11 Psychanalyse et sexualité : un bref aperçu

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11 Psychanalyse et sexualité : un bref aperçu
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Psychanalyse et sexualité : un bref aperçu
Dr François Gross, Sion
On s’interroge souvent sur le rapport
existant entre la psychanalyse et la
sexualité, en suspectant un lien
étroit entre science de l’esprit et
science du sexe. Une curieuse caricature d’un artiste anonyme avait
représenté l’éffigie caractéristique
du Professeur Freud dans laquelle
apparaissait en double vision le
corps nu d’une femme. Voilà pour
cerner notre sujet : l’on attend en
effet de la psychanalyse une réponse
aux énigmes de la vie sexuelle.
Psychanalyse
et sexualité
C’est une étrange relation qui lie la
vie psychique à la sexualité dans sa
dimension corporelle. Sexualité :
« ensemble de caractères spéciaux,
externes et internes, que présentent
les individus et qui sont representés
par leur sexe » dit le Larousse. Le mot
sexe, lui-même est issu du latin
« seccare », indiquant l’idée de section en une bipartition des individus
en genre masculin et féminin. Cette
bipartition est porteuse de sens et
procure ainsi une dimension structurante pour le développement de la
psycho-sexualité. Différence des
sexes mais encore différence des
générations. Cela veut dire, en schématisant, que la vie psychique se saisit précocement d’un ensemble de
représentations qui vont servir tôt
dans la vie à la formation des fantasmes de manière essentiellement
inconsciente. Ainsi, la définition suivante de Freud reste très actuelle :
« Nous considérons comme appartenant au domaine de la sexualité
toutes les manifestations de sentiments tendres découlant de la
source des émois sexuels primitifs,
même lorsque ces émois ont été
détournés de leur but sexuel originel
ou qu’un autre but non-sexuel est
venu remplacer le premier ».
Rappelons qu’avant la psychanalyse, le monde scientifique n’accor-
dait aucune considération pour les
compétences du nouveau-né et de
l’enfant vis-à-vis de son environnement affectif. Les découvertes de la
psychanalyse ont porté sur la sexualité infantile avec, comme notion
centrale, le complexe d’Oedipe. De
manière très schématique, le petit
garçon ressent de la tendresse pour
sa mère et de la rivalité hostile
envers son père. La petite fille, inversement, est attirée par son père et
entre en conflit avec sa mère. Le
complexe se résout par le biais
d’identifications stables du garçon
avec son père et de la fille avec sa
mère et par le renoncement aux
désirs libidinaux envers le parent de
sexe opposé ; telle est la découverte
majeure de la psychanalyse dans le
domaine de la psychosexualité.
Sexualité infantile,
sexualité adulte
Pour l’enfant, le développement de la
sexualité se poursuit selon deux niveaux distincts : le niveau physiologique, d’obédience neuro-humorale, et le niveau psychologique dont
l’étayage est corporel mais dont la
nature propre s’offre à la constitution du psychisme selon des stades
d’investissements appelés stades
libidinaux. De plus, la dualité des
pulsions de vie et des pulsions de
mort nuancent les perceptions du
monde extérieur qui sont investies
par les affects et prennent une valeur
symbolique dans le monde interne
propre à chacun. Ce qui fait l’originalité de la psychanalyse. C’est d’entreprendre une démarche qui touche
« les racines infantiles du monde
adulte », selon l’expression de la psychanalyste Mélanie Klein.
Si la sexualité infantile apparaît bien
comme structurante pour le développement de l’enfant, elle ne doit
pas être confondue avec la sexualité
adulte. Pour énoncer cette confusion, le psychanalyste Sandor
Ferenczi a forgé l’expression de
« confusion de langue » entre adultes
et enfants, confusion traumatique
lorsque le langage de la sexualité
adulte fait irruption dans le langage
de la tendresse. Le passage à l’acte
de l’adulte sous l’emprise de la
séduction (abus sexuel) en est la traduction pathologique. En réalité, des
rapports bien tempérés entre les
principales sources pulsionnelles
découle un équilibre psychique en
faveur de la pulsion de vie. Avatar de
ce mélange des pulsions, la perversion peut alors se comprendre
comme « la forme érotique de la
haine ».
Troubles psychiques
et troubles sexuels
Les hypothèses théoriques ne
seraient rien sans l’apport de la clinique. Freud encore : « Nous savons
depuis longtemps qu’un manque de
satisfaction psychique, avec toutes
ses conséquences, peut exister làmême où les relations sexuelles normales ne font pas défaut. En tant que
thérapeutes, nous ne devons jamais
oublier non plus que les aspirations
sexuelles insatisfaites (dont nous
combattons les satisfactions substituées sous leur forme de symptômes
névrotiques) ne peuvent souvent
que très imparfaitement trouver leur
débouché par le coït ou d’autres
actes sexuels ».
Il serait vain, par exemple, de ne proposer qu’une approche sexologique
à une personne ayant subi un inceste
pendant l’enfance parce qu’elle présente des difficultés orgastiques. Il
est important de ne pas ajouter au
traumatisme sexuel le déni de ses
conséquences. L’atteinte se situe
aussi au niveau de l’estime de soi, du
manque de structuration psychique
et de la difficulté de penser les événements traumatiques. La psychothérapie, voire la psychanalyse,
prennent en compte ces différents
niveaux afin d’améliorer le rapport de
la personne avec elle-même dans un
rééquilibrage à la fois narcissique et
corporel.
En guise de conclusion
Le face-à-face du sexe et de l’esprit
est en réalité un jeu subtil d’ombres
et de lumières. L’on pourrait encore
évoquer bien des questions... Pour
les zones d’ombres, les comportements sexuels prédateurs, à risque
pour soi ou pour autrui. qui engendrent de la violence physique (agressions sexuelles) ou de la violence
psychique
(relations
sexuelles
addictives par exemple). L’absence
de vie sexuelle elle-même pose probablement plus de problèmes qu’elle
n’en résout. Dans les zones de
lumière, on doit apprécier la
meilleure compréhension de l’être
humain sous l’angle de la sexualité
infantile, qui a favorisé le développement de traitements psychiques
pour les enfants aussi bien que pour
les adultes et a favorisé, en outre, de
grands progrès dans l’éducation et
dans la prévention, par exemple, la
prise en compte de la sexualité des
adolescents. Un droit de jouir d’une
vie sexuelle est reconnu aujourd’hui
pour toute personne, y compris pour
les personnes handicapées. Cela n’a
pas été sans briser de nombreux
tabous.
Quelle leçon nous apporte la psychanalyse dans les questions que
pose la sexualité ? En premier lieu
apparaît l’écart, pour ne pas dire l’indépendance, entre la fonction de
reproduction que l’évolution a assignée à la sexualité et la quête de
plaisir que son exercice lui confère
dans son aspect humain. La découverte de la sexualité infantile,
second volet de cette leçon, a pour
conséquence le constat de manifestations érotiques bien avant la
puberté, contribuant à édifier les
deux principes fondamentaux de
plaisir et de réalité, dont la régulation
- intime et complexe - assure la possibilité d’un équilibre de la vie psy
cho-sexuelle.
Pour terminer, arrêtons-nous sur ces
quelques mots de Milan Kundera :
« Le sexe n’est pas l’amour, ce n’est
qu’un territoire que l’amour s’approprie ».
Références :
– Freud S (1910) : A propos de la psychanalyse dite « sauvage »
– Ferenczi S (1933) : Confusion de
langues entre les adultes et l’enfant
– Klein M ( 1959) : Les racines infantiles
du monde adulte
– Stoller R (1975) : La perversion, forme
érotique de la haine
– Kundera M : Le livre du rire et de l’oubli.