Le sol, milieu de vie et de culture

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Le sol, milieu de vie et de culture
Le sol, milieu de vie et de culture
Marc Delrue
Mosaic Loukoum Jardin
© Caroline Gaignard, espace naturel Lille Métropole
Les terrasses de la méditerranée © Pierre Cheuva
« La Terre... Combien sommes-nous à comprendre cette glèbe
silencieuse que nous foulons toute notre vie ? Pourtant, c’est
elle qui nous nourrit, elle à qui nous devons la vie et devrons
irrévocablement la survie » Pierre Rabhi.
Le deuxième avait pour but de rendre hommage à tous
ces gens qui, venus d’ailleurs (Pologne, Afrique, pays
asiatiques…) avec leurs coutumes, leurs façons différentes de vivre et de se nourrir, et d’exprimer tout cela
par des jardins d’agrément.
S’il y a bien un élément important, qui n’est pas toujours évident à prendre en considération lors de l’achat
ou de la location d’une maison, c’est bien le jardin, et la
terre qui s’y trouve…
Il n’est pas rare le coup de foudre immobilier : la visite
de la maison ou de la propriété commence par l’extérieur, avant d’entrer dans les bâtiments. La végétation
qui y est installée, l’organisation des différents lieux
(massifs, potager, gazon, mare) révèlent aux futurs
habitants une sensation de « chez soi », de « bienêtre », « de nid ».
Pour les nouvelles constructions, il est très rare d’entendre parler du « respect du sol » autour de la maison
durant les travaux. Sitôt celle-ci terminée, on sème
le gazon que l’on veut vite voir vert et net, comme au
Grand Stade !
Deux exemples, avec deux chantiers
Les deux grandes expériences de cultures que j’ai pu
mener depuis 25 ans ont été, pour la première, « la
serre des prés » à Villeneuve-d’Ascq, secteur de Flers
(atelier de réinsertion sociale) et, pour la seconde, « le
parc Mosaïc » à Houplin-Ancoisne.
Deux projets à vocations très différentes ; le premier
consistait à mettre en culture des légumes, tout en
redonnant confiance à nos salariés pour retrouver le
chemin de la formation, du travail, pour retrouver une
place dans la société !
À partir de ces exemples,
un sol pour quoi faire ?
Le sol, milieu de culture
Il n’y a pas encore si longtemps, notre travail consistait à apporter fumier de bovins ou feuilles mortes.
La houe était utilisée pour « décaper » la végétation
en place, que nous mettions en tas au fond du jardin.
Avec le bêchage avec retournement et incorporation
du fumier, il fallait faire attention de ne pas voir de
« jaune », indice que le bêchage était trop profond et
que l’on remontait de l’argile !
En sol argileux, il était conseillé de faire le bêchage
avant l’hiver pour que le gel procure une bonne structure pour le mois de mars, afin de pouvoir planter
nos premiers légumes (oignons, ail, échalotes et petit
pois). On complétait par ce que l’on appelait autrefois
le fameux N-P-K, le triple 15, de la chaux de temps en
temps pour tuer « la vermine » et équilibrer le pH. En
ce temps-là, il s’est ajouté des visites régulières dans
les rayons des points de vente jardin, pour trouver la
poudre « miracle », pour nettoyer telle ou telle culture
ou venir à bout de tel ou tel ravageur.
Le sol restait nu durant les 3 à 4 mois d’hiver, érodé
par le vent, émietté par le gel, entraîné par la pluie et
perturbé par le soleil ! Pour enfin être affiné en surface à l’aide d’une motobineuse et obtenir un bon lit de
semences ! Nous pensions être dans le vrai. Les spécialistes nous conseillaient...
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Toutes les façons de faire ne sont pas bonnes pour
mettre en valeur son environnement : donner une
image « propre », un besoin humain de « personnaliser » son jardin, il y a assez de nature tout autour !
Il est tout aussi important de pouvoir off rir et partager légumes, fleurs et fruits dont nous sommes fiers
d’avoir été l’outil de base !
Bien connaître son sol, pour mieux
l’utiliser
Dans notre région, nous disposons d’une grande diversité de sols. Ils sont plutôt argileux dans la vallée de
la Lys à Merville et Vieux-Berquin, mais, en général,
ils sont plutôt limoneux, battants, comme dans les
Weppes.
Ces données sont importantes à connaître pour
nous les jardiniers amateurs, pour éviter des erreurs
« culturales ».
— Une texture limoneuse donne un sol assez facile
à travailler, mais l’excès de limon et l’insuffisance
d’argile peuvent provoquer la formation d’une structure massive, accompagnée de mauvaises propriétés
physiques. Un limon « battant » ne supportera pas
l’averse une fois travaillé, au risque de se « croûter » en
séchant. Il faudra le biner sitôt la pluie passée.
— La texture argileuse le rend chimiquement riche,
mais lui donne aussi de mauvaises propriétés physiques : un milieu imperméable et mal aéré, formant
obstacle à la pénétration des racines, un travail du sol
difficile en raison de la forte plasticité (état humide) ou
de la compacité (sol sec). Un sol argileux gardera son
eau et sera boueux jusqu’au retour d’un temps plus sec,
et il deviendra du coup rapidement très difficile, voire
impossible à travailler.
— Nous rencontrons moins, par chez nous, la texture
sableuse, qui donne un sol bien aéré, facile à travailler,
mais pauvre en réserve d’eau, et pauvre en éléments
nutritifs et en activité biologique.
— Et la texture presque équilibrée ? Celle qui correspond à l’optimum, dans la mesure où elle présente la
plupart des qualités des trois autres types : dans le
territoire, nous la trouvons sur Ascq et le Mélantois,
dont on a longtemps entendu dire qu’elles étaient
« parmi les meilleures terres d’Europe » ! Ce n’est pas
par hasard que s’y sont installés, dés 1970, l’université,
puis le parc scientifique européen de la Haute Borne
avec, dernièrement, un maraîchage bio !
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Dans mon secteur d’activité, nous trouvons surtout
des sols argilo-calcaires, avec un pourcentage plus
ou moins élevé de limons. Ils sont en général frais et
humifères ; l’épaisseur du sol reste très variable. De
fait, nous trouvions autrefois les fraises à Verlinghem,
les endives à Camphin, la laitue lilloise, et la barbe de
capucin à Loos dans les catiches d’où l’on a extrait la
craie. Dans l’environnement proche, la production de
semences à Cappelle-en-Pévèle, et la chicorée d’Orchies. À l’ouest, la vallée de la Lys était propice à la
culture du lin et du tabac !
Mais tous les sols sont-ils bons ?
Du coup, bien sûr, comme on ne choisit pas l’état du
sol sur lequel on est installé, il faut « faire avec » et
« l’apprivoiser », adapter nos cultures, nos végétaux en
conséquence. Ce qui n’est pas toujours perceptible au
premier regard, c’est la réaction du sol : la pousse des
différentes adventices est un indicateur utile pour le
jardinier. L’observation attentive de la flore spontanée
nous renseigne sur la nature d’un sol, son comportement, sa vie ou sa capacité de vie. Ces plantes nous
disent s’il existe une pénurie d’humus, un excès ou un
manque d’humidité, une carence minérale, un blocage
de l’aération ; elles sont le témoignage d’un état du sol,
d’une bonne ou d’une mauvaise activité biologique,
etc. Par exemple, la présence du plantain nous dira
que le sol est tassé et les orties qu’il est riche en azote.
Le mouron nous dira que le sol est bon en matières
organiques… La prêle indique que nous sommes en
présence d’un sol argileux, acide, mal drainé. L’oseille
dénote un sol acide, mal drainé. Le tussilage est le premier à s’installer sur une terre nue, lourde, comme le
plantain. La luzerne témoigne d’un sol profond, riche
en chaux. Le pissenlit révèle un terrain argileux, riche
en potasse. Le bouton d’or signale un terrain déséquilibré mais frais.
Qu’elles soient arrachées et laissées à se décomposer
sur place ou ajoutées à un tas de compost, les herbes
sont de bons fertilisants naturels. Toutes ces observations sont donc utiles et il nous reste à en tirer les
conséquences pour nos différentes plantations !
Quels moyens avons-nous pour protéger
les sols ?
De ce fait, il devient de plus en plus évident que le sol
doit être constamment couvert, mais nous n’arrivons
pas encore à maîtriser cette nouvelle façon de cultiver,
dans notre région !
Semer de l’engrais vert devient une évidence, mais
comment le gérer : enfouissement ? Broyage ?
Exportation ? Les racines restent dans le sol ?
Installer des paillages issus de cultures locales, des feuilles
mortes, paille et autres rémanents, comme les tontes
de gazons, etc. est une manière utile de protéger les
sols, de favoriser la croissance des plantes, tout en réutilisant des déchets au lieu de les exporter inutilement.
Prenons la comparaison avec la lisière d’un bois. Tout
autour du bois, se trouve une vie intense en faune et en
flore, qui sert de frontière entre les champs et le bois.
Il en va de même au niveau du sol de nos jardins : c’est
une litière qui s’installe, sur la terre et sous les feuilles.
Ce sont les vers de terre, les champignons, les bactéries
principalement, qui se chargeront de la décomposer et
de la transporter dans le sol. En formant des galeries,
les vers de terre permettent l’aération, la circulation de
l’eau et des racines. Du coup, cela favorise également
le développement des micro-organismes ! Il faut savoir
que c’est la digestion du ver de terre qui est la base du
complexe argilo-humique ! Les turricules qu’il éjecte à
la surface sont très riches.
Que faut-il penser des nouvelles
tendances ?
— La plantation de plantes couvre-sol vivaces (lierres,
géraniums, bergenias, saxifrages, violettes, sédums,
armérias, heuchères, pervenches...) permet de lutter
favorablement contre les plantes indésirables. Le remplacement d’une plante par une autre que l’on maîtrise,
laquelle nous intéresse plus sur le plan ornemental.
Comment améliorer et maintenir
l’activité biologique d’un sol ?
— L’introduction et l’installation de différents
paillages comme les broyats d’élagage, les écorces ont
été acceptées facilement, même s’ils ne sont pas d’origines locales. Toutefois seuls les produits locaux seront
bien décomposés et favoriseront les micro-organismes
de notre sol. En gros, évitons tout ce qui n’est pas de la
région et pensons plus aux paillis de lin, aux copeaux
d’élagage, aux rémanents de gazons...
Quelles sont les erreurs à éviter,
qui peuvent dégrader un sol ?
— Le bois raméal fragmenté (BRF) semble être adopté.
Il permet de maintenir la vie du sol mais peut créer des
« faims » d’azote.
Alors, pour maintenir l’activité biologique du sol, il
nous faut changer nos habitudes : nous voyons encore
trop de jardins bêchés avec retournement l’hiver !
Il est vrai qu’il est parfois difficile de se remettre en
question !
Travaillons le sol en surface, sans retournement, ni
fraisage, pour activer les micro-organismes et l’humification. Ne jamais le faire quand le sol est trop
mouillé ! Utilisons la Grelinette !
— Semons des engrais verts et laissons-les sur le sol
après broyage, cela maintiendra la vie des vers de terre,
des micro-organismes et des bactéries.
— Le sol ne doit jamais être nu : utilisons des paillages
d’origine locale, qui se décomposeront plus facilement.
— Plantons des haies d’arbustes locaux autour des parcelles, afin de protéger le sol du vent et du soleil. De
plus, cela va permettre, grâce aux racines, une infi ltration de l’air et de l’eau dans le sol en profondeur. Cela
permet aussi d’éviter l’érosion de la surface du sol et
les stagnations de l’eau en surface.
— Supprimons les traitements phytopharmaceutiques,
autres que naturels et utilisons-les à bon escient, si,
mais seulement si, cela s’avère nécessaire.
— Continuons à respecter la rotation des cultures et
plantations et n’ayons pas peur d’innover en plantant
« en mélange » fleurs et légumes.
— Laissons pousser les « mauvaises herbes », tant
qu’elles ne dérangent pas la culture et qu’elles ne montent pas à graines.
— Utilisons des outils à dents pour aérer le sol en profondeur, dès que le sol est tassé et compact, comme par
exemple la Grelinette.
— D’autres pratiques : aujourd’hui, nous découvrons
les jardins en lasagnes mais aussi des jardins sur buttes
(ancienne méthode chinoise) ; l’orientation optimale
des buttes permet de bénéficier au maximum du climat et du soleil !
Cette dernière technique ressemble étrangement à
l’environnement proche de Mosaïc : les trinquies,
radiers larges, plus ou moins profonds, qui étaient
réalisés en territoire marécageux ! Les terres étaient
mises en buttes entre deux radiers et permettaient certains types de culture. Les eaux des radiers servaient
de viviers.
Conclusion
Le sol est vivant. Il est question depuis quelques années
de la biodiversité ; mais de ce que l’on voit et observe
de l’évolution de la nature, il est bon aujourd’hui de
rappeler que cela a un support, qui s’appelle « terre »,
qu’il est vivant, et qu’il évolue lui aussi. Il est donc
important de respecter notre sol, de le protéger et de
l’aider à évoluer. Cela doit passer par un changement
de pratique et d’entretien !
Pour faire connaissance avec « sa terre », il faut creuser
un trou et observer la vie qui l’anime. Mais cela ne suffit pas. Il faut surtout, avant tout, observer la nature,
c’est-à-dire tout ce qui pousse sur le sol, y compris les
plantes dites « mauvaises herbes », indicatrices de la
vie en surface et du sol.
Il est important de continuer à jardiner et à transmettre notre passion et nos observations.
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