Chateaubriand avant le Génie du christianisme, Actes du colloque
Transcription
Chateaubriand avant le Génie du christianisme, Actes du colloque
REVUE D’HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE Chateaubriand avant le Génie du christianisme, Actes du colloque de l’ENS Ulm, Béatrice Didier et Emmanuelle Tabet dir., Paris, Champion, 2006. Un vol. de 161 p. Le présent volume se donne pour objectif de relire le « premier Chateaubriand » avant l’irruption, dramatisée par l’auteur lui-même, de l’ouvrage fondateur que représente le Génie du christianisme (1802). Ce Chateaubriand des commencements, tour à tour essayiste, poète et traducteur, se révèle pleinement homme du XVIIIe siècle et doit ici intéresser en soi, sans la nécessaire perspective téléologique de son « romantisme ». L’œuvre est néanmoins envisagée dans sa continuité et sa cohérence globale, optique d’ailleurs permise par le grand projet parallèle (conduit par Béatrice Didier) de la réédition des Œuvres complètes de Chateaubriand chez Champion, auquel collaborent la plupart des auteurs de ces études. L’exil de Chateaubriand en Angleterre, lieu de conception de l’Essai sur les révolutions, constitue la première grande expérience biographique – évidemment liée à celle du traumatisme révolutionnaire – ici retracée par Patrizia Nerozzi (« Sept ans de séjour en Angleterre (1793-1800) », p. 11-27). L’Essai lui-même, paru en 1797, fait alors l’objet de plusieurs contributions et constitue le noyau de la réflexion (au détriment, de ce fait, d’une analyse des Natchez). Aurelio Principato, à qui l’on doit la nouvelle édition de référence1, esquisse une « typologie héroïque » en observant la coexistence des quatre prototypes de « l’homme de nature », de « l’enfant noble et sauvage », du « héros de l’histoire » et du « vénérable primitif » avant l’heureux compromis de « faux sauvages habillés en personnages d’Homère », fruits de la tradition classique et du voyage en Amérique de l’auteur (« Le premier Chateaubriand entre le sauvage et le héros antique », p. 45-61). La pensée historique du jeune Chateaubriand dans l’Essai est mise au jour dans toute sa complexité paradoxale, « de l’imaginaire cyclique à la vision eschatologique » comme l’examine Laura Brignoli (p. 29-43), jouant sur les deux acceptions de la « révolution » – cycle astronomique ou rupture irréversible – à travers les métaphores du cercle et du fleuve temporel. Quant à sa pensée politique, également paradoxale, Jean-Paul Clément l’appréhende à la lumière de l’intertexte rousseauiste « corrigé par Malesherbes » et par l’héritage de Fénelon (« Chateaubriand rousseauiste et “monarchien” », p. 63-75). Mais l’Essai, par le procès fait aux philosophes des Lumières, pose encore la question du sort des lettres après la Révolution, « celle de leur inscription dans l’Histoire et dans la politique, mais aussi celle de leur possible ressourcement par un dialogue avec les grands modèles légués par le passé, dont les modalités sont encore à inventer » comme l’écrit Fabienne Bercegol (« Des lettres et des gens de lettres dans l’Essai sur les révolutions », p. 87-106). Philippe Antoine s’attache, pour sa part, à souligner la continuité, « de l’Essai à l’Itinéraire » de Paris à Jérusalem (p. 77-86), d’un projet autobiographique original car « figuré », qui se construit indirectement par le biais des textes d’autrui. Les articles de Nicolas Perot et d’Emmanuelle Tabet se proposent de redécouvrir deux ensembles peu connus : les « fragments du Génie du christianisme primitif » (p. 107-117), deux versions imprimées de 1800 et 1801 qui constituent pour nous un avant-texte significatif, et « les Tableaux de la nature et leurs réécritures » (p. 119-131) – petites idylles à la manière de Rousseau, de Delille ou de Bernardin de Saint-Pierre qui mettent en scène une nature arcadienne creusée par une profondeur temporelle et mémorielle de type élégiaque. Enfin, c’est au Chateaubriand traducteur de la langue anglaise que s’intéresse Marie-Élisabeth Bougeard-Vetö dans « Les premières traductions de Chateaubriand » (p. 133-154), en montrant que la pratique chateaubriandienne s’alimente à la source des grands auteurs étrangers, Young, « Ossian » ou Milton, adaptés au goût français. 1. Essai sur les révolutions, Aurelio Principato éd., in Œuvres complètes, Béatrice Didier dir., vol. I-II, Paris, Champion, 2009, 1376 p. Le titre complet en est Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française. REVUE D’HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE Une brève bibliographie sélective, établie par Emmanuelle Tabet, complète utilement ces différentes études. Loin des commodes étiquettes de l’histoire littéraire, ce recueil concis – qui aurait peutêtre gagné à une répartition des articles en sections organisées – éclaire donc les influences diverses ainsi que les multiples facettes de l’activité du jeune écrivain avant qu’il ne devienne « l’auteur du Génie du christianisme » et le « monstre sacré » de la littérature du XIXe siècle. Élodie SALICETO