Partie 2 - Ministère de la culture
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Partie 2 - Ministère de la culture
Partie II L’ÉDITION, LA PRESSE JEUNESSE CHAPITRE I L’édition jeunesse On étudiera successivement le marché, les acteurs sur ce marché et leurs stratégies. Le marché Avec un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros en 2001 (+ 2,9 % par rapport à l’année précédente), près de 55 000 titres publiés et plus de 350 millions d’exemplaires vendus, le secteur de l’édition a conforté sa place de deuxième industrie culturelle en France après la presse. Au sein de ce secteur, l’édition pour la jeunesse prend sa part dans ce succès avec un chiffre d’affaires de 211 millions d’euros, 8 500 titres publiés et 64 millions d’exemplaires vendus pour cette même année1. Longtemps, l’édition pour la jeunesse a été considérée comme un secteur artisanal, mais dès les années 1990, les éditeurs commencent à percevoir que ce secteur se rapproche dans son fonctionnement du secteur adulte. « Le livre de jeunesse obéit de plus en plus aux mêmes règles que la littérature générale, avec des retours plus rapides et moins de travail sur le fonds », souligne Christine Ferrand dans un article de Livres Hebdo de 19932. Les techniques de management et les choix économiques des deux marchés se rapprochent : le nombre d’exemplaires imprimés augmente, les tirages baissent et le nombre de nouveaux titres ne cesse de progresser. En revanche, en ce qui concerne la réception des ouvrages par le public, le parallèle n’est pas si évident : le succès de certains titres ou séries témoigne du développement de techniques marketing utilisées auparavant uniquement dans le secteur adulte, mais l’existence, entre autres, de long-sellers3 montre que le livre jeunesse a aussi des mécanismes propres. 1. Statistiques 2001, Syndicat national de l’édition (SNE). 2. Christine FERRAND, « Les éditeurs consolident leurs positions », Livres Hebdo, no 94, 26 novembre 1993, p. 59-73. 3. Certains titres se vendent sur plusieurs années et continuent à avoir du succès. On pense notamment à des titres édités dans les années 1950 et 1960, comme le Petit Nicolas, ou Éloïse, Paris, Gallimard Jeunesse et Les trois brigands ou Max et les Maximonstres, Paris, L’école des loisirs. 65 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Un marché en croissance Le chiffre d’affaires de l’édition jeunesse est en augmentation : multiplié par 5 en 25 ans4, il continue de progresser et atteignait en 2001, d’après le Syndicat national de l’édition (SNE5), plus de 211 millions d’euros. C’est le 5e meilleur chiffre d’affaires derrière les sous-catégories « littérature », « sciences, techniques, professionnel/sciences humaines et sociales », « enseignement », « livres pratiques », et « encyclopédies et dictionnaires ». La part de l’édition jeunesse dans l’ensemble de l’édition française reste cependant relativement constante depuis trente ans, et oscille entre un peu moins de 8 % et un peu plus de 10 % : elle est passée de 8,2 % en 1976 à 10,5 % en 1984 (sa part la plus élevée) pour redescendre à 9,3 % en 20016. Le chiffre d’affaires a connu dix ans de progression régulière durant les années 1980, puis une période de stagnation au début des années 1990, avec notamment des résultats décevants en 1992 : – 2,7 % en francs courants par rapport à 19917. L’arrivée d’Harry Potter, puis celle de Titeuf, relancent le secteur et provoquent une progression rapide du chiffre d’affaires : + 9,7% entre 1999 et 20008. Graphique 2 – Évolution du chiffre d’affaires global de l’édition jeunesse (1975-2001) Source : Dep/SNE 4. La comparaison a été faite en euros courants et ne tient donc pas compte de l’inflation. 5. L’enquête annuelle sur l’activité des éditeurs de livres effectuée par le Syndicat national de l’édition est réalisée auprès de l’ensemble des maisons d’édition, qu’elles soient membres ou non du SNE. Les maisons retenues sont celles dont le chiffre d’affaires était supérieur à 100 000 F avant 1976 et supérieur à 200 000 F depuis cette date. À partir de 1986 une enquête auprès des diffuseurs a permis d’estimer les ventes de livres en prix public hors taxes par canaux de distribution. 6. Source : statistiques du SNE. 7. C. FERRAND, « Les éditeurs consolident leurs positions », art. cité. 8. Cependant, comme le note Jean Delas, directeur de L’école des loisirs, « ce n’est pas parce que quelques titres vendent beaucoup et font progresser les chiffres du secteur que le secteur se porte bien ». 66 L’édition jeunesse Tableau 28 – Évolution du chiffre d’affaires de l’édition jeunesse par catégorie de livres (1975-2001) Année en milliers d’euros 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 CA Livre jeunesse Albums Livres Non ventilé 37 366 9 836 23 347 4 183 37 561 12 463 18 766 6 332 41 044 17 960 20 312 2 772 49 192 22 681 26 148 363 54 052 22 805 29 737 1 510 58 257 25 474 32 757 26 60 053 23 376 36 677 0 70 441 24 462 45 979 0 74 313 25 015 47 469 1 829 CA global de l’édition % du CA global 535 628 8,67 % 596 134 8,28 % 674 123 8,41 % 737 202 9,42 % 819 614 9,72 % 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 88 167 29 260 58 907 0 94 243 29 052 65 191 0 109 226 29 471 79 755 0 122 582 46 027 76 555 0 128 715 42 295 86 421 0 155 648 36 799 118 849 0 154 910 47 952 106 958 0 143 931 49 248 94 683 0 Année CA Livre jeunesse Albums Livres Non ventilé CA global de l’édition % du CA global Année CA Livre jeunesse Albums Livres Non ventilé CA global de l’édition % du CA global 113 971 38 399 75 572 0 911 500 1 001 211 1 138 962 1 225 947 9,22 % 9,41 % 9,72 % 9,36 % 1 305 558 1 381 100 1 462 988 1 574 999 1 718 439 1 900 340 1 985 211 1 955 583 2 005 537 10,59 % 10,54 % 9,35 % 9,42 % 9,01 % 8,35 % 9,22 % 9,32 % 8,85 % 1993 146 705 57 952 88 753 0 1994 1995 152 102 60 250 91 852 146 829 77 719 69 110 1996 154 602 74 766 79 836 1997 1998 1999 2000 2001 169 825 76 864 92 961 179 557 71 374 108 183 185 011 60 642 124 369 203 515 63 070 140 445 211 292 66 835 144 457 2 096 177 2 144 497 2 078 684 2 069 296 2 049 098 2 079 509 2 094 879 2 184 310 2 254 193 8,42 % 8,46 % 8,30 % 7,47 % 8,29 % 8,63 % 8,83 % 9,32 % 9,37 % Vente de livres hors taxes, sur le marché intérieur et à l’exportation. Source : Dep/SNE. Les ventes des ouvrages pour la jeunesse restent par ailleurs soumises à une forte saisonnalité. En 1996, près de 60 % du chiffre d’affaires du secteur étaient réalisés entre le 15 novembre et le 25 décembre, contre 40 et 50 % aujourd’hui9. Chez Chantelivre, librairie spécialisée jeunesse, le dernier trimestre représente 50 % du chiffre d’affaires annuel. Le livre, et cela se révèle particulièrement vrai pour l’album et le beau livre, est pour beaucoup d’adultes un objet culturel que l’on offre lors d’une occasion – notamment les fêtes de fin d’année. Évolution de la production et des ventes en nombre d’exemplaires Comme le chiffre d’affaires, la production en nombre d’exemplaires est en augmentation depuis 1995 après être restée constante (+ 55% entre 1995 et 2001). 9. C. FERRAND, « Jeunesse : les projets 1997 se concentrent sur la fiction », Livres Hebdo, no 226, 22 novembre 1996, p. 57-60. 67 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Tableau 29 – Évolution du nombre de titres produits, d’exemplaires produits et vendus en édition jeunesse (1974-2001) Année 1974 1975 1976 1977 1 449 1 814 3 263 1 934 1 992 3 926 1978 1979 1980 1981 1982 Titres de livres produits Albums Livres Total Jeunesse 1 035 1 677 2 712 1 209 1 877 3 086 2 315 1 902 4 217 2 204 2 083 4 287 1 752 2 116 3 868 1 606 2 102 3 708 1 666 2 127 3 793 Nombre d’exemplaires de livres produits (en milliers d’exemplaires) Albums Livres Total 16 727 27 058 43 785 18 386 30 295 48 681 18 244 30 836 49 080 21 307 29 508 50 815 26 072 30 106 56 178 29 259 28 063 57 322 25 800 27 974 53 774 19 623 25 833 45 456 20 160 27 057 47 217 0 0 0 0 0 0 0 Nombre d’exemplaires de livres vendus Albums Livres Total 0 Année 1984 0 1985 1986 1987 1 475 2 588 4 063 1 638 2 653 4 291 1988 1989 1990 1991 1992 Titres de livres produits Albums Livres Total Jeunesse 1 681 2 581 4 262 1 418 2 575 3 993 1 565 2 694 4 259 1 717 3 424 5 141 2 624 4 155 6 779 1177 2 886 4 063 1 960 3 440 5 400 Nombre d’exemplaires de livres produits (en milliers d’exemplaires) Albums Livres Total 19 208 30 682 49 890 15 987 34 666 50 653 15 630 33 194 48 824 16 108 35 244 51 352 14 761 30 583 45 344 16 645 38 207 54 852 25 389 44 193 69 582 34 976 30 722 65 698 18 096 31 976 50 072 10 091 34 038 44 129 16 199 29 300 45 499 16 175 28 913 45 088 12 957 33 864 46 821 16 097 34 641 50 738 15 600 31 302 46 902 13 903 26 969 40 872 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2 737 3 292 6 029 3 178 3 478 6 656 Nombre d’exemplaires de livres vendus Albums Livres Total 0 Année 1993 0 1994 Titres de livres produits Albums Livres Total Jeunesse 2 327 3 252 5 579 1 976 3 323 5 299 3 012 3 781 6 793 2 571 4 716 7 287 2 624 5 073 7 697 2 764 5 586 8 350 3 078 5 357 8 435 Nombre d’exemplaires de livres produits (en milliers d’exemplaires) Albums Livres Total 17 920 34 445 52 365 13 749 29 725 43 474 22 246 32 323 54 569 26 596 35 372 61 968 27 690 39 325 67 015 19 684 51 125 70 809 19 624 50 846 70 470 22 318 55 947 78 265 24 793 59 650 84 443 22 095 22 133 44 228 22 477 29 522 51 999 29 708 34 039 63 747 18 572 41 040 59 612 16 043 42 590 58 633 18 213 43 026 61 239 19 529 43 996 63 525 Nombre d’exemplaires de livres vendus Albums Livres Total 17 734 25 416 43 150 14 975 27 238 42 213 Source : Dep/SNE. 68 L’édition jeunesse En 2001, 84,4 millions d’exemplaires ont été produits, 63,5 millions d’exemplaires vendus, soit 44 millions de livres, et 19,5 millions d’albums10. Évolution de la production en nombre de titres La production en nombre de titres est en constante augmentation depuis 30 ans (moins de 3 000 titres en 1974, 6 000 en 1995, 8 400 environ en 2001) et cette progression s’accélère surtout depuis la moitié des années 199011. Cette production croissante est signe de dynamisme éditorial, mais l’augmentation du nombre de titres ne se fait pas toujours dans le sens d’une offre de plus en plus diversifiée. Certains se contentent d’éditer des succès internationaux et de proposer des produits copiant des ouvrages à succès, que ce soit au niveau des thèmes, du contenu éditorial ou de la maquette. Cette forte croissance peut être également un danger pour les livres eux-mêmes : l’abondance des nouveautés réduit leur durée de vie en librairie. Alors qu’à la fin des années 1980, le livre jeunesse semblait encore suivre des logiques propres, il est aujourd’hui soumis aux mêmes règles en librairie que le reste de la production, notamment à des rotations rapides et une durée de vie limitée12. Graphique 3 – Évolution de la production en nombre de titres (1974-2001) Source : Dep/SNE 10. Source : statistiques SNE, 2001. Il n’existe que deux catégories d’ouvrages dans l’enquête du SNE 2001, pour les livres pour la jeunesse. La catégorie 251 – Livres pour enfants, dont la définition donnée par le SNE est la suivante : ouvrages spécialement conçus pour les jeunes de moins de 15 ans, dans lesquels le texte domine à l’exclusion des ouvrages scolaires ; et la catégorie 252 – Albums ou livres d’images et albums à dessiner ou à colorier pour enfants. 11. Cette spirale « inflationniste » des nouveautés était déjà soulignée par Jean-Marie Bouvaist. Voir Jean-Marie BOUVAIST, « Tendances contradictoires dans l’édition jeunesse », Le livre en question, Médias pouvoirs, no 27, 3e trimestre 1992, p. 105-115. 12. Jean-Marie Bouvaist soutenait en 1992 que : « La durée de vie moyenne d’un livre pour la jeunesse est plus longue que celle d’un livre de littérature générale. Les nouveautés ont besoin de temps pour s’imposer, les best-sellers à succès rapide et éphémère sont rares et les long-sellers sont en revanche nombreux. » Mais aujourd’hui, avec l’émergence 69 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Les nouveautés, sans cesse remplacées par d’autres afin de cultiver une image dynamique et d’occuper les linéaires, n’ont pas le temps de s’implanter sur le marché. C’est une évolution qui est déplorée par tous les professionnels de la chaîne du livre – auteurs, éditeurs, libraires ou bibliothécaires – mais qui n’est pas pour autant enrayée. De plus, l’offre très vaste (plus de 8 000 titres – nouveautés, nouvelles éditions et réimpressions chaque année, soit plus de 20 000 titres disponibles) ne permet évidemment pas aux libraires de proposer tous les ouvrages : une sélection doit donc être faite, qui s’opère souvent au détriment du fonds13. Une tendance à la surproduction ? Sur les trente dernières années, le ratio livres vendus/livres produits s’établit en moyenne14 à 85 %15. Dans l’édition jeunesse, comme dans le reste de l’édition, ce ratio est le signe d’une tendance à la surproduction. Cette tendance correspond à des stratégies « d’inondation du marché » des principaux concurrents16. Notons par ailleurs que de manière générale, comme pour l’édition adulte, le tirage moyen diminue. Cette tendance, amorcée dans les années 1980 (15 000 exemplaires en 1980, 13 667 en 1985, 10 677 en 199017), s’est stabilisée depuis 5 ans autour des 10 000 exemplaires (9 865 en 1997, 9 373 en 2000, 10 011 en 2001). Cette diminution a pour résultat d’augmenter le prix de vente au public, malgré les progrès réalisés par les industries graphiques et les économies rendues possibles par les coéditions internationales. La structuration de l’offre Les éditeurs ont l’habitude de structurer l’offre jeunesse en trois secteurs : la petite enfance, la fiction et les documentaires18. Petite enfance (du premier âge jusqu’à 5-6 ans) – albums Petite enfance : les albums illustrés sous toutes leurs formes, en édition brochée ou cartonnée ; des séries à succès telles que Chair de Poule et l’arrivée d’Harry Potter, on peut s’interroger, les best-sellers ne sont plus si rares et ne sont pas non plus si éphémères. Voir J.-M. BOUVAIST, « Tendances contradictoires dans l’édition jeunesse », art. cité, p. 106. 13. Le fonds est l’ensemble des ouvrages qui ne sont pas des nouveautés. 14. Moyenne calculée à partir des données du tableau 31. 15. La production annuelle ne peut pas toujours être comparée avec les ventes puisque les ventes de l’année n écoulent des stocks des années précédentes et une partie de la production annuelle. La production de l’année n sera en partie vendue en n mais également en n + 1, n + 2, etc. Cependant ce ratio donne tout de même une approximation des invendus. 16. J.-M. BOUVAIST, « Tendances contradictoires dans l’édition jeunesse », art. cité, p. 107. 17. Ibid. 18. Une structuration de ces secteurs, où les formats et supports utilisés sont multiples, a été proposée lors de l’étude de la production dans l’édition jeunesse faite en 2001 par des étudiants du mastère de l’ESCP-Asfored. Nous l’avons reprise ci-dessus. 70 L’édition jeunesse – cartonnés : les « tout cartonnés », y compris les pages intérieures ; – éveil et documentaires : livres d’éveil, d’activités, documentaires ou imagiers ; – livres objets ou animés : livres avec dépliages, tirettes, flaps, ou livres utilisant des matériaux autres que le papier. Fiction (toutes histoires pour plus de 5-6 ans) – albums fiction : les albums illustrés sous toutes leurs formes, en édition brochée ou cartonnée ; – poches : ouvrages de fiction au format de poche, appartenant généralement à une collection ; – semi-poches : se distinguent des poches par la qualité de leur finition (un format plus grand, une qualité de papier et d’impression supérieure). C’est une offre qui se positionne plus « haut de gamme » et qui se vend en moyenne plus cher que les poches ; – grands formats : ouvrages de fiction au format des nouveautés de la littérature générale pour adultes. Documentaires (tous ouvrages d’apprentissage pour plus de 5-6 ans) – ouvrages généralistes : encyclopédies et dictionnaires généraux ; – ouvrages thématiques : sciences, arts, nature, animaux… ; – livres pratiques ou d’activités : thèmes pratiques (sports…) ou activités (peinture, découpage…). Autres ouvrages (tous âges confondus) – livres-CD et livres-cassettes : livres accompagnés de CD (ou de cassettes), ou CD seul proposant un texte lu ; – imagerie et autres : carterie, autocollants, coloriages et autres produits « en marge ». À défaut de pouvoir utiliser quantitativement cette segmentation fine pour repérer des évolutions par segment, on se contentera de mettre en exergue deux sousmarchés spécifiques – les poches et les albums –, sachant qu’une bonne partie des livres jeunesse (au sens de livre-album) sont en format de poche. Les poches Apparu dans le domaine du livre jeunesse en 1977-1978 avec le lancement de Folio Junior qui suivait de peu Renard poche de L’École des loisirs, le poche a connu une grande expansion en édition jeunesse. La quasi-totalité des éditeurs se sont lancés sur ce marché et notamment Pocket, troisième grand éditeur de poches pour adultes, au début 1994 avec deux collections : Kid Pocket et Pocket Junior. En 2001, ce marché représente 19,7 % du chiffre d’affaires et 20 % du nombre d’exemplaires vendus, et constitue plus de 40 % de la production de livres jeunesse (réimpressions, nouveautés et nouvelles éditions incluses19). Durant la 19. Source : statistiques SNE, 2001. 71 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS crise du début des années 1990, le poche a réussi à s’imposer en édition jeunesse, comme en édition adulte20. Le marché des poches en édition jeunesse est marqué par une forte évolution, avec une croissance du chiffre d’affaires de plus de 30 % entre 2000 et 200121, notamment due à la progression spectaculaire des ventes d’Harry Potter. Et le marché continue son expansion : 20,2 millions d’exemplaires vendus en 2001 et 21,8 millions d’exemplaires en 200222. Les livres au format de poche se diffusent très largement et sont présents sur tous les canaux de distribution : les librairies, les petits points de vente, les grandes et moyennes surfaces. Le prix de vente bas, le format standard et le taux de rotation élevé expliquent cette large diffusion. Pour les éditeurs, les collections de poche possèdent de réels enjeux économiques. D’un point de vue communication, la collection de poche reflète l’image de l’éditeur, sa qualité, sa créativité et son dynamisme. D’un point de vue économique, les collections de poche sont des ressources importantes pour les éditeurs car ces ouvrages, avec un prix de revient faible, une large diffusion et des ventes nombreuses, permettent de dégager d’importantes marges. Le marché du poche jeunesse est très concentré. Les trois plus importants éditeurs – Gallimard, Hachette et Bayard – détiennent plus de 60 % du marché. Ce sont souvent quelques titres forts qui permettent d’occuper le marché. Ainsi, les séries permettent de conquérir des parts de marché de manière significative. C’est le cas de Bayard avec Chair de Poule, d’Hachette avec Titeuf (grâce à ce titre, Hachette a pris 22,3 % de part de marché en 2002 contre 16,3 % en 2001) ou de Gallimard avec Harry Potter. Tableau 30 – Part de marché des éditeurs (2001-2002) Gallimard Jeunesse Hachette Jeunesse Bayard édition jeunesse Pocket Jeunesse École des loisirs Père Castor, Flammarion Rageot Milan Nathan Hatier 2001 2002 29,20 16,30 16,40 – – – – – – – 24,70 22,30 14,00 11,70 6,70 4,80 3,50 3,40 2,90 1,50 en % Source : Estimations Ipsos, sorties caisse. Chiffres en volume pour 2001 et 2002. 20. C. FERRAND, « Les éditeurs consolident leurs positions », art. cité. 21. Chiffre d’affaires des livres pour la jeunesse en format de poche en 2000 : 45,1 millions d’euros contre 58,7 millions d’euros en 2001. Chiffres SNE/Dep. 22. Source : Estimations Ipsos, sorties caisse pour 2001 et 2002. 72 L’édition jeunesse Le marché des collections de poche est concentré sur quelques marques à image forte qui appartiennent aux éditeurs dominant ce secteur en volume : Gallimard Jeunesse, Hachette et Bayard. Il existe, en termes d’âge, trois sous-marchés : benjamin, cadet, junior, le dernier étant le plus développé car il touche des lecteurs à la fois plus confirmés et qui se tourneront facilement vers des ouvrages publiés dans ce format. Tableau 31 – Part de marché des marques (2001-2002)* Marque Éditeur Folio Junior (sauf Club des Baby-sitters, Animorphs, Livre dont vous êtes le héros) normal et édition spéciale Bibliothèque Rose Livre de poche jeunesse Pocket Junior Lutin Poche Tom-Tom et Nana Petit ours brun Reste du marché Gallimard Jeunesse Hachette Jeunesse Hachette Jeunesse Univers Poches L’École des loisirs Bayard Édition Jeunesse Bayard Édition Jeunesse en % Âge 9/12 7/10 9/12 9/12 5/7 7/12 1/7 ans ans ans ans ans ans ans 2001 2002 25,60 5,30 6,20 2,60 3,50 4,10 2,90 49,80 20,90 10,40 7,50 4,60 3,50 3,30 2,70 47,10 * En ce qui concerne l’analyse des parts de marché des collections, la perte de parts de marché de Folio Junior en 2002 (moins 5 points entre 2001 et 2002) est à mettre en relation avec l’augmentation des parts de marché de la Bibliothèque rose qui s’explique par le succès de Titeuf (plus de 1,3 million d’exemplaires vendus en 2002) et la diminution des ventes de Harry Potter. Cette série reste toutefois la plus vendue du marché (plus de 3,3 millions d’exemplaires en format de poche vendus en 2001, contre 1,8 million d’exemplaires en 2002). Les chiffres de vente ont pour source : Estimations Ipsos, sorties caisse pour 2001 et 2002. Source : Estimations Ipsos, sorties caisse. Chiffres en volume pour 2001 et 2002. Enfin, la jeunesse occupe un pourcentage important du marché des poches en France : elle se trouve juste derrière le roman en deuxième position. Cela s’explique à la fois par le succès des titres jeunesse depuis une dizaine d’année, par le phénomène Harry Potter et par l’engouement pour l’Heroic fantasy de manière générale chez les enfants et les adultes. Tableau 32 – Composition du marché des livres de poche selon le genre (2001-2002) en % Roman Jeunesse Policier Documents, essais Classique littérature Science-fiction Parascolaire Pratique 2001 2002 23,5 21,6 12,5 7,8 5,9 5,2 4,8 3,5 23,7 21,9 12,0 8,1 5,8 5,1 4,4 3,6 Remarque : il existe d’autres catégories dont les pourcentages de parts de marché sont inférieurs. Source : Estimations Ipsos, sorties caisse. Chiffres en volume pour 2001 et 2002. 73 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Les albums De manière générale, le chiffre d’affaires de l’album est bien inférieur à celui du livre, alors que son prix de vente est souvent plus élevé. Le nombre de livres vendus, notamment des poches, est beaucoup plus important : en moyenne deux à trois fois plus de livres jeunesse sont vendus que d’albums. À l’exception de la période de crise des années 1990 où le chiffre d’affaires des livres a chuté tandis que celui des albums n’a cessé d’augmenter pour atteindre son plus haut niveau en 1995 : 78 millions d’euros environ. Graphique 4 – Évolution comparée du chiffre d’affaires du livre et de l’album jeunesse (1975-2001) Source : Dep/SNE. Le nombre de livres vendus, en revanche, n’est jamais inférieur à celui des albums vendus (sauf en 1995 où pour 22,09 millions d’albums vendus, il y eut 22,13 millions de livres vendus). En période de crise, le livre jeunesse reste une « valeur sûre », un objet estimé. L’album, considéré comme un « beau livre » comparé à un ouvrage au format de poche, est un cadeau que l’on continue d’acheter et d’offrir : c’est un instrument de sociabilité, ce qui explique que les albums aient moins souffert de la récession23. 23. Il en est de même dans le secteur adulte, pour les beaux livres. 74 L’édition jeunesse Graphique 5 – Évolution comparée du nombre de titres vendus du livre et de l’album jeunesse (1986-2001) Source : Dep/SNE. De ce fait, les éditeurs positionnent l’album en haut de gamme. Les nouveautés sont peu nombreuses, réalisées par des illustrateurs connus ou très prometteurs, et ont un faible tirage. Leur prix de vente au public est élevé, mais ne permet de dégager que de très faibles marges. Certains titres connaissent de réels succès éditoriaux comme, par exemple, Les derniers géants de François Place publié chez Casterman, vendu à plus de 20 000 exemplaires en 1994. Toutefois, certains éditeurs proposent des albums d’excellente qualité à des prix plus abordables. Ainsi L’École des loisirs publie ses albums en broché et en cartonné afin de proposer des gammes de prix différentes : les albums brochés, au même format que les cartonnés, sont proposés à des prix plus accessibles. Ce choix s’intègre à la fois dans la politique de démocratisation du livre pour enfant prônée par la maison (tous les enfants doivent avoir la possibilité de lire des livres de qualité) et dans une stratégie commerciale qui permet à l’éditeur d’occuper deux créneaux de prix. Les albums sont moins diffusés que les poches : on les retrouve dans les librairies de premier niveau24 mais rarement dans les petits points de vente ou dans les grandes ou moyennes surfaces. Intégrer un album dans son fonds présente un 24. Les librairies de premier niveau ont vocation à recevoir, à présenter et à vendre l’essentiel de la production des éditeurs et vivent essentiellement, voire exclusivement, de la vente de livres. Entre 700 et 1 000 librairies environ sont considérées par les éditeurs comme de premier niveau. 75 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS risque pour le libraire, les albums se vendant moins facilement que les poches, leur prix plus élevé obligeant le libraire à faire des sorties de trésorerie plus importantes. D’autre part, leur format, en lequel on peut voir de la créativité, n’est pas standard, ce qui provoque des difficultés de rangement. Les éditeurs, acteurs du secteur Mouvements de concentration et émergence de petits éditeurs L’édition pour la jeunesse est un secteur que l’on peut considérer à la fois comme encore assez peu concentré puisqu’une centaine d’acteurs se partagent le secteur, et très concentré puisque ce sont toujours les mêmes éditeurs – Gallimard Jeunesse et Hachette Jeunesse en tête –, qui réalisent depuis une vingtaine d’années la moitié du chiffre d’affaires. Ainsi la structure du marché peut être décrite comme celle d’un oligopole à frange25. En effet, Hachette et Gallimard, assurant leur propre distribution26, dominent le marché et sont entourés de maisons de toutes tailles, de L’École des loisirs (qui possède plus de 4 000 titres à son catalogue) à de tout petits éditeurs. Le marché de l’édition jeunesse est passé d’un paysage plutôt « familial » à un paysage industriel et concurrentiel27. En effet, les rachats et les restructurations au sein des groupes se multiplient. En 1998, les éditions du Sorbier sont rachetées par le groupe La Martinière, mais avec le souci de garder la même ligne éditoriale. De même en 1999, Flammarion rachète Casterman. Rageot, après avoir été racheté en 1955 par Hatier, tombe dans l’escarcelle d’Hachette à la suite du rachat du groupe Hatier. La concentration des entreprises se poursuit donc dans l’édition jeunesse comme dans le reste de l’édition. Cependant, en parallèle de ce mouvement de concentration, on observe une effervescence du côté de la création de jeunes maisons. Alors même que de nombreuses maisons sont rachetées, intègrent des groupes et acceptent de perdre une partie de leur indépendance éditoriale pour perdurer sur ce marché, nombre de petits éditeurs apparaissent et maintiennent l’équilibre de la structure d’oligopole à frange. Enfin, la création de Gallimard-Bayard Jeunesse témoigne des tentatives d’industrialisation d’une partie du secteur, avec la recherche d’une position de leader sur le marché. Cette « coentreprise », créée en octobre 1999, était leader avec 25. Françoise Benhamou en donne cette définition : « Quelques grandes entreprises dominantes, parfois implantées de longue date, maîtrisant les réseaux de distribution, constituent le noyau de l’oligopole ; à sa périphérie, une nébuleuse de petites ou de moyennes sociétés, dépendantes des plus grandes en matière de distribution, en forment la frange concurrentielle. » Françoise BENHAMOU, L’économie de la culture, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2001, p. 71. 26. Hachette pour Hachette et la Sodis pour Gallimard Jeunesse. 27. Pierre Marchand quitte Gallimard Jeunesse – qu’il a fondé au début des années 1970 – pour Hachette ; Jean-Claude Dubost part de Bayard pour intégrer l’équipe de Pocket ; Franck Girard, directeur de Nathan et Larousse Jeunesse, rejoint le comité éditorial de la « coentreprise » Gallimard-Bayard. 76 L’édition jeunesse 22,3 % de parts de marché en valeur (et 23,8 % en volume28), mais disparaît en 2002. Cet échec montre, peut-être, que l’édition pour la jeunesse est encore un domaine où les rapprochements rapides ne sont pas si simples et ne peuvent s’imposer en proposant uniquement d’ambitieux objectifs commerciaux. Cette période voit également l’émergence de nouvelles techniques de management. François Faucher, chez Père Castor/Flammarion, souligne d’ailleurs en 1993 : « Nous nous orientons vers de nouvelles conceptions de rentabilité. Il faut maintenant travailler avec des impératifs de réductions des stocks et des tirages, quitte à réimprimer deux fois dans l’année29. » De nouveaux acteurs apparaissent sur le marché utilisant les techniques de la grande distribution, comme Hemma dans les années 1990. Multinationale spécialisée présente en Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Hemma utilise un marketing s’inspirant des méthodes du secteur des hypermarchés. Le groupe, apparu en 1989, a vendu dès sa première année près de 12 millions d’exemplaires au prix moyen de 18 francs, en utilisant de nouvelles méthodes de diffusion : il n’y a que deux mises en place par an (sur le modèle allemand) où la multinationale vend un catalogue de nouveautés identiques d’un pays à l’autre, ce qui permet des réductions des coûts de production puisque les films de photogravure et les dessins servent pour tous les pays comme dans le système des coéditions. Il n’y a pas d’office, de retours ou de réassorts, ce qui séduit principalement les grandes et moyennes surfaces non spécialisées et permet ainsi de placer ses ouvrages sur des linéaires difficilement accessibles pour la majorité des éditeurs. Le produit culturel est ainsi traité comme un produit de grande consommation. Ce succès commercial – le succès éditorial reste à l’appréciation de chacun – se base sur la mise en œuvre d’une logique industrielle : fabrication en séries, vente à bas prix, frais éditoriaux et de commercialisation réduits. Panorama des acteurs dans les années 2000 Réaliser un état des lieux des éditeurs jeunesse en France en 2002 ou 2003 est difficile. En effet, les chiffres concernant les éditeurs jeunesse sont rares et le contour de ces groupes a un avenir incertain et risque de se modifier. La liste des meilleures ventes permet de comprendre le poids économique des leaders du marché. Toutefois, on notera que ce classement retient des titres de séries. 28. Claude COMBET et Laurence SANTANTONIOS, « L’édition jeunesse en pleine crise de regroupement », Livres Hebdo, no 359, 26 novembre 1999, p. 67-77. 29. Cité par C. FERRAND, « Les éditeurs consolident leurs positions », art. cité. 77 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Le classement quantitatif Selon le classement des ventes jeunesse 2002, les deux éditeurs les plus importants sont Hachette Jeunesse et Gallimard Jeunesse qui occupent le marché avec leurs séries à succès : Titeuf et Harry Potter. Ce sont des ouvrages de poche que l’on retrouve dans cette liste. En effet, rares sont les albums qui arrivent à atteindre des niveaux de vente en volume aussi importants. En 2002, l’album jeunesse le mieux vendu – La terre racontée aux enfants, publié à La Martinière Jeunesse – s’est vendu à 83 000 exemplaires, ce qui le met à la 20e place au classement des meilleures ventes jeunesse. Ainsi les éditeurs qui proposent en majorité des albums ne seront que rarement présents dans ce classement, même si par ailleurs ils réalisent un important chiffre d’affaires. Tableau 33 – Classement des meilleures ventes jeunesse en 2002 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 Titre Éditeur Parution Ventes Harry Potter et la coupe de feu Harry Potter et la chambre des secrets Harry Potter à l’école des sorciers Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban Les filles, c’est nul ! (Titeuf) Tchô la planète ! (Titeuf) Même pô mal (Titeuf) C’est pô croyable (Titeuf) Pourquoi moi ? (Titeuf) C’est pô une vie ! (Titeuf) C’est pô malin… (Titeuf) Les seigneur des anneaux, tome 1 Harry Potter (coffret 4 volumes) Trop c’est trop ! (Tom-Tom et Nana) Le petit prince (en format poche) À la croisée des mondes, tome 1 (en format poche) Le seigneur des anneaux, tome 2 (en format poche) À la croisée des mondes, tome 2 (en format poche) Les Pilleurs de sarcophages Inconnu à cette adresse (en format poche) Gallimard Jeunesse Gallimard Jeunesse Gallimard Jeunesse Gallimard Jeunesse Hachette Jeunesse Hachette Jeunesse Hachette Jeunesse Hachette Jeunesse Hachette Jeunesse Hachette Jeunesse Hachette Jeunesse Gallimard Jeunesse Gallimard Jeunesse Bayard Jeunesse Gallimard Jeunesse Gallimard Jeunesse 14/11/01 23/03/99 09/10/98 19/10/99 14/11/01 06/03/02 24/05/00 24/05/00 18/04/01 27/05/00 11/10/00 17/03/00 07/11/01 27/03/02 25/01/99 14/03/00 383 000 350 000 329 000 328 000 233 000 202 000 193 000 181 000 180 000 175 000 170 000 140 500 109 000 103 000 101 000 100 000 Gallimard Jeunesse 17/03/00 99 000 Gallimard Jeunesse 13/03/02 96 000 Hachette Jeunesse Hachette Jeunesse 03/09/01 21/08/02 84 500 83 000 Source : Livres Hebdo, supplément au no 506, 21 mars 2003. L’édition jeunesse en France est donc dominée par quelques leaders. En 2001, alors que la coentreprise Gallimard-Bayard Jeunesse existait encore, le magazine LSA30 annonçait que les trois leaders du marché se partageaient 58 % de 30. Véronique CALON, « L’édition jeunesse fait sa révolution », LSA, no 1747, 29 octobre 2001, p. 34-35. 78 L’édition jeunesse parts de marché : 25 % pour Gallimard-Bayard Jeunesse, 20 % pour Hachette Jeunesse et 13 % pour Vivendi Universal Publishing31. Le nombre de titres au catalogue est également un indicateur de la place de chaque maison sur le marché. Le tableau 34 propose un panorama des 45 premiers éditeurs en nombre de titres présents dans le catalogue. Si Hachette Jeunesse et Gallimard Jeunesse conservent une position dominante, d’autres éditeurs prennent également place dans le peloton de tête. Ainsi, L’École des loisirs – qui est d’ailleurs l’éditeur proposant le plus de titres, preuve d’un réel travail pour l’entretien de son fonds –, Casterman et Glénat possèdent des catalogues conséquents. Ce classement n’a que peu évolué depuis une vingtaine d’années. Les jeunes éditeurs des années 1990 ont cependant bien réussi leur intégration sur le marché en constituant un catalogue significatif : Actes Sud Junior, créée en 1995, publie plus de 300 titres et Autrement Jeunesse créée deux ans plus tard en compte 180 à son catalogue. Il faut également souligner l’abondance des tout petits éditeurs, pour la plupart apparus entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Leur situation précaire les oblige souvent à se diffuser et à se distribuer eux-mêmes ou à se regrouper. Le tableau 35 propose un classement des éditeurs, présents au Salon du livre de jeunesse de Montreuil 2002, possédant moins de 70 titres à leur catalogue. Essai de classement qualitatif L’analyse de l’organisation du secteur de l’édition jeunesse ne peut être basée seulement sur une analyse quantitative. Pour une approche qualitative, nous nous appuyons sur une enquête menée auprès de 40 professionnels, libraires et bibliothécaires, en vue de déterminer leur appréciation des éditeurs jeunesse32. L’auteur s’attache à cerner les critères qui permettent aux prescripteurs de définir ce qu’est un « bon éditeur jeunesse » : prime avant tout la qualité, en termes d’images et de textes comme de mise en page et de fabrication, et viennent ensuite l’originalité, la créativité, enfin l’adéquation du livre avec son public. Il est très intéressant de noter que le classement qui ressort de cette étude est très différent des précédents. Ce classement prend en compte l’éditeur de façon globale, c’est-à-dire tout type de production confondu. L’École des loisirs est en tête, suivie par Gallimard qui est à la fois leader en termes de ventes et dont la production éditoriale est appréciée par les prescripteurs. Suivent des éditeurs de taille moyenne, voire des petits 31. Les marques de Gallimard-Bayard Jeunesse sont Gallimard Jeunesse et Bayard Jeunesse, celles d’Hachette Jeunesse sont Hachette Jeunesse, Gautier-Languereau, Deux Coqs d’Or, et celles de Vivendi Universal Publishing sont Nathan Jeunesse, Pocket Jeunesse, Larousse Jeunesse, Hemma et Syros. 32. Isabelle THEILLET, Analyse du marché 2002 du livre de jeunesse, mémoire de DESS Pratique commerciale et marketing, Institut d’administration des entreprises de Paris, Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, 2003. 79 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Tableau 34 – Classement des éditeurs jeunesse selon le nombre de titres proposés dans leur catalogue en 2002 Éditeur Année de création Titres au catalogue Diffuseur Distributeur L’École des loisirs Gallimard Jeunesse Hachette Jeunesse et Deux Coqs d’Or Casterman Éditions Glénat Éditions Lito Milan Presse Nathan Jeunesse Bayard Jeunesse Père Castor-Flammarion Albin Michel Seuil Jeunesse Hemma éditions Mango Pocket Jeunesse Guy Delcourt Production Gautier-Languereau Éditions Nord-Sud MFG Éducation Éditions Gründ Éditions Hatier Retz Éditions Usborne Magnard Jeunesse Rageot Actes Sud Junior* Grasset-jeunesse Syros Jeunesse Kaleidoscope Circonflexe/Millepages 1965 1972 1850 4 000 3 000 3 000 L’École des loisirs Gallimard Hachette Le Seuil Sodis Hachette 1780 1969 1951 1981 1881 1873 1931 1981 1992 1954 1990 1994 1985 1905 1981 1985 1880 1880 1974 1983 1933 1941 1995 1973 1984 1988 1989 2 500 2 500 1 300 1 200 1 040 1 000 1 000 800 800 750 700 610 600 500 500 450 400 400 400 370 350 350 300 300 300 272 250 Flammarion Illiade Éditions Lito Le Seuil Nathan Sofedis Union Distribution Hachette Le Seuil VUP Services CDE VUP Services Flammarion Hachette Sofedis MFG Éducation Gründ Hatier Diffusion VUP Services VUP Services Magnard Vuibert Diffusion Hatier Union Distribution Hachette Éditions Lito Le Seuil VUP Services Sodis Union Distribution Hachette Le Seuil VUP Services Sodis VUP Services Union Distribution Hachette Sodis MFG Éducation Gründ Hachette VUP Services VUP Services Dilisco Hachette Hachette VUP Services Le Seuil Dilisco Mijade Le Rouergue Éditions du Sorbier Play-Bac/Petit Musc 1993 1986 1979 1986 250 240 215 185 Hachette Nathan L’École des loisirs Magnard Vuibert Diffusion Sofedis Actes Sud Diff-édit Hatier/Flammarion Éditions de la Martinière Jeunesse Éditions Autrement Jeunesse Thierry Magnier Éditions Scala Bilboquet Fanlac éditions Quatre Fleuves Mila éditions Didier Jeunesse 1995 1997 1998 1980 1994 1943 1995 1984 1988 182 180 180 180 160 160 160 150 135 Sodis Union Distribution Diff-édit Hachette/ Union Distribution Diff-édit Diff-édit Le Seuil Le Seuil Harmonia Mundi Harmonia Mundi CDE Sodis Bilboquet Bilboquet Fanlac Fanlac Magnard Vuibert Diffusion Dilisco Magnard Vuibert Diffusion Dilisco Hatier Hachette * Pour Actes Sud Junior, la source est le catalogue 2003. Source : Catalogue du 18e Salon du livre de Montreuil 2002. 80 L’édition jeunesse Tableau 35 – Classement des petits éditeurs jeunesse selon le nombre de titres proposés dans leur catalogue en 2002 Éditeur Année de création Titres au catalogue Éditions Petit à Petit Rue du monde Lo Pais d’enfance Alain Beaulet Editeur 2000 1996 1992 1984 62 62 61 60 Éditions Atlas Livres Éditions Frimousse Éditions J’ai lu Jeunesse Le Sablier Les éditions de l’œil Les éditions du ricochet Le Dé bleu Les livres du dragon d’or Éditions du Jasmin Éditions MeMo Centre Georges Pompidou Éditions Degliame Esperluète éditions Alice éditions Bragelonne Donner à voir Éditions être Éditions du Gulf Stream Le Patio éditeur Desclée de Brouwer L’atelier du poisson soluble Emmanuel Proust éditions Passage piétons Éditions Tourbillon Au bord des continents Benoit Jacques Éditions Points de suspension Éditions de la Renarde Rouge Éditions du Chat Flies Zoom éditions Rouge Safran L’Atelier Éditions Lipokil Quiquandquoi Grr… Art éditions Le Buveur d’encre Les enfants de la Baleine Les amis de Dodova Poulailler production Éditions Tartamundo Les enfants terribles Les oiseaux de passage Le Nénuphar Pêcheur de lune éditions 1999 1996 2001 1997 1997 1995 1974 1989 1997 1993 1976 1999 1994 1995 2000 1984 1997 1989 2000 1989 2002 1998 2002 1993 1989 1997 1994 50 50 50 47 46 42 40 40 40 40 35 33 33 30 30 30 30 30 26 23 22 22 21 21 20 20 20 20 1999 1995 2001 1999 1990 2002 2001 1999 2001 2001 1998 1996 1999 1982 2000 2001 2002 19 18 17 16 12 12 12 9 7 7 6 6 6 5 5 3 3 Diffuseur Distributeur Le Seuil Harmonia Mundi Harmonia Mundi Le comptoir des indépendants Illiade Diff-édit Flammarion Le Sablier Les éditions de l’œil Le Seuil Harmonia Mundi Harmonia Mundi Le comptoir des indépendants Hachette Diff-édit Union Distribution Diff-édit Les éditions de l’œil CED/Collines Gründ Éditions du Jasmin Némo diffusion Union Distribution Harmonia Mundi CED Desclée de Brouwer Harmonia Mundi Donner à voir Harmonia Mundi Éditions du Gulf Stream Le Patio éditeur Desclée de Brouwer Atelier du poisson soluble Diff-édit Passage piétons Éditions Tourbillon La Diff Benoit Jacques Vilo Collines/Lirabelle Casteilla Gründ Éditions du Jasmin Alterdis Union Distribution Harmonia Mundi Alterdis Desclée de Brouwer Harmonia Mundi Donner à voir Harmonia Mundi Éditions du Gulf Stream Le Patio éditeur Desclée de Brouwer Atelier du poisson soluble Diff-édit Passage piétons Éditions Tourbillon Hachette Benoit Jacques Vilo Éditions de la Renarde Rouge Éditions du Chat Casteilla Le Passevent Rouge Safran L’Atelier VUP Services Alterdis Le Passevent Alterdis Les enfants de la Baleine Les amis de Dodova Lirabelle Le Passevent Littéral Les oiseaux de passage Joker Bibliodif/Alterdis Éditions du Chat CED Le Passevent Rouge Safran L’Atelier VUP Services Nemo Le Passevent CED Les enfants de la Baleine Les amis de Dodova Lirabelle Le Passevent Littéral Les oiseaux de passage Joker CED Source : Catalogue du 18e Salon du livre de Montreuil 2002. 81 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS comme Actes Sud Junior et Thierry Magnier. Hachette Jeunesse et Bayard Jeunesse, pourtant fortement investis sur ce marché, ne figurent qu’en fin de classement. Tableau 36 – Classement des éditeurs préférés des professionnels (libraires et bibliothécaires) Éditeur en % Ratio de nombre de citations L’École des loisirs Gallimard Jeunesse Seuil Jeunesse Actes Sud Junior Thierry Magnier Albin Michel Jeunesse Nathan Jeunesse Milan Rue du monde Bayard Jeunesse Casterman Hachette Jeunesse Le Rouergue Syros Jeunesse Divers Sans réponses 18,0 13,5 9,5 7,0 6,0 5,0 5,0 4,5 4,0 2,0 1,5 1,5 1,5 1,5 15,0 4,5 Source : Isabelle THEILLET, Analyse du marché 2002 du livre de jeunesse, mémoire de DESS Pratique commerciale et marketing, Institut d’administration des entreprises de Paris, Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, 2003. Un autre classement est proposé par l’auteur de cette enquête : celui des éditeurs les plus appréciés en fonction du type de production dont le tableau présente les résultats de façon synthétique. Tableau 37 – Classement des éditeurs jeunesse en fonction du type de production Rang Tout type de production 1 2 3 4 5 6 7 8 L’École des loisirs Gallimard Jeunesse Seuil Jeunesse Actes Sud Junior Thierry Magnier Albin Michel Nathan Jeunesse Milan Tout petits Albums Romans Documentaires Contes L’École des loisirs Albin Michel Gallimard Jeunesse Nathan Jeunesse Thierry Magnier Bayard Jeunesse Didier Jeunesse Quatre Fleuves L’École des loisirs Seuil Jeunesse Gallimard Jeunesse Albin Michel Gautier-Languereau Casterman-Duculot Milan Nord-Sud Gallimard Jeunesse L’École des loisirs Hachette Jeunesse Castor Poche Rageot Nathan Jeunesse Syros Jeunesse Thierry Magnier Gallimard Jeunesse Nathan Jeunesse Milan Larousse Jeunesse Casterman Hachette Jeunesse La Martinière Mango Jeunesse Milan Nathan Jeunesse Syros Jeunesse Gründ Albin Michel L’École des loisirs Seuil Jeunesse Actes Sud Junior Source : I. THEILLET, Analyse du marché 2002 du livre de jeunesse, op. cit. 82 L’édition jeunesse À travers ce nouveau classement, apparaissent dans les premières places les mêmes éditeurs, comme L’École des loisirs, Gallimard Jeunesse, puis Seuil Jeunesse et Nathan Jeunesse, etc. L’auteur souligne que L’École des loisirs occupe une place tout à fait à part : « La référence. Restée fidèle à son nom et à son engagement de départ “apprendre dans le plaisir”. L’image de L’École des loisirs auprès des prescripteurs est très bonne. Certains d’entre eux retiennent “la proposition complète de l’album au roman, avec une politique d’auteurs et d’illustrateurs français et étrangers de qualité”, d’autres la définissent comme “un spécialiste de jeunesse très pointu alliant qualité, diversité et originalité”. Il n’en reste pas moins que d’autres éditeurs jeunesse sont également très appréciés, tels Gallimard Jeunesse, pour “l’ampleur et la richesse de leur catalogue, avec des grands noms de la littérature, notamment étrangère, la qualité des choix éditoriaux et de la présentation, pour les documentaires tout particulièrement” ; Le Seuil Jeunesse pour “l’originalité de son catalogue actuel et son renouvellement au niveau esthétique et en fiction : une production éclectique avec un style qui lui est propre” ; Actes Sud Junior, qui présente “un bel objet accompagné d’une exigence éditoriale, de beaux livres de qualité, des créations qui sortent de l’ordinaire” ; Thierry Magnier enfin, pour “son côté artisanal, innovant, audacieux et créatif […] : une prise de risque éditoriale poussant à la réflexion pédagogique et au questionnement”. » À l’inverse, les critiques peuvent également être acerbes de la part des libraires et bibliothécaires. À cet égard, l’auteur remarque qu’ils n’apprécient pas un certain type de production dite de « supermarché », comme les Disney, les séries, les dérivés de la télévision33. Les stratégies des acteurs du secteur Les stratégies éditoriales Pour tenter de définir ce que peuvent être les stratégies des éditeurs, citons Françoise Balanger, rédactrice en chef de La Joie par les livres34 : « Les éditeurs ont à la fois besoin de se démarquer les uns des autres, en trouvant quelque chose d’original, et à la fois de se copier les uns les autres pour profiter d’un succès35. » L’importance de la créativité Dans le climat de vive concurrence qui s’est développé lors de la crise des années 1990, chaque éditeur s’oblige à affirmer son identité pour deux raisons : avoir 33. Extrait de l’étude d’I. Theillet : ce sont les raisons majeures exprimées par les prescripteurs pour justifier leurs préférences. 34. La Joie par les livres est une association de bibliothécaires, créée en 1965, rattachée au Ministère de la culture (Direction du livre et de la lecture). Elle a pour vocation de soutenir toute action favorisant l’accès de l’enfant au livre et à la lecture. 35. Entretien avec Françoise Balanger, La Joie par les livres, 22 mai 2003. 83 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS une meilleure visibilité sur le marché et renforcer son fonds. Cette volonté favorise la création et encourage les jeunes auteurs et illustrateurs. En 1993, 68 % des nouveautés à L’École des loisirs étaient des créations de jeunes auteurs. De même, chez Nathan la création représente 70 % de la production36. Quand l’objectif est de recréer un fonds pour la collection, la présence (ou l’embauche si nécessaire) d’un directeur artistique est indispensable afin d’espérer attirer les meilleurs illustrateurs. Le défi d’un éditeur n’est alors pas uniquement de trouver et de fidéliser des lecteurs mais également de trouver et de fidéliser des auteurs et des illustrateurs pour entretenir un fonds de qualité. Le travail de prospection et de fidélisation de l’éditeur se fait donc à la fois en amont et en aval du livre. Le positionnement sur des créneaux et la recherche d’une spécialité ou d’une spécificité peuvent être des atouts pour trouver une place sur le marché. Dès les années 1980, de nombreux éditeurs s’attachent à développer ce type de positionnement. Hatier se spécialise par exemple sur les aspects cachés de la vie animale avec la microphotographie pour la collection l’« Œil vert », Bayard propose des livres animés, Père Castor-Flammarion se spécialise avec une collection sur l’astronomie « La bibliothèque de l’Univers37 ». La tentation de copier Quand des concepts sont développés par des éditeurs avec succès sur le marché, la tentation de copier est grande. Le style Disney, par exemple, a été particulièrement imité : dans les années 1994-1995, la marque PML (Profrance Maxi Livre) a diffusé des « faux Disney » et Nathan a utilisé la marque Mélodia pour vendre des ouvrages proches graphiquement des « Disney » du packager américain Twinbooks, après que Disney lui ait retiré sa licence d’exploitation38. Dans le domaine des livres d’initiation à l’art par exemple, il y a eu des tentatives dispersées, et à force de tâtonnements de divers éditeurs petits et grands, ce type de livres s’est implanté durablement dans le paysage éditorial. Autre exemple, quand Bayard a lancé Chair de Poule, peu d’éditeurs publiaient des ouvrages sur le thème du « frisson » en jeunesse. Chair de Poule a eu un succès phénoménal et de nombreuses maisons d’édition se sont mises à créer des collections similaires. De même, à partir du succès de Vu, le dictionnaire visuel dont Gallimard a vendu près de 80 000 exemplaires en 1996, Hachette a développé un produit similaire, Zoom. Le clonage des techniques marketing existe également : le succès d’Harry Potter auprès d’un public adulte a facilité le développement de publications en grand 36. C. FERRAND, « Les éditeurs consolident leurs positions », art. cité. 37. Claude COMBET, « Le Boom des documentaires », Livres Hebdo, no 41, 12 octobre 1990, p. 71-73. 38. La rédactrice en chef de La Joie par les livres remarque que « ce ne sont pas toujours les mêmes qui sont les innovateurs, cela dépend des domaines : cela peut être des tâtonnements de création ou un gros coup commercial ». Voir Entretien avec Françoise Balanger, le 22 mai 2003. 84 L’édition jeunesse format, hors collection d’ouvrages normalement à destination des enfants. D’autres éditeurs, en particulier Hachette, se sont mis à publier ce type de livres, qui n’ont pas une apparence de livres pour enfant39 : ce ne sont plus des poches, ils sont publiés hors collection et ciblent un lectorat mixte adulte/enfant. La création d’un univers autour des personnages Que ce soit chez Hachette, Bayard, Gallimard ou même de plus petits éditeurs, on retrouve de plus en plus souvent des personnages de collections qui perdurent. Ces personnages rencontrent un certain succès, notamment auprès des jeunes enfants. D’ailleurs ils s’adressent souvent aux tout petits – on pense par exemple à Petit Ours Brun –, mais parfois aussi à des tranches d’âge plus élevées : Max et Lili chez Calligram s’adresse aux 7-10 ans. Il y a désormais pléthore de personnages dans l’édition jeunesse : Babar, OuiOui, Caroline, Mini-Loup (Hachette Jeunesse), T’choupi (Nathan), Petibou, Juliette (Lito), Plume, Arc-en-ciel (Nord-Sud), Didou, Mimi (Albin Michel Jeunesse), Popi, Petit Ours Brun (Bayard), Oscar, Tom et Tim, Max et Lili (Calligram), Martine, Zoé et Théo (Casterman), Caillou (Chouette), Franklin (Deux Coqs d’or), etc. Pour un éditeur, choisir d’éditer une collection avec un « héros » peut être une stratégie éditoriale. La maison Flammarion, par exemple, consciente de l’avantage qu’apporte ce type de personnage, a lancé Bali pour pallier ses lacunes en ce domaine. En effet, un personnage référence permet de créer un lien particulier avec l’enfant : le héros et son univers imaginaire deviennent pour lui des repères, le rassurent et éveillent son goût de la collection40. L’éditeur peut alors décliner le héros sur différents supports (cartonné, broché, petit ou grand format…) et avec différents contenus (fictions, jeux ludo-éducatifs…). Le relais peut être pris par la presse, à moins que ce ne soit le personnage lancé par la presse qui est repris en édition comme Petit Ours Brun chez Bayard. Enfin, les produits dérivés peuvent être également télévisuels. Ils entretiennent ainsi l’attachement de l’enfant pour le personnage qu’il retrouve alors dans tout son environnement. Ainsi, des collections – Tom-tom et Nana, Tchoupi, Les catastrophes de Gaspard et Lisa, par exemple – se déclinent sous toutes formes de produits dérivés : peluches, poupées, jeux, matériel scolaire et même, pour certaines, dessin animé. 39. Chez Gallimard, le logo apposé au grand format hors collection peut être « Gallimard » et non « Gallimard Jeunesse » pour séduire le public adulte. C’est notamment le cas pour l’ouvrage de Bruno Maurer, Le dernier voyage d’Ulysse. 40. En 1994, Jean-Claude Dubost, alors responsable de Bayard éditions, expliquait ainsi le succès de Petit Ours Brun : « Il faut des collections très ciblées, très homogènes, des concepts très forts qui puissent être séduisants à la fois pour l’international et pour le monde des médias. » Voir C. FERRAND, « Les éditeurs consolident leurs positions », art. cité, p. 72. 85 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Pierre Marchand insistait en 1999 sur la nécessité de créer un univers autour du livre : « Nous travaillons sur des univers. Le livre ne peut plus vivre tout seul, il est concurrencé, il doit se défendre. Nous nous devons de créer des environnements du livre, qui peuvent aller jusqu’à la télévision. Rappelons que Canal J appartient à Hachette41. » Les stratégies marketing La démarche marketing est de plus en plus prise en compte pour réaliser un ouvrage ou lancer une collection. Dans la majorité des maisons apparaissent des secteurs ou départements marketing qui viennent souvent remplacer le secteur autrefois dénommé « promotion » (c’est le cas par exemple chez Gallimard Jeunesse). Pour Claire Pallet, chef de produit Folio Junior, « ce mouvement est naturel et nécessaire puisque la promotion est une des composantes du marketing ». Le département marketing s’attache à mener une réflexion globale sur les différents éléments du mix-marketing – le produit, le prix, la promotion, la distribution – en utilisant les outils habituels : la veille concurrentielle, les études de concurrence, les études de marché…, souvent avant même la création d’une collection. Ce changement de dénomination témoigne d’une évolution dans le domaine : auparavant, le département promotion se chargeait de promouvoir un produit fini, aujourd’hui le département marketing participe en outre à l’élaboration des caractéristiques physiques de l’ouvrage en menant une réflexion sur le choix du format, du prix, de la couverture, etc. lors d’un réel travail d’équipe entre les départements d’édition et de marketing. Toutefois, ce ne sont pas les chefs de produits qui déterminent la création de l’ouvrage, l’éditeur restant, dans le secteur jeunesse, le principal « accoucheur du livre ». Chez Flammarion les chefs de produits soulignent qu’ils font avant tout un travail de marketing opérationnel. C’est-à-dire qu’ils doivent mettre en place la politique de promotion et de valorisation de l’ouvrage en aval du produit : campagne de promotion, mise en place de la PLV42, démarchage et mailings des prescripteurs. Ils n’ont donc que peu de poids sur la création du livre en tant que tel. Encore qu’en édition jeunesse certaines stratégies puissent être nommées « éditoriales » par les uns et qualifiées de « marketing » par les autres. En effet, le choix de développer une collection sur le thème du « frisson » peut être considéré comme une orientation éditoriale, avec un choix de contenu, d’auteurs et d’illustrateurs précis, mais peut aussi être considéré comme la volonté d’occuper un créneau et de segmenter une collection en thèmes. Nous avons choisi de traiter ces enjeux de segmentation et de positionnement dans la partie consacrée au développement du marketing en édition jeunesse. Toutefois nous savons bien que les évolutions de l’offre éditoriale ne sont pas uniquement le résultat de 41. Cité par C. COMBET et L. SANTANTONIOS, « L’édition jeunesse en pleine crise de regroupement », art. cité. 42. PLV : Promotion sur lieu de vente. Ce sont par exemple les affiches, les présentoirs, etc. 86 L’édition jeunesse réflexion marketing, mais d’une alchimie entre réflexion éditoriale et marketing, variable en fonction des maisons d’édition. Nous passons en revue différentes techniques utilisées en édition jeunesse : segmentation, relookage, best-sellers, effet collections, séries, et prix de vente. Diversification de l’offre : la segmentation s’affine Les éditeurs segmentent leurs collections afin de faciliter le rapport direct du lecteur – ou de l’acheteur – au livre. Pour de nombreux observateurs – libraires et bibliothécaires –, l’éditeur qui segmente le plus clairement et de la manière la plus adaptée ses collections est Gallimard Jeunesse. La segmentation s’affinant, de nombreux éditeurs doivent s’adapter à ce mouvement général. Par exemple, l’apparition sur le marché des poches de deux collections segmentées par âge et par thème chez Pocket en 1994 a probablement poussé certains éditeurs concurrents à réfléchir sur leur cible et leur positionnement, à affiner leur segmentation et à préciser leur image. Ainsi, dès 1994, Castor Poche « relooke » ses ouvrages et propose une segmentation plus claire par âge et par thème. Le Livre de Poche Jeunesse fait de même dès 1995. La volonté de clarifier et de segmenter les collections répond notamment à la demande des grandes surfaces non spécialisées. Disposant de peu de vendeurs, qu’on ne peut pas appeler « libraires » puisqu’ils ne sont pas spécialisés, les grandes surfaces préfèrent référencer des collections facilement identifiables sur les linéaires. Le client doit trouver seul les réponses à ses interrogations : à quel âge s’adresse le titre ? quel est son sujet ? quels sont les thèmes qu’il aborde ? etc. Le choix d’une segmentation par âge est compliqué par nature. L’enfance est une période de changements, d’évolutions, de construction de soi, et chaque enfant la vit à son rythme. Ainsi, un livre s’adressant à un enfant de 8 ans pourra parfois être abordé par un plus jeune ou, au contraire, être lu avec difficulté par un plus âgé. Un titre peut également être lu à haute voix par un parent ou un enseignant : là encore, le choix de l’âge n’a pas toujours de sens. De fait, la détermination de l’âge varie considérablement selon les maisons : par exemple avec deux titres de difficulté de lecture comparable, Syros affiche « à partir de 10 ans » et Gallimard « à partir de 8 ans » : le choix de la tranche d’âge est relativement subjectif et doit être laissé à la libre appréciation du lecteur, ou du prescripteur, selon la maturité de l’enfant. Toutefois, de manière générale, on peut observer la segmentation suivante : – Tout petit : 0-3 ans – Petite enfance : 3-5 ans – Benjamin : 5-7 ans – Cadet : 7-9 ans – Junior : 9-12 ans – Préadolescent : 12-15 ans 87 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Ainsi, Gallimard organise ses collections en « petite enfance », « benjamin », « cadet » et « junior ». Nathan, lui, décline une de ses premières collections documentaires, « Le monde en poche », en tranche d’âge : « poussin », « benjamin », « junior ». Kid Pocket, lancée par Pocket Jeunesse, se subdivise en trois tranches d’âge repérables à leur couleur : jaune pour les 3-5 ans, rouge pour les 6-8 ans, vert pour les 9-11 ans, et Pocket Junior cible les enfants à partir de 11 ans. La segmentation par âge s’affine pour toutes les catégories d’ouvrages. Ainsi, en matière de documentaires, le début des années 1990 est marqué par une extension de cette segmentation : Gallimard Jeunesse couvre de plus en plus de tranches d’âge en lançant à l’automne 1989 la collection pour les 3-6 ans « Mes premières découvertes », à l’automne 1990 une collection pour les 5-8 ans « Les chemins de la découverte », coéditée avec Dorling Kindersley, et s’inspirant du succès de la collection pour les juniors « Les yeux de la découverte ». De même, Hachette développe en 1991 des documentaires – jusqu’alors centrés sur les 1013 ans – pour de nouvelles tranches d’âge. Cette segmentation de plus en plus fine permet de mieux cibler le public. Elle permet également à plus de collections de trouver un créneau. Une collection qui couvre la tranche des 6-10 ans peut se segmenter en 6-8 ans et 8-10 ans, permettant ainsi le positionnement d’une nouvelle collection. À l’inverse, pour toucher un public plus large, les éditeurs proposent des titres connus dans plusieurs collections s’adressant à des tranches d’âge différentes. On retrouve par exemple Bécassine chez Gautier-Languereau ou Le petit prince chez Gallimard, exploités dans des collections ne ciblant pas le même lectorat. Gallimard Jeunesse publie Le petit prince en Folio Junior, et en album et album de luxe sous le logo Gallimard (afin de pouvoir également toucher un public adulte). Paul Garapon apporte une explication de cette segmentation fine par âge : « […] une tendance lourde de la littérature jeunesse est à une surinstrumentalisation pédagogique et éducative, ce que souligne encore l’approche sans cesse plus psychomorphique des publics en termes de conception d’ouvrages : il y a les tout-petits (jusqu’à 3 ans), la petite enfance (de 3 à 5 ans), la moyenne enfance (de 5 à 8 ans), la grande enfance (de 8 à 11 ans) la préadolescence (de 11 à 13 ans), l’adolescence (de 13 à 17 ans), la postadolescence (de 16 à 18 ans), et, désormais, la catégorie des jeunes adultes (18 ans et plus)… Une telle segmentation est aussi bien le signe de l’avènement de catégories médicales psychopédagogiques (aux fins d’accompagner le développement psychologique et social) attestant de notre passion d’éduquer (au moment où l’éducation familiale change, peut-être ?) que la marque de la complexité d’un marché où les jeunes, devenus une catégorie sociale de consommation à part entière, font l’objet d’un ciblage marketing et éducatif plus fin qu’auparavant43. » 43. Paul GARAPON, « L’imaginaire mondialisé de la littérature jeunesse », Esprit, mars-avril 2002. 88 L’édition jeunesse L’édition jeunesse est également de plus en plus segmentée par thèmes. Ainsi, le catalogue Littérature Jeunesse 2003 des éditions Flammarion qui s’adresse aux parents, bibliothécaires, documentalistes, enseignants et libraires, précise : « Nous vous présentons la nouvelle organisation de Castor Poche, dont nous avons réparti les quelque 500 titres en neuf segments. » Ce type de segmentation n’est pas récent et déjà en 1994, la collection Pocket Junior était clairement segmentée par thèmes : les classiques avec « Références », « Mythologies », « C’est ça la vie ! », « Science-fiction », « Frissons », l’écologie avec « OS Planète ». La segmentation par format s’est développée sur le modèle du marché anglosaxon depuis quelques années. Les titres à fort potentiel et les titres achetés à l’étranger – souvent dans les pays anglo-saxons – sont proposés dans un format hors série (c’est-à-dire un grand format), avant d’être, après quelques mois en librairie, déclinés en poche. Pour de nombreux observateurs, ce sont les best-sellers qui, en touchant une cible très large, ont fait accéder la fiction jeunesse à ce nouveau format. Ce phénomène est-il le signe d’une reconnaissance de la littérature jeunesse par des lecteurs adultes, ou le témoignage d’enjeux marketing et de pressions commerciales analogues sur les deux marchés ? Peut-être à la fois l’un et l’autre. Un nouveau format est même apparu : le semi-poche, entre le poche et le hors série, plus grand et souvent de meilleure qualité que le poche (rabats, couverture plus épaisse, qualité de papier supérieure) mais dont le prix de vente au public, quoiqu’un peu supérieur au prix du poche, est bien inférieur à celui du hors série. Le « relookage » Depuis la fin des années 1990, de nombreuses maisons cherchent à repositionner leur offre afin d’augmenter leur visibilité et conquérir de nouveaux lecteurs. Cet effort de repositionnement passe d’abord par le « relookage », travail fait souvent conjointement entre les équipes éditoriales et les équipes marketing, qui permet une meilleure visibilité dans les linéaires. Le contenu reste le même mais la maquette, le format, l’impression, le papier évoluent pour donner une image créative et « dans l’air du temps » à la collection. En général, ce sont les collections au format poche qui sont les premières « relookées » et ceci pour deux raisons. Tout d’abord le chiffre d’affaires que ces collections génèrent ne doit pas faiblir : le relookage permet d’occuper les linéaires, de créer l’effet « nouveauté » et, donc, d’obtenir des pages de rédactionnel dans la presse et de donner une image dynamique de la maison. D’autre part, ce sont des collections cohérentes, dont l’image est plus facile à faire évoluer et dont on peut réorganiser la segmentation lors de la définition d’un nouveau positionnement. Enfin, le domaine de la fiction est très concurrentiel : l’objet « livre » (pagination, format, couleur, qualité du papier, charte graphique…) joue un rôle fondamental dans la décision d’achat, car l’acheteur ne peut pas lire l’intégralité du texte avant l’achat, sauf dans le cas d’ouvrages comportant peu de textes. De plus, lorsqu’il s’agit d’œuvres de fiction s’adressant à des enfants, on connaît l’importance de l’as- 89 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS pect attrayant de l’ouvrage afin d’aviver sa curiosité et surtout de ne pas le décourager. Chaque année, des dizaines de collections sont ainsi relookées. En 2001, la catégorie des romans en format de poche a été particulièrement transformée par les éditeurs : Hachette a relooké Le livre de poche jeunesse, Milan les Milan Poche, Bayard les Bayard Poche, Rageot les Cascades, et Gallimard Jeunesse les Folio Cadet. Certains acteurs de la profession déplorent cette course au relookage. Jean Delas, directeur de L’École des loisirs, insiste sur les enjeux mercantiles du relookage : « En 2002, il n’y a plus que du relookage pour les documentaires. Cela permet uniquement de remettre en vente, d’occuper les rayons. Ce n’est pas créatif 44. » Ce peut être également une preuve de fragilité. Françoise Balanger déplore surtout que « presque tous les éditeurs soient pris dans cette compétition : se renouveler constamment. Cela contribue à augmenter la vitesse de vieillissement de la production et le côté éphémère des ouvrages ». Best-sellers et outils marketing L’arrivée des best-sellers participe de l’évolution de l’édition jeunesse. Cette offre ne s’adresse plus exclusivement aux enfants, mais touche une cible plus large, probablement plurigénérationnelle. Les techniques commerciales et les outils marketing sont alors utilisés activement : choix des différents formats, campagnes promotionnelles, jeux concours, site Internet, etc. Le relais audiovisuel joue un véritable rôle promotionnel pour le succès de ces titres. La sortie des films d’Harry Potter ou du Seigneur des Anneaux, en créant l’événement, a favorisé les ventes d’ouvrages. Ainsi Le Seigneur des Anneaux, ouvrage en six tomes, qui existe depuis plus de 20 ans et dont le succès ne se dément pas, a connu un renouveau spectaculaire de ses ventes lors de la sortie des films. Le succès d’Harry Potter (80 millions de volumes vendus dans le monde entre 1998 et 2001) ouvre la voie au développement d’une littérature fantastique anglo-saxonne sur le marché français. Des auteurs comme Philip Pullman (auteur de la trilogie À la croisée des mondes) sont remis au goût du jour, d’autres sont lancés sur le marché comme Eoen Colfer (auteur d’Artemis Fowl) ou Brian Jacques. Les auteurs et éditeurs français s’attaquent également à ce thème : Peggy Sue imaginée par Serge Brussolo est éditée chez Plon, Tom Cox de Frank Krebs au Seuil Jeunesse. 44. Entretien du 5 mai 2003. 90 L’édition jeunesse L’effet collection et les séries Le souci de développer des collections ne date pas d’hier45. Après la Bibliothèque rose, créée en 1857, Hachette lance après la Première Guerre mondiale, deux autres collections : la Bibliothèque verte et la Bibliothèque de la jeunesse. L’intérêt pour l’éditeur de lancer une collection est double. Une collection permet d’abord de réaliser des économies d’échelle car il est plus facile d’obtenir des réductions de coûts auprès de l’imprimeur pour imprimer toute une série d’ouvrages. D’autre part, en termes de marketing, il est possible de mettre en place des opérations qui visent à promouvoir la collection dans son ensemble et non titre par titre. Enfin, la charte graphique imposée à la collection détermine la cohérence des couvertures, ce qui lui donne une visibilité certaine sur les rayons des librairies. L’acheteur par exemple repère facilement les ouvrages de la collection Folio Junior à cause de leurs tranches rayées de toutes les couleurs. On remarque immédiatement l’enjeu économique que cela recèle, les enfants constituant une cible privilégiée des entreprises qui proposent des objets à collectionner46, et quelles stratégies marketing cet intérêt pour la collection peut engendrer, particulièrement sur les séries. L’existence des séries47 n’est pas nouvelle, on pense bien évidemment au Club des cinq ou à Fantômette. Mais l’arrivée de Chair de Poule en 1996 a créé dans l’édition jeunesse un véritable engouement et plus particulièrement pour les collections dites de « frissons ». Fin 1998, la collection a dépassé les 8,5 millions d’exemplaires vendus et Bayard Éditions a vu son chiffre d’affaires augmenter de plus de 40 %48. Fort de ce succès, Bayard multiplie les séries, avec Délires dont certains titres dépassent 50 000 exemplaires vendus, Grand Galop, Cœur Grenadine. En général, lorsque les séries sont bien segmentées, et qu’elles se déclinent selon des thématiques porteuses – le frisson, le policier, le sentimental –, elles permettent d’entretenir, voire d’augmenter sensiblement, le chiffre d’affaires des ouvrages au format poche. On retrouve par exemple Coup de foudre chez Hachette Jeunesse Roman pour le segment sentimental, Spooksville chez Pocket, Frouss’land chez Hachette Jeunesse Roman, Animorphs chez Gallimard pour le frisson. 45. Laura Noesser souligne qu’au début du siècle déjà, les éditeurs cherchaient à utiliser le principe de la collection : « Les éditeurs, soucieux de conquérir des nouveaux marchés, vont rechercher des formules plus économiques et organiser leur production en collections tout en conservant le terme de “bibliothèque” qui présente une connotation culturelle rassurante et en camouflant au besoin les impératifs de vente derrière des arguments pédagogiques. » Voir Laura NOESSER, « Le livre pour enfants », Histoire de l’édition française, t. IV, Le livre concurrencé, 1900-1950, p. 463. Promodis, publié avec le concours du Centre national des lettres. 46. Pascale Ezan souligne que « le goût de la collection est un phénomène naturel chez les enfants puisqu’il s’intègre dans son processus de développement. […] les enfants sont accumulateurs. Ils procèdent par adjonction et s’intéressent à tous les supports qui présentent un intérêt par rapport à leur collection ». Voir Pascale EZAN, « Le phénomène de collection comme outils marketing à destination des enfants », Décision marketing, no 29, janvier-mars 2003, p. 47-55. 47. Une série est une suite d’ouvrages, souvent du même auteur, proposant les aventures d’un ou des héros que l’on retrouve à chaque fois. La collection, en revanche, peut proposer un regroupement d’ouvrages d’auteurs et de thèmes différents. 48. C. COMBET, Livres Hebdo, no 314, 20 novembre 1998, p. 49-60. 91 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Bayard, Hachette et Gallimard publient de nombreuses séries souvent achetées à l’étranger. Elles sont généralement d’origine anglo-saxonne – comme celles précédemment citées – et reprennent parfois des succès télévisuels comme Sabrina, la sorcière. C’est parce qu’ils possèdent les moyens techniques et financiers pour réussir à obtenir leur cession que ces trois éditeurs peuvent proposer des séries. La détermination du prix de vente La fixation du prix en édition jeunesse est un vrai dilemme. Les éditeurs essaient de relever le défi censé leur permettre d’atteindre le succès : proposer des livres de qualité, faisant preuve de création et d’innovation éditoriale (ceci implique des équipes éditoriales solides et des moyens techniques importants) à des prix peu élevés. Cependant, quand il s’agit de faire pencher la balance du côté de la créativité ou du prix, les éditeurs s’opposent. En 1994 Christian Gallimard, directeur de Calligram, soutenait que le marché du début des années 1990 n’avait que peu de place pour les ouvrages à plus de 50 francs49 – et nombreux sont les éditeurs dont très peu de titres dépassent effectivement ce seuil. Mais pour d’autres, la qualité prime avant tout et elle a un prix : ainsi, Le Seuil Jeunesse propose des ouvrages, souvent hors collection, de qualité et chers. Cependant, certains éditeurs (Gallimard, L’École des loisirs,…) proposent des collections à des prix accessibles : les Folio Juniors à 2 ou 3 euros depuis janvier 2002 pour Gallimard Jeunesse, les Lutins poche pour L’École des loisirs. Ce sont des ouvrages de poche, albums reproduits en poche en couleurs pour L’École des loisirs et courts textes sélectionnés pour les Folio Juniors dont le papier utilisé et l’impression restent de qualité. Le marketing face au marché spécifique des scolaires L’un des faits marquants de ces trente dernières années, c’est la reconnaissance et la demande de la littérature jeunesse dans les écoles. Le travail en direction du public scolaire est fondamental pour les éditeurs. En effet, on compte en France 3 000 bibliothèques et 36 000 écoles, et ce public représente un véritable enjeu. D’ailleurs, de plus en plus d’éditeurs mettent en place des stratégies de communication pour les écoles et en direction des enseignants. Flammarion en donne un exemple, avec ses opérations marketing importantes en direction de ce marché de prescription : • Entre janvier et mai, le service marketing envoie des mailings à plus de 90 000 professeurs et documentalistes de manière très régulière, composés d’un catalogue des titres, d’un spécimen gratuit, d’une offre spéciale et d’un guide de l’enseignant dans lequel est présenté un travail préparatoire 49. C. FERRAND, « Jeunesse 1994 : concilier qualité et petits prix », Livres Hebdo, no 138, 25 novembre 1994, p. 6976. 92 L’édition jeunesse sur l’ouvrage. Les professeurs sont ainsi incités à prescrire ces ouvrages, déjà commentés et étudiés, auprès des enfants. • Le mailing contient également l’offre spéciale faite aux enseignants d’un deuxième spécimen gratuit contre le remboursement des frais de port. Le taux de retour de ce mailing se situe autour de 4 à 5 %, un bon résultat qui montre le succès de ce type d’opération50. • En outre, le chef de produit travaille avec une déléguée pédagogique de façon ponctuelle. Elle se rend dans les écoles, les IUFM, les CNDP, pour présenter les ouvrages aux enseignants et rapporte aux éditeurs et aux chefs de produits leurs remarques et critiques. Les écoles et les bibliothèques sont un véritable relais auprès du public pour les éditeurs de livres et de presse : en témoigne l’importance accordée à ces remarques et les vastes opérations marketing mises en place par les éditeurs sur le terrain de la prescription enseignante. Présence à l’international L’international représente un double enjeu pour l’éditeur : premièrement, vendre ses titres à l’étranger afin d’augmenter son chiffre d’affaires, réaliser des économies d’échelle et occuper des parts de marché ; deuxièmement, acheter les titres étrangers les plus prometteurs. Les ventes à l’international peuvent soit être des cessions, soit des coéditions51. La fin des années 1990 est marquée par une internationalisation plus forte de l’édition jeunesse. Lors de la création en 1999 de Bayard-Gallimard, Fabrice Le Jean, alors directeur marketing d’Hachette Jeunesse, soulignait que le groupe comptait concurrencer le nouveau leader par un développement sur la scène internationale : « Nous nous étions principalement cantonnés à l’achat de licences ou de titres forts à l’étranger. Désormais, nous changeons de cap et nous sommes prêts à exporter certaines de nos gammes52. » C’est donc un double mouvement que l’on peut observer : l’international devient un véritable enjeu pour le développement et l’évolution des coûts de fabrication de l’édition jeunesse, et, parallèlement, l’édition jeunesse devient un élément des politiques internationales des groupes53. 50. En moyenne, le taux de retour d’un mailing se situe autour de 2 à 3 %. 51. Pour une cession, l’éditeur d’origine vend les droits de l’ouvrage à un éditeur étranger. Il autorise l’éditeur à traduire et à réimprimer l’ouvrage au sein d’un territoire déterminé. L’éditeur étranger reverse à l’éditeur d’origine des royalties, c’est-à-dire un certain pourcentage du prix de vente de l’ouvrage (de 5 à 8 % en général). Pour une coédition, l’éditeur d’origine vend des exemplaires finis (traduits et imprimés) à un éditeur étranger. Le prix de vente contient les droits. L’acheteur fixe le tirage de l’ouvrage désiré. Le système des coéditions permet à l’éditeur de percevoir immédiatement les droits des ouvrages imprimés et vendus. 52. V. CALON, « Édition jeunesse : Bayard-Gallimard prend le leadership », LSA, no 1652, 10 novembre 1999, p. 36-37. 53. Marie Lallouet, directrice éditoriale de Hachette Jeunesse Roman, estimait en 2001 que « longtemps intimiste, l’édition jeunesse devient un véritable enjeu économique international ». Voir V. CALON, « L’édition jeunesse fait sa révolution », LSA, no 1747, 29 novembre 2001, p. 34-35. 93 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Philippe Merlet de Nathan Jeunesse-Larousse Jeunesse insiste sur le rôle des filiales internationales : « Nous avons gagné des parts de marché dans le documentaire grâce à nos créations mais aussi grâce aux titres de notre filiale britannique Kingfisher, que nous avons adaptés. Nous devons nous appuyer sur les filiales internationales du groupe : le métier change54. » Gagner des parts de marché est un des objectifs des éditeurs et traduire des séries à succès, souvent d’origine anglo-saxonne, est un moyen de l’atteindre. L’augmentation des échanges est donc également due à l’importation de séries qui répondent à une réelle demande et rencontrent un succès certain : on pense à l’implantation de la série Chair de Poule chez Bayard par exemple. Depuis le succès d’Harry Potter et de Chair de Poule, les éditeurs essayent activement de découvrir et d’obtenir les droits des futurs succès étrangers, à l’instar du fonctionnement de la production adulte. D’où des enchères de plus en plus coûteuses en termes financiers (avaloirs) mais également en termes de marketing puisqu’il faut proposer un médiaplanning, prouver l’efficacité de son équipe de diffusion, etc. L’édition jeunesse se trouve donc face à un marché très concurrentiel en amont lors des achats de droits. La vente de coéditions à l’étranger est un moyen de favoriser des économies d’échelle en utilisant le principe des trains de réimpression55. De nombreuses collections à succès utilisent ce système : la collection Mes premières découvertes chez Gallimard Jeunesse est ainsi coéditée dans 24 pays. Mais la recherche de coédition avec l’étranger ou l’exploitation de filiale française à l’étranger ne sont pas les seuls enjeux de l’international. Des éditeurs étrangers tentent aussi de s’imposer sur le marché français. Ainsi la maison suisse allemande Nord-Sud, le britannique Usborne, l’anglais DorlingKindersley et le leader du livre jeunesse allemand Ravensburger implantent des filiales sur le territoire national pour publier directement en français. L’international n’est pas non plus qu’un enjeu économique, il témoigne également d’une nécessité éditoriale : l’augmentation des échanges permet de découvrir la production étrangère et d’inspirer les auteurs, comme les illustrateurs. Le marché international est également source de légitimation pour les auteurs. Dans les années 1960-1980, les nombreuses ventes à l’international légitimaient le marché anglo-saxon dans sa position de leader du marché56. Aujourd’hui, c’est 54. C. COMBET et L. SANTANTONIOS, « L’édition jeunesse en pleine crise de regroupement », art. cité. 55. Les services « fabrication » et « coédition » des éditeurs commandent tous les six mois environ la réimpression d’un certain nombre de titres en français et dans d’autres langues pour les coéditeurs. Grâce à cette commande commune, le nombre d’exemplaires à retirer est important. L’imprimeur réimprime tous les exemplaires en couleurs et fait, pour chaque langue, un passage en noir pour le texte. Ainsi, grâce à des économies d’échelle, le coût de fabrication est moindre et cela permet d’obtenir des prix plus faibles sans tirage minimum imposé. 56. Dans les années 1970-1980 le marché anglo-saxon était le plus novateur et le plus reconnu sur le marché de l’édition jeunesse. « L’étude de la production jeunesse en 2001 » faite par les élèves du mastère de l’ESCP-Asfored expliquent cette suprématie des Anglo-Saxons par trois raisons : – les Britanniques sont réputés être très bons en fiction, ce qu’illustre la réussite d’une J. K. Rowling ou d’un Philip Pullman ; 94 L’édition jeunesse un marché encore considéré comme porteur, mais ce n’est plus le seul. Les auteurs d’une étude sur la production jeunesse en 2001 estiment que « la production française est unanimement perçue comme de très grande qualité. […] Mais la France ne semble pas encore reconnue comme un acteur international de poids dans le secteur de l’édition jeunesse – bien que cela soit contesté par certains éditeurs57 ». En France, on peut discerner plusieurs types de stratégies face au marché international. Les groupes ou les grandes maisons – Hachette ou Gallimard par exemple – ont souvent une forte activité en termes d’achats, de cessions ou de coéditions. Des éditeurs, comme Pocket ou Bayard pour les maisons de tailles importantes, Kaleidoscope ou Magnard pour les plus petites, minimisent les investissements de création et préfèrent acheter des titres étrangers. D’autres, au contraire, comme Nathan, Didier ou Actes Sud, tentent de vendre leurs ouvrages à l’étranger et développent la cession de droits. Enfin, certains petits éditeurs n’ont qu’une faible activité à l’international. Faut-il alors conclure que nous nous orientons vers un marché international à plusieurs vitesses ? Avec les grands groupes qui pourront jouer dans la cour internationale, les éditeurs qui joueront à l’échelle européenne et qui devront travailler avec les éditeurs étrangers notamment anglais et allemands, et les plus petits qui devront se contenter du marché français ? Les canaux de distribution La question des canaux de distribution est importante pour la compréhension économique du secteur de l’édition jeunesse. Tous les éditeurs ne sont pas présents partout : un petit éditeur peut difficilement s’imposer comme un grand groupe et être diffusé dans tous les niveaux de librairie. En outre, le nombre de points de vente et leur qualité (compétence du libraire, choix d’ouvrages, fonds important…) varient considérablement d’une commune à l’autre58. À cela s’ajoute l’importance de la production de livres jeunesse face à un enjeu d’espace au sein des librairies : toute la production ne peut y être présentée et les libraires doivent faire des sélections rigoureuses. – les Britanniques ont une longue histoire de packageurs : ils investissent sur des projets lourds qu’ils rentabilisent avant leur réalisation en les vendant aux États-Unis, puis inondent le marché avec ces projets ; – enfin, les Anglo-Saxons ayant une culture de l’image très développée, la littérature jeunesse bénéficie chez eux d’une meilleure perception : elle est notamment mieux suivie et commentée par la presse. 57. Mastère spécialisé « Management dans l’édition » ESCP-Asfored avec le SNE, « Étude de la production dans l’édition jeunesse en 2001 », mai 2002, p. 27. 58. Ainsi, Isabelle Jan souligne : « Les disparités sautent aux yeux : le territoire est très inégalement couvert et les points de vente offrent un service du plus sophistiqué au plus nul. On peut ainsi opposer 25 000 points de vente avec facilité d’accès, proximité du domicile, rapidité de l’achat, et à l’opposé, 300 librairies qualifiées (dont les Fnac et les librairies “spécialisées jeunesse”), avec la rareté, l’éloignement, les difficultés d’accès, mais en revanche avec diversité, qualité, choix, conseils, efficacité du service. Du vendeur de presse qui ne connaît pas le marché du livre à l’agent culturel hautement qualifié, l’acheteur pourra parcourir toute la gamme des professionnels, mais très inégalement répartis. » Voir Isabelle JAN, Les livres pour la jeunesse, un enjeu pour l’avenir, Paris, Éd. du Sorbier, 1988. 95 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS La librairie généraliste ou spécialisée est le canal de distribution le plus utilisé et valorisé par les éditeurs jeunesse. Elle fait se rejoindre les deux enjeux de l’édition : éditorial et commercial. Elle est à le fois lieu de médiation et de rencontre entre le public et le livre, et lieu commercial, de vente et de promotion du livre en tant que produit industriel. Le premier niveau de librairie59 est toujours considéré comme le réseau de lancement et réalise de 50 à 80 % du chiffre d’affaires de la plupart des éditeurs jeunesse, pour une moyenne estimée à 65 %60. Les librairies générales S’il existe un réseau de librairies spécialisées jeunesse, le secteur jeunesse se développe de plus en plus dans les librairies générales, à tel point que Jean-Marie Ozanne, directeur de la librairie Folie d’Encre à Montreuil, affirme que certaines de celles-ci ont pris le relais des librairies spécialisées en quantité et en qualité61. Le développement de la production de titres jeunesse et des rayons jeunesse en librairies se sont faits conjointement, s’encourageant l’un l’autre et permettant aujourd’hui une véritable reconnaissance, au moins économique, de ce secteur. Les librairies spécialisées À l’instar de Chantelivre, librairie spécialisée jeunesse créée en 1974 par L’École des loisirs, de nombreuses librairies spécialisées pour la jeunesse se sont ouvertes dans les années 1970. À côté des bibliothèques, elles ont permis à l’édition jeunesse de se développer en offrant un véritable relais, et en permettant une meilleure visibilité de la production. Mais le développement de la présence de l’édition jeunesse en librairie générale a provoqué une raréfaction de la clientèle dans les librairies spécialisées. L’arrivée de la Fnac Junior sur ce créneau en 1997 n’a fait qu’accélérer le mouvement. Seules, les plus connues et souvent les plus grandes, celles qui offrent un choix réellement plus vaste qu’en librairie générale subsistent (Chantelivre propose plus de 18 000 titres). Les grandes surfaces spécialisées : l’exemple de la Fnac Junior La Fnac Junior est la grande surface spécialisée la plus visible sur ce créneau sur lequel se positionnent également Virgin, Éveil et Jeux, Toys’R Us, Apache, Nature et Découvertes, etc. Dans ces grandes surfaces spécialisées, les marges réalisées sont plus importantes sur les jouets que sur les livres, considérés comme produit d’appel : le fonds d’ouvrages est donc moins important que celui des librairies spécialisées. Lancée en 1997, la Fnac Junior développe un concept de magasins spécialement conçus pour les enfants de 0 à 12 ans. Situés en centre ville ou en centre com59. Les librairies de premier niveau ont vocation à recevoir, à présenter et à vendre l’essentiel de la production des éditeurs et vivent essentiellement, voire exclusivement, de la vente de livres. Entre 700 et 1 000 librairies environ sont considérées par les éditeurs comme de premier niveau. 60. Mastère spécialisé « Management dans l’édition », art. cité. 61. Intervention dans le cadre du DESS Gestion des institutions culturelles de l’université Dauphine, le 13 mars 2003. 96 L’édition jeunesse mercial, sur une surface moyenne de 250 m2, ces magasins proposent environ 8 000 références de jeux, jouets, livres, disques, vidéos et cédéroms à vocation ludo-éducative62. En 1998, il n’existait que deux Fnac juniors, l’ouverture d’une dizaine de magasins étant annoncée pour 1999. En novembre 2002, on comptait 23 magasins, dont 12 sur Paris et la région parisienne et 11 en province (Annecy, Bordeaux, Lille, Lyon, Nancy, Rouen, Strasbourg, Toulouse, Grenoble, Dijon). Ces chiffres montrent le réel succès de ce type de magasins et témoignent de l’existence d’un marché culturel de l’enfance en France. Les grandes surfaces non spécialisées Ce réseau de distribution représenterait 25 à 30 % de part de marché63. Même si tous les éditeurs essayent d’orienter leur vente vers la librairie traditionnelle qui offre un choix plus vaste de titres, les éditeurs ne délaissent pas pour autant la grande distribution qui leur offre un moyen d’augmenter leur chiffre d’affaires. Les conditions de référencement sont draconiennes, les éditeurs doivent répondre aux deux critères principaux des produits de grande consommation : le taux de rotation et le prix. Les négociations commerciales sont évidemment très difficiles et les éditeurs doivent notamment accepter d’accorder des remises importantes. À cela s’ajoute la volonté des hypermarchés de clarifier leur offre et d’organiser les linéaires. Tout ouvrage dont le format sort de la norme (trop grand, trop long, etc.) ne trouvera pas sa place dans ce réseau, ce qui est pourtant le cas de nombre d’albums. Les choix des grandes et moyennes surfaces s’orientent ainsi vers les séries et les best-sellers ainsi que les bandes dessinées. Elles imposent une « bestsellerisation » à outrance du livre jeunesse. Par ailleurs, ces grandes surfaces ne mettent pas en valeur le livre, comme le ferait un libraire et n’assurent pas le service de conseil et d’orientation de l’acheteur. Enfin, les éditeurs déplorent que ces réseaux entrent parfois en concurrence directe avec eux par la commercialisation sous leur nom de « one shot64 » achetés à des packagers65. 62. L’organisation d’une Fnac Junior se fait autour de 7 univers thématiques, chacun de ces univers reflétant la segmentation bidimensionnelle – par âge et par thème (activités manuelles, lecture, documentaires, distractif, parascolaire et multimédia) – que l’on retrouve dans le secteur culturel marchand de l’enfance : • Tout Petits propose aux 0-4 ans un très large assortiment de jeux d’éveil et de livres 1er âge ; • Faire et Créer rassemble tout ce qui touche aux arts plastiques, aux loisirs créatifs et à la musique ; • Imaginer, raconter regroupe les produits aidant les enfants de 3 à 8 ans à construire et à développer leur imagination ; • l’univers Découvrir, explorer invite les 6-12 ans à la découverte des sciences, de l’histoire-géographie, de la nature et des animaux ; • Se divertir propose livres de poche, bandes dessinées et une gamme de jeux de société particulièrement originale ; • l’univers Apprendre, comprendre propose des cahiers de vacances ou de soutien scolaire, mais aussi des jeux pour apprendre les couleurs, les chiffres ; • enfin, tous les cédéroms sont regroupés dans l’univers Multimédia. 63. Mastère spécialisé « Management dans l’édition », art. cité. 64. Traduction littérale : un coup. Ce sont des achats de titres qui sont imprimés une fois et dont le stock est vendu d’un coup. Ce ne sont pas des titres qui restent dans la durée et qui permettent d’entretenir un fonds. 65. Ces packagers sont souvent anglo-saxons comme Andromeda ou Dorling Kindersley. 97 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Les autres canaux de vente Les autres réseaux de distribution sont la vente par correspondance – les deux principaux clubs sont France Loisirs et Éveil et Jeux –, les ventes spéciales et ventes aux comités d’entreprise existent mais leur importance reste faible par rapport à celles des autres réseaux mentionnés précédemment66. Le système des abonnements dans les écoles L’exemple de L’École des loisirs L’École des loisirs a su faire preuve d’originalité et de réflexion commerciale en mettant en place un système de vente par correspondance directement auprès des enfants appelé « kilimax ». Des abonnements sont proposés aux élèves et aux instituteurs par l’intermédiaire d’animatrices basées en région et rémunérées par L’École des loisirs. Des abonnements existent pour chaque tranche d’âge et proposent une dizaine d’ouvrages brochés, que l’enfant reçoit régulièrement mois après mois au cours de toute l’année scolaire pour un prix accessible. L’École des loisirs peut se permettre de proposer ces ouvrages à des prix compétitifs pour deux raisons : d’une part le coût de fabrication d’un album broché est bien inférieur à celui d’un album cartonné, et d’autre part les abonnements, étant tous commandés en début d’année, permettent de réaliser des tirages importants et donc d’avoir un pouvoir de négociation plus fort auprès des imprimeurs. Pour Jean Delas, directeur de L’École des loisirs, ce système, outil de démocratisation de la lecture, permet à l’enfant d’être en contact avec le livre quelle que soit sa situation géographique et sociologique, en passant par le biais de l’école. En conclusion, le secteur de l’édition jeunesse est un domaine en pleine expansion économique, générée principalement par des titres à succès qui atteignent des chiffres de vente encore jamais vu dans ce secteur. Mais la réalité est plus disparate : le marché est à la fois très concentré – peu d’acteurs réalisent la majorité du chiffre d’affaires – et pourtant caractérisé par la présence de nombreux moyens et petits éditeurs. La concurrence se fait toujours plus vive, que ce soit en termes de production, de marketing, de commercialisation, ou même de choix éditoriaux, en France et à l’international. Pour autant, l’édition pour la jeunesse se divise-t-elle en un marché à deux vitesses. D’un côté une « production de masse » vendue partout à des prix accessibles, de l’autre une « production élitaire » vendue par des libraires qui acceptent de consacrer une partie de leur espace et de leur trésorerie pour proposer ces ouvrages à leur public. 66. Chronique non signée, « Toys’R Us crée des espaces-librairies », Livres Hebdo, no 138, 25 novembre 1994, p. 78. 98 CHAPITRE II La presse jeunesse Le marché La presse jeunesse, qui s’adresse spécifiquement au public des moins de 15 ans, englobe la presse des enfants et la presse des adolescents. Au sein de la presse grand public1 qui a atteint en 2001 un chiffre de diffusion supérieur à 1,9 milliard d’exemplaires, la catégorie « Presse des enfants, de la bande dessinée et des illustrés » a été diffusée à 40,4 millions d’exemplaires, et la « Presse des adolescents, de l’enseignement et de la pédagogie » a été diffusée, elle, à 24,6 millions d’exemplaires soit au total environ 65 millions d’exemplaires (3,5 % de l’ensemble de la presse grand public2). La faiblesse du poids de la presse destinée aux jeunes par rapport au marché de la presse grand public tient à une différence de nature : il s’agit principalement d’une presse mensuelle alors que la presse grand public est plutôt hebdomadaire. Dans les enquêtes menées par la DDM3, la catégorie « presse des jeunes » est divisée en quatre sous-catégories – presse des enfants, des adolescents, des lycéens et étudiants, et presse « jeux-éveil » –, parmi lesquelles nous ne retiendrons pas la presse des lycéens et étudiants qui est hors du périmètre défini pour ce document4. 1. Ici, uniquement les magazines ont été pris en compte, à l’exclusion des quotidiens, pour une comparaison pertinente avec la presse jeunesse qui ne compte que très peu de quotidiens. 2. Source : Office de justification de la diffusion (OJD). 3. La Direction du développement des médias (DDM, ex-SJTIC) fournit des statistiques concernant la presse, notamment la presse des enfants, la presse des adolescents et la presse Jeux et éveil. La DDM organise une enquête annuelle obligatoire qui figure au programme national de statistique publique. Elle porte sur les titres de la presse éditeur et les sociétés qui les éditent. Pour faire partie du champ de l’enquête, un titre doit satisfaire à certains critères comme l’appartenance syndicale, la vocation commerciale, la périodicité de la publication, le mode de diffusion. Les résultats de ces enquêtes sont disponibles depuis 1982, ce qui permet de suivre l’évolution de ce secteur. 4. Il existait auparavant une catégorie « Bande dessinée » avec une sous-catégorie « Enfants, adolescents », qui a été supprimée de l’enquête en 1993. Elle regroupait notamment les « illustrés » dont le déclin dans les années 1970-1980 a affecté la sous-catégorie « Bandes dessinées, enfants et adolescents », avec la disparition de titres tels que Pilote ou le Nouveau Pif. Les titres restants – Le Journal de Mickey par exemple – sont ventilés dans la catégorie « Presse des jeunes ». Aussi, ne disposant pas de séries de données homogènes, la catégorie « Bande dessinée » n’est pas prise en compte ici. 99 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Quelques exemples de titres retenus (selon la nomenclature de la Direction du développement des médias) La nomenclature de l’enquête retenue ici est celle en vigueur pour l’année 2000 : en effet, l’usage de la nomenclature évolue et à ce titre, des titres apparaissent et disparaissent mais également changent de catégorie. Ainsi, en 1998, le titre Bambi figurait dans la catégorie « enfant » et en 2000 dans la catégorie « Éveil et Jeux » ; à l’inverse, le titre Mickey Jeux figurait dans la catégorie « Éveil et Jeux » pour passer dans la catégorie « Enfant » en 2000. • Presse des enfants (presse éducative et distractive des Tout petits aux Juniors) : Abricot, Astrapi, Babar, Les Belles Histoires, Les clés de l’actualité junior, Images Doc, J’aime lire, Le Journal de Mickey, Julie, Moi je lis, Picsou Magazine, Pomme d’Api, Science et Vie Découverte, Toboggan, Wapiti, etc. • Presse des adolescents (quelques titres de presse éducative et de nombreux titres de presse sur les stars ou clairement positionnés ado/jeunes adultes) : Les clés de l’actualité, Fan de, Girls, Grain de Soleil, Je bouquine, Jeune et jolie, Miss, Star Club, OK Podium, etc. • Presse Jeux et éveil (presse éducative et distractive des Tout petits aux Juniors) : Bambi, Atelier magazine, Mon journal Arc-en-ciel, Papoum, Picoti, Winnie jeux, etc. Une production importante, reflet du dynamisme éditorial Le nombre de titres de la presse jeunesse a été multiplié par quatre entre 1982 et 1998, avec 119 titres en 1998 contre 29 en 1982, ce qui montre son dynamisme éditorial. Cependant, il convient de souligner qu’il n’existait pas uniquement 29 titres de presse jeunesse en 1982. En effet, la catégorie « Bandes dessinées, enfants et adolescents » comptabilisait à cette date 134 titres dont une partie était des titres pour la jeunesse. Ce sont les fameux « illustrés » dont le déclin s’est amorcé dans les années 1970 et qui témoignent d’une époque où la presse destinée à la jeunesse répondait à d’autres canons. Ici, ce sont donc les titres de presse de jeunesse « nouvelle génération » (les titres éducatifs ou/et distractifs apparus à partir des années 1970) qui sont pris en compte. La période 1982-1992 est marquée par une forte croissance des titres de presse jeunesse, notamment sous l’effet de la création de nouveaux titres de presse éducative (Milan est créé en 1980). Ce phénomène témoigne de l’importance du créneau que représente la presse pour la jeunesse et en particulier la presse dite éducative. En 1993, 18 nouveaux titres figurent dans la catégorie, qui proviennent à la fois de la catégorie « Bandes dessinées, enfants et adolescents » et de nouvelles créations. Les années 1990 continuent d’être marquées par cette augmentation du nombre de titres, ce qui montre l’attrait toujours vif de ce créneau pour les éditeurs de presse. En 1998, la presse jeunesse était principalement mensuelle : elle comptait 75 mensuels et, à côté d’eux, 3 quotidiens, 6 hebdomadaires et 35 trimestriels. 100 La presse jeunesse Tableau 38 – Évolution du nombre de titres de presse jeunesse (1982-2000) Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil Non ventilés Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil Non ventilés 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 29 17 10 20 9 8 23 9 11 27 13 11 31 16 12 2 3 3 3 3 33 18 11 3 1 43 20 11 6 6 56 29 12 7 8 56 29 12 10 5 65 32 15 8 10 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 70 34 20 7 9 89 47 21 11 10 88 42 21 14 11 86 42 20 14 10 94 42 28 15 9 104 46 31 18 9 119 58 33 19 9 132 61 35 21 15 138 65 38 21 14 Source : SJTI/Dep. Le choix de la périodicité mensuelle par les éditeurs s’explique, le plus souvent, pour des raisons économiques. Une parution hebdomadaire, c’est huit numéros sans recettes contre deux pour un mensuel lors du lancement. Par ailleurs, les investissements engagés pour réussir ce lancement imposent un prix de vente au numéro élevé. À titre de comparaison : une illustration vaut en moyenne trois fois le prix d’un article5. Les avantages économiques de la parution mensuelle sont donc certains et, le mimétisme étant très fort dans ce milieu, plus des deux tiers des titres de la presse jeunesse sont des mensuels. En conséquence, si un éditeur cherche à se différencier, il proposera un hebdomadaire. Tableau 39 – Répartition des titres de presse selon la périodicité (1982-1998) Quotidiens Hebdomadaires Mensuels Trimestriels Quotidiens Hebdomadaires Mensuels Trimestriels 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 29 20 23 27 31 33 43 56 56 5 19 5 4 13 3 4 16 3 4 20 3 4 24 3 3 27 3 3 30 10 4 41 11 5 42 9 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 Évolution 1982/1998 65 70 89 88 5 44 16 5 49 16 7 56 26 5 57 26 86 1 6 56 23 94 1 6 58 29 104 1 7 63 33 119 3 6 75 35 + 90 +3 +1 + 56 + 30 Source : SJTI/Dep. 5. Alain FOURMENT, Histoire de la presse des jeunes et des journaux d’enfants (1768-1988), Paris, Éd. Éole, coll. « La mémoire des Marbres », 1988. 101 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Un chiffre d’affaires en augmentation En 2000, le chiffre d’affaires de la presse jeunesse, qui croît régulièrement depuis le début des années 1980, atteignait 234 millions d’euros environ6, soit légèrement plus que dans l’édition de livres jeunesse. Tableau 40 – Évolution du chiffre d’affaires et répartition ventes/publicité (1982-2000) en milliers d’euros 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 Chiffre d’affaires 48 906 53 837 63 173 58 623 90 007 76 514 77 566 122 960 134 336 136 777 Recettes des ventes 44 114 50 592 58 672 55 796 83 506 68 885 70 564 107 392 125 759 128 335 Recettes de publicité 4 792 3 245 4 501 2 827 6 501 7 629 7 002 15 568 8 577 8 442 % des recettes 9,8 6,0 7,1 4,8 7,2 10,0 9,0 12,7 6,4 6,2 de publicité/CA 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 Chiffre d’affaires 148 219 185 509 174 151 177 438 194 706 217 896 213 504 223 787 233 976 Recettes des ventes 138 464 176 532 164 640 167 369 180 089 200 483 199 434 206 888 215 682 Recettes de publicité 9 755 8 977 9 511 10 069 14 617 17 413 14 070 16 899 18 294 % des recettes 6,6 4,8 5,5 5,7 7,5 8,0 6,6 7,6 7,8 de publicité/CA Pour lire ce tableau : l’année 1993 est marquée par une forte augmentation du CA (185 millions d’euros en 1993 contre 148 en 1992) due à la ventilation des titres de la catégorie « Bandes dessinées, enfants et adolescents ». Source : SJTI/Dep. Dans ce chiffre d’affaires qui provient des ventes et des recettes de publicité, la part des recettes de publicité reste très faible (moins de 8 % en 2000), à la différence du reste de la presse. Une diffusion en progression La diffusion, qui augmente de manière constante mais modérée depuis le début des années 1980, évolue moins rapidement que le chiffre d’affaires, malgré la progression du nombre de titres. C’est donc grâce à une augmentation des prix de vente unitaires moyens que le chiffre d’affaires progresse. Les nouveautés sont en effet proposées à des prix élevés. La diffusion de la presse des enfants se fait principalement par abonnement (en 2000, ils représentent 65 % des ventes totales). En revanche, en ce qui concerne la presse des adolescents, la diffusion se modifie au profit de la vente par abonnement et au détriment de la vente au numéro : en 1985, seulement 7 % des ventes de cette presse étaient diffusées par abonnement, alors qu’elles représentent 51 % en 20007. 6. Chiffres donnés en milliers d’euros courants. 7. Soulignons que le prix de vente au numéro est plus élevé que le prix de vente par abonnement, ce qui explique que la répartition abonnement/vente au numéro ne soit pas exactement la même que pour la diffusion. 102 La presse jeunesse Tableau 41 – Tirage de la presse jeunesse et diffusion selon le mode (vente par abonnement, au numéro et invendus) entre 1981 et 2000 Diffusion Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil Tirage Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil 1981 1982 1983 45 253 49 067 54 466 17 925 20 046 20 226 27 328 29 021 34 240 57 280 62 657 66 694 20 843 23 963 22 226 36 437 38 694 44 468 1984 1985 1986 1987 1988 57 475 51 631 57 347 50 239 51 963 20 567 19 688 22 178 23 757 25 807 36 908 31 943 35 169 25 619 25 012 863 1 144 72 850 66 886 72 811 67 507 68 790 23 640 23 720 27 723 31 200 33 140 49 210 43 166 45 088 34 643 33 647 1 664 2 003 en milliers d’unités 1989 53 845 29 145 22 675 2 025 76 751 40 234 32 649 3 868 1990 58 662 32 006 23 469 3 187 88 681 46 462 35 388 6 831 Vente au numéro (% du tirage) Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil 25 72 22 72 22 71 20 69 22 68 25 71 25 67 50 25 67 56 27 60 51 30 53 38 65 5 63 5 58 5 53 6 50 6 2 51 7 1 42 8 1 38 11 8 Vente par abonnement (% du tirage) Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil 60 3 67 3 Vente par abonnement (% des ventes) Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil 71 4 75 4 75 7 76 7 73 7 68 8 67 8 4 67 9 2 61 12 2 56 17 17 14 25 8 25 9 23 13 25 17 26 20 22 24 26 48 22 26 43 28 31 48 31 34 53 1991 57 110 29 955 24 565 2 590 83 769 44 106 34 872 4 791 1992 88 007 37 581 45 878 4 548 88 007 37 581 45 878 4 548 1996 93 281 50 682 40 190 2 409 124 846 68 041 52 636 4 169 1997 102 701 51 792 48 493 2 416 141 472 71 106 65 882 4 484 1998 100 547 57 391 40 324 2 832 136 568 75 305 56 168 5 095 Services gratuits (n.s.) Invendus (% du tirage) Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil Diffusion Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil Tirage Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil 1993 1994 1995 87 508 81 457 85 220 54 235 49 237 47 010 31 079 29 585 35 592 2 194 2 635 2 618 119 534 110 535 112 323 73 503 64 365 62 045 42 412 42 057 45 921 3 619 4 113 4 357 1999 2000 105 808 107 841 62 130 65 293 40 103 38 525 3 575 4 023 141 517 145 797 82 377 87 958 52 888 50 921 6 252 6 918 Vente au numéro (% du tirage) Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil 26 60 44 26 54 44 41 58 38 37 56 48 37 45 48 36 38 46 31 40 42 29 33 42 26 33 36 25 35 35 31 14 21 37 13 15 36 31 11 37 36 10 39 32 10 46 36 12 47 39 18 47 37 21 Vente par abonnement (% du tirage) Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil 39 9 10 45 8 10 Vente par abonnement (% des ventes) Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil 60 13 19 63 13 19 43 19 36 50 19 24 49 41 19 51 49 18 56 44 19 61 52 22 64 54 33 65 51 38 32 30 46 26 36 45 26 27 39 24 30 36 24 22 40 26 24 42 27 26 46 24 28 44 25 24 43 26 24 42 Services gratuits (n.s.) Invendus (% du tirage) Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil Source : SJTI/Dep 103 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Des tirages en diminution Après une progression au cours des années 1980, le tirage moyen a tendance à diminuer. L’offre en nombre de titres est plus importante – le tirage total annuel d’ailleurs augmente de façon constante sur la période étudiée – mais chaque titre est diffusé en moins d’exemplaires. La presse « Éveil et Jeux » en est l’exemple le plus frappant avec une diminution de moitié du tirage moyen entre 1987 et 2000. Ce phénomène se retrouve également dans la presse des adolescents dont le tirage moyen diminue de près d’un tiers entre 1981 et 2000, en subissant des fluctuations significatives d’une année sur l’autre au cours de la période. En revanche, pour la presse pour enfants, le tirage moyen est identique au début et à la fin de la période, malgré quelques variations au cours de celle-ci, et après une forte augmentation au milieu des années 1980 (137 milliers d’exemplaires en 1984). Tableau 42 – Évolution du tirage moyen de la presse jeunesse, par titre au numéro (1981-2000) en milliers d’unités Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil Presse des enfants Presse des adolescents Presse Jeux et éveil 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 84 134 81 119 127 119 137 173 120 146 115 143 116 142 98 113 142 80 106 130 86 98 136 91 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 90 123 69 84 136 71 97 123 63 100 143 48 95 133 55 97 104 55 93 131 49 87 106 46 88 95 43 86 91 45 Source : SJTI/Dep. Comme pour l’édition jeunesse, le ratio ventes/tirage avoisine les 70 %, le nombre total d’exemplaires tirés n’étant jamais entièrement diffusé. La presse jeunesse se trouve face à un phénomène de surproduction, ce qui crée des stocks d’invendus importants. Ce phénomène est problématique (plus en presse qu’en édition) car la nature éphémère du produit « presse » fait qu’il a moins de chance de s’écouler une fois passé le moment de sa mise sur le marché. Comment analyser cette stratégie de la part des éditeurs de presse ? une volonté de surproduction pour inonder le marché ? un fonctionnement normal dans un modèle de « flux » ? ou bien encore, est-ce « la rançon d’un dynamisme éditorial qui, en multipliant le nombre de titres, trouve plus difficilement sa place sur le marché8 » ? 8. « Dix ans de statistiques presse 1982-1992 », La Documentation française, Paris, SJTI, Ministère de la communication, 1995. 104 La presse jeunesse Un prix de vente élevé Le marché de la presse jeunesse est très concurrentiel. Le prix est soumis à des contraintes très fortes en raison des coûts de fabrication (papier, impression) et de création particulièrement lourds alors que les recettes publicitaires sont faibles. D’où un prix de vente élevé qui se situe dans une fourchette de 3 à 5 euros. Pourtant, certains éditeurs proposent des prix plus faibles ou réussissent à les baisser afin de toucher d’autres publics. C’est pour eux un véritable objectif de « démocratisation », même s’ils n’oublient pas l’aspect commercial dans leur réflexion. Différents niveaux de qualité et de prix se retrouvent sur le marché : ainsi, Disney Hachette Presse propose Le Journal de Mickey à 1,5 euro et le reste de ses titres entre 3 et 3,8 euros ; d’autres se positionnent encore plus « haut de gamme » avec des prix allant de 4 à 5,5 euros en moyenne9. La question du prix est également liée à la question de l’abonnement. En effet, afin de gagner un nouvel abonné ou de fidéliser un lecteur, les éditeurs mettent en place des politiques tarifaires avantageuses, consistant par exemple à offrir une réduction allant jusqu’à 20 %, à laquelle s’ajoute un cadeau. Les acteurs En 2001, sept éditeurs de presse pour la jeunesse sont retenus par l’enquête ConsoJunior : Bayard Presse, Milan Presse10, Disney Hachette Presse, Fleurus Presse, Play Bac, Excelsior, Edi Presse. Cette sélection ne reflète que partiellement la réalité du marché car d’autres acteurs plus petits en font également partie. Le marché est dominé par un noyau de quatre groupes puissants – Hachette Filipacchi Médias, groupe à dimension internationale –, et trois groupes français de taille moyenne – Fleurus, Bayard et Milan –, autour desquels existent des éditeurs indépendants et des titres issus de mouvements associatifs. Comme le montre le tableau 43 qui présente l’offre du paysage éditorial de la presse jeunesse française11, Bayard Presse (17 titres) et Milan (16 titres) dominent par leur poids éditorial. Ce tableau permet d’avoir une vision globale de la segmentation du marché par âge et par thème. À partir du tableau 43, qui présente pour chaque titre sa diffusion et son audience par tranche d’âge et par nombre total de lecteurs, il est intéressant de comparer pour chaque titre audience par tranche d’âge/tranche d’âge à laquelle il est 9. Nous reprenons ici les chiffres proposés dans La presse des jeunes de Jean-Marie CHARON, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2002, p. 85. 10. Ces deux premiers éditeurs se sont rapprochés récemment, Bayard ayant racheté Milan fin 2003. Néanmoins, dans ce document, ces deux maisons sont traitées séparément. 11. Ce tableau se veut le plus exhaustif possible. Les éditeurs les plus significatifs ont été étudiés, mais il est certain que tous les titres existants sur ce marché n’ont pu être analysés. Pour chaque éditeur présenté, l’ensemble de sa production a été analysée, mais quelques titres peuvent avoir été oubliés car c’est un marché où l’offre évolue très vite. 105 106 Picoti*, a, 1989 Toupie*, a, 1985 Histoires pour les petits*, a, s. d. Petites mains*, b, 1998 Wakou*, a, 1989 Toboclic*, a, s. d. Toboggan*, a, 1980 J’apprends à lire*, a, s. d. Mobiclic*, a, s. d. Moi je lis*, a, 1987 Wapiti*, a, 1987 Julie*, a, 1998 Clés de l’actualité junior*, c, 1995 Toutàlire*, a, 2002 Lolie*, a, 2001 Clés de l’actualité*, c, 1992 Milan Popi*, a, 1986 Pomme d’Api*, a, 1966 Les premières histoires de Popi*, a, 1998 Les belles histoires*, a, 1972 Babar*, a, 1991 Youpi*, a, 1988 Astrapi*, a, 1978 Mes premiers J’Aime lire*, a, 1993 J’Aime lire*, a, 1977 Pomme d’Api soleil*, a, 1989 Grain de soleil*, a, 1988 D Lire*, a, 2001 Images Doc*, a, 1989 Okapi*, a, 1971 Je bouquine*, a, 1984 I Love English junior*, a, 1995 I Love English*, a, 1987 Bayard Presse Jeunesse Éditeur, titre, date de création Tout petits : de 9 mois à 3 ans Petite enfance : de 3 à 5 ans Petite enfance : de 3 à 5 ans Petite enfance : de 3 à 6 ans Petite enfance/Benjamin : de 3 à 7 ans Petite enfance/Benjamin : de 4 à 7 ans Benjamin : de 5 à 7 ans Benjamin : de 6 à 8 ans Cadet/Junior : de 7 à 12 ans Cadet : de 7 à 9 ans Cadet/Junior : de 7 à 13 ans Junior : de 8 à 12 ans Junior : de 8 à 12 ans Junior : de 9 à 14 ans Ado : de 13 à 16 ans Ado : de 13 à 18 ans Tout petits : de 1 à 3 ans Petite enfance : de 3 à 7 ans Petite enfance : de 2 à 4 ans Petite enfance/Benjamin : de 3 à 7 ans Petite enfance/Benjamin : de 3 à 7 ans Benjamin : de 5 à 8 ans Cadet : de 7 à 11 ans Benjamin : de 6 à 7 ans Cadet : de 7 à 10 ans Petite enfance/Benjamin : de 3 à 7 ans Cadet/Junior : de 8 à 12 ans Junior : de 9 à 13 ans Cadet/Junior : de 7 à 12 ans Junior/ado : de 10 à 15 ans Junior/ado : de 10 à 15 ans Junior : de 9 à 11 ans Ado : de 12 à 15 ans Tranche d’âge (positionnement éditeur) Généraliste Généraliste Lecture Éveil Nature Multimédia Généraliste Lecture Multimédia Lecture Nature Fille Actualité Lecture Fille Actualité Généraliste Généraliste Lecture Lecture Généraliste Éveil Généraliste Lecture Lecture Religion Religion Lecture Documentaire Généraliste Lecture Apprentissage d’une langue Apprentissage d’une langue Thématique Tableau 43 – Offre de la presse jeunesse en France dans les années 2000 11,0 9,5 4,0 7,0 – – – 42 709 60 468 98 425 49 361 80 680 55 860 – – 69 826 46 242 12,5 6,5 8,0 3,5 – – 7,5 – – 52 798 32,5 19,5 – 8,0 11,0 6,5 5,5 – 6,0 – – – – – 7,5 13,0 11,5 17,0 7,5 4,0 16,5 9,5 – – 16,0 22,5 6,5 9,0 10,5 5,0 – – – – – 5,5 8,0 15,5 12,0 – 19,5 – – 5,0 – – – % des % des % des 2-7 ans 8-10 ans 11-14 ans qui lisent qui lisent qui lisent ce journal ce journal ce journal 481 000 487 000 882 000 493 000 333 000 456 000 519 000 304 000 679 000 392 000 305 000 727 000 822 000 652 000 194 000 2 255 000 479 000 715 000 671 000 785 000 652 000 917 000 En nombre total de lecteurs Audience (ConsoJunior 2001) Taux de pénétration auprès des lecteurs 55 552 59 779 66 000 132 522 25 0001 55 289 52 233 49 503 62 924 70 0001 175 126 35 0001 30 0001 60 0001 78 690 58 396 42 226 33 0001 28 391 Diffusion France payée (OJD 2001-2002) LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS 107 Fan de***, a, 1997 Adolescent Adolescent – Rythme de parution : Benjamin : de 5 à 7 ans Cadet/Junior : de 7 à 10 ans Junior : de 10 à15 ans Ado : à partir de 14 ans Adolescent Adolescent Adolescent Junior : de 8 à 12 ans Adolescent Star Fille Bande dessinée Actualité Actualité Actualité Actualité Fille Star Star Documentaire Documentaire Généraliste Généraliste Généraliste Généraliste Généraliste Généraliste Généraliste Fille Jeux Jeux Jeux Jeux Généraliste Éveil Lecture Lecture Lecture Fille Actualité Religion – – – – – – 93 372 128 783 344 868 – – 6,5 7,5 – – – 8,5 6,0 – 8,5 19,5 11,0 – – – – 5,5 5,5 12,0 19,5 12,0 6,5 19,0 12,5 1. Source éditeur. – – – – – – – – – – – – 10,0 8,0 – 206 679 115 558 67 697 152 612 – 9,0 7,50 15,0 15,0 14,5 7,0 6,5 5,0 4,0 – – 82 614 161 466 142 824 49 187 94 816 43 226 37 780 32 233 43 367 48 245 OJD (2000-2001) 70 326 a mensuel, b bimestriel, c hebdomadaire, d trimestriel, e quotidien. Tout petits : de 18 mois à 4 ans Petite enfance/Benjamin : de 3 à 7 ans Benjamin : de 5 à 8 ans Junior : de 8 à 13 ans Junior : de 9 à 13 ans Junior : de 8 à 13 ans Junior : de 8 à 13 ans Junior : de 8 à 13 ans Tous âges Tous âges Tous âges Tous âges Petite enfance : de 2 à 5 ans Tout petits : 6 mois et plus Benjamin : de 6 à 8 ans Petite enfance/Benjamin : de 3 à 7 ans Junior : de 8 à 12 ans Junior : de 8 à 12 ans Adolescent : de 11 à 15 ans Benjamin : de 4 à 7 ans Créneau : * éducatif, **distractif/éducatif, ***distractif. ? Girls***, a, 1992 Bauer Spirou***, c, s. d. Autres (rubrique non exhaustive) Dupuis Quoti*, e, 2001 Le petit quotidien*, e, 1998 Mon quotidien*, e, 1995 L’actu*, e, 1998 Play Bac Miss**, a, 1991 Salut**, a, 1976 Star club**, a, 1987 Edi-Presse Science et vie découvertes*, a, 1999 Science et vie junior*, a, 1989 Excelsior Bambi**, a, 1989 Winnie**, a, 1985 Winnie lecture*, a, 2002 Journal de Mickey***, c, 1934 Picsou magazine***, a, 1971 Kid Paddle***, a, 2002 Witch magazine***, a, s. d. Minnie magazine**, a, 1996 Winnie jeux***, d, 1990 Mickey jeux***, d, 1983 Super Picsou géant***, d, s. d. Mickey parade***, a, s. d. Disney Hachette Presse Abricot*, a, 1987 Papoum*, a, 1995 Je lis déjà*, a, 1988 Mille et une histoires*, a, s. d. Je lis des histoires vraies*, a, 1992 P’tites sorcières*, a, 1999 Hebdo des juniors*, c, 1993 Mon journal arc-en-ciel*, b, 1993 Fleurus 15,0 13,5 12,0 8,5 10,5 6,0 9,0 13,5 15,5 9,0 14,5 12,0 21,0 13,50 6,5 18,5 17,0 – – – – – – 5,0 – 6,5 Source : SJTI/Dep. 823 000 886 000 778 000 742 000 698 000 366 000 530 000 795 000 906 000 629 000 932 000 786 000 1 849 000 1 250 000 472 000 1 688 000 1 383 000 604 000 609 000 597 000 296 000 632 000 277 000 504 000 308 000 409 000 La presse jeunesse LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS destiné. Ainsi, J’aime lire (Bayard Presse), qui s’adresse au 7-10 ans, obtient également un taux de pénétration très bon chez les 2-7 ans (19,5 %) et chez les 11-14 ans (19,5 %12). Les stratégies Positionnement éditorial : entre distraire et éduquer Dans la presse jeunesse, globalement divisée en deux secteurs – éducatif et distractif13 –, chaque éditeur a un positionnement éditorial assez marqué, souvent lié à son histoire. La presse éducative peut être définie comme : « La démarche éditoriale qui prétend jouer un rôle actif dans l’évolution psychologique et intellectuelle, l’éveil, la découverte des autres et de l’environnement, l’acquisition de connaissances par le jeune lecteur. Au cœur de celle-ci figure la question particulièrement sensible de l’apprentissage, de la maîtrise et de l’acquisition du goût de la lecture14. » Du côté éducatif, les trois éditeurs les plus actifs sont Bayard, Fleurus et Milan, mais leurs histoires respectives les positionnent sur des créneaux légèrement différents, Bayard et Fleurus étant des éditeurs catholiques, alors que Milan s’est affirmé comme laïc dès sa création. Quant à Excelsior, éditeur de Science et Vie, il affirme une orientation plutôt scientifique. La presse distractive est : « l’héritière des illustrés. Elle est un peu la spécialité de Disney Hachette Presse, au côté duquel se retrouvent également des éditeurs exclusivement centrés sur les bandes dessinées, comme Semic Tournon ou Panini. En réalité, il n’est pas exagéré de considérer que cohabitent dans cette catégorie de publications deux approches assez différentes, la première se rapprochant souvent de la presse éducative, alors que la seconde reste davantage située dans l’univers des comics. […] Elle a pour principale ambition de constituer un support agréable pour le jeu et les loisirs des enfants15 ». Disney Hachette Presse se positionne clairement sur le créneau de la presse distractive en laissant une large place à la bande dessinée, mais avec quelques encarts d’informations ou d’idées de jeux. Le succès du Journal de Mickey et des titres de presse distractive de Disney semble s’essouffler. Avec des titres comme Winnie, P’tit Loup, Minnie, Disney Hachette Presse réalise une forme de syn12. Nombre d’exemplaires diffusés et nombre réel de lecteurs sont deux choses différentes : chaque titre acheté est lu par plusieurs autres personnes que l’acheteur (membres de la famille, amis, diffusions dans les lieux publics, etc.). À cet égard, les disparités sont grandes : Picoti (Milan) diffusé à environ 55 000 exemplaires, touche plus de 12 fois plus de lecteurs (environ 680 000), alors que Miss (Edi-Presse) diffusé à 94 000 exemplaires, est lu par 530 000 personnes (moins de 6 fois plus). 13. Pour reprendre les termes de Bernard Pieuchot, chargé d’études recherche et développement marketing chez Bayard. 14. J.-M. CHARON, La presse des jeunes, op. cit., p. 37. 15. Ibid. 108 La presse jeunesse thèse entre la démarche distractive et la démarche éducative. Afin d’accroître ses parts de marché, cette même maison publie des produits concurrentiels qui peuvent se révéler « cannibalisants » : ainsi, il propose deux titres positionnés sur le même créneau, Le journal de Mickey et Picsou Magazine. Le véritable enjeu de la fidélisation du lectorat Le marché de la jeunesse est subdivisé en sous-marchés correspondant à des tranches d’âge plus fines. « Un tel découpage conduit à situer chaque titre sur un marché maximum de 2,5 à 3 millions de personnes. Soit des possibilités de diffusion diminuées d’autant pour chaque titre16. » De plus, les goûts et les centres d’intérêt des enfants évoluant rapidement avec l’âge, c’est donc un lectorat très volatil. Selon César Roldan, du groupe Milan Presse, « un titre en presse jeune perd chaque année 70 % de ses lecteurs qui grandissent et se tournent vers d’autres sujets17 ». Même si ce chiffre est exagéré – Jean-Marie Charon l’estime plutôt au quart ou au tiers des lecteurs18 –, il n’en reste pas moins qu’il est fondamental pour un éditeur d’essayer de conserver ses lecteurs d’un titre à l’autre. Pour cela plusieurs stratégies sont mises en place. Le chaînage La presse de jeunesse propose des titres spécifiques pour chaque tranche d’âge. Ce procédé, c’est ce qu’on appelle le « chaînage19 », chaque société d’édition de presse proposant un ou plusieurs titres par tranche d’âge déterminée. Ce procédé répond à la fois à une stratégie éditoriale – suivre le développement de l’enfant et lui proposer un périodique adapté – et à une stratégie commerciale – fidéliser son lectorat. L’apparition d’une segmentation par âge n’est pas une nouveauté. Elle date des années 1960. Aujourd’hui, les différentes catégories d’âge se déclinent comme dans le secteur de l’édition de livres : les petits (2-6 ans), les enfants (7-11 ans), les préadolescents (12-14 ans) et les adolescents. Historiquement, Fleurus a été le premier à mettre en place cette stratégie avec ses hebdomadaires, lorsqu’en 1956, il a lancé Perlin et Pinpin, titre qui ciblait non plus tous les jeunes mais les enfants de moins de 8 ans. Imité par la suite, Bayard Presse est le premier à s’engager dans une véritable stratégie de « chaînage », avec Pomme d’Api ciblant les 3-7 ans, créé en 1966, Okapi (10-15 ans) 16. J.-M. CHARON, La presse des jeunes, op. cit. 17. « La presse jeune : un défi éditorial et économique », Action Jeunesse, no 115, 30 novembre 1998. 18. J.-M. CHARON, La presse des jeunes, op. cit. 19. « La pratique des éditeurs ne consistera plus à se centrer sur un titre phare, mais à développer une gamme de titres, s’adressant chacun à une tranche d’âge. […] Les éditeurs parleront de “chaînage” pour qualifier cette approche qui consiste à suivre le jeune tout au long de son évolution, lui proposant de passer tous les deux ou trois ans d’un titre à un autre. Segmentant ainsi leur propre marché, les éditeurs de presse jeune doivent trouver une économie sur des titres relevant d’une conception technique et éditoriale exigeante, d’où la tendance à privilégier le rythme mensuel, détrônant petit à petit le règne de l’hebdo illustré. » Voir J.-M. CHARON, La presse des jeunes, op. cit. 109 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS en 1971, Astrapi (7-11 ans) en 1978, enfin Phosphore (15-25 ans) en 1981. Quinze ans après, Milan lance, immédiatement après sa création, une gamme de publications couvrant tous les âges : en 1980, Toboggan pour les 5-7 ans, Mikado pour les 9-14 ans en 1983, Toupie pour les 3-5 ans en 1985 et en 1989, Picoti pour les 9 mois-3 ans. Dès le lancement de Toboggan, le groupe Milan se positionne sur une segmentation par âge plus fine que Bayard (en moyenne 3 ans par tranche d’âge). Le système de chaînage s’appuie sur une cohérence entre les titres : les valeurs véhiculées, les techniques pédagogiques utilisées sont proches. « Il y a une fluidité d’un titre à l’autre avec une continuité éditoriale, l’utilisation de chartes graphiques proches », précise-t-on chez Fleurus. Mais il conduit à une inflation de titres sur un segment dont le marché est déjà étroit : Bayard compte par exemple 19 titres de presse jeunesse. Pour ce groupe, la politique de fidélisation est un des objectifs : « Nous voulons fidéliser le lecteur non pas à un titre mais à Bayard », affirmait en 1998 le secrétaire général de Bayard Presse Jeunesse, Arnaud Delaporte. « Il y a une fluidité d’un titre à l’autre avec une continuité éditoriale, l’utilisation de chartes graphiques proches », précise-t-on chez Fleurus20. L’abonnement Autre système utilisé pour fidéliser les lecteurs, l’abonnement. Pour tout abonnement, les éditeurs proposent des cadeaux, des facilités de paiement, des avantages, etc. Politiques tarifaires et offres promotionnelles sont nombreuses dans ce secteur très compétitif où la veille concurrentielle est importante. Dans ce domaine la concurrence ne se fait donc pas uniquement sur le produit, mais également sur les techniques de promotion. Les prix des abonnements sont très proches pour des titres positionnés sur les mêmes sous-marchés. Ainsi Milan propose Moi je lis au tarif de 55 euros et Bayard J’aime Lire à 54,80 euros. De la même manière on retrouve chez chaque concurrent les mêmes avantages : possibilité de choisir son mode de paiement, abonnement à durée libre avec un paiement trimestriel, cadeau offert pour chaque abonnement. Même le format et la maquette des brochures pour l’abonnement sont proches : charte graphique utilisant principalement le vert et l’orange, format 11 x 20 cm, 2e de couverture avec un éditorial en haut de page suivi d’un tableau explicitant le positionnement des journaux par tranche d’âge et par thème, bulletin d’abonnement proposé sur un dépliant en fin de brochure… C’est au niveau du cadeau offert que les différences apparaissent : chez Milan, il s’adresse à l’enfant (un sac à dos) alors que chez Bayard, il s’adresse au parent (un organiseur). 20. « La presse jeune : un défi éditorial et économique », art. cité. 110 La presse jeunesse Une segmentation par thèmes Si la presse jeunesse est fortement segmentée par tranches d’âge, elle l’est également par thèmes. La diversification des centres d’intérêt des enfants avec l’âge se traduit par une organisation thématique des titres sur les tranches les plus âgées du lectorat, les journaux destinés aux plus jeunes restant souvent plus généralistes. Pour autant, même les journaux ciblant les plus jeunes développent des axes de lecture clairs. Ainsi, Milan propose en 2003 trois titres pour les 3-5 ans : Toupie, le plus généraliste, Histoires pour les petits, plus axé sur la lecture et Petites mains, orienté vers les activités manuelles. Les journaux « pour les filles » Intéressons-nous un instant à l’évolution de ce qu’on appelait les « journaux pour fillettes ». Pendant l’entre-deux-guerres et dans l’immédiat après-guerre, sont sortis en nombre ces journaux : La semaine de Suzette, Bernadette, Lisette, Caroline, etc., mais ce marché disparut au profit de journaux mixtes à dominante masculine21, reflétant un changement de mentalité et un nouvel horizon d’attente chez les jeunes lectrices. Or, depuis quelques années des nouveaux titres s’adressant spécifiquement aux jeunes ont fait leur apparition et rencontrent un succès certain. Le marché s’est fortement développé ces dernières années avec l’apparition de Julie (Milan) en 1998, Les p’tites sorcières (Fleurus) en 1999, Lolie (Milan) et Muteen (Jalou) en 2001, qui venaient rejoindre des titres comme Miss datant de la première moitié des années 1990. Cette presse de jeunesse ciblant spécifiquement les filles s’est développée alors qu’il n’existe pas de presse ciblant uniquement les garçons. C’est que les filles forment une population plus disponible pour la lecture, comme cela est souligné par de nombreux observateurs22. Les thématiques de la presse jeunesse Si certains thèmes traités par les journaux de presse pour la jeunesse se rapprochent au plus près des préoccupations des enfants lecture, nature, activités manuelles, découvertes…, d’autres correspondent à une demande probablement plus proche de celle des parents, comme les journaux en langues étrangères ou la presse religieuse. Ces segments restent des niches et peu nombreux sont les titres y figurant, généralement pas plus d’un ou deux titres par tranche d’âge (voir tableau 43, p. 106-107). 21. Alain FOURMENT, Histoire de la presse des jeunes et des journaux d’enfants (1768-1988), Paris, Éd. Éole, coll. « La mémoire des Marbres », 1988. 22. Le sociologue Jean-François Barbier-Bouvet propose une explication plutôt optimiste de ce phénomène : « Au moment où la presse jeune s’est développée, dans les années 1960-1970, créer des titres unisexes relevait de la conquête sociale. Les journaux et magazines pour enfants et adolescents étaient l’occasion de faire apparaître des espaces de mixité dans une société qui n’en prévoyait pas. Aujourd’hui, la mixité est admise par la société et rien ne s’oppose à ce qu’on tienne compte des spécificités de chaque sexe pour leur proposer des lectures adaptées. Il ne s’agit pas de revenir en arrière, d’opposer le pilote de course à la starlette, mais simplement de tenir compte des sensibilités et des manières différentes de se construire. » Voir Jean-François BARBIER-BOUVET, « La lecture au féminin, de plus en plus tôt », La Croix, 20 mars 2002. 111 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS • Le thème de la nature a toujours fait partie des journaux pour enfants, mais c’est à partir des années 1980 que le marché a vu paraître des journaux le traitant spécifiquement. La qualité graphique, avec une maquette centrée autour de la photographie, fait d’eux des journaux que les enfants gardent. Le premier à apparaître sur le marché, Hibou (lancé par Fleurus en 1985), traite autant de la vie des animaux que de problématiques environnementales plus larges. Wakou (1987) et Wapiti (1989), les deux titres les mieux placés sur ce marché, doivent faire face aujourd’hui à de nouveaux venus qui se positionnent sur leur domaine même s’ils s’intéressent à d’autres problématiques. En témoigne le lancement en 2002 de Géo Ado avec une maquette esthétique tournée autour de la photographie. Son contenu aborde la nature, l’environnement, les animaux, mais au-delà, ce titre s’intéresse également aux questions de populations, aux problèmes sociologiques, etc. • Les journaux de découverte et de vulgarisation scientifique apparaissent au début des années 1990. Sur ce créneau, on trouve clairement positionnés Sciences et Vie Junior (1989) et Sciences et Vie Découvertes (1999) de la maison Excelsior. D’autres, comme Image Doc de Bayard, abordent à la fois le thème de la nature et la vulgarisation scientifique. Ce sont des journaux qui touchent plus facilement les 11-14 ans auprès desquels ils remportent un franc succès. • Les journaux en langues étrangères datent également de la fin des années 1980. I love English lancé par Bayard arrive sur le marché en 1987. C’est d’ailleurs ce même Bayard qui va continuer sur cette niche et occuper le créneau en mettant en place un chaînage avec I love English Junior pour les 9-12 ans et Today in English pour les adolescents. Vocable se place aussi sur ce segment mais cible un lectorat préadolescent, voire adolescent. Ces journaux gardent une image scolaire même si le contenu tente d’être distractif. • Les journaux abordant le thème de la religion sont issus des maisons de tradition chrétienne comme Bayard (Grain de Soleil par exemple) ou Fleurus (Mon journal Arc-en-ciel). Ce sont des titres orientés vers les jeunes catholiques ou vers les parents qui cherchent un support pour aborder le thème de la religion. C’est une presse dite de « conviction », dont la diffusion est faible et qui atteint difficilement l’équilibre budgétaire. Des titres pour le public « enfants/parents/enseignants » Si la presse des jeunes s’adresse d’abord aux enfants, elle n’en touche pas moins cependant les parents et les enseignants qui « restent, jusqu’à la préadolescence de leurs enfants, prescripteurs et acheteurs des titres, surtout pour ceux qui sont vendus par abonnement », comme le souligne Jean-Marie Charon23. Un éditeur doit donc séduire les enfants par un contenu attrayant et rassurer les parents pour obtenir leur accord, leur prescription, ou leur achat. Le marketing direct est d’ailleurs très utilisé dans ce secteur : les éditeurs de presse jeunesse utilisent l’envoi de mailing auprès des familles afin de toucher directement le lecteur, l’acheteur et le prescripteur. 23. J.-M. CHARON, La presse des jeunes, op. cit., p. 52. 112 La presse jeunesse Ainsi, de nombreux titres pour enfants cherchent à séduire également les enseignants qui représentent une instance de légitimation et un véritable marché, et qui sont indispensables pour connaître le lectorat jeune. Des journaux travaillent ainsi en lien avec certains d’entre eux qui deviennent de véritables « conseillers pédagogiques », vérifiant les sujets abordés, leur traitement et parfois l’adéquation avec les programmes ou les besoins des professeurs. Certes les éditeurs s’en défendent, comme le montrent les propos d’Arnaud Delaporte : « Nous savons que les enseignants constituent un vecteur de prescription important mais nous ne faisons pas de magazines pédagogiques. Notre ambition est que l’enfant s’approprie son journal24. » Chez Milan, on va même jusqu’à pointer le danger de vouloir trop séduire l’adulte au détriment de l’enfant : « Il faut faire attention aux journaux trop […] utilisés en classe, qui, de ce fait, risquent de barber leurs lecteurs. On peut lire un journal pour jouer, pour s’informer, pour fabriquer… il y a de nombreuses entrées possibles. Le journal est un outil idéal pour apprendre, […] mais il doit avant tout être un copain de papier25. » L’international, un marché émergent ? Contrairement à l’édition de livres pour la jeunesse, la presse jeunesse ne se développe pas du tout à l’international. C’est une spécificité française et on ne retrouve pas d’équivalent à l’étranger. Sur les marchés étrangers, les produits de l’écrit pour la jeunesse sont avant tout les livres et des pages réservées aux enfants dans les journaux pour adultes. Rares sont les journaux s’adressant spécifiquement aux enfants et surtout aux très jeunes. En France, la quasi-totalité des titres sont français et très peu de titres sont vendus à l’étranger. Seul Bayard fait exception car cette maison a su développer, après avoir activement prospecté sur différents marchés, une politique de vente de titres notamment en Espagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas et Chine. Ainsi on retrouve par exemple Popi, Cucafera (Pomme d’Api), Leo leo (J’aime lire), Okapi, I love English Junior, et Reporter Doc (Image Doc) en Espagne, ou bien StoryBox (Les Belles histoires), Adventure Box (J’aime lire), Discovery Box (Image Doc) en Grande-Bretagne. Ces magazines sont commercialisés par des filiales à 100 % de Bayard, des joint-ventures ou des éditions sous licences26. Les produits éditoriaux sont adaptés aux us et coutumes du pays, ce qui ne va pas sans poser des problèmes. Les éditeurs doivent relever le difficile défi de faire évoluer un produit, un personnage, sans lui faire perdre sa personnalité. 24. « La presse jeune : un défi éditorial et économique », art. cité. 25. Ibid. 26. Dans la présentation de Bayard, on peut lire d’ailleurs qu’« adaptés à leurs marchés par leurs contenus et leur mode de commercialisation, ces titres sont le fruit d’alliances avec des éditeurs étrangers complémentaires pour ajouter la connaissance des marchés locaux au savoir-faire éditorial et marketing de Bayard ». 113 CHAPITRE III Vers une structuration du secteur de l’écrit jeunesse ? Entre presse et édition jeunesse, quelles similitudes et quelles différences ? Des similitudes frappantes… Si l’on compare le chiffre d’affaires global de l’édition (2,3 milliards d’euros) aux autres industries culturelles, notamment à celui de la presse dont le chiffre d’affaires est quatre fois plus élevé (10 milliards d’euros), on ne peut que souligner « le décalage très fort entre, d’une part, la valeur médiatique de l’édition, son poids dans la culture, dans l’histoire, sa dimension affective, son prestige, et, d’autre part, son faible poids économique », comme le note Bertrand Legendre1. Mais dans le secteur jeunesse, le décalage est bien moindre entre édition et presse. La faiblesse des recettes publicitaires de la presse jeunesse par rapport à l’ensemble de la presse (moins de 10 % du chiffre d’affaires provient des recettes publicitaires en jeunesse contre 40 % environ pour l’ensemble de la presse2) explique en partie que le décalage entre les chiffres d’affaires de l’édition et de la presse soit moins important dans le secteur de la jeunesse. Ainsi, l’édition et la presse jeunesse atteignent un chiffre d’affaires comparable : 203 millions d’euros pour la première et 233 pour la seconde en 2000. Les similitudes ne se limitent pas au chiffre d’affaires. Sur les trente dernières années, on constate une diminution des tirages moyens (à mettre en rapport avec une augmentation de la production en nombre de titres, une production excédentaire en quantité avec un ratio ventes/tirages avoisinant les 70 % pour les deux secteurs). On voit également des stratégies éditoriales qui se ressemblent. D’ailleurs, plus que des stratégies, c’est plutôt l’accent mis sur des éléments qui plaisent aux enfants ou qui sont dans l’air du temps, tels que : personnage héros ou compagnons de lecture dans les documentaires ou ouvrage ludo-éducatif, gra1. Bertrand LEGENDRE, Les métiers de l’édition, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2002. 2. Direction du développement des médias, Tableaux statistiques de la presse, Paris, La Documentation française, 2002. 115 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS phisme et illustrations qui sont proches (souvent les illustrateurs font l’allerretour entre la presse et l’édition), thèmes cousins, découpage par tranche d’âge proche, etc. L’émergence du marketing se retrouve aussi dans les deux secteurs, notamment chez les grandes entreprises – Bayard et Hachette par exemple, groupes leaders sur leur secteur, qui ont des départements marketing très développés3. Cependant, dans le domaine de la presse, le fichier des clients abonnés permet des études régulières et une réelle connaissance de son public, ce qui n’est pas le cas dans l’édition. Ainsi, les études de lectorat sont plus systématiques dans le domaine de la presse. Que ce soit la presse ou l’édition, l’offre s’adresse non seulement aux enfants, mais également aux parents, prescripteurs ou acheteurs en direction desquels les deux secteurs mettent en place des politiques marketing fortes (mailings, cadeaux, fiches pédagogiques, etc.). Enfin, d’un point de vue commercial, on remarque que les grands groupes mettent en place des synergies entre différents domaines – presse, édition, télévision… – autour de personnages ou de livres à thèmes porteurs. Ces différents supports renforcent la promotion et favorisent la visibilité du concept utilisé. C’est ainsi que Petit Ours Brun, Titeuf, Kid Paddle, Mimi Cracra se retrouvent dans la presse sous forme de bandes dessinées, ou dans des ouvrages cartonnés ou non, sous différents formats, ainsi qu’à la télévision. L’objectif est d’utiliser les différents médias pour séduire l’enfant à travers le plaisir qu’il éprouve en retrouvant des personnages qu’il aime, afin de vendre des ouvrages, des produits dérivés, des espaces publicitaires4… Et c’est encore le cas aujourd’hui avec par exemple la création en 2002 de Techou, une revue bimestrielle pour les enfants à partir de 4 ans, qui sert de support aux héros d’Hachette Jeunesse (Mini-Loup) et à ceux des émissions destinées aux enfants sur TF1 (Les petites crapules et surtout Franklin, la tortue, véritable vedette du magazine). … mais des différences significatives Toutefois des différences existent entre les deux secteurs. Si le chiffre d’affaires progresse, ce n’est pas pour les mêmes raisons : pour la presse, il est dû à une augmentation du prix de vente au numéro et non à une forte augmentation de la diffusion, alors qu’en édition il s’explique par une augmentation du nombre d’exemplaires vendus (+ 40 % entre 1986 et 2001). 3. Les plus petits éditeurs n’ont que rarement un poste consacré au marketing et c’est souvent le service commercial qui en a la charge. 4. Selon Alain Fourment, qui souligne le rôle joué dès 1965 par les moyens audiovisuels dans la formation du goût des enfants, les feuilletons télévisés pour les petits donnent naissance à des mensuels dont le seul but est d’exploiter, sous une autre forme commerciale, les aventures des personnages. Voir A. FOURMENT, Histoire de la presse des jeunes…, op. cit. 116 Vers une structuration du secteur de l’écrit jeunesse ? Par ailleurs, si la structure du marché est similaire pour ces deux secteurs (celle d’un oligopole à frange), le nombre d’acteurs est bien moindre dans la presse jeunesse. Les coûts et les risques pour se lancer sur le secteur de la presse expliquent ce décalage. Il est possible de créer une maison d’édition en ne publiant que quelques titres par an et en les vendant sur plusieurs années. En revanche, dans le cas de la presse, il est nécessaire de pouvoir publier un titre à un rythme régulier, ce qui exige une mise de fonds initiale beaucoup plus importante. Si le savoir-faire éditorial est proche entre les deux domaines (nécessité de savoir traiter le rapport texte/image, le choix des textes, des illustrations, des techniques graphiques), le rythme de travail n’est pas le même. Par son rythme de parution, la presse impose de travailler dans des délais courts et de publier le journal quels que soient les sélections faites ou les retards pris. En édition par contre, même si les rythmes de parution imposent parfois un travail rapide, il est possible de disposer du temps nécessaire pour traiter l’ensemble des questions. Si la segmentation du marché jeunesse s’affine, ce n’est pas pour les mêmes raisons dans les deux domaines. En presse, le procédé de chaînage justifiant une segmentation par tranche d’âge, l’objectif est donc de fidéliser le lecteur sur le long terme. À l’opposé, dans l’édition, rien ne permet de réellement fidéliser le lecteur à un éditeur ou à une marque – si ce n’est les séries parfois. Aussi, le recours à une segmentation plus fine s’explique à la fois par la volonté de clarification de l’offre, et par le positionnement sur un marché très concurrentiel. Enfin, la présence à l’international ne soulève pas les mêmes enjeux pour l’édition et la presse jeunesse. En effet, à l’inverse de l’édition jeunesse, la presse pour enfants est essentiellement de création française et quelques rares maisons comme Bayard tentent de l’exporter et de décliner des titres adaptés à l’étranger. L’édition pour enfants destinée à la France fait appel à la fois à des créations françaises et à des achats d’ouvrages étrangers, souvent d’origine anglo-saxonne. Interactions possibles Le rapport des enfants à la lecture est résumé clairement par Aline Eisenegger : « Les enfants, toutes les enquêtes le confirment, lisent plus volontiers un périodique qu’un livre. Le journal est d’accès plus facile, il permet une lecture morcelée selon les goûts et les préoccupations du moment, il est moins intimidant et plus illustré. […] Les magazines de lectures se sont développés avec l’idée que les parents tiennent à la lecture, symbole de réussite sociale. Ils sont un palier, nécessaire pour certains enfants, avant d’oser aborder un livre5. » 5. Aline EISENEGGER, « L’actualité de la presse pour enfants », dans Lectures, livres et bibliothèques pour enfants, sous la dir. de Claude-Anne PARMEGIANI, Éditions du Cercle de la librairie, coll. « Bibliothèques », p. 95-101. 117 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Depuis 1990, Bayard Poche constitue son catalogue à partir des revues du groupe. Respectant le délai de trois ans après la parution du journal, Bayard Édition Jeunesse sélectionne les textes parmi les journaux qui ont eu le plus de succès. L’intérêt de se lancer sur ce secteur tient à ce que les risques éditoriaux et commerciaux sont fortement réduits puisqu’on sait à l’avance les titres qui plaisent : ceux qui ont reçu des lettres de lecteurs élogieuses, un soutien de la part des enseignants et des remontées positives des animatrices Bayard dans les écoles. L’éditeur n’a plus qu’à réaliser le travail éditorial de mise en page sur le nouveau format choisi, l’adaptation du contenu, et le choix des thèmes pour créer une collection cohérente et diversifiée. Adapter le contenu se fait toujours avec l’accord de la rédaction du journal. C’est le cas par exemple pour les textes repris des Belles Histoires qui sont réellement retravaillés. Le directeur de Bayard Édition, Jean-Claude Dubost, souligne : « Nous obéissons à une logique livre. Chaque ouvrage bénéficie d’une maquette propre. Ils nous arrive de modifier la pagination, de porter des corrections d’auteurs sur le texte, de recadrer des illustrations. Mais nous tenons à conserver le savoir-faire Bayard Presse qui passe par le respect du rapport texte-image, la césure du texte et des phrases, la dimension des caractères6… » Ce travail éditorial, qui prend ses sources dans la presse, fonctionne bien puisque chaque titre se vend en moyenne à 20 000 exemplaires7. Outre les textes de fiction réutilisés en édition, il est également intéressant pour l’éditeur de livres de s’approprier les personnages vedettes des enfants. Ainsi, le succès le plus évident de Bayard Édition est, sans conteste, la réutilisation de Petit Ours Brun, décliné en broché, cartonné, petits ou moyens formats, fictions ou activités pratiques, etc. Le succès télévisuel de la série et la vente de produits dérivés participent probablement de l’engouement actuel du public pour ce personnage. Milan réutilise également les personnages à succès de ses journaux comme Flocon ou Pikou. La synergie entre presse et édition, pour une maison qui réunit les deux, est intéressante également en termes de publicité, les nouveaux titres et les collections bénéficiant du soutien promotionnel des journaux (interaction promotionnelle qui était l’un des objectifs de la coentreprise Gallimard Bayard Jeunesse) : Gallimard Jeunesse aurait alors probablement bénéficié de pages de publicité, de jeux concours ou de pages de rédactionnel, au sein des journaux publiés par Bayard en échange de lots d’ouvrages à distribuer comme dotation des concours organisés par les rédactions. Mais l’échec de l’entreprise n’empêcha pas la mise en place d’opérations promotionnelles dans la presse qui constitue pour l’édition un véritable relais de lecture. En juin 2003, par exemple, la revue J’aime Lire offre un Folio Junior : moyen d’assurer une couverture promotionnelle à la 6. Claude COMBET, « Bayard Poche » une synergie presse-édition bien rodée, Livres Hebdo, no 111, 8 avril 1994. 7. Ibid. 118 Vers une structuration du secteur de l’écrit jeunesse ? collection de Gallimard Jeunesse, en permettant à Bayard de tenter d’assurer de meilleures ventes en kiosque grâce à ce « plus produit ». Le dialogue entre la presse et l’édition ne s’arrête pas à un simple enjeu commercial et promotionnel. L’un et l’autre découvrent des auteurs, des illustrateurs, s’orientent vers de nouveaux graphismes, de nouvelles mises en pages et s’influencent réciproquement. Un personnage peut être source d’inspiration pour l’un, comme un thème ou un choix de typographie le sera pour l’autre. Changement révélateur de l’évolution du dialogue, le Salon du livre de jeunesse de Montreuil est devenu en 2002 le Salon du livre et de la presse jeunesse. La directrice du salon, Sylvie Vassalo, explique ce choix : « Nous souhaitons faire une place particulière à l’ensemble des titres de la presse jeunesse, qui étaient déjà présents dans les stands de leur maison mère mais qui, à partir de cette édition, auront aussi un espace spécifique qui leur sera consacré. Nous avons voulu mettre en valeur le rôle de la presse jeunesse en termes de promotion de la littérature, de création et de découverte de nouveaux auteurs et illustrateurs8. » Presse et édition jeunesse s’enrichissent donc, mutuellement tant au niveau éditorial que commercial. Une approche transversale des marchés de l’audiovisuel, du multimédia et de l’édition : l’exemple d’Harry Potter. Une franchise en or En 1998 paraît Harry Potter à l’école des sorciers, le premier livre de J. K. Rowling, qui rencontre immédiatement le succès. L’année suivante, deux nouveaux tomes (La chambre des secrets et Le prisonnier d’Azkaban) sont publiés, puis, en novembre 2001, un quatrième tome, intitulé Harry Potter et la coupe de feu. Les ventes explosent : plus de 3,3 millions d’exemplaires vendus en poche tous titres confondus9 pour la seule année 2001. La stratégie marketing, offensive, met en scène la sortie du nouveau volume. Le premier film éponyme de Chris Columbus sort en 2001 sur les écrans et confirme l’engouement du jeune public pour Harry Potter, suivi par un deuxième en 2002. Le cinquième tome – Harry Potter et l’ordre du Phénix – paraît en décembre 2003. Une fois le succès d’Harry Potter confirmé en librairie, le concept est décliné sur une quantité considérable de supports : films, VHS et DVD, jeux vidéo, 8. « Le Salon du livre de jeunesse fête ses 18 ans », entretien avec Sylvie Vassalo, Loisirs éducation, novembre 2002. 9. Source : Ipsos, sorties caisse, 2002. 119 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS jeux pour enfants, musique, presse… L’exemple d’AOL aux États-Unis illustre à merveille les spécificités du concept : une filiale du groupe – Warner – produit les deux films Harry Potter ; leur bande originale est enregistrée par Atlantic records, label de Warner music group ; une critique du film paraît dans le Entertainment Weekly et le Time magazine, deux divisions de la branche édition d’AOL. Parallèlement, AOL promeut les produits Harry Potter sur son site et des contrats de merchandising sont conclus, notamment avec Coca Cola, le montant de ces contrats à eux seuls couvrant le coût de production du premier film. L’exemple d’AOL montre deux choses : en utilisant un grand nombre de supports, le groupe maximise une franchise qui pourrait s’avérer être la plus rentable de son histoire. En recourant à la cross-promotion, AOL élargit substantiellement le nombre de ses consommateurs. Harry Potter, parce qu’il n’a aucune cible à proprement parler – les enfants comme les adultes plébiscitent les livres et les films –, est un concept qui autorise AOL-Time-Warner à tirer aussi largement profit de sa fusion en jouant sur la proximité existant entre ses produits culturels et ses médias. Cela sera cependant insuffisant pour empêcher le « redécoupage » entre les deux groupes, intervenu en 2003. Examinons en les différentes composantes. Harry Potter et le marché de l’édition Les tomes successifs des aventures d’Harry Potter sont publiés sous plusieurs formats : grands formats, puis poches et coffrets. Cette stratégie permet de multiplier les supports de l’œuvre tout en prolongeant son cycle de vie. L’offre des éditions Gallimard se décline de 11 façons différentes : – Harry Potter, coffret 4 tomes poche, Gallimard, 2001 – Harry Potter, et la coupe de feu, Paris, Gallimard Jeunesse poche, 2001. – Harry Potter, coffret (4 volumes grand format), Paris, Gallimard Jeunesse, 2000. – Harry Potter et la coupe de feu, Paris, Gallimard Jeunesse, 2000. – Harry Potter, à l’école des sorciers, Paris, Gallimard Jeunesse, 1999. Tableau 44 – Harry Potter* dans le classement des meilleures ventes de livres (toutes catégories confondues) en 2002 Position dans le classement Titre 5e 8e 9e 10e Harry Harry Harry Harry Ventes en Ventes en Prix 2002 2000 + 2001 (en euros) Potter Potter Potter Potter et la coupe de feu (2001) et la chambre aux secrets (1999) à l’école des sorciers (1998) et le prisonnier d’Azkaban (1999) 383 000 350 000 329 000 328 000 403 000 1 047 000 1 478 000 896 000 7,5 6,3 6,3 6,7 * Éditeur : Gallimard-Jeunesse. Source : Livres Hebdo, Ipsos, 2002. 120 Vers une structuration du secteur de l’écrit jeunesse ? – Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, Paris, Gallimard Jeunesse, 1999. – Harry Potter et la chambre des secrets, Paris, Gallimard Jeunesse, 1999. – Harry Potter, coffret (3 vol.), Paris, Gallimard Jeunesse, 1999 (T1 T2 T3). – Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, Paris, Gallimard Jeunesse, poche, 1999. – Harry Potter et la chambre des secrets, Paris, Gallimard Jeunesse, poche, 1999. – Harry Potter à l’école des sorciers, Paris, Gallimard Jeunesse, poche, 1998. Avec, au total, plus de 5,2 millions d’exemplaires poche vendus en France pour les 4 premiers tomes entre 2000 et 2002, le succès d’Harry Potter ne s’est pas démenti. Harry Potter et le marché cinéma et vidéo Le succès rencontré par les films Harry Potter est indéniable : Harry Potter à l’école des sorciers bénéficie par exemple de très bons taux de rentabilité, qu’il sorte en salle (5,6) ou en DVD (autour de 2). En améliorant ce taux de rentabilité lors de la sortie du second film, Warner Bros démontre également sa capacité à fidéliser les spectateurs à la marque Harry Potter. Le poids économique des ventes de DVD montre par ailleurs que la sortie en vidéo et en DVD constitue une étape importante dans la vie du film, notamment lorsque ce dernier vise les plus jeunes. Tableau 45 – Taux de rentabilité des films Harry Potter* Coût de production (en millions de $) Nombre Recettes Taux d’entrées mondiales de rentabilité en France (en millions de $) (recettes/coûts) Harry Potter 125 à l’école des sorciers + 40 Investissement marketing La Chambre des secrets 100 + 40 Investissement marketing 9 929 337 965,8** 5,6 9 026 717 866,4 6,2 * Produits par Warner Bros. ** Chiffres au 23 mai 2002. Le film est sorti le 16 novembre 2001. Sources : TheMovieTimes BoxScores ; Box office, allociné, février 2002, janvier 2003. Tableau 46 – Recettes des DVD Harry Potter* Support Titre DVD Harry Potter à l’école des sorciers DVD/VHS La Chambre des secrets Niveau de vente en France Recettes mondiales (en millions de $) 1er du classement et 4e pour l’édition Collector 317,58 1er du classement des ventes pour les versions VHS et DVD** * Éditeur : Warner Home Video. ** Le DVD français étant sorti le 5 juin 2003, il est impossible de donner des chiffres de vente définitifs. Sources : Top 20 DVD video france week 23 ending june 9, 2002, GFK marketing services ; Nielsen VideoScan – In 2003 year-to-date. 121 LES MOINS DE 15 ANS ET LE MARCHÉ DES LOISIRS CULTURELS Harry Potter et le marché du jeu vidéo Le jeu vidéo adapté de L’école des sorciers et paru à l’automne 2001 entre la même année dans le classement des meilleures ventes PC, PS2, X-box et Gameboy. Édité par Electronic Arts, il est accessible dès l’âge de 9 ans. Avec 2 jeux dans le top 10 des ventes de cédérom, Harry Potter fait une entrée remarquée sur le marché des jeux vidéo. Comme le montre le tableau 48, les jeux Harry Potter rivalisent avec des logiciels et des jeux aussi classiques et diffusés que Norton Antivirus ou Warcraft 3. En se classant dans les meilleures ventes toutes catégories, ils démontrent leur capacité à toucher, comme les livres, un public bien plus large que celui des enfants. Tableau 47 – Les 9 jeux ayant rapporté le plus en 2001 (en millions d’euros) 1 2 3 4 5 Éditeur Jeu Chiffre d’affaires Nintendo Nintendo Electronic Arts Sony Take 2 Pokemon Or Pokemon Argent Harry Potter Gran Turismo III GTA III 92 92 92 64 53 Source : SELL 2001. Tableau 48 – Top 10 des ventes de 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Symantec Electronic Vup Electronic Arts Electronic Arts Electronic Arts Electronic Arts Symantec Electronic Arts Microsoft cédéroms* en 2002 norton antivirus 2002 v8.x arts les sims : en vacances warcraft 3 : reign of chaos sims entre chiens et chats medal of honor allied assault Harry Potter et la chambre des secrets les sims et plus si affinites norton antivirus 2003 v9.x Harry Potter l’école des sorciers age of mythology * Loisirs + hors loisirs. Source : Panel GFK Loisirs Interactifs et Panel GFK Software, 2002. Harry Potter et Internet En novembre 2002, au moment où sortait Harry Potter à l’école des sorciers, le site Harry Potter10 comptabilisait 3 millions de visiteurs, dont presque les deux tiers (63 %) étaient des femmes et un peu plus d’un cinquième (21 %) avaient entre 2 et 11 ans11. Ces chiffres montrent que la frontière entre les sous-marchés est très perméable et qu’une approche transversale de la marque permet de les couvrir avec une réussite similaire et de toucher aussi bien les adultes que les enfants. 10. http://www.harrypotter.warnerbros.com 11. Source : Nielsen//NetRatings, 2002. 122