CJE Vol. 16, No. 3 - Société canadienne pour l`étude de l`éducation
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CJE Vol. 16, No. 3 - Société canadienne pour l`étude de l`éducation
Contents / Table des matières NUMÉRO SPÉCIAL / SPECIAL ISSUE: LE MUSÉE ET L’ÉDUCATION / MUSEUMS AND EDUCATION Colette Dufresne-Tassé 251 Introduction: L’éducation muséale, son rôle, sa spécificité, sa place parmi les autres fonctions du musée Articles RÔLE ET SPÉCIFICITÉ DE L’ÉDUCATION MUSÉALE Pierre Ansart 258 Sur les finalités de l’utilisation pédagogique des musées FONCTIONNEMENT PSYCHOLOGIQUE DU VISITEUR Andrea Weltzl-Fairchild 267 Describing Aesthetic Experience: Creating a Model Colette Dufresne-Tassé, Thérèse Lapointe, Carole Morelli et Estelle Chamberland 281 L’apprentissage de l’adulte au musée et l’instrument pour l’étudier Estelle Chamberland 292 Les thèmes de la contextualisation chez les visiteurs de musée André Lefebvre 313 Une visite guidée par les pairs dans le Vieux Montréal Bernard Lefebvre et Hélène Lefebvre 331 Le visiteur, le guide et l’éducation INTERVENTION ÉDUCATIVE ET ÉVALUATION AU MUSÉE Céline Du Sablon et Geneviève Racette 338 Les effets d’un programme éducatif muséal chez des élèves du primaire Suzanne Boucher 352 Essai d’applicabilité du modèle d’enseignement de Bruner en milieu muséal Anne Newlands 361 The National Gallery of Canada’s Theme Rooms: Exploring the Educational Exhibition Janet Gail Donald 371 The Measurement of Learning in the Museum INTÉGRATION DE LA FONCTION ÉDUCATIVE PARMI LES AUTRES FONCTIONS DE L’INSTITUTION MUSÉALE Jean Trudel 383 L’intégration de la fonction éducative au musée Book Reviews / Recensions Nadia Banna 392 Museum Education, History, Theory and Practice par N. Berry et S. Mayer Marie-Andrée Brière 394 Rethinking the Museum par Stephen E. Weil Introduction L’éducation muséale, son rôle, sa spécificité, sa place parmi les autres fonctions du musée Colette Dufresne-Tassé université de montréal Le numéro qu’on va lire est consacré au musée et à l’éducation. Quinze chercheurs des milieux universitaire et muséal y ont contribué. Ces chercheurs utilisent des approches quantitatives et qualitatives. Leurs études sont empiriques, expérimentales ou critiques. Elles sont réalisées tantôt auprès d’enfants, tantôt auprès d’adultes. Elles traitent de quatre problèmes: —le rôle de l’éducation muséale, la spécificité de celle-ci; —le fonctionnement psychologique du visiteur; —l’intervention éducative au musée, son évaluation; —l’intégration de la fonction éducative parmi les autres fonctions de l’institution muséale. Je décrirai brièvement la façon dont chacun des onze textes abordent ces problèmes, puis je montrerai la nouveauté des solutions esquissées et les implications de celles-ci pour l’éducation dans les musées. RÔLE ET SPÉCIFICITÉ DE L’ÉDUCATION MUSÉALE Dès leurs débuts, on reconnaît aux musées un rôle éducatif. À preuve, cette lettre de Roland à David à propos de la création du Louvre, un des premiers musées publics. Il est question [. . .] de faire un Muséum aux Galeries du Louvre. Il est décrété, et comme ministre de l’intérieur, j’en suis l’ordonnateur et le surveillant. J’en dois compte à la nation, tel est l’esprit de la loi. C’en est aussi la lettre. Le Muséum doit être le développement des grandes richesses que possède la nation en dessins, peintures, sculptures et autres monuments de l’art. Ainsi que je le conçois, il doit attirer les étrangers et fixer leur attention. Il doit nourrir le goût des beaux-arts, récréer les amateurs et servir d’école aux artistes. Il doit être ouvert à tout le monde. Ce monument sera national. Il ne sera pas un individu qui n’ait le droit d’en jouir. Il aura un tel degré d’ascendant sur les esprits, il élèvera tellement les âmes, il réchauffera tellement les coeurs, qu’il sera un des 251 REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION 16:3 (1991) 252 INTRODUCTION plus puissants moyens d’illustrer la “République française.” (extrait d’une lettre datée du 17 octobre 1792, citée par Blum, 1946) Maintenant, ce rôle est si important qu’il fait l’objet d’une description par l’UNESCO et que la plupart des états occidentaux le précisent dans leur politique sur les musées. Il varie selon que l’on considère la muséologie traditionnelle ou la nouvelle muséologie. La première vise le développement général de l’individu, la seconde, la transmission d’idées, d’attitudes, de valeurs sur les problèmes importants de l’heure. Dans son texte, P. Ansart adopte une position originale, inspirée des travaux psychologiques et sociologiques contemporains. Il envisage tour à tour l’individu et la société. À certains égards, les buts de l’éducation muséale ressemblent à ceux de l’éducation scolaire. Il n’en existe pas moins une distinction de situation. Le musée rassemble dans un même temps et en un même lieu des publics variés, attirés, dans la plupart des cas par le plaisir de la visite, et par la liberté de fonctionnement psychologique allouée. Pour se convaincre de l’exactitude de cette affirmation, il suffit de songer aux milliers de visiteurs qui entrent chaque jour dans des musées comme le Métropolitan Museum de New York, ou le British Museum de Londres. Il est donc normal que les approches pédagogiques développées pour le monde académique ne soient pas adéquates dans le monde muséal et que la plupart des muséologues reconnaissent la spécificité de la pédagogie muséale (Boissan et Hitier, 1982; Carr, 1985; Falk et Balling, 1982; Hooper-Greenhill, 1983; Lewis, 1980; Miles, Alt, Gosling, Lewis, & Tout, 1982). Cette spécificité est implicite dans les onze textes présentés dans ce numéro et tout à fait explicite dans celui de S. Boucher qui, elle, décrit les adaptations nécessaires à l’utilisation d’une stratégie scolaire au musée. FONCTIONNEMENT PSYCHOLOGIQUE DU VISITEUR Si l’éducation muséale vise des clientèles aux attentes particulières dans des situations précises, on ne peut concevoir d’interventions auprès de ces clientèles sans en connaître le fonctionnement psychologique. On possède de nombreuses données sur les caractéristiques socio-économiques des visiteurs de musée. On connaît, par exemple, le niveau d’instruction des gens qui fréquentent les musées d’art (Bourdieu et Darbel, 1969), le nombre de visites annuelles qu’ils y font, le temps qu’ils y passent et l’importance qu’ils accordent à l’institution muséale (Bourdieu, 1979). On a de plus identifié des comportements types durant la visite (Veron et Levasseur, 1983), comme parcourir systématiquement toutes les salles d’une exposition en commençant par la droite ou, au contraire, en choisissant des objets ici et là, en sautant littéralement d’un mur à l’autre. On connaît quand même mal l’expérience psychologique du visiteur sous-jacente aux comportements observés. On ne connaît pas son fonctionnement rationnel. On ne sait pas s’il se contente d’identifier les objets qu’il voit ou s’il utilise cette identification pour faire des comparaisons, des INTRODUCTION 253 déductions, des vérifications. On ne connaît guère plus son fonctionnement imaginaire et la relation de celui-ci avec son fonctionnement rationnel. À quoi servent les souvenirs du visiteur ou ses voyages dans l’imaginaire? Enfin, on connaît mal le fonctionnement affectif et le rôle de ce fonctionnement dans l’économie psychologique du visiteur. Cinq textes traitent de l’expérience psychologique du visiteur adulte. A. Weltzl-Fairchild ainsi que C. Dufresne-Tassé, T. Lapointe, C. Morelli et E. Chamberland offrent des outils d’analyse. Celui d’A. Weltzl-Fairchild permet d’étudier la réaction esthétique du visiteur, la façon dont celle-ci évolue dans le temps et dans l’espace, celui de C. Dufresne-Tassé, T. Lapointe, C. Morelli et E. Chamberland permet un examen microscopique du fonctionnement général du visiteur à travers les opérations mentales qui régissent les composantes rationnelles, imaginaires et affectives de ce fonctionnement. En entrant au musée, un objet perd son contexte et, de ce fait, une grande partie de sa signification. Le visiteur doit donc donner un sens à cet objet. Ce phénomène devient évident quand on entre dans les réserves d’un musée d’ethnologie comme le Musée de l’homme de Paris, qui contiennent des objets de toutes sortes provenant des cinq continents. Ces objets ne portent souvent que des codes. À moins d’être un connaisseur averti, il est difficile de les identifier, donc de leur donner une signification au-delà de ce que suggèrent leur forme et notre réaction à celle-ci. E. Chamberland décrit la façon dont le visiteur utilise les trois composantes précédentes pour élaborer des contextes autour des objets qu’il observe, en d’autres mots, pour donner de la signification à ces objets. A. Lefebvre retrace comment des enseignants-visiteurs élaborent des contextes autour des objets observés, il identifie les apprentissages que provoquent cette élaboration et les gains personnels qui en découlent. B. et H. Lefebvre étudient la réaction des mêmes visiteurs aux guides muséaux. Ils soulignent qu’une présentation prématurée d’information les prive d’un contact direct avec les objets et appauvrit d’autant leur expérience. Pour ces huit auteurs, les connaissances précédentes sont nécessaires, mais non suffisantes à la création d’interventions éducatives. Elles permettent tout au plus de connaître les attentes du visiteur, sa façon d’aborder les objets muséaux et les gains qu’il peut en tirer. En d’autres termes, elles ne sont qu’un repère pour créer un niveau de tension optimal chez le visiteur. Pour compléter l’intervention, il faudrait trouver le moyen de créer cette tension et de l’utiliser au bénéfice du visiteur. INTERVENTION ÉDUCATIVE ET ÉVALUATION AU MUSÉE Un débat célèbre oppose au début du siècle Benjamin Ives Gilman, secrétaire du Boston Museum of Fine Arts à John Cotton Dana, directeur du Newark Museum: suffit-il de montrer les objets muséaux pour améliorer les 254 INTRODUCTION moeurs et le goût des visiteurs ou faut-il, en plus, souligner certains aspects de ces objets et fournir de l’information sur leur signification? La position de Dana est maintenant acceptée dans presque tous les musées, qu’il s’agisse de musées de science, d’anthropologie, d’histoire ou même d’art. L’objet muséal ne possède toute sa valeur éducative que si le concepteur d’exposition permet au visiteur de relier l’objet qu’il regarde à ce qu’il sait déjà (Hooper-Greenhill, 1983). Ce lien peut être facilité de plusieurs façons, entre autres par l’information écrite ou par l’intervention d’un guide. B. et H. Lefebvre étudient l’influence de cinq types de guide sur la satisfaction de visiteurs adultes. C. Du Sablon et G. Racette ainsi que S. Boucher considèrent l’intervention éducative dans un contexte beaucoup plus large, soit celui des visites scolaires d’écoliers et l’intégration des programmes muséaux aux programmes scolaires. Leurs études décrivent les rôles respectifs du musée et de l’école, les éléments fondamentaux d’un programme conjoint, une conception de la pédagogie propre à un tel programme et des critères d’évaluation des gains cognitifs et affectifs des écoliers. Puis, C. Du Sablon et G. Racette explorent les résultats d’une expérience tentée auprès de classes de cinquième année. La composante évaluative du texte de C. Du Sablon et G. Racette reflète une préoccupation du milieu muséal. Comme le milieu scolaire, celui-ci veut saisir l’influence de ses interventions éducatives sur les publics qu’il accueille. Mais à cause de la spécificité de sa situation, le musée ne peut utiliser directement les critères et les outils d’évaluation élaborés par l’école. A. Newlands aborde le problème de l’évaluation dans un musée d’art et expose les difficultés inhérentes à l’identification de ce qui doit y être évalué. Elle décrit les moyens pris par le Musée des beaux-arts du Canada pour connaître l’efficacité des dispositifs pédagogiques utilisés dans les salles canadiennes et les gains des visiteurs dans celles-ci. J.G. Donald n’envisage que l’évaluation de l’apprentissage. Elle examine deux indicateurs développés dans les musées: le pouvoir d’attraction d’un objet (attracting power) et son pouvoir de retenir le visiteur (retaining power), puis elle suggère une série d’indicateurs empruntés à l’éducation scolaire qu’elle critique en fonction des exigences du milieu muséal. INTÉGRATION DE LA FONCTION ÉDUCATIVE PARMI LES AUTRES FONCTIONS DE L’INSTITUTION MUSÉALE La place occupée par l’éducation dans un musée dépend du rôle de celui-ci dans la société, mais aussi de l’importance accordée par le musée respectivement à l’éducation, à la collection, à la conservation et à l’étude des objets. J. Trudel analyse les facteurs organisationnels responsables de l’intégration de l’éducation parmi les autres fonctions du musée. Il note que cette intégration demeure, encore maintenant, “un problème majeur,” parce que l’éducation, “c’est plus que la somme des compétences de ses éducateurs ou INTRODUCTION 255 que le nombre des autobus scolaires qui s’arrêtent à sa porte; c’est avant tout un état d’esprit, une conscientisation profonde qui doit imprégner tous ceux qui y oeuvrent. C’est (. . .) savoir se dégager de ses propres intérêts pour être empathique aux publics visés.” “Le degré d’intégration de la fonction éducative dans un musée” est attesté par “les techniques de présentation des expositions” et “par les textes et le matériel de soutien fourni aux visiteurs.” Il transparaît même dans le choix des publications et des objets vendus dans la librairie ou la boutique du musée. IMPLICATIONS Dans les onze textes présentés, on retrouve une approche globale, structurale et dynamique du fonctionnement du visiteur adulte ou enfant. Cette approche est tantôt implicite, tantôt explicite. L’expérience du visiteur, un phénomène à considérer dans sa globalité et dans sa structure S. Boucher, E. Chamberland, C. Dufresne-Tassé, C. Du Sablon, T. Lapointe, A. Lefebvre, C. Morelli, G. Racette et A. Weltzl-Fairchild considèrent explicitement le fonctionnement du visiteur comme un phénomène global et traitent son apprentissage comme un sous-produit de ce fonctionnement. E. Chamberland, C. Dufresne-Tassé, T. Lapointe, C. Morelli ainsi que A. Weltzl-Fairchild décrivent des outils qui permettent d’analyser le fonctionnement du visiteur dans cette optique et selon sa structure. Cette approche globale et structurale est l’une des issues à l’impasse créée par les conceptions behavioristes et phénoménologiques qui dominent présentement l’éducation muséale. Selon la conception behavioriste, l’éducateur est responsable des apprentissages du visiteur. Ce dernier ne devrait donc apprendre que ce qu’on a prévu pour lui. C’est, de toute évidence, prêter à l’éducateur un pouvoir qu’il n’a pas. Au musée, les visiteurs apprennent mille choses imprévues et ne retiennent guère ce que l’on tente de leur enseigner. Selon la conception phénoménologique, l’éducateur ne peut influencer les visiteurs de façon importante ni prévisible si ceux-ci sont libres de leur fonctionnement parce que leurs réactions, déterminées par des connaissances et des expériences différentes, forment en quelque sorte une série infinie. Toute intervention pédagogique basée sur l’une ou l’autre de ces conceptions doit contraindre le visiteur. Une intervention d’inspiration behavioriste contraint le visiteur en vertu du rôle prêté à l’éducateur, une intervention d’inspiration phénoménologique, pour gérer l’exubérance du visiteur. Dans les deux cas, l’intervention va à l’encontre de la situation muséale et des désirs du visiteur (au moins, de ceux du visiteur adulte, comme l’a observé Dufresne-Tassé, 1990). Ce problème a des causes différentes dans les deux approches. Dans l’approche behavioriste, il tient à la place centrale accordée à un sous- 256 INTRODUCTION produit du fonctionnement global du visiteur, l’apprentissage, plutôt qu’au fonctionnement lui-même. Dans l’approche phénoménologique, il tient à l’importance accordée au contenu de l’expérience du visiteur plutôt qu’à sa structure. Si, comme l’a observé Dufresne-Tassé (1990), un fonctionnement psychologique harmonieux et productif s’avère le bénéfice le plus important d’une visite au musée, du moins pour un adulte, il n’est plus nécessaire de contraindre le visiteur à réaliser des séries d’apprentissages. Si l’on ramène l’expérience du visiteur à sa structure, à des activités comme décrire, structurer, interpréter (voir A. Weltzl-Fairchild) ou à des opérations comme identifier, saisir, évaluer (voir C. Dufresne-Tassé, T. Lapointe, C. Morelli et E. Chamberland), cette expérience peut être délimitée et prévue. Une approche globale et structurale du fonctionnement du visiteur semble donc une conception de rechange intéressante pour l’éducation muséale. L’expérience du visiteur, un élément dynamisant pour le musée On a vu que l’intervention éducative ne saurait se limiter à supporter le fonctionnement du visiteur. Tout en respectant les capacités et les besoins de celui-ci, elle doit créer une tension. La création de cette tension est possible parce que l’institution muséale regroupe une série d’experts dont la fonction est de formuler les multiples significations que possèdent les objets de ses collections (Prince, 1985). Cette expertise multiforme suppose une recherche incessante et originale sur les objets à acquérir et à conserver, sur la façon de les préserver et de les interpréter. Comme le montre Pearce (1985, 1986a, 1986b, 1986c) dans son étude du travail du conservateur, la recherche muséale est une recherche originale, du fait qu’elle porte avant tout sur des objets. L’éducation est la synthèse des résultats de cette recherche. L’utilisation de cette synthèse est au profit du public visiteur, de ceux qui ont participé à son élaboration et des institutions avec lesquelles le musée est en rapport. L’éducation ne saurait donc se substituer aux autres fonctions du musée. Elle ne peut que profiter de leur vitalité. RÉFÉRENCES Blum, A. (1946). Le Louvre, du Palais au musée. Genève-Paris-Montréal: Éditions du milieu du monde. Bourdieu, P. (1979). La distinction, critique sociale du jugement. Paris: Les Éditions de Minuit. Bourdieu, P. et Darbel, A. (1969). L’amour de l’art: les musées européens et leur public. Paris: Les Éditions de Minuit. Boissan, J. et Hitier, G. (1982). La vulgarisation dans les musées scientifiques: résultats d’une enquête au Palais de la Découverte. Revue française de pédagogie, 61, 29–44. INTRODUCTION 257 Carr, D. (1985). Self-directed learning in cultural institutions. In S. Brookfield (Ed.), Self-directed learning: From theory to practice (New Directions for Continuing Education No. 25) (pp. 51–61). San Francisco: Jossey-Bass. Dufresne-Tassé, C. (1990, novembre). Approches didactiques et âge des visiteurs. Communication présentée au colloque “À propos des approches didactiques au musée,” Montréal. Falk, J.H., & Balling, J.D. (1982). The field trip milieu: Learning and behavior as a function of contextual events. Journal of Educational Research, 76, 22–38. Hooper-Greenhill, E. (1983). Some basic principles and issues relating to museum education. Museums Journal, 83, 151–156. Lewis, B.N. (1980). The museum as an educational facility. Museums Journal, 80, 151–155. Miles, R.S., Alt, M.B., Gosling, D.C., Lewis, B.N., & Tout, A.F. (1982). The design of educational exhibits. London: George Allen and Unwin. Pearce, S. (1985). Thinking about things. Museums Journal, 85, 198–201. Pearce, S. (1986a). Objects, high and low. Museums Journal, 86, 79–82. Pearce, S. (1986b). Objects as signs and symbols. Museums Journal, 86, 131– 135. Pearce, S. (1986c). Objects in structures. Museums Journal, 86, 178–181. Prince, D.R. (1985). The museum as dreamland. International Journal of Museum Management and Curatorship, 4, 243–251. Veron, E. et Levasseur, M. (1983). Ethnographie de l’exposition: l’espace, le corps, le sens. Paris: B.P.I./Centre Pompidou. Sur les finalités de l’utilisation pédagogique des musées Pierre Ansart université paris VII La pédagogie muséale vise, entre autres, à ouvrir le musée à tous les enfants afin de leur faire découvrir des univers différents sur le mode actif. Mais la finalité sur laquelle cet article s’attarde est celle qui consiste à former la sensibilité de l’enfant. Ainsi, l’auteur montre comment une visite au musée bien réalisée peut contribuer à développer chez l’enfant des sentiments positifs à l’égard des objets présentés et, plus largement, à l’égard du monde humain présenté. Le musée peut en outre favoriser le développement d’attitudes affectives par rapport au temps de même qu’il peut aider à façonner des identités individuelles et collectives. Finalement, la didactique muséale initie l’enfant à l’autodiscipline dans le plaisir en lui apprenant simultanément à être actif au musée et à respecter les objets qui s’y trouvent. Museum education seeks to open up the museum to children, inviting them to discover whole new worlds. Among the objectives of museum education, I wish particularly to consider the formation of children’s sensibilities. A well-planned museum visit encourages children to have positive feelings for objects seen, and more broadly speaking, to acquire a sense of what it is to be human. The museum may also promote certain attitudes to time, and to identity, whether collective or individual. In short, museum education initiates children into pleasurable self-discipline, helping them to be active while in the museum and to respect the objects found there. Ce sont assurément les spécialistes de muséologie, qu’ils soient enseignants, conservateurs ou responsables de services éducatifs dans les musées, qui sont les mieux à même de réfléchir sur les finalités de l’utilisation pédagogique des musées et d’en analyser les difficultés de réalisation et, par là, d’en mesurer l’applicabilité. Néanmoins, s’agissant des finalités de la muséologie dans leur généralité, il n’est pas paradoxal de penser que tout citoyen, intéressé par les questions de la culture, peut valablement être consulté sur un tel sujet. Le musée est, en effet, un lieu éminent de la culture, ce lieu où se réalisent de multiples choix et projets hautement significatifs, et un relai permanent de significations culturelles. À ce niveau, tout citoyen, soucieux de la culture et s’interrogeant sur la diffusion des savoirs et des images, est concerné par les musées et par les modèles didactiques d’utilisation des musées. C’est donc 258 REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION 16:3 (1991) FINALITÉS DES MUSÉES 259 à ce titre, en tant qu’amateur éclairé que j’interviens sur ce vaste sujet, et sans prétendre solliciter la compétence des muséologues. De plus, le regard sociologique, attentif à observer les pratiques sociales et les comportements de fréquentation, peut apporter quelques insistances utiles en la matière, même s’il ne s’agit là que d’une entrée parmi d’autres approches. C’est donc à ce double titre d’amateur des musées et de sociologue que je proposerai quelques réflexions sur la didactique muséale. À la fin du mois d’octobre 1985, s’est déroulé à l’Université du Québec à Montréal un colloque sur Les modèles didactiques d’utilisation des musées. Ce fut un lieu de débats, d’échanges entre conservateurs et enseignants, entre éducateurs de musée et historiens d’art, et tous, selon leur propre perspective, ont nécessairement rencontré, directement ou indirectement, cette question permanente—et, en quelque sorte, préliminaire—des finalités, des buts généraux, des raisons d’être des utilisations des musées par les élèves du primaire et du secondaire. Depuis cette date, les actes de ce colloque ont été publiés (Racette, 1986); ils contiennent quelque trente interventions qui ouvrent de nombreuses pistes de réflexion, posent des problèmes ou exposent directement des modèles didactiques. On trouvera dans ce volume les matériaux d’une large réflexion sur les finalités des didactiques muséales. J’avais été invité alors à réfléchir sur ce thème: je souhaiterais reprendre ici certaines réflexions que j’avais alors exposées et profiter de l’occasion qui m’est offerte pour les poursuivre. André Lefebvre, dans l’intervention qu’il avait faite au cours de ce colloque, avait mis en relief les Difficultés de la pédagogie muséale. Difficultés multiples, en effet, et dont certaines apparaissent clairement si l’on confronte cette pédagogie muséale et la fréquentation effective des musées. . . . Si l’on confronte les finalités de cette pédagogie et le contexte social qui est celui des enfants d’aujourd’hui. De ce point de vue, les finalités de la pédagogie muséale ont bien un véritable caractère polémique—au meilleur sens du terme; elles ont une vocation culturelle spécifique. Dans l’intervention que j’avais proposée lors de ce colloque, j’avais pris pour point de départ les simples constats de la fréquentation des musées. C’est, en effet, ce que les sociologues ont le mieux étudié et analysé: qui visite les différents musées? Comment? Avec quelles fréquences et durées? Dans quelles conditions? Or ce que nous vérifions dans toutes les enquêtes de ce genre, que ce soit en Europe ou dans les Amériques, c’est combien cette fréquentation des musées est inégale selon les milieux sociaux, selon les niveaux culturels, selon les classes sociales. L’enquête de Pierre Bourdieu, en France, publiée sous le titre L’amour de l’art était tout à fait éclairante sur ce point (Bourdieu et Darbel, 1966). C’est pourquoi le simple fait d’ouvrir le musée aux enfants, c’est-à-dire à tous les enfants (et c’est au principe même des pédagogies muséales) s’inscrit dans une véritable action culturelle. 260 PIERRE ANSART Ce simple projet—de faire découvrir l’univers des musées aux élèves— est bien, malgré son apparente évidence, un projet qui va à contre-courant de la réalité quotidienne. Nous entraînons les enfants là où nombre de parents ne vont pas ou même refusent d’aller. Et, en cela, nous pourrions dire que nous défendons une cause que nous croyons bonne, une sorte d’idéologie— au sens positif du terme—, si nous entendons par là un système de valeurs et de finalités pratiques, une vision des fins, pouvant dépasser la réalité et ses limites. Nous militons, pourrait-on dire, pour le droit au musée, pour que les élèves, tous les élèves, aient le droit d’entrer effectivement dans ces lieux étranges, comme peuvent le faire les privilégiés de la culture, les détenteurs de capital culturel, comme disent les sociologues. Et, comme nous savons bien qu’en atteignant les enfants, nous atteignons aussi les parents, les familles, nous préparons ainsi une diffusion, une extension, de la fréquentation des musées—les didacticiens en muséologie oeuvrent pour que les musées entrent dans la vie quotidienne future—pour que la fréquentation des oeuvres d’art, des oeuvres scientifiques, techniques, cesse d’être exceptionnelle et pour qu’elle devienne l’une des formes de la vie quotidienne de demain. D’autre part, la pédagogie muséale vise à faire découvrir des univers différents, des mondes éloignés ou très éloignés de l’expérience dans le temps et dans l’espace: faire découvrir les arts ou les techniques de la Chine ancienne ou de la Nouvelle France. Cette multiplication des découvertes est encore plus étendue qu’elle ne l’était voici trente ans; de nouveaux thèmes de musées ont été élaborés et permettent de faire découvrir des personnages du passé, des moments ou des évolutions historiques, des sciences, des techniques, des costumes, des arts dits populaires. Ces musées nous entraînent en de multiples univers-autres. On pourrait dire que les médias actuels (et le cinéma) font aussi découvrir aux enfants des sociétés lointaines, des arts ou des modes de vie d’autrefois. Mais, là encore, la finalité de l’utilisation des musées va à contre-courant; elle se différencie de cette consommation médiatique et peut y rencontrer plutôt un véritable obstacle. Car, si l’enfant est habitué par le cinéma ou la télévision à voir un temple grec ou une technique agricole du XVIIIème siècle, c’est en tant que consommateur d’images, spectateur passif et docile, habitué à subir le défilé des images faciles et rapidement oubliées. La découverte pédagogique du musée s’inscrit dans une relation profondément différente: dans un rapport actif, mobile, personnel. Il est dans la logique de l’utilisation du musée de placer l’enfant dans une démarche active, de lui permettre de comprendre et de voir par lui-même, de s’interroger et de poser de nouvelles questions. Les modèles didactiques ont ainsi à lutter contre des habitudes de consommation journellement renouvelées. Apprendre non seulement à voir, mais bien à regarder, à s’arrêter, à s’interroger sur ces objets éventuellement insolites, à faire de cet objet le point de départ d’un cheminement dans FINALITÉS DES MUSÉES 261 l’imaginaire. L’objet de musée, qu’il s’agisse d’une oeuvre d’art ou d’un attelage au Musée du Cheval à Chantilly, est éminemment propice à ces voyages imaginaires en ce qu’il exclut son usage direct, son maniement et sa destruction. L’objet impose distance, il rompt la fonctionnalité commune, et tout l’art de la présentation, de l’exhibition, participe à cette mise en oeuvre de l’imaginaire et à son enrichissement. Il s’agit bien de faire découvrir des univers, d’autres univers, de faire accomplir des voyages imaginaires, mais sur le mode actif, sur le mode de la découverte et de la démarche personnelles. Et en cela des méthodes didactiques élaborées sont indispensables pour faire accomplir ces ruptures par rapport à la passivité habituelle. La troisième finalité que je souhaiterais évoquer est celle qui est souvent exprimée dans les déclarations d’intention lorsque l’on souligne que les didactiques muséales visent à éduquer, à former la sensibilité des enfants. Et nous souhaitons, en effet, par les visites des musées, communiquer à l’enfant de nouvelles émotions, face à une architecture, face à un instrument du travail rural d’autrefois, face à une poterie antique. Et c’est bien, en effet, ce qui se produit au cours de ces découvertes des musées (ou en dehors des pratiques organisées, bien entendu); nous voyons tel enfant s’extasier, être comme fasciné par la nouveauté, par l’énormité, par l’étrangeté de telle machine, de telle oeuvre d’art, ou par le caractère insolite d’une sculpture moderne. Dans son intervention au colloque de 1985, Geneviève Racette donnait d’admirables exemples de ces cris, de ces émotions d’enfants devant tel objet ou tel monument (Racette, 1986). Et c’est sur cette dernière finalité—que l’on peut qualifier d’affective— que je voudrais maintenant m’attarder, sans prétendre épuiser un sujet aussi complexe, mais seulement pour poser quelques jalons pour la réflexion. Retenons tout d’abord que les musées d’aujourd’hui (si éloignés des sombres galeries d’autrefois) ont aussi pour but majeur de susciter des émotions positives. C’est bien l’un des buts essentiels de tous ces efforts faits pour rendre les musées plus agréables, plus confortables, plus séduisants. C’est bien du plaisir qu’il s’agit et l’on vise à susciter tous les plaisirs esthétiques et intellectuels. Et, s’agissant de pédagogies muséales, c’est bien le plaisir, l’émotion heureuse que l’on cherche à susciter, même si d’autres fins, plus cognitives, sont aussi poursuivies. Mais nous pouvons valablement supposer qu’en communiquant ces émotions ponctuelles, nous favorisons aussi la formation de la sensibilité de l’enfant. Nous pouvons supposer que nous participons à la formation d’attitudes affectives qui auront quelque prolongement dans la vie de l’enfant devenu adulte, dans la formation de ce que certaines sociologues appellent, d’un vieux mot latin, l’Habitus, système de connaissance et de perception, mais aussi système d’attitudes affectives que l’adulte reproduira, en quelque sorte inconsciemment, dans les situations nouvelles qu’il rencontrera. 262 PIERRE ANSART Ce terme d’Habitus est surtout utilisé par Pierre Bourdieu pour désigner les systèmes de perception et de pensée que nous acquérons de façon informelle dans l’enfance et qui est propre, selon cet auteur, à chaque classe sociale. L’enfant des milieux populaires acquiert tout un ensemble de manières d’être et d’agir, différent des manières d’être et d’agir de l’enfant élevé dans un milieu bourgeois. Ce n’est pas ici le lieu de discuter les thèses de Pierre Bourdieu, mais nous pouvons très librement reprendre cette idée d’Habitus en l’appliquant aux attitudes affectives et réfléchir sur ces manières de sentir, d’éprouver et de réagir, qui sont largement répandues dans un groupe social. Nous prenons vivement conscience de ces sensibilités collectives lorsque nous découvrons, en d’autres sociétés que la nôtre, des réactions ou des sentiments qui heurtent notre sensibilité. Nous pouvons ainsi, avec bien des nuances et des subtilités, repérer dans notre milieu social, une sensibilité commune, un ensemble d’attitudes affectives qui nous portent à aimer, à tolérer, à nous indigner de façons relativement comparables et compatibles. Toute culture transmet ainsi un ensemble organisé d’attitudes affectives: attachement à . . ., respect de . . ., hostilité contre. . . . Assurément, les sociétés d’autrefois, les sociétés sans écriture transmettaient des habitus affectifs plus homogènes, beaucoup moins diversifiés que ceux de nos sociétés plurielles et hétérogènes. Or l’une des leçons essentielles de Freud fut précisément de montrer combien le contexte affectif, combien les expériences émotionnelles dans lesquels l’enfant se développe—durant les dix premières années de sa vie— sont essentielles, déterminantes, pour son développement intérieur; et combien les traumatismes subis pendant l’enfance marquent la totalité de la personne, et qu’au contraire, un contexte affectif équilibré fournit à l’enfant les meilleures conditions pour son équilibre ultérieur. Ce bref détour par la sociologie et la psychanalyse nous permet de nous rappeler combien importent ces expériences affectives initiales, ces contextes relationnels et affectifs de l’enfance. Il nous rappelle toute l’importance de cette formation progressive de la sensibilité. Or la pédagogie muséale a aussi pour finalité de procurer à l’enfant des expériences émotionnelles positives, des moments heureux—ou, à tout le moins d’agrément et de plaisir—et, si possible et pour certains, des moments d’émerveillement. Disons, d’un mot, que l’utilisation du musée vise (aussi et parmi d’autres finalités, bien entendu) à procurer des plaisirs, et, par là, à favoriser des attachements; elle tend à faire apprécier, à faire aimer. Que les moyens didactiques de qualité visent bien à réaliser cette finalité, tendent à favoriser les attachements, à faire aimer . . . j’en prendrai pour preuve le guide pédagogique, pour visiter le Musée historique de l’Ile Sainte-Hélène, édité par Michel Allard et Suzanne Boucher (Allard et Boucher, 1988). Il s’agit, assurément, par ce guide, de faire connaître, d’éveiller la curiosité, de développer des connaissances, mais ce n’est pas cet aspect cognitif que j’ai choisi de souligner. Ce que je voudrais mettre en FINALITÉS DES MUSÉES 263 relief c’est bien cette orientation des textes et des images qui tend à favoriser la formation des sentiments—de sentiments positifs à l’égard des objets présentés, à l’égard des exhibits, et, plus largement, à l’égard du monde humain présenté. En reprenant très librement les métaphores de la psychanalyste Mélanie Klein, on pourrait dire que le guide pédagogique vise à faire aimer, à faire intérioriser de bons objets. Dans ce vocabulaire, le terme d’objet doit, certes, être pris dans un sens très général et métaphorique. On dira que la mère doit être pour l’enfant un bon objet et qu’il est urgent que les premières expériences de l’enfant soient affectivement positives et marquées par cette intériorisation du bon objet. Mais l’on peut, je pense, reprendre cette indication,—sur le cas, certes, moins décisif pour l’enfant qu’est l’apprentissage muséal—et dire que le guide vise à faire, des objets du musée, de bons objets à admirer, à aimer, à intérioriser. Dans le cas présent, les sentiments positifs que l’on vise à susciter sont d’autant plus importants qu’il s’agit de la question des origines (d’où venons-nous?). On sait combien les mythes et les idéologies ont répondu de façon enchantée à ce problème de l’origine (nous sommes fils de la Terre dit un mythe—fils de Dieu dit la religion—ou descendants des Gaulois, pour une idéologie nationale). Mais nous savons aussi combien la bonne réponse est essentielle pour chacun, essentielle pour l’équilibre, pour la confiance en soi, pour la constitution de la bonne image de soi. Ce guide vise bien à réaliser cette finalité: donner à l’enfant une bonne image de sa propre origine historique, image poétique et conciliée, et, par là, une bonne image de soi. Le titre même est significatif de la réalisation de cette finalité: La descouverture du chemin qui marche, titre qui contient à la fois la poésie de l’étrangeté rendue familière (la descouverture), la poésie de l’image du chemin—mais dont l’enfant saura qu’il s’agit de l’appellation du fleuve Saint-Laurent par les Amérindiens; titre qui annonce la rencontre entre les Amérindiens et les nouveaux arrivants, sur le mode de la conciliation. Et tout au long de ces pages, ces objets, ces traces, vont s’animer, être rendus significatifs, étranges mais compréhensibles, différents et familiers, rendus aimables. Ce guide illustre bien, me semble-t-il, cette finalité affective dans ce domaine si important qu’est la conciliation avec la propre origine. Et, peut-être, est-ce l’un des devoirs des adultes que de donner à l’enfant une bonne image de son origine? Une autre dimension de cette formation de la sensibilité concerne ce que nous pourrions appeler l’appréhension affective du temps. Là encore, nous pouvons dire que chaque culture inculque, de façon explicite et, plus encore, de manière implicite, un ensemble d’attitudes affectives par rapport au passé, au présent et au futur. Des religions pouvaient favoriser une attitude positive à l’égard d’un futur lointain de parousie et de réconciliation universelle. Les philosophies du progrès participaient à la formation d’une sensibilité très optimiste à l’égard du futur et dévaluatrice 264 PIERRE ANSART à l’égard du passé. Récemment, nous avons entendu de multiples discours alarmistes qui annonçaient la catastrophe nucléaire, la crise mondiale ou les désastres de la pollution. Ainsi ne cessent de se former des attitudes heureuses ou angoissées à l’égard du passé et du futur. Les musées ne cessent d’évoquer le temps. La plupart évoquent le passé, les oeuvres ou les objets familiers des temps passés; d’autres, moins nombreux, évoquent le futur par le biais des possibilités scientifiques ou techniques. Dans cette éducation des sensibilités face au temps, le musée peut avoir des fonctions importantes. Certes, le musée peut contribuer à faire comprendre les successions et les chronologies, mais il peut aussi contribuer à former les attitudes affectives par rapport au temps et aux temporalités. On pourrait dire, d’un mot, que les musées apprennent à aimer le passé. Ils rendent intéressant, rassurant aussi pour l’enfant, ce passé où les humains, peut-être ses ancêtres, ont produit, inventé, surmonté des défis. On peut dire que chaque visite au musée réactive en nous notre intérêt pour les oeuvres du passé. Mais il ne s’agit pas seulement d’amener l’enfant à reconnaître des fragments du passé, il s’agit de lui permettre d’apprivoiser le temps, de charger de positivité son rapport au passé avec toutes les conséquences multiples de cette attitude rassurée et positive. Et, de même, de façon peut-être volontariste, les musées de sciences et de techniques visent à concilier l’enfant avec son futur, à lui procurer une attitude de curiosité positive vis-à-vis des pouvoirs et des possibilités humaines. Et, à travers ces éducations informelles, sont évidemment en question les attitudes existentielles de chacun, et l’aptitude au bonheur. Nous touchons aussi, et inéluctablement, à la question des identités individuelles et collectives. S’agissant des identités individuelles, la pédagogie muséale y participe nécessairement par le biais des identifications qu’elle suscite. On le voit, par exemple, dans notre guide pédagogique qui met en scène deux personnages imaginaires (Alexis Hébert et Rosalie Fontaine) auxquels les garçons et les filles ne manqueront pas de s’identifier provisoirement. Il s’agira bien d’identifications positives à des personnages qualifiés sympathiquement. Il s’agit ici, et de façon particulièrement claire puisqu’il s’agit d’un musée historique, d’amener l’enfant à faire des expériences identificatoires positives, et, dans une certaine mesure structurantes—de l’aider, de façon, certes limitée, mais dont nous ne saurions mesurer toutes les conséquences, proches ou lointaines—à se former une identité favorable, à parvenir à la constitution d’une bonne image de soi. Du point de vue des identités collectives, il est clair que ce guide pédagogique y contribue aussi, non de façon ostentatoire, mais sur le mode familier et, pourrait-on dire, convivial. Il s’agit de découvrir d’autres usages de la Nouvelle France et les enfants vont renforcer ce référent commun que sera leur connaissance, leur familiarité positive avec la Nouvelle France. Nous rappelions au début de ce texte que la fréquentation des musées est une pratique très inégalement répartie dans nos sociétés; elle reste une FINALITÉS DES MUSÉES 265 pratique distinctive. Et, en amenant tous les enfants à utiliser les musées, nous allons à l’encontre de ces différenciations, nous leur donnons à tous une pratique commune. Nous favorisons la formation de référents communs, de souvenirs communs, mais aussi de goûts communs. La visite du musée prend place dans cette formation délicate et surtout informelle qu’est la formation du goût. Nous favorisons la formation de goûts communs qui favoriseront les socialités, les complicités et les ententes tacites. Cependant, si nous favorisons la formation d’une communauté de sensibilité, il ne s’agira pas d’une identité simple inculquée à des sujets passifs. Le lieu même du musée, par la variété de ses objets favorise la diversité des intérêts. Le guide est aussi construit pour réaliser cette finalité; on peut prévoir que certains garçons seront plus sensibles à tels exhibits, que certaines filles le seront à d’autres, et que se formeront des petits groupes aux réactions différentes. Ainsi la formation d’une sensibilité commune permet aussi à chacun de réagir personnellement et conduit donc à l’enrichissement des sensibilités individuelles. Au-delà de l’éducation des attachements et des identités, une troisième dimension affective pourrait être évoquée, celle qui concerne l’éducation du rapport actif et à son contrôle. En effet, la didactique muséale insiste sur l’activité de l’enfant, elle insiste sur la découverte et sur le cheminement, mais en lui apprenant simultanément à contenir son action par le respect des objets. Notre guide pédagogique le rappelle à plusieurs reprises: ‘‘—Sois prudent et manipule les objets avec grand soin’’ (Allard et Boucher, 1988, p. 47 et suivantes). Cette invite est riche d’implications: elle rappelle que l’objet de musée est bien particulier. Ce n’est pas un objet jetable; ce n’est pas une marchandise qu’on achète et qu’on jette après usage. C’est un objet exceptionnel que l’on a décidé de conserver et de protéger, d’arracher au temps et à l’usure, qui est, à des degrés divers, précieux. ‘‘—Sois prudent . . .,’’ c’est-à-dire respecte les objets (et, implicitement, respecte les significations qu’ils incarnent), ne te laisse pas aller à tes mouvements impulsifs, à tes curiosités incontrôlées. Il y a des choses qu’il faut savoir respecter, il y a des gestes impulsifs qu’il ne faut pas avoir. L’objet d’art, de science ou de technique, est là pour être admiré, aimé, à condition d’une autodiscipline. Et, certes, le musée n’est pas le seul lieu où s’apprend le respect, le contrôle de soi, l’autodiscipline. Mais le musée procure un ensemble de situations différentes puisqu’il s’agit de respecter au sein d’une expérience d’agrément, au sein d’une expérience hédoniste, de mêler le contrôle au plaisir, le respect à la satisfaction. Il s’agit, en quelque sorte, d’introduire l’autodiscipline dans le plaisir, ce qui est, pourrait-on dire l’enfance de l’art et une éducation du plaisir. 266 PIERRE ANSART Enfin, on peut ajouter que ces expériences, si elle sont réussies, pourraient être, pour beaucoup, des sources de satisfactions futures. Si ces expériences réussissent à fournir des occasions de plaisir, on peut prévoir que beaucoup les retrouveront plus tard, et les renouvelleront avec d’autant plus de facilité qu’ils retrouveront des satisfactions familières et déjà ressenties. Ainsi leur aura-t-on créé aussi une mémoire heureuse pour leurs lendemains. RÉFÉRENCES Allard, M. et Boucher, S. (1988). La descouverture du chemin qui marche. Montréal: Les éditions Noir sur Blanc. Bourdieu, P. et Darbel, A. (1966). L’amour de l’art: les musées et leur public. Paris: Éditions de Minuit. Racette, G. (dir.) (1986). Musée et éducation: modèles didactiques d’utilisation des musées. Montréal: Société des musées québécois. Pierre Ansart est professeur à l’U.F.R. Didactique des disciplines et à l’U.F.R. de Sciences Sociales, Université Paris VII, 2 place Jussieu, 75251 Paris Cedex 05. Describing Aesthetic Experience: Creating a Model Andrea Weltzl Fairchild concordia university As part of a large research project on visitors’ response to and benefits from museum experiences, this study considered different paradigms of aesthetic experience. Applying various models, it analyzed transcripts of adults’ remarks during their visit to a fine arts museum. Three of the models are empirical, and two come from a developmental perspective. Research shows that age and exposure to art are significant factors in aesthetic response. A fourth, theoretical model charts individuals’ sequences of responses. Having assessed these models, I propose an alternative model that incorporates some features of the theoretical model into the empirically constructed ones. S’inscrivant dans une vaste recherche sur la réaction des visiteurs à des expériences muséales et les avantages qu’ils en retirent, cette étude a porté sur divers paradigmes d’expérience esthétique. À l’aide de divers modèles, j’ai analysé les propos d’adultes en visite dans un musée des beaux-arts. Trois des modèles sont empiriques et deux sont issus d’une perspective développementale. La recherche démontre que l’âge et les contacts avec l’art jouent un rôle important dans la réponse esthétique. Un quatrième modèle, théorique, permet d’établir les séquences de réponses des visiteurs. Après avoir évalué ces modèles, j’en propose un autre, qui intègre certaines caractéristiques du modèle théorique. Recently, art educationists have shown interest in revising the art curriculum in Quebec (ministère de l’Éducation du Québec, 1981), in the United States (Beyond Creating: A Place For Art in America’s Schools, 1985), and in the British Isles (The Arts in the Schools, 1982). These proposals call for an extended art curriculum including art history and aesthetics as well as art making. Earlier research in art education emphasized development as shown in children’s drawing and painting. Lowenfeld (1947) proposed stages of graphic development linked to Piaget’s stages of cognitive development. However, not much research has been carried out on how people respond to works of art. A more recent conception of art teaching relies on new models of curricula and new models of behaviour: specifically, art curricula should embody not only the model of working artist but also that of art historian, art critic, and aesthetician. This is referred to as ‘‘Discipline Based Art Education’’ in the United States (Smith, 1989). This recent shift of emphasis 267 CANADIAN JOURNAL OF EDUCATION 16:3 (1991) 268 ANDREA WELTZL-FAIRCHILD to responding to art as well as to art making, raises the questions of what constitutes an aesthetic experience, whether there is a similar developmental sequence in aesthetic response as in graphic development, and what the factors are that influence change when it occurs. During research on adult visitors’ responses in different museum settings, I had access to transcripts of adults’ remarks during their visits to the Montreal Museum of Fine Arts. These data contributed to the attainment of one of the goals outlined above—to investigate the constituents of an aesthetic experience. The aim of this paper is to review models of aesthetic experience in the literature, to assess the application of these models to this research, and to propose an alternative model based on the results of the assessment. PARSONS’ MODEL For some time, Parsons (1986) has been trying to account developmentally for viewers’ aesthetic responses, but without leaning too heavily on Piaget’s cognitive theory or on Kohlberg’s moral development theory. He proposes that the arts are sui generis and do not need another discipline to explain them. He bases his theory on the writings of such philosophers as Habermas, who has suggested that each of moral, empirical, and aesthetic areas constitutes a domain with its own developmental history. Parsons states that his aesthetic model is normatively oriented, each response level showing an understanding of art that is ‘‘of increasing adequacy’’ (p. 109). He defines an aesthetic response as one in which cognition and emotion are ‘‘intricately related’’ (p. 108). However, he has chosen to emphasize cognition because ‘‘cognitions give shape to emotions and for that reason are the better focus for developmental analysis’’ (p. 108). Parsons also uses cognition to mean a kind of thinking in the arts different from the empirical or scientific cognition of Piaget. He does not define an aesthetic response in its totality; he is concerned to elicit responses to selected topics he thinks important in aesthetic experience. Parsons interviewed children in grades 1 to 12, questioning them on these selected topics. Their responses were then analyzed according to sense units and assigned to certain developmental levels. The topics he investigated were Semblance, Subject Matter, Feelings, Colour, Artist’s Properties, and Judgement. Based on this material, he identified five stages of aesthetic development: Favouritism, where paintings are experienced as direct stimuli of pleasure, particularly their colour and subject matter. Subject, where realism of the subject is the important consideration. Certain subjects are rejected on idiosyncratic moral grounds. Expression, where paintings are understood as metaphors for ideas and emotions and are valued for the emotions they inspire. A distinction is made between the viewer’s feelings and those in the painting. DESCRIBING AESTHETIC EXPERIENCE 269 Medium/form/style, where consideration of the artist’s intent is important. Style is a carrier of historical thought and feeling and has public significance. Knowledge of these is more important than the feelings evoked. Judgment, where the personal meaning a painting elicits is weighed within the tradition to which it belongs. This is an ongoing process of testing the values of society and those of the viewer. It was not possible to use those categories since the material collected at the Montreal Museum of Fine Arts was gathered in a non-interventionist way, and since some of them were not broached by the visitors. Also, his research was developmental and so lies somewhat outside the aim of this study. Nevertheless, Parsons’ research has opened new avenues for thinking about aesthetic response and has proved valuable in developing a philosophical-psychological theory. In this study, his model is used to develop categories of thought about aesthetic experience. HOUSEN’S MODEL Housen (1983) was dissatisfied with the methodologies of previous researchers as they used preselected questions on issues the researcher found interesting or relevant while ignoring other data. Thus she used a stream-ofconsciousness interview technique designed to elicit the totality of the participant’s aesthetic experience, hoping that spontaneous affective and cognitive categories would emerge. Housen developed a scoring manual for aesthetic response based on the categories that emerged during her research. She identified 9 domains, that is, modes of response, and 62 issues indicating either a different topic or a different level of complexity of response within a domain. In her study, participants aged from 14 to 62 years were asked to respond freely and to associate ideas while they looked at reproductions of art works. These responses were analyzed to identify categories of thought that would reveal the complex and multiple levels of response ‘‘within the context of a growing and developing mind’’ (p. 3). Thus, Housen identified five stages of aesthetic development: 1. Accountive. The viewer is egocentric. (Deals with what is in the work of art.) 2. Constructive. The viewer is aware of language of art but has no theoretical framework. (Interest is in how it was made.) 3. Classifying. The viewer has theory and decodes according to knowledge. (Deals with who and why.) 4. Reflective. The viewer searches for symbols to support emotional reactions. (Deals with the self in relation to art work.) 5. Re-creative. The viewer integrates all previous levels. (Searches for problems and offers own solution.) 270 ANDREA WELTZL-FAIRCHILD TABLE 1 Housen’s Model* Domains Issues Observation 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. randomly of objects, colour, and people generally of colours, sizes of reality based on personal criteria of photographic realism of similar groups of particular aspects of things of formal elements, and placement of relationships between formal elements of cognitive effect on viewer of affective effect on viewer of animism in the work of junction of affect in viewer and work Preference 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. based based based based based based based Association 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. random, idiosyncratic personal recollection personal aesthetic history public domain with art history facts feelings in viewer’s past universal feelings universal conditions “in-dwelling” state empathy with work/identification Evaluation Based on criteria that are: 1. personal and idiosyncratic 2. related to proficiency of artist 3. related to a single formal element 4. related to interaction of several formal elements 5. of meaning of the work 6. of emotional response to work on on on on on on on general preference random preference idiosyncratic criteria skill, technique the interrelation of formal elements meaning or concept in work viewer satisfaction with formal elements 271 DESCRIBING AESTHETIC EXPERIENCE TABLE 1 (continued) Domains Issues Comprehension 1. positive and negative comments about self-worth 2. positive and negative comments about understanding Questioning 1. 2. 3. 4. 5. 6. about about about about about about presence or absence of elements technique of artist function of elements rhetorical question to listener progress of interview underlying message Assertion 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. about about about about about about about uncontestable personal opinion perceived reality a single formal element formal analysis and summarization aesthetic history of viewer meaning of work what will happen in work Comparison 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. general, like/unlike, same/different of a single element of several properties of a category of paradoxes or dichotomies complex contrasts work and classifications outside of it different meanings and interpretations of feelings created by different parts of work Interpretation 1. 2. 3. 4. how the work signifies of significance of objects in work of suppositions about contrasting elements based on integrating metaphoric observations *Note: Summary of Housen’s scoring manual headings, 1983 When Housen’s scoring manual was used to analyze visitors’ remarks during their visit to the Montreal Museum of Fine Arts, it was reasonably easy to place their comments in appropriate domains (see Table 1), as the deconstruction of the statements is based on a semantical structure. For example, the comments beginning with ‘‘I see/note . . .’’ belong to the Observation domain, those starting with ‘‘I like/prefer . . .’’ to the Preference domain, and so on. However, comments that were not stated in a clear 272 ANDREA WELTZL-FAIRCHILD grammatical form and which ranged over many concepts and feelings were hard to classify as to domain or issues. Pulling these types of comments apart seemed to lose the totality and sense of what was meant by the person and, it can be contended, was at variance with Housen’s stated intent to examine the whole of the aesthetic experience. The scoring manual is open to criticism since it fails to show a phase of response indicating that the viewer is in a state of identification with the work of art. In the material I studied, this state is marked by pauses, difficulty in finding the right words, and often a feeling of joy. After passing through this state, the viewer is ready to make statements and ask questions. An example of this would be: [silence 12 sec.] Hum! Des petites couleurs claires . . . très joli! . . . Ça donne . . . euh . . . il me semble que j’entends les sons de cloches de vaches. (Extraits de propos de 90 visiteurs adultes au Musée des beaux-arts de Montréal, 1989) Here we can see the pause, an observation, an incoherence, and only then a statement about being present in the work, hearing sounds as well as seeing forms. It can be argued that Housen’s five-stage developmental model is essentially an hierachical one with the implication that the Recreative stage is the final and best one. In her study, viewers come to terms with feelings they have about the work, understand the rules of style and form, but feel free to disregard these rules and to recreate their own versions. Although only mature viewers, well informed about art, and connaisseurs of museums achieved this level of response in Housen’s research, this model somehow misses an important point about aesthetic experience. Although we can only respond to an art work with the material we bring to the encounter, apparently naïve viewers can also have rich and fulfilling experiences to the extent of their potential and their openness to art. These viewers do show a lack of formal knowledge about art and are often painfully aware of this: Je me demandais que c’est qu’elle faisait là, elle, là, cette toile-là, t’sais . . . c’est parce qu’il doit y avoir quelque chose, hein? . . . que moi je ne peux pas . . . je ne peux pas voir, que je ne détecte pas . . . je suis ignorant par rapport à l’art . . . [sic] (Extraits de propos de 90 visiteurs adultes au Musée des beauxarts de Montréal, 1989) Nonetheless they are experiencing an aesthetic response. By contrast, Housen’s model tends to support the view that responding to works of art in a meaningful way is possible only for an educated and knowlegeable élite. HORNER’S MODEL Moving away from empirically-defined models of aesthetic experience, we turn to a theoretical model that describes the different levels of response a viewer might experience while involved with a work of art. Horner (1988) was DESCRIBING AESTHETIC EXPERIENCE 273 interested in describing the specific and idiosyncratic response of the individual rather than in proposing a developmental model. His theory is in the Post-Modernist tradition that argues that aesthetic experience should focus on discovering what the viewer brings to the experience as well as what the viewer can discover about the fixed meanings embedded in the work of art. ‘‘Meaning does not pre-exist in art works; nor does it pre-exist in a viewer; . . . response comes to life within the inner image-outer image fusion’’ (p. 4). Horner sought to trace the experience of the individual person when faced with a work of art; his is not a normative model. He has developed an eight-phase theoretical model based on the writings of Husserl (1964) and Winnicott (1971). This model (see Table 2) differs from others in its stress on a phase of identification with the work of art in order to achieve a balanced and integrated response. Horner suggests that the aesthetic experience offers the viewer greater self-understanding by eliciting personal, subjective, and internal responses. This is an important step in order to arrive at commitment and involvment with the work of art. The initial step of this contemplative approach is one of letting oneself go, of entering into a state of fusion or identification with the art work. After this has occurred, the viewer is able to reflect on the experience, to recall issues that were of interest or repugnance, to think about the experience, and to propose any changes. These comprise the subjective or internal phases. After the subjective phase is over, the viewer can deal with the art object from an historical, cultural, or social perspective. But this external phase is grounded clearly and firmly in an understanding about where the viewer stands emotionally and psychologically with regard to the work of art. TABLE 2 Horner’s Model Internal Forgetting Remembering Reflecting Revealing entering into a fusion/dialogue with art work recalling the journey into the work thinking about the whys of the journey becoming aware of one’s desires, fears External Describing Structuring Interpreting Retro-activating decontextualizing the parts of the work noting the patterns of space and time becoming aware of the social discourse assessing the experience contextually 274 ANDREA WELTZL-FAIRCHILD Horner’s model of the different levels of aesthetic response is such that he has suggested that one might be able to plot it onto a theory of human development, as his model ‘‘makes an implicit proposal that a paradigm of child development and a paradigm of developmental responding can be mapped onto each other’’ (p. 5). However, his main concern was to describe the different phases of the ‘‘responding dialogue.’’ It is important to note that these phases of response deal with an aesthetic experience in a timeand-space sequence. A viewer might move through all of these if so inclined. Thus, the verbalizations are a record of that person’s aesthetic journey at that particular time. It should also be kept in mind that a person might make a different journey at different times because of different choices or circumstances. DUFRESNE-TASSÉ’S MODEL As a preliminary step to building a model of aesthetic response, DufresneTassé’s research team identified certain operations that visitors perform while talking about their experience while looking at an object. TABLE 3 Dufresne-Tassé’s Model Operational verb to manifest to note, to state to identify to recall to associate to compare to comprehend to justify, to explain to resolve problems to situate oneself to verify to evaluate to suggest improvements, different usage in museum * Operation used by the visitor — Operation not used by the visitor Cognition Emotion Imagination — * * * * * * * * * * * * * — * * * * * — — — — * * — * * * * * — * * * * * — 275 DESCRIBING AESTHETIC EXPERIENCE These operations are represented by a series of verbs. These verbs, drawn from the transcripts of what adults said during a museum visit, cover three domains of the visitor experience: cognition (rationnel), emotion (affectivoémotif) and imagination (imaginaire). The domain of cognition is one where the logical, rational, and cognitive powers of the brain are used; the domain of feelings and emotions is the affective and emotive one; the domain of imagination is that of invention, memories, and fantasy—imagination being the capacity not only to reproduce but also to create new connections. The grid in Table 3 shows how these operational verbs manifest themselves in the three domains of fact, feeling, and imagination according to the findings to date. It is possible to see similarities between Housen’s categories of thought and the model of Dufresne-Tassé’s research team. By re-organizing Housen’s issues as in Table 4, we can see that there is a correspondence, and points of interest emerge. First, there is great similarity between DufresneTassé’s operational verbs and Housen’s domains of thought. Second, there are operational verbs that do not correspond. Unlike Housen’s domains, Dufresne-Tassé’s verbs can deal with activities in which the viewer is orienting herself in relation to the work of art and in which other solutions are being offered to a perceived problem, new links, usages, and elements are being made, or new insight may perhaps be gained. Third, neither of these two models gives place to the non-verbal state of identification or fusion proposed by Horner and found in our transcripts. TABLE 4 Housen’s Issues Grouped According to Dufresne-Tassé’s Domains Dufresne-Tassé’s domains Housen’s domains Cognition Emotion Imagination Observation Preference Association Evaluation Comprehension Questioning Assertion Comparison Interpretation 1,2,3,7 4,5 4,5 2,3,4 2 1,2,3,4,5 1,3,4,5 2,3,5 1,2,3 4,6,8,9,11 3 1,2,3,9 5,1 — 6 2,6,7 4,6,7 — 10,12 1,2,6,7 6,7,8,10 6 1 — — 1,8 4 Note: Numbers refer to issues within domains identified in Table 1. 276 ANDREA WELTZL-FAIRCHILD FAIRCHILD’S MODEL None of the preceding models was suitable for analyzing the research data from the Montreal Museum of Fine Arts, as some of the subjects’ statements—specifically, those arising from the state of identification discussed earlier—did not fit. But adding a preliminary state to the model above resolves much of the disjunction. This preliminary state can be the one suggested by Horner, where the viewer is in a state of fusion with the work of art. Often this state is initially non-verbal, then encompasses a searching for words to express emotions. Table 5 offers an expanded alternative model for describing the experience of a visitor looking at a work of art, a model that would not only analyze the verbal expressions but also describe the sequence of responses and viewer’s psychological distance from the work of art. This model uses the same operational verbs (or their synonyms) as does Dufresne-Tassé’s, and the phases correspond to Housen’s domains but here are linked to modes of response suggested by Horner and are sequentially ordered. Each researcher essentially organized a different part of the aesthetic response: Horner, psychological states; Housen, categories of speech; and Dufresne-Tassé, operations the visitor performed while looking at an object. My model additionally includes the modes of response, which serve to regroup all the material produced by the visitor. Modes of response were originally studied in a pilot project (Horner, Sherman, & Fairchild, 1986) at three different types of museum (Montreal Museum of Fine Arts, McCord Museum, and Maison de la Culture). The objectives were to identify the expectations and psychological approaches visitors used to appropriate meaning in a museum visit. The theory was based on the work of a social geographer, Annis (1980), who suggested that museums provide for their visitors a symbolic space in which to act in a variety of ways. This pilot project identified four different modes of response: Dream, Play, Metaphor, and Concept. The first, the Dream State, encompasses the levels of identification with the art object (forgetting), remembering, and reflecting on this identification. In this mode, the viewer experiences directly the art object. There are pauses and an incoherence, a searching for right words, a sorting through of memories, and a recalling of the experience that one has undergone. This mode of identification can be recovered from the transcripts: C’est comme je sais où je serais bien, comme t’ai dit, là, être Fanfreluche, rentrer dans le tableau . . . euh . . . juste pour aller m’effoirer dans l’herbe pis . . . relaxer . . . Ça j’aime . . . Ça m’a fait des petites émotions et euh . . . tous ceux qui ont de la luminosité ça me . . . fait ‘‘Ting’’ je ne sais pas comment dire, là . . . Mais il y a une espèce de magie qui se produit qui fait que ça m’éveille ou ça m’attire, ça me . . . je ne peux pas expliquer c’est quoi là, mais c’est . . . comme très irrationnel peut-être, fait qu’il y a comme pas des mots . . . . . . c’est j’aime, . . . j’aime ça . . . j’en aurais partout des styles de tableaux très lumineux comme ça . . . [sic] (Extraits de propos de 90 visiteurs adultes au Musée des beaux-arts de Montréal, 1989) 277 DESCRIBING AESTHETIC EXPERIENCE TABLE 5 Fairchild’s Model Modes Phases Operational verbs Dream Forgetting to to to to fuse with orient oneself show feeling manifest emotion Remembering to to to to to to like, to dislike recall note associate state identify Reflecting to separate from to differentiate to be aware of Play Self-revelation to to to to to note significance re-order change signifier modify invent Metaphor Describing to to to to note, to describe associate meaning deconstruct note symbols Structuring to to to to to order map structure categorize compare Interpreting to to to to explain discourse grasp meaning infer meaning Assessing to to to to judge evaluate critique assess Concept 278 ANDREA WELTZL-FAIRCHILD This viewer speaks of a desire to enter the work of art like Fanfreluche (a TV character) and to relax by sitting on the grass. She recognizes a feeling evoked by the luminosity of the painting, a feeling of ‘‘Ting,’’ and she has difficulty finding words to explain this. She ends by realizing something about herself, that she would have luminous paintings everywhere because she loves them. The Play State is one wherein the viewer can, in a spirit of play, suggest other versions, solutions, or variations of the work of art. These changes bring about a self-knowledge, a revelation of what the viewer is like and what she values. Ça donne la . . . la possibilité de voir plein de choses pis à la fois, euh . . . on . . . on personnifie le tableau . . . [silence 11 sec.] c’est comme plein de choses que je ne connaissais pas encore, là . . . je découvre . . . oui! au niveau, euh, . . . ben au niveau peut-être de moi, mes goûts face aux peintures . . . [sic] (Extraits de propos de 90 visiteurs adultes au Musée des beaux-arts de Montréal, 1989) The Metaphor State is a way of being external to the experience. The viewer looks at the work of art and now connects it to her world of knowledge about art. By describing perceived forms, colours, and symbols, and by building theories that explain the work according to her knowledge of art history, styles, and visual language, the viewer places the aesthetic experience in a cognitive context. Ah, oui! Ça je connais! [silence 6 sec.] . . . Adrien Herbert . . . J’ai travaillé avec ça dans un de mes . . . un stage que j’ai fait avec des reproductions de Boulerice . . . Ça je me suis toujours demandé: quel est le fond de ces oeuvres-là? Pourquoi ils font ça? . . . Hum . . . comme . . . des coups de pinceau blancs, c’est joli, là, comme coup d’oeil, j’imagine dans un grand hall ou quelque chose du genre c’est superbe! Quel est le but, la mode derrière tout ça? [sic] (Extraits de propos de 90 visiteurs adultes au Musée des beaux-arts de Montréal, 1989) The viewer shows a memory of past involvement with works of art, a questioning about the artist’s intention, a noting of the formal qualities of the painting, and an evaluation followed by a questioning about styles and fashion in art. The last mode of the experience, the Concept State, brings closure to the experience. The viewer now reviews the whole experience and makes an assessment. This is much more than the liking and disliking of the Dream State, as it is based on all the previous states that the viewer has undergone. The final evaluation may override an initial dislike because of cognitive information. Or the viewer may decide that, in spite of all the information from external sources, she still does not feel that the work is successful, meaningful, or important: C’est trop statique . . . trop photo, là . . . Ce qui est bien de voir c’est les costumes . . . DESCRIBING AESTHETIC EXPERIENCE 279 Moi j’aime pas trop cette peinture, c’est pas trop eh . . . Ça fait en même temps naïf et en même temps je trouve que c’est dur et c’est des faux visages d’enfants . . . [sic] (Extraits de propos de 90 visiteurs adultes au Musée des beaux-arts de Montréal, 1989) In effect, one can use this model to chart a visitor’s individual aesthetic response through a temporal sequence. It allows the researcher to note whether a person begins at a conceptual level and stays there, or whether there is first a level of fusion and openness, then revelation, and so on. The emphasis is on understanding what an aesthetic experience is for an individual viewer and what the viewer brings to the experience that affects her understanding of the work. The addition of modes of response to the existing models allows greater understanding of the variety of psychological stances that viewers bring to the experience of looking at art objects. Not all viewers will necessarily move through all the modes at any one time. However, it is important for our understanding of the aesthetic experience to note what possibilities exist and which are favoured by viewers. This will lead to further questions about what correlations can be made between modes of aesthetic response and other factors such as age, education, and exposure to museums. So the model proposed integrates all the aspects of the models reviewed in this article that were found to be useful in dealing with the comments of visitors looking at art objects. In addition, it contains an element missing in the others. SUMMARY One aim of this article was to review some models of aesthetic response that described how museum visitors respond to and benefit from their museum visits. This necessitated identifying and describing viewers’ experiences when faced with a work of art, and developing a grid that would yield a model of aesthetic experience. Transcripts of several viewers’ spontaneous responses were initially analyzed according to certain models suggested by Parsons and Housen. But, as these models of aesthetic experience tended to be organized in a developmental fashion, certain difficulties that arose with the application of each model made it necessary to develop a new and more comprehensive one. The suggested new model incorporates major qualities from previous models: in essence, it not only shows Dufresne-Tassé’s operational verbs and Housen’s domains (phases of response), but also links them to Horner’s modes of response. The model proves helpful in analyzing the transcribed interviews of the experience of museum visitors and places the elements identified in a useful interpretive perspective. It provides a better understanding of the aesthetic experience so that museum educators and curators can plan their activities to take into consideration viewers’ different modes of response. Finally, the model also provides a context in which to explain 280 ANDREA WELTZL-FAIRCHILD those immanent feelings about art that have often been described in philosophy but rarely in research. REFERENCES Annis, S. (1980). The museum as staging ground for symbolic action. Unpublished manuscript, University of Chicago. The arts in the schools. (1982). London: Gulbenkian Foundation. Beyond creating: A place for art in America’s schools. (1985). Los Angeles: Getty Center for Education in the Arts. Extraits de propos de 90 visiteurs adultes au Musée des beaux-arts de Montréal. (1989). Propos recueillis dans le cadre du projet de recherche intitulé: “Contribution à l’étude du fonctionnement intellectuel et affectif du visiteur adulte et des bénéfices d’une visite.” Horner, S. (1988). 2B and Not 2C: That is not the question. Unpublished manuscript. Horner, S., Sherman, L., & Fairchild, A. (1986). The meaning of the art object for the museum visitor. Unpublished manuscript, Concordia University, Montreal. Housen, A. (1983).The eye of the beholder: Measuring aesthetic development. Unpublished doctoral dissertation, Harvard Graduate School of Education, Boston. Husserl, E. (1964). The idea of phenomenology. The Hague: Geo. Nakhinikian. Lowenfeld, V. (1947). Creative and mental growth. New York: MacMillan. Ministère de l’Éducation du Québec. (1981). Programme d’études: art. Québec: Gouvernement du Québec. Parsons, M. (1986). The place of a cognitive approach to aesthetic response. Journal of Aesthetic Education, 20, 107-111. Smith, R. (1989). Discipline-based art education. Urbana: University of Illinois Press. Winnicott, D. (1971). Playing and reality. New York: Penguin. Andrea Weltzl-Fairchild is a lecturer in the Department of Art Education and Art Therapy, Concordia University, 1455 De Maisonneuve Boulevard, Montreal, Quebec, H3G 1M8. L’apprentissage de l’adulte au musée et l’instrument pour l’étudier* Colette Dufresne-Tassé Thérèse Lapointe Carole Morelli Estelle Chamberland université de montréal L’apprentissage de l’adulte au musée est une réalité difficile à saisir. Son étude par le biais de l’expérience psychologique du visiteur présente de multiples avantages. Nous décrivons l’instrument développé pour analyser cette expérience et nous exposons la conception de l’apprentissage sur laquelle s’appuie cet instrument. Although it is not easy to get at the ways adults learn in museums, an examination of visitors’ psychological experience may be helpful. We describe an instrument developed to analyze that experience, and we tell about the conception of learning underlying our instrument. Désireux de s’adapter aux besoins de leur clientèle adulte, les musées de la plupart des pays occidentaux ont accumulé sur cette clientèle des données socioéconomiques nombreuses. Ces données leur semblent utiles pour donner une orientation générale à leur action, mais insuffisantes pour développer une pédagogie ou, pour être plus précis, une andragogie qui contribue au développement culturel du visiteur (Collins, 1981; Hansen, 1984; Knox, 1981; Zetterberg, 1970). L’élaboration d’une telle andragogie suppose la connaissance de l’apprentissage de l’adulte au musée (Bloom, Powell, Hicks, & Munley, 1984; Borun, 1982; Miles, 1986; Miles, Alt, Gosling, Lewis, & Tout, 1982; Porter & Martin, 1985). Il faut savoir, par exemple, comment cet apprentissage se déroule, et s’il se limite, comme le croient quelques-uns, à l’acquisition de faits ou de dates, ou s’il revêt des formes plus variées et plus complexes (Carr, 1985; Chase, 1975; Diamond, 1982; Dubos, 1973; Harrison, 1960; Kimche, 1978; Miles, 1986; Sebolt, 1980; Thier & Linn, 1976; Tressel, 1980). * Cette recherche a été rendue possible grâce à des subventions du Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche du Québec et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. 281 REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION 16:3 (1991) 282 DUFRESNE-TASSÉ, LAPOINTE, MORELLI ET CHAMBERLAND Il nous semblait intéressant d’examiner l’apprentissage de l’adulte au musée. Il représente une variété mal connue, qui survient alors que l’individu est laissé à lui-même devant les offres d’une institution, libre de ses réactions, de ses pensées, de l’orientation de son action. Il nous est vite apparu que cet apprentissage ne saurait être étudié convenablement que par rapport à l’ensemble du fonctionnement psychologique du visiteur. Nous présentons ici la grille d’analyse élaborée pour réaliser cette étude. Nous voyons d’abord l’approche employée pour recueillir des données sur l’apprentissage de l’adulte, puis les taxonomies utilisables dans l’étude de ces données, les problèmes qu’elles posent et, enfin, la façon dont nous avons procédé pour élaborer un instrument d’analyse, la description de cet outil, ses propriétés et quelques réflexions sur celles-ci. L’APPRENTISSAGE TEL QU’IL APPARAÎT DANS LES PROPOS DU VISITEUR Afin de nous familiariser avec l’apprentissage de l’adulte au musée, nous avons invité une dizaine de personnes à visiter un musée de sciences naturelles, le Musée Georges-Préfontaine de l’Université de Montréal. Ces adultes, aussi différents les uns des autres que possible en termes de caractéristiques socioéconomiques, nous ont relaté leur expérience de visiteur et nous en avons fait le bilan: a) l’apprentissage, conçu comme un ensemble d’acquisitions s’apparentant aux six catégories supérieures de Gagné (1965) est rare au musée; b) les apprentissages réalisés n’ont de sens que par rapport au reste du fonctionnement psychologique du visiteur; c) le fonctionnement psychologique, qui est intense, comprend des aspects rationnels, imaginatifs et affectifs; d) le visiteur attache une grande importance à son propre fonctionnement et y trouve le plus clair de son plaisir; e) le visiteur se dit intéressé à apprendre, mais montre de l’agacement ou beaucoup de difficulté à répondre à des questions sur ses apprentissages. L’apprentissage nous est alors apparu comme rien d’autre que le produit de certaines opérations intellectuelles, telles constater ou saisir, lorsque le produit des ces opérations est nouveau pour l’individu. Ainsi conçu, il devient à la fois un moment parmi d’autres du fonctionnement psychologique du visiteur et un élément de ce fonctionnement en interaction constante avec les autres composantes de celui-ci. Si donc ce fonctionnement doit être conçu comme le contexte de l’apprentissage, il ne peut l’être qu’au sens où les contextualistes contemporains envisagent les relations figure-fond et nous ne pouvons étudier l’apprentissage qu’en rapport avec ce fonctionnement. Pour éprouver ces idées, nous sommes retournées au Musée GeorgesPréfontaine et nous y avons recueilli de façon systématique les propos de 45 adultes pendant qu’ils visitaient une exposition de mollusques. Hommes et femmes, âgés de 25 à 65 ans, ces personnes appartenaient à trois niveaux de formation et avaient des habitudes de visite allant de jamais auparavant à souvent. Les propos de ces visiteurs ont été enregistrés sur bande magnétique, puis dactylographiés pour en faciliter l’étude. L’APPRENTISSAGE DE L’ADULTE AU MUSÉE 283 Il fallait une grille d’analyse pour donner forme et signification au matériel fourni par ces visiteurs. Cette grille devait satisfaire aux exigences suivantes: a) assurer une étude exhaustive des propos des visiteurs; b) offrir des unités d’analyse correspondant à toutes les opérations réalisées par les visiteurs; c) exclure l’apprentissage des opérations, l’apprentissage étant le produit de certaines de celles-ci; d) permettre le rattachement de chaque apprentissage à des opérations précises. LES TAXONOMIES EXISTANTES COMME GUIDE D’ÉTUDE Il existe bon nombre de taxonomies des fonctionnements intellectuel et affectif. Voici les principales. Bloom, Engelhart, Furst, Hill et Krathwohl (1975): taxonomie du domaine cognitif. Burns (1975): taxonomie des domaines cognitif, affectif et psychomoteur. D’Hainaut (1983): taxonomie du domaine affectif. D’Hainaut, Lawton, Ochs et Super (1979): typologie interdisciplinaire des démarches intellectuelles. Donald (1985): Operations and Intellectual Skills in Higher Education. Gagné (1965): Types of Intellectual Skills. Guilford (1967): The Structure-of-Intellect Model. Klopfer (1971): Specifications for Science Education. Orlandi (1971): Specifications for Selected Social Studies. Palkiewicz (1988): taxonomie du domaine cognitif. Wilson (1971): Specifications for Art Education. Ces taxonomies possèdent l’une ou l’autre des caractéristiques suivantes: a) elles supposent connues les intentions de l’individu quand celui-ci réalise une opération (Palkiewicz, 1988). Or, dans le musée, le visiteur ne livre que rarement ses intentions et le contexte ne permet que rarement au chercheur de les identifier; b) elles visent des phénomènes comme les attitudes (Burns, 1975) ou des fonctionnements comme les fonctionnements convergent et divergent (Guilford, 1967), que l’on doit dégager d’un ensemble de comportements qui ne se manifestent pas toujours dans la situation muséale; c) elles visent une exploration des connaissances de l’individu (Bloom, Engelhart, Furst, Hill et Krathwohl, 1975; Klopfer, 1971; Orlandi, 1971; Wilson, 1971), la maîtrise de celles-ci, leur utilisation ou leur évaluation (Bloom, Engelhart, Furst, Hill et Krathwohl, 1975), plutôt que l’ensemble du fonctionnement psychologique de cet individu; d) elles visent des activités comme la production d’objets tangibles (Wilson, 1971) et la mise en oeuvre de modèles qui n’apparaissent que rarement dans la situation muséale (D’Hainaut, Lawton, Ochs et Super, 1979) ou l’évaluation d’un aspect du fonctionnement de l’individu, l’aspect moral (D’Hainaut, 1983), qui n’est pas pertinent dans cette situation; e) elles visent des activités comme l’analyse et la synthèse (Burns, 1975), des habiletés comme celle de faire de la recherche (Orlandi, 1971), ou des changements, comme le développement d’un humanisme (Klopfer, 1971), qui nécessitent une variété d’opérations non identifiées. En somme, ces taxonomies sont inadéquates, soit parce qu’elles visent des phénomènes qui ne se produisent que rarement au musée, ou qui s’y étudient mal, soit parce qu’elles conduisent à une vue trop partielle ou trop 284 DUFRESNE-TASSÉ, LAPOINTE, MORELLI ET CHAMBERLAND générale du fonctionnement du visiteur, ou à l’étude d’aspects non pertinents de ce fonctionnement. L’ÉLABORATION D’UN INSTRUMENT D’ANALYSE Cependant, chaque taxonomie possédait au moins un aspect pertinent et nous avons été tentées de combiner ces aspects. Nous avons toutefois abandonné rapidement l’idée parce que nous avons réalisé que ces taxonomies traitaient les fonctionnements intellectuel et affectif à des niveaux ou sous des angles très différents et amenaient ainsi des incohérences, des recouvrements et, surtout, des perspectives d’analyse incompatibles. Devant ces difficultés, nous avons opté pour l’élaboration d’un nouvel instrument d’analyse. Nous avons repris les exigences mentionnées plus haut, qui garantissaient à la grille une forme satisfaisante, et nous avons procédé de façon inductive. Nous avons tiré de l’un des 45 rapports écrits de visite une liste d’opérations qui permettait une analyse exhaustive de ce rapport. Puis, nous en avons choisi cinq autres parmi les plus riches et les plus dissemblables. L’étude de ces six rapports a permis d’observer les faits suivants: a) comme nous l’avions pressenti, le fonctionnement du visiteur comporte des aspects rationnel, imaginatif et affectif; b) ces trois aspects du fonctionnement sont adéquatement analysés par une étude des opérations du visiteur; c) ces opérations sont au nombre de 12; d) mais toutes ne sont pas nécessaires à l’analyse de chaque aspect du fonctionnement; e) exclure l’apprentissage des 12 catégories d’opérations ne gêne pas l’analyse; au contraire, cette exclusion la facilite et les apprentissages identifiés correspondent de façon constante à des catégories d’opérations; f) il y a intérêt à traiter les questions et les hypothèses du visiteur comme ses apprentissages, et à ne pas en faire des catégories d’opérations. Le rattachement d’une question ou d’une hypothèse à une catégorie en permet alors une première identification. LES COMPOSANTES DU NOUVEL INSTRUMENT La grille d’analyse élaborée à l’issue de l’examen des six premiers rapports avait acquis une stabilité qui ne s’est pas démentie par la suite. De plus, appliquée aux 39 rapports restants, cette grille a semblé posséder la validité et la fidélité que l’on attend habituellement de ce type d’instrument. Ces catégories sont vraiment indépendantes et s’excluent mutuellement, elles entretiennent une relation harmonieuse avec le matériel à traiter et elles permettent une analyse constante par un même chercheur à travers plusieurs rapports ou par plusieurs chercheurs qui étudient le même rapport (dans les deux cas, le taux de désaccord ne dépasse pas 5%). Les 12 opérations de cette grille sont les suivantes: manifester constater identifier L’APPRENTISSAGE DE L’ADULTE AU MUSÉE 285 se rappeler associer distinguer-comparer saisir expliquer-justifier résoudre-modifier-suggérer s’orienter vérifier évaluer. Le sens que nous accordons au terme opération est le même que celui que lui attribue Piaget: “action intériorisée réversible et coordonnée à d’autres selon une structure d’ensemble” (Piéron, 1963). L’utilisation des 12 opérations par les visiteurs est résumée dans le tableau 1. Leur emploi est limité à 11 dans le cas du fonctionnement rationnel, à 8, dans le cas du fonctionnement imaginatif et à 7, dans le cas du fonctionnement affectif. En effet, les visiteurs ne se servent pas de l’opération manifester pour traiter leur production rationnelle, des opérations identifier, s’orienter, vérifier et évaluer pour traiter leur production imaginative et des opérations identifier, résoudre, s’orienter, vérifier et évaluer pour traiter leur production affective. TABLEAU 1 Les opérations utilisées par le visiteur adulte de musée Opérations manifester constater identifier se rappeler associer distinguercomparer saisir expliquerjustifier résoudremodifiersuggérer s’orienter vérifier évaluer Utilisation Fonctionnement imaginatif Fonctionnement affectif X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X X Fonctionnement rationnel X X X X 286 DUFRESNE-TASSÉ, LAPOINTE, MORELLI ET CHAMBERLAND Voici la signification de chacune des 12 opérations: Manifester: exprimer, donner des marques de, laisser paraître ou donner libre cours à ce que l’on est en train de vivre. Exemples: a) “Tu me parles d’un pays! je l’imagine instantanément” (matériel imaginaire); b) “Ça serait le fun d’avoir la perle qui va dans le milieu de ça” (matériel affectif). Constater: a) Noter simplement, exprimer qu’on a vu, regardé, observé, enregistré, accorder une attention rapide; b) considérer attentivement, lire, décrire, exprimer qu’on a pris connaissance, remarqué, examiné. Exemples: a) “Je vois que c’est aux Caraïbes . . .” (matériel rationnel); b) “Oui, des dessins en dessous comme ça probablement” (matériel imaginaire); c) “C’est beau le reflet” (matériel affectif). Identifier: reconnaître la nature d’une chose, préciser son appartenance, son origine, lui donner un nom, lui attribuer un concept, la considérer comme identique à autre chose. Exemple: “La porcelaine? la porcelaine tigrée. En Haïti, on l’appelle la lambris” (matériel rationnel). Se rappeler: reconnaître, se remémorer. Exemples: a) “Je me suis dit: mon dieu, c’est le même que ma mère a sur sa télévision” (matériel rationnel); b) “Ça me fait penser, dans un voyage, il y a deux ans, on était sur le bord de la Méditerranée” (matériel imaginaire); c) “Je me rappelle, je me suis dit: c’est des pauvres petites bêtes dans le fond” (matériel affectif). Associer: rassembler des éléments, les réunir dans une même catégorie, les rendre solidaires. Exemples: a) “Celui-ci, il me fait penser au premier que j’ai vu, un bivalve” (matériel rationnel); b) “Un des coquillages qui me faisait ben gros penser à Shell” (matériel imaginaire); c) “Ça me fait penser aux vacances, à vouloir l’aventure” (matériel affectif). Distinguer-comparer: examiner simultanément ou successivement en vue de juger des similitudes ou des différences, mettre en parallèle, démêler, séparer, différencier, rapprocher, souligner une ressemblance. Exemples: a) “Ceux-là ont été travaillés, ont été polis, ont été nettoyés . . . ils semblent plus naturels, plus vrais” (matériel rationnel); b) “On dirait que c’est comme des dents” (matériel imaginaire); c) “J’en trouve des beaux, mais ça m’étonne moins (matériel affectif). Saisir: s’apercevoir, pénétrer le sens, la nature, la raison, réaliser que, se faire une idée claire. Exemples: a) “Le couteau, c’est un nom, ça sert pas de couteau. En tous cas, c’est un nom qu’on lui a donné à cause de sa forme, qu’on l’a identifié par rapport à ça . . .” (matériel rationnel); b) “Ben j’imagine que ça se mange, à moins qu’ils aient été empoisonnés” (matériel imaginaire); c) “Nous on les voit comme ça, c’est de toute beauté, c’est tranquillisant” (matériel affectif). Expliquer-justifier: faire connaître en détail, exposer, montrer par un développement, démontrer, prouver le caractère, le bien- fondé, la légitimité L’APPRENTISSAGE DE L’ADULTE AU MUSÉE 287 d’une chose, d’une idée, d’une position, interpréter. Exemples: a) “Un peintre très connu, ben évidemment, c’est facile de se documenter pour voir ce qu’il a fait, le comparer avec d’autres de la même époque pour savoir qui il est” (matériel rationnel); b) “A cause de ça, ça ressemble plus à un bibelot qu’à un objet dans la nature” (matériel imaginaire); c) “J’aime les regarder, ça représente de la beauté, pour moi, c’est l’harmonie, c’est tellement régulier dans les petits dessins, dans les petites lignes, t’sais, c’est tellement tout pareil que tu t’dis c’est finalement une oeuvre d’art” (matériel affectif). Résoudre-modifier-suggérer: trouver une solution à un problème théorique ou pratique, à une incohérence, suggérer une amélioration, transformer, reformuler, corriger, rectifier. Exemples: a) “. . . qu’il y ait des gens dans un musée qui posent ce genre de question-là pour permettre aux gens de pas seulement regarder les vitrines” (matériel rationnel); b) “. . . la façon qu’il est dessiné, tu peux imaginer le son qui coule dessus. Pour moi, les ronds, c’est le son qui coule dessus. Bien sûr, il y a le nom, la harpe, mais pour moi, c’est le son” (matériel imaginaire). S’orienter: déterminer la position que l’on occupe, se repérer, inscrire son activité dans une direction. Exemples: a) “Faut tu apprendre toute ça par coeur?” (matériel rationnel); b) “On les expose . . . est-ce qu’ils ont pris des coquillages qui étaient déjà vides ou est-ce qu’ils les ont pris neufs? (matériel rationnel). Vérifier: contrôler l’exactitude, reconnaître pour vrai, confirmer (sans raisonnement), admettre. Exemple: “C’est dans ça qu’il y a une perle?” (matériel rationnel). Évaluer: mesurer, estimer, déterminer la valeur, l’importance, juger, donner une opinion. Exemple: “Ça me prendrait plus de fiche technique que ça . . .” (matériel rationnel). LES PROPRIÉTÉS DU NOUVEL INSTRUMENT Notre grille, on l’a vu, permet une analyse intégrée des fonctionnements cognitif, imaginatif et affectif du visiteur. Elle permet aussi de traiter l’apprentissage, les hypothèses et les questions comme des modalités d’apparition des opérations. À ces propriétés s’en ajoutent une série d’autres dont les principales sont les suivantes. Premièrement, notre grille permet d’analyser l’activité psychologique du visiteur en autant que celle-ci est mise en forme par le visiteur à travers des opérations. Face à cette propriété, on peut se demander quelle partie de l’activité totale représente l’activité ainsi mise en forme? Il n’est probablement pas possible de répondre à cette question parce qu’on ne sait pas, et qu’on ne saura probablement jamais, s’il existe chez l’adulte une activité qui ne soit pas informée par une opération, même fort simple. En conséquence, nous considérons que la grille présentée offre une analyse adéquate de la 288 DUFRESNE-TASSÉ, LAPOINTE, MORELLI ET CHAMBERLAND production rationnelle, imaginative et émotive d’un visiteur placé dans la situation où se trouvaient les 45 adultes qui ont collaboré à cette recherche. Cette question sur la validité de la grille en appelle une sur la validité du matériel qui a servi à la construire. Les propos du visiteur représentent-ils bien son fonctionnement? Dans l’état actuel de la recherche, nous ne pouvons nous prononcer sur ce point. En effet, notre recherche est, à notre connaissance, la première où l’on ait tenté de saisir le fonctionnement psychologique du visiteur dans sa totalité au moment même de la visite. Il faut donc attendre d’autres recherches qui auront procédé différemment pour se faire une idée du rapport qui existe entre ce que livre le visiteur et ce qu’il vit. Deuxièmement, notre grille permet d’identifier aussi bien des opérations très simples comme constater, que des opérations complexes comme expliquer. À notre avis, cette propriété est d’un grand intérêt, car elle aide à saisir l’importance qualitative des unes et des autres et, éventuellement, les liens qu’elles entretiennent entre elles ou avec l’apprentissage. Notre grille fournit ainsi un moyen de vérifier si le visiteur n’est actif que lorsqu’il s’adonne aux opérations les plus complexes, comme on le croit dans beaucoup de milieux muséaux. Elle constitue également un moyen de qualifier et de comparer le fonctionnement adopté par le visiteur devant des exhibits1 de nature ou de présentation différentes. Troisièmement, notre grille facilite le repérage des opérations de base du fonctionnement du visiteur. Par là, elle s’avère un instrument indispensable à l’étude systématique de mégaopérations comme l’analyse et la synthèse, ou d’activités complexes comme l’activité esthétique ou l’activité épistémologique (voir dans cette livraison de la Revue canadienne de l’éducation, l’utilisation qu’en font Chamberland et Weltzl-Fairchild). Quatrièmement, à travers des opérations comme s’orienter, vérifier, évaluer ou constater, notre grille permet l’exploration de la métacognition du visiteur. Elle facilite l’étude de ses stratégies et celle des rapports de ces stratégies avec des comportements typiques comme ceux qu’ont identifiés Veron et Levasseur (1983) au Musée d’art moderne Georges Pompidou. LES PREMIÈRES IMPLICATIONS À ÉTUDIER Peut-on utiliser la grille qui vient d’être décrite pour étudier d’autres matériels que les propos du visiteur en train d’observer des objets ou pour comparer le fonctionnement occasionné par divers types de musées? La réponse à la première question est affirmative et simple. Chamberland (1990) l’a fait. La réponse à la seconde est plus complexe. Depuis quelques années, des sociologues (Boudon, 1984; Crozier et Friedberg, 1981; Giddens, 1987) ont souligné l’incapacité des lois et même des propositions générales à expliquer et à prédire le fonctionnement social. Ils ont par ailleurs montré l’importance d’étudier un phénomène pour lui-même et de le rattacher à un temps et à un espace précis. Cette position est-elle valable L’APPRENTISSAGE DE L’ADULTE AU MUSÉE 289 quand les phénomènes étudiés ne sont pas sociologiques mais psychologiques? Plus précisément, un musée de beaux-arts, un musée de sciences naturelles et un musée d’histoire et d’ethnologie sont-ils des entités si différentes qu’ils provoquent chez leurs visiteurs des fonctionnements qu’on ne doit pas confondre et étudier avec une grille unique? Même si notre grille ne peut être utilisée dans une grande variété de situations, nous croyons qu’elle donne accès à une série de recherches permettant de sortir de l’impasse créée par l’application des approches behavioriste et phénoménologique aux problèmes d’intervention éducative dans le milieu muséal. Les behavioristes soutiennent que toute personne responsable de la réalisation d’un exhibit est également responsable du fonctionnement du visiteur, car ce fonctionnement est déterminé par ce que celui-ci voit. Par contre, les phénoménologistes prétendent que, malgré les efforts du réalisateur d’exhibits, les visiteurs réagissent tous différemment parce qu’ils ont tous une expérience différente. En d’autres mots, dans le contexte behavioriste, le réalisateur est tout puissant, il ne se produit rien en dehors de ce qu’il provoque, et dans le contexte phénoménologique, il est totalement impuissant, il n’a aucun contrôle sur les réactions des visiteurs. Quand on considère le contenu de l’expérience du visiteur, on ne perçoit que différences, quand on considère la structure de celle-ci, des similitudes importantes apparaissent. Par exemple, l’activité imaginaire de deux visiteurs observant des coquillages diffère dans ses détails, l’un d’eux évoquant son enfance, l’autre, un voyage récent, mais elle est semblable en ce qu’elle comprend dans les deux cas un rappel du passé. Par ailleurs, s’il est impossible de provoquer tout ce que vit un adulte au musée, il est probablement possible de l’aider à réaliser certaines opérations, comme identifier, comparer ou expliquer. L’existence de séquences de fonctionnement semblables chez beaucoup de personnes, c’est-à-dire de séries d’opérations comme celles qui sont identifiées par la grille décrite ici semble donc un élément crucial. Connaissant ces séquences, le réalisateur d’exposition peut, s’il les croit bénéfiques, en favoriser l’apparition ou le maintien. Elles deviennent ainsi l’une des bases de son intervention éducative. Cette intervention doit-elle être fonction directe des opérations du visiteur? Nous ne le croyons pas. Le musée est une institution et, comme tel, il doit répondre aux demandes de la société dans laquelle il se trouve. Mais sa réponse ne saurait être calquée sur les demandes parce qu’il est un système soumis à des contraintes internes et externes. De plus, sa fonction est de rassembler, de conserver les objets les plus beaux ou les plus importants, de développer sur eux le maximum de connaissances et d’en faire profiter le public. La compréhension du fonctionnement du visiteur n’est donc qu’un élément dans le développement d’une andragogie muséale. Elle sert à créer une tension optimale entre les attentes du visiteur et l’offre du musée. À notre 290 DUFRESNE-TASSÉ, LAPOINTE, MORELLI ET CHAMBERLAND avis, la connaissance des composantes de cette tension et de la façon de l’obtenir sont deux autres éléments essentiels au développement de cette andragogie. NOTE 1 Ce terme est un anglicisme souvent employé en l’absence d’un bon équivalent français. RÉFÉRENCES Bloom, B.S., Engelhart, M.D., Furst, E.J., Hill, W.H. et Krathwohl, D.R. (1975). Taxonomie des objectifs pédagogiques: tome I. Domaine cognitif (traducteur, M. Lavallée). Montréal: Les Presses de l’Université du Québec. (Oeuvre originale publiée en 1956) Bloom, J.P., Powell, E.A., Hicks, E.C., & Munley, M.E. (1984). Museums for a new century. Washington, DC: American Association of Museums. Borun, M. (1982). Measuring the immeasurable: A pilot study of museum effectiveness (Rev. ed.). Philadelphia: The Franklin Institute, Science Museum & Planetarium. Boudon, R. (1984). La place du désordre. Paris: Presses Universitaires de France. Burns, R.W. (1975). 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Les thèmes de la contextualisation chez les visiteurs de musée* Estelle Chamberland université de montréal Malgré les nombreuses études effectuées sur le visiteur de musée, les données concernant l’expérience vécue par ce dernier dans son contact avec l’objet et ce qui compte réellement pour lui dans sa démarche pour donner un sens à ce qu’il voit sont pratiquement inexistantes. Une recherche exploratoire et qualitative a été menée dans le but de découvrir quels sont les aspects de l’objet et du contact avec celui-ci qui entrent dans la contextualisation qu’effectuent les visiteurs ainsi que l’importance qu’ils accordent à chacun d’eux. Nous avons identifié dix thèmes autour desquels s’effectue la contextualisation. L’importance et la répartition de ceux-ci semblent relever d’un choix personnel de l’individu selon ses préoccupations et son style cognitif. La diversité de ces thèmes et la place qu’ils occupent dans la démarche des visiteurs viennent nuancer la vision par trop focalisée que certains auteurs ont eue jusqu’à ce jour sur ce phénomène. Il apparaît également qu’une approche quantitative, bien qu’utile pour indiquer certaines tendances, ne peut rendre compte à elle seule de la portée réelle d’un thème dans la contextualisation. Although museum visitors have often been studied, we know little about their lived experience, or about how they make sense of what they see. This preliminary qualitative study shows how museum visitors decide which features of objects they consider when putting those objects in context, and the relative importance of each feature. We found ten approaches that typify visitors’ ways of contextualizing. To what extent a visitor uses any one approach depends on her or his interests and cognitive style. The diversity of visitors’ responses ought to lead researchers to take a broad view of studies of museum education. Quantitative research, although helpful in pointing out patterns, cannot by itself account for people’s ways of contextualizing. On conçoit de plus en plus la connaissance non comme un état, mais comme un acte créateur (Rosnow,1986). On sait que rien n’est jamais perçu et compris isolément en soi et pour soi dans une sorte de vacuum matériel, social ou psychologique, mais que, ce que nous percevons, ce sont des * Cette recherche a été rendue possible grâce à des subventions du Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche du Québec et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. 292 REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION 16:3 (1991) LA CONTEXTUALISATION CHEZ LES VISITEURS DE MUSÉE 293 relations. (Bateson et al., 1981; De Rosnay, 1975; Watzlawick, Beavin et Jackson, 1972). Comprendre, accéder au sens consiste à structurer ces relations pour former un contexte, une image cohérente d’une situation. Bref, comprendre consiste à contextualiser. Il est reconnu que déjà, au premier niveau de la perception, il y a interprétation, donc construction et inférence de la part de l’individu (Gibson, 1977; Hoffman, 1986; Jenkins, 1974; Neisser, 1976; Rosnow & Georgoudi, 1986; Weimer, 1977). Cette construction implique un investissement personnel de l’individu; la définition même de ce qui constitue un événement et de ce qui compte réellement dans celui-ci revient à l’individu qui y est impliqué (Bateson et al., 1981). La contextualisation est donc une activité naturelle, fondamentale et spontanée et elle répond à des besoins multiples dans tous les secteurs de la vie (Arnheim, 1969, 1976; Bateson, 1972/1977; Bransford, McCarrel, & Nitsch, 1976; De Rosnay, 1975; Koestler, 1964; McGuire, 1986; Watzlawick, Beavin et Jackson, 1972; Weimer, 1977). L’utilité d’une telle notion n’est donc plus à établir. On ne manque pas non plus d’idées sur ses fonctions. Cependant, on n’est pas encore parvenu à spécifier comment s’opère la contextualisation, et c’est sur ce point que porte notre recherche. Nous verrons d’abord sous quels angles la contextualisation a été étudiée et l’état actuel des connaissances sur ce phénomène dans divers domaines, et plus particulièrement dans celui de la muséologie. Nous aborderons plus spécifiquement un aspect de ce processus, celui des thèmes à l’aide desquels l’individu contextualise un objet, et nous exposerons les résultats obtenus dans une étude exploratoire que nous avons menée sur le processus de contextualisation chez le visiteur de musée. ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR LA CONTEXTUALISATION De nombreuses études ont envisagé les effets du contexte situationnel externe (information de source extérieure à l’individu et liée à une situation donnée: lieu, matériel, message) sur la perception, la compréhension et le comportement d’un individu. Ces recherches tenaient d’une vision mécaniste du fonctionnement humain et s’appuyaient sur une conception de la notion de contexte qui se réduisait généralement à l’environnement physique ou matériel (Davies, 1986; Hoffman, 1986; Tiberghien, 1986). Peu à peu, la notion de contexte s’élargissant, l’intérêt s’est déplacé vers le contexte interne (conditions et aspects internes de l’individu). Mais en parlant de contexte interne, on ne se référait en réalité qu’aux indices intraorganiques dont la définition se limitait bien souvent à l’état émotif du sujet seulement. Les études qui s’y sont consacrées visaient à découvrir l’impact des conditions internes (en l’occurence de l’état émotionnel provoqué chez un individu par des drogues ou des techniques behaviorales) sur les perceptions et le comportement de l’individu (Teasdale, 1983; Teasdale, Taylor, & Fogarty, 1980). La définition du contexte interne s’est élargie depuis: on y inclut les connaissances de l’individu, les formes d’organisation de celles-ci, les 294 ESTELLE CHAMBERLAND habiletés de toutes sortes, l’état organique, l’orientation de l’attention et les dispositions mentales et émotionnelles (Tiberghien, 1986). L’intérêt des chercheurs s’est déplacé de façon importante vers les représentations mentales que l’individu construit pour donner un sens au monde qui l’entoure. Pour certains (Kaplan & Kaplan, 1982; Mancuso & Sarbin, 1983; Sarbin & McKechnie, 1986), la construction de la signification consiste à ancrer une chose, une information, dans un schéma interactif, une structure dramatique, car l’être humain pense, perçoit et imagine selon une structure narrative. En somme, l’image cohérente est celle qui s’inscrit dans un scénario, celui que raconte une histoire. D’autres (Bruner, 1973, 1984; Hupet et Costermans, 1982) voient dans la contextualisation une traduction d’événement sous forme symbolique. De son côté, Gibson (1977) affirme que ce que nous percevons, ce sont les valeurs d’utilisation de l’objet, c’est-à-dire ce qu’il peut nous apporter, comment il convient à nos besoins et à nos attentes (“theory of affordances”); ce sont elles qui constituent le véritable sens de l’objet. Pour cet auteur, la perception de l’environnement est inséparable de la proprioception (perception de son propre corps) et c’est ce qui ferait que les possibilités de correspondance de l’objet avec les besoins de la personne sont perçues par cette dernière de façon immédiate et directe. Cette théorie donne à penser que la contextualisation se fonderait principalement sur la perception de ce type particulier de relation. Par ailleurs, dans sa théorie de la pensée intuitive, Bastik (1982) souligne l’importance de la perception de la structure émotionnelle liée à une situation (“emotional set”). Les relations que l’individu établit avec l’objet extérieur sont empreintes d’une qualité émotionnelle particulière et c’est sur la base de cette qualité qu’elles sont encodées. La résonance affective des contextes que l’individu construit mentalement est donc essentielle à ce mode de conscience et de compréhension du monde. Il faut enfin souligner que les études portant spécifiquement sur la construction de la représentation sémantique se sont effectuées surtout dans le domaine de la compréhension du langage, de la résolution de problème et de la mémoire (Bransford & Franks, 1971; Bransford, Barclay, & Franks, 1972; Ehrlich, 1985a, 1985b; Richard, 1984, 1985). Mais qu’en est-il dans une situation de grande liberté comme celle qui caractérise une visite au musée où le visiteur n’est pas contraint par des objectifs précis ou un problème à résoudre? La contextualisation qu’il fait de l’objet tourne-t-elle autour du thème des valeurs d’utilisation ou de la valeur symbolique de l’objet? Sa structure est-elle narrative ou émotionnelle? Pour certains muséologues, la construction d’exhibits qui replacent l’objet dans son environnement naturel est une condition des plus importantes pour un contact enrichissant avec celui-ci. Cette façon de contextualiser pourrait même, selon eux, être la seule façon valable pour le visiteur de trouver une signification à l’objet (Doré, 1985; Pezet, 1985). Si tel est le cas, on pourrait s’attendre à ce que la contextualisation que le visiteur fait de l’objet soit une LA CONTEXTUALISATION CHEZ LES VISITEURS DE MUSÉE 295 tentative de reproduction du contexte d’origine de l’objet. Pour d’autres auteurs, il existe un fossé entre le visiteur et l’objet, et le rôle du muséologue en est un d’interprète. Ce dernier doit, pour ainsi dire, traduire l’objet pour le visiteur en attirant son attention sur des caractéristiques et des aspects particuliers (Giraudy et Bouilhet, 1977; Porter & Martin, 1985; Screven, 1969; Shettel, 1973). Cette position repose sur l’idée que la contextualisation consiste principalement à accumuler des informations spécifiques sur l’objet. De nombreuses études ont été menées pour tenter de connaître le visiteur de musée. Elles ont abouti à en faire une description assez détaillée (caractéristiques propres, comportements, attentes et besoins, apprentissages mesurés d’après des objectifs préalablement fixés par le muséologue) (Griggs & Alt, 1982; Hayward & Larkin, 1983; Loomis, 1973; Washburne & Wagar, 1972). Par contre, les données concernant l’expérience vécue par le visiteur au contact de l’objet, ce qui compte réellement pour lui dans la construction du sens, sont pratiquement inexistantes. Les décisions des concepteurs d’exhibits s’appuient donc en fait sur une connaissance partielle et somme toute superficielle du visiteur. Que produit donc le visiteur lorsqu’il contextualise l’objet de musée? À partir de quelles perspectives se forme-t-il une représentation sémantique de l’objet? Pour répondre à ces questions, il faut de toute évidence explorer le point de vue du visiteur (Alt & Griggs, 1984; Scrutton, 1969; Trudel, 1985). DESCRIPTION D’UNE ÉTUDE EMPIRIQUE C’est dans cette perspective que nous avons mené l’étude dont nous présentons ici les résultats. Notre recherche fut essentiellement exploratoire et qualitative, tentant de suivre au plus près ce qui se passe chez une personne qui tente de donner un sens aux objets qui lui sont présentés. Une telle recherche était à notre avis nécessaire pour départager entre les opinions existantes et pour faire émerger, le cas échéant, une conception plus appropriée de la contextualisation. Nous avons accompagné et recueilli les propos de 45 adultes visitant une exposition de mollusques dans un musée de sciences naturelles, le Musée Georges-Préfontaine de Montréal. La conception des exhibits se caractérisait par une grande simplicité et une parcimonie des informations fournies au visiteur: chaque vitrine contenait cinq coquillages disposés sur un fond de tissu bleu uni et accompagnés d’une étiquette sur laquelle on pouvait lire les appellations communes et scientifiques du coquillage, sa famille d’appartenance et son aire de distribution géographique. Les sujets étaient des personnes issues de milieux divers qui avaient accepté de collaborer à notre recherche. Ils étaient donc informés au départ de la procédure de cueillette des données et de ce qui était attendu d’eux, c’est-à-dire communiquer verbalement leur expérience au fur et à mesure de la visite. Il s’agissait de 20 hommes et de 25 femmes ayant entre 21 et 61 296 ESTELLE CHAMBERLAND ans et présentant des caractéristiques diverses (niveau d’instruction, profession, fréquentation muséale), caractéristiques qui ont été compilées à partir des informations recueillies à l’aide d’un court questionnaire administré à chaque sujet avant la visite. Chaque personne effectuait sa visite individuellement avec un accompagnateur qui se limitait à l’écouter et à l’encourager à la verbalisation par des signes de tête ou quelques paroles laconiques. Les données sont constituées des verbalisations des visiteurs recueillies sur bande magnétique. Elles sont de trois types: a) les verbalisations spontanées livrées par le sujet au moment de la visite, b) les verbalisations fournies en réaction à un instrument projectif simple (présentation d’une photographie d’un visiteur anonyme devant les mêmes vitrines, à laquelle était jointe la question suivante: “Que pensez-vous qu’il se passe chez cette personne au moment où elle regarde ces coquillages?” c) les propos du visiteur recueillis en dernier lieu au cours d’un entretien semi-structuré avec l’accompagnateur. Une analyse qualitative de ces données a permis d’identifier les thèmes de la contextualisation. Une première lecture des comptes rendus visait à faire ressortir les points saillants de l’expérience du visiteur. Il est alors apparu évident que le visiteur ne procédait pas à la construction d’un produit de type mini-contextes aux contours définis s’enchaînant les uns aux autres dans une séquence linéaire. La pensée du visiteur est plutôt vagabonde, effectuant de fréquents va et vient d’un aspect à un autre et des répétitions plus ou moins modulées. La perception de cette redondance dans les propos des visiteurs a permis de déceler les motifs et les accents qui donnent à la contextualisation sa couleur particulière. Les thèmes de la contextualisation sont donc en réalité les angles sous lesquels l’individu aborde l’objet. Dans un deuxième temps, une classification des verbalisations attribuables à chaque thème, leur compilation et l’utilisation de pourcentages a permis de voir quelle place chaque thème occupait dans la contextualisation des visiteurs. Enfin, dans un troisième temps, une analyse du contenu de ces thèmes et de leur influence sur la contextualisation a été effectuée en regard des différentes étapes de la cueillette de données. RÉSULTATS Nous présentons d’abord une description générale des thèmes identifiés. Nous voyons ensuite quelle importance et quelle place les visiteurs accordent à chaque thème. Nous abordons enfin la répartition des thèmes sous deux angles. Premièrement, nous tentons de voir s’il existe une différence dans le nombre de thèmes et la place accordée à chacun d’eux dans les verbalisations spontanées recueillies durant la visite par rapport à ce que l’on a obtenu dans l’ensemble de la cueillette (visite + instrument projectif + entretien). Deuxièmement, nous voyons combien de thèmes entrent en jeu dans la démarche des visiteurs pour donner un sens à l’objet. LA CONTEXTUALISATION CHEZ LES VISITEURS DE MUSÉE 297 Les thèmes de la contextualisation Nous avons identifié dix thèmes autour desquels s’effectue la contextualisation et que nous avons nommés l’ambiance, l’aura émotionnelle, le symbolisme, l’identification, la description, les aspects biologiques, les aspects écologiques, les valeurs d’utilisation, les séquences d’interaction et les comparaisons de contextes. L’ambiance À la vue des objets exposés (coquillages), il arrive que le visiteur se transporte dans des lieux, des paysages, des moments qu’il associe la plupart du temps à la mer et à l’eau et qui le plongent dans une atmosphère particulière. Il en tire des impressions, la plupart du temps globales qui se réfèrent à la détente, au dépaysement, aux vacances, impressions qui naissent au-delà du contact sensoriel, dans la sensualité et la formation d’images intérieures. C’est en termes de sensations et d’impressions unifiant l’ensemble des éléments d’un décor et de l’événement que les sujets décrivent l’ambiance dans laquelle ils se sont plongés en pensée à la vue des coquillages: “J’imagine la chaleur, je sens l’odeur des algues et l’air salin . . . il me semble entendre le bruit du ressac . . . c’est calme, c’est relaxant.” L’oeil n’est plus uniquement l’organe qui voit, c’est aussi l’oeil qui touche, qui sent, qui entend. L’ambiance n’est pas étrangère à l’état affectif du visiteur et elle met assez rapidement ce dernier en contact avec son univers symbolique personnel. L’aura émotionnelle Lorsqu’à la vue de l’objet le visiteur entre en contact avec ses émotions, on peut dire qu’une sorte d’aura émotionnelle enveloppe la rencontre dans sa totalité. Les émotions qu’éprouve la personne au contact de l’objet agissent comme des facteurs de syntonisation: “Je ressens de la nostalgie. Ça a touché quelque chose de tendre.” “Ces teintes me ravissent. Ah! l’émerveillement!” À ce moment, la personne est touchée directement sans qu’intervienne la raison. Les émotions exprimées par le visiteur peuvent être positives ou négatives, liées à des expériences passées ou vécues sur-lechamp et elles contribuent à donner à l’événement ce que Jenkins (1974) a appelé sa qualité ou sa texture. Le symbolisme Le thème du symbolisme se distingue de celui de l’aura émotionnelle bien qu’on puisse éprouver des émotions au contact des symboles. Ce thème porte au-delà de la perception sensorielle, de la sensation, de l’identification et de l’explication. Il transcende la réalité concrète pour offrir une vision 298 ESTELLE CHAMBERLAND élargie et pressentie de ce qui relie l’être à l’univers: “Je trouve ça apaisant comme une mère.” “Grandeur et solitude.” Le symbolisme atteint une sorte de synthèse qui révèle le sens intime et profond que la personne attache à l’univers où l’objet la transporte: “Les coquillages, c’est la mer, la force, la majesté, c’est grandiose.” À l’instar de l’ambiance et de l’aura émotionnelle, le symbolisme agit de façon enveloppante et procède d’une résonance directe entre la personne et l’objet. L’identification L’identification est une façon pour le visiteur de savoir à quoi il a affaire. Elle consiste souvent à déterminer d’abord le degré de familiarité d’un objet, à le situer dans son univers personnel. Elle peut être globale et se limiter à classer les objets en deux catégories: ceux que l’on reconnaît et ceux que l’on ne connaît pas. L’identification peut aussi se faire plus précise: nommer l’objet, le distinguant ainsi des autres tout en le rattachant à une classe spécifique, le localiser, c’est-à-dire identifier son lieu d’origine et sa distribution géographique, et repérer en même temps les endroits connus où l’on est susceptible de le rencontrer. Tout contribue à assigner à l’objet une place particulière et unique dans une image personnelle du monde. La description La description provenant d’une appréhension sensorielle immédiate ou de perceptions d’analogies et d’associations diverses est davantage une façon d’apprivoiser l’objet, de se l’approprier mentalement. Elle est une façon d’approcher l’objet par ses caractéristiques physiques, donc les plus accessibles, et d’en composer un portrait, une image pleine de vie. Le visiteur sélectionne ainsi parmi de multiples sensations celles qui le frappent et qui ont une signification particulière pour lui. Même s’il ne s’agit que d’une esquisse, cette description sera souvent mémorisée plus efficacement que le nom de l’objet auquel d’ailleurs il pourra se substituer pour désigner l’objet. Par exemple, le visiteur oubliant le nom de Pleuroploca désignera ce coquillage comme “Celui qui ressemble à un animal préhistorique” ou encore désignera l’huître perlière par ces mots: “La belle dorée toute douce.” Les aspects biologiques et les aspects écologiques Les aspects biologiques et écologiques sont deux thèmes plus spécifiques au type de musée choisi et au domaine visé par l’exposition, en l’occurrence les sciences naturelles et les coquillages. Les aspects biologiques visent la constitution et la vie du coquillage: comment il se déplace, de quoi et comment il se nourrit, comment il se reproduit. L’écologie vise le milieu dans lequel il vit, les éléments qui composent son environnement et les rapports que le coquillage entretient avec les autres organismes. Le visiteur LA CONTEXTUALISATION CHEZ LES VISITEURS DE MUSÉE 299 tente ici de se faire une image plausible du milieu naturel des coquillages en posant des questions, en faisant des hypothèses, des déductions, en tentant de se représenter ce milieu à partir d’éléments tirés de souvenirs personnels et de connaissances antérieures. Les valeurs d’utilisation Les visiteurs s’intéressent aussi aux utilisations générales des objets et à celles qu’ils pourraient eux-mêmes en faire. Que font les pêcheurs des coquilles une fois que l’animal en a été retiré et vendu? Quelles utilisations les indigènes de tel pays faisaient-ils de ces coquillages? Tel coquillage a la forme d’un vase et serait un joli bibelot dans le salon. Quelle utilisation en faire en classe avec les élèves? Les séquences d’interactions Parfois aussi, le visiteur imagine des séquences d’interactions qui se déroulent comme dans un film intérieur. Ainsi sont mis en scène des personnages divers: parents, amis, connaissances, peuplades et ce, en présence ou non de l’objet. On peut également retrouver dans ces scènes certains personnages en interaction avec le sujet lui-même, ou encore, le sujet seul avec l’objet. Souvenirs, reportages que l’on a vus, histoires que l’on a entendues alimentent ces scénarios. Parfois aussi ces derniers sont inventés sur-lechamp, dans une sorte de rêverie. Ce thème se distingue de celui des valeurs d’utilisation car il ne vise pas uniquement l’aspect fonctionnel de l’objet, mais les diverses facettes de l’expérience que le visiteur en a. La comparaison de contextes À partir du contexte global de la visite au musée, du musée lui-même ou du type de présentation des objets, le visiteur perçoit des analogies avec d’autres musées ou d’autres types de contextes: le laboratoire de biologie où des objets semblables sont examinés, classifiés, préservés et rangés, la vitrine de bijoutier ou la galerie d’art où les objets, comme dans un écrin, sont posés sur un tissu dont la teinte souligne leur beauté, le bateau à fond de verre à partir duquel le visiteur a déjà pu observer des poissons, des coraux et des coquillages. Ces comparaisons de contextes se font par le biais de souvenirs d’événements précis ou à partir d’images familières et indiquent dans quelle perspective le visiteur approche l’objet. Tous ces thèmes offrent des angles d’exploration différents et constituent les accents qui donnent à la composition sa qualité particulière. Devant leur nombre et leur diversité, on se rend compte que la contextualisation est un 300 ESTELLE CHAMBERLAND processus complexe, une exploration qui se fait dans divers sens; deux ou trois types de relations ne suffiraient pas à illustrer la diversité des goûts, des intérêts, des besoins, des sensibilités et des préoccupations, non seulement d’un individu à un autre, mais aussi chez une même personne. Importance accordée aux thèmes dans la contextualisation Les divers thèmes que nous venons de décrire peuvent être comparés aux fibres qui composent une étoffe. Ce qui donne à une étoffe sa couleur, sa texture et sa qualité particulières, c’est bien sûr le type de fibres qui la composent, mais aussi la place qui est accordée à chacune d’elles et les proportions dans lesquelles elles se trouvent tissées ensemble. Quelle place les visiteurs accordent-ils à chaque thème dans la contextualisation qu’ils font de l’objet? La figure 1 illustre les proportions dans lesquelles chaque thème apparaît dans les verbalisations des visiteurs. Les thèmes dominants Les thèmes les plus souvent abordés sont l’identification et la description. Que faut-il en penser? On comprend aisément que le mouvement spontané envers une chose, particulièrement s’il s’agit d’une chose nouvelle, soit de l’identifier. Identifier est une façon pour l’individu de savoir à quoi il a affaire et de déterminer le degré de familiarité de l’objet. FIGURE 1 Proportion des verbalisations pour chaque thème de la contextualisation LA CONTEXTUALISATION CHEZ LES VISITEURS DE MUSÉE 301 Mais les visiteurs ont également mentionné d’autres finalités à l’identification: pour certains, elle est “une façon de mettre de l’ordre dans la foule d’impressions qui se présentent,” pour d’autres elle permet de “vérifier ou de confirmer ses connaissances, d’étendre l’éventail de sa documentation personnelle” ou encore “de montrer ses connaissances à l’accompagnateur.” Il n’est donc pas surprenant que le thème de l’identification revienne si souvent, d’autant plus qu’au musée, l’objet est non seulement montré au visiteur, mais il lui est pour ainsi dire “présenté.” Pourtant, fait paradoxal, bien que les visiteurs investissent beaucoup d’énergie dans l’identification des objets, ils ne retiennent que très peu, parfois rien de l’information recueillie. Les diverses finalités que nous venons de mentionner, ainsi que certaines études faites sur la mémoire (Bransford, Barclay, & Franks, 1972; Jenkins, 1974), et plus particulièrement sur la notion de spécificité d’encodage (Tulving & Thomson, 1973) permettent de comprendre ce fait. Les conditions particulières au moment de l’encodage déterminent la mémorisation et le rappel de l’information. Au-delà des mots inscrits sur les étiquettes, c’est leur implication sémantique qui importe; celle-ci constitue la spécificité de l’encodage, c’est elle donc qui sera retenue (Bransford, Barclay, & Franks, 1972; Jenkins, 1974; Tulving & Thomson, 1973). C’est pourquoi les noms scientifiques peuvent dire quelque chose à l’expert ou à celui qui a fait du latin, mais pas aux autres. Les noms vulgaires sont plus près de la majorité des visiteurs parce qu’ils sont généralement redondants, ils se réfèrent à l’aspect physique ou fonctionnel que l’on est à même de percevoir (Couteau de l’Atlantique, Olive porphyre, Huître perlière). Ce qui sera retenu de cette information, c’est souvent l’élément qui saura le plus rendre l’objet familier, celui qui se réfère à ou qui décrit la relation qui a été établie, car c’est elle qui porte le sens. On comprend ainsi pourquoi le thème de la description occupe presque autant de place que celui de l’identification. Si l’information fournie par l’étiquette ne permet pas d’établir une relation assez frappante pour le sujet, celle-ci sera supplantée par une autre: c’est le cas pour cette visiteuse qui parle de ces “coquillages torturés” plutôt que de Strombe, de Murex ou de Busycon poire. Les thèmes à caractère particulier Les proportions d’utilisation des thèmes ne doivent être envisagées qu’en tant qu’indices d’une tendance; l’importance de ceux-ci dans la contextualisation ne saurait être jaugée sur l’unique base de la fréquence d’utilisation, car un thème peu employé peut avoir un rôle très important à cause de son implication sémantique. À cet égard, la contextualisation peut être comparée à une peinture et les thèmes à ses couleurs; qu’on retranche une couleur et le tableau n’est plus le même, une couleur peut apparaître par touches parcimonieuses et cela suffit à faire vibrer l’ensemble du tableau. Il en est ainsi des thèmes de l’ambiance, de l’aura émotionnelle, du symbolisme et de la comparaison de contextes. 302 ESTELLE CHAMBERLAND Parce qu’ils résultent d’un effet de résonance directe et qu’ils agissent essentiellement au niveau du ressenti, ils sont des plus difficiles à traduire en mots. De plus, ces thèmes se caractérisent par le fait qu’ils enveloppent littéralement le contact avec l’objet, le visiteur ne les évoque donc pas devant chaque coquillage—comme c’est le cas, par exemple, pour l’identification et la description—et par le fait qu’ils ne s’évanouissent pas nécessairement une fois qu’ils ont été exprimés verbalement. Enfin, il est possible que le visiteur se retienne parfois de s’exprimer totalement sur ces thèmes à cause d’une certaine pudeur à livrer à une personne étrangère (l’accompagnateur) ce qu’ils peuvent révéler d’intime; comme pour toute chose chargée d’affectivité ou de merveilleux, s’exprimer sur ces thèmes exige une sorte de rite d’entrée. On comprend dès lors que le pourcentage des verbalisations où apparaissent ces thèmes soit assez faible. Leur importance dans la contextualisation et leur impact dans l’expérience du visiteur n’en est pas pour autant négligeable. Les visiteurs rapportent par exemple que l’ambiance joue un rôle de tremplin: elle déclenche des images familières, des souvenirs, des émotions. Elle est aussi un facteur déterminant de la syntonisation de l’individu à l’objet: lorsqu’elle est perçue négativement, elle sape l’intérêt et la curiosité alors que, perçue positivement, elle met l’individu dans de bonnes dispositions. Les comparaisons de contextes indiquent dans quelle optique le visiteur approche l’objet: avec un regard curieux et scrutateur, comme dans un laboratoire de biologie, avec un oeil charmé par la beauté des objets ou un oeil impressionné par l’aspect précieux et rare de l’objet, comme dans une galerie d’art ou chez un bijoutier; cette optique pourrait éventuellement être déterminante dans la relation qui s’établit entre la personne et l’objet. Par ailleurs, les liens les plus intimes de l’individu avec l’objet résident dans l’aura émotionnelle dont il entoure celui-ci et dans les rapports symboliques qui les unissent. Ces thèmes ramènent la personne à elle-même dans une expérience totalisante et condensent l’expérience en une impression profonde qui donne à la relation avec l’objet sa qualité particulière. Se baser uniquement sur l’information que donne une mesure quantitative risque donc d’affadir la vision de la contribution réelle de ces thèmes qui gagnent à être approchés et pénétrés par la voie des saveurs et des intensités. Les diverses positions théoriques Les thèmes des séquences d’interaction (9,7% des verbalisations) et des valeurs d’utilisation (3,8%) ont fait l’objet d’études dans des domaines différents du nôtre (perception, communication, relations interpersonnelles) tandis que ceux des aspects biologiques (5%) et écologiques (3,7%), plus spécifiques au domaine visé par notre étude, rejoignent davantage les préoccupations des muséologues et des concepteurs d’exhibits de musées. La place accordée à chaque thème par les visiteurs est-elle à la mesure de celle que les muséologues leur accordent dans un bon nombre d’exhibits de musées, et est-elle aussi à l’image de celle que les auteurs leur accordent dans la vision qu’ils ont développée du phénomène de construction du sens? LA CONTEXTUALISATION CHEZ LES VISITEURS DE MUSÉE 303 FIGURE 2 Proportion des verbalisations accordée aux thèmes après restructuration des données permettant de former le nouveau thème fiche spécifique Le musée qui a servi de cadre à notre recherche concerne le domaine des sciences naturelles. Les informations spécifiques à l’objet fournies dans les exhibits que nous avons utilisés sont du type de celles que l’on trouve dans bon nombre d’exhibits de musées de sciences naturelles sur les étiquettes, les panneaux, les dépliants; elles comprennent les noms de l’objet, celui de la famille à laquelle il appartient et sa localisation (informations contenues dans le thème identification). Si nous ajoutons à ces informations les aspects biologiques, nous obtenons un thème que nous avons appelé fiche spécifique. Nous avons comparé la proportion des verbalisations consacrées à ce thème par rapport aux autres thèmes (figure 2). On constate que l’intérêt des visiteurs pour les informations spécifiques à l’objet est important mais qu’il ne constitue pas à lui seul la totalité, ni même la plus grande partie des préoccupations. Par ailleurs, comme les exhibits ne fournissaient pas d’informations sur le cadre naturel de l’objet, si celui-ci avait été une condition essentielle ou très importante pour trouver un sens à l’objet, comme le supposent certains auteurs (Doré, 1985; Pezet, 1985), le visiteur aurait surtout tenté de se faire une représentation fidèle ou tout au moins plausible 304 ESTELLE CHAMBERLAND du milieu d’origine de l’objet: fond marin, fond des lacs et des rivières, littoral, tous lieux qui voient naître et se développer les coquillages. C’est le thème aspects écologiques qui regroupe ce type d’informations. Or ce thème ne se retrouve que dans 3,7% des verbalisations. Ce pourcentage, ainsi que la diversité des thèmes abordés par les sujets, indiquent que la reconstitution du contexte d’origine est loin d’être la principale préoccupation du visiteur. Si on regroupait les thèmes de l’ambiance et celui des aspects écologiques, on rejoindrait peut-être la position des auteurs concernant la reproduction du cadre d’origine de l’objet. En effet, lorsque le visiteur fait allusion au bord de mer, on peut considérer celui-ci comme le milieu d’origine de l’objet, puisqu’il est le lieu naturel où les coquillages viennent souvent s’échouer et où on en fait la cueillette lorsque la marée se retire. La figure 3 illustre les proportions des verbalisations obtenues à la suite de ce regroupement et la place qu’occuperait le thème cadre d’origine par rapport aux autre thèmes. Ainsi regroupés, les thèmes de l’ambiance et des aspects écologiques occuperaient 10,1% des verbalisations. Une telle proportion ne suffit pas pour affirmer que c’est principalement par la représentation ou la reconstitution du cadre d’origine de l’objet que le visiteur trouve un sens à l’objet qu’il observe. FIGURE 3 Proportion des verbalisations accordée aux thèmes après restructuration permettant de former le nouveau thème cadre d’origine LA CONTEXTUALISATION CHEZ LES VISITEURS DE MUSÉE 305 Nos résultats viennent également nuancer les façons de voir des auteurs d’autres domaines que celui de la muséologie. La diversité des perspectives ainsi que le nombre de thèmes utilisés par le visiteur dépassent l’idée que se font les auteurs de ce qui compte aux yeux de la personne dans sa quête de sens. La contextualisation que les visiteurs font de l’objet déborde ainsi largement le champ des intérêts et des préoccupations qu’on leur prête et auxquels on tente de répondre dans la construction des exhibits au musée. Les différents points de vue qui ont tendance à mettre toute l’importance sur un seul aspect de la construction du sens n’ont trouvé, dans l’expérience du visiteur, aucun écho assez fort pour confirmer la suprématie de l’un d’eux dans la contextualisation, qu’il s’agisse des valeurs d’utilisation (thème mis de l’avant par Gibson, 1977), des séquences d’interaction ou de la structure dramatique (aspect mis de l’avant par Kaplan & Kaplan, 1982; Mancuso & Sarbin, 1983) ou même de la structure émotionnelle (aspect développé par Bastik, 1982). Il importe toutefois de souligner que les théories dont nous nous sommes servi en guise de point de comparaison ont été élaborées dans des situations fort différentes de la nôtre. Il s’agissait alors d’études portant sur la perception, sur la personnalité ou sur l’intuition, où les sujets étaient placés devant des problèmes à résoudre, dans des situations de communication interpersonnelle, ou de témoignage à donner sur des événements précis. Aussi ne prétendons-nous pas réfuter les théories de ces auteurs. Nous tenons seulement à souligner que celles-ci ne peuvent s’étendre à toute situation de construction de la signification, particulièrement à une situation offrant un plus grand degré de liberté au sujet. De plus, ces comparaisons permettent de constater que la contextualisation ne peut être réduite à un seul aspect, une seule perspective. Répartition des thèmes Selon les étapes de la cueillette La cueillette de données a été effectuée à des moments différents: d’abord, au moment même de la visite, puis au cours d’un entretien avec l’accompagnateur. Le fonctionnement du visiteur n’est pas le même dans les deux cas. Au cours de la visite, il est spontané, le visiteur est livré à lui-même puisque l’accompagnateur n’est, à toute fin pratique qu’une oreille sympathique. Au moment de l’entretien, par contre, le fonctionnement est réflexif et le visiteur jouit du support de la conversation et des questions qui lui sont posées. On peut donc se demander s’il y a une différence dans la répartition des thèmes ainsi que dans l’importance qui leur est accordée entre le matériel livré spontanément et l’ensemble du matériel recueilli. Si oui, quel est le sens de cette différence? La figure 4 illustre la proportion des verbalisations consacrées à chaque thème lors de la visite (verbalisations spontanées) et lorsque l’on additionne la visite et l’entretien. 306 ESTELLE CHAMBERLAND FIGURE 4 Proportion des verbalisations relatives aux thèmes de la contextualisation au cours de la visite et quand on additionne visite et entretien Sauf en ce qui concerne les thèmes de l’ambiance et les séquences d’interaction, les deux portraits sont à peu près semblables. Par ailleurs, si tous les thèmes apparaissent déjà au cours de la visite, certains y sont très faiblement représentés (symbolisme, comparaison de contextes, ambiance). 307 LA CONTEXTUALISATION CHEZ LES VISITEURS DE MUSÉE Selon les résultats obtenus quand on met ensemble toutes les données recueillies, on peut croire que c’est grâce au support fourni par l’entretien que ces thèmes ont pris plus de poids; apparaissent, en tous cas, chez plusieurs sujets, des thèmes qu’ils n’avaient pas abordés à haute voix durant la visite. Selon le nombre de thèmes utilisés par le visiteur La diversité des thèmes observée chez l’ensemble des visiteurs se retrouve-telle dans l’expérience individuelle? Le visiteur aborde-t-il tous ces thèmes pour contextualiser l’objet? Le tableau 1 indique le nombre et la proportion de sujets en rapport au nombre de thèmes utilisés pour contextualiser les objets. On constate que la plupart des sujets, 86,7% au total, n’abordent pas plus de la moitié des thèmes (de 0 à 5 thèmes) lors de la visite. Mais en regardant l’ensemble des données recueillies, on constate que cette proportion se réduit à 19,9%. L’analyse des comptes rendus individuels montre qu’il arrive qu’un visiteur s’en tienne uniquement aux thèmes qu’il a abordés spontanément et que l’entretien n’apporte qu’une infime modification de l’amplitude donnée à chacun. TABLEAU 1 Proportion de sujets utilisant chaque nombre de thèmes pour contextualiser les objets Nombre de thèmes abordés dans la contextualisation 0 1 2 Visite Nombre/ sujets Pourcentage 2 4,4 1 2 2,2 4,4 Visite et entretien Nombre/ sujets Pourcentage 0 0 0 0 0 0 3 4 10 22,2 15 33,3 2 4,4 2 4,4 5 9 20 5 11,1 6 7 8 9 10 3 6,7 2 4,4 0 0 1 2,2 0 0 6 13,3 15 33,3 8 17,8 5 11,1 1 2,2 308 ESTELLE CHAMBERLAND Mais il arrive aussi qu’une personne n’aborde qu’un seul thème durant la visite et qu’elle lui greffe par la suite, mais en très faible proportion, un ou deux autres thèmes. Cela représente un type extrême. À l’autre extrémité se trouve la personne qui aborde tous les thèmes sans exception. Somme toute, il apparaît qu’en général la contextualisation est réalisée à partir de plusieurs thèmes dont la répartition semble relever d’un choix du visiteur selon ses préoccupations et son style cognitif. Ces résultats suscitent une réflexion méthodologique. L’observation d’un processus comme celui de la construction du sens pose une difficulté particulière du fait qu’elle repose sur ce que les sujets peuvent et acceptent de livrer de leurs pensées et de leurs sentiments. De plus, le jugement qu’ils portent sur la pertinence et la valeur de leurs pensées pour la recherche à laquelle ils participent limite le matériel qu’ils livrent. Une cueillette de données en trois parties et le recours à des techniques différentes (accompagnement silencieux, utilisation d’un instrument projectif, entretien semistructuré), se sont avérés un choix judicieux. Nos résultats confirment l’importance de procéder de cette manière. Nous croyons que le chercheur ne devrait pas se fier uniquement aux réponses que fournit le visiteur lorsqu’il est soumis à un questionnaire d’enquête à sa sortie du musée, ou à la seule observation des faits et gestes de ce dernier, parce que certains aspects de son expérience demandent, pour être révélés, une mise en confiance, des circonstances favorables (intimité, disponibilité) et la possibilité de s’exprimer par voie indirecte (instrument projectif). La valeur de cette méthode réside non seulement dans le fait qu’elle permet de recueillir des informations plus complètes, plus détaillées et plus variées que celles qu’on aurait pu obtenir en n’utilisant qu’une seule de ces techniques, mais également dans le fait qu’elle fournit un meilleur aperçu de ce qui se passe réellement au cours de la visite, en favorisant, chez le visiteur, la mise au jour d’aspects parfois très intimes de son expérience et délicats à exprimer. Une remarque équivalente pourrait être faite sur la méthode d’analyse des données. Une mesure quantitative permet de déceler des tendances, mais nous avons vu que la valeur de certains thèmes de la contextualisation (ambiance, aura émotionnelle, symbolisme, comparaison de contextes) réside dans leur rayonnement, leur intensité et leur profondeur. Une mesure purement quantitative (fréquence d’apparition) ne saurait donc rendre justice à ces thèmes, ni en indiquer la véritable portée dans le processus de contextualisation. CONCLUSION La quantité et la diversité des thèmes décelés dans la démarche des visiteurs ont permis de nuancer et d’élargir la vision par trop focalisée que plusieurs auteurs avaient développée du phénomène de construction du sens. On se rend compte qu’en mettant l’accent sur un seul thème (valeurs d’utilisation, structure dramatique) et en concluant que ce thème constitue le noyau LA CONTEXTUALISATION CHEZ LES VISITEURS DE MUSÉE 309 central de la contextualisation ou sa forme naturelle, la complexité du phénomène étudié s’en trouve considérablement réduite, et, du même coup, on en perd la richesse et on n’aboutit qu’à une compréhension partielle. Par ailleurs, nos résultats mettent en lumière une réalité qui contredit la position de certains auteurs. En premier lieu, la position qui affirme qu’un exhibit est éducatif en autant qu’il transmet un message clair, précis, saisi et retenu par un public défini (Screven, 1974; Shettel, 1973). L’idéal serait, selon ces auteurs, de partir d’objectifs bien définis, afin de couper court à l’ambiguïté. Cette position peut être rassurante pour le muséologue, car s’il se fixe des objectifs précis, il peut prétendre ensuite pouvoir effectuer des évaluations apparemment objectives de l’impact de son action sur le visiteur. Nos résultats permettent de croire que c’est là une vision assez étroite et fort limitée de l’expérience du visiteur et des bénéfices qu’il peut tirer de sa visite au musée. Avec une telle vision, le risque est grand de passer à côté de ce qui compte réellement pour le visiteur dans son contact avec l’objet. En second lieu, on conçoit généralement la visite au musée comme une communication entre le muséologue (émetteur d’un message) et le visiteur (récepteur du message) (Borun & Miller, 1980; Cameron, 1967; Screven, 1969; Scrutton, 1969; Shettel, 1973). Or, nos résultats montrent que cette perception n’est pas partagée par les visiteurs: même si les intentions et les objectifs des exhibits ne sont pas clairement définis, même si le sujet demeure seul face à l’objet, il peut se passer beaucoup de choses à travers ce contact et on peut penser, vu la diversité des thèmes abordés, que les bénéfices que le visiteur retire de son expérience ne se réduisent pas à un seul aspect, celui d’une augmentation d’un savoir théorique sur l’objet. Nos résultats s’opposent également à une position extrême, que l’on retrouve dans la nouvelle muséologie, et qui propose la désacralisation de l’objet muséal par l’archivage systématique (Deloche, 1985). Cette approche qui se veut hautement objective, en privant l’individu de l’objet pour ne lui livrer que des informations choisies sur celui-ci, aseptise la démarche du visiteur de toutes résonances subjectives, et indique une volonté de contrôler l’expérience du visiteur. Cette position comporte un danger majeur: elle risque de ne livrer de l’objet que des aspects dont on ne sait pas s’ils ont un sens véritable pour la personne. Or nous croyons pouvoir dire de la signification qui résulte de la contextualisation de l’objet ce que Chevalier et Gheerbrant (1982) disent à propos du symbole: elle “n’est pas simple photographie d’une realité toute extérieure, [elle] est convergence d’affectivité, communication vibratoire” (p. xxii). Quelques réflexions livrées par nos sujets sont révélatrices: “C’est comme si les choses passaient toujours à travers soi.” “Ça me parle davantage parce que je me projette là-dedans.” “Ça me fait quelque chose parce que j’ai l’impression qu’il y a une partie de moi dans ça.” 310 ESTELLE CHAMBERLAND Ces exemples, joints aux résultats exposés, illustrent le besoin de l’individu de faire sa propre expérience du contact avec l’objet et non de saisir uniquement ce que d’autres ont perçu et jugé pertinent ou de grande valeur pour lui. L’intérêt d’une démarche comme la nôtre est de préciser les angles d’attaque d’un domaine peu exploré dans le milieu que nous avons choisi, celui des musées. Nos résultats suggèrent plusieurs pistes intéressantes pour des recherches futures. Par exemple, les thèmes de la contextualisation sont-ils les mêmes, quelles que soient les circonstances de la visite et le type de musées? Devant des présentations d’objets différentes, les thèmes de la contextualisation sont-ils les mêmes et les accents portent-ils sur les mêmes aspects? RÉFÉRENCES Alt, M.B., & Griggs, S.A. (1984). Psychology and the museum visitor. In J.M.A. Thompson (Ed.), Manual of curatorship (pp. 386–393). London: Butterworths. Arnheim, R. (1976). La pensée visuelle (traducteurs, Claude Noël et Marc Le Cannue). Paris: Flammarion. (Oeuvre originale publiée en 1969) Bastik, T. (1982). Intuition: How we think and act. New York: John Wiley & Sons. Bateson, G. (1977). Vers une écologie de l’esprit (tome 1) (traducteurs, F. 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L’adresse d’Estelle Chamberland est la suivante: Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal, case postale 6128, succursale A, Montréal (Québec) H3C 3J7. Une visite guidée par les pairs dans le Vieux Montréal* André Lefebvre université de montréal Un avis au Ministre de l’Éducation du Québec souligne l’importance des ressources éducatives qui ne sont pas des institutions d’enseignement. Les enseignants du primaire et du secondaire peuvent sensibiliser la population jeune aux possibilités offertes par ces ressources. Encore faut-il qu’ils les saisissent bien. Une façon d’y arriver est qu’ils en deviennent les utilisateurs. L’expérience a été tentée à l’intérieur d’un séminaire de maîtrise. Les enseignants-participants ont exploré le monde muséal. Ils parlent ici de l’intérêt qu’a suscité chez eux la visite du Vieux Montréal dont ils ont été les guides. Ils disent combien ils ont appris ainsi et ce qu’ils ont appris. Ils parlent de l’insécurité qu’ils ont éprouvée comme guides et montrent comment l’atmosphère s’est détendue au cours de la journée. Ils décrivent le rôle de la personne-ressource. A recent document from the Quebec Ministry of Education emphasized the importance of educational resources outside the school. Elementary and secondary teachers must know such resources well if they are in turn to persuade young persons of their value. As part of a Master’s degree seminar, teacher-participants explored the world of museums, then gave guided tours of Old Montréal. Here they tell how much they learned by doing so; they also describe the insecurity they initially felt and how their feelings changed during the day. Finally, they analyze the role of resource-person. LE COURS ÉDUCATION ET RESSOURCES COMMUNAUTAIRES En 1986, le Conseil supérieur de l’Éducation du Québec adoptait un avis au Ministre intitulé Les nouveaux lieux éducatifs, avis qui ne devait toutefois pas paraître avant 1987. Il explique: * Cette recherche a été rendue possible grâce à des subventions du Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche du Québec et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. 313 REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION 16:3 (1991) 314 ANDRÉ LEFEBVRE Dans quelque sphère que ce soit, la participation des personnes à la vie communautaire et sociale, dans une société démocratique, repose sur l’information. Elle réclame aussi la formation et le perfectionnement d’habiletés particulières et elle exige l’acceptation d’un certain nombre de valeurs. Un tel bagage n’est pas inné; dans certaines formes de société, il se transmet et s’acquiert uniquement par l’imitation, l’exemple et l’expérience. Mise à part la socialisation des personnes, qui se réalise régulièrement selon ces processus, c’est-à-dire d’une manière largement inconsciente et informelle, tous les autres éléments nécessaires à la vie dans une société complexe s’acquièrent selon des modes et en des lieux précis, généralement en certaines périodes particulières de l’existence. Il y faut des équipements et des méthodes adaptés à la nature des savoirs à transmettre et aux capacités individuelles des sujets. À cette fin, le regroupement des ressources humaines et matérielles requises a pris forme dans l’institution scolaire et c’est sur la période de jeunesse que se sont concentrés les efforts d’éducation de la société. Tous les besoins n’ont pas été satisfaits pour autant, car en même temps d’autres sources éducatives sont apparues, ou certaines déjà en place ont adapté ou ont modifié leurs objectifs et leurs moyens d’action, le tout pour répondre aux attentes qui ne pouvaient être satisfaites par l’école. (Conseil supérieur de l’Éducation, 1987, p. 1.) Le Conseil évoque ‘‘l’importance du réservoir de ressources éducatives disponibles au Québec dans de nombreuses institutions ou organisations, publiques ou privées, en dehors du système d’enseignement’’ (p. 1). Ces institutions ou organisations, il les regroupe dans les ‘‘quatre sphères où se concentrent principalement les activités humaines: 1. la sphère socioculturelle, 2. la sphère sociopolitique, 3. la sphère économique, 4. la sphère des communications’’ (p. 4.). Les nouveaux lieux éducatifs du Conseil supérieur sont-ils vraiment nouveaux? Le seraient-ils parce qu’on viendrait seulement de songer à les utiliser en l’éducation? Mais on les utilise naturellement depuis toujours, et Monsieur Jourdain a parlé en prose avant de savoir que prose il y avait. Le seraient-ils parce qu’on viendrait seulement de songer à les utiliser à l’école? Mes maîtres d’autrefois, avant la Réforme de l’éducation, au temps de la grande noirceur, eux qui n’avaient pas bénéficié des prestigieuses sciences de l’éducation, ni même, souvent, de la pauvre école normale, je peux en témoigner, les utilisaient autant que possible. Et l’on sait de reste que les nouveaux lieux éducatifs du Conseil font partie depuis toujours des moyens pédagogiques mis de l’avant à toutes les époques par les tenants du courant pédagogique qu’on fait remonter à Socrate. Je n’en veux pour preuve que l’exploitation du bureau de poste suggérée, je ne me souviens plus où, par l’éminent Roger Cousinet. Loin de moi, toutefois, l’idée de reprocher au Conseil de découvrir après tout le monde les lieux d’éducation et d’enseignement qui existent en dehors de l’école. Si ces lieux font partie depuis toujours de la pratique pédagogique au Québec, si la formation des maîtres, au Québec, aussi bien dans les écoles normales que dans les facultés et départements des sciences de l’éducation de nos universités,—je puis l’attester ayant oeuvré dans les deux UNE VISITE GUIDÉE PAR LES PAIRS 315 types d’institutions au cours des trente-cinq dernières années,—il est vrai qu’on vient à peine de les institutionnaliser à l’Université de Montréal dans le cours Éducation et ressources communautaires de la maîtrise professionnelle de ma faculté. Ce cours, dont j’ai proposé la création, est cependant antérieur à l’Avis du Conseil, puisque je le fais depuis l’automne de 1985. Le cours Éducation et ressources communautaires a été conçu selon l’optique même qui allait inspirer le Conseil supérieur de l’Éducation, qui 1. rappelle que la mission éducative de la société déborde largement les cadres de l’institution scolaire et trouve dans un nombre croissant de lieux des voies valables d’approfondissement et de diffusion; 2. attire l’attention des éducateurs des établissements scolaires sur l’opportunité et la nécessité de mettre à profit le potentiel des lieux non scolaires de formation dans le cheminement éducatif des citoyens, jeunes et adultes; 3. recommande aux établissements d’enseignement d’accroître leur collaboration avec les autres lieux de formation en particulier par l’accès réciproque à leurs ressources respectives; 4. recommande aux éducateurs d’intégrer l’initiation aux langages des médias comme un élément de formation de base, dont l’objectif est la compréhension et l’utilisation critique de ces moyens partout présents. (Conseil supérieur de l’Éducation, p. 4) Le cours Éducation et ressources communautaires, toutefois, comme il est normal, poursuit ces fins en les appliquant au travail même de l’enseignant. Le plan de cours explique: Le cours prend pour acquis que la classe, à tous les niveaux et dans toutes les disciplines, doit être le point de départ et d’arrivée des explorations de l’élève dans l’espace et le temps, explorations au cours desquelles il s’approprie le monde et ses richesses dans un incessant va-et-vient entre l’ici et l’ailleurs, entre l’aujourd’hui, le demain et l’autrefois. Le cours porte tout spécialement sur les ressources communautaires (sur les biens culturels tout particulièrement) dont peut se servir l’élève dans ses explorations. Ces ressources sont nombreuses et variées. Elles peuvent être d’ordre historique ou géographique; d’ordre politique, économique ou culturel. Il peut s’agir du quartier ou de la ville, du village ou de la campagne; de sites ou d’immeubles; d’églises, de théâtres, de maisons de la culture, d’écoles ou de musées. Dans le cas des musées, il peut s’agir de musées historiques (d’histoire, d’archéologie, d’anthropologie, d’ethnographie), de musées de sciences et de technologie (les planétariums et les observatoires en sont), de musées de la vie animale ou végétale (aquariums, jardins botaniques, arboretums, serres). 316 ANDRÉ LEFEBVRE Cette notion de ressources communautaires est à peine moins compréhensive que celle de lieux éducatifs, sans toutefois avoir l’extension de la définition de la chose muséale que j’élaborais pour le colloque Musée et éducation tenu à l’Université du Québec à Montréal à l’automne de 1985 (Lefebvre, 1986). Même alors, pourtant, je croyais déborder à peine la catégorisation des musées de Statistiques Canada (1979): Dans les tableaux, la catégorie des musées historiques comprend les musées d’histoire, d’archéologie, d’anthropologie et d’ethnographie. Les musées de sciences et de technologie désignent outre les établissements qui portent ce nom, les planétariums et les observatoires. Quant aux aquariums, aux jardins zoologiques, aux jardins botaniques, aux arboretums et aux serres, ils font partie des musées de vie animale et végétale. Les bâtiments et lieux historiques restaurés sont classés parmi les restaurations. Enfin, les parcs ou centres naturels ont été pris en compte dans la catégorie ‘‘autres établissements.’’ Dans les graphiques, les établissements ont été regroupés selon des catégories plus générales à titre indicatif. Les musées d’intérêt historique désignent les bâtiments ou lieux historiques restaurés, les musées généraux, les musées d’intérêt local et les musées historiques proprement dits. Les musées de science et de technologie ainsi que les musées de vie animale et végétale forment une seule catégorie et les ‘‘autres établissements’’ comprennent les archives. (p. 5) Le cours Éducation et ressources communautaires est devenu un laboratoire privilégié pour le Groupe de recherche sur l’adulte et les lieux muséaux de l’Université de Montréal. Plusieurs projets ont été réalisés dans ce cours et ont même donné lieu à des publications (Lefebvre, H., 1988). Personnellement, je m’emploie actuellement à dégager des comptes rendus des visites réalisées durant ce cours une sorte de portrait de l’enseignant visiteur de lieux muséaux, et c’est la partie de cette étude concernant la visite guidée par les pairs avec personne-ressource que je présente ici. Mais d’abord, quelle est la clientèle du cours Éducation et ressources communautaires? Donné à cinq reprises jusqu’à présent, le cours a compté 56 participants âgés de 25 à 55 ans environ. Ces enseignants appartiennent à tous les ordres du système d’enseignement, au primaire même et aussi au préscolaire, au collégial encore et même à l’enseignement supérieur, s’ils sont surtout du secondaire. Du secondaire et du collégial, ils sont aussi bien du secteur professionnel que du secteur général, et ils représentent toutes les disciplines. Chaque groupe a visité 5, 6 ou 7 lieux muséaux. En tout, 20 lieux l’ont été: –L’Oratoire St-Joseph et le Vieux Montréal; –L’Atelier d’histoire Hochelaga-Maisonneuve et le Centre d’histoire de Montréal; –Le Jardin botanique et le Parc archéologique de Pointe-du-Buisson (à Melocheville); –La salle de muséologie Marius-Barbeau du Département d’anthropologie de l’Université de Montréal et la Maison de la culture de Notre-Dame de Grâce; UNE VISITE GUIDÉE PAR LES PAIRS 317 –La Maison de Mère Youville, la Maison de George-Etienne Cartier; –Le Château Ramesay et le Château Dufresne; –L’archibus du Musée des beaux-arts de Montréal et la Salle des découvertes de l’École Westmount Park; –Le Musée des beaux-arts de Montréal, le Musée McCord d’histoire canadienne, le Musée d’histoire David-M. Stewart, le Musée d’histoire naturelle Georges-Préfontaine et le Musée Marie-Rose Durocher des Soeurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie. Le Vieux Montréal a été visité à quatre reprises, le Musée des beaux-arts et le musée Georges-Préfontaine, à trois reprises, et le Musée David-M. Stewart, à deux reprises. Les visites effectuées par les participants sont de plusieurs types: visite guidée par un guide professionnel, visite guidée par les pairs avec la participation d’une personne-ressource, visite avec audio-guide, visite libre avec ou sans personne-ressource. Les participants ont rédigé des comptes rendus de visites, chacun comme il l’entendait. Aucune directive particulière n’a été donnée sur la façon de le faire. À diverses reprises, des participants ont demandé des consignes précises, demande qui est toujours restée sans réponse. Une grille d’analyse a été développée et chacun des comptes rendus a été analysé suivant les principes de l’analyse de contenu. Il ne saurait être question de présenter ici l’ensemble des résultats de cette analyse. Nous n’en verrons que ceux qui ont le rapport le plus étroit avec la formation des éducateurs. J’ai cru qu’une présentation où je laisserais parler ces derniers serait plus éloquente qu’une présentation traditionnelle. J’ai tenté de limiter le plus possible mon intervention, me bornant la plupart du temps à introduire des témoignages que j’ai regroupés sous 16 thèmes. Ces témoignages sont si riches, les gestes posés sont si souvent expliqués par leurs auteurs et ceux-ci ont une si grande intuition de leurs effets qu’il me semblait superflu de proposer mes propres interprétations. DONNÉES DÉGAGÉES DE L’ÉTUDE DES COMPTES RENDUS DE LA VISITE DU VIEUX MONTRÉAL La visite du Vieux Montréal commence à neuf heures du matin pour se terminer à quatre heures de l’après-midi. Elle se fait à pied et elle est guidée par les étudiants avec l’assistance du professeur jouant le rôle de personneressource. La visite, occasion de participation active Sur le plan de l’activité personnelle, on compare la visite du Vieux Montréal à une autre visite, celle du Musée des beaux-arts, que l’on a faite avec un guide professionnel. 318 ANDRÉ LEFEBVRE –La visite du Vieux Montréal se caractérisait par une participation active de la part du groupe, contrairement au rôle passif que nous avions tenu lors de la visite du Musée des beaux-arts. En quoi la visite du Vieux Montréal est-elle active? –La participation à la visite du Vieux Montréal fut active dans le sens que chaque membre du groupe devait présenter un site. Cela permettait à chacun d’être à la fois animateur et observateur. Chaque participant fait connaître d’une façon originale une partie du Vieux Montréal et augmente sa connaissance des autres parties. Actif, on est davantage intéressé par la visite du Vieux Montréal que par celle du Musée des beaux-arts. –La formule adoptée pour effectuer la visite du Vieux Montréal, à mon avis, était beaucoup plus valable en ce qui concerne l’apprentissage que la visite guidée du Musée des beaux-arts, parce que nous avons eu une part active dans son déroulement. Cette formule a suscité beaucoup d’intérêt. –J’ai beaucoup aimé la façon de cheminer dans la découverte du quartier, chacun ayant une partie du terrain à couvrir. Je pense que cela a suscité l’intérêt de tous et chacun. Sur le plan didactique, c’est une méthode que je retiens, car elle permet une visite plus vivante et dynamique que la traditionnelle visite guidée pour touristes. Cet intérêt, justement, doit beaucoup au fait que chacun est impliqué personnellement. –Responsable de la présentation d’un site, chacun a dû effectuer un travail de recherche. Le fait d’avoir à présenter un site a accru ma motivation. J’étais directement impliquée. On le voit, on est impliqué du fait de devoir se préparer à présenter un site. –La présentation d’un lieu en particulier que nous devions faire nous a obligés à faire une petite recherche. On est même impliqué du seul fait qu’il faut marcher, et toute une journée. –Bien sûr, le fait que j’aie eu à préparer et à présenter un site me forçait déjà à m’impliquer dans la visite, mais il y avait aussi que j’étais très impliquée physiquement. La variété des présentations comme élément dynamique Chaque présentation, forcément, est personnelle. –Le fait que nous étions guides à tour de rôle a conféré à la visite un petit côté personnel. UNE VISITE GUIDÉE PAR LES PAIRS 319 On s’y attend. –J’attendais du groupe une recherche bien documentée et une présentation originale. D’ailleurs, on peut être d’autant plus original qu’on est libre de faire comme bon nous semble. –Très peu d’informations nous ont été données concernant les modalités de présentation du site. Nous avions comme seul document la brochure publiée par la Ville de Montréal: Montréal. Le Vieux Montréal à pied. Nous avions donc pleine liberté d’action. Cela me plaisait beaucoup, car je sentais que je pouvais mettre dans mon exposé la dose d’originalité nécessaire pour le rendre intéressant. Trop de consignes auraient rendu la visite monotone. Une telle liberté, évidemment, comporte des risques, mais qui valent la peine d’être courus. –Il est vrai que le manque d’encadrement peut provoquer l’insécurité, et, dans certaines circonstances, le désordre. Dans notre cas, cela aura permis à chacun d’agir en toute liberté et d’orienter ses recherches selon ses intérêts. Les présentations en étaient d’autant plus personnalisées. Un cadre trop rigide ne risque-t-il pas de diminuer l’intérêt, le désir de se dépasser? Des présentations marquées au coin de la personnalité du présentateur ne peuvent qu’être très diverses. –J’ai bien apprécié la participation de tous les membres du groupe. Cela a permis des approches variées. Entre autres, j’ai bien aimé le petit guide préparé par Odette, l’exposé de Louise sur la vie de tous les jours au Château Ramesay à l’époque du gouverneur, la documentation supplémentaire apportée par Sylvia, l’album de photos d’autrefois que nous montra Robert, la carte de Montréal au XVIIIe siècle qu’arborait Hélène. Le tout, partant, doit être pittoresque. –La diversité des exposés rendait la visite très colorée. Par suite, la variété des présentations entraîne la variété des réactions. –C’est étonnant la variété des approches adoptées, celle des commentaires provoqués, des émotions ressenties. La variété, l’originalité des présentations sont de nature à soutenir l’attention, à renouveler l’intérêt. –L’originalité de la présentation du guide improvisé polarise mon attention et soutient la démarche du groupe, émerveillé de voir comment chacun sait se tirer d’affaire. –Voici une façon très originale de visiter un quartier. Chacun, à tour de rôle, agit comme guide et nous entretient sur un site. C’est plus intéressant qu’une visite guidée par un guide professionnel, car chacun, avec sa person- 320 ANDRÉ LEFEBVRE nalité propre, ajoute aux renseignements une note personnelle qui fait que l’intérêt de tous est sans cesse stimulé. L’attention, l’intérêt sont aussi fonction de l’émulation, d’une certaine rivalité même. –Chacun devant s’impliquer, se crée une sorte de ‘‘challenge,’’ chacun cherchant à faire de son mieux. Mais les présentations sont-elles toutes aussi stimulantes, indépendamment du site? Les opinions varient. –Les différents guides ont capté mon attention et maintenu mon intérêt tout au long du parcours. –Certains exposés m’ont paru plus intéressants que d’autres, et cet intérêt n’était pas conséquence du site présenté, mais de l’animateur et de ce qu’il avait préparé sur son site. L’apprentissage et ses modalités Actif, intéressé, on apprend, c’est forcé, du moins si la pédagogie ne ment pas. –L’idée d’utiliser nos talents de guide m’a beaucoup plu. J’ai appris énormément de choses au cours de la visite. On apprend beaucoup parce qu’on s’est bien préparé. –J’ai eu l’impression d’apprendre plus de choses lors de la visite du Vieux Montréal qu’ailleurs parce que je m’y étais bien préparée. J’avais même lu une histoire de Montréal durant la semaine précédant la visite. On apprend beaucoup aussi parce que tous vivent la même aventure dans l’ordre du savoir. –J’ai appris bien des choses malgré la chaleur. Pourquoi? Peut-être parce qu’il est agréable d’apprendre avec des gens qui partagent les mêmes intérêts que nous. –I was always very keen about Old Montreal, but this visit has left me four times more keen. I now understand four times more what Old Montreal is all about. I had participated in very informative tours of Old Montreal, this one had a very special flavour. I felt the whole group was one and we had one aim; that is to find out as much as possible about the Old Montreal community. It is incredible how a professor can create such a beautiful piece of art work. I could not help observing and reflecting on some of his more discrete behaviours. Tout en marchant d’un site à l’autre, on apprend les uns des autres. –Nous marchons par deux, par trois. Les commentaires des uns et des autres sont presque tous intéressants. Quels échanges! Que d’échanges enrichissants! UNE VISITE GUIDÉE PAR LES PAIRS 321 Justement, on apprend les uns des autres, et non pas seulement du présentateur. –Cette visite a pris l’allure d’une rencontre à plusieurs, d’un échange de connaissances. Nous devenions tous des personnes-ressources. –Chacun veut faire connaître aux autres quelque chose du Vieux Montréal, d’où vient que l’intérêt pour cette visite est très grand. Tout en marchant, on apprend même d’un guide des choses dont il n’a pas parlé dans sa présentation. –Tout au long du parcours, j’ai parlé avec différentes personnes qui m’ont apporté des informations complémentaires à leurs exposés. Par exemple, Hélène m’a parlé du livre qu’elle a commencé à lire sur l’histoire de Montréal. On apprend comme malgré soi. –Dans un cadre informel et non directif, j’ai appris sans m’en rendre compte. L’atmosphère de détente propre au type de visite favorise l’assimilation des connaissances. –J’adore ce genre de visite, parce que nous apprenons tout en relaxant. –Mon intérêt est très soutenu, car je dois surveiller les informations qui fusent de toutes parts. Dans une atmosphère de détente, j’enregistre assez facilement plusieurs notions qui m’étaient jusqu’alors inconnues. –Il y a aussi le climat de confiance qui s’installe peu à peu entre nous. Ah! le plaisir de s’instruire pour instruire! –Quelle belle journée, et combien enrichissante! Toutefois, ce qui m’a le plus emballée, c’est la préparation des deux sites qui m’étaient assignés. Je suis passée des dizaines de fois par la Place Jacques-Cartier, et jamais je ne l’ai vue comme maintenant. J’ai visité seule mes deux sites. À plusieurs reprises, j’ai fouillé dans des livres pour les connaître mieux. Quand je retournerai dans le Vieux Montréal, ce sera avec un regard différent que je verrai le quartier, les rues, les édifices qui ont tant à raconter. Et on apprend d’autant mieux que chacun a plaisir à apprendre quelque chose aux autres, mes enseignants le savent, qui donnent une chance à leurs élèves de s’entre-instruire. –Je me promets de revivre cette expérience avec des amis, et, je l’espère, avec des élèves, et en reprenant la même recette, afin que chacun ait la joie d’apprendre quelque chose aux autres. C’est très important pour moi, en tant qu’élève, d’apporter quelque chose au groupe. D’ailleurs, de plus en plus, en tant qu’enseignante, j’essaie d’impliquer les élèves afin de garder en éveil leur intérêt, leur goût d’apprendre. 322 ANDRÉ LEFEBVRE Au fait, apprend-on mieux de ses pairs que des guides professionnels, qui ne sont jamais nos pairs? Ah! oui, je me le rappelle: ‘‘Demande à Pierre de t’expliquer cela,’’ disait l’instituteur à Paul dans le temps, constatant son échec et à bout de patience. Combien de Paul ont alors compris, qui . . . ? Ah! les discours que tiennent des élèves à d’autres élèves, leurs contemporains, usant du vocabulaire de leur génération, utilisant des exemples empruntés au monde qui est le leur ! –La visite guidée par des pairs me semble des plus intéressantes, même si elle risque d’être moins ‘‘scientifique’’ (entre guillemets) que celle guidée par un professionnel, parce qu’il n’y a pas de décalage entre le guide improvisé et le visiteur et qu’elle engage davantage les sentiments des participants, qui doivent forcément s’impliquer. Le groupe, on en est persuadé, favorise l’apprentissage. –Je constate que les contacts avec les gens constituent un élément favorable à mon apprentissage, soit par les informations qu’on acquiert, soit même seulement par l’atmosphère qui règne. –Cette attitude positive face au groupe influence sûrement ma perception d’une activité qui, normalement, ne fait pas partie de mes choix de sorties. J’ai trouvé accessible, et même agréable, le contenu historique de la visite. Quelqu’un, reprenant des éléments déjà relevés (préparation personnelle, variété des présentations, atmosphère de détente, motivation, émulation) explique avec un bonheur certain le haut niveau d’apprentissage atteint au cours de la visite. –Selon ce que j’ai pu vivre, je crois que l’auto-animation permet une meilleure assimilation du savoir, et ceci pour plusieurs raisons. Premièrement, afin d’être en mesure de donner le maximum d’informations aux camarades, chacun se doit de se documenter et d’effectuer les recherches nécessaires pour ce faire. De plus, la variété des styles d’animation fait qu’on ne s’ennuie pas, contrairement à ce qui arrive quand il n’y a qu’un seul et même guide. Il y a aussi que, dans ce genre de visite, l’orgueil aidant, chacun voulant faire mieux que l’autre, permet d’obtenir des renseignements d’une haute qualité. Utilisant plusieurs éléments évoqués par le témoin précédent, quelqu’un d’autre, d’une tout autre manière, tente son explication du riche apprentissage réalisé par le groupe dans le Vieux Montréal. –Il faut dire que je n’étais pas tant intéressée par la matière que par le déroulement général de la visite. J’ai trouvé la formule très sympathique. J’étais curieuse de voir comment les autres se présenteraient et s’exprimeraient. Ceci permettait de connaître certains traits de caractère comme la personnalité de chacun. Le caractère très personnalisé de la visite tout empreinte de camaraderie, cela ne fait aucun doute pour moi, est un facteur de motivation et d’apprentissage des plus importants. UNE VISITE GUIDÉE PAR LES PAIRS 323 Les liens réalisés, leur origine et leur fonction Ainsi, tout en marchant, on apprend à établir des liens entre les sites. Établissant des liens entre les différents sites, on en arrive à apercevoir un tout. –En tant qu’expert, le guide nous fait remarquer des éléments nouveaux pour nous. Il nous aide et son exposé est porteur d’une interprétation historique. Établissant des liens entre les différents sites, il nous amène à percevoir peu à peu un tout. On apprend aussi à établir des liens entre les sites et les acteurs de l’histoire. –Les exposés et les commentaires m’ont permis d’établir des liens entre les différents sites et les personnages qui y ont vécu, qui les ont animés dans le passé. On apprend à établir des liens entre les divers sites et les faits historiques. –Comme le faisait remarquer un membre du groupe, parce que nous nous étions préalablement documentés, il nous était plus facile de relier les sites avec les événements de l’histoire. D’ailleurs, quand on est quelque peu sensibilisé à un sujet, on apprend beaucoup mieux. On ressuscite le passé, selon l’ambition de Michelet, en évoquant les ancêtres dans les lieux où ils ont vécu! –L’observation de ce quartier historique appuyée par les courts exposés de nos camarades a fait resurgir des personnages qu’une présentation livresque en classe ne serait pas parvenue à nous faire apparaître. Mais le passé ainsi ressuscité peut être très récent, qui surgit grâce à un acteur d’à peine trente ans qui fait partie du groupe. –Ce qui fut très apprécié, c’est qu’une certaine personne du groupe (Carole) a déjà habité le quartier, est allée à l’école dans ce bâtiment qui ne loge plus d’école. Quels commentaires intéressants! Que d’anecdotes palpitantes! Mais la fille, je l’ai peut-être vue jouant dans la cour de récréation sous les fenêtres de grand-mère. Ces gens qui ne sont pas passés par un département d’histoire réussissent pourtant à parler de témoignage oral et de documentation vivante. –Un autre élément qui m’a conquise, c’est la redécouverte de l’inestimable document oral: c’est la documentation vivante. Notre camarade Carole nous en a donné un fameux exemple. Les difficultés du rôle de guide ponctuel Et la journée passe si vite à ainsi apprendre. –Le temps de la visite (toute une journée) nous a paru plus court que les 324 ANDRÉ LEFEBVRE deux heures passées au Musée des beaux-arts, car, dans le Vieux Montréal, chacun était actif, présent de corps et d’esprit. On avait hâte de vérifier sur place ce qu’on avait lu. Parce que nous étions intéressés, le temps filait, et aucune lassitude. Ce n’est pas que la tâche soit facile. –Être guide semble une tâche pénible à accomplir. Je n’ai pas hâte de vivre une telle expérience. Comme le maître qui a le trac parce qu’il débute dans la profession, parce que l’année commence, se prépare pour sa première leçon comme si elle devait durer tout un jour, l’apprenti guide se tue à préparer la présentation de son site. –Se produire en public est souvent une épreuve insécurisante pour qui manque de confiance en soi. C’est peut-être justement pour vaincre cette insécurité que nous avons tous travaillé très fort pour préparer notre présentation. Même tremblant, on est fier de s’exécuter. –Nous étions chacun le petit spécialiste de quelque chose, et j’ai cru percevoir que, malgré la nervosité, la plupart d’entre nous étions bien fiers de divulguer le résultat de nos recherches. Au cours de la matinée, chacun n’en est pas moins dans ses petits souliers. –Le matin, nous sentions tous (en supposant que tous ressentaient la même chose que moi) une certaine inquiétude quant à la valeur des recherches auxquelles nous nous étions livrés, quant au déroulement même de l’activité. Ceci, selon moi toujours, a fait que chacun se sentait solidaire des autres. Ainsi, au début au moins, il n’était pas difficile d’obtenir l’attention de tous, car chacun était désireux de savoir comment les autres allaient se débrouiller, si ce que chacun avait préparé se comparait avantageusement avec ce qu’avaient fait les autres. Mais, au fur et à mesure que l’avant-midi avançait, l’atmosphère se détendait, se réchauffait (ce qu’on ne peut pas dire de nos mains et de nos pieds). On peut voir les choses en plus sombre. –Au cours de l’avant-midi, les guides semblaient très nerveux. Il régnait une grande tension que l’on pourrait attribuer à une certaine crainte d’être mal jugé. –La visite du matin m’a laissé une impression de malaise général. Un cours magistral donné en plein air: on pourrait qualifier ainsi l’avant-midi. Vu l’atmosphère, je craignais le moment où je serais en vedette tout en ayant très hâte de faire mon exposé. J’étais donc très tendue, très nerveuse au moment de présenter la petite rue Saint-Vincent. J’avais l’impression UNE VISITE GUIDÉE PAR LES PAIRS 325 d’être devant des robots qui jugeaient ma façon de présenter le site plutôt que la valeur des renseignements que je donnais. Dès le début de la journée toutefois, on est dans le jeu, car c’en est un, et on cherche, et on apprend. –Par un temps plutôt inclément, le groupe se rend à la Place d’Armes, où s’exécute notre première guide. La nervosité est grande, mais une sorte d’état de grâce se développe peu à peu. Chacun s’efforce d’observer, d’apercevoir les choses dont parle la guide. Des camarades complètent l’information reçue: identification d’institutions, de styles architecturaux, de sculptures; contexte historique. Mais l’heure du lunch est vraiment le point tournant de la journée. –Le dîner est venu rendre cette visite plus ‘‘humaine.’’ Après le déjeuner, la visite s’effectue avec moins de formalisme, plus de naturel. –L’après-midi, on pouvait observer une certaine détente du groupe. Tout le groupe participait activement à la présentation des camarades, dont les exposés, souvent, furent ainsi enrichis. –Après le dîner, l’atmosphère s’est détendue. Chacun y allait de son petit commentaire. J’avais plus envie d’échanger mes impressions sur ce que je voyais et vivais que de suivre la visite religieusement comme je l’avais fait le matin. C’était moins scolaire et le groupe était plus indiscipliné. –La glace est brisée. On rit, on parle; on écoute tout de même. Le fait de passer la journée ensemble nous lie, journée pleine d’amitié. Je pense que ce qui rapproche ainsi les gens, c’est le but commun. Et plus on est à l’aise dans le groupe, plus la visite est fructueuse. –Dans le Vieux Montréal, la dynamique du groupe a été pour beaucoup dans le succès de notre visite. Chacun a perdu un peu de ses inhibitions et on était plus à l’aise les uns avec les autres. Et plus d’un, sinon tous, ont adoré être guides. –J’ai aimé jouer le rôle de guide, mais j’avais senti le besoin d’être bien préparée avant de me présenter devant le groupe. Reprenant des éléments déjà relevés (styles de présentation, personnalité du guide, aptitudes de la personne et de l’enseignant), quelqu’un essaie d’expliquer pourquoi les guides ont formé une équipe exceptionnelle. –L’information transmise par les divers guides le fut sous diverses formes exprimant la personnalité de chacun. Chacun, avec ses aptitudes personnelles et professionnelles, à mon avis, a su allier son rôle de pédagogue soucieux de bien transmettre l’information à celui d’animateur. 326 ANDRÉ LEFEBVRE Le rôle de la personne-ressource Quant au professeur jouant le rôle de personne-ressource, il aurait rassuré chacun, complété l’information fournie par tous. –The fact that I had to present one of the sites to my fellow students, fellow teachers, did not create any insecurity. Our resource-person is very supportive and fills in any missing information. –J’ai perçu le rôle du professeur comme essentiel pour faire le lien entre les différents sites et pour compléter les exposés. Le professeur aurait aussi aidé chacun à comprendre que chaque membre du groupe est personne-ressource. –Au début de cette grande visite, les interventions du professeur me mettaient un peu mal à l’aise. Je les percevais comme une critique et une évaluation de la recherche des guides. Je me suis vite rendu compte que je me trompais et j’ai compris qu’il agissait vraiment en personne-ressource. Ses interventions venaient compléter l’exposé du guide, rendant ainsi la visite doublement intéressante. De la sorte, grâce à lui, j’ai pris conscience du fait que nous étions tous des personnes-ressources, chacun pouvant apporter quelque chose au groupe. Personnellement, j’ai beaucoup apprécié ses interventions. Il semblerait que, par ses interventions, le professeur arrive à donner une certaine unité aux présentations des ‘‘marcheurs de l’histoire.’’ (Quelle belle expression! Surtout qu’on est en histoire et que le grand Raoul Blanchard disait que la géographie, ‘‘ça s’apprend par les pieds.’’ Mais l’histoire se passe dans la géographie.) –Je crois percevoir un élément important sans cesse présent au coeur de notre démarche (de notre marche). Le rôle de catalyseur et de personne-ressource joué par le professeur assure une continuité à notre visite. Discret, mais combien présent, on sent que chacun peut compter sur lui pour un complément d’information au fil des sites. Sa vaste culture sert d’intégrateur et permet une réelle continuité entre les présentations souvent sommaires des ‘‘marcheurs de l’histoire.’’ En fait, de par sa maîtrise du sujet, notre spécialiste apporte et donne une unité à la diversité des présentations. En manière de conclusion Beaumarchais a sous-titré son Mariage ‘‘La Folle Journée,’’ et la folle journée que vivent mes enseignants dans le Vieux Montréal est si vite passée. –Cette visite, malgré sa durée, fut très intéressante. –En deux mots, la journée m’a paru courte parce que intéressante. UNE VISITE GUIDÉE PAR LES PAIRS 327 Ah! la journée mémorable! –C’est la visite qui est encore la plus présente à mon esprit, même après tout ce temps. Journée mémorable à cause du groupe. –Ce fut une journée mémorable par la fraternité qui se développa parmi les membres du groupe malgré la chaleur. –Le fait de se déplacer en groupe, marchant tantôt avec l’un tantôt avec l’autre, m’a permis de prendre contact avec toutes les personnes du groupe, ce qui, naturellement, est difficile, parfois même impossible, dans une classe. On se doutait de la chose. –Vivre une journée dans le Vieux Montréal avec mes collègues, n’est-ce pas merveilleux? J’échangerai des points de vue, j’essaierai de percevoir les réactions du groupe, surtout lorsque ce sera mon tour de jouer le rôle de guide. Les participants à la visite guidée par les pairs dont on vient de lire les témoignages , on se le rappelle, ont aussi expérimenté la visite guidée par un professionnel, la visite avec audio-guide ainsi que la visite libre avec ou sans personne-ressource. Plus que toutes les autres, la visite guidée par les pairs semble favoriser la participation active du visiteur. On comprend aisément que la participation du visiteur soit moins active dans le cas de la visite libre avec personne-ressource, moins active encore dans le cas de visite avec guide professionnel, encore moins active dans le cas de la visite avec audio-guide. Dans le cas de la visite libre sans personne-ressource, si le visiteur a toute liberté de s’impliquer à cent pour cent, il n’est pas aussi stimulé à agir que dans le cas de la visite guidée par les pairs parce qu’il est seul ou avec quelques visiteurs seulement; de plus, le fait qu’il soit laissé ainsi plus ou moins à lui-même est de nature à l’insécuriser, ce qui peut le paralyser plus ou moins. C’est seulement dans le cas de la visite guidée par les pairs que le visiteur doit obligatoirement se préparer à la visite, ce qui, dès le départ, l’oblige à être actif. Dans le cas de la visite avec audio-guide, dans celui de la visite guidée par un professionnel et dans celui de la visite libre avec personneressource, on a tout préparé pour lui, et, dans tous les cas, il doit être rare qu’il croit nécessaire de se préparer d’une manière ou d’une autre. Dans le cas de la visite libre sans personne-ressource, rien ne l’empêche de le faire, mais rien ne l’y oblige non plus. L’intérêt suscité par la visite guidée par les pairs doit être grand du simple fait de l’implication du visiteur; il doit l’être également à cause de la variété et de l’originalité des présentations, qui sont le fait de plusieurs. Ce qui nuit à la présentation du guide professionnel, et, à moindre degré, à celle de la personne-ressource, qui ne s’exprime que sur demande, c’est qu’elles 328 ANDRÉ LEFEBVRE sont le fait d’une seule et même personne, même si elles sont normalement plus variées et originales que celles des pairs. Le caractère toujours un peu impersonnel et mécanique des présentations de l’audio-guide suscite évidemment un intérêt moindre que les trois autres types de visite. Dans le cas de la visite libre, le visiteur, livré à lui-même, est soumis aux hauts et aux bas de son intérêt pour la chose muséale. Avec la visite guidée par les pairs, il est probable que le visiteur apprend davantage qu’avec les autres types de visite du simple fait que le visiteur est plus actif, plus motivé avec celle-là qu’avec les autres, qu’il se sent embarqué dans une aventure collective, même si la qualité du savoir dispensé par le guide professionnel, par l’audio-guide, par la personne-ressource de la visite libre est normalement supérieure à celle du savoir présenté par les pairs. Avec la visite libre sans personne-ressource, le visiteur ne peut compter que sur son savoir, parfois sur celui de quelques visiteurs, sur la chose muséale elle-même et sur les renseignements disponibles sur celle-ci, qui sont d’ordinaire peu nombreux. Il est évident que, dans son apprentissage, le visiteur profite de l’atmosphère de détente qui règne lors d’une visite guidée par les pairs, atmosphère qui n’existe pas au même degré dans les autres types de visite, parce qu’on est toujours plus ou moins prisonnier du guide, quel qu’il soit, parce qu’on est plus ou moins insécurisé par la visite libre sans personne-ressource. Produisant lui-même son savoir lors d’une visite guidée par les pairs, le visiteur est dans de bonnes conditions pour améliorer son attitude envers le savoir en général et tirer de son apprentissage la plus grande satisfaction possible. Dans le cas de la visite avec audio-guide, il se trouve dans la situation de l’élève soumis à un enseignement magistral; il l’est encore, évidemment, quoique à un moindre degré, dans le cas de la visite guidée par un professionnel, et, à un degré moindre encore, dans celui de la visite libre avec personne-ressource, et c’est tout dire. Dans le cas de la visite libre sans personne-ressource, le visiteur, pour produire son savoir, ne peut compter, là encore, que sur lui-même, parfois sur quelques visiteurs, sur la chose muséale elle-même et sur les maigres renseignements disponibles sur celle-ci, et c’est tout dire encore. Dans l’apprentissage à l’école, on sait toute l’importance des apports du groupe, et la visite guidée par les pairs favorise très évidemment ces apports. Théoriquement, le visiteur devrait apprendre davantage et plus sûrement du guide professionnel, de l’audio-guide et de la personne-ressource de la visite libre que des pairs, mais la distance qui le sépare du spécialiste, distance analogue à celle qui sépare l’élève de l’enseignant à l’école, et l’état de dépendance et d’isolement plus ou moins relatif où il se trouve par conséquent presque fatalement fait plus ou moins obstacle à son apprentissage. Dans le cas de la visite libre sans personne-ressource, le visiteur est toujours plus ou moins isolé par définition. Le guide professionnel, comme l’audio-guide, comme la personne-ressource de la visite libre, établissent des liens entre les choses et s’efforcent UNE VISITE GUIDÉE PAR LES PAIRS 329 de faire apparaître des ensembles, mais cela, le visiteur ne se l’approprie pas nécessairement, comme l’élève, à l’école, ne retient pas nécessairement les leçons du même type. Même si le visiteur de la visite guidée par les pairs se fait de lui-même une moins bonne idée, en soi, des liens existant entre les choses et des ensembles dont elles font partie que le guide, l’audio-guide ou la personne-ressource de la visite libre, fort de la préparation qu’il a faite d’une partie de la visite (il s’est parfois renseigné sur l’ensemble) et avec l’aide de ses pairs, il s’en fait pour lui-même une meilleure idée. Dans le cas de la visite libre sans personne-ressource, le visiteur a moins de chance de se faire une bonne idée des liens existant entre les choses et des ensembles dont elles font partie que dans celui de la visite guidée par les pairs parce qu’il doit tout faire seul, ou avec l’aide de quelques personnes seulement, ni lui ni les autres, la plupart du temps, ne s’étant préparés d’aucune manière à la visite. La visite guidée par les pairs étant la chose du visiteur, mais appuyé par les autres visiteurs, il est normal que, pour lui, le temps semble passer plus vite que lors d’une visite avec un guide professionnel ou avec un audioguide, qu’il lui faut suivre, que lors d’une visite libre, même avec une personne-ressource, où l’on est toujours plus ou moins insécure, encore une fois. De plus, la vie de groupe, on le sait, permet de se donner du bon temps, et le bon temps, on le sait aussi, ça file, et cela de plus en plus vite à mesure que l’on se connaît mieux que, se connaissant mieux, on est plus à l’aise dans le groupe; cette vie de groupe, évidemment, n’existe pas au même degré dans le cas de la visite libre avec ou sans personne-ressource, encore moins dans le cas de la visite guidée, et moins encore dans celui de la visite avec audio-guide. Lors d’une visite guidée par les pairs, la personne-ressource, contrairement au professionnel, à l’audio-guide, à la personne-ressource de la visite libre, n’est pas un maître, et, s’il l’est, du moins n’est-il pas le seul maître, tous les visiteurs jouant ce rôle. À cause de cela, il peut, plus facilement que les autres, aider le visiteur à avoir confiance en soi et à se trouver bien dans le groupe, tant sur le plan affectif que sur le plan cognitif, de manière à ce qu’il profite au mieux du groupe de sorte qu’il puisse bénéficier au mieux de la chose muséale. Comment s’étonner, après tout cela, que la visite guidée par les pairs soit si prisée des visiteurs? On l’aura peut-être mieux compris, à lire les limpides témoignages des participants plutôt que la conclusion de l’auteur. Mais, après tout, il est légitime de demander à l’auteur d’un texte, même tissu de témoignages, ce qu’il en pense. RÉFÉRENCES Conseil supérieur de l’Éducation. (1987). Les nouveaux lieux éducatifs: avis au ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et de la Science. Québec: Gouvernement du Québec. 330 ANDRÉ LEFEBVRE Lefebvre, A. (1986). Prolégomènes à une didactique muséale en histoire. In G. Racette (dir.), Musée et éducation: modèles didactiques d’utilisation des musées (p. 12–15). Montréal: Société des musées québécois. Lefebvre, H. (1988). Réflexion au sujet des bénéfices du visiteur de musée. In James L. McLellan et William H. Taylor (dir.), Les Actes du 7e Congrès annuel de l’Association canadienne pour l’étude de l’éducation des adultes (p. 182–186). Calgary: University of Calgary, Faculty of Continuing Education. Statistiques Canada. (1979). Statistiques de la culture: musées, galeries d’art et établissements assimilés, grands établissements. Ottawa: Gouvernement du Canada. André Lefebvre est professeur à la Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal, case postale 6128, succursale A, Montréal (Québec) H3C 3J7. Le visiteur, le guide et l’éducation* Bernard Lefebvre université du québec à montréal Hélène Lefebvre collège montmorency Le musée est l’une des nombreuses institutions qui remplissent une mission éducative à l’égard de la population. Ses visiteurs se répartissent en diverses catégories, mais tous se laissent informer et former au contact des objets présentés. Les formules utilisées pour guider le visiteur à travers une exposition exercent sur lui une influence éducative. Ce sujet a été étudié par le dépouillement systématique de rapports de visites de musées effectuées par des étudiants. L’appréciation de plusieurs types de visites et de guides fait voir les attentes exprimées à l’égard de ceux-ci. Par leur habileté, ils font appel à l’intelligence, sollicitent l’affectivité et favorisent la participation du public. One of many popular educational institutions, the museum attracts a diverse clientele expecting to be informed and educated by contact with the objects it contains. The written and oral information that guides visitors through displays has an educational influence. Using students’ accounts of museum visits, we describe the effects on visitors of several types of information and guides, showing how they appeal to the public’s intelligence and feelings, and how they stimulate public participation. Selon leur taille, les musées se dotent de structures organisationnelles plus ou moins complexes. Les directions se multiplient et les tâches se spécialisent. Il n’en reste pas moins que toute cette superstructure, souvent invisible au visiteur, n’a sa raison d’être que dans la présence de ce dernier au musée. Le musée est une institution qui protège et conserve des témoignages qui constituent la mémoire d’une communauté (Actes de la 10ième Conférence générale de l’ICOM, 1975). Il demeure essentiel qu’il assure la relation entre le public et les objets exposés. Pour aider à maintenir une communication aussi efficace que possible, le guide, sous de multiples apparences, établit * Cette recherche a été rendue possible grâce à des subventions du Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche du Québec et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. 331 REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION 16:3 (1991) 332 BERNARD LEFEBVRE ET HÉLÈNE LEFEBVRE habituellement un lien entre les personnes et les pièces de la collection. Par sa médiation, le musée remplit un rôle d’éducation populaire. Dans un premier temps, nous décrirons brièvement le musée, sa clientèle et certaines de ses fonctions majeures. En deuxième lieu, nous présenterons les réactions de visiteurs à l’égard de guides de divers types. Enfin, nous tenterons de caractériser le guide de musée tel que souhaité par un groupe de visiteurs. LE MUSÉE Avant d’aborder la classification des clientèles et des fonctions exercées par le musée, définissons ce dernier. C’est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société, qui acquiert, conserve et présente des objets et où l’on fait des recherches à leur sujet. Elle a pour but la connaissance et la jouissance des objets relatifs à l’homme et à son environnement, le tout contribuant à son éducation (Actes de la 10ième Conférence générale de l’ICOM, 1975). Cette notion descriptive laisse entrevoir la complexité des éléments en cause et leurs interactions, qu’il s’agisse de l’objet et de son traitement ou du sujet en éducation continue réagissant aux plans intellectuel et émotif. La clientèle des musées Qui est le visiteur de musée? Malheureusement, les personnes ne se classent pas facilement. Plusieurs auteurs s’y sont pratiqués selon des points de vue divers. Le Royal Ontario Museum (1976) établit, selon leurs intérêts, cinq groupes de visiteurs: les connaisseurs, les gens à l’aise et possédant une éducation classique, les artistes et les designers, les spécialistes en sciences et les étudiants et, enfin, le public en général. Patt (1963), pour sa part, en présente trois: celui qui recherche une expérience esthétique, celui qui veut satisfaire sa soif de connaissance et celui qui veut voir la réalité. Hudson (1977) distingue ceux qui désirent apprendre et ceux qui désirent simplement aller au musée pour le plaisir de se divertir. Se basant plutôt sur la fréquence des visites, on identifie le visiteur “par hasard” (touriste), ponctuel ou occasionnel (une à trois visites par année) et le visiteur habituel ou régulier (plus de trois visites par année) (Hudson, 1977; Morris, 1962). Pour le Musée de la civilisation de Québec (1986), il existe le public régulier, le public occasionnel et le public potentiel. Certaines fonctions majeures du musée Les musées remplissent de nombreuses fonctions, mais nous ne retiendrons ici que celles qui ont trait au public en excluant la clientèle scolaire. Le musée n’est pas une école. Les gens y entrent et en sortent à volonté. On ne peut forcer quiconque à y apprendre à tout prix (Thompson, 1984). LE VISITEUR, LE GUIDE ET L’ÉDUCATION 333 Ceux qui préparent les expositions doivent tenir compte du public avec ses attentes, ses buts et ses comportements. La nouveauté et le familier doivent s’entremêler pour susciter des apprentissages sans insécuriser le visiteur. On y respecte simplement le vieux principe de pédagogie qui préconise de procéder du connu à l’inconnu. Helman (1958) reprend la même idée en disant que le visiteur moyen va au musée pour recevoir un enseignement conventionnel. L’adulte d’éducation moyenne considère le musée comme un amusement supérieur, une aventure intellectuelle ou artistique (Zygulski, 1972). Parmi les motifs qui amènent les gens au musée, Morris (1962) évoque la curiosité provoquée par l’aspect sensationnel d’une exposition, l’ambition sociale ou le prestige attaché à la fréquentation d’un musée, le désir de parfaire son éducation et l’enthousiasme naissant du contact avec les arts. Pour sa part, Bunning (1974) insiste lui aussi sur l’utilisation du temps libre, uniquement pour le plaisir et pour la valeur intrinsèque des bénéfices de l’expérience. Il ajoute les motifs à caractère social, familial ou amical. Dans la même foulée, le Musée de la civilisation de Québec (1986) considère l’usager comme une personne en situation de loisir culturel, c’est-à-dire dans un moment de temps libre où il se consacre à une activité de son choix. Il ressort de ce qui précède que l’adulte fréquentant les musées y va pour son agrément; le musée est un lieu d’apprentissage récréatif, propice à l’exploration, à l’aventure et à la découverte; l’apprentissage y est informel, impulsif et non-géré par l’institution (Tressel, 1984). RÉACTIONS DES VISITEURS À L’ÉGARD DES GUIDES Étant donné la diversité des clientèles du musée et les fonctions exercées par celui-ci, nous étudierons les réactions des visiteurs à l’égard des guides, en examinant les rapports rédigés par quinze étudiants à la suite de la visite de six musées montréalais dans le cadre du cours Éducation et ressources communautaires de la maîtrise en éducation de l’Université de Montréal. À chaque endroit, la formule utilisée pour guider le groupe fut différente. Il y eut l’intervention du guide conventionnel dans un musée des beaux-arts, celle du directeur d’une maison de la culture qui se chargea de la visite, d’une personne-ressource qui répondit aux questions dans un musée d’histoire naturelle, celle d’un audio-guide au Jardin botanique et le partage de la tâche entre le professeur et les étudiants lors de la visite du Vieux Montréal. Les étudiants firent aussi une visite sans l’assistance d’un guide. L’analyse du contenu des rapports fait voir les opinions émises sur les types de guides offerts aux étudiants. Le guide conventionnel Il est curieux de constater que le guide conventionnel ne semble pas avoir été apprécié. Ce procédé exige une trop grande concentration. L’attention 334 BERNARD LEFEBVRE ET HÉLÈNE LEFEBVRE tombe, le regard et l’esprit voguent à la dérive. Un participant se sent obligé de prendre des notes. Mais, quand les autres laissent tomber le crayon, il en est soulagé. Les commentaires du guide ne font pas apprécier les oeuvres. On aimerait se laisser attirer par elles, prendre le temps de les regarder, mais il faut suivre le groupe, à son rythme, d’une toile à l’autre. Les comportements sont plutôt négatifs, la fatigue se fait sentir, on entend mal, on se plaint de ne rien voir en groupe. On n’ose pas poser de questions, ce qui n’empêche pas un individu de donner parfois ses impressions sur une oeuvre et de provoquer une discussion intéressante. Le guide directeur d’un centre culturel Le guide directeur d’un centre culturel a fait partager à ses visiteurs sa philosophie de l’institution. Il a présenté avec enthousiasme les collections de son établissement et a même confié à ses interlocuteurs certaines de ses préoccupations. Les visiteurs s’étaient vu remettre au préalable un guide écrit. En général, les étudiants ont donné une appréciation positive de ce genre de visite. Leurs commentaires se lisent ainsi. Le directeur indique la vocation de la maison; il ajoute des éléments supplémentaires au guide écrit et donne le goût de vérifier les activités dont il parle et d’y prendre part. D’autres déclarent: il est loisible d’entrer en contact directement avec les oeuvres; le directeur sollicite des opinions; on prend le temps de passer et de repasser, de regarder, d’écouter et même de toucher. Le guide personne-ressource Au musée de sciences naturelles, le guide agit comme personne-ressource et conseiller. Deux remarques reviennent à plusieurs reprises. Il respecte le rythme de chacun, laisse observer et découvrir, est à l’écoute et essaie de comprendre. Plusieurs aiment rester seuls pour effectuer la visite, mais on apprécie les échanges libres avec d’autres. On pose des questions selon le besoin. Cependant, même si quelques-uns craignent de le faire, ils tendent l’oreille lorsque des explications se donnent. À l’occasion, on s’échange des informations. Le guide ne dirige pas le groupe. Il profite des questions posées pour provoquer le contact avec les visiteurs et stimuler l’intérêt. Au dire des participants, c’est plus intéressant que d’entendre le discours d’un guide officiel. L’audio-guide Quant à l’audio-guide, utilisé dans les serres du Jardin botanique, il a été apprécié de diverses manières. Certains sont satisfaits du calme, du sentiment de solitude et même de la détente créés par l’écoute individuelle du magnétophone. Ce moyen d’autodidaxie fournit des connaissances de façon individualisée. Le support auditif appuie les éléments visuels. Le solo-guide LE VISITEUR, LE GUIDE ET L’ÉDUCATION 335 respecte le rythme individuel d’apprentissage. On peut s’attarder où l’on veut et prendre le temps de regarder, à condition d’arrêter la cassette. Par contre, pour d’autres, l’isolement dû aux écouteurs semble exagérer le sentiment de solitude. Pour lutter contre cela, on s’associe à une ou plusieurs personnes. On préfère échanger en petits groupes plutôt que d’écouter de savantes explications en botanique. Une visiteuse se fait même transmettre les principaux renseignements par une autre qui écoute le ruban magnétique plutôt que d’utiliser elle-même l’appareil. Plusieurs se plaignent qu’il empêche l’utilisation des habiletés intellectuelles, physiques et même sensorielles. On oublie de voir: impossible d’apprécier ce qui tombe sous la vue. Fréquemment, on invoque l’impossibilité de laisser libre cours à ses émotions. On a peur de rater un renseignement important. Le rythme individuel n’est pas respecté; celui de la machine s’exerce en maître, lit-on à maintes reprises dans les rapports. Ce guide encombrant ne correspond pas nécessairement au besoin des auditeurs. Quelqu’un rejette carrément le procédé et un autre projette de retourner visiter le Jardin botanique sans audio-guide. Le visiteur guide Pour la visite du Vieux Montréal, chacun des membres du groupe préparait la présentation d’un site particulier. Le professeur complétait ou enrichissait les informations fournies par les étudiants. Sont soulignés l’esprit de groupe, le développement du sentiment d’appartenance et l’attitude positive face au groupe. On loue l’atmosphère de détente et de camaraderie qui habite les gens. Le facteur social est prédominant: les gens se connaissent mieux, les sous-groupes se forment, les échanges et les commentaires s’intensifient particulièrement lors des diverses haltes. Chacun se veut donc responsable du succès de l’entreprise, malgré le caractère plutôt informel et plus ou moins non directif de la visite. La visite sans guide Curieuse réaction de la part du groupe: on s’est félicité d’avoir pu visiter un musée sans l’assistance d’un guide, car il y avait place pour l’imagination et pour le contact direct avec les objets. On savourait à loisir les exhibits et on était libre de les examiner à sa guise. La liberté de mouvement fut soulignée. Aussi surprenant que cela puisse paraître, on a apprécié de ne pas voir interférer un guide, de ne pas être distrait par lui et de ne pas avoir à l’écouter. LE GUIDE SOUHAITÉ La critique est facile mais les remarques qui précèdent indiquent comment l’art de guider des visites est chose difficile. Loin de nous la pensée de jeter 336 BERNARD LEFEBVRE ET HÉLÈNE LEFEBVRE le blâme à qui que ce soit. La compétence des responsables de musée et la bonne volonté de ceux qui y travaillent ne sont pas mises en cause. Il ne faudrait pas davantage croire que les étudiants qui ont fait l’expérience de visiter six musées formaient un groupe réfractaire. Au contraire, l’activité fut évaluée positivement. Quelles sont les attentes à l’égard du guide de musée? Au plan de la connaissance, il doit être compétent, expert en arts et posséder des connaissances historiques. Considéré comme une personne-ressource, on souhaite qu’il soit bien préparé à sa tâche, selon le programme des expositions de son musée. Quant aux attitudes qui l’animent, on s’attend à ce que le guide aime son travail et qu’il soit motivé à l’égard des oeuvres ou des objets à présenter. Qu’il maîtrise l’art de captiver les visiteurs en provoquant l’intérêt. Pardessus tout, qu’il soit disponible et sympathique aux visiteurs, adapté au public, de contact facile et sans froideur. Concernant les habiletés à développer, on espère que le guide soit à l’écoute de ses interlocuteurs, personne de dialogue et davantage consultant que maître de conférence. Son savoir-faire comme communicateur importe au plus haut point. La brièveté et la concision s’imposent. Le choix des thèmes s’oppose à l’encyclopédisme. Le vocabulaire sera simple et varié. C’est ainsi qu’on lutte contre le goût de tout couvrir trop rapidement et le risque de passer outre des oeuvres majeures par manque de temps. Délaissant l’analyse des rapports de visites, nous insistons sur le fait suivant: voir vient avant les mots (Marra, 1983). Avant de lui fournir prématurément une profusion d’informations, le visiteur doit pouvoir regarder et comparer les oeuvres ou les objets d’art qui parlent alors d’euxmêmes. La perception visuelle le rendant plus actif, il découvre ce qui est plaisant pour lui et ce qui stimule son intelligence. CONCLUSION Si un public universitaire préfère le contact direct avec les objets et un guide de type personne-ressource et animateur, il est facile d’imaginer que le grand public pourrait avoir le même goût. Il faudrait contrôler cette affirmation. Les visiteurs de musée apprennent en prêtant attention au contenu des exhibits. Ils établissent des comparaisons, lisent les textes explicatifs. Tout cela se passe ou non selon leurs attentes et le plaisir résultant de ce qu’ils voient, touchent, comparent et lisent (Screven, 1986). La réaction affective du public précède le contenu rationnel qu’on espère lui faire saisir. Le plaisir n’offre aucune contre-indication à l’acquisition de la culture. Pour que les musées remplissent leur vocation éducative, les visites guidées doivent faire appel à la participation active du grand public (Harris, 1977). LE VISITEUR, LE GUIDE ET L’ÉDUCATION 337 RÉFÉRENCES Actes de la 10ième Conférence générale de l’ICOM. (1975). Le musée et le monde moderne. Paris: Conseil international des musées. Bunning, R.A. (1974). A perspective on the museum’s role. Curator, 17, 56-63. Harris, L. (1977). The myth and the reality of aging in America. Washington, DC: National Council of Aging. Helman, R.A. (1958). The teaching functions of exhibits. Curator, 1, 74-76. Hudson, K. (1977). Museum for the 1980’s: A survey of world trends. London: British Library. Marra, P. (1983). Self study guides for the adult art museum visitor. Museum Studies Journal, 1, 35-45. Morris, R.E. (1962). 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Dans les Actes de la 9ième Conférence générale de l’ICOM, Le musée au service des hommes aujourd’hui et demain: le rôle éducatif et culturel des musées (p. 125–136). Paris: Conseil international des musées. Bernard Lefebvre est professeur au Département des sciences de l’éducation, Université du Québec à Montréal, case postale 8888, succursale A, Montréal (Québec) H3C 3P8. Hélène Lefebvre est professeure au Collège Montmorency, 475 de l’Avenir, Laval-des-Rapides, Laval (Québec) H7N 5H9. Les effets d’un programme éducatif muséal chez des élèves du primaire* Céline Du Sablon Geneviève Racette université du québec à montréal L’éducation n’est pas le monopole de l’école. De plus en plus d’institutions et d’organismes publics et privés offrent des services éducatifs. Parmi ceux-ci, le musée occupe une place privilégiée. Plusieurs programmes éducatifs muséaux, destinés aux groupes scolaires, ont été élaborés. Ces programmes reposent principalement sur une visite guidée et, de plus en plus, sur une visite axée sur la découverte du musée et de son contenu par l’élève. Il existe aussi, à l’intérieur de certains programmes éducatifs, des activités de préparation et de prolongement à la visite au musée. Notre étude visait à vérifier les effets de ces activités, chez des élèves de cinquième année du primaire, sur la réalisation d’apprentissages en sciences humaines ainsi que sur le développement d’attitudes positives à l’égard du musée et des sciences humaines. Au terme de l’étude, il appert qu’un programme éducatif muséal comprenant ou non des activités de préparation ou de prolongement en classe favorise la réalisation d’apprentissages en sciences humaines et le développement d’attitudes positives à l’égard du musée et des sciences humaines. Cependant, des études plus approfondies devraient être poursuivies, étant donné les conclusions d’autres recherches que la nôtre. Education is not a monopoly of schools. Public and private institutions of all sorts now offer educational services, and museums are among the most important providers. Most museum education programmes intended for school children are based on guided tours and aim at pupil discovery of the museum and its contents. Some educational programs also include preparatory and post-visit activities. Our research aimed to find the effects of such activities on grade 5 pupils in social studies, with attention to the development of positive pupil attitudes to museums and to social studies. Our results indicate that a museum education program including prepatory or post-visit activities favours social studies learning and improves pupil attitudes to the museum and to social studies. Further research will be required to confirm our results, some of which differ from earlier findings. * Cette recherche a été rendue possible grâce à des subventions du Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche du Québec et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. 338 REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION 16:3 (1991) UN PROGRAMME ÉDUCATIF MUSÉAL AU PRIMAIRE 339 L’étude rapportée dans cet article a tenté de répondre à la question suivante. Dans le cadre d’un programme éducatif comprenant une visite au musée ainsi que des activités de préparation ou de prolongement en classe, des élèves de cinquième année du primaire réalisent-ils plus d’apprentissages en sciences humaines et développent-ils plus d’attitudes positives à l’égard du musée et des sciences humaines que des élèves suivant le même programme comprenant exclusivement une visite au musée? L’éducation ne peut pas se rattacher strictement à l’école (Legendre, 1988). Bien que cette institution demeure la seule à prendre en charge l’enseignement de base, elle ne peut toutefois répondre à tous les besoins de formation des individus de notre société (Deronziers, 1987). C’est en ce sens que le Conseil supérieur de l’Éducation (1986) rappelle: [ . . . ] que la mission éducative de la société déborde largement les cadres de l’institution scolaire et trouve dans un nombre croissant de lieux des voies valables d’approfondissement et de diffusion. (p. 19) Ainsi, des institutions et des organismes publics et privés offrent des services éducatifs. Ce sont, notamment, les bibliothèques, les jardins botaniques, les jardins zoologiques, les centres d’interprétation de la nature, les sites historiques, les parcs nationaux, les planétariums et les musées (Statistiques Canada, 1979). Pour le Conseil supérieur de l’Éducation (1986), ces lieux éducatifs ont pour objectif ‘‘de transmettre ou de faire naître ou acquérir des connaissances, des habiletés, des valeurs, des prises de conscience’’ (p. 14). Cet objectif correspond bien à la définition que Legendre (1988) donne de l’éducation: un ‘‘Ensemble de valeurs, de concepts, de savoirs et de pratiques dont l’objet est le développement de l’être humain et de la société’’ (p. 212). Mais l’éducation ne se limite pas à faire acquérir des connaissances propres aux disciplines. Elle tend également à développer des valeurs culturelles et une conscience sociale (ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 1981). Parmi les lieux éducatifs autres que l’école, le musée occupe une place privilégiée. Ainsi, pour Dagognet (1985) ainsi que Lacey et Agar (1980), le musée vise à instruire le public. D’autres chercheurs ont souligné l’importance du rôle éducatif du musée auprès des jeunes. Pour Bunch (1978), par exemple, le musée devrait être une ressource éducative intégrée à l’enseignement. D’après Wright (1980), c’est un support qui aide les élèves à la compréhension de concepts. Quant à Flexer et Borun (1984), elles affirment que le musée favorise une approche plus visuelle, qualitativement différente de celle que l’on retrouve dans la salle de classe. Mais, c’est en élaborant des programmes destinés à des groupes scolaires, reliés à la collection du musée et aux matières scolaires ou simplement à la collection du musée, que celui-ci réalise surtout sa mission éducative (Benes, 1982). Actuellement, plus de 71% des musées canadiens offrent, à l’intention de leurs visiteurs, des programmes de présentation et d’animation que l’on 340 CÉLINE DU SABLON ET GENEVIÈVE RACETTE pourrait qualifier d’éducatifs (Statistiques Canada, 1979). On distingue deux catégories de programmes éducatifs: traditionnels et actifs (Mason, 1980; Ricklin, 1978). Les premiers reposent sur la traditionnelle visite guidée. Les seconds sont axés sur la découverte du musée et de son contenu par les visiteurs. Ce dernier type de visite implique la mise en oeuvre de méthodes actives telles la visite à l’aide de guides personnels, la manipulation d’objets exposés, la participation à des expériences (Herbert, 1981; Jones & Ott, 1983). Certains programmes éducatifs muséaux ont attiré l’attention de chercheurs (Boucher, 1986; Dauphin, 1985; Lacey & Agar, 1980; Locas, 1981; Reque, 1978; Ricklin, 1978; Stronck, 1983; Wright, 1980). De manière générale, les recherches révèlent que la plupart des visites qui requièrent la participation sont plus enrichissantes ou plus stimulantes pour les élèves. De plus, lorsque le programme éducatif correspond à un curriculum scolaire, la visite au musée semble favoriser davantage l’acquisition de connaissances et le développement d’attitudes positives à l’égard du musée. ACTIVITÉS DE PRÉPARATION ET DE PROLONGEMENT EN CLASSE INTÉGRÉES À DES PROGRAMMES ÉDUCATIFS Selon l’UNESCO (1973), le meilleur moment pour effectuer une visite au musée se situe à mi-chemin de l’étude d’un thème, c’est-à-dire quand les élèves sont déjà familiarisés avec le sujet et le vocabulaire. Plus précisément, pour Koran, Longino et Shafer (1983) ainsi que McNamee (1987), de même que Finkelstein, Stearns et Hatcher (1985), les élèves bénéficient d’une visite au musée lorsqu’ils y sont préparés. Du Terroil (1975) ajoute que des activités de prolongement à une visite au musée améliorent les apprentissages. Pour Barré (1981), la visite au musée est un moyen pédagogique qui nécessite des activités de préparation et de prolongement en classe. Activités de préparation en classe La préparation à une sortie éducative est une manière d’introduire l’élève à un champ d’étude (Novak, 1976). La préparation en classe d’une visite au musée consiste en une leçon sommaire ayant pour but de sensibiliser l’élève aux concepts étudiés durant la visite (Du Terroil, 1975). Elle le familiarise avec les éléments essentiels de la visite. Elle fait ressortir les concepts, les principes et les termes techniques à étudier lors de la visite (Gennaro, 1981). Elle sert aussi à améliorer les apprentissages (Danilov, 1976; Royal Ontario Museum [ROM], 1976) ainsi qu’à augmenter l’intérêt de l’élève à l’égard d’un champ d’étude (Lawton, 1976) et vis-à-vis les objets exposés au musée (ROM, 1976). Les études recensées révèlent qu’il existe différentes façons de préparer l’élève à une visite au musée ou à l’étude d’un sujet. Une préparation peut UN PROGRAMME ÉDUCATIF MUSÉAL AU PRIMAIRE 341 consister en des informations verbales portant sur ce que l’élève étudiera lors de sa visite au musée (Gennaro, 1981). Elle peut aussi s’effectuer à l’aide de questionnaires à choix multiples ou de tests relatifs aux concepts (Hartley & Davies, 1976). Dans son étude, Gennaro (1981) a comparé les effets cognitifs chez des élèves du secondaire de deux types de préparation avant le visionnement d’un film au musée. Le premier type de préparation consistait à fournir à un groupe d’élèves un survol d’informations reliées aux concepts traités dans le film. Le deuxième invitait un autre groupe d’élèves à étudier plus en profondeur les concepts du film et ce, pendant sept jours. Ce dernier type de préparation semble favoriser davantage la réalisation d’apprentissages. Barnes et Clawson (1975) ont analysé 32 études menées entre 1960 et 1974 portant sur la préparation à l’étude d’un sujet. Parmi celles-ci, douze concluent que la préparation facilite l’apprentissage. Toutefois, selon ces auteurs, la faible proportion des recherches concluantes ne permet pas de considérer la préparation comme un élément profitable à l’apprentissage des élèves. Cependant, certaines institutions muséales sentent le besoin de fournir à l’enseignant du matériel de préparation relatif à leurs collections permanentes (UNESCO, 1973). Le Royal Ontario Museum [ROM], par exemple, envoie à l’enseignant une sélection de diapositives illustrant des peintures, une affiche présentant l’exposition et les biographies des artistes-peintres. C’est à l’aide de ce matériel que l’enseignant prépare ses élèves à la visite au musée (ROM, 1976). Le Musée d’art moderne de Paris fournit à l’enseignant un petit guide des salles qui seront visitées, un plan sur lequel les oeuvres peuvent être repérées, un questionnaire auquel l’élève répond en utilisant le guide et le plan et, finalement, des informations concernant le déroulement de la visite et le rôle que l’enseignant aura à jouer (Banaigs, 1984). Au Centre National d’exposition de Jonquière (CNE), la préparation des élèves en classe s’effectue grâce à l’intervention des membres du Centre (Pinard et Locas, 1982). Ceux-ci sensibilisent les élèves au concept d’exposition en tant que moyen de communication à l’aide d’un diaporama présentant les oeuvres exposées. Des échanges servent à faire prendre conscience à l’élève que le peintre, le sculpteur, le photographe communiquent des idées de manières diverses. À la fin de la rencontre, un questionnaire est distribué aux élèves pour vérifier leur compréhension du concept d’exposition. À notre connaissance, ces activités de préparation n’ont pas été évaluées scientifiquement. De plus, les recherches ayant trait aux activités de préparation lors d’une visite au musée sont peu nombreuses. Cependant, il existe des études portant sur des sorties éducatives ailleurs qu’au musée. Entre autres, Evans (1958) a vérifié l’utilité de préparer des élèves du primaire à une sortie éducative dans des milieux d’affaires en comparant trois situations. Un premier groupe d’élèves a été préparé par une discussion sur des 342 CÉLINE DU SABLON ET GENEVIÈVE RACETTE notions d’économie. Un deuxième a effectué la sortie éducative sans aucune préparation. Le troisième a reçu une leçon en classe sans effectuer la sortie éducative. Il s’avère que le groupe qui a reçu une préparation en classe, avant la sortie éducative, a appris davantage que les deux autres groupes. Howie (1972) a vérifié l’utilité de préparer des élèves de cinquième année du primaire à une visite à la Ferguson Farm (Maryland). Il a comparé quatre situations. Un premier groupe d’élèves a étudié en classe le vocabulaire et les concepts reliés à l’écologie et à la préservation de l’environnement. Le deuxième a effectué une visite à la ferme. Le troisième a reçu une leçon en classe et a effectué la visite. Finalement, le quatrième a servi de groupe de contrôle. C’est le groupe d’élèves qui a reçu une préparation en classe avant d’effectuer la visite à la ferme qui a le plus appris. Dans une étude similaire, Pizzini et Gross (1978) ont constaté qu’une préparation en classe à une sortie sur un site écologique avait favorisé la réalisation d’apprentissages et développé des attitudes positives à l’égard de la nature, chez des élèves de cinquième et sixième année du primaire. L’étude de Younger (1985) a démontré que la combinaison d’une préparation en classe et d’une visite au musée maximise les apprentissages. Il ajoute que la préparation de l’élève doit être centrée sur les aspects les plus importants de la visite. De plus, la visite au musée doit être reliée aux concepts étudiés précédemment. En somme, d’après les études menées sur la préparation en classe d’une sortie éducative ou d’une visite au musée, celle-ci semble être un élément profitable à l’apprentissage et au développement d’attitudes des élèves. Examinons maintenant les effets d’activités de prolongement vécues en classe. Activités de prolongement en classe Il semble que des élèves désirent approfondir les concepts étudiés lors d’une visite au musée (Barré, 1981). D’ailleurs, les enseignants sont plus enclins à réaliser avec leurs élèves des activités de prolongement à la visite au musée que des activités de préparation (Gottfried, 1980). Certaines institutions muséales ont élaboré des activités de prolongement à effectuer en classe après la visite au musée. L’enquête de Griesemer (1977) révèle que 36% des musées américains proposent des activités de prolongement aux enseignants. Des ateliers de bricolage se prêtent bien à des activités de prolongement à une visite à un musée d’art. On peut aussi proposer aux élèves de composer des poèmes ou des histoires en utilisant le vocabulaire qu’ils ont appris durant la visite. La réalisation d’une exposition en classe, à partir des créations des élèves, avec l’aide d’un animateur du musée, prolonge naturellement une visite au musée (Banaigs, 1984). Cependant, ces activités de prolongement n’ont pas fait, à notre connaissance, l’objet de recherches. Toutefois, Stoneberg (1981) a étudié, entre UN PROGRAMME ÉDUCATIF MUSÉAL AU PRIMAIRE 343 autres, les effets d’activités de préparation et de prolongement d’une sortie au zoo, sur la réalisation d’apprentissages chez des élèves de sixième année du primaire. La chercheure a comparé quatre situations différentes. Le premier groupe d’élèves a réalisé sept activités de préparation, une visite au zoo et sept activités de prolongement. Le deuxième a effectué une visite guidée au zoo sans préparation ni prolongement. Le troisième groupe a vécu deux activités de préparation, une visite au zoo et deux activités de prolongement. Le quatrième groupe a visité librement le zoo sans réaliser d’activités de préparation ni de prolongement. Les activités de préparation et de prolongement en classe ont maximisé les apprentissages réalisés par les élèves. De plus, selon l’auteure, il n’existe pas de différence, au niveau cognitif, entre les résultats du groupe qui a réalisé deux activités de préparation et de prolongement et ceux du groupe qui en a effectué sept. En somme, il paraît utile d’intégrer des activités de préparation et de prolongement en classe aux programmes éducatifs muséaux. HYPOTHÈSES DE LA RECHERCHE La recension des écrits nous a amenées à formuler les hypothèses suivantes. Un programme éducatif comprenant une visite au musée ainsi que des activités de préparation ou de prolongement en classe, comparativement au même programme éducatif comprenant exclusivement une visite au musée, favorise davantage chez des élèves de cinquième année du primaire: 1) La réalisation d’apprentissages en sciences humaines; 2) Le développement d’attitudes positives à l’égard du musée; 3) Le développement d’attitudes positives envers les sciences humaines. MÉTHODOLOGIE Pour vérifier nos hypothèses de recherche, nous avons expérimenté un programme éducatif comprenant des activités de préparation en classe, une visite au Musée historique David M. Stewart et des activités de prolongement en classe. Le programme éducatif muséal du Groupe de recherche sur l’éducation et les musées Préoccupé par la qualité des programmes éducatifs destinés à la jeune clientèle des musées, le Groupe de recherche sur l’éducation et les musées (GREM) de l’Université du Québec à Montréal s’occupe à développer des modèles didactiques propres à l’éducation muséale. À cet effet, le GREM a élaboré, expérimenté et validé un programme éducatif muséal relié à la collection du Musée historique David M. Stewart et au programme des sciences humaines au primaire (MEQ, 1981) auprès d’élèves de la cinquième année du primaire. 344 CÉLINE DU SABLON ET GENEVIÈVE RACETTE Ce programme éducatif comporte trois étapes: préparation, visite au musée et prolongement. Afin d’aider l’enseignant et les élèves à réaliser ces étapes, un guide pédagogique a été conçu (Allard et Boucher, 1988). Ce guide, intitulé La descouverture du chemin qui marche, comprend des activités à réaliser en classe avant la visite au musée, des activités pour le musée et, finalement, des activités à effectuer en classe après la visite au musée. C’est dans le cadre de ce programme éducatif que nous avons réalisé notre étude. Le programme d’études des sciences humaines au primaire et la démarche d’apprentissage Le programme éducatif muséal du GREM est relié au programme officiel des sciences humaines du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ, 1981). Celui-ci vise à ‘‘amener l’élève à une première compréhension des réalités sociales, géographiques et historiques du monde dans lequel il vit’’ (p. 14). Ce programme propose une démarche dite scientifique, axée sur l’activité de l’élève plutôt que sur l’enseignement magistral. La démarche d’apprentissage s’effectue en trois étapes: exploration, recherche/traitement des informations et échange (MEQ, 1983a; MEQ, 1983b). L’élève observe d’abord les faits, exprime ses perceptions, formule des hypothèses sur des sujets qui l’intéressent; puis, il s’informe, interroge, expérimente, décode, classifie, compare et analyse afin de vérifier ses hypothèses; enfin, il communique ses acquis et les réinvestit dans la poursuite de nouveaux apprentissages (MEQ, 1983a; MEQ, 1983b). Le guide pédagogique, La descouverture du chemin qui marche (Allard et Boucher, 1988), avec lequel nous avons réalisé notre étude, respecte la démarche d’apprentissage proposée par le MEQ. L’étape d’exploration est réalisée lors des activités de préparation en classe, l’étape de recherche des informations, lors de la visite au musée et, finalement, les étapes de traitement des informations et d’échange, lors des activités de prolongement à l’école. Le déroulement de l’expérimentation À l’automne 1986, 12 classes de la cinquième année du primaire de la Commission scolaire Mont-Fort ont participé à l’étude. Au total, ces classes comptaient 305 élèves répartis de la façon suivante: 79 ont formé le groupe de contrôle (C), 81, le groupe expérimental E1, 78, le groupe expérimental E2, et 61, le groupe expérimental E3. Lors de l’expérimentation, les enseignants ont utilisé, en tout ou en partie, le guide pédagogique La descouverture du chemin qui marche. Les enseignants du groupe expérimental E1 ont réalisé la première partie du guide pédagogique, soit les activités de préparation à la visite au musée. Les enseignants du groupe expérimental E2 ont effectué les activités de pro- UN PROGRAMME ÉDUCATIF MUSÉAL AU PRIMAIRE 345 longement en classe à la visite au musée à l’aide de la seconde partie du guide pédagogique. Les enseignants du groupe expérimental E3 ont exécuté la version complète du guide pédagogique comprenant les activités de préparation et de prolongement. Les enseignants du groupe de contrôle (C) n’ont pas utilisé le guide pédagogique. Les groupes expérimentaux (E1, E2 et E3) et de contrôle (C) ont effectué le même type de visite au musée. La visite proposée aux élèves a été effectuée à l’aide de guides personnels qui incitaient les élèves à parcourir le musée à la recherche d’informations. Ces guides comprennent de courts textes informatifs et des questions invitant les élèves à observer une sélection de vitrines du musée, à manipuler certains objets et à réfléchir. Deux animatrices étaient à la disposition des élèves. Les instruments de mesure Deux instruments de mesure ont été utilisés en prétest et en post-test. Le premier évaluait, au plan cognitif (test cognitif HFC), la maîtrise de certaines habiletés techniques, les connaissances de faits d’ordre historique et géographique ainsi que la compréhension des concepts de siècle et de migration. Le second, un test d’ordre affectif, comprenait deux parties. La première mesurait le développement d’attitudes envers les sciences humaines (AH). La deuxième mesurait le développement d’attitudes à l’égard du musée (AM). Cet instrument de mesure (AH-AM) comportait une échelle de type Likert à cinq catégories présumées à intervalles égaux. La validité de contenu et la fidélité de ces tests ont été démontrées par Boucher (1986). Les instruments d’ordre affectif, AH et AM, ont obtenu des coefficients de fidélité alpha de Cronbach de 0,93 et de 0,94. Celui de l’instrument d’ordre cognitif (HFC) s’élevait à 0,85. PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS Nous avons effectué des analyses de progrès et de comparaison entre les résultats des groupes au test cognitif (HFC) et au test affectif (AH-AM). L’analyse de progrès a permis de vérifier, pour chacun des groupes, si les moyennes obtenues lors du post-test étaient significativement supérieures à celles obtenues lors du prétest. L’analyse de comparaison des moyennes a permis de vérifier s’il existait un écart entre les résultats des groupes de contrôle (C) et expérimentaux (E1, E2 et E3) à chacun des tests. Un seuil de 0,05 a été retenu pour juger de la signification des différences observées. Apprentissages en sciences humaines L’analyse de progrès au test cognitif (HFC) a révélé que tous les groupes d’élèves ont réalisé des apprentissages en sciences humaines, nonobstant les différents traitements. Ainsi, un programme éducatif muséal, comprenant ou 346 CÉLINE DU SABLON ET GENEVIÈVE RACETTE non des activités de préparation ou de prolongement en classe, entraîne la réalisation d’apprentissages en sciences humaines chez des élèves de cinquième année du primaire. Cette assertion concorde avec l’une des conclusions des études de Dauphin (1985) et de Boucher (1986). Ces deux recherches démontrent en effet que, lors d’une visite au musée, des élèves de cinquième année du primaire font des apprentissages en sciences humaines. L’analyse de comparaison entre les groupes au post-test cognitif (HFC) a révélé qu’un programme éducatif comprenant une visite au musée ainsi que des activités de préparation ou de prolongement en classe, comparativement au même programme éducatif comprenant exclusivement une visite au musée, ne favorise pas davantage, chez des élèves de cinquième année du primaire, la réalisation d’apprentissages en sciences humaines. Notre première hypothèse est donc infirmée. Pourtant, les études recensées ont semblé démontrer que des activités de préparation et de prolongement en classe à une sortie éducative ou à une visite au musée maximisent la réalisation d’apprentissages chez les élèves. Dès lors, comment expliquer nos résultats? On pourrait se demander si les enseignants qui devaient réaliser en tout ou en partie les activités de préparation et de prolongement en classe ont bien suivi toutes les directives mentionnées. N’auraient-ils réalisé que certaines d’entre elles? Seraient-ils allés jusqu’à n’effectuer aucune des activités? À l’inverse, les enseignants qui ne devaient pas préparer les élèves à la visite, ni réaliser d’activités de prolongement après la visite l’ont-ils tout de même fait? Les données que nous avons recueillies ne nous permettent pas de répondre à ces questions. On pourrait aussi se demander si le test cognitif (HFC) ne mesurait pas davantage les apprentissages des élèves lors de leur visite au musée que ceux réalisés lors des activités de préparation et de prolongement en classe. Des analyses plus fines pourraient contribuer à trancher cette question. Attitudes à l’égard du musée L’analyse de progrès au test affectif (AM) a révélé que tous les groupes d’élèves, à l’exception du groupe de contrôle (C), ont développé des attitudes positives à l’égard du musée, nonobstant les différents traitements. Ainsi, un programme éducatif muséal comprenant ou non des activités de préparation ou de prolongement en classe, développe des attitudes positives à l’égard du musée chez des élèves de cinquième année du primaire. Cette constatation corrobore celle de Boucher (1986) qui affirme que la visite au musée, effectuée à l’aide de guides personnels et précédée d’une préparation en classe, développe plus d’attitudes positives à l’égard du musée qu’une visite guidée aussi précédée d’une préparation. L’analyse de comparaison entre les résultats des groupes au post-test affectif (AM) a révélé qu’un programme éducatif comprenant une visite au musée ainsi que des activités de préparation ou de prolongement en classe, UN PROGRAMME ÉDUCATIF MUSÉAL AU PRIMAIRE 347 comparativement au même programme éducatif comprenant exclusivement une visite au musée, ne favorise pas davantage, chez des élèves de cinquième année du primaire, le développement d’attitudes positives à l’égard du musée. Notre deuxième hypothèse de recherche est donc infirmée. Les résultats auraient-ils été différents si les activités de préparation ou de prolongement avaient été animées par le personnel du musée plutôt que par l’enseignant? Il conviendrait de répondre à cette question dans une autre recherche. Attitudes envers les sciences humaines L’analyse de progrès au test affectif (AH) révèle que tous les groupes d’élèves ont développé des attitudes positives envers les sciences humaines, nonobstant les différents traitements. Ainsi, un programme éducatif muséal, comprenant ou non des activités de préparation ou de prolongement en classe, développe des attitudes positives envers les sciences humaines chez des élèves de cinquième année du primaire. Ce résultat va à l’encontre de deux études menées auprès d’élèves de cinquième année du primaire de la Commission des écoles catholiques de Montréal. En effet, la recherche de Dauphin (1985) démontre que la visite guidée ne développe pas d’attitudes positives envers les sciences humaines. De même, Boucher (1986) conclut que la visite guidée précédée d’une préparation en classe et la visite effectuée à l’aide de guides personnels, aussi précédée d’une préparation en classe, ne développent pas d’attitudes positives envers les sciences humaines. L’analyse de comparaison révèle que le groupe expérimental E3, qui a réalisé des activités de préparation et de prolongement à une visite au musée, développe plus d’attitudes positives envers les sciences humaines que le groupe expérimental E1, qui a effectué des activités de préparation avant la visite mais qui n’a pas fait d’activités de prolongement. Il est étonnant de constater que les différences d’attitudes se situent entre les groupes expérimentaux E3 et E1 plutôt qu’entre un groupe expérimental et le groupe de contrôle C, tel que prévu dans notre troisième hypothèse. Serait-ce là un résultat fortuit ou un effet de la réalité qu’il faudrait expliquer? Les activités de prolongement auraient-elles plus d’impact sur le développement d’attitudes positives envers les sciences humaines que les activités de préparation? Mais, pour répondre affirmativement à cette question, il aurait aussi fallu relever une différence significative d’attitudes entre le groupe de contrôle C et le groupe expérimental E2. Il s’agit toutefois d’une question qui mérite d’être étudiée d’autant plus que, d’après l’enquête de Gottfried (1980), les enseignants effectuent plus d’activités de prolongement en classe que d’activités de préparation à une visite. En somme, nous ne pouvons pas conclure que le programme éducatif expérimenté favorise davantage, chez des élèves de cinquième année du primaire, le développement d’attitudes positives envers les sciences humaines. Notre troisième hypothèse de recherche est donc infirmée. 348 CÉLINE DU SABLON ET GENEVIÈVE RACETTE CONCLUSION Notre recherche a permis d’établir qu’un programme éducatif muséal comprenant ou non des activités de préparation et de prolongement en classe favorise, chez des élèves de cinquième année du primaire, la réalisation d’apprentissages et le développement d’attitudes positives à l’égard du musée et des sciences humaines. Toutefois, notre étude n’a pu démontrer qu’un programme éducatif comprenant une visite au musée ainsi que des activités de préparation ou de prolongement en classe favorise davantage la réalisation d’apprentissages et le développement d’attitudes positives à l’égard du musée et des sciences humaines, comparativement au même programme éducatif comprenant exclusivement une visite au musée. Pour mieux circonscrire les effets des activités de préparation et de prolongement en classe, il conviendrait de répondre aux questions suivantes: les enseignants réalisent-ils adéquatement les activités prévues dans le guide pédagogique? Dans ce sens, serait-il préférable que celles-ci soient animées par le personnel du musée? Par ailleurs, le test cognitif (HFC) a-t-il mesuré les apprentissages des élèves réalisés lors des activités de préparation et de prolongement? Les activités de prolongement en classe ont-elles plus d’impact sur les apprentissages que sur les attitudes des élèves que les activités de préparation en classe? Des données qualitatives seraient sans doute susceptibles de contribuer à répondre aux questions soulevées par notre étude. Ainsi, une grille d’observation des comportements des élèves, des enseignants et du personnel du musée ainsi qu’un questionnaire d’appréciation des activités, complété par les élèves, les enseignants et le personnel du musée, pourraient sans doute apporter certaines réponses à nos questions. Mais—est-il nécessaire de le rappeler—la recherche dans ce domaine est encore jeune et de nombreuses études devront être menées afin d’éclairer les actions des divers intervenants en éducation muséale. RÉFÉRENCES Allard, M. et Boucher, S. (1988). La descouverture du chemin qui marche. Montréal: Les éditions Noir sur Blanc. Banaigs, C. (1984). Propositions pour une ‘‘visite active’’ au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Museum, 36, 190–194. Barnes, B.R., & Clawson, E.U. (1975). Do advance organizers facilitate learning? Recommendations for further research. Based on an analysis of 32 studies. Review of Educational Research, 45, 637–659. Barré, M. (1981). Utiliser les musées. 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Essai d’applicabilité du modèle d’enseignement de Bruner en milieu muséal Suzanne Boucher université du québec à montréal En éducation scolaire, il n’existe pas une théorie générale capable d’orienter toute situation d’apprentissage et d’éclairer la complexité de l’acte d’enseigner. Le praticien peut cependant recourir à différents modèles d’enseignement. La pédagogie muséale gagnerait à se doter de tels modèles. Afin de déterminer, parmi les modèles d’enseignement conçus pour l’école, ceux qui peuvent s’appliquer en milieu muséal, nous avons développé une démarche d’analyse basée sur cinq principes pédagogiques d’une visite au musée identifiés par le Groupe de recherche sur l’éducation et les musées. Cette démarche, nous l’avons appliquée au modèle d’enseignement de Bruner sur le développement de concepts et nous avons vérifié dans quelle mesure il peut s’adapter en milieu muséal. No theory of schooling can as yet offer a complete and practicable account of the teaching act, although a number of models provide approximate guidance for practitioners. Museum education would gain by application of some such models. In order to choose from models developed for the school, we developed a screen based on five pedagogical principles identified by the Museum Education Research Group. We here apply our screen to Bruner’s conceptual development model in order to see how well that model suits museum education. LES PROGRAMMES ÉDUCATIFS MUSÉAUX OFFERTS AUX ÉCOLES Depuis une quinzaine d’années, les musées canadiens et américains ont peu changé leur façon d’accueillir les écoles selon les études de Bay (1973), Newsom et Silver (1978), Herbert (1981) et Stott (1987). Reque (1978), Herbert (1981) et Rayner (1987) constatent que la plupart des activités éducatives des musées ont été élaborées intuitivement, sans référence à une théorie pédagogique. Il convient tout de même de reconnaître l’effort déployé par certains musées pour s’éloigner de la traditionnelle visite guidée et offrir aux groupes scolaires des activités basées sur une participation active des écoliers (Finkelstein, Stearns, & Hatcher, 1985). Reque (1978) mentionne qu’à l’époque où quelques muséologues ont commencé à remettre en question les bienfaits de la visite guidée avec des enfants, la véritable question n’était pas de savoir s’il fallait privilégier les approches progressistes ou traditionnelles, mais plutôt d’identifier ce qui était requis d’un programme de visite 352 REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION 16:3 (1991) LE MODÈLE DE BRUNER AU MUSÉE 353 pour qu’il soit effectivement éducatif. Nous croyons donc qu’il faut identifier comment planifier et organiser les stratégies d’enseignement au sein d’un programme éducatif muséal de façon à susciter l’apprentissage chez l’élève qui y participe. UN MODÈLE DIDACTIQUE D’UTILISATION DES MUSÉES Lacey et Agar (1980) suggèrent de développer des modèles d’enseignement et d’apprentissage qui tiennent compte à la fois des collections du musée et des objectifs des programmes scolaires. En éducation scolaire, faute d’une théorie valable pour toute situation d’apprentissage, le praticien peut recourir à différents modèles didactiques et d’enseignement pour structurer les situations d’apprentissage (Joyce & Weil, 1980). La pédagogie muséale gagnerait à se doter de tels modèles. D’ailleurs, lors d’un colloque tenu à l’Université du Québec à Montréal à l’automne 1985, chercheurs, enseignants et éducateurs de musée ont souligné l’importance de mettre au point des modèles qui tiennent compte des objectifs particuliers du musée et de l’école (Racette, 1986). Depuis 1982, le Groupe de recherche sur l’éducation et les musées [GREM], au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal, travaille à l’élaboration d’un modèle didactique d’utilisation des musées. Entre autres choses, ce modèle vise l’élaboration de programmes éducatifs muséaux destinés aux groupes scolaires du primaire. Il comprend trois volets: l’identification des préalables, la mise en oeuvre du programme et son évaluation (Allard et Boucher, 1988). La mise en oeuvre du programme prévoit une démarche d’apprentissage à trois moments: avant, pendant et après la visite au musée. Cette approche est basée sur les recherches effectuées par le GREM sur la conception, l’élaboration, l’expérimentation et l’évaluation de différents types de visite au musée. Cette approche tient également compte de multiples observations réalisées dans différents musées auprès d’élèves qui participaient à des visites éducatives. Enfin, au-delà de ce volet, les membres du GREM ont dégagé des principes que doit respecter une visite au musée destinée à des groupes scolaires. Notre recherche a pour but de proposer un ensemble de modèles d’enseignement respectant le modèle didactique global mis au point par le GREM. Ces modèles d’enseignement composés de multiples agencements d’interventions éducatives pour la visite au musée offriraient un cadre à la fois théorique et pratique aux concepteurs de programmes éducatifs muséaux. Ces derniers pourraient s’y référer selon les objectifs qu’ils poursuivent, les approches qu’ils privilégient, les possibilités et les contraintes propres à leur musée. Pour mener à bien notre recherche, nous avons analysé les modèles d’enseignement présentés par Joyce et Weil (1980). Ces modèles ont été élaborés par des psychologues et didacticiens reconnus. Ils se réfèrent à quatre orientations éducatives: traitement de l’information, développement 354 SUZANNE BOUCHER personnel, intervention sociale et modification du comportement. Dans cet article, nous présentons les lignes directrices de notre démarche d’analyse, puis nous l’appliquons à l’un des modèles de traitement de l’information proposé par Joyce et Weil, celui de Jérome S. Bruner sur le développement de concepts. LA DÉMARCHE D’ANALYSE Les principes pédagogiques suivants d’une visite au musée (Allard et Boucher, 1988) sont à la base de notre analyse: a) prévoir des activités propres au musée; b) viser l’atteinte d’objectifs diversifiés; c) favoriser la cueillette d’informations; d) inciter l’élève à une participation active; e) conférer un aspect ludique aux activités. Chacun de ces principes doit être respecté par le modèle d’enseignement examiné. Prévoir des activités propres au musée Si l’on considère que le musée et l’école sont deux institutions complémentaires, il faut éviter de répéter au musée des activités qui peuvent se réaliser dans le local de classe. Il faut prévoir des activités inédites. Un groupe d’élèves n’a pas intérêt à écouter au musée un exposé fait dans des conditions matérielles moins adéquates que celles de la salle de classe. Certes, la visite au musée comporte en soi un élément inhabituel, voire novateur, car une visite rompt au moins la routine journalière de l’école. Mais si en arrivant au musée on retrouve l’école sous une autre forme, à travers des formules pédagogiques qui lui sont propres, l’impact de la nouveauté s’estompe rapidement. Cela ne veut toutefois pas dire de bannir du musée toutes les stratégies didactiques mises en oeuvre à l’école. Il existe des stratégies qui ne sont propres ni au musée, ni à l’école et que l’on peut adapter en utilisant les ressources mêmes du musée. L’activité éducative met alors en valeur les objets des collections et, dans la mesure du possible, est axée sur des aspects qui ne peuvent être explorés ni ailleurs, ni autrement qu’au musée. Viser l’atteinte d’objectifs diversifiés On réduit souvent la connaissance à la simple mémorisation de faits. En réalité, la connaissance englobe plusieurs processus mentaux qui relèvent de l’association, de l’analyse, de la synthèse, et qui se situent à d’autres niveaux tels le développement de concepts ou le développement d’habiletés. Selon le GREM, durant les activités tenues au musée, il convient de ne pas se limiter au simple niveau factuel. Il faut élargir la nature des objectifs visés et développer des processus de réflexion, des sensibilités, voire des attitudes. LE MODÈLE DE BRUNER AU MUSÉE 355 Favoriser la cueillette d’informations Le GREM a montré que l’information amassée par les élèves est pauvre si la visite demeure un événement isolé. La visite au musée doit s’inscrire dans une démarche entreprise en classe et qui se termine en classe. Le modèle du GREM prévoit, pour la préparation en classe, une introduction au thème qui sera abordé au musée. Cette première exploration de l’objet d’étude a pour but de faire surgir des questions de recherche chez l’élève. Lors de la visite, l’élève procède à la cueillette des informations susceptibles de fournir des réponses à ses questions. Il recueille ces informations essentiellement à l’aide de ce qu’il trouve dans les vitrines. En principe, selon le GREM, pour favoriser une cueillette optimale d’informations, il faut admettre que l’élève ne puisse tout voir, tout apprendre et tout comprendre lors d’une seule visite. Il faut ainsi limiter le nombre d’informations communiquées à l’élève. C’est une condition pour que ce dernier ne se sente pas enterré sous une masse de données et pour qu’il les assimile. On peut éviter une surcharge d’informations en choisissant les vitrines à observer pendant la visite pour leur relation avec le thème du programme éducatif. Inciter l’élève à une participation active Comme dans une étude de l’Industrial Audio-Visual Association (Cloutier, 1974) qui montre qu’un individu ne retiendrait que 20% de ce qu’il entend, mais 90% de ce qu’il dit en faisant quelque chose, les membres du GREM suggèrent de restreindre l’emploi de l’exposé avec des élèves. Il vaut mieux impliquer l’élève dans tout son être en lui conférant un rôle actif, créer des interactions entre l’élève et l’animateur, inciter l’élève à utiliser plusieurs de ses sens et l’encourager à utiliser des habiletés intellectuelles (observation, comparaison, association, établissement de relations). Conférer un aspect ludique aux activités Le jeu fait partie intégrante de l’univers enfantin. Il facilite l’assimilation de l’expérience au schéma du monde de l’enfant. Il permet à celui-ci d’essayer des combinaisons de comportements sans se préoccuper de rendement. Il favorise l’essai de ses habiletés dans de nouveaux contextes, sans craindre l’échec, puisqu’il n’est pas nécessaire de réussir (Desrosiers-Sabbath, 1984, p. 36). Toute situation peut devenir jeu. C’est la façon dont l’individu réagit dans une activité qui indique si l’activité est ou non ludique (Guillette, 1982, p. 41). Considérons quelques indicateurs de l’activité ludique. C’est une activité agréable, divertissante, qui change de la routine et qui amuse. Ce n’est pas une corvée et c’est dissociable d’un comportement sérieux: on peut être fâché et jouer à être fâché. L’aspect ludique d’une activité doit être 356 SUZANNE BOUCHER perçu comme tel par l’élève. Il le sera d’autant plus facilement si l’activité lui rappelle une forme de jeu qu’il connaît. Selon le GREM, le caractère ludique des activités offertes au musée doit être aussi marqué que possible. L’élève apprend toujours mais en s’amusant, le musée pouvant donner lieu et place au plaisir. L’élève qui se rend au musée ne s’attend pas à y vivre des activités scolaires et didactiques, au sens péjoratif de ces termes. Bien que la visite s’effectue dans un cadre scolaire et poursuivre des objectifs généralement puisés dans les programmes d’études officiels, l’élève, puisqu’il est sorti de l’école, anticipe de vivre au musée une expérience nouvelle. En conférant un aspect ludique aux activités, la visite au musée n’apparaît plus à ses yeux comme une activité à caractère strictement scolaire. Voilà les principes retenus pour analyser des modèles d’enseignement applicables en milieu muséal. Cette analyse consiste, en premier lieu, à vérifier d’une manière empirique si un modèle respecte ces principes. En second lieu, elle prévoit l’esquisse d’un exemple d’application du modèle d’enseignement à l’intérieur des trois moments d’apprentissage d’un programme éducatif prévu dans le modèle du GREM. Par la suite, nous devrions être en mesure de décider si le modèle étudié peut être considéré comme applicable en milieu muséal. Le modèle mis à l’épreuve est celui de Bruner sur le développement de concepts. LE MODÈLE DE BRUNER SUR LE DÉVELOPPEMENT DE CONCEPTS Jérome S. Bruner est un constructiviste. Tout comme Piaget, il considère le développement de la connaissance comme un processus d’équilibres et de déséquilibres au cours duquel l’enfant franchit des stades de connaissances. Selon lui, l’enfant passe graduellement du concret à l’abstrait. Bruner est d’ailleurs un défenseur de la pédagogie par la découverte qui implique l’induction (Bruner, Shulman et Keislar, 1973). Il préconise un enseignement de concepts où l’élève doit découvrir une proposition générale et abstraite appliquée à des situations concrètes. Ce qui importe pour Bruner (1969), c’est d’amener l’enfant à passer progressivement de la pensée concrète à la pensée conceptuelle. Le modèle d’enseignement de Bruner (Bruner, Goodnow, & Austin, 1967; Desrosiers-Sabbath, 1984; Joyce & Weil, 1980) est basé sur le développement des habiletés impliquées dans le processus de conceptualisation. Dans ce modèle, l’apprentissage d’un concept consiste à identifier ses caractéristiques essentielles, ses “attributs,” et à les regrouper en catégories. L’enseignement se planifie en trois étapes. La première a pour objet le choix du concept, habituellement puisé dans les curricula scolaires ou les manuels servant aux apprentissages. La deuxième consiste à analyser le concept. Il s’agit d’identifier ses attributs essentiels et non essentiels. Par exemple, comme attributs essentiels du concept “service,” on note que c’est une activité qui représente une valeur économique, sans production de bien LE MODÈLE DE BRUNER AU MUSÉE 357 matériel, destinée à satisfaire un besoin humain. Un service peut également avoir comme attributs non essentiels d’être privé ou public. La troisième, enfin, consiste à illustrer le concept par des exemples positifs ou négatifs, étiquetés par des oui et des non. Ainsi, enseigner, servir un repas, exercer le métier de pompier, sont des exemples de services. Par contre, manger, se promener à moto, construire une maison, n’en sont pas. Lors de la mise en oeuvre du modèle de Bruner, les exemples qui illustrent les attributs du concept et ceux qui ne les illustrent pas sont présentés sous formes d’images, d’objets, de phrases orales ou écrites. Les élèves sont invités à formuler des hypothèses sur la nature du concept. Au fur et à mesure de la présentation des exemples, l’enseignant intervient et renforce les tentatives de découverte du concept. Lorsque le concept est découvert, l’enseignant propose aux élèves de le définir par ses attributs. Les élèves reconstituent les chaînes d’événements qui ont conduit à la découverte du concept. L’étape suivante est celle de la généralisation. L’élève analyse le concept dans divers contextes. Finalement, afin d’améliorer leur capacité de conceptualiser, les élèves conçoivent eux-mêmes un jeu de concepts et refont la démarche du modèle à partir d’un autre concept inscrit au curriculum. ANALYSE DU MODÈLE DE BRUNER Nous avons voulu vérifier si le modèle de Bruner sur le développement de concepts est applicable en milieu muséal. On peut dire qu’il respecte les cinq principes d’une visite au musée, mais à certaines conditions. Le modèle de Bruner favorise la mise en oeuvre d’activités propres au musée. Il permet en effet l’utilisation des objets des collections du musée comme exemples qui illustrent et qui n’illustrent pas le concept choisi. Une visite au musée élaborée selon le modèle de Bruner vise l’atteinte d’objectifs diversifiés. En effet, elle amène l’élève, tout au long de sa visite, à se confronter à des faits qu’il peut mémoriser. Mais surtout, une visite conçue selon le modèle de Bruner pousse l’élève à développer sa compréhension des concepts et ses habiletés à penser. De plus, bien que les objectifs premiers du modèle ne se situent pas à ce niveau, une telle visite suscite un contact direct avec l’objet muséal qui développe chez l’élève des sensibilités, voire des attitudes positives à l’égard du musée. Le modèle de Bruner favorise la cueillette d’informations selon des modalités appropriées à la situation muséale. Si les concepts étudiés au musée sont reliés à un thème déjà abordé en classe, l’élève peut recueillir au musée des informations sur certains aspects de ce thème par le recours à un nombre limité de vitrines du musée sélectionnées en fonction des concepts étudiés. Chaque musée véhicule un message qui se réfère à certains concepts. On choisira les concepts dont les attributs sont exposés sous une forme ou une autre et en nombre suffisant. La sélection, bien entendu, devra également se faire en fonction de la difficulté de compréhension. À notre 358 SUZANNE BOUCHER avis, le modèle de Bruner respecte le principe relatif à la cueillette d’informations, pourvu que le choix des concepts soit fait en fonction de la collection du musée. Si la collection n’est pas suffisamment vaste pour offrir un nombre suffisant d’exemples qui illustrent et d’exemples qui n’illustrent pas un concept, on pourra tout de même parfaire la cueillette d’informations à l’aide d’autres stratégies impliquant des média et même des objets non muséaux. Une visite inspirée par le modèle de Bruner incite l’élève à une participation active. Il n’est pas soumis à une écoute passive. Il doit chercher et découvrir les attributs du concept à partir des exemples qu’il observe dans la collection du musée. Ce modèle suscite également des interactions entre l’animateur et les élèves. Les élèves sont continuellement invités à découvrir le concept. Le modèle de Bruner confère un aspect ludique aux activités. DesrosiersSabbath (1984) nomme même ce modèle ‘‘jeu des concepts.’’ Pour Bruner, le jeu a un rôle important dans le développement de l’esprit et l’acquisition des connaissances. Selon Desrosiers-Sabbath (1984), le modèle de Bruner s’appuie essentiellement sur le jeu et lui accorde une place importante dans les apprentissages. En effet, toute la démarche de l’esprit est enclenchée par des jeux simples sur les concepts; jeux qui ne visent pas uniquement l’acquisition de connaissances, mais donnent lieu à des activités où le processus de connaissance est analysé. Le modèle prend à son compte le rôle positif du jeu en pédagogie. (p. 36–37) APPLICATION DU MODÈLE DE BRUNER Le modèle de Bruner nous semble respecter les cinq principes d’une visite au musée. Pour finaliser l’analyse, il convient de vérifier comment ce modèle d’enseignement peut supporter les activités propres aux trois moments d’un programme éducatif muséal qui se situent, on s’en souvient, avant, pendant et après la visite. Pour les activités se déroulant en classe avant la visite, le modèle du GREM prévoit, entre autres, de se centrer sur les préalables à la visite. L’application du modèle de Bruner suggère une initiation au jeu des concepts. Lors de la visite au musée, des exemples qui illustrent et qui n’illustrent pas le concept à l’étude peuvent être présentés à l’aide des objets de la collection du musée. Prenons une classe de 1ère ou de 2e année du primaire visitant un musée qui possède une collection de véhicules. Supposons le concept moyen de transport sur rail. Ce concept est étudié à l’aide d’une sélection d’objets que les élèves peuvent observer directement: locomotive, wagons de passagers et de marchandises, métros et trains de différentes époques sont des exemples du concept; bateau, avion, automobile d’époques différentes n’en sont pas. Une fois le concept découvert, les élèves le définissent en reconstituant les chaînes d’événements qui les ont conduits à LE MODÈLE DE BRUNER AU MUSÉE 359 découvrir le concept. La séquence peut être répétée avec d’autres concepts relatifs aux moyens de transport et avec d’autres objets du musée. Après la visite, c’est l’étape de la généralisation. L’élève doit analyser chacun des concepts étudiés au musée dans de nouveaux contextes. Enfin, pour développer davantage la capacité à conceptualiser de l’élève, on pourrait lui demander de concevoir son propre jeu des concepts et de refaire la séquence du modèle à partir d’un autre concept relié au thème à l’étude. CONCLUSION D’après notre analyse, le modèle d’enseignement de Bruner respecte les principes d’une visite au musée pour écoliers. Ce constat d’applicabilité, fruit d’un jeu abstrait, pourrait être vérifié expérimentalement pour le plus grand bénéfice des concepteurs de programmes éducatifs muséaux intéressés par le modèle de Bruner. Non seulement le modèle analysé respecte les exigences d’une visite, mais il s’intègre harmonieusement au modèle du GREM et le complète. Cela ne veut pas dire toutefois que son application soit universelle. Il existe probablement, en effet, des musées qui ne possèdent pas les collections suffisantes pour explorer les concepts à la manière de Bruner. Il va de soi que cette restriction est à vérifier. Cependant, si c’est exact, il faudrait analyser d’autres modèles d’enseignement afin d’identifier ceux qui sont susceptibles de s’appliquer aux différents milieux muséaux. On pourrait alors offrir aux utilisateurs du modèle du GREM un ensemble de modèles d’enseignement parmi lesquels ils pourraient choisir celui qui correspond le mieux aux ressources matérielles et humaines de leur musée. RÉFÉRENCES Allard, M. et Boucher, S. (1988). Le musée et l’école. Montréal: Université du Québec à Montréal. Bay, A. (1973). Museum programs for young people: Case studies. Washington, DC: Smithsonian Institution. Bruner, J.S. (1969). The process of education. Cambridge: Harvard University Press. Bruner, J.S., Goodnow, J.J., & Austin, G.A. (1967). A study of thinking. New York: Science Editions. 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Suzanne Boucher est chargée de cours au Département des sciences de l’éducation, Université du Québec à Montréal, case postale 8888, succursale A, Montréal (Québec) H3C 3P8. The National Gallery of Canada’s Theme Rooms: Exploring the Educational Exhibition Anne Newlands national gallery of canada In addition to their functions of collecting, preserving, studying, and exhibiting, museums have an educational role. In 1983, A Building Programme for the New National Gallery of Canada proposed the development of designated didactic areas within the new building as places of learning to complement the visitor’s experience of viewing art. This article discusses the concept of a didactic space and traces the development of four such areas in the Gallery’s Canadian collection. Examining constraints and objectives, it details the planning process, the approaches selected, and the content of the four different spaces. Each of the areas, called Theme Rooms, stands physically and conceptually distinct from the others. An evaluation plan designed to inform the improvement and design of future Rooms is described, leading back to the fundamental question of how best to enhance the visitor’s chosen aesthetic experience. En plus de collectionner, de conserver, d’étudier et d’exposer des oeuvres, les musées ont un rôle éducatif. En 1983, il a été proposé dans un document intitulé A Building Programme for the New National Gallery of Canada que des aires à vocation didactique soient prévues dans le nouveau bâtiment afin de servir de complément aux salles d’exposition. L’auteure de cet article discute du concept d’aire didactique et décrit comment ont été aménagées quatre aires de ce genre au Musée des beaux-arts du Canada. Analysant les contraintes et les objectifs, elle explique le processus de planification, les approches retenues et le contenu des quatre aires. Désignées sous le nom de ‘‘salles thématiques,’’ elles sont toutes, du double point de vue de l’aménagement et de la conception, distinctes les unes des autres. Présentant en outre un plan d’évaluation élaboré en vue d’améliorer la conception des prochaines salles thématiques du Musée, l’auteure nous ramène à la question fondamentale des moyens à prendre pour bonifier l’expérience esthétique choisie par le visiteur. Together with collecting, preserving, and studying that which is collected, museums have long had an the educational role. As far as the National Gallery of Canada is concerned, this educational function is emphasized in A National Museums Policy for the 80’s (National Museums of Canada, 1981), where the museum’s responsibility to share ‘‘both the collection and knowledge derived therefrom for the instruction and self-enlightment of an audience’’ is firmly stated on the first page. Although the definition of 361 CANADIAN JOURNAL OF EDUCATION 16:3 (1991) 362 ANNE NEWLANDS education and the methods appropriate to it in an art museum setting continue to be hotly debated, it is generally agreed that: Works of art, no matter how grand, how glorious, how great, are without consequence unless encountered by a seeing eye, a thoughtful mind, and a feeling heart. Works of art live by virtue of their capacity to shape human experience. A viewer’s experience becomes artistically significant when he or she is able to treat the work in a manner relevant to its artistically important features. People must be able to ‘‘read’’ the artistic content of images to have artistic experience. The mere presence of works, even in fine museums, is insufficient. (Eisner & Dobbs, 1986, p. 1) Acknowledging that works of art merely accompanied by identification labels are not necessarily accessible or meaningful to the majority of art museum visitors, education departments have made it their task to bridge the gap between art and the public. The ways in which these bridges are built are as varied as the art collections and the audiences that visit them. Traditionally, guided tours, extended labels, panel texts, and brochures have been offered in a myriad of formats to meet the requirements of diverse audiences. Occasionally education departments themselves mount exhibitions with educational objectives. At the Art Gallery of Ontario, for example, there have been exhibitions such as Attitudes: The Nude in Art (1983) and Viewpoints: Approaches to Contemporary Art (1988). These exhibitions explored their publics’ reaction to certain imagery and forms of art, and evaluated different types of learning tools. Such studies are usually isolated in designated ‘‘education’’ galleries outside the principal circulation areas. DIDACTIC AREAS What exactly constitutes learning in the informal setting of the art museum is a subject of study unto itself. For the purposes of this article: Learning . . . refers to any measurable changes taking place within the visitor which can be directly attributable to the exhibit experience. These changes could include the acquisition of new knowledge, concepts, perceptual skills, or attitudes. (Lakota, 1976, p. 249) A Building Programme for the New National Gallery of Canada (Canadian Museum Construction Corporation, 1983) proposed the creation of didactic areas to give the visitor an opportunity to ‘‘learn’’: didactic areas in conjunction with certain galleries will contain displays giving information about, and interpretations of, the art exhibited in nearby galleries. Although the visitor should be able to see the didactic display in close proximity to the associated gallery, he should also be able to bypass it . . . [so as not to have it interfere] with the contemplative nature of the examination of works of art. (p. 33) THE NATIONAL GALLERY OF CANADA 363 From the Gallery’s point of view, the foremost place of learning was to remain the galleries themselves. Here the visitor would first and to the greatest extent encounter works of art. The experience of looking at and appreciating art could be complemented in ‘‘the related but not obtrusive didactic areas’’ (Canadian Museum Construction Corporation, 1983, p. 20). This decision to develop didactic spaces within a permanent collection came at a time when special exhibitions were, as they continue to be, increasingly expensive to mount. This expense forces museums to animate and enhance their permanent collections to keep attracting visitors. The Gallery’s permanent collections are vast and varied, and the didactic areas could help visitors focus on particular aspects of the collection. Originally all areas of the collection—Canadian, European, Prints, Drawings and Photographs, Contemporary, and Inuit—were to address ‘‘learning’’ in didactic areas. To date only in the Canadian collection have these areas, called Theme Rooms, been developed. THE CANADIAN GALLERIES In the Canadian galleries, the didactic areas took the form of four regular side-galleries flanking the array of larger main galleries. In keeping with the specifications of the Building Programme they were unobstrusive (at first glance they could be taken for regular exhibition spaces), optional (you could enter or pass by), and did not interfere with the contemplation of art in the main galleries (because their activities were restricted spatially). Yet they responded to the challenge to explore new methods for encouraging a dialogue between visitors and works of art acknowledged as the primary obligation of the Gallery in the Building Programme. Late in 1985, a team composed of a curator (Denise Leclerc, Assistant Curator of Later Canadian Art), a designer (Craig Laberge, Head of Design), and an educator (myself) was struck to propose a scheme for developing the Theme Rooms. We represented the museum’s essential functions: collection and subject expertise, graphic and technical means for packaging and conveying our objectives, and knowledge of the audience and methods of communication. This kind of collaboration, with its obvious benefits of sharing different points of view, is often recommended but rarely implemented. Together we researched and discussed the physical and conceptual needs of visitors in the new National Gallery and proposed an approach to the didactic areas differing from other methods of interpretation like guided tours, information labels, and publications. Before determining the actual content of the four Rooms, we investigated different ways visitors might learn in a museum environment and which techniques (written texts, reproductions, audios, and videos) were most effective for presenting information to a plurality of audiences (Johnstone, 1980; Lakota, 1976, pp. 249-279; Landay, 1982; Miles, Alt, Gosling, Lewis, & Tout, 1982, pp. 78-101; Screven, 1975). ‘‘The public is, however, a 364 ANNE NEWLANDS diversified group and so the development of museum education is also the story of diversification’’ (Ott, 1981, p. 9). We thought the needs of young students were met by school tours, and those of groups of adults by daily public tours. We defined our audience as the general adult public, individuals alone and in small groups, willing to spend time reading, listening to, or looking at supplementary material. For adults preferring a more personal, in-depth experience this was an opportunity to try another approach. Many decisions made in 1986 were taken when we were anticipating the move to the new building and preparing for its opening. The creative pressure of this situation was complicated by the fact that we knew few art museum models for permanent installation didactic galleries and had little time and few resources for formative evaluation to test our assumptions and proposals. The objectives we developed for the Theme Rooms were based on our notions of what constituted the ideal visitor experience. We wanted visitors to feel both physically and conceptually comfortable in their visit to the Canadian collection. If we were going to enhance the visitor’s dialogue with works of art, we felt strongly that we should not limit their own creative perceptions, which could conceivably be undermined by our proposing particular ways of looking or feeling. We sought to keep the visitor’s experience of the work of art as open-ended as possible, yet to provide material to make the Canadian collection accessible. Based on the frequently articulated assumption that most people feel uncomfortable in art museums because they lack background knowledge about the artists and their work, we decided to explain a variety of historical contexts related to a Theme Room’s position within the Canadian galleries. Given that the works of art in the galleries would be complemented only by identification labels, we hoped provision of this material in the Theme Rooms would enhance the visitor’s appreciation of works of art. We considered the initiatory aspect of gallery visiting and the needs of first-time visitors: we wanted the content of the Rooms to be understandable at a glance. To encourage repeat visits, both to the galleries and to the Theme Rooms, we wanted to make evident the possibility of obtaining more in-depth information. Ultimately we aimed to develop a system where the information was layered—either by varying type sizes (titles, sub-titles, and so on) or by accumulating texts and pictures in binder-books for visitors to peruse. While the scope of this article does not permit discussion of the innovative design solutions, they are in fact central to the overall impact (the attraction and holding power) of the Rooms. Two related objectives touched on both content and design: we sought to make specific connections with, and references to, works installed in the galleries, and we insisted on a variety of presentational formats to respond to the needs of diverse audiences. THE NATIONAL GALLERY OF CANADA 365 THE CONTENT OF THE ROOMS In determining the themes, we tried to put ourselves in the shoes of firsttime visitors to the Canadian collection and to anticipate their questions. In the early Canadian galleries, for example, why are religious works, portraiture, and genre painting in such close proximity? It was decided that each Room would emphasize a different theme according to its specific location in the galleries and that each would stand alone thematically from the other Rooms. Each Room would begin with an idea or theme and use the works in the collection (where possible) to support it. The Rooms would also use auxiliary images and artifacts to expand upon the diverse contexts of works in the collection. Each Room would use slightly different methods of installation and technology to meet these objectives. Room I: Patronage of the Arts in Early Canada. We proposed the theme of patronage for the first Room because it answered our hypothetical visitor’s question about the variety of subject matter in the early Canadian galleries and permitted exploration of the varied forces behind development of the arts in early Canada. The Room is installed with works from the collection that represent specific case studies of particular kinds of patronage. The works of art are supplemented with photographs and replicas of documentary material about a variety of artist-patron relations. By installing actual art objects with which to explore the theme, we achieved two things: the circumstances behind a particular market (or environment) for a particular object can be explored, and the Room itself blends visually with the adjacent main gallery. The first wall displays religious sculpture, painting, and silver vessels, and acknowledges the primary importance of the Roman Catholic Church in pre-Confederation Quebec. The second wall demonstrates indirect military patronage and features British topographical artists who produced art both for documentary (military) and for personal (aesthetic) purposes. The third wall shows selected examples of private patronage: portraits of ships, portraits of individuals, presentation silver, and genre painting. The fourth wall points to official patronage, with examples of a portrait of a Chief Justice and a painting by Paul Kane witnessing early Government support of the arts. Room II: Academic Training of Canadian Artists Abroad. This theme was chosen to complement the emphasis on figure painting in the surrounding galleries and to emphasize the educational isolation and the importance of academic training abroad for young Canadian artists in the late 19th century. Like Room I, this Room includes an art installation. Distributed over three walls, a selection of works illustrate the basic steps in classical academic training: drawing from the plaster cast, drawing from the model, copying from the old masters, and the development of the study and the painted sketch. The installation is complemented by an audio tape of material culled from Canadian artists’ letters, diaries, and articles. The tape 366 ANNE NEWLANDS articulates the values and intent of training abroad and voices the artists’ personal ambitions and their reactions to and disappointments with such a training. Room III: Modern Art in Canada—The Beginnings. In contrast to the two previous Rooms, which used art objects, this one, in keeping with its 20th-century subject, offers a video exploring the European avant-garde’s influence on Canadian painters from 1900 through the 1930s. Modernity was chosen as a theme because it so aptly encompassed the acceleration of stylistic change and the variety in the galleries nearby. Beginning with James Wilson Morrice, the video deals not only with important international influences on the artists of this period but also with the artists’ personal creative responses. This Room is complemented by a small reading area providing a selection of monographs about the artists and ideas featured in the video. Room IV: The Painter Speaks—Canadian Abstract Painters. Here a video composed of archival radio, film, and TV footage presents some Canadian artists discussing the roots of their interest in abstraction and their individual approaches to it. Once again, video technology was seen as the most appropriate medium for bringing artists’ words to life and for presenting a modern concept. The theme of abstraction was chosen because we had observed that the general public has difficulty with non-objective art. We also know that when artists speak for themselves about why they paint as they do, people are fascinated and listen intently. EVALUATION It is not sufficient to equate effectiveness with popularity (visitor count). The mere fact of attendance says nothing about the value of the experience to the visitor. (Lakota, 1976, p. 18) Evaluation was always seen as an integral part of the development of the Theme Rooms. It offers the most important key to assessing the value of a Theme Room experience for the visitor. Designed with a life-span of two to three years, the Rooms are viewed as laboratories in which to explore effective means for enhancing the visitor’s experience of the Canadian collection. Our objectives for evaluation are to assess the effectiveness of the existing Rooms, to increase our understanding of how visitors use the Rooms, to design new Rooms better, and to provide better tools for enhancing visitors’ appreciation of art. Phase 1. After the Rooms opened in May 1989, we launched Phase I of the evaluation programme. From June to August, helped by two summer interns, we tracked visitors unobtrusively and interviewed them to find out if the content was being clearly conveyed, if the design was effective, and if a Theme Room experience increased their appreciation of the Canadian collection. At the same time, we administered an orientation questionnaire to see if visitors were entering the Rooms by accident (happening upon THE NATIONAL GALLERY OF CANADA 367 them) or by design (informed by the floorplan). This inquiry stemmed from our feeling that the signage for the Rooms was inadequate. If visitors were not aware of the existence of the Rooms, then they obviously could not take advantage of these resources. Furthermore, visitors would likely carry away the unfavourable impression that no effort had been made to make the Canadian collection more accessible. Past and present evaluations indicate the need for specific (promotional and directional) Theme Room signage, even at the expense of keeping the galleries as free of signs as possible. Because the content and technical methods used in the four Rooms differ, we also designed four Room-specific interview questionnaires. These questionnaires inquired about visitors’ awarness of a particular theme in a Room, whether they had read the introductory column (which explained the Theme), and to what extent they had read the supplementary material, listened to the audio-tape, or watched the videos in the Room. We asked which form of information they most enjoyed and whether they felt the experience had taught them something or had increased their appreciation of the Canadian collection. We also asked about their comfort in reading, listening to, or watching the supplementary information (type-size, text or audio-tape or video length, and language level). Thus most questions stemmed from the Gallery’s concerns about content and design decisions: were the Theme Rooms meaningful, and were they affecting our visitors as we intended? Because of the sampling strategy and the design of the questionnaire, the summer evaluation for all its ambitious intentions gave us less feedback than we anticipated. Of almost 1,000 visitors tracked, only 112 stayed one minute or more in a Room and were interviewed. Nevertheless, we learned a lot about the circulation patterns in each Room and about which Rooms and features attracted people. We learned that our attempt to graphically layer written information was not very effective and that few visitors read the introductory columns (the keys) in each Room. Because so few people read them, we were not able to get much criticism of the texts or their modes of presentation. The poor response to the audio-tape in Room 2 confirmed our apprehensions about the rather stark nature of the installation: most visitors did not connect the text panel (the audio-tape programme) on the wall with the headphones on the nearby benches. Lack of visuals in this area may also have limited their attraction to the audio-tapes. Phase II. Recognizing that the Gallery’s audience has seasonal fluctuations and characteristics, we decided to embark on a Phase II evaluation plan to compare responses of summer and winter audiences to the Rooms. In contrast to the in-house evaluation project conducted in the summer, for the winter we hired a professional museologist skilled in evaluation to assist us in collecting more scientific data based on standard, professionally accepted measures of exhibit effectiveness. Conducted in March 1990, the winter evaluation was designed to complement, not duplicate, the findings of the previous summer. While it probed 368 ANNE NEWLANDS again the meaningfulness of the content and the effectiveness of the design of the Rooms, it used a different sampling strategy (see below). It also inquired about visitors’ background knowledge and their interest in Canadian art, and the kinds of questions they had about looking at Canadian art. Beyond attempting to draw inferences from visitors’ evaluations of the existing Rooms, a deliberate effort was made to solicit their questions. The sampling strategy required interviewing anyone who exited from a Theme Room, thus more completely testing each Room’s attracting and holding power. Once attracted to a Room, 205 of the 365 visitors interviewed (56%) stopped and used aspects of a particular Room. The use per Room decreased as visitors got closer to the exit from the Canadian galleries: Room 1 was used by 84% of visitors, Room 2 by 57%, Room 3 by 45%, and Room 4 by 32%. This use does not equate with understanding or impact, since the theme of Room 2 was misunderstood by 38% of visitors and, while the visits to Rooms 3 and 4 were fewest, the use and appreciation of the videos was very high, with visitors staying for all or most of their 17-minute duration. Obviously fragments of information such as these beg questions about the effectiveness of certain kinds of installations and the relevance to the visitor of particular themes. These issues cannot be debated here but will form the base of future research on the Rooms and the methods to be used. The winter evaluation was also significant in that it provided some long-awaited demographics about visitors to the Canadian collection. Most visitors (60%) were university graduates with no special knowledge of or background in Canadian art, and 72% were first-time visitors to the Gallery. This fact puts into question one of our initial objectives, to attract returning visitors to the Rooms, and will have a bearing on the target audience in the future. When asked to select and rate potential future Theme Room topics, visitors showed most interest in “why artists made particular works of art.” This was followed by three equally rated topics: “information about a specific work of art,” “how to look at or analyze a work of art,” and “background about the artist’s life.” Curiosity about “artists’ materials and techniques” ranked below these but above “what critics had to say about artists’ work,” which ranked last. Despite the fact that the sampling strategies for winter and summer were different, visitors’ use of particular Theme Room features was found to be very similar. Visitors reported having read “some” of the text material in Rooms 1 and 2 but having seen “most” or “all of” the videos in Rooms 3 and 4, suggesting that the video format was more popular than the panel texts, extended labels, or binder books. This in turn raises all kinds of questions: if indeed the videos are more popular, is it because they are a more passive form of obtaining information or because they are more complete and dynamic in their explanations? Did the location of the videos, just over halfway through the Canadian galleries, make them an attractive THE NATIONAL GALLERY OF CANADA 369 stop, offering seating and a break in the pattern of looking at works of art? (While the opportunity to pause may have been valued, it should be noted that the video seating was rated as very uncomfortable!) Last, but not least, why do the texts not encourage reading, and is there a way to make text presentations more interesting in order to increase their use? While the actual graphics used may have discouraged reading of the texts, it is possible that (relatively) text-heavy approaches are not appropriate for Theme Rooms located near the beginning of most peoples’ visits. THE CHALLENGE The exciting aspect of research and experimentation in the Theme Rooms is that it continues the inquiry about what methods most enhance visitors’ dialogues with works of art. Do visitors need the background information collected by experts in the field to appreciate a work of art? What kind of learning tools and approaches best serve this ‘‘discretionary leisure-time activity’’ (Kelly, 1984)? Educators elsewhere are exploring these issues. Important research and experimentation continues at the Art Gallery of Ontario, where installations in the J.S. McLean Group of Seven galleries have introduced interactive computers right into the art installations in an effort to develop visitors’ critical looking skills and personal appreciation of works of art. At the Denver Art Museum in Colorado, the education department has participated in an experiment to produce label texts that introduce the novice to the appreciation of the expert in a personalized way. Although their methods are quite different, both these examples represent visitorfocussed enhancements. Opposed to the ‘‘hypodermic’’ approach, where the visitor passively receives information, the educators behind these endeavours are trying to get visitors to discover for themselves what kind of personal rapport they might have with a work of art. Thus the research with its shifting parameters continues; and the solutions, even for permanent didactic galleries, remain temporary. But while we labour away in the art museum, experimenting with ways to enhance the art museum visitor’s experience: We should not overrate the impact upon the visitors, of all those aspects of gallery design and presentation that cause professionals and academics to get so hot under the collar. The way non-professionals approach and experience objects in museums is much more dependent on the conceptual baggage they bring into the museum than anything the display can accomplish on its own. (Kemp, 1990, p. 1435) Nevertheless, the challenge to make something meaningful of these unobtrusive didactic areas, to encourage a dialogue between art and the public, continues to thrive. 370 ANNE NEWLANDS REFERENCES Canadian Museum Construction Corporation. (1983). A building programme for the new National Gallery of Canada. Ottawa: Canadian Museum Construction Corporation. Eisner, E.W., & Dobbs, S.M. (1986). The uncertain profession: Observations on the state of museum education in twenty American art museums. Los Angeles: The Getty Centre for Education in the Arts. Johnstone, C. (1980). Art museums in the communications age. Museums Journal, 80(2), 72-77. Kelly, R.F. (1984, May). Visitor experience of objects: A communications perspective. 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Montreal: Concordia University. Screven, C.G. (1975). The effectiveness of guidance devices on visitor learning. Curator, 18, 219-243. Anne Newlands is an Education Officer with the Education Services, National Gallery of Canada, 380 Sussex Drive, Ottawa, Ontario, K1N 9N4. The Measurement of Learning in the Museum Janet Gail Donald mcgill university With increased interest in the educational role of museums, learning in museums and its measurement have become important questions. The most frequently used measures in museums are attracting power and holding power; but measures used by educators are of time on task, knowledge gained, thinking and problemsolving skills, motivation or attitudes, and creativity. The objective of this study was to delineate and to evaluate measures of learning applicable to museum experience. Different kinds of museums—fine arts, natural history, science, and centres of interpretation—promote different kinds of learning, but all pay attention to specific measures of learning: knowledge gain and thinking. Plus on s’intéresse au rôle éducatif des musées, plus l’apprentissage dans les musées et les instruments de mesure connexes prennent de l’importance. Les critères de mesure souvent retenus dans les musées sont le pouvoir d’attraction et de rétention; les éducateurs, eux, considèrent plutôt le temps consacré à la tâche, les connaissances acquises, la pensée et l’aptitude à résoudre des problèmes, la motivation ou les attitudes et la créativité. L’étude présentée dans cet article visait à distinguer et à évaluer les mesures de l’apprentissage applicables à l’expérience muséale. Les divers types de musées—musées des beaux-arts, de sciences naturelles, des sciences et de la technologie, centres d’interprétation— privilégient différents types d’apprentissage, mais tous accordent de l’importance à deux critères de mesure, l’acquisition des connaissances et la pensée. Museums have always played an important role as repositories of knowledge or artifacts of knowledge, but in the 20th century they have increasingly become active disseminators of knowledge. Adoption of this active educational role has occurred in several phases. Fine arts museums, which most clearly epitomized the idea of the museum in the 19th century, moved from being quiet corners for connoisseurs through a period where visitors with the aid of museum docents viewed great works and learned their history, to the current phase, in which classes in the production of art as well as art history are regular museum activities. For example, the brochure of the National Gallery of Canada (1990) describes lectures, presentations, talks, tours, studio workshops and activities, and performances. Natural history museums at the middle of the 20th century were stocked with long cases in which sat rows of arrowheads, pottery, or jars of specimens. They have become halls where displays beckon, narrative is woven by 371 CANADIAN JOURNAL OF EDUCATION 16:3 (1991) 372 JANET GAIL DONALD a push-button audiotape, computers answer questions, and schoolchildren dart by, questionnaires in hand, in search of the next clue in their treasure hunt or rally. Science museums, most of which date from the 1960s in North America, expressly provide education in science (Fowles, 1986). Recently, park museums and centres of interpretation have gained attention as places that invite the public to participate in a particular milieu or phenomenon, most often social or ecological (Rivard, 1985). In these different kinds of museums, very different kinds of learning could be expected, not only in terms of content but also in terms of how people think or what people are able to do after their museum experience. Although some evaluations of what takes place in the museum have led to the coining of such terms as ‘‘edutainment’’ (Wolf & Tymitz, 1978), and others talk of ‘‘mindlessness’’ in the museum, where there is little questioning of new information (Pearce & Moscardo, 1985), many more studies show that museum experience changes people. Studies of museums and their effects have taken one of four forms (Screven, 1984). The first kind of study is of the demographic characteristics of museum visitors and why they visit the museum; the second is of how museum visitors behave, particularly how they move in the museum. The third kind of research is on the effect of different variables on museum behaviour: for example, the effects of guided tours compared with theme visits. Finally, there are evaluative studies of whether exhibits or programs meet their intended objectives. But how is learning in the museum measured? The measures most frequently mentioned are associated with visitors’ movements in the museum and are discussed in terms of the success of exhibits, specifically their attracting power and holding power (Kool, 1986; Miles, Alt, Gosling, Lewis, & Tout, 1982). Attracting power refers to the number and kinds of visitors who approach a particular exhibit or display (Miles et al., 1982). Holding power refers to the amount of time visitors spend examining an exhibit, expressed as the total number of seconds a person remains stopped at an exhibit divided by the minimum number of seconds necessary to read and see an exhibit (Kool, 1986). Other measures could also justifiably be applied to museum settings and would show the educational value of a museum experience. The first objective in this study is to delineate measures of learning applicable to museum experience. The second objective is to examine studies that use these measures and the limitations in their use. Knowing what measures of learning have been used will suggest the kinds of learning that can be expected in different kinds of museums. MEASURES OF LEARNING Learning can be measured at several levels of specificity. Perhaps the most global measure is that of time on task, the amount of time a learner spends on a particular learning task. Most frequently, learning is measured in terms MEASUREMENT OF LEARNING IN THE MUSEUM 373 of the amount of knowledge gained: the difference between what is known before instruction and after instruction, often broken down into facts learned and concepts or ideas gained. Measures of thinking or problem solving are increasingly gaining attention. Motivation or attitude toward learning is also considered an important measure of learning because it is a harbinger of future learning. Finally, creativity, intellectual provocation, or the generation of meaning are more general and more difficult-to-use measures, but they capture the joy or higher purpose of learning. Each of these kinds of measures will be examined for appropriateness and usefulness in measuring learning in a museum. Some measures are more often used with elementary and secondary students and others with adults, and sometimes the same measures are used differently with adults and students. The situation often determines the validity as well as the appropriateness of the measures. Time On Task One of two measures most frequently used by museum evaluators, holding power, has a parallel in the educational research literature on time on task. Studies of time on task in schools compare the time that students spend in focused task activity with how much they learn, for example, the relationship of students’ cognition to time on task during mathematics instruction (Peterson, Swing, Stark, & Waas, 1984). Researchers who have done studies of this kind suggest that time on task is an important variable with a major effect on learning. Museum evaluators talk of holding power as the time a person remains stopped at an exhibit divided by the minimum time necessary to read and see an exhibit. Holding power is a more highly specified measure than time on task since in the classroom the student is expected to accomplish activities in addition to reading and seeing. The classroom activities may include applying what is read, writing, or problem solving. Holding power is also defined more precisely because time on task does not specify a particular expected time. In fact, in the classroom, learning time is expected to vary with the needs of a heterogeneous group of children. Another important difference between these two measures is that holding power is measured in seconds, whereas time on task is measured in larger units: minutes or proportions of a class period. The paradox for educators measuring learning in museums is that students visiting the museum for a specific learning experience are often organized in a rally to collect information efficiently, that is, in the shortest time possible. The idea of a required viewing time necessary to read and see an exhibit is also foreign to the experience of schoolchildren visiting a museum since they do not usually read in museums. For example, Gottfried (1979) reported that students in a science museum approached exhibits on a physical level, rarely reading instructions or observing graphics but learning through peer instruction. Exhibits in science museums are designed to hold attention: fossil and mineral exhibits at the Lawrence Hall of Science are viewed for an average 374 JANET GAIL DONALD of forty seconds, puzzle tablets for close to five minutes and computer terminals for an average of sixteen minutes (Linn, 1976). Comparison with the average expected museum exhibit viewing time of one minute suggests students need much more time to process information than the time periods used in studies of holding power. Students’ responses to the same exhibits vary widely, with some students finding them exciting and others finding them not at all interesting. Most positive comments are associated with games of skill such as puzzles, reaction time, or computer interactions, and these are exhibits with greater holding power (Peterson, 1976). Theoretically, holding power or time could be expected to be linked to learning but not to be a direct cause of learning. The amount of time spent looking at an exhibit may be a function of how distant it is from the viewer’s experience, hence incomprehensible and difficult to process, rather than a function of the actual learning or information processing going on. Measures like time on task or holding power must therefore be used with caution: they serve as general measures of conditions for learning rather than measures of learning itself. Knowledge Gain As museum educators increasingly identify education as a primary objective, more are questioning what knowledge is gained from a museum exhibit. Some experts point to problems of gaining knowledge in a museum, noting difficulties of learning under crowded conditions or in novel environments (Kool, 1986). Given the short time museum visitors view exhibits, we must question how much knowledge they could gain. Cognitive science suggests that knowledge, if it is to be retained and retrieved, has to be stored in context. A series of exhibits may decontextualize, thus preventing development of a conceptual framework rather than providing the focus necessary for learning. In response to the constraints on learning imposed by lack of time and familiarity with the context, some museums have instituted programs of visits to the museum that take place over one or two days. For example, on the first day of a two-day visit, students take part in a guided tour in the morning, then are left free in the afternoon to solve puzzles and answer questionnaires requiring them to circulate through the museum to find the answers. The following day, the students participate in small workgroups on particular themes in the museum (Boucher & Allard, 1987). Students can be tested before and after the experience to determine how much they have learned. Comparisons have been made between the amount learned during a museum visit and in a regular classroom (Wright, 1980) and between groups taking structured versus nonstructured visits to the museum (Stronck, 1983). Swan-Jones and Ott (1983) studied learning by means of self-study guides, which consist of questions, information, illustrations, and games. They looked for factual learning in responses to study guide questions and for MEASUREMENT OF LEARNING IN THE MUSEUM 375 conceptual learning as measured by associations, comparisons, analyses, generalizations, syntheses, and evaluations students made in their guide books. In a study comparing effects of a guided tour with a rally, where grade 5 students used self-study guides for half a day, student learning was tested by means of a questionnaire, and students’ attitudes were tested on an attitude scale (Boucher & Allard, 1987). Students who used the self-study guides learned more than those who had a guided tour, and they had more positive attitudes toward the museum. The self-study guides provided a structure that made the learning meaningful for students but freed them to behave more independently, like adult visitors to the museum. In comparison with the measurement of student learning, studies of adult knowledge gain in museums are less rigorous because pre- and post-tests can rarely be given. Evaluators can, however, get a sense of the extent to which intended learning objectives are achieved by visitors to exhibits. In an evaluation of learning about ecology in a Smithsonian exhibit entitled ‘‘Our Changing Land,’’ over 200 visitors were asked in informal interviews what the exhibit was about, what they had learned, and what they would like to see or to learn about ecology (Wolf & Tymitz, 1979). The evaluators analyzed visitors’ replies to articulate emerging themes, to identify consistencies and inconsistencies, and to develop a data categorization structure and tentative explanations for what the visitors had said. In the final report configurations of meaning in the data were illustrated and interpreted. This kind of qualitative study shows museum staff what visitors have learned and, more importantly, provides general insight into what a wide range of visitors have gained from an exhibit. The study is thus useful for museum planning. The evaluative studies done at the Smithsonian Institution appear to have changed how other museum staff measure the success of exhibits. In Wolf and Tymitz’s 1981 study of the “Dynamics of Evolution,” curators asked for measures of what specific concepts were learned and what facts absorbed: content learning was a more important concern to them than numbers of people attending or the length of their visit. Points of interest or magnet areas, those which sustained visitors’ attention and provoked protracted involvement like reading or conversing, were identified so visitors in these areas could be asked what specific kinds of things they learned there. Thus the measure of holding power showed where to ask more specific questions about learning. Thinking and Problem Solving The development of children’s problem-solving abilities is receiving greater attention in schools today, and science museums were instituted to provide a milieu where children could develop these abilities by exploring, constructing, manipulating, and discovering (Donald, 1986; Fowles, 1986; Linn, 1976; Souque, 1986). At the Lawrence Hall of Science, for example, 376 JANET GAIL DONALD measures of learning include observing how long students spend with materials, whether they complete the experience, in what order they carry out the activities, whether they leave and return, and whether they talk to other visitors. Linn points out that this information does not directly indicate learning, but it characterizes conditions for learning. Most frequently, visitors to Lawrence Hall are asked questions, but Linn suggests that if the students learn by doing activities they should also be evaluated by means of activities. The Ontario Science Centre, in response to a request for science enrichment at the elementary school level, introduced a five-session course devoted to scientific processes rather than factual information (Fowles, 1986). On weekends and holidays there are hands-on workshops for children from 3 to 14 years old, and a Science School offers a one-semester experience in practical science with strong emphasis on communication skills. Fowles notes that programs for adults are of equal and growing importance. A guiding principle of the Centre is to stimulate curiosity, often by presenting counter-intuitive phenomena. When teachers consider the museum as a place of learning, their shopping list of learning objectives appears much longer than that of museum curators or educational officers, partly because of teachers’ concern that a school day at the museum not become a holiday from learning. One dayplan for learning in the museum begins with the posing of a problem such as ‘‘Who were the Amerindians of the 17th century and how did they live?’’ (Lenoir & Laforest, 1986). More specific questions are asked, information is collected, and is then organized, classified, compared, and presented by the students, who interpret and communicate the results to other class members. The museum experience thus becomes a scientific exploration where students ask questions, find information to answer them, and synthesize their answers into a report for their peers. But can a museum provoke this kind of learning for the adult visitor? Both museum personnel and educators believe so. For example, a visitor who recognizes something familiar in an art museum exhibit will make a comparison, which then leads to hypothesizing or conscious reflection about the observation (Lamarche, 1986). This conscious reflection may include elements of visual discrimination, a comprehension of the relationship between form and expression in the painting, and judgment of its expressive quality (Ecker, 1963). Dufresne-Tassé and Lefebvre observed a similar process in a natural history museum (Dufresne-Tassé, 1988). They found that museum visitors perceive an object, then actively imagine it, then ask questions about it, and then reason and verify their conclusions. The visitor attributes to the object a series of characteristics that integrate the object with what the person already knows and feels. Thus a museum visit can be a problem solving or reflective thinking experience for adults perhaps more readily than for children since adults have a greater background against which to hypothesize and test their new experiences. The measurement of MEASUREMENT OF LEARNING IN THE MUSEUM 377 learning may be more complex, requiring interviews and protocol analysis; but this is not an insurmountable hurdle, as the studies by Wolf and Tymitz and by Dufresne-Tassé attest. Motivation Traditionally, attendance at museums has been by choice. Because visitors spend a relatively small amount of time at any one exhibit, Linn (1983) suggests exhibits might be designed to stimulate subsequent interest in the topic rather than to impart detailed knowledge during the visit. According to Linn, museum directors consider a museum’s primary aim should be to stimulate interest in science or art rather than to teach science or art history. In her view, museums need to stimulate the desire to know; and exhibits, rather than teaching new science facts, may motivate visitors to buy astronomy books, watch TV programs on science, or have family discussions about computers. This viewpoint is consistent with the most frequently used measure of the success of museum exhibits, attracting power, defined as the percentage of visitors who come to a complete stop and look at any part of an exhibit (Peart, 1984). Peart found that first-time visitors to the ‘‘Living Land, Living Sea’’ exhibit at the British Columbia Provincial Museum spent approximately 14 minutes in the gallery and that the exhibits’ average attracting power was 36%, that is, just over one-third of the visitors stopped and looked at any one of the exhibits. More concrete exhibits—that is, larger, open exhibits that stimulated smell and sound as well as sight—were the most effective in both attracting and holding visitors. Attracting power correlated significantly (r =.44) with holding power in studies done by Kool (1986). But does attracting power correlate with measures of learning? Kool (1986) reported that knowledge gain was no greater for visitors who said they came to the museum to learn than for visitors who said they came to enjoy themselves. He found, however, that knowledge gain was more likely with abstract exhibits than with concrete exhibits despite the fact that concrete exhibits both attracted and held visitors longer. Smaller, less complicated exhibits requiring shorter viewing time got the message across better. These studies suggest that the relationship between attracting power and learning is complex, and that measurement of motivation and its effect on learning are no easier in the museum than in any other learning milieu. The learning of positive attitudes is a closely related phenomenon. In their study of the effect of a guided tour versus the use of self-study guides, Boucher and Allard (1987) found that although students who used the self-study guides had more positive attitudes toward the museum after their visit, neither group had more positive attitudes toward social science. Boucher and Allard explained their results by suggesting that a one-day experience could not be expected to change attitudes toward a field of study and that a longer learning period at the museum could be expected to produce different results. 378 JANET GAIL DONALD As a measure of learning, motivation or attracting power suffers from being as global a measure as time on task or holding power. Since the index of its validity as a measure is knowledge gained, and the relationship between motivation and knowledge gained is complex, it is probably more reasonable to consider it a measure of a condition for learning rather than a measure of learning. Research suggests that visitor response to the questions of whether an exhibit was interesting and whether it would incline a visitor to explore further in the domain of the exhibit are more valid indicators of whether learning will occur than attracting power is. Creativity or Intellectual Provocation The extent to which museum experience stimulates creativity or is intellectually stimulating is another global and more difficult-to-use measure, but it is an important concept for both museum personnel and adult educators. Museum educators talk about evocative objects in the museum that are the starting point for learning, or about making the meaning of objects come alive for the viewer (Mackenzie, 1986; Vadeboncoeur, 1986). Providing an environment that stimulates curiosity and instilling respect for the environment and its inhabitants are objectives mentioned in conjunction with intellectual provocation (Baril, 1990; Fowles, 1986). Adult educators speak of the pleasure of playing with the known and creating something new from it, the pleasure of considering the unknown and coming to understand it, and the pleasure of mastering the unknown and integrating it with what one already knows (Dufresne-Tassé, 1986). These aesthetic or attitudinal outcomes are difficult to measure because they are sensed rather than seen, but they are important because they connect with the reality of our existence. Dufresne-Tassé suggests that adult educators have concentrated so hard on the acquisition of knowledge and abilities in order to resolve problems of existence that their austere description of learning has no place for pleasure or wonder. She recommends that museums study the functions of observation, imagination, and wonder as well as the capacity to analyze and synthesize in viewers’ contact with exhibits. Lamarche (1986) also talks about the educational potential of a museum in the development of expressive style and values. Both authors suggest models in which new measures more suitable to these objectives must be developed, measures of a more qualitative nature (Dufresne-Tassé, 1988). As has been noted above, measurement of thinking or problem solving requires these more complex methods as well. THE APPLICABILITY OF THE MEASURES OF LEARNING The measures of learning we have investigated can be divided into global and specific. The global or broad measures of learning include those of time (holding power and time on task), of the direction of attention (motivation MEASUREMENT OF LEARNING IN THE MUSEUM 379 and attracting power), and of intellectual stimulation (creativity or intellectual provocation). Specific measures of learning include knowledge gained, both factual and conceptual, and thinking and problem solving. The broader measures are used more often with adult visitors, the more specific with school-aged visitors. This difference is explained primarily by the assumption that adults are at a different level of cognitive development and have different levels of knowledge compared to elementary and secondary school students, that is, that adults have achieved a level of cognitive development students are still acquiring. The focus of the specific learning measures is cognitive development, while the focus of the broad measures could be described as environmental influences on learning. In addition to the difference in level of cognitive development assumed, different levels of control over the learning process are assumed for adults and children, and there are different expectations of learning. Teachers, for instance, point out that museums serve students well when they illustrate topics in the school curriculum (Lenoir & Laforest, 1986). The museum rally, on the other hand, emphasizes cognitive development while at the same time providing students with the motivation and intellectual stimulation more frequently used to gauge the success of museum displays with adults. Two worldwide changes in expectations of learning may affect the role of museums. The first change is the view that learning is a lifelong phenomenon, and the second is the shift in our view of learning as the acquisition of knowledge to learning as the acquisition of thinking skills and the utilization of knowledge. Both changes should affect how museums prepare and measure learning experiences for children and adults. We could hypothesize that in future measures of learning used in museums will be less differentiated according to visitor age. LEARNING IN DIFFERENT KINDS OF MUSEUMS Do different kinds of learning occur and are different measures used in different kinds of museums? The four major kinds of museums referred to in this study are fine arts museums, natural history museums, science museums, and park museums or centres of interpretation. Analysis of the references used in this study, which were selected on the basis of their dealing with learning in the museum, shows that of 29 references, 4 are concerned with learning generally, that is, their approach is not based on a particular kind of museum. More of the articles examined natural history museums (13) than any other type; science museums were next most frequently discussed (7 articles), while fine arts museums and centres of interpretation were least mentioned (3 and 2 references, respectively). We could hypothesize from this that natural history and science museums are more concerned with questions about learning. 380 JANET GAIL DONALD We might suppose that science museums would be most concerned with thinking and problem solving, since those were a major part of their original mandate. Would emphasis on knowledge gain parallel or complement emphasis on thinking? Knowledge gain was the most frequently discussed kind of learning (9 articles), and it was discussed in articles about each kind of museum, but most of these articles were concerned with natural history museums (4) and science museums (3). Thinking and problem solving were next most frequently discussed (8 articles), and they were discussed in articles about each kind of museum; but as expected, there were more such articles about science museums (3) than natural history and fine arts museums (2 articles each). Thus the more specific measures of learning were more frequently discussed in the articles, and they were more frequently discussed with respect to natural history and science museums (6 each). Of more global measures, holding power was discussed in articles about all kinds of museums. Would motivation be considered more in some museums than in others? Of the 4 articles dealing with motivation or attracting power, 3 referred to natural history museums and 1 to science museums. Attracting power was also dealt with in 2 general articles. Would creativity be a particular concern of fine arts museums? Creativity or intellectual provocation was discussed in 6 articles, 3 on natural history museums and 1 on each other kind of museum. These results suggest that the specific measures of learning, knowledge gain and thinking and problem solving, are being attended to in all kinds of museums, as are creativity and intellectual provocation. Measures of motivation or attitudes seem most concentrated in the natural history and science museums, but there were substantially more articles on these two kinds of museums. The analysis also reveals that, although the kinds of learning measures may be differentiated according to whether they are used with adults or students, all measures of learning except motivation were considered in articles on each kind of museum. A visit to any kind of museum could thus be expected to result in learning according to several of these measures. Although from this analysis we might expect to reap a greater knowledge gain in a museum of natural history, or to think and problem solve more in a science museum, we can expect a potential gain in knowledge, in thinking, and in intellectual provocation from any museum experience. REFERENCES Baril, D. (1990). In praise of insects. International Wildlife, 20(1), 17. Boucher, S., & Allard, M. (1987). Influence de deux types de visite au musée sur les apprentissages et les attitudes d’élèves du primaire. Canadian Journal of Education, 12, 316–329. Donald, J.G. (1986). L’évaluation des programmes éducatifs au musée. À quel type d’apprentissage faut-il s’attendre? In G. Racette (Ed.), Musée et éduca- MEASUREMENT OF LEARNING IN THE MUSEUM 381 tion: modèles didactiques d’utilisation des musées (pp. 73–76). Montréal: Société des musées québécois. Dufresne-Tassé, C. (1986). Examen critique des recommandations de quatre éducateurs d’adultes éminents aux gens de musée. In G. Racette (Ed.), Musée et éducation: modèles didactiques d’utilisation des musées (pp. 38–43). Montréal: Société des musées québécois. Dufresne-Tassé, C. (1988). L’approfondissement de certains processus comme celui que vit le visiteur de musée échappe-t-il à la recherche qualitative? Canadian Journal of Education, 13, 100–110. Ecker, D.W. (1963). The artistic process as qualitative problem solving. Journal of Aesthetics and Art Criticism, 21(3), 281–290. Fowles, J. (1986). Education and the Ontario Science Centre. In G. Racette (Ed.), Musée et éducation: modèles didactiques d’utilisation des musées (pp. 67–68). 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(1980). Analysis of the effects of a museum experience on the biology achievement of sixth graders. Journal of Research in Science Teaching, 17, 99–104. Janet Gail Donald is Director of Centre for University Teaching and Learning and Professor in the Department of Educational Psychology and Counselling, McGill University, 3700 McTavish Street, Montreal, Quebec, H3A 1Y2. L’intégration de la fonction éducative au musée Jean Trudel université de montréal En 1945, Florian Crête, conservateur du Musée éducatif des sourds-muets à Montréal, écrivait que les musées ‘‘sont devenus un instrument d’éducation par excellence.’’ Son optimisme est encore aujourd’hui loin d’être entièrement partagé. Si le rôle éducatif des musées est de plus en plus reconnu dans notre société contemporaine, les musées font toujours face, de l’intérieur, à des problèmes anciens et nouveaux dont la complexité va croissant. Les éducateurs de musées tentent de mieux définir leur rôle, souvent remis en question, dans la structure interne des institutions. La fonction éducative des musées ne peut pas reposer uniquement sur les éducateurs qu’ils emploient, mais sur les convictions de tous ceux qui y oeuvrent et qui les administrent. In 1945, Florian Crête, curator of the Educational Museum for Deaf-Mutes in Montreal, wrote that museums ‘‘have become a means par excellence of education.’’ Even today his optimism is far from universally shared. Although the educational role of museums is increasingly recognized, they also face increasingly complex internal problems. Museum educators’ roles, although sometimes in dispute, are becoming more sharply defined in institutional structures. Museums’ educational functions should depend not only on the educators they employ, but also on the convictions of all who work in and administer them. Dans un article publié en 1945, Florian V. Crête, Clerc de Saint-Viateur et conservateur du Musée éducatif des sourds-muets à Montréal, écrivait, après avoir retracé brièvement l’évolution historique des collections de musées, d’un rôle scientifique (collections d’étude) à un rôle d’éducation (collections de vulgarisation): ‘‘Aujourd’hui, on considère comme terminée la période d’orientation des musées vers l’éducation, période qui a commencé il y a une cinquantaine d’années. Les musées sont devenus un instrument d’éducation par excellence’’ (Crête, 1945, p. 90). Fondé en 1885, le Musée éducatif des sourds-muets était destiné principalement aux élèves de l’Institution des sourds-muets (7 400 boulevard St-Laurent). Rattaché à un Cercle de naturalistes amateurs, il comprenait une collection de plus de 90 000 spécimens (dont 75 000 relevant de l’entomologie et 3 700 de la numismatique) présentée dans une salle et un corridor du troisième étage (Drouin, 1941, p. 54; Miers et Markham, 1932, p. 43). Comme la plupart des musées scolaires rattachés à des institutions reli383 REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION 16:3 (1991) 384 JEAN TRUDEL gieuses d’enseignement (22 musées sur les 49 du Québec relevés en 1931), ce musée éducatif fut probablement emporté—ironie du sort—par la réforme du système d’éducation au Québec dans les années 1960 (Trudel 1989, p. 146). Depuis la fondation du Conseil International des Musées en 1946 et l’adoption de ses statuts en 1974, l’éducation fait partie intégrante de la définition des musées. Avec la collection, la recherche, la conservation et la présentation, elle est l’une des cinq grandes fonctions des musées qui constituent un vaste réseau parallèle aux systèmes d’enseignement officiels. Centrée autour de l’objet comme source de connaissances, d’apprentissages et de délectation, l’éducation dans les musées s’est développée depuis l’ouverture de ceux-ci au public dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Aux États-Unis, le rôle éducatif des musées a pris une telle ampleur depuis le début du XXe siècle que l’éducation du public est considérée comme le principal apport des musées américains à l’évolution du concept de musée (American Association of Museums, 1984, p. 55). En 1909, le directeur du Newark Museum, John Cotton Dana, écrivait: ‘‘The Museum can help people only if they use it; they will use it only if they know about it and only if attention is given to the interpretation of its possessions in terms they, the people, will understand’’ (Alexander, 1979, p. 13). Malgré tous les progrès accomplis, malgré les projets d’éducation dans les musées américains subventionnés depuis 1979 par The Kellogg Foundation (Munley, 1986), malgré les recherches universitaires qui se poursuivent activement, par exemple, tant à l’Université du Québec à Montréal qu’à l’Université de Montréal (Racette, 1986), malgré le développement rapide de l’évaluation dans les musées (Samson et Schiele, 1989), il ne nous est pas encore possible de partager l’optimisme dont faisait montre Florian Crête en 1945. En 1984, la commission Museums for a New Century rapportait qu’il y avait encore confusion dans l’esprit du public sur le rôle des musées en tant qu’institutions éducationnelles et, à l’intérieur du monde des musées, sur le rôle de l’éducation dans la structure institutionnelle (American Association of Museums, 1984, p. 57). C’était bien cerner le problème, du moins dans les musées d’Amérique du Nord; l’éducation dans les musées est influencée à la fois par des facteurs extérieurs à l’institution muséale (entre autres, attitudes du public et des autres types d’institutions d’éducation) et par des facteurs internes propres aux structures et modes d’organisation des musées. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les facteurs internes aux musées dont l’évolution rapide dans les dernières années a provoqué ce qu’on pourrait identifier comme une crise de transition au niveau de la fonction éducative, ou du moins une profonde remise en question. Cette remise en question se manifeste ouvertement par le conflit entre éducateurs et conservateurs qui a fait l’objet de nombreux articles récents (Cheff, 1989; Dicosimo, 1989; Fortier, 1989; Stephen, 1989) et qui est l’expression d’un malaise plus profond. Pour mieux en examiner la portée, et sans prétendre à une analyse LA FONCTION ÉDUCATIVE AU MUSÉE 385 exhaustive d’un phénomène complexe, nous allons en examiner quelques aspects. UN VIEUX PROBLÈME Certains débats autour du rôle éducatif du musée au tournant du siècle dernier sont toujours vivants. Celui qui opposa George Brown Goode, secrétaire adjoint de la Smithsonian Institution, et Benjamin Ives Gilman, secrétaire du Museum of Fine Arts de Boston, deux figures de proue du développement de l’éducation dans les musées américains, a perduré jusqu’à nos jours. Goode avait écrit en 1897 que ‘‘an efficient educational museum may be described as a collection of instructive labels, each illustrated by a well-selected specimen’’ (Silver, 1978, p. 15). Ce à quoi répliquait Gilman dans un écrit de 1918 que ‘‘thus, as Dr. Goode well said, in a museum of science, the object exists for the description; but as he was not yet ready to say, in a museum of art the relation is reversed—the description exists for the object’’ (Silver, 1978, p. 15). Ces citations illustrent bien les options différentes de mise en exposition prises par les deux grands archétypes de musées, les musées de sciences et les musées d’art, options liées au caractère même des objets conservés dans leurs collections et à leurs missions respectives. Dans un musée de sciences, l’objet, en général, n’est pas considéré comme ayant une valeur en soi, mais pour son potentiel d’illustration d’un phénomène scientifique: la délectation a peu de signification pour les scientifiques. Dans un musée d’art, le caractère unique des oeuvres porte les historiens d’art à les présenter dans un dépouillement absolu de telle sorte que rien ne vienne distraire de leur contemplation. On pourrait croire que c’est là une vue simpliste, mais il suffit, par exemple, de visiter à Ottawa dans la même journée le Musée des beaux-arts du Canada et le Musée national des sciences et de la technologie pour se rendre compte que les approches sont différentes. Le Musée des beaux-arts du Canada a introduit récemment, dans ses galeries canadiennes, des salles thématiques qui constituent une timide tentative de mise en contexte de certaines oeuvres, mais sa présentation est en général pure et dure. Au Musée national des sciences et de la technologie, les objets illustrent divers phénomènes scientifiques et la présentation ne vise pas à mettre en valeur leurs qualités esthétiques ou leur beauté plastique. Le juste milieu se situe probablement entre ces deux approches, mais la formation disciplinaire des conservateurs, si elle en fait de bons scientifiques, n’en fait pas forcément des muséologues qui ont eu l’occasion d’élaborer une pensée sur les divers niveaux de communication avec le public et sur la problématique d’ensemble des musées. Le problème n’est pas limité aux musées d’art et de sciences, mais à tous les types de musées et il prend racine aux origines même des musées en Europe (Hudson, 1975, p. 48–73). 386 JEAN TRUDEL DE NOUVEAUX DÉVELOPPEMENTS Traditionnellement, la mise en exposition dans les musées (principal moyen de communication avec le public) a donc été l’apanage des conservateurs qui ont eu tendance à l’aborder en fonction du développement et de la mise à jour des recherches dans leurs disciplines spécifiques. Mais, suite à l’importance de plus en plus grande accordée aux expositions temporaires par rapport à la présentation des collections permanentes, à l’influence des théories de Marshall McLuhan, au développement des techniques de présentation par le biais des expositions universelles et des grands centres d’achat, à l’apparition d’Epcot Centre comme modèle de rentabilité pseudo-culturelle, le rôle des conservateurs dans les musées est sérieusement remis en question. Les administrateurs des musées, soit pour augmenter leur visibilité ou pour résoudre des problèmes de financement de plus en plus difficiles, jugent maintenant le succès de leurs institutions par la courbe mensuelle du nombre des visiteurs. Le musée est devenu un lieu de divertissement, comme en fait foi la nouvelle loi canadienne sur les musées fédéraux (Loi C–12). En réponse au vieux cliché des musées-cimetières auquel sont associés les conservateurs, les expositions deviennent environnements et spectacles dont les décors sont mis au point par des designers, nouveaux grands prêtres de la liturgie renouvelée. Plusieurs musées misent maintenant sur l’événement temporaire largement publicisé pour attirer les foules, la présentation de la collection permanente (statique, donc ennuyeuse) n’étant plus prioriaire (Rice, 1989). Dans plusieurs cas, le collectionnement se fait même en fonction des expositions temporaires (Honan, 1990), glissement dangereux s’il en est un dans la mission fondamentale de préservation du patrimoine propre à tout musée. Dans la même foulée, pour justifier la rentabilité du musée comme instrument de développement économique, c’est le touriste culturel (visiteur de passage plus rentable que le visiteur local) que l’on cherche à attirer par les expositions/spectacles. Si les conservateurs faisaient peu de cas des éducateurs de musée, il en est maintenant de même pour les designers (souvent des contractuels sans expérience du milieu muséal) auxquels les grands musées ont recours de plus en plus fréquemment. Dans ce contexte, le débat conservateurs/éducateurs nous apparaît comme un exercice de rhétorique: le vrai problème est en voie de se déplacer, du moins dans les plus grands musées. DES GRANDS ET DES PETITS Dans la structure organisationnelle des grands musées (ceux qui ont plus de 50 employés à temps plein), les services éducatifs sont parfois logés sous ce qu’on nomme depuis une dizaine d’années les programmes publics (expositions, information, éducation, publication et design). Cependant, la structure LA FONCTION ÉDUCATIVE AU MUSÉE 387 organisationnelle varie grandement d’une institution à l’autre. Les services éducatifs sont souvent constitués d’un petit noyeau d’employés permanents qui encadrent des guides bénévoles. Le Musée des beaux-arts de Montréal en est un bon exemple, mais on notera que le Musée de la civilisation à Québec n’emploie pas de bénévoles. En fait, il n’y a pas de modèle généralisé de structure organisationnelle, chaque musée développant sa propre formule selon ses objectifs, son style de gestion et ses ressources financières. Selon une enquête menée en 1988 aux États-Unis, à l’occasion de la publication de l’Official Museum Directory de l’Association des musées américains (3 164 répondants sur 6 598, soit 48%), 7,6% ont un personnel constitué uniquement de bénévoles, 10,9% emploient uniquement un personnel à demi-temps et 81,4% emploient du personnel à temps plein. Seulement 5% de ces derniers musées ont un personnel permanent de plus de 50 personnes. La plus grande partie des musées (42,6%) emploient de 2 à 3 personnes (Decker, 1988, p. 33). Au Canada, selon une enquête menée en 1988 (Communications Canada, 1989) sur 1 600 établissements muséologiques, 38,9% n’ont pas de personnel rétribué, 27,8% emploient une ou deux personnes et 4,4% emploient plus de 20 personnes. Les musées canadiens emploient 6 000 professionnels à temps plein et 4 600 à temps partiel alors qu’ils font appel à 26 000 bénévoles. Ces chiffres donnent une idée des problèmes de ressources humaines auxquels les musées font face actuellement. On pourrait s’attendre à ce que la recherche sur l’éducation en milieu muséal s’effectue dans les plus grandes institutions, mieux pourvues en ressources humaines. Mais c’est oublier que les plus grands musées sont aussi les plus fréquentés et que le personnel permanent des services éducatifs doit faire face à une demande plus grande et à un taux plus élevé d’expositions temporaires auxquelles il doit constamment réadapter ses approches. Quant aux petits musées, leur personnel se doit d’être pour la plupart polyvalent et il n’est pas rare d’y voir des directeurs assumer aussi les fonctions d’éducateurs. Ce qui laisse, évidemment, peu de place pour la recherche. Dans cette situation, on peut mieux comprendre que les éducateurs de musées soient le plus souvent en quête de recettes qu’ils peuvent rapidement appliquer à leurs actions auprès des visiteurs plutôt qu’à effectuer une réflexion sur l’éducation propre au milieu muséal. Sans même aborder ici la question de la nature de l’éducation muséale, il existe encore toute une confusion entre animation, interprétation et éducation qui est bien reflétée par l’enquête canadienne de 1988 identifiant parmi les emplois muséologiques agent d’éducation, agent des services de vulgarisation et guideanimateur (interprète) (Communications Canada, 1989, p. 14). UN AUTOPORTRAIT Face à des problèmes complexes auxquels ils n’ont pas l’occasion de consacrer beaucoup de temps, les éducateurs de musées ont tendance à se 388 JEAN TRUDEL regrouper, pour mieux se définir et partager leurs expériences, au sein des groupes d’intérêt spécialisés de l’Association des musées américains et de l’Association des musées canadiens. Au Québec, un regroupement semblable a aussi vu le jour en 1988 à la Société des musées québécois qui collaborait en 1989 avec le ministère de la Main-d’oeuvre et de la Sécurité du revenu pour établir un devis de formation professionnelle de l’éducateur de musée. Ce devis, mis au point grâce à un comité de cinq éducateurs oeuvrant dans des musées d’art du Québec, identifie six tâches (ainsi que leurs sous-tâches) propres aux éducateurs de musées et en donne la pondération en fonction du temps qui leur est consacré sur une base annuelle: effectuer des recherches (10%); mettre au point la programmation (10%); développer le matériel didactique (30%); assurer la réalisation de la programmation (25%); gérer ses activités (20%); voir au rayonnement de la profession (5%). Effectuer des recherches est défini comme, en quelque sorte, le préalable à l’action, c’est-à-dire étudier les objets de la collection et des expositions, l’historique de l’institution, la pédagogie des musées, les publics et le milieu. C’est sous la tâche voir au rayonnement de la profession, celle qui occupe le moins de temps, que l’on trouve les recherches sur l’éducation dans les musées et la conception de nouveaux outils pédagogiques. On y trouve écrite la remarque suivante, désespérante s’il en est une, mais fort réaliste: ‘‘En pratique cependant, les Services éducatifs ne disposent pas de ressources suffisantes; les éducateurs manquent de temps et de recul pour améliorer de façon substantielle l’éducation dans les musées’’ (ministère de la Main-d’oeuvre et de la Sécurité du Revenu, 1989, p. 36). Pour sa part, l’Association des musées américains publiait tout récemment (American Association of Museums, 1990), après deux ans de travail, des normes professionnelles concernant l’éducation dans les musées et faisant partie d’un effort généralisé (l’Association des musées canadiens travaille aussi en ce sens depuis plusieurs années) de définir et de fixer des niveaux d’excellence pour les professionnels des musées. L’importance du document (traitant des responsabilités éducationnelles des musées, définissant l’éducation dans les musées, leurs obligations envers le public, l’insertion de l’éducation dans leur structure et les responsabilités et compétences des éducateurs) est énorme. Les compétences requises des éducateurs de musées sont, par exemple, ainsi définies: Museum educators help visitors see, understand, and respond to objects in museum collections in intellectually, aesthetically, and emotionally rewarding ways. Museum educators must have the skills to encourage interaction between the visitor and the objects on exhibit, at whatever level the visitor requires. To do this effectively, educators must know both their museum’s audiences and their museum’s collections. This means having a demonstrated knowledge of developmental psychology, philosophy of education, educational theory, and teaching, especially as related to the kind of voluntary and personal learning that takes place in museums. Equally important are a solid grounding in the history, theory, LA FONCTION ÉDUCATIVE AU MUSÉE 389 or practice of a field of study relevant to the areas in which the museum collects, as well as the ability to identify and cooperate with scholars and specialists in appropriate fields. (AAM, 1990, p. 79) Si l’on est mieux à même maintenant de cerner l’importance de la relation musée/éducation et des problématiques qui en découlent ainsi que d’esquisser le portrait idéal des éducateurs de musée, il n’en reste pas moins que l’intégration de la fonction éducative à l’intérieur des structures du musée nous apparaît toujours actuellement comme un problème majeur car ce sont ‘‘les éducateurs de musée qui sont responsables du résultat final du travail du musée tout entier’’ (Sola, 1987, p. 6). C’est de l’attitude de chaque musée (administrateurs et personnel) que dépend l’avenir de la fonction éducative muséale. L’INTÉGRATION Trop souvent, dans le déroulement des opérations d’un musée, l’éducation c’est ce à quoi on pense quand les préparatifs d’une exposition sont terminés; c’est un placage plutôt qu’un alliage. Et c’est bien pour cela que les normes de l’Association des musées américains recommandent que ‘‘just as well managed museums have formal, written policy statements to guide their collecting activities, so should they have formal, written policies that set out their educational purposes, identify audiences to be served, and give direction to education programs’’ (AAM, 1990, p. 79). Tout musée devrait posséder une politique écrite d’éducation qui ait été élaborée, discutée et mise au point par son personnel et son conseil d’administration avant d’être adoptée par celui-ci. Le succès d’un musée dans ce secteur ne peut se mesurer qu’en fonction des objectifs fixés par ses politiques et des moyens pris pour les atteindre. L’éducation dans un musée, c’est plus que la somme des compétences de ses éducateurs ou que le nombre des autobus scolaires qui s’arrêtent à sa porte; c’est avant tout un état d’esprit, une conscientisation profonde qui doit imprégner tous ceux qui y oeuvrent. C’est savoir se dégager de ses propres intérêts pour être empathique aux publics visés. Le degré d’intégration de la fonction éducative dans un musée est visible tant par les techniques de présentation des expositions que par les textes et le matériel de soutien fournis aux visiteurs. Lorsque les intentions éducatives de l’institution se manifestent jusqu’à sa boutique et à sa librairie (qualité et présentation des objets mis en vente, choix des publications en fonction des collections et des expositions), on peut dire que cette fonction y est bien intégrée. Les musées ne sont peut-être pas encore devenus un instrument d’éducation par excellence, comme l’écrivait Florian Crête en 1945, mais ils tendent, aujourd’hui plus qu’hier (Zeller, 1989, p. 80), à le devenir. 390 JEAN TRUDEL RÉFÉRENCES Alexander, Edward Porter. (1979). Museums in motion: An introduction to the history and functions of museums. Nashville, TN: American Association for State and Local History. 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Les objectifs donnent le ton dès l’introduction: nous devons continuer à croître et pour cela, nous avons besoin de connaître les racines historiques et théoriques de l’éducation muséale. Cet impératif transparaît dans la succession des textes et dans la suggestion de les lire dans leur ordre d’apparition dans l’ouvrage. Publiés pour la première fois, les dix essais abordent l’éducation dans les musées d’art. Chaque spécialiste communique ses connaissances et ses expériences par le biais d’une analyse systématique d’un aspect de l’éducation muséale. T. Zeller explore les bases historiques et philosophiques de la mission éducative des musées d’art américains. La documentation chronologique met en lumière les racines sociales, économiques et politiques de cette mission. Celle-ci ne se limite pas aux activités proposées par les éducateurs. Elle souscrit aux idées et aux valeurs qui régissent la culture de la classe dominante. L’étude exhaustive des principes de l’éducation dans les musées américains révèle que diverses considérations informelles ont façonné la philosophie et la pratique de l’éducation. Cette philosophie existe et peut être identifiée, bien que les écrits pertinents n’aient pas été rédigés par des éducateurs de musée. E. Bourdon Caston, pour sa part, expose un modèle, une approche multidisciplinaire et humaniste facilitant l’exploration, la compréhension de l’expérience humaine. En équilibrant les deux domaines de la muséologie et de l’éducation de façon adéquate, l’identité et l’intégrité des deux composantes est assurée. Cette approche met en lumière la nécessité d’appuyer les programmes muséaux aussi bien sur une philosophie du musée que sur des méthodes éducatives. Ce qui importe, c’est d’identifier un cadre philosophique et de développer son programme en rapport avec ce cadre. Le texte de M. Cheff vise justement à supporter la planification et l’implantation des programmes, à encourager les éducateurs à analyser, comprendre et influencer leur environnement. Pour un maximum d’efficacité, cette planification et cette implantation doivent découler d’une stratégie. Les étapes de l’élaboration d’une telle stratégie sont l’identification des 392 REVUE CANADIENNE DE L’ÉDUCATION 16:3 (1991) BOOK REVIEWS / RECENSIONS 393 principes de base de gestion, l’analyse minutieuse de l’environnement muséal, l’identification d’une stratégie, sa formulation, sa réalisation. Ce modèle se veut un outil pragmatique, flexible, adaptable selon les situations. Après avoir résumé l’évolution de la formation du rôle des éducateurs de musée, A. El Omami constate que ceux-ci ont oeuvré dans des contextes qui ne favorisent pas l’acquisition d’une grande crédibilité aux yeux de la gent muséale. En conséquence, elle propose un programme de formation interdisciplinaire joignant l’histoire de l’art à une spécialisation en éducation. Un recyclage sous forme de séminaires complèterait au besoin cette formation. Quant à S. Mc Coy, qui traite elle aussi de formation continue et spécialisée, elle aborde celle des guides bénévoles. Après un bref historique, elle évalue le recrutement, la sélection, la formation, l’encadrement et l’efficacité des guides. Elle élabore une série de propositions dont le but est de renouveler la formation des guides, de donner à ceux-ci un entraînement plus personnalisé qui permette d’offrir un support professionnel de qualité. Le défi lancé par S. Sternberg est d’équilibrer les programmes éducatifs de façon à “motiver le visiteur par une expérience englobant la pensée et l’émotion.” Sternberg suggère de diversifier les techniques pour répondre aux styles individuels d’apprentissage et pour faire découvrir de nouveaux domaines. L’expérience muséale pourrait ainsi constituer une formation permanente, à la condition de substituer à l’approche didactique habituelle une approche perceptuelle interactive. R.W. Ott traite de la critique d’art dans les musées, en expose les théories et l’évolution. À la lumière de cet exposé, il propose une méthode qui devrait aider à comprendre les oeuvres par un contact direct avec celles-ci. Le rôle de l’éducateur serait, dans ce cas, un rôle de catalyseur. K. Walsh-Piper préconise le partenariat entre le musée et l’école. Pour assurer ce partenariat, elle suggère au musée de faire la formation des enseignants. Pour stimuler une meilleure utilisation des ressources du musée, elle recommande des pratiques qui favorisent l’échange, la coordination et l’efficacité. W. Howze élabore une description des technologies utilisées dans les musées d’art. Il passe en revue les caractéristiques de chacune dans le but d’exposer les options qui présentent un défi mais qui sont un puissant outil si elles sont adéquatement utilisées. Enfin, R. Korn considère que l’évaluation est essentielle à l’amélioration des activités du musée. Elle décrit des types et des méthodes d’évaluation. Elle expose des approches théoriques et méthodologiques empruntées à d’autres domaines, les décrit dans leur contexte original et, au besoin, les adapte au milieu muséal. Le contenu de ce livre tente d’établir l’éducation muséale sur des bases solides, claires et nettes. Le cheminement du théorique au pratique, qui commence par la philosophie, se poursuit avec la gestion, la conception de ce programme, la formation, la méthodologie et l’évaluation, est subtil et stimulant. L’impression de décousu que l’on éprouve diminue au fur et à 394 BOOK REVIEWS / RECENSIONS mesure de la lecture car un fil conducteur se dessine peu à peu. On ressent la volonté d’établir des structures pour mettre en valeur la consistance et la continuité des efforts. Il est vrai que les sujets traités sont propres aux musées d’art et aux jeunes. Néanmoins, il est possible de transférer certaines observations et de les adapter à des contextes différents. Les tendances qui ressortent de tous les essais convergent en effet vers la flexibilité et l’interdisciplinarité. L’anthologie que nous venons de présenter illustre l’essor de la profession d’éducateur de musée. Un de ses buts était d’affirmer en quoi nous croyons et pourquoi. Cette profession de foi devrait en somme être reprise par toute la gent muséale, car on voudrait que la mission éducative du musée touche tous les professionnels oeuvrant dans cette institution. Cet ouvrage n’a pu traiter tous les problèmes posés par l’éducation muséale. Il reste à souhaiter que ceux-ci soient abordés dans de nouvelles recherches tout aussi enrichissantes que celles qui ont servi de base aux dix textes analysés. Rethinking the Museum par Stephen E. Weil Washington et London: Smithsonian Institution Press, 1990. 173 pages RECENSION PAR MARIE-ANDRÉE BRIÈRE, MUSÉE D’ART DE JOLIETTE L’ouvrage de Weil s’inscrit sous l’angle de la remise en question de l’institution muséale. Présentant le musée comme une création humaine malléable, transformable, l’auteur considère que les ressources potentielles que cette institution représente sont mal utilisées. Il place le musée sur un continuum en constante évolution où le tout représente bien plus que la somme des parties. La multiplication des musées, leur croissance phénoménale nous amènent à une homogénéité dans la perception que nous avons d’eux. Grands ou petits, nous aurons, face à ces musées, les mêmes exigences, que nous parlions de recherche, de collection ou d’exposition. Ils répondent pourtant à des réalités bien différentes et mettent parfois de l’avant un dynamisme exclusif à leur taille. Pourquoi tendre vers une normalisation, alors que la diversité des sociétés et de leurs besoins sont des sources importantes de richesse culturelle? Les grandes institutions et les petites sont complémentaires les unes des autres et elles sont mutuellement essentielles au développement culturel de nos sociétés. Weil questionne cette croissance effarante du nombre de musées et les problèmes qu’elle entraîne. Le directeur de musée doit-il être davantage un gestionnaire qu’un historien d’art? Le musée est une entreprise certes, mais il est également le dépositaire d’un savoir culturel très vaste. L’équilibre serait entre les deux BOOK REVIEWS / RECENSIONS 395 termes selon Weil: ni un gestionnaire, ni un historien mais un être sensibilisé à l’un et l’autre de ces champs de spécialisation qui sont essentiels à la croissance des institutions muséales. Weil explique les raisons de la croissance effarante des musées. Notre rythme de consommation et de production de biens fait en sorte que nous convertissons de plus en plus de biens en objets de collection. Les réserves des institutions sont vite insuffisantes et la construction d’autres musées s’impose. Weil pose la question de la fin de cette logique. Où nous arrêterons-nous? Avec la dégradation de l’environnement, il devient urgent de préserver, de sauver du péril les biens témoins de nos sociétés, de nos cultures. Certes il y a urgence, mais les musées ont-ils été créés à cette fin? Sont-ils des bouées de sauvetage face à notre démesure? Tous les objets collectionnés sont-ils véritablement d’intérêt muséal? Comment, dès lors, disposer de ces objets désuets ou de moindre importance? Comment aliéner sans créer un préjudice à notre patrimoine collectif? La prudence est de rigueur non seulement dans le champ de l’aliénation des objets, mais dans celui de l’acquisition de ces derniers. La mise en place de politiques et de procédures claires devrait être garante de décisions adéquates, prises après consultation. Le collectionnement d’objets, qui s’étend sur des millénaires, pose la question du rôle social du musée. Gérer par des professionnels qui protègent ces biens précieux, l’accès aux collections se fait parfois très difficilement. Le musée est-il un univers concentrationnaire de spécialistes, de professionnels, qui évacue sa mission sociale comme dépositaire du patrimoine de l’humanité? Certes, le musée a besoin des professionnels et ces derniers ont un rôle de première importance à jouer dans le maintien des collections, mais ce rôle n’exclue en rien le fait que le musée a également pour fonction de diffuser, de communiquer aux autres, aux non spécialistes, le fruit de ses recherches. Il se doit de rendre accessible à tous les objets qui de fait appartiennent à tous. À parler d’objets, nous en venons presque à oublier que ces derniers véhiculent aussi des idées. Toute présentation, toute mise en exposition d’objets reflète un discours, une idéologie. Le musée apparaît ainsi comme un instrument dialectique très important où l’objet devient sujet du discours et vice versa. De par sa mise en exposition d’objets, il devient un lieu éminemment discursif. Il mettra en scène tour à tour l’objet et le sujet. Le musée se fait médium, porteur de message. Mais de quel message? La responsabilité du communicateur est ici soulevée. Le musée lieu de communication ne doit pas être le seul à parler, il se doit de permettre au visiteur de faire son propre discours, de porter sa parole. Mais l’auteur souligne qu’à l’intérieur de l’institution muséale, c’est à travers un processus de collaboration et d’échanges entre les différents spécialistes et partenaires que l’émergence d’une véritable communication sera possible. Le musée que Stephen Weil observe et critique, c’est celui de notre quotidien aux prises avec les problèmes de la croissance de ses collections, 396 BOOK REVIEWS / RECENSIONS les problèmes éthiques reliés au champ de l’acquisition et de l’aliénation des objets, les problèmes du marché de l’art également. L’intervention des gouvernements via la fiscalité dans le champ de l’art crée un accroissement des dons d’oeuvres d’art de la part des collectionneurs privés, soucieux d’obtenir une déduction pour fins d’impôt. La gestion des acquisitions se fait ainsi plus délicate et combien plus difficile. En contrepartie, les collections des petits musées sans budget d’acquisition en tirent de grands avantages. Il n’y a pas, comme le souligne Weil, de situation idéale et la solution aux problèmes des musées se fait plurielle. Saurons-nous gérer convenablement la croissance des musées et de leurs collections? Saurons-nous utiliser le potentiel inépuisable de ces collections pour permettre à chacun de se réapproprier sa propre histoire, celle de l’humanité? La question est posée à chacun d’entre nous et les éducateurs ont un rôle important à jouer dans l’élaboration d’une réponse.