L`esprit du Feu Un des personnages de la mythologie

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L`esprit du Feu Un des personnages de la mythologie
L'esprit du Feu
Un des personnages de la mythologie classique le plus pertinent avec notre thème est sans doute
Prométhée. Celui-ci fut punit par Zeus pour avoir fait don du feu à l'humanité qui, de ce fait, a
hérité d'un pouvoir qui aurait dû rester prérogative des dieux. Prométhée n'est pas précisément un
héros, mais appartient à la race mythique des titans, ces êtres représentant les forces chaotiques du
cosmos avant l'oeuvre régulatrice des dieux de l'Olympe. Néanmoins, son attitude est typiquement
héroïque. La structure sous-jacente et universelle du mythe du Héros Tragique (à ne pas confondre
avec le Héros Solaire) est en éffet toujours la même: exploits extraordinaires, désobéissance aux
dieux (hybris), punitions par des supplices éternels, c'est à dire sans solution de continuité.
Prométhée est enchainé sur le mont Caucase tandis qu'un rapace dévore son foie qui se regénère
continuellement. Comment ne pas faire le rapprochement entre ces supplices mythiques et la
situation de souffrance continue de l'homme moderne en proie à des problèmes en tout genre,
écologiques, sociaux, psychologiques... nés pour avoir fait prévaloir Techné à Psyché et qui
semblent véritablement irrésolvables? En éffet, que seraient, par exemple, un enseignement, une
éducation ou encore une cure sans âme, sinon des fabriques à problèmes?!
Mais la signification symbolique profonde du feu ne s'épuise pas avec le mythe prométhéen. Dans
l'alchimie le feu représente le seul et unique vecteur de transformation de l'âme. En effet, dans les
différentes étapes de l'Opus allant de la Nigredo à la Rubedo en passant par l'albedo, c'est en effet le
feu qui noircit, qui calcine, qui sublime... Situé dans un contexte culturel et ésotérique dont l'image
plus emblématique est sans doute l'Athanor, le fameux fourneau donnant lieu aux mystères de la
transmutation des métaux vils en or noble, le feu représente bien plus qu'un simple moyen
technique. Les alchimistes avaient une prédilection pour l'image de la salamandre à laquelle ils
s'identifiaient car, selon la légende, cet amphibie aux colorations particulièrement vives se
nourrissait du feu et même vivait dans le feu. L'alchimiste Artéphius, par exemple, dans son Livre
secret traitant l'art occulte de la Pierre des philosophes, parle d' « eau ignée », de « notre eau qui est
feu ». Le feu est donc dans l'alchimie la représentation et en même temps la substance par
excellence du Mystère de la transformation. Pour cela il était apparenté au lion qui dévore les
adeptes. Gaston Bachelard également, affrontant dans sa Psychanalyse du feu le complexe
d'Empédocle, interprète le feu comme symbole de renouveau. Naturellement, comme Carl Gustav
Jung avant lui, Bachelard ne manque pas de souligner le lien symbolique entre l'invention du feu
par frottement de morceaux de bois secs et le frottement des corps ardents de désir. Ainsi, la
sexualité est pour ces auteurs l'hypothèse première pour expliquer la reproduction objective du feu
qui naît donc avant tout dans l'âme et est un symbole universel de la libido. Ces deux auteurs irons
même jusqu'à proposer une critique tout à fait pertinente de la connaissance objective en général, en
affirmant que tout ce que l'homme peut penser, même en termes scientifiques, est d'abord objet
d'imagination inconsciente. En ce sens, pour reprendre l'expréssion de Bachelard, « on ne peut
étudier que ce que l'on a d'abord rêvé ». En d'autres termes, en raison de ce que les physiciens
nomment « principe d'indétermination », tout processus de connaissance ne saurait être disjoint de
l'âme. Observateur et observé ne font qu'un. Ceci est d'autant plus vrai en psychologie. Quand on
observe un astre avec un radiotéléscope, l'interférence est presque nulle, mais quand on écoute une
personne sur le divan elle devient évidente, même en respectant la règle de la bienveillante
"neutralité de l'analyste". Grâce au quantisme nous pouvons aujourd'hui apprécier en toute sa valeur
d'intuition anticipatrice l'apophtègme nietzschéen « il n'existe point de choses ou de faits en soi,
mais uniquement des interprétations de choses ou de faits ». Le principe d'objectivité scientifique a
bel et bien été dépassé et les constantes fondamentales sont tout autant des instruments que des
limites à la connaissance.
Cette brève digression sur la crise du statut d'objectivité des sciences nous permettra de poursuivre
notre réflexion sur le symbole du feu en revenant sur une forme de connaissance qui justement a été
une des premières victimes du scientisme. Pour les modernes, en effet, le système animiste demeure
tout à fait incompris. Il n'est qu'un cumule de croyances naïves et désuètes indiquant un stade
archaïque de l'évolution de la pensée humaine. C'est du moin bien ainsi que l'entendaient les
anthropologues Edward Burnett Tylor et James Frazer. Le premier décrivit l'animisme comme une
conception du monde basée sur la croyance en l'existence d'un principe vital, d'une âme, en toute
chose. Le second le catalogua comme « pensée magique », expression qui sera reprise par le père de
la psychanalyse Sigmund Freud afin de décrire la nature des processus inconscients. Freud fut en
effet le premier auteur à proposer, bien que d'une façon réductrice, une liaison directe entre
animisme et inconscient. De tels considérations peu édifiantes sur l'animisme ont perduré pendant
de nombreuses décennies avant que les anthropologues contemporains ne réussissent finalement à
se débarasser (partiellement) de leurs préjugés culturels. Mais pour avancer il nous faudra
abandonner le primat de notre “chère pensée” et nous ouvrir à la « perception animiste ». Car
l'animisme est davantage une perception qu'une conception du monde.
La connaissance animiste se base sur une attitude simple et empirique. S'il en était autrement, elle
n'aurait pas pû produire le degré d'adaptation au monde que connaissent les peuples tribaux vivant
plus ou moin de la même manière depuis des dizaines de milliers d'années. Cette connaissance se
base sur la perception, très concrète, des effets imprimés par les entités du monde extérieurs et des
mondes “autres” sur l'âme. Ces entités ne sont pas uniquement physiques car elles participent d'une
fonction symbolique ancrée dans l'inconscient. Ainsi, tout système animiste donne lieu à des esprits
bons ou mauvais (selon leurs effets sur la psyché), à des lieux et des êtres chargés de mana, qui par
conséquent sont considérés sacrés et auxquels on se rapporte avec prudence et respect afin de ne pas
en être possédé mais éventuellement inspiré. En général, le contact avec les entités positives est
recherché, tandis que les entités négatives sont évitées. Ce genre de comportements de fuite se
retrouve assez souvent dans la moderne psychopathologie. Je pourrais par exemple citer le cas d'une
femme qui grâce à l'analyse avait repris une bonne partie de ses libertés, mais qui a continué à éviter
les hopitaux où elle avait dû passer auparavant une période longue et difficile pour assister, à
contrecoeur, un malade. Sa phobie des hopitaux correspondait tout à fait è une superstition
résistante à toute tentative de désenbilisation progressive et d'élaboration, peut être parcequ'elle
s'enracinait justement dans un inconscient animiste qui à l'époque était, autant à elle qu'à son
analyste, inconnu.
L'attitude animiste se traduit concrètement par une recherche de positivité centrée non pas sur la
domination de l'ego, mais plutôt sur un rapport harmonieux avec l'inconscient (les âmes et les
esprits de la Nature et des défunts). D'un tel point de vue, le feu n'est pas simplement ni avant tout
un phénomène de combustion, ni même un symbole, mais une entité dont l'âme peut être perçue en
certaines conditions particulières (par exemple dans les rêves). Tout comme la voix des Djin faisant
écho au bruissement des grains de sable dégringolant des dunes du désert, le bruit des flammes dans
la cheminée dévoile la voix des esprits, c'est à dire de nos désirs, de nos peurs, de nos intuitions, de
nos parties en souffrances ou en cours d'évolution, des archétypes qui nous habitent... en un mot : de
l'inconscient. Le feu dans l'animisme est un élément psychédélique lié à la purification et à la
révélation, une entité qui purifie et dévoile l'âme, un maître. Le point de vue animiste, loin d'être
désuet, trouve une liaison surprenante avec la science moderne, car la forme et l'intensité que
prendront les flammes d'un feu de bois ne se prettent qu'à un calcul de probabilité. Il reste toujours
un écart insondable dans les phénomènes physiques complexes qui laisse une place à l'âme. Le
célèbre auteur-compositeur italien Lucio Battisti, dans une chanson instrumentale intitulée
justement Il fuoco (le feu) et incluse dans un de ses premiers albums, a exprimé à merveille les voix
des esprits se levant des flammes. L'animisme est renié dans notre culture. Pourtant, il offre un
complément éfficace à la connaissance scientifique du monde et de la psyché humaine. Prenons par
exemple le phénomène psychopathologique de la pyromanie, cette impulsion caractérisée par une
fascination extrème pour le feu . Le pyromane utilise le feu dans une vaine tentative de répondre à
sa soif démesurée de puissance. Il se complait dans la contemplation narcissique de la puissance
destructrice du feu dont il est l'auteur. Mais le point de vue psychoanimiste renverse la vision des
choses car le pyromane est en fait une victime de l'esprit du feu qui le possède. Un esprit des plus
puissants qui sait autant émerveiller les enfants que ravager les habitations. L'illusion d'un contrôle
parfait du feu provoque du reste la destruction de milliers d'hectares de forêt chaque année. Il s'agit
bien là d'une caractéristique principale du feu comme des esprits de ne jamais se laisser apprivoiser
complètement. Il apparait donc avantageux et juste d'appréhender la feu également par le Coeur,
c'est à dire par l'âme. Une des grandes vertues de l'approche psychoanimiste est justement de
replacer l'homme devant ses limites techniques et psychologiques, et de lui rappeler l'existence
d'une dimention amimiste à connaître et respecter.
Dire que le feu a des “comportements” spécifiques, lui accorder une âme, c'est à dire des intentions
et des pouvoirs susceptibles de nous influencer, n'est pas du tout le produit d'une pensée infantile,
comme l'affirmait par exemple le psychologue Jean Piaget, mais celui d'une psychologie évoluée
plus dans le sens de la perception que dans le sens de la pensée rationnelle. L'animiste comprend
que l'âme n'est pas disjointe du monde qu'il sacralise et respecte. Ceci lui permet d'appréhender le
monde et de s'y adapter sur un mode différent du nôtre. Par exemple, le lien animique avec la
Nature peut lui permettre de prévoir, grâce à la perception et à l'interprétation de signes étrangers à
notre culture moderne, l'éruption d'un volcan avant même que les appareils modernes ne le relèvent.
La psychologie et la psychanalyse, au contraire, ont accentué la fracture entre Psyché et Nature, en
favorisant l'aspect rationnel de l'homme et en contribuant de ce fait au désenchantement du monde
(Max Weber). Pour la psychanalyse classique il s'agit en effet de faire en sorte que le Moi obéisse
au principe de réalité et ait le dessus sur le Ça et sur le principe de plaisir. Il s'agit également d'éviter
à tout prix l'union mystique entre les mondes intérieur et extérieur qui est interprétée au mieu
comme projection et au pire comme signe de psychose. Mais il serait à mon avis trompeur de croire
que le monde se laisse désacraliser de bon gré. Le monde réagit, souvent même avec violence, aux
comportements parasitaires de l'homme à son égard. La complexité de notre planète Gaïa dépasse
l'entendement purement rationnel, parcequ'elle a une âme, justement. Elle constitue un Tout
surordonné dont la réalité échappe à l'approche rationnelle, mais qui continue à être perçue par
notre inconscient animiste. Ainsi, si l'âme de l'homme moderne souffre c'est, du moin en partie,
parceque l'âme du monde souffre. Tant que nous ne retournerons pas à considérer la dimention
animiste, nous ne pourrons pas comprendre ni résoudre véritablement la plupart des problèmes qui
frappent l'homme moderne. C'est bien ce que voulait dire James Hillman quand il écrivait “La
mauvaise condition dans laquelle je me trouve ne concerne probablement pas uniquement une
humeur déprimée ou un état anxieux; peut-être dépend-elle de la tour qui habrite mon bureau,
fermée hermétiquement, dans laquelle je travaille, ou avec le quartier sombre dans lequel j'habite,
ou avec le périphérique toujours embouteillé que je parcours tous les jours pour aller d'un lieu à un
autre”.
Antoine Fratini
psychoanimiste
Vice Président de l'Association des Psychanalystes Européens
http://psychanalyseeuropeenne.jimdo.com/
http://psychoanimisme.blog.fr/