Fils et maîtres du lac. Relations interethniques dans l`État Shan de
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Fils et maîtres du lac. Relations interethniques dans l`État Shan de
Moussons Recherche en sciences humaines sur l’Asie du Sud-Est 5 | 2002 Recherche en sciences humaines sur l'Asie du Sud-Est Fils et maîtres du lac. Relations interethniques dans l’État Shan de Birmanie, François Robinne Paris, CNRS Éditions & Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2000, 364 p. Olivier Évrard Éditeur Presses Universitaires de Provence Édition électronique URL : http://moussons.revues.org/2754 ISSN : 2262-8363 Édition imprimée Date de publication : 1 juillet 2002 Pagination : 122-124 ISBN : 2-7449-0415-5 ISSN : 1620-3224 Référence électronique Olivier Évrard, « Fils et maîtres du lac. Relations interethniques dans l’État Shan de Birmanie, François Robinne », Moussons [En ligne], 5 | 2002, mis en ligne le 08 juillet 2014, consulté le 02 octobre 2016. URL : http://moussons.revues.org/2754 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Les contenus de la revue Moussons sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. 122 be found in at least three different places in the book. While the editors argue that this is unavoidable given the choices they had made, one retains the impression that, with a tighter editing, the book could have easily been shorter by 500 pages. Nevertheless, for the sheer quantity of information it provides on one single ethnic group and for the overall quality of that information, the EIS is, simply, a masterpiece. Both the Tun Jugah Foundation and the team of editors should receive high praise for the tremendous amount of work put into this book and the remarkable achievement it constitutes. The Encyclopaedia of Iban Studies should absolutely be on the shelves of any scholar or library concerned with Southeast Asian ethnic minorities. Beyond its purely Iban value, it will be a prime reference for any serious comparative work in Southeast Asia. Note 1 The EIS, also available on CD-ROM, can be ordered from: The Tun Jugah Foundation, P.O. Box 734, 93714 Kuching, Sarawak, Malaysia; http://www.tunjugahfoundation.org.my. • Fils et maîtres du lac. Relations interethniques dans l’État Shan de Birmanie, de François Robinne, Paris, CNRS Éditions & Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2000, 364 p. Par Olivier ÉVRARD Les pays d’Asie du Sud-Est péninsulaire, à l’exception de la Thaïlande, se caractérisent depuis les années 1970 par une relative opacité – et il s’agit dans bien des cas d’un doux euphémisme – pour la pratique de l’ethnologie de terrain. Que ce soit pour la Chine, le Vietnam, et surtout la Birmanie et le Laos, on ne dispose que de très peu d’études récentes sur les dynamiques sociales. Ne serait-ce qu’à ce titre, l’ouvrage de François Robinne est un apport précieux, car il s’appuie sur cinq années d’enquêtes (1994-1999) dans une région, celle du lac Inlé au nord de la Birmanie, qui n’avait, depuis les travaux de Michel Bruneau et Lucien Bernot (1972), fait l’objet d’aucune publication scientifique en langue française. L’intérêt de ce livre pour les spécialistes de l’Asie du sud-est et pour tous ceux qu’intéresse la problématique de Moussons 5, 2002, 113-157 Comptes rendus / Reviews l’interethnicité, dépasse cependant largement la seule présentation organisée de matériaux ethnographiques originaux. Il s’agit également de comprendre et d’expliquer comment au sud de l’État shan, un groupe, les Intha, a créé et mis en oeuvre une représentation du monde lui permettant de légitimer la position dominante qu’il occupe depuis seulement quelques décennies dans les rapports interethniques locaux. Le processus de hiérarchisation engagé au profit des Intha ne peut être compris comme la simple conséquence de l’emprise croissante, notamment depuis le coup d’État de 1962, du pouvoir central birman dans cette région excentrée. Cela reviendrait à considérer que l’État détermine à lui seul les enjeux locaux de l’ethnicité. Robinne privilégie au contraire l’étude des relations de minorité à minorité afin de comprendre précisément les conditions sociales locales sur la base desquelles une telle hiérarchisation devient véritablement effective. Il souligne l’inadéquation, pour la région d’Inlé, du modèle « structural » proposé par Edmund Leach à partir de l’étude des relations entre Kachin et Shan : l’émergence des Intha en tant que groupe dominant ne s’explique ni par l’exacerbation de différences structurelles entre les groupes (contrairement aux Shan, les Intha, tout comme la plupart des autres minorités de la région1, possèdent une organisation sociale de type « égalitaire »), ni par un système d’échange généralisé, ni enfin par la possibilité pour les acteurs locaux de revendiquer simultanément plusieurs identités. L’emprise des Intha sur les relations interethniques locales ne procède pas d’une action sur les structures politiques et sociales de leurs voisins, mais de la création d’un système symbolique original – la procession annuelle des barges sacrées tout autour du lac en constitue la manifestation la plus achevée – agissant à la fois comme un marqueur identitaire spécifiquement intha et comme une référence englobante pour l’ensemble des minorités de cette région. Les deux premiers chapitres du livre analysent les facteurs politiques et économiques contribuant à placer de facto les Intha dans une position favorable visà-vis des autres groupes. Les Intha parlent une langue qualifiée de « forme ancienne du birman » et se seraient installés dans la région d’Inlé lors de l’expansion de la première monarchie birmane, entre le XIe et le XIIIe siècle. Il ne s’agit pas d’un cas isolé, puisque leurs voisins montagnards pao revendiquent eux aussi une origine méridionale et que, plus lar- Comptes rendus / Reviews gement, les déplacements de populations ont de tous temps constitué un élément récurrent de l’histoire politique birmane. Cependant, l’analyse de la littérature orale montre que les Intha sont les seuls à se voir reconnaître par l’ensemble des minorités de cette région une légitimité particulière, à la fois comme gardiens des temples et comme représentants du pouvoir central. Cette « légitimité en puissance », que l’administration shan, en place pendant six siècles, n’a jamais réussi à effacer, permet de comprendre le rôle joué par les « Fils du Lac » à partir des années 1960 : au fur et à mesure que les Shan perdaient leurs prérogatives et leur autonomie, les Intha les remplaçaient progressivement dans les organigrammes administratifs locaux ou bien à certains postes clés, ceux de servants de pagode, notamment. La prospérité économique des Intha a facilité ce processus et leur a permis d’asseoir leur légitimité rituelle et politique. Outre la diversité de leurs activités agricoles (rizières inondées de mousson et de décrue permettant deux récoltes par an, cultures irriguées d’arbres fruitiers et de canne à sucre, jardins potagers lacustres aménagés sur des îles fixes ou flottantes), les Intha dominent l’artisanat, que ce soit dans le domaine de la pêche, de la fabrication de cigares, du tissage, de la poterie, ou du travail du bois ou du métal. À l’exception de l’élevage, seul domaine dans lequel les relations entre les montagnards et les Intha sont équilibrées, les montagnards, qui vivent de l’agriculture sur brûlis, se trouvent dans une situation de dépendance économique vis-à-vis des Intha. Les marchés lacustres mis en place autrefois par les Shan et désormais contrôlés par les Intha pérennisent le sens général des échanges depuis les montagnes vers les basses terres et confortent ainsi très directement la suprématie économique des Intha. L’étude des marchés lacustres qui clôt le second chapitre permet à Robinne de montrer comment leur répartition géographique (quatre près des rives et un au centre du lac) et leur cyclicité font d’Inlé un microcosme cohérent, économiquement et conceptuellement. La figure des quatre points autour d’un centre imprègne à la fois l’organisation de l’espace, les taxinomies, le comput du temps et même la dénomination des personnes. Il s’agit d’un élément cosmogonique commun à beaucoup de régions bouddhistes et sur la base duquel peuvent s’élaborer de multiples variantes. L’étude extrêmement détaillée des « référents astro-bouddhiques » développée au cours des trois chapitres suivants a justement pour but 123 d’identifier, derrière une grande variété de formes et de principes d’organisation, les schèmes conceptuels partagés par l’ensemble des populations de la région d’Inlé. Robinne insiste particulièrement sur le rôle des traités populaires d’astrologie, qui sont très largement diffusés et sur la base desquels les villageois interprètent le quotidien, nomment, catégorisent et orientent. L’influence de ce fond « astro-bouddhique » s’exerce à la fois sur l’organisation sociale de l’espace (construction des monastères et des maisons), sur le rapport à la surnature (classifications des nat « intérieurs » ou « extérieurs » au cycle des réincarnations, opposition entre les esprits errants et le principe vital ou « âme papillon ») et sur l’organisation des principaux rites de passage (naissance, ordination, funérailles) dont le principe commun est le « collage de l’âme papillon ». L’ethnographie méticuleuse dont fait l’objet, notamment, le rituel de la prise de robe shinbyu souligne, outre le coût énorme d’une telle cérémonie (la famille intha étudiée par Robinne dépense en quatre jours un million de kyat, soit plus de dix mille euros, pour le shinbyu de ses deux fils), les réseaux d’entraide qu’elle crée entre familles de villages et de groupes ethniques différents. Les shinbyu sont bien moins fréquents dans les villages montagnards pao ou taungyo que dans les villages intha et, bien que l’idée d’une compétition semble absente à l’échelle interethnique, les shinbyu participent cependant de la diffusion d’un idéal communautaire bouddhique spécifiquement intha dans lequel les groupes montagnards sont progressivement englobés. La dernière partie de l’ouvrage traite des rituels à caractère régional (fêtes de pagode et circumnavigation annuelle). Ceux-ci constituent la forme culminante du processus d’englobement déjà sensible dans l’organisation des shinbyu. Rituels de prise de robe, fêtes de pagode et circumnavigation correspondent en effet, selon les termes de Robinne, à « trois niveaux de socialisation » complémentaires participant de la création d’une identité régionale commune. L’analyse comparée des fêtes de pagode se déroulant dans les villages montagnards et de celles des villages intha montre que les secondes bénéficient d’une plus grande popularité (les montagnards taungyo et pao notamment viennent y assister, tandis qu’à l’inverse, les Intha se déplacent rarement dans les villages montagnards) et forment un réseau rituel plus dense et plus cohérent. La continuité rituelle qu’ont su instaurer les Intha se manifeste particulièrement lors de la Moussons 5, 2002, 113-157 124 fête de la pagode de Phaung-Daw-U, véritable centre religieux de toute la région d’Inlé. Durant plus de trois semaines, quatre statues du Bouddha parcourent sur une barge sacrée les rives du lac et sont accueillies successivement dans différents monastères. L’évolution historique et géographique de la cérémonie, autrefois limitée à la moitié sud du lac, c’est-à-dire à l’enclave in-shan2, est subtilement retracée, tout comme le rôle croissant et désormais exclusif joué par les villageois d’origine intha dans la conduite du cortège. Cette redistribution ethnique et géographique du rituel entérine la nouvelle hiérarchie de l’ordre social et le rôle d’intermédiaires joué par les Intha, entre l’État central et les minorités de cette région. L’ouvrage dans son ensemble est remarquablement documenté et rédigé dans un style clair. L’ethnographie méticuleuse et très détaillée des rituels (fêtes de pagode, offrandes aux esprits tutélaires, rites de passage, notamment), l’analyse de la littérature orale, le recours aux traités populaires d’astrologie ou aux relevés architecturaux apportent beaucoup de matériaux précieux aux ethnologues et aux historiens du bouddhisme. Les lecteurs peu familiers de cette région trouveront, quant à eux, notamment dans les deux premiers chapitres et dans le chapitre final, une analyse à la fois pertinente, érudite et accessible à tous des enjeux interethniques régionaux. Les éléments de cartographie auraient sans doute mérité un meilleur sort (les cartes du lac Inlé restent très schématiques, une impression renforcée par l’absence d’une carte d’échelle intermédiaire montrant les prolongements régionaux des principaux axes locaux) et auraient pu être utilisés de façon plus systématique, notamment dans le domaine historique. Il manque également un index des illustrations, cartes et figures à la fin du livre. D’autre part, à l’exception d’une note de bas de page (p. 165), Robinne délaisse curieusement la question du tourisme et de ses implications pour les relations interethniques et les rapports entre l’État et les minorités (alors même que le lac Inlé constitue aujourd’hui l’extrémité septentrionale du « corridor touristique » accessible aux voyageurs étrangers). En tant que vecteur privilégié de traditions réinventées, le tourisme (dans ses formes birmanes ou étrangères) ne méritait-il pas une place dans cet ouvrage ? La question se pose notamment pour le dernier chapitre, dans l’étude, par ailleurs excellente, de la popularité croissante du site de WaTa-Kin, resté à l’écart de la circumnavigation annuelle, mais fréquenté par de nombreux visiteurs, essentielleMoussons 5, 2002, 113-157 Comptes rendus / Reviews ment birmans. Il y avait là, sans doute, matière à prolonger la réflexion sur l’instrumentalisation par le pouvoir central du fond bouddhique commun à l’ensemble des populations de la région. Ces quelques remarques, plus de forme que de fond, n’enlèvent au demeurant rien à l’intérêt de l’ouvrage et ne remettent aucunement en question son apport précieux à l’ethnologie du sud-est asiatique. Notes 1 Danaw (Austroasiatiques), Danu et Taungyo (Tibéto-birmans), Pao (Karen), Shan (Thaï-Kadaï). 2 Littéralement, « Shan du lac ». Cette modification de l’ethnonyme, qui traduit l’influence culturelle des Intha sur les autres groupes de la région, concerne également les villageois pao installés près des rives (villages in-pao). • The Palaung in Northern Thailand, de Michael Howard et Wattana Wattanapun, Chiang Mai, Silkworm Books, 2002, 114p. Par François ROBINNE Un intitulé tel que « Note » ou « Contribution à l’étude des Palaung de Birmanie et de Thaïlande » aurait sans doute mieux convenu à ce fascicule qui n’est, au demeurant, pas tout à fait inintéressant. La première partie est un rappel de la classification ethnolinguistique de la famille austro-asiatique et des migrations anciennes. Puis, par un travail de compilation d’ouvrages, publiés pour la plupart durant la période coloniale, est présentée à grands traits l’organisation sociale (sans que soit discuté ou même mentionné l’échange généralisé), matérielle (culture du thé, sans qu’apparaisse l’influence birmane contenue dans la tradition orale), religieuse (bouddhisme d’influence birmane et taie, sans mention toutefois de la fête de pagode annuelle sur les hauteurs de Namhsan, où convergent en grand nombre les Palaung) et politique (chefferies calquées sur le modèle tai) des Palaung. La référence à l’ouvrage de K.G. Izikowitz, absent de la bibliographie, aurait certainement été bénéfique. S’inscrivant dans le prolongement de ces premiers chapitres, les chapitres 4 à 6 portent sur les migrations des Palaung à l’époque contemporaine, depuis l’indépendance de la Birmanie jusqu’à la fuite vers la Thaïlande à partir des années 1980. Parce que faisant l’objet d’observations personnelles, la situation éco-