INDEPENDANCE DE L`AVOCAT Pour l`avocat français du début de

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INDEPENDANCE DE L`AVOCAT Pour l`avocat français du début de
INDEPENDANCE DE L’AVOCAT
Pour l’avocat français du début de ce siècle, l’indépendance est une caractéristique
essentielle qui doit concerner l’ensemble de notre activité professionnelle.
Elle va d’une posture morale jusqu’à la conquête d’un espace de liberté fonctionnelle qui
lui permet de n’avoir pas de compte véritable à rendre à son client dès lors que l’avocat
établit qu’il a voulu servir ses intérêts.
L’histoire collective des avocats a été en France une suite de crises, de révoltes, qui
entraînent avant la révolution française le pouvoir central à s’incliner devant l’obstination
d’un corps fort de sa spécificité, de sa technicité et de sa dialectique.
L’indépendance du Barreau fut reconnue par l’avocat LINGUET qui fut radié avant la
révolution.
Dans un « appel à la postérité », « il existe en Europe … une société qui a le privilège de
ne reconnaître aucune espèce de loi, ni de puissance, ni d’autorité ; qui fait des procès à
ses membres sans rien écrire, sans rien à constater, sans rien examiner, sans rien alléguer,
qui les condamne à la mort civile et les exécute sans qu’il n’y ait aucune ressource pour
éluder ces arrêts … ».
Comme l’écrit mon Confrère LE FOYER DE COSTIL, cette excessive puissance
conduisit le pouvoir politique de la révolution à rendre sa liberté à chacun des avocats et,
dès lors, son indépendance, en les renvoyant à leur statut de simples citoyens.
« Les hommes de loi ci-devant appelés avocats ne devant former ni ordre, ni corporation,
n’auront aucun costume particulier dans leur fonction » (Décret du 2/11 septembre
1790).
Cette indépendance dura 20 ans.
NAPOLEON 1er a compris que le corps des avocats était nécessaire à l’équilibre social. Il
prit donc un décret le 14 décembre 1810 portant règlement sur l’exercice de la profession
d’avocat et la discipline du Barreau.
C’est ainsi qu’il a rétabli l’Ordre, le tableau, etc…
Il va, tout en réitérant les grandes règles touchant à la profession, permettre aux
magistrats d’assurer la surveillance sur une profession qui entretenait de grands rapports
avec elle.
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NAPOLEON a donc considéré qu’il garantissait ainsi la liberté et la noblesse de la
profession d’avocat en posant des bornes qui la séparent de la licence et de
l’insubordination … On comprend pourquoi.
Les Ordres vont conserver pendant toute la période suivante la maîtrise de leur tableau.
Les représentants de la profession sont libres d’admettre ou de refuser dans les limites de
la loi ceux qui veulent devenir leurs Confrères sous le seul contrôle de la Cour d’appel.
Il faut reconnaître que dans les temps actuels, les réformes intervenues montrent qu’à
l’exception principalement des domaines de la fiscalité et de l’action sociale, il n’y a pas eu
de réforme touchant directement la profession sans l’accord de celle-ci.
- L’avocat et le marché.
Beaucoup d’oiseaux de mauvais augure prétendent que l’avocat ne résistera pas à
l’évolution du marché s’il ne s’adapte pas à celui-ci et ne se met pas entièrement au service
de clients dont il doit par avance devancer les désirs et même les besoins (LE FOYER
DE COSTIL).
Il est certain que l’adaptation au marché risque de remettre en cause les fondements de
notre profession.
Nous courons le risque que l’avocat qui veut obtenir ces nouveaux marchés, satisfaire les
besoins nouveaux, risque fort de refuser à l’avenir de se soumettre aux règles anciennes
dont il risque de tenter de mettre en cause la vétusté ou même l’illégalité.
Certains avocats n’hésitent pas à tenter de faire juger le bien-fondé de ces opinions par les
juridictions internationales. Mais, ce faisant, ne risquent-t-ils pas de voir s’effondrer le
socle sur lequel il repose ?
Notre Confrère LE FOYER DE COSTIL considère dans une étude récente que l’AJ
prive l’avocat d’une partie de ses attributions et fausse l’équilibre que les siècles ont tissé
entre l’avocat et son client.
Par ailleurs, le déséquilibre économique entre l’avocat et son client peut être à l’origine
d’une perte de l’indépendance de l’avocat.
La libéralisation de la publicité qu’a initié en France le décret de 1991 peut être considérée
comme une première atteinte portée à l’indépendance de l’avocat.
Faire de la publicité, c’est s’offrir, c’est promettre des prestations, des moyens, certes pas
des résultats, mais néanmoins l’avocat qui accepte rentre un peu au service de son client.
Comme l’a aussi écrit mon ami LE FOYER DE COSTIL, en matière commerciale, on dit
que « le client est roi » : « Cette monarchie est d’une autre exigence que celle à laquelle
l’avocat, depuis des siècles, a su résister sans faiblir ».
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Il est bien certain qu’aujourd’hui l’évolution qui s’effectue dans le cadre de l’OMC, si elle
renforce le pouvoir des collectivités d’avocats, ne renforce pas celui de l’avocat pris à titre
individuel.
- Un rapport déposé par des avocats français travaillant en Angleterre a préconisé la
réforme de structures afin d’éviter un décrochage de l’avocat français.
Il considère que les professionnels du droit doivent pouvoir ouvrir leur capital à des
investisseurs extérieurs tout en conservant le contrôle total de leur structure et sans aucun
compromis quant aux règles professionnelles les plus strictes.
L’ouverture d’une partie du capital à concurrence de 25 % maximum permettrait ainsi aux
avocats de trouver de nouvelles sources de financement et pourrait être l’opportunité
d’attirer des talents complémentaires à notre profession.
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Doit-on ouvrir les sociétés d’avocats aux capitaux extérieurs ?
Il faut partir de la réalité.
Dans certains pays, la profession d’avocats est aujourd’hui ouverte à la participation de
capitaux extérieurs à la condition qu’ils émanent de professions complémentaires telles
que notaires, experts comptables, etc…
Par contre, ces mêmes pays s’opposent à la prise de participation de capitaux émanant de
financiers ou de banques.
Par contre, on ne peut négliger l’expérience australienne qui va jusqu’à l’extrême puisque
des cabinets d’avocats australiens peuvent être cotés en bourse.
Déjà en mai 2007, un cabinet australien introduisait son capital en bourse.
En 2010, le chiffre d’affaires de ce cabinet était en hausse de 21 % alors que son bénéfice
était en hausse de 16 %.
Trois possibilités apparaissent ainsi :
Il apparaît tout d’abord, si l’on accepte ces capitaux extérieurs, un risque de
dépersonnalisation des cabinets.
Un avocat reste le médecin l’esprit, l’homme auquel on s’accroche en cas de difficulté. Il
reste à titre principal le Conseil des faibles et n’est pas principalement le Conseil des
grandes entreprises.
Le Bâtonnier de Paris, Madame FERAL-SCHUHL, considérait que l’indépendance de
l’avocat a un double visage, intellectuel et économique.
Interdire à des non avocats de participer au capital d’une structure d’avocats a notamment
pour objectif d’éviter qu’ils puissent par la possession du capital et le droit de vote faire
pression sur les avocats dans le choix de leurs clients ou dans leur manière de traiter les
dossiers.
Elle ajoutait que des non-avocats ne doivent pas, par la prise de participation dans le
capital, être en mesure de créer une dépendance économique pour le cabinet et les avocats
qui le composent.
Ceci étant, une évolution, comme je l’ai déjà dit, s’est fait jour avec l’entrée au capital des
sociétés d’avocats de non-avocats « non capitalistes ».
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Il est apparu qu’il était possible de faire une distinction entre la propriété des parts et
l’exercice du pouvoir.
Quelle que soit la solution retenue, il faut que la majorité du capital de la société
appartienne aux actifs, le complément pouvant être détenu soit par uniquement des
professionnels du droit, soit par toute personne. Encore qu’il convient à mon sens de
vérifier s’il ne faut pas exclure certaines catégories de personnes dans la mesure où leur
détention de capitaux peut porter atteinte à l’indépendance des professionnels exerçant
leur activité dans la structure.
Une autre possibilité s’offre dans le cadre de la protection des avocats, celle de créer dans
la société des parts d’industrie qui seraient réservées aux actifs et qui seraient incessibles.
Il convient de rechercher de nouveaux modèles économiques permettant le regroupement
de cabinets d’avocats à la condition que ceux-ci ne perdent pas leur taille humaine.
Il convient évidemment de protéger les règles déontologiques :
- indépendance
- secret professionnel
- prévention du conflit d’intérêts
- confidentialité.
Il faut en tout état de cause garder une grande visibilité sur les détenteurs du capital.
Comment ne pas citer le Bâtonnier BENICHOU, ancien Président du CCBE ? :
« La révolution économique que vit notre métier a la particularité de mettre en péril une
valeur non marchande : l’Etat de droit. C’est à nous de le défendre en nous défendant ».
Il n’est pas inutile de rappeler l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne
du 16 décembre 2010 qui a justifié la règle limitant à 25 % la part de capital d’une société
de biologie médicale détenue par un tiers en raison des impératifs de santé publique.
Cette décision met l’accent sur le fait qu’il convient de protéger la détention de la majorité
des droits de vote des professionnels sans pour autant qu’ils détiennent la majorité du
capital d’une société.
Il est évident qu’existe dans la profession un courant qui veut faire donner une valeur
patrimoniale au cabinet d’avocats mais cette valeur patrimoniale, pour prendre sa pleine
expression, va se heurter au problème des capitaux extérieurs.
Il faudra en tout état de cause poser comme règle de principe que l’indépendance
professionnelle des associés exerçant leur activité doit être garantie par les statuts et que
toute clause ayant pour effet de porter atteinte à cette indépendance doit être réputée non
écrite.
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Il convient aussi de s’assurer, par les statuts des sociétés, que le contrôle effectif de cellesci, et notamment la prise de décision pouvant avoir une incidence sur l’activité
professionnelle du cabinet, soit réservé aux associés actifs.
Ces clauses apparaissent comme absolument indispensables pour préserver
l’indépendance de la profession par rapport aux capitaux extérieurs même si ceux-ci sont
admis demain dans le cadre professionnel.
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SUR LES ALTERNATIVE BUSINESS STRUCTURE – ABS
Les premières structures de ce type sont apparues sur le territoire britannique.
Elles s’inscrivent dans une volonté politique de libéralisation des services en général et les
services juridiques en particulier.
Il faut rappeler que :
. La Directive « Services » de 2006 instaurait un principe de libre établissement des
prestataires dans les Etats membres ainsi qu’un principe de libre circulation des services
entre Etats membres ;
. La Directive sur les services des avocats tendait à faciliter l’exercice effectif de la libre
prestation de services par les avocats ;
. La Directive sur l’établissement des avocats CEE visait à faciliter l’exercice permanent de
la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui dans lequel sa qualification a
été acquise.
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Une ABS, c’est une création anglo-saxonne qui s’inscrit dans le cadre d’une politique
clairement libérale.
Alternative au format classique du « Partnership ».
Business permettant l’exercice d’une activité commerciale.
Structure : inscription dans un cadre juridique particulier.
Il s’agit de favoriser l’interprofessionnalité par :
. la création de pôles de compétences
. le développement de la concurrence
. des prestations de qualité au coût le plus bas,
Par exemple la création de cabinets « immobilier » comportant architectes, notaires, agents
immobiliers, géomètres, etc…
Ces structures permettent aussi de favoriser les capitaux extérieurs.
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En Angleterre, ont été créées des Legal Disciplinary Practices.
Ce sont des structures qui favorisent l’association entre professions juridiques/judiciaires
et non juristes.
Elles prévoient une ouverture du capital à des non juristes à hauteur de 25 %.
Elles ne peuvent fournir que des prestations de services juridiques.
Elles sont soumises à l’approbation d’un organe de règlementation.
Le patron doit être un juriste qualifié. Il y en a environ 300 en Grande-Bretagne.
Puis, a été décidée la création des ABS.
Là, les structures sont commerciales.
Les associés juristes peuvent être en minorité.
Il n’est donc pas possible en l’état actuel pour une ABS d’ouvrir un bureau secondaire ou
une succursale en France, ni à un solicitor appartenant à une ABS d’exercer en France
pour le compte d’une ABS compte tenu que les règlementations de l’ABS ne
correspondent pas aux prescriptions de la loi du 31 décembre 1971 qui régit les avocats
français.
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Le CCBE est manifestement plus laxiste sur ce point puisqu’il considère que les
restrictions doivent provenir des règlementations internes lorsqu’elles sont justifiées par
des considérations d’intérêt général.
Le CCBE préconise :
- une information parfaite du client sur le fait que les structures ne sont pas des cabinets
d’avocats.
- l’énumération des activités incompatibles au sein d’une même ABS ;
- l’observation par l’ensemble des associés d’une ABS des obligations professionnelles des
avocats.
En Grande-Bretagne, l’expérience anglaise montre qu’il y a eu des créations d’une chaine
de supermarchés Co-op qui développe une activité de conseil juridique, c’est-à-dire que
l’activité se limite aux activités non réglementées, soit conseils en matière de rédaction de
testament, formalités juridiques consécutives au décès, action en responsabilité, droit du
travail, transactions immobilières.
Bernard CAHEN
Avocat au Barreau de Paris
Président d’Honneur de l’UIA
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