a ainsi
commencé.
Mais alors, qu’y a-t-il de nouveau dans le
débat qui a suivi cette fois le 11 janvier, qui
porte même sur le sens critique de ce
11 janvier, et qui trouve partout une nouvelle forme d’intensité ? C’est d’abord,
bien sûr qu’il y a réellement un risque de
récupération identitaire et non critique du
11 janvier, en France même (sans parler des
suprématistes américains). Mais si ce ris-
risques (et ses chances), rejoint
alors un autre débat mondial,
disons pour résumer entre
deux «gauches», qu’une discussion récente avec un ami
à Boston, tout comme la polémique entre écrivains américains à l’occasion du prix décerné à Charlie par le Pen Club
(et auquel certains ont refusé
de s’associer), nous permettent
de toucher du doigt. Il y a de
bonnes raisons de critiquer certains usages
de la laïcité et de dénoncer certaines critiques des religions, lorsqu’elles visent des
communautés sujettes, historiquement et
socialement, à domination et à discrimination. Mais justement: l’essentiel, selon
nous, est là ! Une certaine gauche américaine risque de tendre, au nom de ce qui
relève en fait de la justice sociale et historique à une essentialisation identitaire et
culturelle. Ce à quoi elle nous rappelle (ici,
mais aussi là-bas!), c’est à ne pas en rester
à une laïcité formelle comme telle, mais à
la compléter par une politique réelle de
justice (sociale, politique et historique), et
de non-discrimination effective. Si tel est
le cœur du débat entre les deux positions,
alors, elles sont non seulement compatibles mais inséparables ! De même que
l’on peut à la fois revendiquer la publication de Charlie, et la construction de lieux
de cultes dignes et libres, et surtout la
non-réduction de qui que ce soit à une
identité supposée.
On comprend alors que ce deuxième
débat, lui aussi, soit mondial, avec et
grâce à un «11 janvier» dont le
«concept» (comme Derrida
On peut et on doit critiquer la
parlait de celui du 11 septemrécupération extrême du 11 janvier,
bre) doit constamment être recomme celle, non moins identitaire,
pris et discuté. Cela rejoint tous
de la laïcité par la droite la plus dure.
les autres débats du moment,
avec un seul mot d’ordre selon
que existe, il importe donc de ne pas tom- nous: justice globale. Citons en seulement
ber dans une autre version de cette assi- deux, mais essentiels. Les «migrants».
gnation identitaire ! On peut et on doit Qui ne voit que cette injustice globale,
critiquer la récupération extrême du hantée par tant d’autres, reconduira tous
11 janvier, comme celle, non moins identi- les risques, bien loin qu’en leur nom on
taire, de la laïcité, par exemple par une ex- puisse la perpétuer? L’éducation, ensuite.
trême droite parfois suivie par une certaine Qui ne voit ici que l’histoire nationale et
droite. Comment la laïcité pourrait-elle globale, bien loin d’être incompatibles,
être une identité? Ne voit-on pas la contra- sont inséparables? Elles se recoupent nodiction dans les termes mêmes? Il est déjà tamment sur les questions de justice et la
plus compliqué de critiquer le discours vocation «mondiale» de la France (si soumené au nom de la République, qui est vent revendiquée) ne saurait être unilatéd’autant plus essentiel qu’il est menacé, lui rale, elle se renforcera même de se savoir
aussi, d’une récupération identitaire et menacée ou concernée par des injustices
même partisane («les républicains»). passées ou présentes et, plus encore, de
Mais, il peut devenir réellement grave et promouvoir ce que l’on pourrait appeler
dangereux, cette fois, au nom d’une socio- un esprit critique international. •
logie, certes, plus nécessaire que jamais, de Frédéric Worms est professeur de philosophie
caricaturer les manifestants en les rédui- à l’Ecole normale supérieure.
sant à une identité supposée (comme s’y Cette chronique est assurée en alternance
risque parfois Emmanuel Todd).
par Sandra Laugier, Michaël Fœssel, Paul B.
Mais, ce débat franco-français, avec ses Preciado et Frédéric Worms.
L
25
e 21 avril, on a appris qu’à
de classe ou de clan.
Paris les places de conDommage que les révolutionservatoire seront désornaires n’aient pas plutôt choisi
mais tirées au sort: face à
comme devise républicaine
l’afflux des demandes, la mairie
«Liberté, équité, fraternité» (à
renonce au principe «premier
leur décharge, la sociologie
arrivé, premier servi», qui mén’existait pas encore) : cela
contentait tout le monde et avait
aurait évité bien des confusions.
amené les parents qui en ont les
Car, on assiste à une fâcheuse
moyens à payer quelqu’un pour
extension du domaine de l’égafaire la queue à leur place dès la
lité au détriment de l’équité.
veille des inscriptions. Certes,
Ainsi, en octobre, la modulation
s’en remettre au hasard pour attribuer un des allocations familiales selon le revenu a
bien rare n’est pas une solution idéale suscité des protestations de tous côtés, y
(«c’est la moins mauvaise», justifie le pre- compris à gauche (le directeur de l’Obsermier adjoint) mais, comme la démocratie, vatoire des inégalités protesta contre la
c’est la pire à l’exclusion de toutes les mesure au motif que «la solidarité doit être
autres. D’ailleurs, la mesure
a déjà été adoptée par des
Dommage que les révolutionnaires
conservatoires de province,
n’aient
pas plutôt choisi comme devise
et ne semble pas avoir suscité
républicaine «Liberté, équité,
de protestations. Il faut dire
fraternité»: cela aurait évité bien des
que le retour en catimini du
critère de richesse des paconfusions.
rents constituait une sérieuse
entorse à la règle démocratique d’égalité protégée»): la gauche qui, pourtant, aurait
des chances éducatives offertes par la Ré- dû comprendre depuis longtemps qu’en
publique.
démocratie, l’égalité ne s’impose que pour
Voilà qui confirme l’existence d’un sens de les droits civiques ; et qu’en matière de
la justice que nous partageons tous: même prestations sociales, c’est l’attribution au
sans avoir lu les sociologues, nous savons besoin qui doit être le seul critère, l’égalité
que l’équité – cette valeur fondamentale dans la distribution ayant forcément pour
en démocratie– se présente sous des mo- effet de reconduire les inégalités de départ
dalités diverses, dont l’égalité n’est que la que l’on cherche justement à corriger.
plus simple. Plus précisément, ces formes Trois mois auparavant, en juillet, le goude construction de l’équité sont au nom- vernement a voulu supprimer la bourse au
bre de cinq : outre l’égalité (à chacun la mérite instaurée sous Jospin pour aider des
même part de gâteau), nos sociétés prati- bacheliers boursiers ayant eu mention très
quent l’attribution selon le hasard (c’est bien au bac à poursuivre des études supéle tirage au sort), selon l’ordre (c’est le rieures, au motif qu’elle ne serait pas effiprincipe de la file d’attente, en fonction de cace: l’enveloppe a été basculée pour alil’ordre d’arrivée, ou du droit d’aînesse), menter l’aide sociale à l’ensemble des
selon le besoin (c’est le critère pour les étudiants. La mesure a été suspendue par
droits sociaux) et, enfin, selon le mérite le Conseil d’Etat pour des raisons adminis(qui détermine les notes scolaires ainsi que tratives, mais le problème de fond est deles augmentations de salaire – du moins meuré entier : l’égalitarisme triomphait
tant que les partisans du retour à l’ordre encore, au mépris des valeurs progresde l’ancienneté n’ont pas réussi à dézin- sistes (besoin et mérite) comme du simple
guer l’avancement au mérite).
bon sens. Et, on se demande encore pourCe critère du mérite a mauvaise presse, car quoi la gauche perd des voix !
il implique forcément une distribution «Allons au bout de l’égalité !» affichait le
inégalitaire. Mais ses détracteurs, qui pré- centre LGBT en 2013, au moment de la loi
fèrent soit l’égalité, soit l’ancienneté, ne sur le mariage homosexuel. Quant aux
voient pas que c’est justement cette inéga- Femen, jamais en retard d’une bêtise, elles
lité qui permet d’obtenir l’équité, par la protestaient contre le délit d’exhibition au
proportionnalité entre ce qui est donné par motif qu’il «ne place pas hommes et femmes
le sujet –du travail, du temps, de la com- sur un pied d’égalité» (en effet: il les place
pétence, du talent– et ce qui lui est offert juste sur un torse différent). Dommage,
en retour – reconnaissance ou argent. Ils dommage que les causes les plus légitimes
ne voient pas non plus que le mérite n’est se fassent massacrer par les plus démagopas seulement un critère de distribution, giques et les plus bornés de leurs défenmais une valeur, qui prend sa source poli- seurs ! Egalité, que de stupidités on aura
tique dans l’idéal révolutionnaire, avec sa commis en ton nom… •
délégitimation du critère d’ordre basé sur Nathalie Heinich est sociologue au CNRS.
la famille et l’ancienneté (principe aristo- Cette chronique est assurée en alternance
cratique) au profit d’une reconnaissance par Cyril Lemieux, Frédérique Aït-Touati,
du mérite individuel, contre les privilèges et Nathalie Heinich.
•
GRAND FORMAT
CULTURE
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LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
Bye
Bye
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
GRAND FORMAT
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27
King
DISPARITION Le «Blues Boy» à la main
puissante et à la voix caressante, symbole
de réussite artistique et sociale, est mort
jeudi après une carrière de soixante-six ans.
Par FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ
et GUILLAUME TION
E
Riley B. King
et Lucille,
en 1997.
PHOTO ABACA
feur de tracteur, il se rend régulièrement à Memphis (Tennessee) et fait la
manche sur Beale Street, épicentre de
la vie musicale de la ville. Il y gagne son
surnom : «Blues Boy», d’où le raccourci B.B. Il est bientôt engagé comme
DJ sur WDIA, la première station des
Etats-Unis entièrement dédiée aux
musiques noires, où il fait sensation en
accompagnant à la guitare les succès du
moment.
ric Clapton voyait en lui «l’artiste le plus important que le blues
ait donné» (1). B.B. King, mort
à l’âge de 89 ans, jeudi à
Las Vegas, était un des derniers musiciens témoins (et acteurs) de l’ascension du blues moderne, du berceau du
sud des Etats-Unis jusqu’aux plus grandes scènes de la planète. Ce blues sans
lequel il n’y aurait eu ni Beatles, ni Rol- LUCILLE. Sa notoriété radio lui permet
ling Stones, ni U2.
de sillonner la région avec son groupe.
Le 16 septembre 1925, les yeux de Riley Un jour de 1949, lors d’un concert à
B. King s’ouvrent sur les immenses Twist (Arkansas), deux buveurs en
champs de coton d’Itta Bena, dans le viennent aux mains et renversent le
Mississippi. Et sur un avenir qui n’a poêle à kérosène, mettant le feu au
rien de riant pour un descendant d’esclaves dans ce Sa musique aussi est au large
Sud misérable et soumis à la
du blues terrestre. Si B.B. King
ségrégation raciale. Ses premières années suivent à la venait du coton et travaillait dans
lettre les étapes de la repro- les champs, ses chansons étaient
duction sociale telles qu’on tout sauf brutes.
les retrouve chez d’autres
bluesmen, comme Robert Johnson ou saloon. Dans la panique générale,
Muddy Waters : parents séparés, élevé B.B. King s’aperçoit qu’il a oublié sa
par sa grand-mère, chanteur de gospel Gibson et retourne la chercher dans les
à l’église, abandon précoce de l’école, flammes. La femme à l’origine du pugimarié à 17 ans. Mais, à 12 ans, le pasteur lat s’appelait Lucille: c’est le nom qu’il
lui a mis entre les mains une guitare. donnera désormais à toutes ses guitares.
Dès qu’il gagne sa vie, comme chauf- Lucille, c’est une demi-caisse noire
28
•
CULTURE GRAND FORMAT
BYE-BYE KING
sans ouïes. C’est aussi le totem qui sépare le musicien,
toujours tiré à quatre épingles, de son
public, le moyen par lequel il a conduit
son ascension sociale.
Le premier producteur à le faire entrer
en studio n’est pas un novice : Sam
Phillips, qui n’a pas encore fondé Sun
Records, ni découvert Elvis Presley, lui
fait enregistrer son premier 78-tours
en 1949, sur le label RPM. Le succès
viendra trois ans plus tard avec sa version de Three O’Clock Blues, complainte
au parfum de suicide signée Lowell Fulson: «Il est trois heures du mat et j’arrive
pas à fermer l’œil, salut les gars, je crois
que c’est la fin…» La chanson figure sur
son premier 33-tours, en 1957, Singin’
the Blues. C’est le chant, plus que la guitare, qui l’impose au public. «Sa voix
était séduisante, très éloignée de celle des
bluesmen ruraux, analyse Gilles Pétard,
producteur, collectionneur et spécialiste
des musiques noires. On peut même le
considérer comme un précurseur de la
soul.» Sa musique aussi est au large du
blues terrestre. Si B.B. King venait du
coton et travaillait dans les champs, ses
chansons étaient tout sauf brutes. De
plus en plus sophistiquées, policées,
avec des tapis de cuivres, des batteries
syncopées, des intros travaillées et des
grilles acceptant volontiers les accords
de passage, qui ouvrent à de nouvelles
gammes et enrichissent la base harmo-
sit pas à se hisser au niveau des ventes
du «Genius». Mais s’il échoue à séduire
les classes moyennes, il gagne la reconnaissance des fans de rock, biberonnés
au son britannique des Rolling Stones,
Kinks ou Animals. Ainsi, ses salles sont
partagées entre public de Noirs âgés et
de jeunes Blancs. L’apothéose survient
en 1969, quand il assure la
première partie des Stones
B.B. King alternait le masculin
aux Etats-Unis.
et le féminin: la voix médium,
Un an avant, choc de titans,
onctueuse mais sachant se couvrir
B.B. King participe à une
de tonnerre quand approchaient
célèbre jam avec Hendrix au
Generation Club. Une renles chorus finaux.
contre à sens unique, puisque
nique du blues. Chez B.B. King, la mu- Hendrix oubliera de donner les bandes
sique se transforme avec le temps: il n’y à B.B. King, qui ne les écoutera que
a pas les relents de poisson frit et la boue trente ans plus tard.
sèche chers à Muddy Waters, mais au En 1974, B.B. King est reçu comme une
contraire une volonté de croître et de divinité pour sa première visite en Afris’élever au-dessus de cette terre, de la que: il fait partie de l’exubérante aventransformer en symbole du passé.
ture montée à Kinshasa, au Zaïre, par
le promoteur de boxe Don King, autour
DIVINITÉ. Reconnu dans la commu- du championnat du monde poids lourds
nauté noire, B.B. King rêve de s’imposer entre Mohamed Ali et George Foreman.
sur le marché des auditeurs blancs. Un Tout au long des années 70, il assure un
seul chanteur black y est parvenu: Ray rythme de travail effréné : «250 conCharles, sur ABC Paramount, le label qui certs en moyenne par an pendant plus de
signe en 1962 B.B. King. Lequel ne réus- quarante ans», évalue Gilles Pétard.
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
A Memphis,
en 1948, dans les
studios de la radio
WDIA. B.B. King
sortira son
premier 78-tours
un an plus tard.
PHOTO COLIN
ESCOTT.MICHAEL
OCHS ARCH. GETTY
En compagnie de
John Lee Hooker
(chapeau noir)
et Willie Dixon
(chapeau blanc)
à Los Angeles en
1991. PHOTO PAUL
NATKIN. GETTY
En octobre 1971,
devant le studio
d’enregistrement
Olympic,
à Londres. PHOTO
ESTATE OF KEITH
MORRIS.GETTY
Grâce au soutien de U2 (le titre When
Love Comes to Town en 1988) et d’Eric
Clapton (Riding with The King, 2000),
B.B. King reste une attraction du cirque
rock’n’roll, et tous les grands festivals
l’ont compté à leur affiche. «Même
dans ses apparitions récentes, il était impressionnant, se souvient Gilles Pétard.
Sa voix comme son jeu de guitare étaient
ceux d’un jeune homme. Il créait un rapport chaleureux avec le public et adorait
présenter les chansons par des anecdotes,
révélant un vrai talent de conteur. Même
s’il avait quitté très tôt l’école, il avait
étudié en autodidacte et avait une vraie
culture.»
Il possédait surtout une arme secrète :
une main gauche massive qui lui permettait d’enquiller les vibratos les plus
élastiques de l’histoire du blues-rock.
Il n’y a guère eu que le surdoué Jeff
Healey, disparu aujourd’hui, aveugle et
jouant avec sa guitare posée à plat sur
les genoux, pour malmener autant les
cordes. B.B. King chantait les yeux fermés et alternait le masculin et le féminin : la voix médium, onctueuse mais
sachant se couvrir de tonnerre quand
approchaient les chorus finaux. Et
la main gauche baguée, placée à mi-
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
GRAND FORMAT CULTURE
•
29
Des musiciens français racontent en quoi, selon
eux, B.B. King était «le maître absolu» du blues:
«Trois mots, trois
notes, ça suffisait»
L
es hommages à destination de B.B. King
abondaient vendredi
sur les réseaux sociaux,
d’Eric Clapton («un ami et
une source d’inspiration»)
à Buddy Guy («B.B. King est
l’homme le plus fantastique
que j’ai rencontré dans ma
vie»). Nous avons demandé
à trois générations de guitaristes et bluesmen français ce qu’ils retiennent du
personnage.
manche, prompte à ponctuer les paroles
d’une phrase saturée dans les aigus. La
voix de King, puis celle de Lucille.
ASCENSION. Le musicien avait en outre
connu le succès avec la chaîne de clubsrestaurants B.B. King Blues Club&Grill,
qui compte une dizaine d’établissements aux Etats-Unis, dont le premier
a été ouvert sur Beale Street. En 2014,
B.B. King avait encore 80 concerts à son
agenda. Seules les sept dernières dates
ont été annulées, après un malaise sur
scène, en octobre à Chicago. Son diabète le maintient à l’hôpital, jusqu’à
ce jeudi de l’Ascension. Actif jusqu’au
bout, toujours élégant et séducteur
(il revendiquait 15 enfants de 15 lits), il
a été de son vivant une légende afroaméricaine, le symbole d’une réussite
sociale et artistique. Très fier, en 2011,
de se produire à la Maison Blanche, où
il avait accompagné Barack Obama
chantant sur Sweet Home Chicago. •
(1) Dans son autobiographie publiée
en 2008.
Festival de musiques et cultures queer
Concerts, nuit, ateliers, rencontres et projections
du 2 au 5 juillet 2015 à la Gaîté lyrique (Paris),
au lieu unique (Nantes) et au Sucre (Lyon)
Réservations sur gaite-lyrique.net et digitick.com
«Je l’ai croisé deux fois, je
n’ai pu que lui serrer la main.
Une poigne douce, bizarrement. C’était il y a une
dizaine d’années, après un
concert. Il était déjà âgé. On
voyait que c’était quelqu’un
de profondément humble
et modeste. Il transpirait la
gentillesse.»
Fred Chapellier
bluesman français
«Comme pour beaucoup de
musiciens, il représente
Norbert Krief
pour moi le blues. Une réféguitariste, cofondateur
rence. J’ai toujours écouté
de Trust
B.B. King, depuis que je suis
«C’était un monument. petit, grâce à mes frères plus
Un bluesman avec une vie âgés. D’autres musiciens
extraordinaire. Déjà par son étaient peut-être meilleurs
parcours : celui d’un Black que lui, mais B.B. King était
des années 20 issu des aussi bon au chant qu’à la
champs de coton, une racine guitare, avec un son reconpure et dure du blues, qui a naissable entre mille, feutré,
eu une carrière phénoménale incisif et doux à la fois.
jalonnée par une quinzaine Mélodieux.
de Grammy Awards.
«Pour tout le monde, c’est
«Je l’écoute depuis mes 7 ou la voix du blues, avec deux
8 ans, jusqu’à aujourd’hui. ou trois autres chanteurs tels
Un morceau préféré ? When que John Lee Hooker. Et son
it All Comes
bagage musical
Down (I’ll Be
TÉMOIGNAGES était énorme :
Around). Sa
de belles harvoix m’a toujours trans- monies, une grande intelliporté. Même sur ses derniers gence musicale, une voix
albums, je ne suis pas cri- qui dresse les poils tout de
tique. Vu son âge, c’était suite.
quand même des réussites. «Mon album préféré, c’est
Pareil pour les concerts. Il Live at the Regal ou Live at
est resté debout sur scène San Quentin, enregistré dans
jusqu’au bout, jusqu’au der- une prison. Pour les channier souffle.
sons, il y a The Thrill is Gone,
«B.B. King était l’âme du forcément, mais aussi Sweet
blues, par sa voix et son jeu Little Angel, Rock me Baby…
de guitare pur et envoûtant. «Qu’il ait été associé à plein
Le maître absolu. Un person- d’artistes montre qu’il était
nage irremplaçable, comme une référence quel que soit le
Jimi Hendrix, Elvis Presley genre. Tout le monde voulait
ou Michael Jackson.
le côtoyer et jouer avec lui.
«Je l’ai croisé et vu en concert en 2009 au Palais des
congrès à Paris. Il était un
peu fatigué. En vieillissant, il
s’économisait. Mais le frisson était toujours là. Pour
moi, trois mots, trois notes,
cela suffisait. Il était le roi.»
«Il laisse une place qui ne
sera jamais occupée. Il reste
Buddy Guy, certes. Mais le
chapitre est clos, les trois
King [Albert, Freddie et B.B.]
sont morts.»
Nina Attal
Blueswoman française
«B.B. King a beaucoup représenté pour moi. Quand
j’étais ado j’écoutais AC/DC,
Led Zep, mais la première
fois que je l’ai entendu, j’ai
su que le blues allait m’accompagner toute ma vie.
«Il avait un jeu de guitare
efficace. Dans chaque note,
il mettait une émotion. Chez
lui, une note raconte une
histoire. C’est un guitariste
pas très bavard mais précis.
Chaque note était bien placée, il y avait ses tripes dans
chacune d’elles. De même
pour la voix. Il chantait avec
son âme.
«Dans sa discographie, je
choisis Live in Africa, enregistré au Zaïre, au moment
du combat de boxe Foreman-Ali en 1974. Et Playing
with My Friends, en duo avec
Robert Cray, festif et axé sur
le partage.
«Pour moi, c’est l’artiste qui
représente le mieux le blues.
Il exprimait tout. Il représentait les racines, l’authenticité. Quelque chose de
magique.»
Recueilli par G.Ti.
Austra, Big Freedia, Clara 3000,
Kiddy Smile, Le1f, Léonie Pernet,
Perfume Genius, Planningtorock,
The Seth Bogart Show, Ssion...
30
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LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
CULTURE
Boris Charmatz
fait tourner la Tate
HAPPENING
L’institution anglaise
donne carte blanche
au chorégraphe
français le temps
d’un week-end,
pour qu’il transforme
le lieu en musée
de la Danse.
Par SONIA DELESALLE-STOLPER
Correspondante à Londres
Photo CLÉMENTINE
SCHNEIDERMANN
P
ourtant plantée solidement
au bord de la Tamise, la Tate
Modern ondule. La silhouette
de l’ancienne centrale électrique vibre, se tord et se déhanche. Le
musée est en mouvement et Boris Charmatz jubile. «En fait, ils ne le savent pas
encore, mais c’est comme le cheval de
Troie, on va rester, on va dormir sur place,
ils ne vont pas s’en rendre compte, mais
on ne va jamais
RENCONTRE repartir», rigole
le chorégraphe
français, quelques jours avant son abordage du navire amiral de l’art contemporain à Londres.
Le mot est puissant. Dans son annonce,
la Tate Modern parle de «take over»,
traduit par «prise de contrôle». Le
créateur du musée de la Danse, qu’il
n’appelle jamais le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne,
préfère la notion «d’investir» les lieux,
les moindres recoins de la Tate Modern,
pendant quarante-huit heures, vendredi et samedi. Avec environ quatrevingt-dix danseurs, mais également des
chorégraphes et avec la participation
du public, avec leurs mouvements, leur
voix, leur sueur.
«RÉACTION». Les musées accueillent
souvent des performances, des expositions vivantes. Mais l’initiative de
la Tate Modern, sous l’impulsion de
sa commissaire principale Catherine
Wood et de Boris Charmatz, et en association avec le théâtre londonien Sadler’s Wells, va plus loin. Elle cherche
à répondre à la question qui porte, de-
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
danse contemporaine, la Belge Anne
Teresa De Keersmaeker et la violoniste
française Amandine Beyer, spécialiste
de musique baroque.
DÉSACRALISATION. Manger est un travail particulier, qui se concentre sur les
mouvements de la bouche. Les danseurs
y chantent et y mangent, littéralement,
des feuilles de papier blanc. La version
présentée à la Tate Modern sera un peu
modifiée, dispersée. «Sur une scène
normale, les danseurs sont séparés par
50 centimètres à 2 mètres. Là, dans le
Turbine Hall, il y aura 10 mètres entre
chaque danseur», explique Boris Charmatz. Qui s’interroge aussi sur le devenir des voix des danseurs «perdues dans
cet espace démesuré».
Entre les danseurs, on trouvera peutêtre des visiteurs. Parce que le musée
n’est pas transformé en salle de spectacle, il demeure un musée, où touristes
et visiteurs se pressent à toute heure.
Mais, sur leur chemin, ils pourront
effleurer un danseur, discuter avec lui
lors d’ateliers disséminés dans les galeries d’exposition, voire participer aux
chorégraphies ou juste aux échauffements qui rythmeront les journées.
L’espace se transformera même en
night-club temporaire, avec boule à facettes et invitations pour tous à se trémousser. «On peut y passer une heure,
ou dix, et ne pas voir tout ce qui est proposé, ça n’a pas d’importance.»
«Le public va voir la sueur, sentir
les odeurs, voir ce que ça représente
comme travail une chorégraphie», explique Boris Charmatz. Et, non,
il ne craint aucunement
«Le public va voir la sueur, sentir
désacraliser ainsi la
les odeurs, voir ce que ça représente de
danse. «Moi, je fais une danse
comme travail une chorégraphie.»
plus concrète que magique,
mais même comme ça, la
Boris Charmatz
danse peut avoir une dimenTurbine Hall, son cœur. «C’est comme sion magique ou sacrée.»
une fiction sur deux jours, on s’est posé la Expo Zéro, un projet chorégraphique
question “et si on tentait ça ? Ou ça ?”» cher au musée de la Danse, implique dix
Et ils ont tout tenté dans un extraordi- danseurs, chorégraphes, théoriciens
naire exercice interactif.
de la danse qui discutent et mettent
Le Turbine Hall, gigantesque espace mo- en mouvement, immédiatement, leurs
nographique, sert d’écrin à une «forme idées sur ce que leur inspire un musée
de rétrospective du musée de la Danse». de la Danse. Et là encore, les visiteurs
En mouvement, constamment, les prin- peuvent participer à la discussion «dès
cipales créations chorégraphiques de lors qu’ils lâchent un peu prise».
Boris Charmatz se dévoilent. A bras-le- Vingt danseurs pour le XXe siècle retrace,
corps (1993), Roman Photo (2009), Levée dans les différentes galeries d’exposides conflits (2010) et son œuvre la plus tion, une histoire de la danse, de toutes
récente, Manger, qui sera présentée éga- les danses du XXe siècle, des déhanchés
lement la semaine prochaine au Sadler’s de Chaplin aux acrobaties du hip-hop,
Wells, où Boris Charmatz poursuivra son des ballets de Marius Petipa à ceux
immersion londonienne. Il y présentera de Martha Graham. Et puis, Boris CharAatt enen tionon et Partita 2, une collabo- matz revisite un projet qu’il avait déjà
ration avec l’une des papesses de la présenté en 2012 à la Tate Modern, sauf
Quatre-vingt-dix
danseurs et Boris
Charmatz font
de la Tate
Modern
un musée dansant
ce week-end.
Le public
est invité à
s’échauffer
avec le grand
chorégraphe ou
à se trémousser
dans le
Turbine Hall,
dance-floor
éphémère.
PHOTO HUGO
GLENDINNING
•
31
que, cette fois-ci, il a fait appel à des
non-danseurs.
Dans Roman Photo, vingt volontaires
apprennent en quelques minutes les
mouvements illustrés dans le livre
du photographe David Vaughan Merce
Cunningham: Fifty Years, paru en 1997,
qui retrace les chorégraphies du danseur et chorégraphe américain. «L’idée
est d’induire l’effet des pages qui se tournent, avec des improvisations d’amateurs
qui reproduiront les mouvements des photos.» Et les volontaires sont «a priori, le
plus possible, des non-danseurs. Encore
que, a priori, tout le monde peut danser,
au moins dans sa tête». Boris Charmatz
en est convaincu: «La danse au musée,
c’est nouveau, c’est un territoire qui va
transformer la discipline et, potentiellement, transformer les musées. C’est l’idée
que la transmission du savoir est prise à
bras-le-corps, littéralement.» •
BMW TATE LIVE:
IF TATE MODERN WAS
MUSÉE DE LA DANSE?
Ce week-end, de 12 à 22 heures,
à la Tate Modern de Londres,
entrée gratuite.
THÉÂTRE DE
ST-QUENTINEN-YVELINES
Scène nationale
19 ET 20 MAI 2015
PLEXUS
PIÈCE D’AURÉLIEN BORY
POUR KAORI ITO
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PRÉFET
DE LA RÉGION
© Aglae Bory
puis plus de vingt ans, le travail du chorégraphe. «A quoi pourrait bien ressembler notre musée, celui de la danse, quel
type de bâtiment, qu’est-ce qui y serait
montré ?» «Et si la Tate Modern était un
musée de la Danse, qu’est-ce qu’on y proposerait?» La réponse à cette question,
Boris Charmatz ne l’a pas. Et heureusement. L’interrogation le porte.
«Quand j’ai fondé le musée de la Danse,
en 2006, c’était presque en réaction
contre ces musées-là», explique-t-il,
contre ces lieux, souvent magnifiques,
mais où le seul mouvement est celui du
public qui admire des œuvres statiques.
Tout son travail chorégraphique agit
comme un gigantesque «think tank qui
réfléchirait constamment au concept du
musée du XXIe siècle, un lieu qui ne soit
pas seulement d’exposition, mais aussi de
performances, de mouvements qui fassent
sens, qui posent des questions adéquates», note Boris Charmatz.
Le Museum of Modern Art (MoMA) de
New York et la Tate Modern à Londres
«ont vraiment pris à bras-le-corps cette
réflexion». Boris Charmatz a déjà «investi» ces deux musées, en octobre 2012
pour la Tate Modern et un an plus tard,
en novembre 2013 pour le MoMa. Mais
c’était en général autour d’une seule
œuvre, dans un espace relativement limité. Cette fois-ci, Boris Charmatz a eu
carte blanche.
Et la Tate Modern bouge de partout,
dans les galeries d’expositions permanentes, dans les temporaires (le musée
propose en ce moment une magnifique
exposition sur Sonia Delaunay), dans le
CULTURE
•
LE FILM DU DIMANCHE
32
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
CULTURE GUIDE
«GIRLS ONLY»,
PASSIVE VITE
ALBUMS DE FAMILLE
Par GUILLAUME TION
Sur l’autoroute des sorties de la semaine qui
ne passent pas par Cannes, une comédie sentimentale revendiquée «pour filles» tournée
en vidéo à Seattle: Girls Only. Y pataugent une
Keira Knightley un peu moins minaudante
qu’à l’accoutumée, une Chloë Grace Moretz
qui a encore grandi et une tortue se prénommant Lynn, comme la réalisatrice du film.
Tout cela est dépressif comme il se doit, voire
un peu plus.
Megan est une vingtenaire tardive qui ne sait
pas quoi faire de son temps mis à part mouler
sur un canapé et écouter son copain lui parler
de la vie, de la mort et de la symbolique animale dans l’épanouissement personnel. Le
jour où elle surprend son père avec la mère
d’une de ses amies, elle est bouleversée. C’est
le moment que choisit son ami pour la demander en mariage. Megan va donc fuir pour
une semaine de réflexion en compagnie
d’ados lambda plutôt propres sur eux dans
cette ville au passé grunge.
Le film, lui aussi inoffensif malgré quelques
«fuck» et autres «big fat dick», tente d’atteindre un état «flottant», comme il est défini
dans une scène, c’est-à-dire ces moments où
on ne sait pas où on va ni ce qu’on veut. Megan, cette grande passive à jamais inadaptée,
a une vie sur des rails. Elle devra donc en sortir pour rouler droit, voilà le message de ce
voyage initiatique à l’autre bout du quartier.
Au milieu de ce flot clicheton de directions
contradictoires ou irrésolues –sans compter
qu’il ne fait pas très beau–, une figure sert de
pivot, celle du père d’une ado, avec lequel
Megan aura une liaison qui la sauvera. Fin de
l’histoire, peu brillante et ne racontant pas
grand-chose. Mais, au détour d’une scène,
dans un décor de brunch huppé heureux
après un mariage, on discerne en bande-son
du Satie joué façon jazz d’ascenseur. Là, le
film tient quelque chose qui le sort du produit
standardisé. •
«Girls Only» de Lynn Shelton, avec Keira Knightley,
Chloë Grace Moretz, Sam Rockwell… 1h39. En salles.
Hercule
Par son premier
morceau,
What We Been
Doin annonce sa
filiation artistique:
M.O.B., pour
Money Over
Bullshit ici, certes.
Mais c’est surtout
un type de rap
que l’on ne trouve
qu’en Californie
du Nord, porté
par des basses
lourdes. B-Legit
a œuvré dans
cette ambiance,
qu’il n’a jamais
vraiment quittée
depuis son
deuxième album,
The Hemp
Museum,
un classique
du genre.
Marijuana, dont
le piano apporte
cette touche
aérienne qui colle
au flow détaché
de l’artiste
de Vallejo,
le minimaliste
Beast ou le doux
WYTB s’insèrent
dans sa riche
discographie,
aisément. D.Do
B-Legit What
We Been Doin
(Block Movement)
Cow-boy
Une voix d’ange
déchu à la Jeff
Buckley planant
sur un desert rock
tinté de
trompettes
mariachis digne
d’un Tarantino…
L’Américain Brian
Lopez confirme
ici son incroyable
talent de crooner
et mélodiste
made in Tucson,
Arizona. Dans la
veine des gloires
locales de
Calexico, l’exleader du groupe
Mostly Bears
signe un album
solo se jouant
des frontières
géographiques et
soniques. Passé
guitares pistoleros
et envolées
flamenco, le chant
de Brian Lopez
s’envole très haut
sur When I Was
a Mountain,
prière country
déchirante dans
le désert.
Un jeune géant
indie au pays des
cow-boys. J-C.F
Brian Lopez
Static Noise (India
Records/Modulor)
Afropop
Tout amateur de
musique africaine
s’est un jour fait
la remarque:
les rééditions
de vinyles nous
excitent plus
que la production
actuelle?
Le nouveau
Bassekou Kouyaté
échappe à la
règle: il sonne
aussi frais que s’il
avait été gravé
au lendemain de
l’indépendance
du Mali. Avec ses
trois ngonis (lead,
basse, medium),
il développe une
esthétique blues
rock qui ne refuse
pas les mélodies
pop, et que les
invités magnifient:
le souffle fragile
de la trompette
de Jon Hassell, les
solos triomphants
de Chris Brokaw,
guitariste des
Lemonheads.
F.-X.G.
Bassekou Kouyaté
& Ngoni Ba
Ba Power
(Glitterhead/Differ’
Ant). En concert
le 20 mai au New
Morning (Paris Xe).
Schubertiade
Certes, ce coffret
anthologique
(5 CD) des sonates
pour piano de
Schubert est paru
l’été dernier. Il a
déjà été acheté
par les amateurs
intéressés qui ont
écouté de
nombreuses fois
ces onze pièces,
notamment la
triplette d’œuvres
tardives et
frémissantes,
sous les doigts de
Daniel Barenboim,
dont la prise de
son claire restitue
aussi l’impact de
certains touchés.
Mais toutes les
occasions sont
bonnes pour
annoncer la série
de récitals que le
maestro donnera,
cette semaine,
à la Philharmonie
de Paris,
où il délivrera
justement ces
onze sonates. G.Ti.
Daniel Barenboim
Schubert: Piano
Sonatas (Deutsche
Grammophon).
En concert à la Philharmonie de Paris
du 18 au 24 mai.
Bravo Bravo
De quelle planète
viennent ces
quatre Ecossais
pour produire
pareille
bacchanale
electro bop?
Erudite
et dansante,
cérébrale
et hédoniste,
leur musique
rétrofuturiste
est quelque part
le chaînon
manquant entre
la new wave dingo
de Devo, le jardin
anglais bien taillé
de XTC et le
psychédélisme
symphonique
des Beach Boys.
Deux ans après
leur Django
Django, David
Maclean et ses
acolytes ont
encore amélioré
leur joyeuse
mixture spatiotemporelle.
A l’arrivée,
13 titres
mélodiquement
parfaits et garantis
100% good
karma. J-C.F.
Django Django
Born Under Saturn
(Because)
Mojo
Indémodable,
le vieux mod Paul
Weller portant
toujours beau
la straight attitude
made in Britain?
Après trente-huit
ans de carrière,
des séminaux
revivalistes de The
Jam au stylé Style
Council, avant une
dizaine d’albums
solos survivalistes,
on commençait
à en douter.
Bien que toujours
honnêtes,
les dernières
productions
du père spirituel
de la britpop
nous avaient paru
parfois
lourdingues, avec
des riffs de guitare
bûcheronnés.
Et voilà cet
épatant Saturns
Pattern, moins
rock’n’roll old
school, où Weller
retrouve le mojo
northern soul
et se rappelle
à notre bon
souvenir
en fucking good
songwriter. J-C.F.
Paul Weller Saturns
Pattern (Parlophone)
EXPO Le temps d’un week-end, la crème des arts urbains investit l’hôpital Saint-Jean de Lagny,
déserté depuis 2013, pour «We Art Urban», dans le cadre du festival Hoptimum en Seine-et-Marne.
Le street art ravale les façades d’un hôpital
U
ne friche, toujours un espace à part dans la
ville. Encore plus s’il s’agit d’un hôpital. Une
belle idée, alors, d’y organiser un festival de
street art. Dans le cadre de Hoptimum, qui quadrille
l’ensemble de la Seine-et-Marne, département surtout rural et périurbain, «We Art Urban» déroule
son parcours, en extérieur, dans l’ancien hôpital
Saint-Jean de Lagny-sur-Marne.
Entre graffiti et street art figuratif ou tendant vers
l’abstraction, quinze œuvres, certaines monumentales. Dès l’arrivée, Pantonio déploie d’ailleurs son
univers bleu et noir sur une trentaine de mètres.
Comme d’autres ici, l’Açorien a travaillé avec des
nacelles afin de défier les volumes proposés. Le Chilien Inti montre un imposant et violacé Kusillo, personnage du folklore bolivien. Plus loin, sur la façade
du bâtiment principal, Near Death Experience, avec
lettres, d’inspiration cunéiforme ou latine, et braille,
que seuls ceux qui ne savent lire peuvent percevoir.
La déambulation dans le lieu est déjà suggestive en
soi. Ici, un panneau indiquant la maternité; là, l’accès aux urgences. Au fond, un bâtiment en meulière,
typiquement francilien, dont on aperçoit les vitraux
de la chapelle à travers la porte. Le thème imposé est
d’ailleurs le monde hospitalier. Symboles de ces
souvenirs, le collectif 9e concept et son assemblage
de collages, de peintures, jusqu’aux coups de
crayon. Ou bien les Hard Déco, artistes du coin, et
leur sublime association de peinture figurative et
graffiti. «Certains graffeurs sont nés dans cet hôpital.
Et, pour tous les artistes, ce monde évoquait quelque
chose», précise l’artiste Gilbert, l’un des directeurs
artistiques avec Nick Torgoff, alias Myre. Pour le visiteur aussi, la promenade est évocatrice.
DAMIEN DOLE
Ofrenda («offrande»), du Chilien Inti. PHOTO NICOLAS GZELEY
WE ART URBAN samedi de 14 à 19 h et dimanche de
12 à 18 h., 31, av. du Général-Leclerc à Lagny-sur-Marne (77).
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
GUIDE CULTURE
•
33
DANS LA POCHE
«Tu as été
amputé
de toi-même.
D’un lieu qui
est toi-même.
Tu ignorais
que c’est
un livre
qui effectuerait
cette douloureuse opération.
Pas tout le lieu, mais une
grande partie de lui, à présent
te rejette. La littérature
sépare, comme le scalpel,
c’est là son premier effet.»
PORTES OUVERTES Ce samedi, 1300 établissements
invitent public et artistes toute la soirée.
C’est beau,
un musée la nuit
M
assive, nocturne et
gratuite. La Nuit
européenne des
musées, c’est d’abord ça :
des centaines d’expositions
et collections en accès libre,
toute la soirée (parler de
«nuit» est tout de même
assez excessif). Mais c’est
aussi des musiciens, des
danseurs et des plasticiens
qui profitent de l’occasion
pour s’inviter entre les murs.
«Cela participe à la démystification des musées, encore associés au pouvoir, à l’élitisme,
alors que l’art contemporain
est tout autant accessible que
la danse ou le théâtre. Le musée devient un endroit qu’on
peut visiter autrement», juge
Frank Lamy, chargé de
l’événement au MAC/Val de
Vitry-sur-Seine (Val-deMarne).
De 13 à 23 heures, le lieu
mixe visites guidées, concert
rock et déambulations urbaines du duo Dector & Dupuy, dans un esprit décalé et
festif. Au risque d’entretenir
une attitude consommatrice
du public vis-à-vis de l’art?
Le performeur Laurent Moriceau répond par un pied de
nez : pour Found and Lost, il
a créé un moulage en chocolat de son propre corps, en
posture de gisant. Il sera offert en dégustation aux visiteurs à l’heure de l’apéro.
«Au même titre que les Journées du patrimoine, la Nuit des
musées présente à la fois le ris-
que de tomber dans l’animation et la nécessité de décloisonner les publics», reconnaît
Frank Lamy.
Ce samedi, quelque deux
millions de visiteurs (une
donnée toujours approximative claironnée par les organisateurs) sont attendus dans
1300 établissements français
participants. Depuis ses débuts il y a onze ans, l’événement essaime en Europe : à
Londres, Bucarest ou Porto,
l’art se donne aussi à voir
autrement. Parfois au sens
propre : au Fonds régional
d’art contemporain (Frac)
Centre, le public s’immergera
muni de casques dans l’installation Reverse of vo-
sien à une mystérieuse
chasse au Snark, cette bête
fantastique mi-requin miescargot, imaginée par Lewis
Caroll. Au cœur de la fondation, qui abrite tapisseries du
XVIIIe siècle, animaux empaillés et installations d’art
contemporain, quatre performeurs (Skall, Zhao Duan,
Qin Han et Eric Madeleine)
partiront à la recherche de ce
descendant du dahu ; une
quête extravagante et
métaphysique, explorant les
limites mouvantes entre
l’humain et l’animal. «Cette
Nuit est donc pour nous l’occasion d’inviter de nouveaux publics à passer la porte… et à
avoir envie de revenir», explique Chantal
Steegmuller,
«Cette Nuit est pour nous
chargée des
l’occasion d’inviter
publics.
de nouveaux publics à passer
Pour ceux qui
la porte… et à avoir envie
rêveraient encore du don
de revenir.»
Chantal Steegmuller chargée des publics d’ubiquité, le
MAC de Lyon a
lume FC, pour une déambu- trouvé la parade. Aux comlation sonore à travers un mandes d’un robot, on
relief montagneux semi- pourra visiter à distance, en
translucide, conçu par le Ja- quinze minutes, l’exposition
ponais Onishi Yasuaki. Au «Open Sea» : soit, la scène
Garage, à Brive-la-Gaillarde artistique contemporaine de
(Corrèze), en écho à l’exposi- l’Asie du Sud-Est à portée de
tion «Nos amis No !», le manettes.
peintre de la figuration libre
CHRISTELLE GRANJA
Robert Combas quittera son
atelier pour créer une toile en LA NUIT EUROPÉENNE
public. Plus inattendu, le DES MUSÉES
musée de la Chasse et de la Samedi, en France et en Europe.
Nature convie le public pari- Rens.: nuitdesmusees.fr
Pierre Jourde la Première Pierre (Folio)
«Quand je
pense à 1966,
je vois
des motifs
de cachemire,
du rose, de
l’orange, du
violet agressif,
du noir et
blanc qui vibrent jusqu’à
donner la migraine.»
Joyce Maynard Une adolescence
américaine (10/18)
Hugo Boris Trois Grands Fauves
(Pocket)
«Et maintenant
qu’elle a atteint
la perfection,
qu’envisage-telle? Je peux
faire mieux,
promet-elle,
sérieuse, sa
poupée de
chiffon contre son buste,
couvée du regard par son
entraîneur, un grand
moustachu affable.»
Lola Lafon la Petite Communiste
qui ne souriait jamais (Babel)
23 / 24 / 25 mai 2015
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Found and Lost, une gâterie en chocolat de Laurent Moriceau, au MAC/Val. PHOTO DR
«Il se
murmure
que cet homme
rose et
souriant,
les cheveux
éclaircis par
la calvitie,
est Winston S.
Churchill, premier lord
de l’Amirauté britannique
pendant la Grande Guerre.»
34
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
ECRANS&MEDIAS
A LA TELE SAMEDI
TF1
FRANCE 2
DIMANCHE
FRANCE 3
CANAL +
TF1
FRANCE 2
FRANCE 3
CANAL +
20h55. Argo.
Thriller américain de
Ben Affleck, 120mn,
2012.
Avec Bryan Cranston,
Ben Affleck.
23h15. Esprits
criminels.
Série américaine :
Hansel et Gretel,
Le roi solitaire.
Avec Shemar Moore,
Thomas Gibson.
1h00. New York
Police Judiciaire.
20h55. L’Affaire
Rachel Singer.
Thriller américain de
John Madden, 120mn,
2011.
Avec Helen Mirren,
Tom Wilkinson.
22h45. Non élucidé.
L’énigme de la mort du
gendarme Jambert.
Documentaire
présenté par Arnaud
Poivre d'Arvor et
Jean-Marc Bloch.
0h20. Météo.
20h50. Inspecteur
Barnaby.
Série britannique :
La mort et les divas
Avec Neil Dudgeon,
Jason Hughes.
22h20. Inspecteur
Barnaby.
Une foi sacrée;
Série.
0h00. Soir 3.
0h20. Toto le Moko.
Film.
1h40. Les Kennedy.
Téléfilm.
20h55. Rugby :
Clermont / Toulon.
25e journée duTop 14.
Sport présenté par
Éric Bayle, Bertrand
Guillemin et
François Trillo.
23h00. L’équipe
du dimanche.
Magazine présenté par
Messaoud Benterki.
23h50. Le journal des
jeux vidéo.
0h20. True detective.
Série.
20h55. Gad Elmaleh 20 ans de scène !
Spectacle présenté
par Christophe
Dechavanne.
22h55. Gad Elmaleh Le big show.
Documentaire,
90mn.
0h25. Spéciale
Bêtisier.
Divertissement.
2h00. 50 mn inside.
Magazine.
3h10. 50 mn inside.
20h55. Le plus grand
cabaret du monde.
Divertissement
présenté par
Patrick Sébastien.
23h10. On n’est pas
couché.
Avec Jeannette
Bougrab,
Clémentine Célarié…
Magazine présenté par
Laurent Ruquier.
2h20. Déconne
cheese.
2h25. Météo.
20h50. Souviens-toi.
Téléfilm de Philippe
Venault.
Avec Émilie Dequenne,
Patrick Mille.
22h35. Soir 3.
22h55. Enquêtes
réservées.
Série française :
Sombre poison,
Cœur de cible.
Avec Jérôme Anger,
Yvon Back.
0h35. Du côté de chez
Dave.
20h55. Football :
Multifoot.
37e journée de Ligue 1.
Sport.
22h55. Jour de foot.
Magazine présenté par
Karim Bennani.
23h55. Homefront.
Film.
1h35. Last days
in Vietnam.
Documentaire.
3h10. Surprises.
3h45. Les requins
de la colère.
ARTE
M6
FRANCE 4
FRANCE 5
ARTE
M6
FRANCE 4
FRANCE 5
20h50. Les soldats nus
de l’empereur Han.
Documentaire.
21h40. Les derniers
secrets de l’armée
de terre cuite.
Documentaire.
22h35. Faiseurs
de tubes.
Une industrie en
mutation.
Documentaire.
23h25. Tracks.
0h10. The specials en
concert au Bataclan.
20h55. Hawaii 5-0.
Série américaine :
Pono Kaulike,
Ua Nalohia,
Akanahe.
Avec Michelle Borth,
Scott Caan.
23h30. Hawaii 5-0.
Pa’ani,
I Helu Pu.
Série.
1h10. Sons of anarchy.
Le nettoyeur.
Série.
2h05. Météo.
20h50. Les chroniques
du dragon.
Téléfilm de JeanChristophe Comar.
Avec John Rhys-Davies,
Razvan Vasilescu.
22h15. La légende
des crânes de cristal.
Téléfilm de Todor
Chapkanov.
Avec Richard Burgi,
Wendy Glenn.
23h40. Doctor Who.
La Nécrosphère.
Série.
20h35. Échappés
belles.
Les chasseurs des
trésors de la Baltique.
Magazine.
22h05. Portugal.
Documentaire.
23h00.
L’œil et la main.
Magazine.
23h25.
Les chemins de l’école.
D’Erbol, Olivier et
Francklyn.
Documentaire.
20h45. Fargo.
Thriller de Joel Coen,
98mn, 1996.
Avec William H. Macy,
Steve Buscemi.
22h25. Barton Fink.
Comédie dramatique
américaine de Joel et
Ethan Coen, 116mn,
1990.
Avec Michael Lerner,
Judy Davis.
0h15. Les contes
d’Hoffmann.
Spectacle.
20h55. Capital.
Argent public : le
gaspillage continue !
Magazine présenté par
François-Xavier
Ménage.
23h00. Enquête
exclusive.
Tourisme et menace
terroriste : le défi
tunisien.
Magazine.
0h20. Enquête
exclusive.
Magazine.
20h50. The
Ladykillers.
Comédie américaine
de Joel et Ethan Coen,
104mn, 2003.
Avec Tom Hanks,
Irma P Hall.
22h30. Take shelter.
Drame américain de
Jeff Nichols, 116mn,
2011.
Avec Michael Shannon,
Jessica Chastain.
0h25. FBI :
Portés disparus.
20h40. Des mutants
dans notre assiette.
Documentaire.
21h30. La maladie de
Lyme, quand les tiques
attaquent !
Documentaire.
22h25. La IVe
République, une
France oubliée ?
Documentaire.
23h40. La grande
librairie.
0h40. Les 100 lieux
qu’il faut voir.
PARIS 1ERE
TMC
W9
GULLI
PARIS 1ERE
TMC
W9
GULLI
20h40. Agence
tous risques.
Série américaine :
Effacez-les,
Boisson gazeuse,
Mystère à Beverly Hills,
Un quartier anglais,
La route de l’espoir.
Avec Mr T,
George Peppard.
0h50. Ça glisse au pays
des merveilles.
Documentaire.
1h50. Programmes
de nuit.
20h50. New York
section criminelle.
Série américaine :
La belle et la bête,
Enfer carcéral.
Avec Vincent
D'Onofrio,
Kathryn Erbe.
22h30. New York
section criminelle.
Echec et mat,
Le bon samaritain.
Série.
0h25. Canapé quiz.
Jeu.
20h50. Les Simpson.
Le mot de Moe,
Mon voisin le Bob,
Les ailes du délire,
Marge business,
Mère hindoue, fils
indigne.
Jeunesse.
22h55. Les Simpson.
8 épisodes.
Jeunesse.
2h30. Météo.
2h35.
Programmes
de nuit.
20h45. Total wipe out
made in USA.
2 épisodes.
Divertissement.
22h20. Total wipe out
made in USA.
2 épisodes.
Divertissement.
23h55. Total wipe out
made in USA.
2 épisodes.
Divertissement.
0h40. Ratz
4 épisodes.
Série.
20h40.
Kaamelott
Série française,
245mn.
Avec Alexandre Astier,
Anne Girouard.
0h45.
Zemmour
& Naulleau.
Best of.
Magazine.
2h10.
Programmes
de nuit.
20h50. Les experts :
Manhattan.
Série américaine :
Dernière mission,
La flèche d’amour,
Les cendres du passé.
Avec Gary Sinise,
Mélina Kanakaredes.
23h25.
Les 30 histoires...
Spectaculaires.
Divertissement.
1h50.
Programmes
de nuit.
20h50. Body of proof.
Série américaine :
Mortelles retrouvailles
(1 & 2/2)
Les possédées.
Avec Dana Delany,
Jeri Ryan.
23h10. Body of proof.
Virus (1 & 2/2),
Sur la piste du monstre.
Série.
1h35. Météo.
1h40.
Programmes
de nuit.
20h45. Laurel
et Hardy.
Joyeux pique-nique,
Bonne d’enfants,
Les joyeux compères,
Qui dit mieux,
Les menuisiers,
Les ramoneurs.
Série.
23h00. Mission
Impossible.
Le conflit,
L’héritage.
Série.
0h55. Ratz.
NRJ12
D8
NT1
D17
20h50. Tellement Vrai.
Couples : Ils veulent un
enfant plus que tout II.
Magazine présenté par
Matthieu Delormeau.
22h55. Tellement Vrai.
Un enfant avant tout.
Magazine.
0h40. Tellement Vrai.
Au revoir au cœur de
l’hôpital pédiatrique.
Magazine.
2h25. Poker.
Jeu.
20h50. Pédale douce.
Comédie française de
Gabriel Aghion, 100mn,
1995.
Avec Richard Berry,
Fanny Ardant.
22h50.
Au cœur
de l’enquête.
Magazine présenté par
Adrienne De Malleray.
0h40.
Programmes
de nuit.
20h50. Comme
un chef.
Comédie française de
Daniel Cohen, 85mn,
2011.
Avec Michael Youn,
Jean Reno.
22h30. Le grand bazar.
Comédie française de
Claude Zidi, 85mn, 1973.
Avec Gérard Rinaldi,
Jean Sarrus.
0h10. Confessions
intimes.
20h50. Chicago Fire.
Série américaine :
Le courage d’avancer,
Remise en question.
Avec Jesse Spencer,
Taylor Kinney.
22h35.
Aveuglantes.
Téléfilm érotique.
Avec Catalina
Larranaga.
0h30.
Programmes
de nuit.
NRJ12
D8
NT1
D17
20h50. Le super
bêtisier.
Divertissement
présenté par
Anne-Gaëlle Riccio et
Adrien Rohard.
22h40. Ça va s’en rire.
Vacances, j’oublie tout !
Divertissement.
0h20. Ça va s’en rire.
La drague deA à Z.
Divertissement.
2h25. Poker.
Jeu.
20h50. Le grand match
de la télé-réalité.
Divertissement
présenté par
Julien Courbet.
23h10.
Le grand match de la
télévision.
Divertissement
présenté par
Julien Courbet.
1h15.
Programmes
de nuit.
20h50. Chroniques
criminelles.
Affaire Greiner : le
pompier aux deux
visages / Manuela, la
veuve noire / Une nuit
meurtrière.
Magazine.
23h10. Chroniques
criminelles.
2 épisodes.
Magazine.
3h40. Programmes
de nuit.
20h50. Le Zap.
Divertissement,
70mn.
22h00. Le Zap.
Divertissement,
90mn.
23h30. Enquête
très spéciale.
Magazine.
0h00. Enquête
très spéciale.
Magazine.
0h30. Enquête
très spéciale.
HD1
6 TER
CHÉRIE 25
NUMÉRO 23
HD1
6 TER
CHÉRIE 25
NUMÉRO 23
20h50. Section de
recherches.
Série française :
Sortie de piste
Cœur de pierre
Mauvaise rencontre.
Avec Xavier Deluc,
Virginie Caliari.
23h55. Section
de recherches.
Dernier acte,
Le substitut,
Millésime meurtier.
Série.
20h50. Storage wars :
enchères surprises.
Avalanche d’enchères,
Le roi des pralines,
Extralucide,
Crachoir de poche,
Souvenirs d’école.
Documentaire.
22h55. Storage wars :
enchères surprises.
7 épisodes.
Documentaire.
1h45. Programmes
de nuit.
20h50. Tempête
de feu.
Téléfilm de Jim
Wynorski.
Avec John Bradley,
Tom Arnold.
22h45. À l’épreuve
des flammes.
Téléfilm de Jason
Bourque.
Avec Tracey Gold,
Tahmoh Penikett.
0h30. J’ai dit oui
à la robe.
20h45. River monsters.
Le titanic de l’Amazone,
Les meurtriers.
Documentaire.
23h25. Phénomène
paranormal.
Les habitants cachés de
l’hôpital,
Une romance du passé,
Dans la peau d’un tueur,
Les habitants cachés de
l’hôpital ,
Cernés par les loups.
Série
20h50. Le placard.
Comédie française de
Francis Veber, 84mn,
2000.
Avec Daniel Auteuil,
Gérard Depardieu.
22h20. The queen.
Drame européen de
Stephen Frears, 100mn,
2006.
Avec Helen Mirren,
James Cromwell.
0h15. Parle avec elle.
Film.
20h50. Iron man.
Film d’aventures
américain de Jon
Favreau, 130mn, 2007.
Avec Robert Downey
Jr, Terrence Howard.
22h55. Ghost rider.
Film fantastique
américain de Mark
Steven Johnson, 110mn,
2006.
Avec Nicolas Cage.
0h50. Buck : la légende
du Texas.
20h50. Sauveur
Giordano.
Téléfilm français :
Descente aux enfers.
Avec Pierre Arditi,
Carole Richert.
22h40. Sauveur
Giordano.
Rendez-moi mon bébé.
Téléfilm.
0h30. Sauveur
Giordano.
Aspirant officier.
Téléfilm.
20h45. Imagine me
and you.
Comédie de Ol Parker,
94mn, 2006.
Avec Piper Perabo,
Lena Headey.
22h30. Lost girl.
Série américaine :
Le réveil du Pyrippus,
Le cœur de Bo.
Avec Anna Silk,
KC Collins.
0h10. Rocking chair.
Documentaire.
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NEXT GRAND FORMAT
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
NEXT
36
Six millions de
chiffre d’affaires,
six cent mille rosiers
de jardin produits
par an, le mythique
pépiniériste fête ses
80 ans. L’occasion
de rencontrer
le petit-fils
du fondateur
de la maison
et de revenir
sur un parcours
semé d’épines
et d’innovations
florales.
Une variété
de rose en
cours d’hybridation
chez Delbard.
Delbard,
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
Par EMMANUÈLE PEYRET
Envoyée spéciale à Malicorne (Allier)
PhotosPASCALAIMAR.TENDANCEFLOUE
alicorne : le nom
tient à lui seul du
conte de fées, avec
quelque chose d’un
peu maléfique. Un
tout petit village de
800 âmes, sinistré
par la mort du bassin
minier, paysage plat près de Montluçon dans
l’Allier, où, ce 8 mai pluvieux, a lieu une brocante. Au bout de la grande rue, pas très indiquées, on trouve enfin les pépinières Delbard,
des bâtiments modernes et sans grand
charme, à l’opposé des serres abritant les
créations de l’année : roses à gogo, textures
onctueuses, pétales comme dessinés au
crayon, couleurs qu’on dirait fausses tant elles sont insensées. C’est Arnaud Delbard, qui
fera la visite, le petit-fils de Georges, mythique fondateur de la maison en 1935, infatigable créateur de multiples variétés de roses et
de fruits, dont le fils, Henri puis Arnaud se
sont ingéniés pendant trois décennies à garder l’esprit d’innovation lié à leur nom, malgré des déboires financiers.
Quatre-vingts ans, 600 hectares d’arbres
fruitiers, 6 millions de chiffre d’affaires,
600 000 rosiers de jardin et 800 000 arbres
fruitiers produits par an, c’est «l’une des mai-
Etape de fertilisation d’une rose Delbard.
Henri, le fils du fondateur représentera la
maison durant ces Journées, mais c’est Arnaud, le petit-fils (chez les Delbard, c’est
une histoire d’hommes) qui reçoit dans son
bureau, un jour férié. On ne compte pas ses
heures, dans la rose. Un peu réservé au début, le quadra, aujourd’hui à la tête de la
maison qui ne possède plus les jardineries ni
la marque depuis 2012 – il y
«On délocalise parce qu’il est bien moins
a souvent des sorcières dans
les contes de fées – mais a
cher de produire des millions de fleurs au
Kenya, en Equateur et de les faire venir par conservé la création et les
pépinières, narre avec feu et
avion que de chauffer des serres toute
amusement la geste du papy
l’année.»
(décédé en 1999) dans Jardinier du monde (1), très amuArnaud Delbard petit-fils de Georges
sante chronique de ces quelsons les plus actives à hybrider des roses avec ques décennies en noir et blanc puis en
un dynamisme et une inventivité qui ne se dé- couleur. Une success story entre beau linge
mentent pas», selon Hélène Fustier, fonda- et horticulture, entre Paris, l’Amérique et
trice avec son mari Patrice des Journées de Malicorne, berceau de la famille.
Courson qui ont lieu ce week-end, pour leur
Gutenberg de la plante
32e édition, à Chantilly, et qui célèbrent, en
quatre jardins, un aspect des créations Del- Georges Delbard est fils d’agriculteurs, insbard: celui du goût, en hommage aux arbres tallés dans la vieille maison en face des bufruitiers créés par la maison, des grandes reaux actuels. Le jeune homme monte à Pacréations de roses (impératrice Farah et ma- ris, en 1935, avec son certif, une grande
dame Delbard, entre autres), du parfum et passion du jardin héritée de son grand-père,
enfin le jardin des peintres, en référence aux pas mal de bagout et de confiance en lui. Il
roses aux noms d’impressionnistes, voulues y rencontre Georges Truffaut, le patron des
par le fils de Georges pour redonner âme et jardineries homonymes établies à Versailles
émotion aux collections dans les années 90. depuis 1824. Il travaille avec lui jusqu’à deve-
25 km
NIÈVRE
CHER
Moulins
Malicorne
ALLIER
PUY-DEDÔME
LOIRE
CREUSE
leçon
de roses
M
GRAND FORMAT NEXT
nir son bras droit, et apprend beaucoup : le
paysagisme, les floralies, les pépinières, la
recherche et l’innovation permanente, la
création de variétés…
Delbard comprend très vite que l’époque sort
de la culture vivrière et utilitaire pour une
horticulture plus esthétique et «ludique».
Au 16 quai de la Mégisserie, à Paris, il lance
sa première jardinerie (plus tard il instaurera
la vente en libre-service) et, surtout, les premiers catalogues de plantes par correspondance, des arbres fruitiers essentiellement :
«Regardez ça, s’enthousiasme le petit-fils en
montrant des brochures de l’époque. Si ce
n’est pas magnifique ?» Ça l’est.
Georges Delbard n’est pas mobilisé pendant
la guerre, «il mesurait 1,60 mètre et était assez
chétif», sourit son petit-fils, expliquant qu’il
a profité de ces années-là pour développer
son business, tisser des relations dans tous les
milieux. En 1947, coup de génie, il écrit son
premier livre sur les arbres fruitiers (2), expliquant au grand public d’après-guerre, désireux de se reconstruire, comment faire son
verger de A à Z. Enorme succès du livre, qui
voyage dans le monde entier via les ambassades, les milieux agricoles et économiques.
Une sorte de Gutenberg de la plante, papy
Delbard? En tout cas, il reçoit des milliers de
lettres, souvent des colis avec des variétés ou
des espèces, «autant de matériel génétique
qu’il va étudier et croiser», reprend Arnaud
Delbard. Et asseoir ainsi sa réputation d’insatiable chercheur et innovateur, tourné très
tôt vers l’international.
A la fin des années 50, c’est le début de la
création, de l’hybridation, du croisement,
des recherches variées sur la résistance aux
maladies, de la productivité et, bien sûr, du
travail sur le goût des pommes, poires, cerises. Georges introduit aussi de nouvelles espèces, comme la pomme Royal Gala et la
Golden, dans les années 60.
Il cultive deux fronts avec une énergie sans
fin: les fruits destinés au monde horticole et
les roses pour les particuliers, dont il développe les variétés dès la fin des années 50:
entre 250 et 300. A titre de comparaison, la
reine mère des maisons de roses, Meilland
–entreprise familiale elle aussi comme souvent dans ce monde –, en a 1 800.
Les années 70-80 correspondent à l’âge d’or
de la maison. Delbard exporte, vend des millions d’arbres fruitiers au Maghreb, au
Moyen-Orient et au Proche-Orient, qui ont
besoin de planter des vergers. Au Brésil et au
Kenya, il crée des vergers intensifs, signe en
•
37
1974 le «contrat du siècle» – selon l’expression familiale – avec le Shah d’Iran (d’où la
rose Farah) pour trois millions d’arbres,
ouvre son capital à LVMH en 1980 qui va
aider à financer le premier labo in vitro. Objectif: développer des variétés, les produire,
et faire face à une concurrence assez redoutable dans un marché qui dépend de la météo, du prix de la main-d’œuvre, du terrain,
des coûts de production. George Delbard se
débrouille pour faire pousser la rose culte de
la maison, Madame Delbard –une splendeur
veloutée rouge sang et odorante comme un
jardin de grand-mère– en Colombie, pays de
l’éternel printemps. Sur le marché de la fleur
coupée, elle se vend par millions.
Encore aujourd’hui, «on délocalise parce qu’il
est bien moins cher de produire des millions de
fleurs au Kenya, en Equateur et de les faire venir
par avion que de chauffer des serres toute l’année», explique Arnaud Delbard. Même si
«Malicorne, c’est le centre du monde, comme
disait papy», sourit-t-il. Mais le monde, où
le marché annuel de la rose représente 4 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros) par
an, peut aussi devenir un environnement
hostile: mondialisation, concurrence, contrefaçon, nécessité de produire toute l’année
des fleurs à la tenue parfaite, frappent chacune à leur façon la maison. LVMH quitte la
société en 1995, le fils Henri, avec des capital-risqueurs, reprend la marque avant de la
revendre, en 2005, en pleine floraison
– 67 millions d’euros, 750 employés et une
vingtaine de jardineries – à la famille Torck
(la marque Camaïeu). Un groupe «qui va
beaucoup investir d’argent, développer les jardineries, mais le tout sans aucune stratégie :
tout a explosé», raconte le petit-fils Delbard.
En 2012, c’est le dépôt de bilan. Avec son
père, Arnaud propose à son tour un projet
pour reprendre l’entreprise : les jardineries
et la marque sont vendues (à Gamm vert),
restent la maison mère et la création variétale
dans le labo et les pépinières.
Créer, chercher, exporter
En suivant l’idée d’Henri de bouturer «l’humanisme de la nature» avec l’image de marque des roses : une sorte de marketing de
l’univers de la fleur, liée par exemple aux impressionnistes avec les roses des peintres,
pour «faire rêver les gens, créer de bons produits qui sentent, qui donnent du plaisir, qui font
appel à la mémoire olfactive», poursuit Arnaud
Delbard pour qui le parfum est le premier
critère de choix des acheteurs, avec la facilité
d’entretien. «On remonte la pente», soufflet-il. Innover, créer, chercher, exporter : un
parfum de rose et de ténacité qu’on sent dans
les serres Delbard, un petit empire mis à mal,
mais qui a su finalement, avec 110 variétés de
roses et 80 de fruits, résister aux vilaines
sorcières. •
(1) et (2) «Les beaux fruits de France» à se
procurer sur le site www. delbard.fr.
LES JOURNÉES DES PLANTES
DE COURSON Jardin anglais de Chantilly, de
10heures à 19heures, jusqu’au 17 mai.
Entrée 17€. Rens.: www.domaine-de-courson.fr
LE FESTIVAL DES ROSES
Congrès mondial des société de rose,
parc de la Tête d’or à Lyon, les 30 et 31 mai.
Rens.: festivaldesroses.lyon.fr
LES JOURNÉES DE LA ROSE
Abbaye de Chaâlis (Oise) du 12 au 14 juin.
Rens.: www.journees-de-la-rose.com
38
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
NEXT FOOD
Massimo Bottura
la Botte secrète
MODÈNE Dans son Osteria
Francescana, le chef
triple étoilé repense
les classiques italiens,
élaborant sous
l’inspiration d’Ai Weiwei
ou de Thelonious Monk
des plats aussi goûteux
qu’audacieux.
Par ELVIRE VON
BARDELEBEN
NE JAMAIS
FAIRE
CONFIANCE À
UN CHEF
ITALIEN TROP
MINCE
de MASSIMO
BOTTURA
Phaidon, 352 pp.,
49,95 €.
O
ù les chefs accordent-ils des
interviews ? Rarement hors
de leur cuisine. Ce jour-là
pourtant, lorsqu’on rencontre Massimo Bottura, une des toques les
plus réputées du monde (trois étoiles au
Michelin et troisième au classement The
World’s 50 Best Restaurants), on est loin
de son enseigne de Modène : rendezvous à la galerie Perrotin, noyau culturel hype du Marais parisien. Le lieu sied
bien à l’Italien, dont la cuisine s’inspire
d’art contemporain –démonstration en
est faite dans son premier livre,
Ne jamais faire confiance à un chef italien
trop mince (1).
L’ouvrage est l’occasion de rencontrer
Bottura, qui, à 52 ans, possède une allure svelte et dynamique. Lunettes à
monture épaisse, barbe poivre et sel
soignée, pull col V, pantalon près du
corps et baskets New Balance : autant
de signifiants désignant un homme attentif à son allure et son époque. Ce livre est son premier en vingt ans de carrière. Pourquoi maintenant ? La
question arrache un soupir à Bottura,
qui enlève ses lunettes, plonge son visage dans ses mains, reste silencieux,
avant de répondre : «Depuis 1995,
j’avais l’idée en tête. Mais tout semblait
trop vieux à mon cerveau qui va trop
vite.» Son entourage l’a toujours encouragé à écrire, car l’homme est intarissable sur son métier. C’est finalement
René Redzepi, le chef du réputé Noma,
qui l’a convaincu d’accepter la proposition des éditions Phaidon.
GENÈSE. Le livre se démarque par son
titre, gage de fantaisie, mais aussi par
ses clichés, sobres, sans trop de mise en
scène. «Je ne voulais pas faire un bouquin
à la mode avec de belles photos», se défend le chef. Surtout, Massimo Bottura
aime théoriser, romancer la genèse des
recettes qu’il présente –alors qu’en gé-
néral, les chefs s’agacent lorsqu’on
intellectualise trop leur cuisine.
Comment transformer des spaghettis
en lasagne ? Pourquoi donner l’apparence d’un imprimé camouflage à un
civet de lièvre? Bottura veut rester dans
en flocons, la mozza devient une
mousse, les tomates sont caramélisées,
la menthe cuite au four…) pour créer
«une collision sur le palais, un collage de
saveurs, couleurs, textures et températures contrastées qui évoquent des sensations présentes à l’intérieur des frontières du
«J’étais buté, éméché, et je me suis mis
pays». Le chef a aussi
à hurler sur Lou Reed: “On ne peut pas
mis au point un «capfaire bouillir la viande!” Lou Reed s’est
puccino», servi dans
tourné vers son musicien et lui a
une tasse et proposé
en entrée : il s’agit en
dit:'“T’as vu? Ce type comprend mon
fait d’une soupe créobsession pour les amplis.”»
meuse d’oignon et de
Massimo Bottura
pommes de terre,
coiffée d’une sauce de
le cadre de la gastronomie italienne, vinaigre balsamique, accompagnée
mais bousculer ses traditions, les réin- d’un faux croissant –une pâtisserie saventer. Si le but semble commun, la lée à la couenne de porc. L’illusion est
réalisation ne l’est pas.
parfaite et elle a souvent dérouté les
Dans son plat «Italie, des Alpes à clients, qui ne savent s’ils doivent renl’Etna», il mêle et transforme des in- voyer le café ou se plier aux exigences
grédients (la ricotta est fumée et débitée farfelues du chef.
Bottura a repensé les plats les plus
classiques, tels que le bollito misto, version italienne du pot-au-feu. «Sommes-nous sûrs que nos traditions culinaires respectent nos ingrédients ?
interroge-t-il. Faire bouillir la viande,
c’est perdre les vitamines, les protéines,
le goût, le travail des agriculteurs qui ont
fait paître leurs vaches dans les Alpes.»
Des semaines durant, le chef, qui avoue
«être obsessionnel», obnubilé par sa
cuisine du soir au matin, est resté bloqué avec en tête l’idée de moderniser
la recette vieille de cinq cents ans.
L’inspiration lui est subitement venue
à New York : des dés de viande alignés
(cuits séparément, selon la taille)
comme des Lego, avec un duvet de persil plat à la place de la salsa verde, une
mince ligne de gélatine de poivron
rouge fumé, quelques câpres et une
goutte de moutarde aux pommes. On
dirait un coucher de soleil sur Central
Park, avec le goût de l’Italie.
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
FOOD NEXT
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39
SOYONS SPIRITUEUX
Par JACKY DURAND
PHOTOS CARLO BENVENUTO.
PAOLO TERZI
SERB!
FRANCE
A gauche, la tarte au citron
de Massimo Bottura, servie
éclatée: «J’ai trouvé le
dessert plus poétique ainsi.»
En haut, son «cappucino»:
une soupe d’oignon et de
pommes de terre coiffée
d’une sauce de vinaigre
balsamique et accompagnée
d’un faux croissant
à la couenne de porc.
«ARTISAN». Chez Massimo Bottura, la
pomme de terre soulève autant d’enthousiasme que les œuvres d’art, qu’il
collectionne. Dans son restaurant, on
retrouve la provoc de Maurizio Cattelan
(des pigeons déféquant sur un perchoir,
très appétissant), Jake et Dinos Chapman (une statue Fuck Face), Gavin Turk
(Bin Bag, genre de sac-poubelle en
bronze). Lancé sur le sujet, le chef sort
un iPhone de sa poche et montre sur
son Instagram la photo d’une œuvre de
Damien Hirst en train d’être livrée à
l’Osteria. «Ce tableau avait inspiré un de
mes plats», explique Bottura. Aurait-il
les moyens de se payer du Hirst ? Il
A ce sujet, Bottura raconte volontiers s’agit d’un «prêt sur le long terme», réune conversation alcoolisée avec Lou pond le chef.
Reed, un soir où celui-ci était venu dî- Bottura ne manque pas d’air ni d’entrener dans son restaurant (expérience que gent mais, fort heureusement, ne se
le rockeur avait renouvelée trois jours prend pas pour un artiste. «Je suis un arde suite). «J’étais buté, éméché, et je me tisan, et je dois cuisiner quelque chose de
suis mis à hurler sur Lou Reed : “On ne bon, de même que Ferrari doit construire
peut pas faire bouillir la viande !” Lou des voitures qui fonctionnent. Un artiste
Reed s’est tourné vers son musicien et lui est libre de faire ce qu’il veut, en cela, l’art
a dit :'“T’as vu ? Ce type comprend mon est une discipline à part et supérieure.»
obsession pour les amplis.”»
L’homme a une approche rigoureuse de
la cuisine, ses recettes sont le fruit
SPIDERMAN. Le chanteur du Velvet Un- d’heures de travail («Vous imaginez à
derground n’est pas le seul artiste pré- quel point un plat doit être fantastique pour
sent dans le livre. Le chef dédie un plat qu’on ait envie d’y piocher vingt cuilleau compositeur de jazz Thelonious rées ?»), mais pas dénuées d’extravaMonk, dont la musique «sans nationa- gance. Sa tarte au citron, par exemple:
lité» lui a inspiré un plat apatride (un un jour, son second fait tomber la pâtispoisson à l’encre de seiche). Ai Weiwei serie qu’il vient d’achever. La croûte se
et Gertrude Stein reviennent souvent, brise en une mosaïque dorée. «99% des
tout comme Joseph Beuys, dont la gens auraient jeté ce plat. Moi, ça m’a rapsculpture Schneefall devient chez Bot- pelé l’envie de jouer avec la nourriture
tura une préparation parfaitement qu’on a enfant, j’ai trouvé le dessert plus
blanche qui mélange pourtant 17 ingré- poétique ainsi. Depuis, la tarte est toujours
dients. «L’énergie créatrice me vient de servie éclatée. Il faut toujours garder en
la culture, explique l’Italien. Plus tu en tête un petit espace ouvert à la poésie.»
sais, plus tu veux en savoir.»
La parfaite maîtrise technique ne bride
A la tête de son Osteria Francescana, pas la fantaisie chez Bottura. Ainsi, il
Bottura se voit un peu en Spiderman, comble à la fois les exigences du Michepour qui de grands pouvoirs entraînent lin (qui récompense la rigueur et l’exde grandes responsabilités. «Je suis cellence) et le classement 50 Best Resconsidéré comme le meilleur chef italien, taurants, plus occupé à flairer l’air du
affirme-t-il, avec sétemps et saluer les pririeux mais sans se renses de risque. Le chef
HONG!
gorger. J’ai la responsaprécise : pour y parvebilité de représenter la
nir, il faut bien ses
Modène
cuisine italienne dans le
43 employés pour
Rome
monde, la faire redécou30 couverts. •
L’Osteria Francescana,
vrir aux Italiens. Car le
ITALIE
via Stella 22, Modène.
sport national, chez
Menus à 170 ou 190 €,
nous, c’est de se dépréet plats à la carte.
cier –et la gestion politiRens.: www.osteria
SICILE
300 km francescana.it
que du pays ces vingt
Le grand Moutai de Chine
L
e boire et le manger
permettent tous les apprentissages, toutes les
découvertes. Ils donnent
souvent à voir ce que les
frontières, les distances, empêchent de visiter. Ainsi
l’autre soir, à Paris, on a
voyagé au cœur de la Chine
grâce à une dégustation singulière, celle des alcools
blancs (baijiu) de la marque
Moutai, considérés comme
les meilleurs flacons dans ce
pays qui consomme près
de 40% de la production
mondiale de spiritueux.
On comprend mieux
pourquoi Moutai est
la deuxième marque dans le monde
en valeur, derrière
Johnnie Walker.
Mais il n’y a pas
que les chiffres qui
donnent le tournis
quand on évoque les
alcools chinois.
Avant la première
gorgée, c’est leur
histoire qui enivre,
dans le cadre du musée
Cernuschi dédié aux arts de
l’Asie, où Thierry Daniel et
Eric Fossard, de la société Liquid Liquid, ont organisé la
dégustation. Il suffit de contempler un vase You en forme
de félin de la dynastie des
Shang (1550-1050 av. J.-C.)
pour mesurer le raffinement
entourant la culture des boissons fermentées que contenaient ces vases. Aux alentours de 135 av. J.-C, la ville
de Maotai commence à produire un alcool offert à l’empereur. Le Moutai se diffuse
ensuite à travers le pays sous
la dynastie Ming (1368-1644)
DR
dernières années n’y est pas pour rien.»
Les acrobaties culinaires de Bottura
visent à rappeler le goût du vinaigre
balsamique artisanal, le croustillant de
la couche supérieure des lasagnes, la
perfection des plats simples comme des
tagliatelle al ragù.
Cette approche lui a été soufflée par sa
femme, Lara Gilmore. D’après Bottura,
l’Américaine a joué un rôle fondamental dans l’évolution de sa cuisine – elle
lui aurait appris à prendre de la distance, à faire preuve de pédagogie–, au
même titre que les grands chez qui il a
fait ses classes: Ducasse à Monaco lui a
communiqué l’obsession de la qualité
des produits, Ferran Adrià «la liberté
d’expression» et le goût des ingrédients
simples – «une patate, entre des mains
expertes, ça peut être fabuleux, meilleur
que la truffe».
et sa technique de fabrication
s’affine. En 1915, il remporte
une médaille d’or à l’Exposition universelle de San Francisco. Durant la guerre civile,
l’armée Rouge se requinque
au Moutai, qui devient alcool
national de la République populaire de Chine. En 1972, le
Premier ministre Zhou Enlai
en offre un flacon au président américain Richard
Nixon. C’est dire le prestige
de cet alcool qui peut atteindre des prix considérables: 1800 euros les 50cl
pour un Moutai de
trente ans d’âge.
Fabriqué à partir
de sorgho au cours
d’un très complexe processus de
fermentations et
de distillations, le
Moutai repose
ensuite dans des
jarres quelques
années avant l’assemblage de plusieurs cuvées.
Suivant les conseils du maître de cérémonie, on se parfume les
mains avec un peu d’alcool
avant la dégustation. On est
surpris par l’attaque fauve du
Moutai 2014, qui exhale ensuite des flaveurs de cacao et
de nèfle. Les suivants, plus
anciens, révèlent des notes
plus fruitées et des «arômes
qui font penser à la minéralité
du vin», affirme un connaisseur. Il faut prendre son
temps pour apprendre à apprécier le Moutai. Essayez-le
avec une lichette de roquefort, c’est un épatant accord
franco-chinois. •
Rens.: www.chinamoutai.fr
COUP DE CŒUR
CASSER LA GRAINE EN TOUTE SAISON
Connaissez-vous le pain crotté? La
coupetade? Le cion? Ce sont toutes
des recettes céréalières qui puisent
dans le patrimoine culinaire des
régions françaises. L’association
Passion céréales, qui réunit toutes les
professions de la filière (producteurs,
coopératives, meuniers, malteurs,
semouliers…), a eu la bonne idée
de collecter cette mémoire et d’en
tirer deux livres. Les 40 recettes de chaque volume, revisitées par le chef Benoît Bordier, permettent ainsi d’apprendre ou de redécouvrir la fabrication du pain perdu, que
l’on appelle «pain crotté» dans le Nord. Spécialité lozérienne, la coupetade est à mi-chemin entre le pain perdu
et le far aux pruneaux. Quant au cion, c’est un dessert
bourguignon sucré de la famille des «flans au fromage». J.D.
«40 recettes céréalières, printemps/été» et «automne/hiver»,
éd. Menu Fretin, 20 € le volume.
40
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
NEXT FOOD
Le DJ Fat Kid Berry
au KC Grad, un centre
culturel alternatif
de Belgrade.
Par HÉLÈNE DESPIC-POPOVIC
Envoyée spéciale à Belgrade
avenir. «Belgrade sera le Berlin de
demain», lance Ivan Lalic dans
l’immense salle du Mikser House,
elgrade n’en est pas à un un ancien entrepôt transformé en
paradoxe près. Littérale- café, ateliers, théâtre, salle de
ment, son nom signifie ville danse et lieu de rencontre de multi(grad) blanche (beo), alors ples festivals et activités. Dans les
que ses cheminées exhalent chaque rues adjacentes, les graffitis qui exhiver un charbon qui grisonne ses plosent de couleurs ne peuvent que
façades plus ou moins rénovées. faire penser à la capitale allemande.
Neuve, puisque son bâti historique Et ce sont d’ailleurs des fonds allea pratiquement disparu dans les mands qui se sont massivement indeux grandes vagues de bombarde- vestis dans la rénovation culturelle
ments de la Seconde Guerre mon- du quartier.
diale (en 1941 par les nazis et Savamala, qui s’étire le long de la
en 1944 par les alliés), elle était déjà rivière Save, du sud de Kalamegdan
en 1955 aux yeux de Le Corbusier à la gare ferroviaire, fut le cœur du
«la ville la plus laide du monde». Et Belgrade commercial du début du
pourtant, le Lonely Planet en fait XXe siècle à la fin de la Seconde
aujourd’hui une des destinations Guerre mondiale, quand toute l’acphares pour faire la fête en Europe. tivité se déplaça dans la ville haute,
Il n’est pas impossible que lors- où siégeait le Parlement. Tombés en
qu’une ville a été mille fois rasée et désuétude, ses immeubles rococos
reconstruite, un bombardement de s’abîment aujourd’hui sous l’effet
plus, comme celui que lança l’Otan de la pollution et des secousses proen 1999, ne fasse qu’accroître l’ap- voquées par les tramways et le paspétence pour la vie de ses habi- sage ininterrompu de poids lourds
tants. «Belgrade, c’est une méta- empruntant une voie de contourphore, une manière de vivre, un angle nement sur les quais. Ce n’est qu’à
de vue sur les choses», synthétisait la fin des années 90, juste avant la
en son temps Momo Kapor (1937- chute de Slobodan Milosevic, le
2010), un des écrivains serbes qui principal responsable des guerres
s’est le plus attaché à décrire cette qui ensanglantèrent l’ex-Yougoslacité mouvante. Et cette manière de vie pendant dix ans, que la jeunesse
vivre aujourd’hui, c’est cet appétit en rupture de ban s’empara de ces
de tout ce qui est festif et nouveau. lieux désaffectés pour manifester
Belgrade (1,23 million d’habitants, son désir d’ouverture. C’est ainsi
1,65 million avec la banlieue) se que Savamala accueillit ses preveut branchée, le regard tourné vers miers clubs de musique ou ateliers
ce qui bouge. Où que l’on se tourne, de design; c’est ainsi aussi que Novi
on ne peut s’empêcher d’entendre Sad, à 60 kilomètres au nord de
Belgrade, devint le
siège d’Exit, le preEn projet, un quartier futuriste à
festival de mul’image des cités de verre et d’acier mier
sique créé par des
qui se créent au Moyen-Orient.
étudiants démocrates, qui amena en
le mot «naj» (qui signifie «le Serbie la jeunesse européenne.
plus»), comme dans najbolji («le Fort de cette expérience de festivameilleur»), najlepsi («le plus liers, Mikser House compte désorbeau»), najpametniji («le plus intel- mais faire venir à Belgrade non plus
ligent»)… Et la – finalement pas si seulement des jeunes mais aussi des
vilaine– grenouille ne s’interdit pas Européens de la classe moyenne,
de devenir aussi grosse que le bœuf aux moyens financiers plus conséen matière de tourisme. «Barcelone quents. «Quand nous avons lancé
est notre modèle», s’écrie le vice- notre premier festival de danse conmaire de Belgrade, Sinisa Mali, tan- temporaine, raconte Aja Jung, didis que le gouvernement, à la re- rectrice du festival de danse de Belcherche d’investisseurs pour déve- grade qui se tient depuis douze ans
lopper la ville, va chercher les à la veille de la Pâque orthodoxe,
mécènes jusqu’à Abou Dhabi.
personne en Serbie, ni même à Belgrade, ne savait ce qu’était la danse
LIEUX DÉSAFFECTÉS. Les artistes moderne. Nous étions à l’époque plucomme Ivan Lalic, créateur de tôt ballet et tutus.» Aujourd’hui,
Mikser House –temple de la bran- difficile de trouver une place au
chitude dans le
dernier moment.
SAVALAMA
BELGRADE
vieux quartier de
Et le public vient
Da
nub
Savamala («la pemême de l’étrane
tite Save», du nom
ger. Les raisons de
Aéroport
de cet affluent du
ce succès ? «Nous
Danube qui s’y
avons choisi de pasSave
jette), en pleine réser des spectacles
Belgrade
novation multiculqui ont été à l’affiSERBIE
turelle – rêvent,
che très récemment
3 km
eux, d’un autre
en Europe. Pouvoir
B
SERBIE Entre les clubs, les restaurants, les festivals
et le street-art, la capitale mille fois rasée
et reconstruite n’a jamais été aussi vivante.
A Belgrade,
Balkans en
éruption
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
FOOD NEXT
•
41
PRATIQUE
SAVE THE DATE
Y aller
De 150 à 300 euros, selon
la compagnie (le moins
cher, Wizzair en partant
de Beauvais).
Y dormir
Si vous aimez l’ancien :
Hotel Moskva, demandez
une chambre en duplex
(120 euros). Ou le moderne et le style boutique
Hotel Townhouse 27
(140 euros la nuit). Egalement disponibles, des dizaines d’hôtels et d’appartements pour moins
de 100 euros.
Y manger
A Mikser House , un ancien
entrepôt transformé en café,
théâtre, salle de danse et lieu
de rencontre de multiples
festivals (en haut) et dans
les rues de Savamala
(ci-dessus et à gauche).
Dans le centre-ville, Pire,
créé par la créatrice de
vêtements
Dragana
Ognejenovic.
Cara Lazara 11
Beton Hall à Savamala
ainsi que plusieurs restaurants récents dont
l’Iguana. Plus classique,
rue Skadarlija, des
restaurants sur toute la
rue avec musique, violons et tsiganes dont Sesir Moj, Tri Sesira, Ima
dana, etc.
Pour une authentique
cuisine serbe : le restaurant Vuk.
Vuka Karadzica 12
Ci-contre, le centre
culture KC Grad,
à Savamala. PHOTOS
MARIJA STRAJNIC
assister pour 10 euros à une représentation qui vient d’être jouée à Milan
pour 250 euros est un atout de taille»,
explique l’ancienne danseuse. Tandis que clubs, hôtels et restaurants
se multiplient aux alentours du
KC Grad, le centre culturel alternatif né à la faveur de la démocratisation des années 2000.
Non loin de là, c’est une autre par-
tie qui se joue. Le magnifique immeuble de la société de géodésie
– une ancienne banque – a été récemment rénové par une entreprise d’Abou Dhabi.
MUTATION. Tout en dorures et bois,
il recèle désormais un restaurant
haut de gamme qui s’ouvre sur une
belle vue du quartier en pleine mu-
tation. La société Eagle Hills qui l’a
racheté planifie de bouleverser la
ville avec son projet de «front de la
Save» (Waterfront): un quartier futuriste à l’image des cités de verre
et d’acier qui se créent au MoyenOrient. Surgi du vide avec ses
tours, ses centres commerciaux et
ses appartements privés de luxe, le
projet pharaonique (3,6 milliards
de dollars) implique de nombreuses
destructions et divise la société et
les pouvoirs politiques. Une sorte
de Dubaï des Balkans qui constituerait une révolution sans pareil
pour la ville. •
Ce reportage a été réalisé dans
le cadre d’une visite organisée
par la société de communication
Bell-Pottinger de Londres.
Y sortir
A Savamala, les clubs :
Transit, Radost, Mladost,
Ludost. Pour prendre un
verre, le Berliner. A Zemun, les clubs sont légion
le long de la Save, rechercher des péniches.
Y flaner
Se balader à Kalemegdan,
la vieille forteresse, ou à
Dorcol, vieux quartier qui
donne sur le Danube. Sur
la Save: aller jusqu’à Ada
Ciganlija, une île où a été
aménagée une plage publique.
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
GRAND ANGLE
42
«Elle avait 17 ans
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
et elle a été violée
par
43
40 soldats»
Disparus de la mémoire de la Libération, les viols
de masse commis au printemps 1944 par les troupes
françaises restent une plaie ouverte dans le cœur des
Italiens du Latium. Sept décennies plus tard, la France
ne s’est jamais excusée et les victimes n’ont pas oublié.
«I
ls m’ont tout fait… Ils
m’ont tout fait.» Le
vieux paysan referme
la main sur son pantalon en velours côtelé.
Le regard est vide, la
voix sûre, mais les
doigts broient le tissu
à s’en tordre les phalanges. Pour le rassurer, Marina, sa petite-fille de 20 ans,
lui parle à l’oreille. Mais Pietro, 86 ans,
ne faiblit pas: «Ils m’ont pris comme une
femme… Ils m’ont tout fait, comme des
bêtes, et puis ils m’ont tiré dessus.» Et de
montrer la cicatrice de la balle qui l’a
frappé à l’arrière du cou. «Pourtant mon
père m’avait prévenu, il m’avait dit de
rester à la maison. Mais j’étais jeune, fou,
c’était la guerre et toute la famille était affamée, il fallait bien sortir pour trouver de
quoi manger.» Dans le salon de la
grande maison en pierre, trois générations de la famille Socco écoutent religieusement cette histoire que «l’ancien» ne leur a jamais racontée. «Ce
jour-là, j’étais avec mon ami Lorenzo,
mais lui n’a pas survécu. Dans la soirée,
quand ils m’ont retrouvé, j’avais perdu
beaucoup de sang, mon père me croyait
déjà mort, mais je m’en suis sorti. Il m’a
dit “tu es vivant, c’est tout ce que j’ai besoin de savoir”, alors je n’ai rien ajouté.»
C’était il y a soixante-et-onze ans. Mais
dans les mots du grand-père, le souvenir enfoui remonte à la surface avec
la précision d’un flash.
«Les civils considérés
comme butin de guerre»
Rina, 15 ans
en 1944.
Au printemps 1944, Pietro a 15 ans, et
vit à Lenola, petit village escarpé qu’il
n’a jamais quitté. Les Socco, comme la
majorité des habitants de la province de
Frosinone, une zone
plus grands héros milirurale à deux heures de
taires de la Seconde
OMBRIE
Rome, sont affamés
Guerre mondiale.
ITALIE
par quatre ans de
«La bataille du Monte
guerre «où il a fallu
Cassino a été très violente
LATIUM
ABRUZZES
nourrir le soldat alleet très frustrante pour les
Rome
mand». Dans cette
soldats qui ont piétiné
Mer
partie du Latium, les
pendant des mois dans
Tyrrhénienne
bombardements fraple froid, sans pouvoir
50 km
pent durement Lenola
vraiment avancer. Il y a
et les petites communes situées à quel- donc eu un phénomène de décompensation
ques kilomètres du front. Dans tout le qui s’est retourné contre les civils, explipays, la confusion est totale : c’est la que l’historienne Julie Le Gac, auteure
valse des uniformes depuis que Musso- d’une thèse édifiante sur le CEF(3). Par
lini est tombé et que les Alliés ont dé- ailleurs, le commandement français a
barqué en Sicile. Le 11 mai 1944, ils ren- clairement entretenu l’esprit de revanche
versent enfin la vapeur: au terme de six des troupes à l’égard des Italiens qui
mois de guerre, de pertes humaines avaient “trahi la France”. Résultat: les ciconsidérables, l’armée de Libération vils ont parfois été considérés comme le
remporte la bataille de Monte Cassino. butin de cette guerre.» Pour ne rien arGrâce à l’intervention décisive du géné- ranger, le général Juin mettra neuf jours
ral Juin et des soldats du Corps expédi- à réagir aux exactions alors que les alertionnaire français (CEF), la route vers la tes arrivent de toutes parts. Le héros de
capitale est ouverte, la Wehrmacht est Monte Cassino ne le fera qu’«à la dedéfaite, la libération de Rome n’est plus mande insistante des Alliés».
qu’une question de semaines.
Devant la frilosité des réactions des ofIvres de leur victoire, des milliers de ficiers français, la population du Lasoldats du CEF déferlent sur les petits tium méridional se protège tant bien
villages du Latium. Mais, à la surprise que mal. Dès les premières exactions,
des civils qui croient accueillir une la rumeur se répand comme une traîarmée de libérateurs, l’esprit de Femmes, hommes, enfants, vieillards,
conquête se libère
les civils de 8 à 72 ans sont victimes de viols
en fureur… Entre
le 15 mai 1944 et le commis par les soldats du CEF, sous
début du mois de le commandement du général Juin.
juillet, des milliers de viols (1) sont commis par les née de poudre dans les petites commusoldats tricolores. Femmes, hommes, nes isolées : «A l’époque, ils disaient “il
enfants, vieillards, les civils de 8 à faut cacher les filles car les diables les en72 ans sont victimes des marocchinate, lèvent”», raconte le maire adjoint de
des «maroquinades», un mot généri- Lenola, dont les trois grands-tantes ont
que (et particulièrement injuste) pour été violées. D’après plusieurs témoidésigner les «viols de masse»(2) com- gnages, «les proies potentielles» sont
mis par les soldats du CEF (dont 60% cachées «dans les grottes», «les écuétaient originaires d’Afrique du Nord). ries», «les fermes et les églises reculées».
Le général Juin, lui, deviendra un des Sylvia a 18 ans quand elle est envoyée
TOSCANE
Par LEILA MINANO
Envoyée spéciale dans le Latium (Italie)
Photos ALESSANDRA QUADRI
44
•
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
GRAND ANGLE
Ennio a 13 ans quand une dizaine de soldats fait irruption dans la maison où il s’est réfugié.
«ELLE AVAIT 17 ANS ET
ELLE A ÉTÉ VIOLÉE
PAR 40 SOLDATS»
Elide avait 15 ans en juin 1944. Un groupe de soldats canadiens mettra fin à son calvaire.
terrible, c’est comme s’ils avaient tué la
joie de la jeunesse, tout le monde était devenu triste, déprimé.»
De l’autre côté de la colline verdoyante
qui supporte Lenola, à Castro dei Volsci,
une autre jeune fille a eu moins de
chez sa grand-mère qui vit dans une chance que Sylvia. Au mois de
ferme isolée des environs de Lenola. juin 1944, Elide a 15 ans. Depuis quelSept décennies plus tard, la jeune fille est ques jours, l’adolescente et sa mère ont
devenue une petite grand-mère, timide trouvé refuge dans la ferme de sa tante,
et discrète. Difficile de déceler dans la quand deux soldats du Corps expédifragile vieille dame de 89 ans enruban- tionnaire français défoncent la porte.
née dans un foulard noir l’adolescente «Quand ils sont arrivés, j’ai juste eu le
espiègle qu’elle a pu être. «A l’époque, temps de me cacher dans un grand coffre
nous ne parlions pas de ces choses-là et qui servait de banc. Mais lorsqu’ils sont
nous ne posions pas beaucoup de ques- entrés dans la pièce pour fouiller, mon
tions, commence Sylvia, recroquevillée ventre a gargouillé, alors ils m’ont troudans un coin du salon. Mais nous savions vée… J’avais tellement faim.» Assise deque les soldats recherchaient les filles.»
vant la table de la salle à manger, l’ancienne boulangère du village, cheveux
«Des femmes sont
courts blonds peroxydés, s’est apprêtée.
devenues folles»
«Le premier soldat a fait sortir de force ma
En dépit de l’isolement de la ferme, mère et ma tante, c’était horrible ; je les
deux soldats du CEF finissent par frap- entendais hurler, pleurer, mais il n’y avait
per à la porte de la maison. Sa grand- pas de compassion chez eux.» Elide se
mère lui demande de se cacher sous ses lève brusquement et mime la scène avec
jupes. Les yeux de Sylvia s’allument de grands gestes comme si les soldats se
quand elle pense à la supercherie: «Les trouvaient toujours dans la pièce. «Je
femmes portaient de larges jupes noires et suis restée seule avec lui, j’étais contre le
mur, il essayait
de me faire
«Quand ils sont arrivés, j’ai juste eu le temps
tomber par terre
de me cacher dans un grand coffre.
et je hurlais, je
Mais lorsqu’ils sont entrés dans la pièce pour
criais à ma
fouiller, mon ventre a gargouillé, alors
mère de venir
m’aider… Mais
ils m’ont trouvée… J’avais tellement faim.»
elle ne pouvait
Elide 15 ans en juin 1944
rien faire, alors,
moi, j’étais toute maigre, je me suis mise de l’autre côté de la porte, elle hurlait aussi
sous le banc, dissimulée par la jupe, et ils et quand il m’agressait je me débattais.»
ne m’ont pas vue… Ils ont fouillé partout Les yeux clairs d’Elide sont fous, sa voix
et puis les Américains sont arrivés, ça les s’éraille, mais le petit gabarit ne s’efa effrayés, ils sont partis.» Et de pour- fondre pas : «Il sentait mauvais, il était
suivre plus tristement : «Tout le monde sale, il avait des boutons sur les jambes…»
n’a pas eu la même chance que moi. Je ne L’apparition d’un groupe de soldats met
sais pas combien de filles ont été “attra- fin au calvaire de l’adolescente : «Les
pées”, mais quand les soldats sont partis, Canadiens sont arrivés et les “chiens” se
beaucoup avaient des maladies vénérien- sont enfuis… Ils auraient pu nous tuer. La
nes. Certaines sont tombées enceintes, des fille de Valentina, ils l’ont tuée. Elle avait
fiancés ont rejeté leur promise. Il y a même 17 ans, elle était très belle et elle a été viodes jeunes femmes qui sont devenues folles lée par 40 soldats. Quand sa mère s’est
et se sont suicidées. Personne n’en parlait interposée, ils lui ont coupé la langue et
vraiment, ça restait dans la famille, les l’ont obligée à regarder.» L’horreur de
victimes allaient chez les médecins l’histoire finit par calmer l’octogénaire
secrètement et on donnait aux filles des qui devient moins bavarde. Pourtant,
plantes pour avorter. Cette période a été les langues n’ont pas fini de se délier,
car dans le Latium, la mémoire des anciens regorge de souvenirs, plus terribles les uns que les autres.
La responsabilité du haut
commandement
Arturo, 79 ans, nous attend à la Maison
des anciens de Lenola, où se retrouvent
chaque jour les plus âgés pour jouer à la
pétanque et aux cartes. Il est 14 heures
et le petit local, installé sur les hauteurs
du village, est encore vide. Arturo, cheveux encore noirs, yeux bleus malicieux, semble ne pouvoir se défaire
d’un petit sourire espiègle. «J’avais
8 ans, nous étions réfugiés dans une maison avec une centaine d’autres habitants,
quand les Marocains sont descendus. Ils
ont entouré la maison et, plus tard, ils sont
venus chercher les femmes les unes après
les autres pour les emmener dehors. Les
gens pleuraient, suppliaient, mais il n’y
avait aucune pitié, même pour les très jeunes.» Intrigué et «sans peur», le petit
Arturo parvient à se glisser dehors. «Je
voulais savoir ce qu’ils faisaient avec les
filles, où ils les emmenaient pour pouvoir
retourner les chercher. Alors, j’ai suivi une
fille, j’ai regardé au coin de la maison pour
voir dans quelle direction ils partaient,
mais ils m’ont repéré et ils ont tiré. J’ai
couru me cacher dans le petit bois juste en
face. Ils m’ont vite oublié, ils étaient plus
intéressés par ce qu’ils allaient faire… Ils
se sont jetés sur elle, ils étaient trois. Je
fermais les yeux mais je l’entendais toujours pleurer.» Assis dans le salon de la
pièce nue et froide de l’association, Arturo a de nouveau 8 ans, il se recroqueville sur sa chaise et éclate en sanglots.
Nous l’apprendrons plus tard, la femme
qu’il a suivie, la femme qu’il a vu se
faire violer, était sa mère.
Arturo s’effondre quand Ennio, 84 ans,
un autre ancien de l’association, reprend à son tour le fil du récit. Alerte,
l’ancien ouvrier vêtu à la mode des années 70 «accepte de raconter, même s’il
aurait préféré tout oublier». Ennio n’a
que 13 ans quand un groupe d’une dizaine de soldats français et marocains
fait irruption dans la maison de berger
où il s’est réfugié avec sa famille et plusieurs de leurs voisins. «Ils étaient en
colère car les jeunes filles étaient cachées
ailleurs, dans une grotte. Alors les militaires ont pris la seule femme qui était présente, une mère de famille, et ils m’ont
obligé à tirer un matelas à l’extérieur de
la maison. Ensuite, ils m’ont demandé
d’aller chercher une bougie, pour que nous
puissions tous bien voir ce qui allait se
passer. Les uns après les autres, ils l’ont
violée. Personne ne pouvait bouger, car ils
étaient armés. L’un d’entre eux, un Blanc,
nous a dit dans notre langue, que c’était
ce que les Italiens avaient fait aux femmes
françaises pendant la guerre.» Sept décennies plus tard, Ennio, rêve toujours
de cette nuit «où il n’aurait jamais dû aller chercher le matelas».
Les récits des survivants ou de leurs
descendants rivalisent d’horreur, et
pourtant ils sont moins cruels que les
comptes rendus factuels des tribunaux
militaires. Ces documents, que nous
nous sommes procurés, décrivent avec
force détails le traitement réservé aux
civils et mettent en cause la responsabilité du haut commandement qui avait
obtenu de la part des gendarmes, des
médecins et des coupables eux-mêmes,
la preuve de ces exactions. «En réunion
et sous le regard des proches.» C’est ainsi
que Pierre D., soldat 2e classe, reconnaît
avoir, le 12 juin 1944, «conduit dans une
grotte» sous la «menace d’une arme» un
garçon de 12 ans –qui témoigne également dans l’acte d’accusation. «Dans
cette grotte, je l’ai déshabillé pour le violer, comme il s’opposait à ma volonté, je
l’ai frappé de plusieurs coups de poing à
la figure, puis je l’ai jeté à terre et l’ai fait
coucher sur le ventre. A ce moment, le
garçon s’est mis à crier, je l’ai menacé de
mon arme en lui disant “ne crie pas ou
bien je te tue”. Afin d’étouffer ses cris, j’ai
appliqué ma main sur sa bouche, puis me
jetant sur lui, je l’ai violé.» Le militaire
sera condamné à dix ans de travaux forcés pour «atteinte à la pudeur».
Cette histoire fait terriblement écho à
celle de Pietro, le vieux paysan de Lenola, et pourtant le mode opératoire de
cette agression reste exceptionnel. En
effet, selon les actes d’accusation dont
nous avons eu copie, les militaires du
général Juin qui se sont rendus coupables de violences sexuelles l’ont fait
presque toujours en réunion, sous la
garde d’au moins un camarade. Dans la
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
GRAND ANGLE
Pietro Socco, violé à 15 ans. La famille écoute l’histoire que «l’ancien» ne leur a jamais racontée.
majorité des cas, les soldats entraînaient
les victimes un peu à l’écart du lieu de
la rencontre ou commettaient leur
crime dans la maison sous le regard
des proches.
Une affaire
de «reconnaissance»
C’est ainsi que le 30 mai 1944, quatre
soldats français, Belgacem B., JeanMarie G., François S. et Mohamed G.
sont reconnus coupables de viol sur
deux jeunes femmes de Castro dei
Volsci, âgées de 20 et 29 ans. La première avait été agressée dans sa propre
chambre en présence de sa mère et de
sa tante, avant de l’être de nouveau par
deux autres soldats, dans un champ de
blé voisin. La seconde avait été violée
dans la grange de la ferme. Bien que les
quatre soldats furent reconnus coupa-
bles, seuls Jean-Marie G. et François S.,
les soldats français, obtiendront des
suspensions d’exécution de peine. Indiqué dans les comptes rendus, le motif
de la clémence est identique dans les
deux cas : «Il semble bien résulter des
données et des débats que X s’est laissé
entraîner par des camarades indigènes et
qu’il ne se soit pas rendu compte de la
gravité de sa faute.» Aucun des historiens interrogés n’a pu expliquer cette
différence de traitement.
Selon les données récoltées par Julie
Le Gac, 207 soldats seront jugés pour
violences sexuelles, et 19%, soit
39 hommes, seront acquittés, «le plus
souvent faute de preuves». Vingt-huit
soldats pris en flagrant délit seront exécutés sans jugement. L’historienne précise que «55% d’entre eux bénéficieront
de circonstances atténuantes attribuées de
Arturo, 8 ans en mai 1944.
manière discrétionnaire». Pour certains,
ces décisions de justice sont la preuve
que la France a bien condamné ces
exactions. En outre, après enquête,
le 1er janvier 1947, Paris a autorisé l’indemnisation de 1 488 victimes de violences sexuelles. Une forme de reconnaissance ? Peut-être. Sauf que c’est
Rome qui a payé. Selon la procédure
mise en place par les Alliés, l’Italie,
pays vaincu, a dû indemniser les victimes des exactions.
Au-delà de la question financière, pour
Fabrizio Battistelli, professeur de sociologie à l’université de Rome (Sapienza),
c’est avant tout une affaire de «reconnaissance». Selon le chercheur qui a
travaillé sur les violences du CEF dans
le Latium méridional, «il ne semble pas
que, du côté français, il y ait eu une prise
de conscience appropriée de la gravité des
Dans la commune
de Castro dei Volsci.
faits». Pour lui, «la responsabilité de la
République française, représentée sur le
terrain par le général Juin et ses subordonnés, est indiscutable».
En effet, le professeur estime que ces
«crimes» ont été commis de «manière
systématique» dans un cadre «de tolérance générale, sinon d’autorisation
ouverte» du commandement français.
Moins radicale, l’historienne française
estime que ces violences «ne sont pas
un sujet tabou pour l’armée française»,
mais reconnaît «un problème d’encadrement dû à un manque de personnel».
Julie Le Gac ajoute : «Si l’armée n’en
parle pas ouvertement, c’est aussi pour
ne pas ternir l’image glorieuse de la bataille de Monte Cassino, surtout à un moment où l’on commence à redonner sa
juste place à la contribution des troupes
coloniales, car cela brouille le message
politique.»
Nous avons interrogé le ministère de la
Défense, qui nous a fait la réponse suivante: «Nous ne pouvons pas nous positionner sur des faits historiques, par contre les historiens qui ont travaillé sur cette
question se sont exprimés, vous pouvez
consulter le service historique de la Défense, mais l’affaire est avérée.»
D’après Emiliano Ciotti, président de
l’Association nationale des victimes des
Marocchinate, qui collecte des archives
depuis 2010, «l’objectif du travail de mémoire n’est pas de stigmatiser un groupe
ethnique. C’est avant tout un geste politique. Il faut que la France reconnaisse
l’existence de ces viols, qu’ils soient inscrits dans l’histoire de la Libération, que
les manuels d’histoire la racontent. Pour
qu’ils ne se reproduisent plus». •
(1) Le nombre des viols commis par le CEF
à cette période fait l’objet de débats parmi
les historiens (entre 200 –le nombre
de condamnations par les tribunaux
militaires– et 12000 environ),
les gouvernements (2000 pour
le gouvernement italien, 1488 personnes
indemnisées pour les autorités françaises)
et les associations (60000).
(2) «Viol de masse», en raison de la faible
densité démographique de la province et
de la courte période durant laquelle
ils ont été commis.
(3)«Vaincre sans gloire, le Corps
expéditionnaire français en Italie», thèse
publiée aux éditions les Belles Lettres,
ministère de la Défense-DMPA.
•
45
LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
PORTRAIT FRANK LEBŒUF
Désormais comédien et consultant, le champion du monde
de foot 98 attire les foules à Paris avec une pièce de boulevard.
Le théâtre de ses rêves
Par QUENTIN GIRARD
Photo BORIS ALLAIN
P
armi les anatomies que l’on n’imaginait pas se dévoiler un jour devant nos yeux ébahis, les fesses nues
de Frank Lebœuf, en tablier de cuisine, figurent en
bonne place. C’est pourtant arrivé, un jeudi soir,
à Paris. L’ancien footballeur est désormais acteur, et déambule sur les planches pour une pièce de boulevard, Ma bellemère, mon ex et moi. Après une tournée en province, la salle
est comble chaque soir dans la capitale. Frank Lebœuf interprète une star de la télé, quittée par sa femme, qui enchaîne
les conquêtes et vit avec un assistant très homosexuel. Quiproquo, cougar, esclandre, photos sexuelles volées, les blagues fusent, le public ne cesse de rire et en redemande. Vraiment, Frank Lebœuf, clown blanc populaire de vaudevilles?
Le défenseur chauve de Strasbourg, de Chelsea et de Marseille
à la technique limitée? Le champion du monde par hasard?
Celui qui n’aurait pas dû être sur le terrain contre le Brésil si
un démon croate n’avait pas simulé en demi-finale pour faire
expulser le classieux Laurent Blanc ?
De cette réputation, attablé en terrasse d’un café près du
Théâtre de la Comédie Caumartin, le défenseur s’amuse encore : «Je n’en ai rien à foutre de ce que les gens peuvent dire.
J’étais sur le terrain, pas eux.» Il s’esclaffe. Ponctue la plupart
de ses phrases de rires enjoués, communicatifs. Il n’a plus
de ressentiment. En 2002, au crépuscule de sa carrière, dans
une autobiographie, il traitait, peu ou prou, tout le monde
de con : les médias, les entraîneurs, les autres footballeurs,
la vie. Depuis, l’homme s’est assagi. A 47 ans, toujours musclé, comme on peut l’apprécier sur scène, barbe blanche de
trois jours, il se révèle affable, bavard et naturel. Après une
dernière pige au Qatar, en 2005, le libéro part à Los Angeles
prendre des cours d’Actors Studio, pendant deux ans. «Làbas, les stars sont partout, personne ne me connaissait. Un jour,
je prenais de l’essence, et un mec m’engueule parce que je n’allais pas assez vite, c’était Sylvester Stallone.» La vie au soleil,
des petits rôles, il finit par rentrer en France, en 2011, pour
jouer une pièce de théâtre. Il rencontre au même moment
«l’amour», décide de ne pas retourner en Californie. Elle est
professeure de danse classique. Lorsque le comédien parle
d’elle, ses yeux brillent. «Elle est très cultivée, s’intéresse à
énormément de choses, on débat en permanence, sur la politique
par exemple.» Longtemps classé à droite, comme la plupart
des sportifs pros, il vote blanc désormais, pense même s’abstenir la prochaine fois. Il n’a pas de mots assez dur contre
les politiques. «Qui est fan d’eux actuellement? demande-t-il
rhétoriquement. Il faut être aveugle pour ne pas voir qu’ils se
foutent de notre gueule.» L’acteur s’inquiète de l’avenir: «Entre les conflits internes et les affaires, lorsque je vois 2017 arriver,
je me dis qu’on est bien dans la merde.» Sans tomber dans les
extrêmes: «La France aux Français, ça me fait doucement rire.
Aucun Français n’est à 100% d’origine française, ça n’existe
pas. On a toujours été une terre de mélange, on a été envahi, à
droite, à gauche, au nord, au sud.» Entre deux sourires, le
pessimiste pointe : «Les humains sont faibles, moi y compris.
Ma femme, je vis avec elle, je sais que c’est quelqu’un de bien,
mais les autres…» Il dit n’avoir qu’un ami, et «des potes»
sinon.
Gamin, dans le sud de la France, il rêvait de devenir acteur,
mais son père, plombier-chauffagiste, dirigeait une école
de foot, «alors, j’y suis allé». Le môme adorait passer des
heures devant la télévision, «gobait» tout. Gabin, de Funès,
Belmondo, il est déjà attiré par les comédies ou les films
d’action qui ne se prennent pas au sérieux, le popu, la bonne
franquette. Encore aujourd’hui, il passe une bonne partie
de son temps libre devant un écran. De Demolition Man à
OSS 117 sans oublier «les pires croûtes», l’important est EN 5 DATES
de rire. Le reste du temps, le
comédien lit : Ken Follet, 22 janvier 1968 Naissance
Guillaume Musso, José Ro- à Marseille. 1998 Champion
drigues dos Santos, on du monde. 2005 Prend
sa retraite de footballeur.
échappe de peu à Pau- 2014 Apparaît dans Une
lo Coelho, l’écrivain préféré merveilleuse histoire du
des footballeurs.
temps de James Marsh.
Il sait que le cinéma français Depuis octobre 2014
ne veut pas vraiment de lui, Ma belle-mère, mon ex
et moi, au Théâtre de la
cela l’attriste : «Ici, je n’ai
plus d’agent. Les directeurs de Comédie Caumartin (Paris).
casting voient mon nom, et ils
se disent : “Ah non ! Pas le footballeur !”» Difficile de décoller
les étiquettes. Sur les planches, il jouerait bien un jour du
Molière, le Médecin malgré lui ou l’Avare, pour rester léger.
«Lorsque le médecin fait rire le malade, c’est le meilleur signe
du monde», dit Sganarelle. La phrase lui va bien.
«C’est un vrai bonheur de travailler ensemble, l’encense son
partenaire de scène, Nicolas Vitiello. Il a un vrai esprit
d’équipe. Il sait qu’une pièce fonctionne quand la troupe s’entend
bien, et il ne cherche pas à attirer la lumière sur lui.» Conscient
que certains spectateurs ne viennent que pour son nom,
Lebœuf le répète plusieurs fois : «Je m’en fous d’être connu,
ça n’a jamais été mon moteur.»
Le foot, l’ancien pro garde un pied dedans. Il participe à Téléfoot, donne parfois son avis sur RMC ou cachetonne pour des
matchs à cinq contre cinq avec d’autres anciennes gloires,
à Singapour. Frank Lebœuf est d’une génération où les parcours chaotiques étaient encore possibles. Viré du centre de
formation de Toulon, il répond à une petite annonce lue dans
France Football, et trouve un poste à Meaux, payé 600 euros
par mois. Puis, après avoir envoyé des cassettes VHS de ses
exploits un peu partout, Laval le signe. «J’ai commencé pro
plus tard que des Desailly ou des Deschamps, ça m’a permis
aussi de ne pas être blasé à la fin de ma carrière.» Pendant
quinze ans, le défenseur a «pensé, mangé, dormi, football».
«Mais, je n’étais pas endoctriné, j’étais capable de m’intéresser
à d’autres choses.»
Trop d’athlètes, autour de lui, ont sévèrement déprimé en
fin de carrière. «C’est comme si tu passais dix ans en prison
et que, tout d’un coup, tu te retrouvais à l’air libre. Tu es face à
un grand vide.» Il s’amuse du tintouin abracadabrantesque
fait autour du ballon rond. «Je pensais, au début des années 2000, que l’argent allait faire tout exploser, mais ça continue, et il y en a toujours plus.» Certains joueurs gagnent en
un an plus que lui dans toute sa carrière. «Ils ont raison de
prendre ces salaires. On les leur offre. Ils ne menacent pas les
gens avec un flingue.» Il regrette que dans les centres de formation les jeunes «n’aient pas conscience de la valeur de l’argent. Comme les politiques qui font l’ENA. Il faut connaître la
vraie vie active». A ses deux enfants, nés d’une première
union, la vingtaine, sophrologue et acteur, le comédien ne
donne pas d’argent. «Ils doivent apprendre à se débrouiller
seuls.»
Un SDF s’approche de notre table, chancelant, la voix chevrotante. «Je ne suis pas méchant, mais je vous ai vu à la télé.»
«Toi, tu veux une cigarette», répond ce bouddhiste converti.
«Oui». Il lui en tend une. «Vous vous appelez comment ?»
«Frank Lebœuf» «Footballeur?» «Oui, mais maintenant je suis
trop vieux». Il rit. •
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LIBÉRATION SAMEDI 16 ET DIMANCHE 17 MAI 2015
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L’APRÈS-MIDI La perturbation progresse
vers les régions centrales, des Pyrénées
aux frontières de l'est, avec un ciel
couvert. Quelques éclaircies se développent près de la Manche.
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LE MATIN Matinée grise avec des bruines
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sont a!endues au sud de la Garonne.
Partout ailleurs, le temps est sec.
A!ention au vent violent sur la Provence.
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Dégradé nuageux avec davantage de
soleil dans le sud. Plus au nord, quelques
averses peuvent se produire en soirée
près de la Manche.
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Madrid
New York
La couverture nuageuse a tendance à se
déchirer, laissant apparaître des éclaircies de plus en plus larges au fil des
heures. Du soleil sur la Méditerranée.
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et financier
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