Dynamiques des circulations hydrothermales de Lucky Strike

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Dynamiques des circulations hydrothermales de Lucky Strike
Dynamique interne des circulations hydrothermales de Lucky Strike
Fabrice J. Fontaine (CNRS/IPGP)
Mathilde Cannat (CNRS/IPGP)
Javier Escartin (CNRS/IPGP)
Les champs hydrothermaux de haute température (fumeurs, émissions diffuses) à l’axe
des dorsales océaniques sont la manifestation d’un mode majeur de déperdition de la chaleur
de la planète. Les circulations de fluides qui les engendrent participent en effet pour 25% aux
échanges de chaleur entre la Terre solide et ses enveloppes (océan et atmosphère). Ces
circulations de fluides sont aussi un vecteur majeur d’échanges chimiques entre roches et
océan. Elles modifient les caractéristiques physiques, pétrographiques et chimiques de la
croûte océanique nouvellement formée, avec des effets par exemple sur sa capacité à produire
des séismes lorsqu’elle replongera dans le manteau terrestre au niveau des zones de
subduction. Les circulations hydrothermales axiales permettent aussi le développement d’un
écosystème unique. Leur dynamique interne (stabilité spatiale, temporelle, géométrie des
écoulements) affecte donc aussi bien l’évolution de la faune associée, que la composition et
les propriétés sismogéniques de la croûte océanique, et les transferts chimiques et de chaleur
entre Terre interne et Océan.
Le segment « Lucky Strike » de la dorsale médio-Atlantique héberge en son centre un
représentant spectaculaire de ces champs hydrothermaux de haute température : sur environ
1km² on compte une soixantaine de fumeurs (260-340°C) identifiés (plus d’une centaine
probable au total), regroupés en mont hydrothermaux (Fig.1) et entourés de zones
d’émanations diffuses plus froides (5-120°C) et de tapis bactériens. Les estimations de la
chaleur extraite de la croûte font état d’un flux de l’ordre de plusieurs centaines de megawatt
voir du gigawatt –l’un des plus élevés mesurés sur les dorsales– soit l’équivalent d’un
segment de centrale nucléaire. Ce site, particulièrement actif et puissant, constitue un lieu
privilégié pour l’étude de la dynamique des écoulements hydrothermaux de dorsales.
Dynamique de l’extraction de chaleur
Les écoulements hydrothermaux de Lucky Strike extraient la chaleur d’une chambre
magmatique située à 3-4km de profondeur sous le plancher océanique (Figure 2A). Sous
l’effet de l’hydrothermalisme, celle-ci se refroidit probablement, et cristallise donc, à moins
qu’elle ne soit régulièrement réalimentée en magma. Un refroidissement de la chambre doit à
terme réduire l’intensité des circulations hydrothermales voir totalement les inhiber si la
chambre n’est pas réalimentée. Nous cherchons à caractériser la période d’activité et la
pérennité du couple circulations hydrothermales - chambre magmatique. La perméabilité du
système est un élément clef qui contrôle l’intensité des circulations et donc de l’extraction de
chaleur. Des lois empiriques dérivées de modèles théoriques (analytiques et numériques,
Figure 3) prédisent le lien entre la perméabilité et la vitesse de refroidissement de la chambre.
Ce même type de lois lie également la perméabilité au flux de chaleur du champ
hydrothermal. Une de nos approches porte donc sur la quantification précise du flux de
chaleur de Lucky Strike (cf. fiche « Variations de température des fumeurs noirs et des zones
diffuses du champ hydrothermal de Lucky Strike » ), pour estimer une perméabilité moyenne
du système avec laquelle nous pourrons quantifier la vitesse de cristallisation de la chambre
par l’hydrothermalisme. En retour, cette estimation nous permettra de contraindre les
cadences/fréquences de re-remplissage de la chambre magmatique nécessaires pour assurer
une activité hydrothermale pérenne.
Géométrie des circulations hydrothermales
L’organisation sub-crustale des circulations hydrothermales de Lucky Strike reste
largement méconnue. L’exploration détaillée de la zone hydrothermale au niveau du plancher
océanique (cf. fiche « Variations de température des fumeurs noirs et des zones diffuses du
champ hydrothermal de Lucky Strike ») contraint les zones de remontées hydrothermales,
mais renseigne peu sur leur extension en profondeur, sur les zones de recharge et sur les
connections hydrodynamiques en sub-surface. Les recherches pluri-disciplinaires que nous
menons à Lucky Strike visent à mieux contraindre ces circulations en profondeur. Par
exemple la sismicité de la zone (cf. « Microsismicité et hydrothermalisme : quatre ans de
surveillance sismique du volcan Lucky Strike sur la dorsale médio-atlantique ») peut nous
apporter des contraintes sur les trajets préférentiels des fluides froids descendants, car en
refroidissant la roche il peuvent générer des micro-séismes. L’étude de la composition des
fluides chauds (cf. fiche « La composition chimique des fluides hydrothermaux ») aide aussi à
contraindre les conditions de pression et de température qui règnent en profondeur, là où les
fluides chauds réagissent avec la roche et se chargent en éléments chimiques. L’étude
géologique de la distribution des sorties de fluides par rapport au réseau de failles permet
enfin de mieux contraindre le rôle de ces failles dans la structure de perméabilité de la croûte.
Notre approche vise à intégrer ces contraintes géologiques, géophysiques et géochimiques
pour réaliser une modélisation numérique multi-dimensionnelle des écoulements
hydrothermaux. Cette modélisation nous permettra d’isoler pour les tester les scénarii de
circulations les plus probables dans la croûte de Lucky Strike (e.g., Figure 4).
Figure 1. Mont hydrothermal de « White Castle » (6m de diamètre, 2m de haut) avec ses
multiples fumeurs et cheminées sulfurées. Ts= 317 °C.
Figure 2. A. Structure crustale de la zone Lucky Strike, avec les failles de la vallée axiale
(Est :EBF, et Ouest :WBF) et la chambre magmatique (AMC à 3.5-4km de profondeur). B.
Organisation supposée de la circulation en sub-surface. Les fluides émis en surface indiquent
la présence de 2 réservoirs chimiques distincts en profondeur.
Figure 3. Vitesse de propagation du
front de cristallisation (V1000°C) dans
une chambre magmatique en fonction
de la perméabilité de la croûte.
Relation déduite de modélisations
numériques couplant refroidissement
magmatique
et
dynamique
hydrothermale (Fontaine et al. 2011,
GRL). La perméabilité crustale
estimée sur les sites hydrothermaux
de dorsales rapides est comprise entre
10-14m2 et 10-12m2. Une chambre
épaisse de quelques dizaines de
mètres cristalliserait en moins de 100
ans avec une perméabilité de 10-14m2
sous
la
seule
action
de
l’hydrothermalisme
(sans
reremplissage). La linéarité de la
relation prédit une cristallisation en
quelques
années
pour
une
perméabilité de 10-12m2.
Figure 4. Exemple de modèle de
circulation hydrothermale dans la croûte
de Lucky strike. A. Géométrie 2D du
modèle de circulation à travers l’axe
(basée sur la structure crustale de la
figure 2A), incorporant une zone très
perméable au centre (sous le lac de
lave), la faille de l’Est et la chambre
magmatique. B. Champ de température
à travers l’axe. Une circulation locale et
profonde se développe sous le lac de
lave, sur laquelle se superpose une
circulation régionale qui permet une
connection hydraulique entre la faille de
l’est et la zone axiale sous le lac de lave
(les lignes blanches en pointillés
représentent la trajectoire des fluides
dans la croûte). La température
maximale des fumeurs est 350°C.

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