Emmanuel Macron, un animal post-politique

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Emmanuel Macron, un animal post-politique
Emmanuel Macron, un animal postpolitique
Un an après son arrivée à Bercy, le ministre de
l’Économie incarne toujours un espoir de renouveau
réformateur. Il a devant lui un immense défi :
recentrer l’Etat sur l’adaptation stratégique aux
grandes ruptures du XXI e siècle.
de Mathieu Laine
Parce qu’il a la sympathie de Chirac, l’intelligence de Giscard et l’énergie
de Sarkozy, Emmanuel Macron a tout d’un grand. Parce qu’il assume son esprit
supérieur et une compréhension viscérale des mouvements de son temps,
d’aucuns le rêvent en libérateur d’une France cadenassée. Mais aura-t-il
l’audace d’un sauveur français, celui que tous ceux croyant à l’homme
providentiel attendent depuis tant d’années ? Obtiendra-t-il ne serait-ce que
l’espace pour affiner puis imposer ses vues réformistes, sans se faire
étriller par la horde des néo-interventionnistes ni décevoir un peuple
inévitablement lassé par ses représentants ? Réussira-t-il à fuir le
mimétisme « petit bras » de ses prédécesseurs qui réduirait à néant
l’ensemble de ses talents ?
Après un an dans la lumière gouvernementale, le jeune ministre de l’Économie
a su effacer de nombreux compétiteurs et, avec l’appréciable humilité
réaliste – qu’il affirme puiser dans Aristote ! – de celui qui préfère
l’action raisonnée à l’agitation brouillonne, occuper la fonction tout en
réinventant l’offre politique. Non sans décevoir, parfois, mais en créant un
espoir sincère de renouveau réformateur qu’il doit chérir et, surtout, ne
cesser de faire croître.
Bras armé du réformisme pro-business de Manuel Valls, le successeur d’Arnaud
Montebourg a embrassé généreusement son entreprise de changement dans la
fameuse loi portant son nom. Du transport aux professions réglementées, en
passant par le marché du travail, les grands travaux et le travail le
dimanche, les mauvais coucheurs pourront regretter un manque d’ambition mais
devront reconnaître qu’une première manche a été gagnée sur le terrain du
dés-encapsulage du pays. Avec l’opposition coupable de la droite
réformatrice, enfermée dans le jeu politicien quand il s’agit de libérer mais
votant comme un seul homme avec la majorité la loi Sécurité…
Il est vrai qu’on aurait souhaité, quitte à dégainer l’article 49-3, une
ouverture du travail le dimanche au moins pour les biens culturels et
électro-domestiques, et même franchement au-delà ; un assouplissement doublé
d’un assainissement, par le retour au contrat, de la relation entre employeur
et salarié ; la facilitation contre-intuitive du licenciement pour ré-inciter
radicalement à l’embauche ; l’attaque de face du pic de l’Unedic ;
l’adaptation franche et radicale, tous secteurs confondus, à l’économie
uberisée, ne serait-ce que parce que l’État n’a plus les moyens d’accorder ni
de racheter les rentes. Sans cela, difficile d’arborer la médaille du grand
réformateur changeant la trajectoire du pays au point d’entrer dans les
livres d’histoire !
La Loi Macron 2, que l’on attend dès lors bien plus virile que la première,
devra, une fois séché le dos un peu rapidement ensanglanté du sémillant
ministre, compenser ces lacunes et nous faire profiter, malgré les cris
d’orfraie des techno-conservateurs, des vents porteurs de l’inévitable
révolution NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences
cognitives). Rien n’est simple, en terre nostalgique, quand il s’agit
d’avancer à marche forcée vers le « Second Machine Age » (titre d’un ouvrage
d’Andrew McAffee), un univers plus horizontal que vertical bouleversant les
habitudes de politiques sensibles aux injonctions descendantes. Mais si la
« macronéconomie » ne se donne pas les moyens de nous extirper de la
« micronéconomie » actuelle, autant livrer le pays aux constructivistes
authentiques ! C’est là tout l’enjeu du renouveau politique dans un monde
post-politique, où la redistribution des pouvoirs de l’organe central aux
individus autonomes, connectés et responsables doit prendre le pas sur le
vieux modèle de redistribution autoritaire et dés-incitatif des richesses
pour financer un modèle providentiel en faillite.
L’Etat, Macron semble l’avoir compris, doit se recentrer sur l’accompagnement
stratégique de la rupture, la quête de solutions obsédées par l’efficacité,
la sécurité non liberticide et la protection réservée aux vrais faibles. La
très souriante bête noire des frondeurs a, à ce sujet, compris qu’il fallait,
pour convaincre, se doter d’une vision du monde, qu’il théorise et publie
régulièrement, de la « Revue des deux Mondes » à l’hebdomadaire « Le 1 ».
Comme Valls, Macron a face à lui un immense défi : réinventer la gauche et
réconcilier le monde politique dans son ensemble avec la pensée de liberté,
jusqu’à l’inégalité juste par le travail et la réussite. Comme disait Orwell,
« la vraie distinction n’est pas entre conservateurs et révolutionnaires,
mais entre les partisans de l’autorité et les partisans de la liberté ».
La garantie des libertés, l’efficacité économique et la réconciliation avec
l’innovation et le succès sont trois axes forts du discours d’Emmanuel
Macron. Sans oublier l’idée, majeure, de « rendre chacun capable de conduire
sa vie ». Il lui reste quelques mois pour nous prouver qu’il est vraiment
l’homme de cette grande bascule, en filiation directe avec ce qu’était la
gauche quand elle défendait, contre les conservateurs, la liberté du travail
contre les corporations au même titre que la liberté de la presse, d’opinion
et d’expression contre la censure. Qu’il ose, encore plus ! Qu’il évite aussi
de se perdre dans le mécano industriel qu’il convient de toucher, comme la
loi, avec les mains tremblantes. Il pourra alors ringardiser très au-delà de
son camp, et gagner en popularité. Les Français n’attendent que ça !
Mathieu Laine
Mathieu Laine est président d’Altermind, enseigne à Sciences po et publiera, en novembre,
le « Dictionnaire amoureux de la Liberté » (Plon).
Source :© Emmanuel Macron, un animal post-politique, Editos & Analyses