la bascule des mal-aimés

Transcription

la bascule des mal-aimés
La bascule des mal-aimés
LA BASCULE
DES MAL-AIMÉS
Processus d'autoguérison
en psychothérapie
Lucien TENENBAUM
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BP 3
05300 BARRET-LE-BAS
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La bascule des mal-aimés
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Tous droits réservés pour tous pays
Couverture : Air Design / Grenoble
Photocomposition : Aline Pontailler
Impression et façonnage : S.E.P.C. St Amand-Montrond
Dépôt légal : 3e trimestre 1994
ISBN 2 84058 033 0
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BP 3
05300 BARRET-LE-BAS
La bascule des mal-aimés
TABLE DES MATIERES
Ouverture................................................................... 7
La Bascule des Mal-aimés ...................................... 13
A Coeur Battant ..................................................... 25
Dépression ............................................................... 35
Gelsomine ................................................................ 53
Pas de Panique, ça pourrait aller mieux ! ............. 57
Nos Parents ne sont pas nos Parents..................... 65
Passeur ................................................................... 72
Toutes des Porteuses ? ............................................ 75
Rire basculant ........................................................ 83
Se Soigner, entre Statue et Suicide ...................... 91
Terre ! Terre ! ........................................................ 103
Entrer dans le Vide du Sujet ................................ 111
Lettre .................................................................... 123
Glossaire ............................................................... 125
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La bascule des mal-aimés
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3&81#7%&7#1",/#7",9804@@@#F(1)
Et voici qu’en cet instant, émouvant comme une naissance, le voile se déchire. Non, il n’est pas condamné au
morbide et à la rechute, au compliqué et à l’englué, à la souffrance et à la peur, celui qui se croyait à jamais marqué du
sceau des mal-aimés. En cet instant, ce qu’il pensait être de
toute éternité son destin lui apparaît simplement comme un
des scénarios possibles. Il voit d’un coup qu’il en est d’autres.
La bascule des mal-aimés... un phénomène qui ne
cesse de m’étonner dans ma pratique, après avoir remué
ma vie. Ce moment du processus thérapeutique produit
un véritable renversement des systèmes de relations et de
croyances. A terme, il entraîne des changements profonds
dans la vie de celui qui accepte de le traverser.
On pourrait donc prendre connaissance de ses propres
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G@#H@$@I/83/&2@ « Dis-moi qui tuer »>#J@#A8?D"2>#K/,81>#GLMN@
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lieu dans la géographie de l’être, un niveau, une instance
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mental, le corporel, l’existentiel ! Un lieu où on pourrait se
rendre et refaire les montages qui gouvernent notre vie !
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La psychothérapie n’a pas l’exclusivité de ces moments
de retournement, loin de là, mais elle permet de les vivre et
de les observer à deux, dans une invention commune. C’est
de cette expérience que je veux témoigner, à travers quelques
exemples, dans les pages qui suivent.
Dois-je au hasard que mon travail d’aujourd’hui fasse
régulièrement émerger de tels thèmes ? N’y avais-je pas
l’oeil plus tôt ? Le phénomène est-il plus dans l’air du temps
actuellement, comme un thème qui se développerait, comme
un champ de forme* qui se manifesterait davantage, auquel
nous serions tous plus sensibles, patients comme thérapeutes* ?
Devons-nous même en rapprocher ce qui, depuis le
bicentenaire de 89, se passe sous nos yeux, affectant, à l’Est
comme au Sud, peuples et empires ?... Bouleversements qui
ont bien souvent servi de contrepoint, voire de support, au
travail thérapeutique, depuis le trou béant dans l’emblème
roumain jusqu’aux guerres bosniaques ou au suicide de ces
hommes qui ne peuvent supporter de voir disparaître du
passé toute leur identité soviétique*.
Où l’on voit comment, une fois de plus, la petite et la
grande histoire se rejoignent et s’éclairent mutuellement.
Le phénomène de la bascule suscite des questions fort
stimulantes. La façon dont il survient, les formes souvent
surprenantes qu’il prend, les risques particuliers auxquels
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Qu’est-ce qui fait de la bascule un événement thérapeu#/A3&'B'C3&.'*D.&'"'E+3&'.&';,%&38'#*,-!;&*#F'B'G#'.,'%+(/0cation de l’état de conscience (EMC*) ? Quelle différence y
a-t-il dès lors entre la psychothérapie et le lavage de cerveau,
la « normalisation », les différents types de conditionnement,
l’auto-suggestion, la publicité, la propagande, les sectes ?
Toutes ces questions peuvent s’articuler autour de trois
grandes directions : quelle est la nature de l'expérience de
la bascule et sur quels processus repose-t-elle ? Comment
se produit-elle et quelles procédures peuvent y conduire ?
Quels effets thérapeutiques peut-on en attendre et comment
les comprendre ?
Je réserve pour un ouvrage ultérieur (si le sort et mon
éditeur le veulent bien) les aspects plus techniques et plus
théoriques de ces questions. Bien sûr, mes façons de faire
et de comprendre apparaîtront dans les pages qui suivent
puisqu'elles parlent de ma pratique... Mais ce qui m’importe
avant tout, dans ce premier ouvrage destiné au public, c’est
d’aborder ce qui m’a le plus touché moi-même, à savoir le
renversement radical du mal-amour.
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Car ne s’agit-il pas, dans ce basculement, d’une ren)+-#*&'H'.,'*&-)+-#*&''&-0-'9+!!/:.&I',3'9.3!'/-#/%&'(&'.5J#*&'
en souffrance, entre sa conscience et une dynamique qui le
9+*#&' &#' A3&' )@,)3-&' (&' !&!' 0:*&!' )+--,K#' &#' *&)+--,K#' B'
Dynamique que j’appelle l’amour, que d’autres peut-être
appellent ou ont appelée Libido, Vis Vitalis, Désir, Christ,
etc.
Ce dont je suis sûr, c’est que tout le monde connaît ces
mots-là, amour, aimer, mal aimer, et les utilise. Que tout
le monde dit ou a dit : « Je t’aime » ou se lamente de ne pas
pouvoir ou de ne plus pouvoir le dire, ou souffre de ne pas
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Q0#)*%&=,/<"@
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se l’être entendu dire ou de s’en croire exclu, jusqu’à vouloir
parfois en prouver à toute force la vacuité, la fausseté ou
l’absence irrémédiable.
L’amour ? L’Amour ? En parler sans angélisme ni illusions. Prendre garde aux majuscules dont on affuble certains
mots. S’obliger ainsi à avoir à l’esprit le poids exigeant de
chair et d’émotion que de tels mots véhiculent et que les
majuscules ont vite fait de censurer. Les mots, quels qu’ils
soient, sont faits pour servir. En leur mettant des majuscules, on risque fort d’aller à contre-sens et de mettre les
hommes à leur service.(1)
Ni moraliser ni recourir à la tarte à la crème de la pensée dite positive, si illusoire quand elle ne fait que recouvrir
une plaie mal nettoyée. Parler d’amour n’est sans doute
9,!'!3;0!,-#I'9&3#LJ#*&''-5&!#L)&'%J%&'9,!'-<)&!!,/*&='M,*'
parler d’amour, est-ce aimer ? Et aimer, est-ce ignorer les
ambivalences, les ambiguïtés, les violences qui animent les
coeurs ?...
Quand à savoir ce qu’est aimer... L’expérience en découvre l’évidence toujours liée à celle de la valeur des êtres.
Que chaque homme ait, par-delà les apparences, une valeur
unique, je le pense. Qui pourrait être thérapeute, quelle que
soit son « école », s’il ne le pensait pas ?
Que pour tout être la principale quête, et la seule au
;+-(I' !+/#' (5,%+3*I' E&' %&' N,*(&*,/!' (&' .5,;0*%&*' ,3!!/' 9<remptoirement, laissant à chacun le soin d’en décider pour
lui-même. Mais que dans le cadre de la psychothérapie il
puisse être question d’autre chose, au bout du compte, voilà
qui m’étonnerait.
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Les textes qui suivent se présentent comme des essais
articulés autour des aspects que prend la bascule dans ma
pratique. Il s’y ajoute un thème d’actualité, la dépression.
Les histoires que je rapporte sont toutes vraies. Je n’ai
changé que les prénoms et les détails qui permettraient une
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de la dite bascule, je les évalue avec un recul de un à trois
ans. Je n’ai pas retenu les cas dont je ne pouvais apprécier
l’évolution à moyen terme.
La logique de la succession des essais est d’abord celle
de l’ordre alphabétique. Elle laisse aux renvois le soin
d’organiser la circularité inhérente à toute description du
vivant. Les répétitions éventuelles apparaîtront moins, je
l’espère, comme des redites ennuyeuses que comme le moyen
de mieux approcher les processus de la bascule, en variant
les points de vue.
O&' N.+!!,/*&' ,3A3&.' *&->+/&-#' .&!' ,!#<*/!A3&!' 0N3*,-#'
dans le texte explicite certains mots qui pouvaient seuls
exprimer clairement ma pensée. Les termes techniques tirés
du jargon psychiatrique sont peu nombreux. Je n’ai jamais
pu utiliser de façon naturelle la plupart des mots de ce
vocabulaire et je m’en excuse auprès du lecteur qui aurait
été nourri au lait d’une psy-mammelle quelconque et qui,
ne les retrouvant pas sur sa route, craindrait de se perdre...
Faudrait-il faire compliqué sous prétexte que le sujet
est complexe ? A quoi rime d’écrire d’une façon qui exclue
le lecteur du débat, quand il n’est question que de lui ?
M@,A3&' @+%%&' &!#' 9,*' (<0-/#/+-' 3-' &89&*#' &-' *&.,#/+-!'
humaines, en sentiments, en émotions. Tout discours sur
l’homme doit donc pouvoir aussi être tenu dans des termes
que tout homme puisse comprendre. Tout jargon, comme tout
argot, a d’abord pour fonction de créer un esprit de corps et
de tenir à l’écart ceux qui l’ignorent, fonction séparatiste et
corporatiste.
Les notes de bas de page font parfois référence à des
.&)#3*&!' +3' ?' (&!' 0.%!' A3/' %5+-#' -+3**/' +3' A3/' >/&--&-#'
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résonner avec ce que j’expose. Si mes propos semblent faire
écho à des écrits ou à des auteurs qui ne seraient pas cités,
qu’on ne s’en étonne pas : ou bien ils font largement partie
du domaine public, ou bien je ne les ai pas lus... On pourra
y voir des coïncidences ou des convergences; je les espère
nombreuses et je m’en réjouis d’avance.
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Dernière remarque d’ouverture : on ne trouvera pas,
dans ces pages, certains termes comme schizophrénie, paranoïa, délire. Ce n’est pas que j’évite ces termes, ils sont clairs
et riches. Ce n’est pas que j’évite les réalités qu’ils désignent;
je les ai affrontées pendant des années et j’en ai parlé à ma
façon dans les revues dites spécialisées. Mais ma pratique
actuelle m’y confronte rarement et si je les aborde ce ne sera
que par incidence.
De même, si mon travail d’aujourd’hui est riche des
nombreuses années passées en milieu psychiatrique, ce n’est
pas cette expérience-là que je décris. Je me sens cependant
accompagné dans ma recherche par tous ceux, patients,
parents et soignants, que j’y ai cotoyés et avec qui, à travers
l’écriture, se poursuit le dialogue.
Issu d’une pratique personnelle de la psychothérapie,
le présent travail se veut d’abord outil proposé à tous ceux
dont la vie reste en souffrance ainsi qu’aux hommes et
femmes engagés dans la thérapie, comme patients ou comme
praticiens.
P/-!/'.,'9&*#/-&-)&'&-'!&*,L#L&..&'>,./(<&'+3'/-0*%<&'9,*'
l’usage que chacun pourra en faire dans son travail, dans sa
propre thérapie et aussi, pourquoi pas, dans la gestion de
sa vie. Je m’estimerais comblé si ma contribution pouvait
en aider certains qui cherchent une lumière, fût-ce la lueur
d’une bougie, pour éclairer leur route.
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La bascule des mal-aimés
LA BASCULE
DES MAL-AIMÉS
Diane, dans son rêve, sait qu’elle est sur un champ de
bataille où se déroule une guerre décisive. Une lumière,
étrange d’être aussi lumineuse dans un tel contexte, baigne
la scène. Diane sait aussi qu’elle est une héroïne de cette
épopée, mais sans savoir d’aucune façon si son engagement
batailleur l’entraîne dans la fureur des combats ou vers la
recherche de la paix... Ce qu’elle sent avec force, c’est d’être
?'.5@&3*&'(&!')@+/8='Q&%9!'!3!9&-(3'!3*'.&'0.'(3'*,!+/*'+4'
le cours entier des événements dépend d’un mouvement de
son âme.
Car il est un moment dans l'évolution de la thérapie où
l’idée de soi et celle du monde qu’on pensait bien assurées
semblent vaciller sur leurs bases. Tout à coup, une grande
@<!/#,#/+-'!&'9*+(3/#I'.&!'*&9$*&!'@,:/#3&.!'(&>/&--&-#'6+3!='
On est parfois près d’abandonner... désorienté, saisi de ver#/N&I',3'9*+9*&'&#',3'0N3*<='O,')&*#/#3(&'/-#<*/&3*&':,!)3.&I'
et d’abord — paradoxe ! — cette certitude dans laquelle on
s’était bien établi d’être un laissé-pour-compte, un moins que
rien, un abandonné, pour tout dire un mal-aimé...
7
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La bascule des mal-aimés
Ceux qui viennent me voir se proclament rarement
des non-aimés absolus. Le plus généralement ils se disent
mal, fort mal aimés. Au fait, il ne s’agit pas de ce qui s’est
« réellement » passé dans ces histoires d’amour — qui peut
en connaître ? — ni même de ce qui est passé — où est le
passé ? Non, il est question du roman que chacun reconstruit
chaque matin devant son miroir. Roman déjà tout prêt à
servir, d’avoir tant servi déjà, quand on entre en thérapie...
roman du mal-amour conjugué à tous les temps et à toutes
les personnes.
C’est la souffrance d’avoir été mal-aimé qui fait venir à
la thérapie à cause des impasses répétitives où elle mène.
Souffrance de n’avoir pas été aimé selon son besoin, mais qui
prend tant de masques que cette simple réalité, désaccord
entre qui attend et qui pourvoit, reste généralement ignorée.
Et le masque du suramour n’est pas en l’occurrence le moins
étouffant et le moins générateur d’impasses. Souffrance qui,
souvent, se dit d’abord dans la plainte et le ressentiment.
Ou qui, faute de pouvoir se dire, se joue dans le mutisme,
l’agressivité, la séduction, ou encore s’incarne dans les dysfonctionnements et les maladies du corps.
Jusque-là, dans la thérapie, on a longuement déroulé la
plainte du mal-aimé. Celui que les autres ne comprennent
pas, qu’ils laissent de côté, celui que ne reçoit jamais son
dû. C’était la longue lamentation de la pauvre victime d’un
sort injuste dans un monde trop froid et trop cruel.
Injuste ? Même pas vraiment, car ne le méritait-il pas
son sort, lui l’imposteur, le défaillant, le pas aimable ? C’était
le long réquisitoire de celui qui s’accusait de toutes les
incapacités et de toutes les carences — jamais responsable,
toujours coupable —, laissant percer, parfois, un sentiment
d’orgueil paradoxal dans ce climat masochiste*.
Et quoi d’étonnant : jamais il n’avait été aimé comme
les autres, jamais on ne lui avait donné ce que les autres
reçoivent, sinon ce mal-amour qu’il traîne derrière lui comme
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3-':+3.&#==='P3'9+/-#'(&'!5/-#&**+N&*'9,*;+/!'!3*'!,'0./,#/+-'
réelle, voire de se penser orphelin de toujours — à preuve
cette jeune femme, aux parents encore bien vivants, qui avait
inventé de se faire appeler Julie DACE. L’oreille entendait
DDASS(1), ce qu’elle souhaitait.
Et puis était venu le long apprentissage du refus. Ou
plutôt la mise à jour, le déballage de tout ce qui ne s’était
jamais dit, et qui était, en réalité, refus. Et c’était en vérité
apprendre à dire le refus. Et découvrir comment on s’en était
défendu, préservé, en faisant au besoin la part du feu, en
<>/#,-#' .&' )+%:,#I' &-' ,(+9#,-#' 3-' 9*+0.' :,!. Comment, à
travers compromis et abandons de territoire corporel, relationnel, affectif, on s’était refusé au refus.
Je refuse votre amour, je refuse votre sollicitude, je
refuse vos attentions. Ils ne me conviennent pas, je n’en veux
pas, je n’en veux plus. Plutôt rien que cet habit d’amour si
mal taillé à ma mesure, que ce soit en excès ou par défaut,
que j’étouffe ou que j’aie froid, c’est du pareil au même. Vous
n’avez pas su me donner ce dont j’avais besoin, vous n’avez
pas su prendre mes mesures, tant pis. Au feu le mal-amour.
Et même ce que vous aimez en moi et que vous essayez
de cultiver au détriment du reste, je le refuse, je le déteste.
Ce n’est pas moi ! C’est votre empreinte, ce que vous reconnaissez de vous ! Je n’en veux pas. Cette ressemblance
physique, cette partie de mon corps, ce talent, ce trait de
caractère, ce prénom, non, je n’en veux pas. Cette façon de
me voir et de m’aimer en morceaux, d’être le puzzle de vos
attentes et de vos déceptions, le patchwork de votre couple
et de vos lignées, non, je n’en veux plus ! Etre aimé par
morceaux, merci bien !
Gardez-le, votre amour ! Je ne vous courrai plus après.
Finies les attentes, les espérances toutes trempées d’illuG@# .8,"?78%0# .43/,7"9"07/2"# )"# 26J?78%0# $/087/8,"# "7# $%?8/2"@# T"# 1",=8?"#
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"7#2/#W/9822"@
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La bascule des mal-aimés
sion ! J’en fais mon deuil. Je me ferai sans vous. Non, non
et non ! Je ne veux plus de ce mal-amour !
Je n’en veux plus de me sentir fautif, comme s’il était
juste que je fusse mal-aimé, que j’avais commis quelque
.+3*('9<)@<'A3/'.&'E3!#/0R#='M&'9+/(!'!3*'%,')+-!)/&-)&'A3&'
chaque jour je dois porter, ne pourrais-je m’en libérer sans
sentir aussitôt le doigt de Dieu sur moi ?(1) Quelles peurs
m’obligent à accepter de passer pour coupable et d’être mal,/%<I' A3&.!' (,-N&*!' %5&-#+3*&-#' A3/' E3!#/0&-#' )&!' 9&3*!' B'
S+-I'/.'-5"','9,!'(&'(,-N&*'*<&.'1'T+-)'9,!'(&'9&3*'E3!#/0<&'1'
Non, il n’y a aucune faute qui reste à me reprocher et à
juger, aucune punition qui reste à endurer ! Si fautes il y a
eu, et pour sûr qu’il y en a eu, elles sont prescrites depuis
bien longtemps !
Non, en déposant ce poids, je ne mets personne en
danger ! Je trahis un ancêtre, une mission, je manque à un
devoir sacré, je romps un contrat ? Lesquels ?
Et dans le NON, il apprend à se dire, à devenir celui
qu’il ne se savait pas être. Il découvre, parfois avec le plus
grand étonnement, les effets structurants et sécurisants de
ce non, quand il vient à son heure. Dans le NON, il apprend
à reconnaître ses vrais besoins — vrais, c’est-à-dire propres à
lui —, même non satisfaits. Il apprend à laisser émerger ses
désirs propres, même non réalisables. Besoins vrais, désirs
9*+9*&!I' A3/' !5,3#@&-#/0&-#' (&' >&-/*' (,-!' .,' 63/(/#<' &#' .,'
simplicité, sans fatigue, sans amertume, semblant d’un coup,
même si on les a ignorés jusque-là, parfaitement naturels.
Accordés à tous les niveaux de l’être.
Ce fut le temps des règlements de compte avec ceux
qu’on pensait être nos débiteurs d’amour — généralement
nos parents — et qui n’avaient été que nos fournisseurs de
faux amour. Ce fut le temps des complexes et des rages, ce
fut le temps de la psychanalyse et des thérapies bruyantes.
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La bascule des mal-aimés
Et puis un jour, bascule !
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A force de dire « non ! », de s’affronter à ses démons
intimes, l’ennemi auquel on se heurtait se vide de sa substance. Il cesse d’être le point de repère, le miroir déformant
sur lequel on avait construit son identité, le pivot autour
duquel tout s’ordonnait.
Un jour, impossible devant le miroir de chaque matin
de revoir le « mal-aimé » de la veille. Mais qui est là, alors ?
Désarroi, angoisse, peur. Fallait-il tous ces efforts, toute
cette peine, tous ces espoirs dans la thérapie pour en arriver
à ce mur aveugle ? Pour parvenir, au terme de ce cheminement, et presque sans s’y attendre, à ce point de brouillard
et de vertige, et sans pouvoir faire comme si on n’y était pas.
Bien sûr il a fallu pour y parvenir s’engager sur des
routes de traverse, peu fréquentées par notre conscience
ordinaire. Il a fallu accommoder son regard dans ce nouvel
espace qui se présente souvent, d’abord, comme vide, comme
LE vide(1). Les anciennes certitudes vacillent soudainement
devant ce vide qui s’ouvre sous nos pas. Et qui nous appelle,
nous demande de plonger... mais dans quoi ? « Jusqu’à maintenant, » disait une patiente, « j’ai vécu le dos au vide, au
bord du précipice, tournée vers ce que je devais combattre.
Maintenant... je devrais me retourner ?... Faire face au vide ?
Mais je vais tomber... Ce qu’il y a là, je ne sais pas du tout
comment faire avec... »
Et jaillit l’évidence que dans « mal-aimé », s’il y a « mal »
il y a aussi « aimé »... Qu’après s’être toujours cru, pensé, vu
comme le mal-aimé et avoir agi en conséquence, on n’épuise
pas la question en refusant le « mal », en proclamant haut et
fort qu’on en est libéré et en oubliant dans le même temps
l’autre moitié de cet adjectif composé. Voilà qu’apparaît une
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La bascule des mal-aimés
donnée qui semblait jusque-là totalement absente de l’énoncé
du problème : je suis aimé... et je dois me rendre au constat :
être aimé prend autant d’importance que de l’être mal, et
rend peut-être autant compte de mes insatisfactions et de
mes échecs, de mes peurs et de mes reculades soudaines.
Tout mal aimé que j’ai été, je l’ai été, aimé(1)... Comment
avaler ça, quand je me suis toujours nourri du contraire ?
Comment accepter d’affronter ce fait que dans le mal-amour
il y a aussi de l’amour ? Car il s’impose comme un fait, dès
que je descends en moi et que je touche à cette dure réalité
(&' .5,%+3*I' )+%%&' .&' 9.+-N&3*' 0-/#' 9,*' #+3)@&*' .&' ;+-(='
Quel retournement ! Après m’être débarrassé, par tous les
moyens à ma disposition, du « mal », je devrais me reconnaître « aimé » et donc en capacité d’aimer à mon tour ?
Après avoir découvert et décliné sous toutes ses formes
le « non », je devrais aborder aux rivages du « oui » ? J’étais
une victime, je suis devenu à grand’peine un combattant, je
devrais maintenant laisser l’épée pour le rameau d’olivier ?
Ne devais-je apprendre à dire « non ! », un vrai non, que
pour arriver à dire « oui ! », un vrai oui ?
« Il ne m’a fallu que trois jours pour dire non à cet
homme », explique Cosette qui semblait s’embarquer pour
la nième fois dans une de ses relations coutumières, aussi
aliénées qu’aliénantes, avec les hommes. Et elle ajoute : « Ce
matin, quand je me suis réveillée, c’était la première fois de
ma vie, j’ai eu envie de dire ‘oui !’ au jour qui commençait ! »
Dire « oui ! » ? Le mouvement qui m’a mené jusqu’ici et
qui a dû lancer le processus thérapeutique depuis le début, je
le découvre maintenant, m’y conduit immanquablement. Je
peux résister — et Dieu sait qu’une résistance, ça chauffe, et
ça peut faire fondre les fusibles — et tergiverser, la question
est posée. Quoi que j’en aie, j’ai été, d’une façon ou d’une
autre, désiré, aimé, lieu de projection, lieu de traversée. Je
dois m’y coltiner...
G@#H%8,#-#Y%&7"1#)"1#3%,7"&1"1#Z#F
La bascule des mal-aimés
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Et si je m’étais accroché au malamour par peur de lâcher
prise et d’être emporté par ce courant ? Voilà encore autre
chose ! Si tout mon roman de déprime et de poisse n’avait
fait qu’habiller ma peur et la rendre supportable et que
j’étais maintenant confronté à la réalité de l’amour et à la
responsabilité d’avoir à me prononcer clairement ?
Quel renversement ! Quelle bascule, et combien radicale,
celle qui fait passer du versant du non à celui du oui ! Ma
tête, mon discours, jusqu’au moindre de mes tics de pensée,
mon corps jusqu’à la moindre de mes cellules doivent maintenant s’ouvrir à ce « oui ! », se laisser perfuser par le courant
d’amour. Rude rééducation aux multiples rebondissements
qui risque de faire basculer, comme un jeu de domino, la
plupart des systèmes de croyance et de comportement auquel
je me pensais condamné et que parfois je croyais inhérents
à moi-même. Au point d’y être attaché comme à une partie
de mon corps.
Bascule qui change jusqu’au regard que je porte sur le
monde : je peux voir désormais le courant s’écouler partout
où je ne voyais que mal-amour... et discerner comment tel
y résiste ou tel autre s’en rend malade, et ainsi de suite.
Voici un exemple entre cent des réévaluations que cette
reformulation — j’ai toujours été mal-aimé ET j’ai été aimé
— entraîne. Cet homme dit et répète : « Je suis mal-aimé
de ma mère, de mon père... de... tiens ! (une illumination
(/;0)/.&'?'<>/#&*I'),*'.&'*<&8,%&-'-&'.,/!!&'*/&-'&-',**/$*&U'
ma femme... devrais-je... (sous-entendu : penser que j’en suis
aimé ?) » Là il hésite, presque il rue, car la mère, le père,
les aimer maintenant, accepter leur amour, ça porte moins
à conséquence, semble-t-il, ils sont morts, ou loin — mais sa
femme, il va la retrouver tout à l’heure... Faudra-t-il qu’il la
lui joue autrement désormais ?
Faudra-t-il qu’après avoir chaque jour aidé à sculpter
.,'!#,#3&'(53-')+39.&'&-'(/;0)3.#<I'&-'9*+/&',38'9*+E&)#/+-!I'
aux désirs névrotiques réciproques, aux répétitions, aux
jérémiades, il lève son burin et écoute ? Que peut-être il
&-#&-(&I'!+3!'.,'9/&**&I'3-'!+3;6&'A3/')+-#/-3&'(&')/*)3.&*I'
20
La bascule des mal-aimés
auquel peut-être il n’avait jamais vraiment prêté attention.
Qui était là pourtant dès le départ, il le sait maintenant.
Car combien de fois n’a-t-il pas essayé de l’étouffer ?
Et maintenant, être obligé de voir qu’au coeur de ce
%,.L,%+3*L.?I'(+-#'/.'E3!#/0&'!&!'#*,@/!+-!I'/.'"','(&'.5,%+3*I'
aussi ! Ce qui l’oblige à se situer et voir qu’il n’a fait que se
trahir... Même si au bout du compte il en vient à conclure
que cela, ce courant dont il ne peut plus se cacher l’existence
en lui, ne peut se vivre avec celle-là, qui résiste décidément
trop à s’en laisser traverser, et qu'il doit aller chercher ailleurs...
Sophie, mal-aimée en cours de reconversion, perçut
l’autre jour, pendant une rêverie, une image étrange. Elle eut
tout à coup le sentiment qu’elle allait perdre une dent. Cette
dent la faisait beaucoup souffrir. Elle n’était plus attachée
A35?'3-'0.I'*/!A3,-#'(&'#+%:&*'?'#+3#'/-!#,-#='
Il lui vint que cette dent représentait sa vie actuelle,
la souffrance qu’elle ressentait, le travail qu’elle faisait sur
elle-même. Sa chute imminente disait le vide qu’elle voyait
devant elle si, comme le dessin s’en précisait, elle quittait
son ami, après dix ans de vie commune et d’insatisfaction
grandissante, et mutuelle.
En travaillant sur l’image, il apparut que la dent était
une dent de lait. Elle tombait parce que la vie s’en était
retirée. C’était le mal de mal-aimée qui perdait son sens
structurant dans sa vie. Se croire, se voir, se savoir mal-aimée l’avaient aidée à traverser enfance et adolescence sans
devenir folle, pour culminer dans le tragique avortement de
ses dix-huit ans. Ils lui avaient assuré une fausse identité
qui lui avait permis d’échapper aux recherches. Quand la vie
l’avait rattrapée dans son ventre, elle avait dû en éteindre
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avait toujours cru devoir se garder.
Maintenant la dent tombait parce que, au-dessous,
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21
La bascule des mal-aimés
le voit dans la bouche des enfants, elle serait presque trop
grande pour elle, comme une anticipation de ce qu’elle allait
devenir. C’était l’aimée de mal-aimée. Et dans l’entre-deux,
le vide, le désarroi, ce trou béant qui dans le rire des enfants
dit : « Je suis en train de sortir de ma première enfance »...
' '
'
'
'
7
La bascule vient parfois à son heure, après une lente
maturation ponctuée de coups de frein, de retours en arrière,
« deux pas en avant, un en arrière — un de bénéf’ », comme
disait un patient. Parfois elle se produit sans crier gare, en
un éclair, tel un rideau qui se déchire soudain. Comme en cet
/-!#,-#'+4'V/+*/-,I'9+*#<&'9,*'3-'9*+;+-('638'*&!9/*,#+/*&I'
et n’en étant pourtant qu’à sa troisième séance, débouche
sur un irrépressible, et indiscutable : « NON, je peux te dire
NON, et que je t’aime »(1).
Le signe le plus spectaculaire en est l’illumination, le
sentiment exaltant de la libération, de l’accès libre à l’amour
depuis si longtemps espéré, ouverture du mur de Berlin de
l’oppression névrotique. « Mais c’était donc ça ! » ou « Maintenant je comprends ! » ou « Aimer, aimer ! ! » Pas besoin
de discours pour l’exprimer...
Parfois elle semble ne jamais devoir survenir, ce qui
ne manquerait pas de faire question si l’on pensait qu’elle
devait se voir...
Le moment de la bascule amorce un tournant décisif du
processus thérapeutique mais il s’en faut que l’effraction de
l’amour en vraie grandeur dans la conscience ne produise
que des effets idylliques. En ébranlant bien des certitudes
dont on vivait, comme autant de protections contre les dangers de l’amour, elle met à jour des peurs profondes qui font
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22
La bascule des mal-aimés
précipitamment faire marche arrière(1).
Et c’est la rechute brutale dans le tableau de maladie
qui avait amené à consulter, dépression, processus délirant,
affection organique rebelle à tout traitement classique, etc.
Quand une telle « rechute » survient dans le cours de la
thérapie, on peut penser avec quelque vraisemblance qu’un
début de bascule s’est produit, qu’une onde de changement
a couru jusqu’au coeur des cellules. Arrivée sur la ligne de
crête où s’offrent toutes les directions, la voie si bien damée
du mal-amour comme le chemin ébauché de l’acceptation
de l’amour, la personne retombe du côté d’où elle venait.
Si fréquente dépression-avortement, dépression marquant
l’avortement d’un processus de changement.
Mais comme un avortement indique qu’une fécondation
a eu lieu, la reprise de maladie est le signe que, « quelque
part », l’alternative a été perçue. Précieuse ouverture. Un
moment de bascule euphorique ne garantit pas plus l’évolu#/+-'>&*!'.,'N3<*/!+-'A3&'.,')@3#&'(,-!'.,'*&)@3#&'-&'!/N-/0&'
l’arrêt du processus thérapeutique...
L’expérience du guide s’avère dans ces situations fort
nécessaire. Il doit pouvoir accepter une fermeture apparente
et maintenir, aussi discrète qu’elle peut l’être, une ouverture
qui s’est faite. Il doit guider le passage de la maladie vers
la souffrance.
Vers la souffrance ? Oui ! Il faut le savoir, le temps
de la bascule est bien souvent un temps de souffrance où
jaillissent les douleurs non du mal-amour, mais de l’amour,
tout simplement. Comme on a mal à ses membres ankylosés
quand la sensibilité y revient. Ainsi en va-t-il des deuils qui
colorent si dramatiquement nombre de basculements. Deuils
d’êtres chers, non faits au moment de leur mort. Car en ce
temps-là on ne pouvait se dire qu’ils nous étaient chers. Au
point qu’on ne le savait pas. Les larmes non versées aux
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La bascule des mal-aimés
23
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d’autant la culpabilité de ne rien ressentir, de ne même
pas souffrir, quand celle-ci ne se redoublait pas d’éprouver
quelque soulagement trouble, voilà qu’elles jaillissent.
Avec l’amour. Elles ne sont pas simple réaction émotionnelle, car il s’en verse des larmes dans la thérapie ! Elles
sont compagnes du renversement de perspective. Peut-être
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irriguer une terre desséchée et lui faire porter des fruits.
G-0-='M+%%&'!/'9+3*'.,'9*&%/$*&';+/!'E&'9,*.,/!'(&')&'
père, comme si pour la première fois je découvrais que je
l’aimais, et comme si au même moment il m’était enlevé,
alors que peut-être il est parti depuis quinze ans. Tout à coup
cette mort devient insupportable. Tout à coup je comprends
qu’il est parti et je souffre. Je souffre d’une relation qui se
brise mais ce dont je souffre le plus c’est de devoir faire le
deuil d’une relation que nous n’avons pas eue — à la minute
même où j’en comprends la profonde réalité... et tout ce qu’il
y avait, en fait, d’amour entre nous.
Pour l’accompagnateur, ce moment de bascule est
bouleversant où la douleur du deuil emporte la personne
comme un torrent... qu’on ne peut voir que comme un torrent
d’amour. Et dont on sent aussi la force quand la personne
rassemble ses forces pour y résister.
C’est Norma se battant presque contre la métamorphose
de ses sentiments, et donc du système de croyances qu’elle
s’était forgé en laissant échapper dans un murmure : « Non,
je ne veux pas le laisser entrer, même à titre posthume, dans
mon coeur, dans mon ventre. »
C’est Philippe qui s’accroche au souvenir d’un père mort
quand il avait douze ans et dont l’amour perdu explique, ditil, ses déboires, ses suicides, ses échecs sentimentaux. Quand
je lui propose de dire tout ce qu’il a à dire à ce père, comme
!5/.'<#,/#'.?I'9+3*'9+3>+/*'.&'.,/!!&*'&-0-'9,*#/*I'/.':,!)3.&==='
dans la dépression. Après quelques semaines de traversée
douloureuse, il s’aperçoit que son père est parti dans... le
La bascule des mal-aimés
24
passé. La suite montre que Philippe, désormais, est libre de
laisser entrer le plaisir dans sa vie, de rencontrer d’autres
humains et de nouer avec eux les relations d’amour dont le
roman paternel et la dépression le protégeaient.
7
Par cette bascule, se prépare l’accès à une dimension
autre de la réalité humaine. Comment ne pas rapprocher les
effets de la bascule psychothérapique de ceux que produisent
sur la vie des personnes les expériences proches de la mort,
connues comme « NDE » (near death experiences) ?
Au-delà de la compréhension intellectuelle et des satisfactions qu’elle apporte, au-delà même des changements
relationnels que ce renversement peut promouvoir, n’est-il
pas maintenant question en thérapie de joie, d’ouverture,
d’acceptation ?
Il est peut-être venu le temps de la psychothérapie
transpersonnelle*.
A coeur battant
25
A COEUR BATTANT
Où l’on voit Marlène rencontrer un coeur, se rapprocher
de sa mère dans la terreur et se trouver acculée à voir en
!""!#"$#%$%$&'#($)*+#,+-#.#
Ce jour-là de nouveau elle s’englue dans le récit faisandé de ses démêlés passés avec sa mère. Pour lui donner
moyen de les aborder là où elle les cultive, c’est-à-dire dans
le présent, je lui propose d’actualiser le débat en s’adressant
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le choisit rouge et entreprend de lui parler dans sa langue
maternelle, qui n’est pas le français.
« Je n’ai rien à te dire... Je suis une bonne à rien
et... j’aimerais que ça soit simple entre nous, qu’on puisse
s’asseoir à la terrasse d’un café, prendre un jus de pomme
ensemble et... » L’émotion monte. « Je voudrais te comprendre... être en paix avec toi... dépasser ta surface, gratter
le plâtre des murs et... euh... découvrir... » Ses mains, livrées
à elles-mêmes, tordent le coussin et lui donnent involontairement la forme d’un coeur, redoublant ainsi son émotion :
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touché l’indicible.
26
La bascule des mal-aimés
Reprenant sans un mot le mouvement arrêté, je mime
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;!7K# 5$2# !&# A0*!# *!256&2$B"!#.# J!# 5*+I3*!# *!0*67;!*# "@$70*!#
)6722/&#.#=#
Sur ce, elle quitte sa mère au coeur battant pour saisir
le coussin désigné en début de séance pour la représenter,
elle, « la poivrote hystérique et maniaco-dépressive », selon
2!2# 5*65*!2# %602'# 8""!# &@!20# 5$2# G7/00!# 567*# $70$&0'# 9# C<# .#
mais... c’est une mère comme ça, folle, malade, que je veux ?
C’est comme ça que je la veux ? »
F!00!#2)3&!#G7@!""!#$#*!22!&0/!#)6%%!#0!**/-$&0!#O#9#2/#
L!#&!#%@+0$/2#5$2#*!0!&7!4#L!#2!*$/2#5$*0/!#$722/0P0#=#O#"$#0*$vaille profondément. A chacune des rencontres qui suivent,
pendant plusieurs semaines, quelque chose en ressurgit. Un
jour c’est : « J’aurais voulu tuer le coeur de ma mère avec un
*!;6";!*'#D$/2#567*G76/#Q#=#R&#$70*!#S#9#C<#.#)!#H*62#)6!7*#
*67H!4#G7!"##0!**/B"!#!II!0#/"#%@$#I$/0#.#='
Parallèlement elle retrouve de sa mère des images, des
souvenirs attendris, non sans étonnement : « Ça me trouble
,!#5$*"!*#,@!""!#)6%%!#E$'''#=#8""!#+)*/0#,!2#2)3&!2#,!#)6%+,/!# O# !""!# !20# I+*7!# ,@+)*/07*!#O# 6T# "@7&# ,!2# 5!*26&&$H!2#
est décrit comme « Représente quelqu’un de positif avec un
coeur ». Je lui fais remarquer qu’elle l’a appelée « Maman »
dans sa langue. « Ah tiens, je n’avais pas fait le lien... »
dit-elle.
8""!# ,+)67;*!# G7@!""!# $# $55*/2# 1# ,/*!# &6&# 2$&2# 2$;6/*#
comment et que, contrairement à ce qu’elle croyait jusqu’à
5*+2!&04# E$# 5!70# I$/*!# ,7# B/!&# $7K# H!&2# $7067*# ,@!""!'# 8""!#
ne sait pas encore clairement qu’on ne peut dire un non
constructif, structurant, que si on sait dire un vrai oui.
8&#G7!"G7!2#2!%$/&!2#2!#%!00!&0#!&#5"$)!#,!#&67;!$7K#
dispositifs relationnels dont les conséquences apparaissent
jour après jour.
27
A coeur battant
# #
#
#
#
U#
Bascule, à n’en pas douter, pour Marlène, terrorisée de
découvrir dans le coeur de sa mère quelque chose qu’elle ne
s’attendait pas à y trouver, que sa mère sans doute ne pensait pas y avoir mis. Dont, à tout le moins, elles ont passé
leur temps à se défendre(1) : la mère en donnant d’elle le
souvenir d’une femme malade, malheureuse et acrimonieuse,
Marlène en trimballant dans la vie sa valise de mal-aimée.
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$7#5"72#/&0/%!#,!#2$#%3*!#.#>7/#5$*"!?0?/"#,@7&#0!%52#6T#!""!#
"@!&0!&,$/0#,!#"@/&0+*/!7*4#$7#%/"/!7#,!2#B*7/02#,!#;!&0*!#O#
!&)6*!# G7!"G7!# )<62!# G7@!""!# &!# 27556*0!# 5$2# O# !0# ,!# 2!2#
propres pulsations ?
Marlène panique de ne pouvoir désormais ignorer que
la vie, installée au fond d’elle comme elle l’était au fond de
cette mère, l’a rattrapée, prête à lui dispenser amour et ten,*!22!'#8""!#2!#*$))*6)<!#,@$B6*,#1#26&#*6%$&#,!#%$"?$/%+!#
puis acceptant, presque à son insu, le chambardement qui
l’oblige à changer ses repères, elle le laisse peu à peu gagner
ses cellules. Dès lors, quelque part en elle, le choix s’est fait
,7#67/4#%A%!#2@/"#,6/0#W#$;6/*#!&)6*!#B/!&#,!2#*!V7K'#F$*#,$&2#
"!#&6&#G7@!""!#,+)67;*!#!20#I6*)+%!&0#/&2)*/0#!&#-"/H*$&!#"!#
oui, comme le Yin dans le Yang.
Tous mouvements enclenchés par le rouge d’un coussin,
le contour qu’y impriment machinalement ses mains, le battement dont l’obsèdent les miennes. Couleur, forme, rythme.
L’amour d’une maman qu’elle découvre avec surprise
imbriqué dans le mal-amour de sa mère, elle en est violemment touchée quand mes mains se mettent à battre. C’est
"!# %6%!&0# 0!**/-$&0# !0# 2$)*+4# %6%!&0# 2$&2# ,670!# 6T# 2!#
dévoile ce que j’ai appelé ailleurs l’amour transpersonnel*,
traversant la personne du thérapeute objet du transfert*...
1. Voir « Toutes des porteuses ?»
La bascule des mal-aimés
28
pour venir s’installer dans l’espace de la thérapie. Il fallait
bien en effet qu’elle m’ait crédité de ce dont elle se croyait
5*/;+!#5$*#2$#%3*!#567*#G7!4#5$*#%6&#6I-)!4#)!#G7!#2$#%3*!#
avait chassé par la porte lui revînt par la fenêtre.
Le mouvement rythmique de mes mains réintroduit la
vie, donc le présent, dans le simulacre de rencontre avec sa
mère que le coussin réalise par-delà la mort. Une fois que le
rideau s’est déchiré, il n’est plus possible de faire comme si
6&#&@$;$/0#*/!&#;7'#D$*"3&!#"@$#0!&0+#,$&2#"$#-&#,!#"$#2+$&)!4#
mais le mouvement lancé a continué de produire ses effets
les semaines suivantes.
X$2)7"!# G7/# 567*# 7&!# I6/2# &!# 56207"!# ,@$70*!# %6,/-)$tion de l’état de conscience que celle que connaît, dédouB"!%!&04# ,+2/,!&0/-)$0/6&4# 0670# $)0!7*# L67$&0# "$# )6%+,/!'#
Il faut, il est vrai, un changement dans la perception pour
G7!#"!#*!5*+2!&0$&0#,!#"@$B2!&0!#O#"!#)6722/&#567*#"$#%3*!#
O#26/0#;7#$;!)#0670!#"@+5$/22!7*#,!#)!"7/#G7@/"#*!5*+2!&0!#!0#
déclenche les émotions qui s’y rapportent, « pour de vrai ».
Pendant quelques instants, Marlène a été indiscutablement
en état second, surtout elle, habituellement si maîtrisée et
si BCBG...
Dès qu’à la forme s’est associée la pulsation, elle est
descendue en des couches très profondes de sa conscience.
8""!# W# $# *!0*67;+# ,7# 0*32# $&)/!&&!%!&0# /&2)*/0# !0# ,!57/2#
toujours caché, dont l’irruption est venu secouer une bonne
partie de son organisation interne.
Touchée au coeur par un coeur de tissu lui parlant d’un
coeur de maman...
# #
#
#
#
U
La rencontre entre un homme et son propre coeur
illustre de façon frappante plusieurs des processus à l’oeuvre
dans la thérapie et je voudrais en dire quelques mots pour
ceux que ces questions intéressent.
Par la voie du coeur, on accède à l’un de ces carrefours
A coeur battant
29
où convergent les systèmes symbolique et imaginaire et celui
du réel biologique. Par la voie du coeur, on est renvoyé tôt ou
tard à l’amour que comporte, qu’on le veuille ou non, tout
mal-amour. Par la voie du coeur, et de ce fait, on se trouve
grandement exposé à la bascule...
C7#-"#,!#"$#5*$0/G7!#6&#,+)67;*!#"!2#%6,$"/0+2#,!#)!00!#
rencontre et les potentiels dont elles sont porteuses. Le coeur
est un des lieux du corps que l’imagerie langagière privilégie
!0# "@/&;!&0/6&# 0<+*$5!70/G7!# )6&-*%!# 7&!# I6/2# ,!# 5"72# G7!#
"!#5*65*!#;$#$;!)#"!#-H7*+#!0#)6&20/07!#5$*I6/2#"!#5"72#)67*0#
chemin pour y parvenir.
Une telle rencontre n’est jamais un moment anodin.
Pour en exposer les différentes formes de façon un peu sys0+%$0/G7!4#!0#2$&2#&/!*#"!#*/2G7!#,@$*0/-)!#G7!#)!"$#)6%56*0!4#
je pourrais dire qu’elle emprunte trois voies, trois niveaux
d’approche : la relaxation, le voyage intérieur, la méditation.
Distinction intéressante pour la description et l’analyse, plus
délicate à faire sur le terrain.
# #
#
#
#
U
La façon la plus courante, en psychothérapie, pour
entrer en contact avec l’organe cardiaque et sa fonction physiologique est la relaxation, quelle qu’en soit la technique.
8""!# !&0*$Y&!# 5$*# ,+-&/0/6&# 7&!# %6,/-)$0/6&# ,!# "@+0$0# ,!#
)6&2)/!&)!# Z;6/*# 8DF[\# 272)!50/B"!# ,!# %!&!*# $7# )$**!I67*#
où s’ouvrent d’une part les représentations symbo- liques
et imaginaires du coeur, et d’autre part les canaux psychosomatiques reliés au système nerveux végétatif*.
La relaxation permet de percevoir sensoriellement la
vie du coeur et au premier chef son battement. Le battement
est sans doute le rythme corporel le plus anciennement inscrit dans notre mémoire personnelle, avant même le rythme
respiratoire. Il est le premier rythme à dire que cet être-là
est animé : vivant et doué d’ores et déjà d’un moteur autonome. Le capter comme rythme de fond du corps, c’est capter
La bascule des mal-aimés
30
une des formes organisatrices de la vie, alternance systolediastole, vidage-remplissage, contraction (Yang)-dilatation
(Yin), anabolisme-catabolisme, etc. Alors que la respiration
reste marquée par la sortie dans l’espace aérien, la rupture
du cordon, la séparation.
Cette approche est une des façons les mieux connues de
soigner l’organe cardiaque dans ses interrelations avec la
personne. Car on ne soigne jamais « un » coeur mais « le »
coeur de quelqu’un...
# #
#
#
#
U
Autre route qui conduit au coeur, mais dans une acception plus métaphorique ou symbolique : le voyage intérieur.
Il peut se faire en relaxation dite profonde ou emprunter
les voies du rêve éveillé dirigé, du massage, etc. On en
rapprochera les différentes façons de mettre en scène, de
théâtraliser, de jouer avec l’image du coeur. L’histoire de
Marlène en a montré une.
]$*# "!# B/$/2# ,!# "$# ;/27$"/2$0/6&# !0# ,@7&!# %6,/-)$0/6&#
de la conscience habituelle, il mène aux avenues de l’imaginaire corporel. Ce pourra être la « chambre du coeur » au
2!/&# ,!# "$# %$/26&# -H7*$&0# "@!&2!%B"!# ,!# "$# 5!*26&&!4# 67#
la « soute » où bat le coeur secret du navire, ou la lumière
rouge qui clignote dans la nuit ou d’autres images encore.
Ce qu’on vient y faire varie bien sûr, qu’on en examine les
apparences, les contenus, les relations avec le reste du montage, qu’on vienne y changer quelque chose ou s’en servir ou
simplement s’y poser.
Le travail porte sur ce que véhiculent les images et les
symboles se rattachant au coeur pour cette personne-là, avec
son histoire et dans sa culture. Mais plus qu’un travail sur
ces représentations, il est d’abord travail à l’intérieur de
)!""!2?)/4#,$&2#"!7*#,/$"!)0/G7!#!0#"!7*#"6H/G7!'#8&#2@W#%67vant, en les explorant, en les transformant éventuellement,
on y opère une mobilisation qui peut déboucher sur des
changements à différents niveaux de la personnalité.
31
coeur battant
battant
AA
coeur
Ouverture
Bon moyen d’approcher la sphère affective, de capter et
de percevoir les champs morphiques* qui l’informent et de
résonner avec des champs différents.
8&# 5*/&)/5!'# X!""!# "!E6&# G7!# %!# ,6&&$# 7&# L67*# 1# )!#
propos OSS 827. J’ambitionnais de le mettre en contact
avec ses sentiments, lui qui s’en défend habituellement par
une cotte de mailles de parano diffuse et cotonneuse. Nous
entreprenons donc ce que je pensais être un voyage intérieur
et, après préparation adéquate, je lui propose de se rendre
dans la chambre du coeur.
A peine ai-je parlé qu’il ouvre les yeux et me demande :
« Vous voulez dire la cavité cardiaque ? ».
Il n’était pas question qu’on touchât aux sentiments et il
était clair que pour s’en protéger il se défendait lui-même de
V/*0!*#$;!)#"$#%+0$5<6*!#)6*56*!""!'#:!2#I6/2#G7!#26&#)6!7*#
se mît à battre pour quelqu’un. Un coeur, c’est un muscle qui
bat pour faire circuler le sang, un point c’est tout. Lui faire
percevoir sa pulsation en relaxation, passe encore, c’est du
physiologique un peu poussé. Mais du métaphorique, non.
L’accès à ce carrefour-là est bouché depuis longtemps et j’en
suis pour mes frais...
# #
#
#
#
U
Troisième voie de rencontre avec le coeur : la méditation. Mais s’agit-il encore de ce coeur de chair ?
Les manières en sont diverses et leur façon d’utiliser le
support cardiaque illustre comment on peut les distinguer
des voies précédemment évoquées. On pourrait dire que par
l’intermédiaire de l’espace cardiaque personnel, elles font
entrer le méditant dans un espace au-delà de sa personne,
un espace transcendant ou transpersonnel*. Il ne s’agit plus
de s’arrêter à un carrefour mais de prendre une des voies
qui y aboutissent pour la remonter vers l’autre pôle, vers la
réalité non duelle dont elle vient, l’espace de la non-différentiation. Sur ce point les traditions les plus explicites dans
leur théorisation nous viennent d’Orient(1). J’en citerai deux.
32
La bascule des mal-aimés
Pour les Chinois, c’est la méditation ouvrant à la dimension du SHEN, de l’esprit au sens le plus large et le plus
indifférencié du terme. On serait presque tenté de traduire
5$*#9#825*/0#=#O#5$2#+06&&$&0#G7!#"!2#J+27/0!2#$/!&0#70/"/2+#
ce caractère pour nommer le Dieu à majuscule des monothéistes.
Dans la pensée chinoise et les pratiques aussi bien
thérapeutiques que spirituelles qui s’y rattachent, le repré2!&0$&0# ,!# (^8M dans le corps de l’homme, et la voie par
laquelle il y produit ses effets, est le viscère que nous appelons coeur. On comprend l’importance des techniques se
rapportant au coeur ou, pour parler comme les Chinois, à
l’élément Feu : elles ne soignent pas seulement le viscère,
elles touchent à ce qui en l’homme se rattache à une intelligence au-delà de lui, à une intelligence macrocosmique.
La tradition indienne du Yoga tantrique* décrit les
+0$5!2# ,7# 5*6)!2272# %W20/G7!# ,@7&/-)$0/6&# 1# "$# 060$"/0+'#
Chaque étape est symbolisée par une roue rapportée, pour
des raisons complexes, à une région du corps et dénommée
tchakra(2). Le tchakra du coeur a une importance particulière : il correspond à l’expérience de la compassion pour les
êtres, à l’entrée dans la dimension de l’amour. Il est, quatrième tchakra sur sept, à mi-chemin de l’évolution : entrer
dans l’espace du coeur c’est le pas par lequel, désormais
moins soucieux de notre ego individualisé, nous pouvons
donner sans attente de retour, sans contrepartie...
F!2# 5*$0/G7!2# 25/*/07!""!2# B/!&# )6,/-+!2# +)"$/*!&0# )!*tains faits. Ainsi y parle-t-on souvent de rayons lumineux
émanant du coeur du méditant. Ce peut être une façon
1. Les plus explicites pour moi. Mon ignorance m’interdit de parler des
traditions d’Occident et de la place, par exemple, du Sacré-Coeur dans la
pratique chrétienne de la méditation.
2. Pour qui serait intéressé par ce point, se reporter à mon article
« Les Tchakras, un nécessaire retour aux sources », paru dans la revue
« 3° millénaire », janvier 1991.
A
coeur battant
battant
A
coeur
Ouverture
33
d'aider le pratiquant à visualiser cette énergie, à se la représenter mentalement.
Mais il peut s’agir aussi de la perception au sens propre
de vibrations lumineuses par l’assistance, qui font dire que
telle personne est « rayonnante » de bonté, de compassion.
L’iconographie religieuse, quelle qu’en soit la culture, a
souvent représenté le coeur radiant du méditant ou du
mystique.
Autre coup d’éclairage : sur certains phénomènes pathologiques. On ne dit pas pour rien qu’il s’agit dans l’ascèse
« d’ouvrir son coeur ». Le méditant empruntant cette voie
peut faire l’expérience d’une dissolution des limites corporelles personnelles, ce que les spécialistes appellent la
décorporation.
L’expérience peut être recherchée et utilisée en thérapie
transpersonnelle*. Mais il arrive que cet état se produise
à la suite d’une tempête émotionnelle, en rapport avec la
vie affective, que la personne n’a pas les moyens de gérer.
Il se produit comme une implosion de l’espace personnel à
travers la brèche cardiaque. Parfois c’est le coeur viscère qui
se rompt. Parfois c’est la personne qui, en l’absence de tout
système de repères ou d’un guide éventuel, vit la dissolution
comme une expérience angoissante et délirante de déper26&&$"/2$0/6&['#80$0#G7/#!&#$#%!&+#5"72#,@7&#!&#52W)</$0*/!#
alors qu'il était peut-être l'amorce d'une bascule au sens le
plus transformateur du terme.
34
La bascule des mal-aimés
35
A coeur battant
DÉPRESSION...
Les rayons des bibliothèques spécialisées croulent sous
le poids des ouvrages et articles consacrés à la dépression. Je
m’en voudrais d’aggraver la situation. Mais comme malgré ce
bel effort il y a toujours autant sinon plus de déprimés et de
dépressions, je prends le risque d’y mettre mon grain de sel.
Car je commence à la connaître, la vieille compagne de
route. J’ai essayé de m’en défaire en luttant contre elle dans
%$#;/!#!0#,$&2#"!2#<P5/0$7K4#!&#"@+)670$&0#,$&2#%!2#-B*!2#!0#
chez les patients, avant de lui laisser sa place à mes côtés.
Notre longue complicité et les enseignements de l’expérience
m’ont donné envie de prendre des chemins de traverse et j’y
$/#*$%$22+#G7!"G7!2#/&,/)!2'#8)"$/*!&0?/"2#"!2#%W203*!2#,!#"$#
dépression ? C’est à essayer...
Avant de poursuivre, une précision s’impose. Le terme
de « dépression », « dépressif » est souvent utilisé, dans le
langage courant ou dans la presse non spécialisée, pour désigner n’importe quel type de trouble psychologique. Quand on
entend dire que tel acteur a fait une dépression nerveuse, ne
pas prendre le mot au pied de la lettre : il a pu aussi bien
faire une bouffée délirante qu’avoir un accès de manie* ou
sombrer dans la maladie d’Alzheimer*. C’est arrivé.
J!#*!20!#-,3"!#567*#%$#5$*0#1#"@72$H!#%+,/)$"#<$B/07!"'#
L’être en dépression voit son tonus mental s’effondrer, son
La bascule des mal-aimés
36
courage et son dynamisme s’effriter et il s’enfonce dans la
souffrance morale. Sa vision du monde devient négative,
parfois jusqu’à l’extrême du pessimisme. Il se courbe sous
le poids de la faute, il perd tout appétit et jusqu’au goût des
choses, son regard se ternit. Il entend jusqu’à la hantise
l’appel du néant et du suicide.
80#567*0$&0#,!2#5<*$2!2#5!7;!&0#;!&/*#I$/*!#)<$&)!"!*#
sa sombre certitude.
# #
#
#
#
U
La dépression est une drogue...
Où l’état dépressif joue le rôle d’une véritable drogue
dont il faudrait accepter un jour de se passer, de se sevrer...
$;!)# 0670!# "$# ,/I-)7"0+# G7@/"# 5!70# W# $;6/*# 1# "!# I$/*!'# ]$2# 2/#
simple, surtout quand la dépression vient soigner une plus
grande douleur en la recouvrant du voile d’une certaine
anesthésie. Ce qui est fréquent.
Voici une grande dépressive. Du moins Vanessa apparaît-elle ainsi. Pâle, dolente, tristounette, revenant sans
cesse sur son incapacité à réussir quoi que ce soit, sur son
inappétence de la vie et sur la kyrielle de malheurs qui
la frappent depuis l’enfance. Une enfance, telle qu’elle la
raconte, à attendrir n’importe quel procureur général, du
mal-amour à décourager toute bascule.
Au cours de l’entretien, il se précise tout à coup que les
%6%!&02# "!2# 5"72# ,/I-)/"!2# ,!# 26&# !K/20!&)!4# $"6*2# G7@!""!#
s’est jusque-là essentiellement plainte de sa dépression et
de sa piteuse santé physique, sont des moments de panique
profonde qui la submergent à l’improviste. Paradoxalement
ils surviennent le plus souvent quand elle devrait se réjouir,
par exemple au moment de s’engager dans une relation
amoureuse ou simplement amicale(1).
« Le plus urgent dans ces moments-là c’est de ne plus
rien ressentir, de m’anesthésier. Alors je me dis que tout ça
1. Voir « Pas de panique... »
A
coeur battant
Dépression...
37
n’a rien d’étonnant, que je ne mérite rien de bon, que ma vie
&@!20#G7@+)<!)24#G7!#L!#&@W#$**/;!*$/#L$%$/2'#80#L!#06%B!#,$&2#
la dépression. La dépression m’empêche de rester dans la
5$&/G7!'#8""!#%@$/,!#1#)6%5*!&,*!#567*G76/#L!#27/2#)6%%!#
ça. C’est malheureusement trop clair, avec l’enfance et la vie
que j’ai eues. Au bout de quelque temps, je ne ressens plus
rien, ni douleur, ni plaisir, je suis tranquille. »
8&I/&# .# :$&2# "!# )"/%$0# ,+5*!22/I4# !""!# *!0*67;!# 2!2#
repères, ses habitudes, la paix, pour tout dire. Voilà une
bonne auto-médication, qui l’aide à empêcher la panique de
l’emporter, mais un peu coûteuse : elle l’aide aussi à s’empêcher de vivre... Sa dépression n’en est pas pour autant factice
mais le vibrato de sa voix est tout à fait différent quand, à
quelques secondes d’intervallle, elle évoque avec vivacité ces
accès de panique puis qu’elle débite son discours dépressif.
La perspective de sortir de la dépression que lui présentait sa thérapie lui a fait un jour tout arrêter. Sans doute
&!# 2!# 2!&0$/0?!""!# 5$2# 5*A0!# 1# $II*6&0!*# "!# 5*+)/5/)!'# 8""!#
payait cher le relatif apaisement, mais ne pouvait encore
y renoncer.
Discours que pourrait tenir plus d’un drogué, où le mal
est le remède d’un mal plus terrible encore et pour cette
*$/26&#2/#,/I-)/"!#1#"_)<!*'###
80*$&H!#I$E6&#,@$B6*,!*#"$#G7!20/6&#Q#]!70?6&#!&#I$/*!#
l’économie quand la dépression ne cesse de se reproduire et
qu’elle résiste aux tentatives thérapeutiques ? La répétition
d’un état oblige à se demander ce qu’il apporte dans l’ordre
du rassurant, du régressif, voire du plaisir, tout comme la
drogue.
On peut toujours arguer que la science médicale n’a pas
encore trouvé la solution, le bon médicament, mais qu’on y
arrivera, et qu’il y a toujours une solution, voyons voir le
scanner, faisons des électro-chocs, pardon, des « narcoses »,
etc. Peut-être, si ça aide. Mais si on considère que la dépression est en elle-même un médicament, on comprendra bien
que, le remède retiré à cause de ses inconvénients, reste la
La bascule des mal-aimés
38
%$"$,/!#G7@/"#26/H&$/0'''#80#G7!#I$70!#,!#%/!7K4#"!#5$0/!&0#2@W#
*!%!00!#,32#G7!#"$#%$"$,/!#,!#I6&,#O#7&!#%$"$,/!#,!#"@_%!4#
567*#G7@!""!#)6""!#0$&0#$7#)6*52#O#*!56/&0!#"!#&!`'
Tout dépressif est confronté à un moment ou un autre de
26&#+;6"70/6&#$7#,+-#,@$;6/*#1#2!#2+5$*!*#,!#2$#,+5*!22/6&'
Quand le moment de vérité arrive, la décision est beaucoup
moins facile à prendre que le désir proclamé de mieux-être
et de guérison ne le laisserait croire. Vanessa, citée plus
haut, le reconnaît, non sans amertume. Certains même
laissent échapper ce cri du coeur : « Mais ça m’embête d’aller
%/!7K# .# =4# 67;*$&0# ,7# %A%!# )675# 7&!# B*3)<!# ;!*0/H/&!72!#
,$&2#"@+,/-)!#,!2#,/2)67*2#)6&;!&72'##
Plus d’un suspend ou même arrête sa psychothérapie au
moment de faire le pas. Il y aura gagné, du moins on l’espère,
d’avoir vu devant quoi il butait, cette relation ambiguë et
passionnelle ave sa propre dépression, tout comme le toxicomane avec sa shooteuse ou l’alcoolique avec sa bouteille.
La dépression est parfois tellement ressentie comme
7&!# !&0/0+# 5*65*!# G7@6&# 5!70# $;!)# 5*6-0# 70/"/2!*# "$# I6*%!#
théâtrale. La mise en scène du débat en fait ressortir avec
I6*)!#"$#,/$"!)0/G7!4#5!*%!0#,!#"$#L67!*4#,!#)"$*/-!*#"!2#!&L!7K#
de la décision et de dégager les moyens de faire un choix...
# #
#
#
#
U###
Chacun fabrique ses antidépresseurs...
Pour rester toujours avec les habitués de la dépression
O##G7/#;/!&&!&0#5"72#;6"6&0/!*2#;6/*#"!#0<+*$5!70!#G7!#)!7K#
G7/#!&#)6&&$/22!&0#"$#5*!%/3*!#%6*27*!#O#/"#!20#7&!#5*6I!2sion de foi fréquemment entendue : « Cette fois-ci, je veux
me passer d’antidépresseurs. »
Bien souvent dans ces cas-là l’amélioration survient
plus vite qu’avec un apport d’origine extérieure. La rapidité
est facile à repérer car on connaît le temps que mettent les
antidépresseurs exogènes à agir.
L’annonce inaugurale est-elle le premier signe d’une
relance de la fabrication d’antidépresseurs par le patient lui-
A coeur battant
Dépression...
39
même ? Des auto-antidépresseurs ? Comme s’il avait quelque
part en lui un laboratoire fabriquant de tels produits, et de
façon tout à fait personnalisée, et que sa décision pût réamorcer l’activité de cette chaîne.
Un autre fait d’expérience va dans le même sens.
Quand un thérapeute n’arrive pas à se tirer de sa dépression
et que, parvenant à aider quelqu’un, il s’en trouve tout à
coup mieux, n’a-t-il pas fait redémarrer sa propre chaîne(1) ?
L’idée que nous produisons nos propres antidépresseurs
s’articule bien avec ce que nous commençons de savoir sur
"!2#$706?0*$&G7/""/2$&024#"!2#$7062075+-$&02#Z"!2#!&,6*5</&!2#
que tout le monde connaît maintenant), voire les auto&!7*6"!50/G7!2['# 8""!# 2@$))6*,!# B/!&# +H$"!%!&0# $;!)# )!# G7/#
2!%B"!#,/I-)/"!%!&0#)6&0!20$B"!4#1#2$;6/*#G7!#"$#,+5*!22/6&#
s’exprime aussi par des relais chimiques, des neuro-médiateurs*, tels la fameuse sérotonine.
L’actualité de la question est relancée par la polémique
sur la pertinence de la distinction entre dépression aiguë et
dépression chronique. Ce que les médicaments anti-dépresseurs soignent assez bien, c’est l’état dépressif aigu, surtout
la première fois. Or l’état dépressif aigu guérit touours de
lui-même, même dans la forme gravissime de la mélancolie.
Il guérit généralement dans les trois à six mois, à condition
que la personne ait été protégée de mourir par suicide ou par
inanition. Les médicaments ou les électrochocs permettent
d’aller plus vite mais, tous les professeurs le disent, le traitement doit être poursuivi jusqu’au moment où la maladie
aurait guéri d’elle-même.
On pourrait dire que la dépression aiguë correspond
à un arrêt momentané de la fabrication d’auto-antidépresseurs auquel il faut suppléer pendant toute sa durée. Si on
arrête le traitement trop tôt, le processus dépressif risque
,!#*!V!7*/*'#>!#0*$/0!%!&0#)</%/G7!#&@!20#G7!#2725!&2/I4#/"#
n’est pas curatif. Quand on prolonge le traitement par anti-
1. C’est un des nombreux exemples de ce que j’appelle l’effet de péage*.
La bascule des mal-aimés
40
dépresseur au-delà de la durée normale de reprise de la dite
fabrication, on risque de la bloquer et de faire basculer la
personne dans un arrêt prolongé de la chaîne, autrement dit
dans une dépression chronique ou à accès répétitifs.
Ces notions sont importantes à connaître pour les pa0/!&02#!0#567*#"!2#%+,!)/&2'#8""!2#5!*%!00!&0#,!#5*+)/2!*#"$#
5"$)!#G7/#*!;/!&0#$7K#%+,/)$%!&02'#8""!2#+"$*H/22!&0#$722/#
l’horizon en proposant de remettre la chimie individuelle
dans la perspective plus ouverte des contextes relationnels
et des choix existentiels de chacun.
8&#26*0$&0#,7#)$,*!#+0*6/0#O#+0*6/04#5$2#I6*)+%!&0#I$7K#
O# G7/# %6&0*!# "$# ,+5*!22/6&# )6%%!# 7&!# %$"$,/!4# 6&# 5!70#
l’envisager comme un comportement choisi en fonction de
la logique des systèmes vivants dans lesquels la personne
évolue. La chimie permet d’actualiser le comportement
dépressif, elle y est même indispensable, mais elle n’explique
pas, à elle seule, pourquoi on le choisit parmi tous les autres.
Au risque de paraître technique je hasarderai une hypothèse qui s’articule avec celle des champs morphiques*. La
faculté de résonner avec tel champ de forme, en l’occurrence
le champ de comportement dépressif, plutôt qu’avec tel
$70*!4# ,+5!&,# 5!70?A0*!# $722/# ,7# 5*6-"# &!7*6)</%/G7!# ,!#
chaque être humain. On touche là au point d’articulation
entre la personne et le groupe, entre la chimie individuelle
et les champs morphiques, dont la relation est vraisemblaB"!%!&0# 5"72# )/*)7"$/*!# O# /"2# 2!# *!&I6*)!&0# 67# 2@/&</B!&0#
%707!""!%!&0#O#G7!#,!#)$72!#1#!II!0'#N&#;$#!&#;6/*#G7!"G7!2#
illustrations.
# #
#
#
#
U
Où se cache le héros ?
Peut-il y avoir dépression, c’est-à-dire baisse de pression, voire pression négative quelque part, sans qu’il y ait
hausse de pression ou pression positive ailleurs ? Tout se
tient.
A coeur battant
Dépression...
41
S’il peut sembler étrange d’appliquer au fonctionnement
humain la règle de conservation de l’énergie au sein d’un système fermé, les conséquences, les éclairages qui en résultent
sont parfois tout aussi étonnants. Au lieu de considérer la
dépression comme un fait survenant chez un individu et se
résumant à elle-même, il est fort intéressant de considérer
qu’elle fait partie d’un dipôle et d’en chercher l’autre pôle,
l’image inversée ou complémentaire qui l’équilibre au sein
de l’ensemble concerné.
D’où la question que chacun peut se poser : quel est
l’ensemble que ma dépression vient équilibrer ? Qui peut
se formuler également : si je trouve ce qui fait contrepoids
à ma dépression j’aurai l’ensemble dans lequel les deux
prennent sens et il sera logique de le soigner si je souhaite
un changement en moi.
Si je déprime c’est que ça « surpresse » quelque part.
La dépression émerge dans la partie de moi qui ressent les
choses et les nomme, dans ma conscience. Ce n’est qu’une
partie de l’iceberg. Où se déroule le phénomène de surpression ? Ce peut être dans n’importe lequel des systèmes
interactifs dont je fais partie.
Ce peut être dans la dynamique entre moi et mon
inconscient. Qu’on parle des systèmes moi-ça-surmoi, animus-anima-imagos*, ou enfant-parent-adulte,(1) etc., il s’agit
toujours du jeu entre mes différents visages. Si je suis un
rateur répétitif, un perdant impénitent, un autocritique
acharné, quel est l’autre visage du couple ?
Cherchez « le héros ». Mais comme la vie s’est toute
engouffrée dans le ratage, toute l’énergie dans la plainte, le
<+*62#2@!20#,+;/0$"/2+#!0#5+0*/-+#S#/"#!20#,!;!&7#20$07!'#a!&*!#
statue du Commandeur... Référence incontournable de ce que
j’aurais dû ou pu être, référence de ce qui m’était promis ou
offert, et qui me rapetisse et me culpabilise d’autant chaque
fois que j’y jette les yeux.
1. Qui correspondent respectivement aux systèmes d’analyse freudienne,
jungienne, transactionnelle.
42
La bascule des mal-aimés
Voici l’homme que je serais si... Ce visage de Jeanqui-gagne est peut-être aussi aliéné que celui de Jean-quiperd : car il apparaît que quand je quitte l’un, nommément
la dépression, pour devenir moi-même il me faut quitter
l’autre, à savoir le héros de marbre, et il me coûte de me
,+20$07-!*(1)...
Voyez les héros impavides de notre Histoire qui nous
la jouent en sens inverse. Ils ont tous, à l’instant qu’ils ne
567;$/!&0#5"72#2@/,!&0/-!*#1#"!7*#20$07!4#)6&&7#7&#;+*/0$B"!#
état dépressif, sombrant dans l’inhibition, le découragement,
le sentiment aigu de l’échec. Ainsi de Staline en juillet 1941,
dans les jours qui suivirent l’attaque allemande qu’il avait
toujours voulu nier. Ou de De Gaulle en septembre 1940,
devant Dakar, quand il put croire que toute son entreprise
s’effondrait(2). Voyez ces colosses qui, tels les chevaliers
médiévaux, ne peuvent se relever une fois à terre et développent rapidement des maladies graves voire fatales, depuis
"!# M+H72# L72G7@1# 8*/)<# ^6&!)b!*# !&# 5$22$&0# 5$*# "!# (<$<#
d’Iran(3).
Le héros, quand il n’est pas de pierre, est fait de vent.
Je le retrouve dans ces rêveries où je deviens aventurier,
chevalier sans peur et sans reproche, Zorro le vengeur (de
moi-même) masqué, Superman jailli d’un minable couleur
de muraille.
Bouc émissaire, raté, héritier, sauveur, vengeur, juge
implacable, quels que soient le masque que je montre et son
1. Voir « Se soigner, entre statue et suicide ».
2. On en trouvera la référence, pour le Géorgien, dans l’ouvrage du Général
Volkogonov « Staline, triomphe et stratégie », Flammarion, Paris, 1990,
et pour le Connétable dans la monumentale biographie de J.Lacouture
(Seuil, Paris, 1984).
3. Le Négus, Hailé Sélassié, Empereur d’Ethiopie, occupa le trône pendant 58 ans. Déposé en 1974, il mourut moins d’un an après. Il avait 83
ans. Le Shah d’Iran régna 38 ans. Chassé, contraint à l’exil en 1979, il
ne survécut que 18 mois. Quand il mourut il n’avait pas encore 61 ans.
L’histoire d’Erich Honecker, petit Père des Peuples de la RDA est plus
récente et bien connue.
A coeur battant
Dépression...
43
double secret, ils sont les protagonistes du grand jeu ancré
en moi de la joie et de la tristesse, du bonheur et du malheur.
Dans ce charivari, quel est mon vrai visage ? Comment
atteindre mon être profond, celui qui sait à l’instant quand
je parle vrai ou quand je me prostitue ? Celui qui saura
voir comment je suis pris dans le jeu de à qui perd gagne et
comment en sortir ?
Le binome dépression-surpression se situe parfois
dans le système somatique : une partie du corps, un sous-ensemble énergétique déprime pendant qu’un autre surpresse.
Phénomène souvent net dans la succession temporelle : à une
phase d’excitation (poussée d’adrénaline) succède une phase
de stupeur, d’inhibition. La médecine chinoise traditionnelle
rend compte de façon très élaborée et très opératoire de ce
type de dynamique dans la sphère psycho-somatique par le
système dit des cinq éléments(1). On peut élaborer une véritable carte du corps dépressif et y repérer ce qui déprime et
ce qui s’excite.
Un de nos principaux systèmes interactifs est le groupe
familial et/ou conjugal. Il est logique d’y chercher la surpression qui s’apparie avec ma dépression, l’un venant équilibrer
l’autre, sans qu’on puisse souvent dire lequel est premier
dans l’historique des enchaînements. Ce point est d’un
/&0+*A0#0670#*!"$0/I#57/2G7!#2/#"!#2W203%!#!20#/,!&0/-+4#6&#"!#
met en possibilité de changement en agissant sur n’importe
laquelle de ses composantes.
Système familial ou système conjugal ? C’est selon, selon
que je déprime avant tout au titre de parent ou d’enfant ou
de conjoint. Les dépressifs savent faire la différence. Bien
qu’à partir d’un certain degré d’enlisement on déprime sous
toutes ses casquettes...
Il est bien rare que la dépression de l’un, même la plus
1. Le terme chinois serait mieux traduit par « les cinq dynamiques ».
44
La bascule des mal-aimés
authentique cliniquement, ne prenne pas sens dans la dynamique qui englobe l’autre ou les autres.
L’histoire de Ludovic et Marceline le montre. Ludovic
a toujours été dépressif et a tout essayé, chimio, hôpital,
psychanalyse. Marceline, femme active et dynamique, a
toujours dit qu’elle ne supporterait pas éternellement son
discours pessimiste et chagrin, sa vie avaricieuse de joie,
ses attitudes infantiles. Au bout de dix ans, craignant de la
perdre, il décide de se soigner sérieusement.
L’amélioration est rapide. Il ignore que pendant ses
sessions de thérapie, elle a pris un amant. Un jour, elle lui
demande la séparation en lui révélant l’affaire. Il chancelle
mais ne s’effondre pas, et il accepte. Son accord la laisse
désemparée. Manifestement l’absence de réaction dépressive
ou névrotique déséquilibre le système.
Deux jours avant qu’il déménage, elle a un accident de
;6/07*!# $22!`# 2+*/!7K# O# 0*$7%$0/2%!# )*_&/!&4# +0$0# )6&I7?
2/6&&!"#O#G7/#"7/#!&"3;!#0670!#$706&6%/!#5!&,$&0#G7!"G7!2#
2!%$/&!2'# c"# *!20!# 1# 2!2# )P0+2'# d7$&,# /"# 2!# )6&-*%!# G7@/"#
5$*0/*$# G7$&,# %A%!# O# /"# &@$# 567*0$&0# L$%$/2# +0+# <6%%!#
,!#,+)/2/6&#O#D$*)!"/&!#I$/0#"$#9#H*622!#=#,+5*!22/6&4#/&)7rie, apathie, idées de suicide. Car quand ils dépriment, l’un
)6%%!#"@$70*!4#)!#&@!20#5$2#,7#V$&4#/"#&@!20#5$2#G7!20/6&#,!#
simulation ou de chantage : la chimie intérieure s’acquitte
très consciencieusement de la tâche qui lui est assignée.
Le couple n’a pas été soigné. Si Marceline déprime,
ce n’est pas de perdre l’homme Ludovic, mais de perdre
l’élément qui, équilibrant sa propre manie*, la protégeait
elle-même de la dépression. Ses menaces n’avaient peut-être
eu pour fonction que de maintenir Ludovic dans son rôle,
sous le prétexte de l’en sortir. Le choix conjugal de Ludovic
visait sans doute à le maintenir dans sa propre dépression,
ce qu’il subodora vite en thérapie, croyant pourtant l’avoir
entreprise pour « garder » Marceline...
Marceline a trouvé un bon docteur qui lui a fait sa cure
,@$&0/,+5*!22!7*2#!0#>7,6;/)#!20#5$*0/#,+-&/0/;!%!&0'#C5*32#
son départ, Marceline est restée deux ans entre la manie et
A
coeur battant
Dépression...
45
la dépression, jouant sur sa scène intérieure le drame conjuH$"#6T#!""!#+0$/0#5*/2!#L72G7!?"1'#8""!#$#,e#A0*!#<625/0$"/2+!#
à plusieurs reprises. Ils n’ont jamais pu instaurer entre
eux une relation renouvelée et équilibrée, même après des
années de séparation.
Troisième système interactif, le collectif. Animal social
L!# 27/2# O# 5$*# ,+-&/0/6&4# !0# 6&# &@/&2/20!*$# L$%$/2# $22!`#O4#
animal social je reste jusque dans mes comportements de
maladie. Quand je déprime, j’adopte incontestablement un
certain type de comportement social(1)'# 8;/,!&)!# G7!# )6*robore la fréquence élevée des comportements dépressifs à
notre époque ou les phénomènes de contagion qu’on peut
facilement observer dans les collectivités restreintes, comme
les épidémies de suicides ou de crises de nerfs.
Même si j’ai des raisons, au fond de mon inconscient(2)
ou de ma biochimie, pour faire partie des atomes sociaux
qui choisissent ce type de comportement, en tant qu’atome
social j’entre dans un jeu collectif. Dans cette dynamique,
ma dépression et celle de nombreux autres atomes sociaux
s’équilibrent avec une « surpression » jouée ailleurs par
d’autres groupes d’atomes sociaux.
Bizarre, non ? Voyons ça de plus près.
Je ne reviendrai pas sur l’importance généralisée et
croissante qu’a prise depuis quelques décennies l’idéal de la
*+722/0!#!0#,7#B6&<!7*#/&,/;/,7!"2#O#)!#G7!#"@6&#$#)6707%!#
d’appeler « le rêve américain ».
Comment l’équilibre énergétique du système serait-il
préservé si le modèle de la réussite n’était pas balancé par
un contre-modèle d’échec et de malheur, un contre-idéal
en somme. La réussite comme l’échec n’ont peut-être pas
1. On pourrait dire que je résonne avec un champ de forme lié à mon
environnement social et culturel.
2. Les théories de papy Freud sur le deuil de l’objet perdu sont à revoir
dans le contexte d’une maladie devenue sociale : les mêmes schémas sontils applicables aux groupes humains ? Ce n’est pas exclu.
46
La bascule des mal-aimés
plus de réalité, l’essentiel est qu’on y croie et qu’ils fassent
couple. Qu’on songe au Japon, où la course à la réussite, ou
à l’image de la réussite, s’accompagne d’une telle traînée
de suicides... réussis. C’est en réalité un choix alternatif :
il n’y a que deux modèles disponibles. Les échecs balancent
les réussites.
Un grand nombre de suicides manqués dans une collectivité inviterait à penser que les réussites sociales n’y
sont pas vraiment réussies non plus... Un ratage viendrait
équilibrer l’autre. Hypothèses que je propose aux sociologues
sous réserve d’inventaire...
Image de réussite, image de malheur, c’est seulement
en mettant les deux en relation et en leur supposant un lien
organique qu’on y comprendra, peut-être, quelque chose.
L’image la plus antinomique du déprimé est celle du héros,
sûr de lui et de son droit, qui ne connaît ni l’échec, ni le
doute, ni la peur, ni les lamentations. Pourtant, il n’y a pas
plus de déprimé sans héros caché que de héros sans dépressif
virtuel. C’est peut-être ce qu’exprime la double identité des
héros populaires cités plus haut, Zorro, Superman.
>!# )/&+%$# !0# "$# "/00+*$07*!# ,!2# 80$02?R&/2# 6&0# )*++# !0#
illustré le type du loser, du héros négatif. Type qui existait
largement dans la culture européenne(1), mais ce nom en
dit long. Il sonne comme un drapeau, une référence. Il est
)!"7/#$7G7!"#6&#2@/,!&0/-!#G7$&,#6&#&@$#5$2#"!2#%6W!&2#,@A0*!#
parmi les gagnants, parmi les héros que montrent les bandes
dessinées, les publicités, les journaux féminins.
D6/&2# G7!# "!# 2/H&!# ,!# "@+)<!)# 1# 2@/,!&0/-!*# $7# <+*62#
positif, la dépression nerveuse est vraisemblablement un
5*6)!2272#$)0/I#,@/,!&0/-)$0/6&#$7#<+*62#26)/$"!%!&0#&+H$0/I'#
Dans le processus global d’équilibre chaque atome social
choisit# 26&# %6,3"!# ,@/,!&0/-)$0/6&'# D6,3"!# /)/# &!# 2/H&/-!#
pas « le meilleur » mais retrouve son étymologie : c’est « le
1. Qu’on songe au cinéma allemand d’avant Hitler, au cinéma français
d’avant 1940.
47
A coeur battant
Dépression...
moule » dans lequel on se fond pour avoir une forme ou une
structure. On choisit parmi les moules disponibles à un
moment donné, dans un lieu donné, dans un contexte donné.
Que la dépression soit un type de comportement modèle,
"!#)/&+%$#!&#$00!20!#1#2$0/+0+'#F6%B/!&#,!#-"%2#,6&0#"$#2!7"!#
-&#"6H/G7!#!20#"$#%6*0#,7#<+*62#5$*#27/)/,!#67#5$*#7&!#$70*!#
forme de mort violente assurément provoquée. Ils révèlent la
I6*)!#,!#)!#%6,3"!4#,!#)!00!#/,!&0/-)$0/6&4#!&#I6&)0/6&#B/!&#
sûr des conjonctures et des tempéraments d’auteur.
On peut toujours se demander si les dépressifs s’identi-!&0#$7#loser et y trouvent le modèle de leur comportement
ou si, au contraire, l’image du loser est la traduction, dans
l’imaginaire collectif, de processus biologiques ou biochimiques en cours dans l’espèce. Question peut-être sans
réponse.
Devant tout déprimé, devant tout état dépressif, il faut
se demander qui est le héros, où il se cache, dans quel champ
relationnel ou culturel il faut le chercher.
C55*6)<!#267;!&0#27*5*!&$&0!4#067L67*2#I+)6&,!'#820?)!#
le héros jamais advenu de notre enfance, jumeau entrevu,
à jamais interdit de séjour et pourtant enfermé en quelque
"/!7# Q# 820?)!# "!# 20$07-+4# "!# <+*62# G7!# 5$*!&02# !0# $&)A0*!2#
attendaient que nous soyons, nous laissant comme seule
liberté, en cas de refus de nous y couler, d’en choisir la
-H7*!# $&0/&6%/G7!# Q# 820?)!# &60*!# )6&L6/&04# /&;!20/# ,!# "$#
charge héroïque de nous porter, supporter, endurer, de nous
$&/%!*#Q#820?)!#"!#<+*62#&+H$0/I#G7!#&672#$;6&2#)<6/2/#,@A0*!#
dans la distribution sociale des rôles ?
!
!
"
Les déprimés sont des exilés...
Pendant des millénaires, le mode d’exécution le plus
sûr d’un contrevenant aux lois du groupe était le bannissement. L’histoire de la Grèce antique en fournit de nombreux
exemples.
48
La bascule des mal-aimés
Seuls des individus particulièrement solides, capables de
trouver en eux-mêmes leur propre ancrage, pouvaient y survivre et le destin de Robinson Crusoë a hanté l’imagination
,!2#<6%%!2'#8&)6*!#&@$;$/0?/"#5$2#+0+#*!L!0+#5$*#26&#H*675!#
et pouvait-il en cultiver les valeurs, même seul.
On a vu aussi comment, dans les camps nazis, ceux
qui pouvaient reconstituer un groupe d’appartenance et
d’opposition augmentaient leurs chances de survie, tandis
que s’effondraient ceux qui, inorganisés, s’abandonnaient à
la situation(1), au-delà même du suicide.
Autant d'indices supplémentaires qui ancrent la dépression à la fois dans le biochimique individuel et dans
la dimension du groupe. L’appartenance à un petit groupe
humain est un facteur indispensable à la croissance et à
"$# %$07*$0/6&# ,7# 5!0/0# <6%%!'# 8""!# $**/%!# 0670# 26&# I6&)tionnement, sa chimie comme son affectivité ou sa pensée,
dans le relationnel et l’existence d’une identité collective(2).
La disparition de cet ancrage a toujours eu chez l’homme
moyen des conséquences dramatiques.
Autre exemple : la dépression collective massive des
populations soumises à une déculturation radicale et sans
alternative, qui entraîne les individus dans l’incurie, l’apathie, le suicide, l’alcoolisme. Combien de peuples des Amériques ont ainsi disparu, des Caraïbes et des Araucans aux
Séminoles et aux Montanais...
Comme si la perte de certains repères collectifs entraînait les désordres biochimiques qui viendront s’exprimer
sous la forme clinique de la dépression. A moins que ladite
perte ait favorisé une résonance à certains champs morphiques comportementaux, eux-mêmes générateurs de
troubles biochimiques(1)...
1. Des « musulmans » dans l’argot des camps. Retrouvait-on ainsi le sens
même du mot : « celui qui se soumet » ?
2. Attestée par un patronyme, une langue, des rites.
A
coeur battant
Dépression...
49
Le destin de ces peuples, qui déroule encore ses effets
sous nos yeux, contraint à se demander comment s’articulent
schémas d’appartenance à un groupe et biochimie indivi,7!""!'#80#5$*#)6&2+G7!&0#1#2@/&0!**6H!*#27*#)!#G7/#2!#5$22!4#
non plus sous nos yeux, mais en nous.
Devant l’extension des états dépressifs que constatent
les statistiques, faudrait-il penser qu’une bonne partie
d’entre nous se trouve placée dans une situation analogue
à celle, par exemple, des Inuits(2) ?
Faut-il penser que beaucoup dépriment parce que leur
chimie n’est plus encadrée, nourrie, stimulée peut-être par
le même environnement groupal ? Que certaines productions
neurochimiques sont défaillantes faute d’être entraînées
par des rythmes et rites collectifs transmis par la danse, la
%72/G7!4#"!#)<$&0#O#,@6T#"!#*!)67*2#G7@W#I6&0#5$*0670#,$&2#
le monde les jeunes en quête d’identité ?
80# 2/# "$# 5!*0!# ,!# )!0# +0$W$H!# %/""+&$/*!# !20# 7&!# )6&2+quence inéluctable de l’évolution historique, si la dépression en est, entre autres, le prix à payer, évoluerons-nous
néanmoins vers un autre état de la condition humaine ?
Quelle autre parade trouverons-nous à nos dérèglements
biochimiques que la simple substitution pharmaceutique ou
le retour aux grandes messes du style Nüremberg ?
U
Une nouveauté : les micro-dépressions
D6&# !K5+*/!&)!# 5!*26&&!""!4# ;+*/-+!# 1# ,!# &6%B*!72!2#
reprises par celle de mes patients, m’a fait découvrir ces micro-dépressions ou micro-états dépressifs survenant en cours
de thérapie et volontiers après l’expérience de la bascule.
1. Voir « Se soigner, entre statue et suicide ». Un postulat sous-tend ce
questionnement : tout comportement a un substrat biochimique. Est-ce
contestable ?
2. Ceux qu’on appelait autrefois les Esquimaux.
50
La bascule des mal-aimés
Un matin, sans que rien d’apparent ne l’explique, on se
réveille totalement dépressif. Parfois incapable de se lever
et de faire quoi que ce soit. Comme le dit un de ces expérimentateurs : « C’est chimique ». Ou encore : « C’est comme si
on avait basculé un interrupteur... » Une chape de plomb qui
s’abat sur vous. Les premières fois on se dit : « C’était bien
la peine de tout ce travail, ce temps, cet argent, ces années
de thérapie, pour en être encore là. »
]7/24# 1# I6*)!# ,!# 2@A0*!# !&0!&,7# ,/*!#S# 9# 8&0*!# ,!,$&24#
deviens ta sensation, explore-la, si tu veux la traverser, visla pleinement » ou : « Accueille ta douleur, laisse-la te dire
0670#)!#G7@!""!#$#1#0!#,/*!#=4#!0)'4#,!#"$#%A%!#!$7'''#6&#-&/0#
par l’essayer, même en dehors des heures de séance. On
-&/0#5$*#2!#,/*!#S#)@!20#E$#%$#*+$"/0+#,!#)!#%$0/&4#$227%6&2#
et, pourquoi pas, entrons dedans, vivons-en l’expérience
pleinement.
80# "14# ,$&2# "$# ,+5*!22/6&4# )@!20# "$# ;$H7!4# G7$&,# 07# "$#
laisses déferler, qui t’aplatit au fond de ton lit, t’ôte la
5$*6"!4#!0#0@$B$&,6&&!#2$&2#*!226*0#!0#2$&2#,+2/*'#80#%6/&2#
tu résistes, plus tu tombes bas. Si un jour l’expression « se
laisser tomber » a eu un sens, c’est bien ce jour-là. Tu te
retrouves comme les géants de l’Histoire évoqués plus haut
O#1#0!**!'
80# 567*0$&04# )6%%!# !7K4# $722/# B$2# G7!# 07# !2# 06%B+4#
aussi vite que tu as glissé, aussi vite tu remontes. Comme la
;$H7!#0@$#&6W+4#,!#"$#%A%!#I$E6&#!""!#0!#2$7;!'#80#/"#2!%B"!#
même que moins on y résiste, que plus on s’y laisse aller,
et moins l’accès risque de durer et plus on se relève entier...
Macro par les symptômes, micro par la durée, ces dépressions apparaissent comme une bonne bouffée d’air vicié
que l’organisme, trop vite sevré de ses longues descentes
dépressives, s’offre de temps en temps. Par habitude ? Par
besoin ? Pour évacuer, pour drainer ? Pour obéir à sa programmation génétique ?
A moins que, hypothèse soulevée par une voyageuse à
son retour, ce soit une réaction instinctuelle. Notre instinct,
notre intelligence cellulaire diraient d’autres, n’ont pas
A coeur battant
Dépression...
51
trouvé d’autre moyen, à ce moment-là, pour nous empêcher.
De faire du futile, de l’inutile, voire du préjudiciable ou du
pas net. Pas d’autre moyen, en ce moment précis, pour nous
faire décrocher que de nous débrancher. Si tu ne peux être
un sage ou un saint, si tu ne sais méditer, si tu ne peux être
-,3"!#1#0!2#5*65*!2#;$"!7*24#5"70P0#G7!#,!#%$"#I$/*!4#5"70P0#
G7!#,!#I$/*!#"!#%$"4#,+5*/%!4#!0#0$/2?06/#.
52
La bascule des mal-aimés
53
A coeur battant
GELSOMINE
C00$G7!2# B*70$"!2# ,f$&H6/22!# $/H7g# O# $00$G7!2# ,!# 5$&/G7!#)6%%!#6&#,/0#%$/&0!&$&0#O4#)*/2!2#,!#"$*%!24#$))32#
de désir de mort, Gelsomine tombe d'angoisse en dépression
et c'est pour cela qu'elle vient essayer la psychothérapie.
Après tout, elle a déjà tout essayé côté médication et
rien n'y fait.
Très vite il apparaît que moins que rien et mal-aimée,
Gelsomine n’a jamais douté de l’être. Un père qui faisait
régner la terreur, égorgé sous ses yeux quand elle a 15 ans.
Sa mère remariée à un violent décrit comme déséquilibré
mental. Un mari brutal et autoritaire dont elle divorce. Une
"/$/26&# $;!)# 7&# ,/I-)/"!# 1# ;/;*!# G7/4# $5*32# "!7*# 2+5$*$0/6&4#
la harcèle pour la tuer, dit-elle.
D'ailleurs elle a déjà fait deux dépressions : une à la
mort de son père, l'autre après le divorce. Un deuil, une
séparation dramatique, tout cela est bien cohérent, mais
cela remonte déjà à plusieurs années.
Or voici plus surprenant : c’est depuis qu’elle a quitté
son amant dangereux et qu’elle connaît un autre homme, le
plus doux des êtres, qu’elle déprime. Un tel renversement a
567*0$&0#,!#G76/#I$/*!#*+V+)</*#S#/"#2!#5*6,7/0#G7$&,#"$#5!7*#
sort de sa vie.
54
La bascule des mal-aimés
]$2# ,7# 0670#.# 9# M6*%$"# G7!# L!# ,+5*/%!4#=# ,/0?!""!4# 9#/"#
m’invite à vivre chez lui. Une immense propriété. Quand il
part en déplacement, moi, seule là-dedans, mais je vais m’y
I$/*!#$22$22/&!*#.#=
A notre troisième rencontre, je l’invite à s’allonger et
à descendre dans sa respiration. Très vite elle se plaint de
douleurs intercostales, elle ne peut plus respirer, elle a trop
mal, elle est comme écrasée par une chape de plomb.
Je masse des points le long du sternum(1) et l’invite à se
laisser porter par ce mouvement intérieur. « Ah, je tombe
dans un tourbillon noir... je voudrais m’amarrer au quai... la
,67"!7*#%!#0*$&25!*)!#"!#,62#.#=#h670#!&#067)<$&0#)!*0$/&2#
points du dos, je l'accompagne de la voix dans son corps à
corps avec ce courant qui l'entraîne.
Soudain elle s’apaise, comme si elle passait dans un
grand calme. « La douleur est partie, plus rien, mais... cette
peur... la peur de... de perdre le contrôle... »
Il me vient : « ...comme si tu ne pouvais pas te laisser
naître ». Je le dis comme je le sens en cet instant, sans
%@6))75!*# ,!# ,/20/&H7!*# "!# 5*65*!# ,7# -H7*+'# :7# )675# !""!#
émerge, passant de l’expression directe au récit : « Mais c’est
que... je ne voulais pas sortir. La naissance a été très longue
!0#,/I-)/"!'#D$#5"72#H*$&,!#5!7*4#!&#0670!#)/*)6&20$&)!4#)@!20#
,!#5!*,*!#"!#)6&0*P"!#.#F!#G7/#%@$#"!#5"72#$/,+!4#)@!20#G7$&,#
vous avez dit : « Si tu ne peux pas laisser ta barque aller
,$&2#"!#)67*$&04#*!;/!&2#1#"$#*/;!4#$%$**!?06/#.#=
Je m’interrogeais encore sur l’importance de cette séance
quand je la revois, huit jours après, le visage lisse et comme
rajeuni.
8""!# $# !&0*!?0!%52# !&G7A0+# $75*32# ,!# "$# I$%/""!# 567*#
savoir. « On n’avait jamais voulu te le dire, » lui fut-il ré-
1. Les acupuncteurs connaissent ces points du méridien du rein comme
ceux de la rétention émotionnelle.
A
coeur battant
Gelsomine
55
pondu, « mais il y a eu des problèmes pendant que ta mère
0!#56*0$/0'#8""!#2@+0$/0#%$*/+!#)6&0*!#"@$;/2#,!#26&#53*!4#!""!#
avait dû fuir avec le tien, ils ont vécu dans des conditions
matérielles terribles, presque la misère », et on lui décrit une
;*$/!# I7/0!# !&# 8HW50!'# 9# h7# $2# %/2# ,!7K# L67*2# 1# &$Y0*!4# E$#
a été très pénible. Tout le monde disait : mais elle ne veut
5$2#26*0/*#.#80#"!#)6%B"!#S#)@+0$/0#7&!#-""!#.#d7!""!#,+)!50/6&#
,$&2#)!00!#I$%/""!#,!#%/"/0$/*!2#.#=
80#a!"26%/&!#*!5*!&,#S#9#d7!"#267"$H!%!&0#.#J!#%!#2!&2#
0670!# $70*!# .# F@+0$/0# ,6&)# E$# "$# 5!7*# G7!# L@$/# !7!# 0670!# %$#
;/!4#%$#5!7*#,!#,+)!;6/*'#80#%6&#/&)$5$)/0+#1#*!I72!*#.#80#"$#
culpabilité dont je cherchais partout la cause. Une peur de
&$Y0*!4#,@A0*!#)!#G7!#L!#27/2#.#d7!""!#"/B+*$0/6&#.#=#
S’ensuivent deux jours de catarrhe et de diarrhée. Le
drainage terminé, elle retrouve une forme éclatante. Les
signes de dépression et les accès d’angoisse disparaissent
rapidement. « Maintenant, partie la peur, je peux oser vivre,
me montrer telle que je suis, je peux aimer... »
Renversement spectaculaire dont je n’avais rien vu dans
l’instant qu’il se produisait mais dont je voyais maintenant
les effets. Comme la cigale sort de sa vieille forme pour devenir imago*, adulte dans la forme que nous lui connaissons,
a!"26%/&!#2!#%+0$%6*5<62$/0'#8""!#2@!K0/*5$/0#,@7&#2W203%!#
de relations dominées par la peur et la violence pour naître
à l’assomption d’elle-même.
Quand je lui parlais de naître, bien sûr, ce ne pouvait
être tout à fait au propre : on n'était pas en salle d'accou)<!%!&0'''#80#567*0$&0#)!#&f+0$/0#5$2#&6&#5"72#tout à fait au
-H7*+#S#)$*#G7!"G7!#)<62!#!&#+0$/0#*!20+#)6%%!#2725!&,7#!0#
demandait à s'achever.
8""!# &f$;$/0# 57# &$Y0*!# G7!# ,$&2# "$# 5!7*# ,!# 2!# "$/22!*#
arriver et elle n'avait pu arriver que Gelsomine, c'est-à-dire
mal-aimée et fautive, et vouée à être punie.
Ce qui d'elle restait à naître s'était sans doute réveillé
lors de la rencontre toute peur bannie avec cet homme différent. La dépression venait dire la guerre avec le désir de
56
La bascule des mal-aimés
;/;*!#!0#"!2#$00$G7!2#,!#5$&/G7!#"!#B!26/&#,!#5*!&,*!#!&-&#
une première respiration profonde(1).
8&0*!*#,$;$&0$H!#,$&2#"!#,+0$/"#2!*$/0#0*65#25+)7"$0/I#S#
le résultat obtenu, elle cessa vite de venir. J'ai seulement su
plus d'un an après qu'elle se portait toujours bien.
1. La relation des attaques de panique avec un processus respiratoire
!"#$%&'()&*+)$,"-./()$%#01&)2,1.)3#.)4#)3.#+!01&5)67&")3#.4&.#!)8#"*)1")
prochain ouvrage.
Nos parents ne sont pas nos parents
57
PAS DE PANIQUE,
ÇA POURRAIT ALLER MIEUX !
Pour une fois tout sourit. Le ciel est d’un bleu éclatant,
on est arrivé au port. La joie monte en moi — c’est donc ça,
je peux moi aussi goûter la simplicité, l’évidence d’exister.
!"#$"%&#'()**"+#,(#$-).+)/"#"/0"+#1#'(#2),"/*)-/#2%#,-/2"3#
45"6# )'# *%78.# 9%"# :;"/# $+"///"# <-/*<)"/<"6# 9%"# :"# ,"# '"#
2)*"6#".#<-,,"#$(+#%/#<-%$#2"#=(>%".."#.+(>)9%"6#,"#?-)'1#
retombé dans le bourbier — avec pour toute avancée ce
savoir lancinant et douloureux... « Mais oui, mon petit bon@-,,"6#A(#"&)*."6#.%#B#(++)?"+(*#$"%.CD.+"#%/#:-%+#E#1#,-)/*#
9%"# :;"/."/2"# %/# F# <;"*.# $(*# $-%+# .-)# G# H(# '"# *"+(# :(,()*6#
<-%+*#.-%:-%+*#G#E
I(# .@J+($)"6# 9%)# 7(?-+)*"# /(.%+"''","/.# ';J,"+>"/<"#
2"#."'*#,-,"/.*6#/;"*.#$(*#*"%'"#1#"/#2J<-%?+)+#'"*#+".-%+*#
de manivelle. Ils sont légion les cas de réaction paradoxale
-K#%/"#>+(/2"#:-)"6#*%+.-%.#9%(/2#"''"#?)"/.#<-%+-//"+#%/"#
ancienne et folle espérance, fait basculer dans une profonde
.+)*."**"6# 2J<'"/<@"# %/"# (77"<.)-/# *-,(.)9%"# >+(?"# -%# .%"#
proprement le coeur.
L/# (# ?%# /(M.+"# %/# 2"*# /-%?"(%&# J.(.*# 2"# '(# N('.)9%"#
sans coup férir : la seule victime fut cet homme dont le coeur
*"#7"/2).#1#';(//-/<"#2"#'(#/()**(/<"#2"#*(#,O+"#$(.+)"3#!;()#
La bascule des mal-aimés
58
vu, autour de moi, un homme perdre la raison du fait d’une
$+-,-.)-/#'-/>.",$*#(.."/2%"#".#%/#(%.+"#*"#$"/2+"#9%(/2#
?)/.#1#*"#$+J<)*"+#'"#,(+)(>"#"*$J+J#$"/2(/.#2"*#(//J"*3#
P-,,"/.#<-,$+"/2+"#9%"#'"#.+-$#2"#:-)"6#9%"#'(#+J(')*(tion de leur espérance, les aient entraînés dans la tristesse,
la maladie, la mort ?
I(#$*B<@)(.+)"#*().#1#9%"'#$-)/.#';"&<O*#2"#:-)"6#:%*9%;1#'(#
7-+,"#"&.+D,"#9%;"''"#/-,,"#,(/)"Q6#$"%.#(?-)+#$(+.)"#')J"#
avec la dépression et elle parle couramment de « maniaco2J$+"**)7*#E3#R''"#(78+,"#*-%?"/.#9%"#'(#,(/)"#"*.#'"#,(*9%"#
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elle l’engendre ? Que peut-être elle n’est pas le pansement
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9%;%/# @-,,"# $-+."# *%+# "''"# %/# +">(+2# )/*)*.(/.3# P"# /;"*.#
pourtant pas le regard d’un chasseur. Quand elle s’apprête
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dernier moment pour lui parler et il lui dit : « Je ne peux
m’empêcher de vous regarder, Madame, tellement vous avez
l’air heureuse, heureuse de vivre, heureuse tout au fond de
vous-même... »
Déclaration peu banale.
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n’intervienne. Comme si en prononçant ces mots l’inconnu
avait basculé un interrupteur.
Pas
panique
Nos de
parents
ne !sont pas nos parents
59
Il avait eu beau être admiratif, lui être reconnaissant
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d’elle, elle ne pouvait s’empêcher, tombée dans son marasme,
de ressentir maintenant la morsure de la faute. Elle dirait
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Comme si, par exemple, elle avait éclaté de rire ou porté
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"/."++","/.# G# Y/# 2"%)'# G# Z"# 9%)# 2"?().C-/# $-+."+# )/2J8/)ment le deuil dans cette famille — car manifestement c’était
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d’amener sur elle ? Combien de temps encore devrait-elle
payer l’impôt du mal-être, du malheur, de la dépression ?
Combien de temps encore devrait-elle vivre dans un climat
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bonheur.
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pouvait toujours se trouver en faute de mal-observance...
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60
La bascule des mal-aimés
de prendre des médicaments, normalement je devrais être
nerveuse, angoissée... »
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acte d’allégeance au malheur.
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dont il t’avait nourrie.
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étais venue grossir la communauté, les laissés pour compte,
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$+J*"/<"#".#.(#<'(**"#2-//()"/.#2%#>('-/#1#'"%+#<-@-+."3#a'*#
étaient ton nouveau peuple. Chez eux fraternité et solidarité
n’étaient pas de vains mots. Les abandonnerais-tu ?
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déchirer cette vieille carte d’identité ? Oui, je vais mieux,
,()*#/"#<+-B"i#*%+.-%.#$(*#9%"#:"#?()*#=)"/#G#T(#$(+-'"6#<;"*.#
dangereux de laisser voir sa joie, vous allez me prendre au
,-.6# ,"# ?-)+# 2J*-+,()*# <-,,"# %/"# 7",,"# 9%)# $"%.# ?)?+"6#
1. hJ'J+(,(, n°2174, 11.09.91.
Pas de
panique
!
Nos
parents
ne sont
pas nos parents
je
"/<()**"+#'"*#<-%$*6#$+"/2+"#*(#:-)"#".#*-/#$'()*)+#*(/*#9%;-/#
().#1#'(#$+-.J>"+333#
Vas-tu tracer seule, pour l’instant, ta route ? Dépouil'J"#2;J.)9%".."*#".#2"#*.(.%.*6#?-)+"#2"#*.(.%"*6#.%#.;"/#*"/*#
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`+-,)*"6# <-,,"# 1# T-5*"# U# Y/"# punition ? Quand on a
grandi, névrosés actifs ou retirés, dans le déni de soi-même
et le sentiment intime de la faute, peut-on espérer connaître
'(#:-)"6#(?"<#<"#9%;"''"#<-,$-+."#2"#<B<'-/)9%"6#2"#2)**-'%.)-/#
de tout doute, sans encourir la dépression ou toute autre
forme d’autopunition ?
La dépression s’abat-elle comme la juste sanction d’une
joie « déplacée » voire inconvenante ? Se découvrir maître de
*-/#2"*.)/6#*"#*"/.)+#@"%+"%&#".#$'")/","/.#1#*(#$'(<"6#9%"'*#
9%"#*-)"/.#'"*#7(<."%+*#".#'"*#<)+<-/*.(/<"*#9%)#B#<-/2%)*"/.6#
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7-%2+"*#U#[%+.-%.#9%(/2#-/#)>/-+"#'"*#(.."/2%*#2%#:%>","/.#
".#9%;-/#*().#*"%'","/.#9%;)'#/"#faut pas être heureux.
T-5*"# (C.C)'# :(,()*# *%# $-%+9%-)# )'# 2"?+().# ,-%+)+# "/#
exil ?ced
I"*# P@)/-)*# <@"+<@()"/.# 1# <-/:%+"+# '(# :('-%*)"# 2"*#
Immortels, décideurs des destinées, en se gardant bien
2;"&$+),"+#1#?-)&#@(%."#'"%+#<-/."/.","/.3#T()*#*)#-/#$"%.#
1. Sur la dialectique joie-tristesse-peur, la médecine chinoise traditionnelle
propose une approche fort intéressante. Le point est trop spécialisé pour
que je l’aborde dans le cadre de cet ouvrage.
62
La bascule des mal-aimés
tromper un mauvais esprit non-humain en lui servant une
sauce triste et garder la joie pour soi, on n’échappe pas aussi
7(<)'","/.6# 2(/*# /-*# <%'.%+"*# 1# Z)"%# ,(:%*<%'()+"6# 1# ';-")'#
intérieur. Pour l’apaiser, il faut être réellement triste. Le
censeur intime ne se contente pas de simulacres.
I;(78+,(.)-/#2"#,-/#self*,#2"#,-/#D.+"#*$J<)89%"6#2(/*#
*-/#)/*-'"/."#:-)"#1#D.+"#'%)C,D,"#$+-?-9%"C.C"''"#'(#+J*%+>"/<"#2"*#<-/0).*#-+)>)/"'*6#+"2-//"C.C"''"#7-+<"#(%&#),(>-*Q#
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g(%.C)'#$+"/2+"#%/#$"%#2"#+"<%'#".#?-)+#2(/*#<"#$+-='O,"#
une nouvelle illustration — naître ou ne pas être — des dif8<%'.J*#2"#';($$(+)","/.#"/.+"#';D.+"#2"#<@()+6#<"#,-)#'),).J#
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9%"#<-/7%*)-/#".#J>(+","/.6#*"#.+-%?"+().#2J*-+)"/.J6#?-)+"#
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'(#2)('"<.)9%"#2%#.+(/*$"+*-//"'Q3#
Quand la joie vient me solliciter, vais-je déprimer de
voir l’écart entre ce moi de compromis et de mutilation
9%"# :"# ,"# *%)*# 7(=+)9%J6# 9%)# 2J8/).# "/<-+"# ,-/# 9%-.)2)"/6#
".#<"'%)#9%"#:"#*%)*#?)+.%"''","/.6#2(/*#,"*#$-."/.)(').J*#U#
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)'#,"#$+)?"#U#Z"*#$(.)"/.*#';"&$+),"/.#*-%?"/.#()/*)#9%(/26#
précisément, ils rechutent.
L/#*"#@"%+."#'1#1#';%/#2"*#,B*.O+"*#2"#'(#$*B<@-.@J+(-
1. Le sens exact du passage biblique (Nombres, 20.12) où il est vaguement
reproché à Moïse d’avoir douté reste obscur pour tous les éxégètes.
Nos
ne sont
pas nos parents
Pas parents
de panique
!
63
pie. Pour certains, la joie ou la plénitude découvertes lors
2;%/"#*J(/<"#/"#7-/.#9%;(/.)<)$"+#*%+#<"#9%)#?(#/-%++)+#'"%+#
?)"#,()*#9%;)'*#2"?+-/.#.+(?()''"+#1#(<<"$."+3#`-%+#9%"'9%"*C
uns cependant, elles pourront durer un certain temps puis
ne jamais se retrouver au même degré par la suite. Et pas
,-B"/#2"#*(?-)+#2(/*#9%"'#<(*#2"#8>%+"#-/#*"#.+-%?"333#
R/#>J/J+('6#(%#7%+#".#1#,"*%+"#9%"#'(#.@J+($)"#$+->+"**"6#
on en supporte des doses croissantes. Parfois on bute sur une
'),)."#?)."#(..")/."6#9%)#:%*.)8"#1#';-<<(*)-/#';)/."++%$.)-/#2%#
traitementced3#P"'%)#9%)#(#*-%77"+.6#9%"#'(#?)"#(#<-,,"#)/."+2).#
2"#:-)"#".#2"#$'()*)+6#*"#,J8"#2"#<"*#,-,"/.*#$-%+#()/*)#2)+"#
« trop beaux »... Avec le temps, le processus devient familier,
-/#($$+"/2#1#$+J?-)+#'(#2J$+"**)-/#+".-%+#2"#,(/)?"''"#".#1#
*"#+($$"''"+#9%;"''"#$(**"6#$"%.CD.+"#2;(%.(/.#$'%*#7(<)'","/.#
9%;-/#/"#*;-$$-*"#$(*#1#*-/#$(**(>"cld.
Accepter !#P;"*.#'"#,(M.+"#,-.#(%9%"'#'(#:-)"#<-/7+-/."#
<"'%)# 9%;"''"# (..")/.3# 4<<"$."+# 2"# *-+.)+# 2"# *"*# (/<)"//"*#
'),)."*3#4<<"$."+#2"#+J"&(,)/"+#<"#9%;-/#(#<+%#D.+"#/(.%+"'6#
la morosité, la plainte, le ressentiment. Accepter d’en faire
'"#2"%)'6#()/*)#9%"#2"*#)''%*)-/*#".#2"*#82J').J*3#4<<"$."+#'(#
*-').%2"#S#7J<-/2"6#,()*#-/#/"#'"#*().#$(*#"/<-+"#S#9%"#<"*#
deuils nous permettent d’atteindre.
La joie est bascule. A ce titre elle en comporte les promesses comme les terreurs.
1. C’est le cas de Io décrit dans « Rentrer dans le vide du sujet ».
2. Voir les micro-dépressions dans « Dépression ».
64
La bascule des mal-aimés
Nos parents ne sont pas nos parents
65
NOS PARENTS
NE SONT PAS
NOS PARENTS
Nous, les névrosés, les malades d’amour amer et de
<%'$(=)').J6# '"*# :(,()*C>+(/2)*6# /-%*# (?-/*# <+%# 9%"# /-%*#
J.)-/*#"/7(/.*#2"#<".."#7",,"C'1#".#2"#<".#@-,,"C'13#V-%*#
(?-/*#<+%#9%"#2)?"+>"+#2;"%&6#/"#$(*#/-%*#"*.),"+#<-,='J*#
de leurs dons, nous écarter de leurs programmes, c’était les
trahir, et déchoir. Et nous nous en sommes sentis fautifs,
et nous nous en sommes punis, de mille façons. Nous avons
J.-%77J# "/# /-%*# <"# 9%;)'*# /;B# +"<-//()**()"/.# $(*# ".# 9%)6#
$"%.CD.+"6# '"%+# 7()*().# $"%+# "/# /-%*6# =)"/# 9%"# ?"/%# 2;"%&3#
L%#$(+<"#9%"#?"/%#2;"%&#U#
Pour un peu, nous allions retransmettre, et pour combien de générations encore, et sur combien de victimes, ces
$"%+*6# <"*# @%,)')(.)-/*6# <"*# 7(%**"*# 82J').J*3# X"/%"*# 2J:1#
2"#<-,=)"/#2"#>J/J+(.)-/*#1#.+(?"+*#"%&#U#
Combien de prédispositions, de maladies attribuées
1# ';@J+J2).J# 2(/*# /-*# 7(,)''"*# U# Z(/*# <"''"C<)# '"*# >(+A-/*#
$"+2"/.#'"%+#$O+"#"/#"/.+(/.#2(/*#';(2-'"*<"/<"6#('-+*#9%;1#
<b.J# '"*# @-,,"*# $(+."/.# 1# ?)/>.# (/*# 1# $")/"6# 2;(<<)2"/.3#
Z(/*# <"''"C'16# '"*# 7",,"*# 1# <@(9%"# >J/J+(.)-/# 2J.+%)*"/.#
d’un cancer les organes de leur maternité — leur utérus,
La bascule des mal-aimés
66
'"%+*#*")/*#S#".#2%#,D,"#<-%$#,"/(<"/.#'"%+#?)"6#('-+*#9%"#
<@"i#'"*#?-)*)/*#"''"*#*-/.#.-%."*#?"%?"*#1#mn#(/*3#
S’agit-il de déterminations inscrites dans les chromo*-,"*#U#L%#2"#=)"/*#".#2"#2+-).*6#?-)+"#2"#$+)?)'O>"*6#.+(/*,)*# $(+# 8')(.)-/# U# L%# 2"# ,)**)-/*6# 2"# <-2"*# 2"# <-,$-+.","/.6# 2"# 2"?-)+*6# (%&9%"'*# -/# *-%*<+).# "/# (<<"$.(/.# '"# '().#
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cela s’inscrit-il ?
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Non, nous ne sommes pas nés d’eux. Nous sommes venus
à travers eux3#\($$"'"iC?-%*#'"*#$(+-'"*#2%#F#`+-$@O."#E#]
!"#$ #%&'$ "(#$ )"#$ ('$ "(#$ )""(#$ *($ "+,--("$ *($ ",$ ./($ 0$
elle-même.
Ils viennent à travers vous, mais non de vous.ced
A nous les enfants de le dire maintenant et d’en tirer
'"*#<-/*J9%"/<"*3#V-*#$(+"/.*#/"#/-%*#-/.#$(*#2-//J#'(#?)"3#
T(#,O+"#(#$-+.J#".#/-%++)#,-/#<-+$*6#"''"#/"#,;(#$(*#2-//J#
^,"3# !"# .)"/*# ,-/# /-,# 2"# ,-/# $O+"6# )'# (# ,)*# %/"# '),)."# 1#
mon désir, il ne m’a donné ni langue ni loi.
La vie, la société, le langage, l’amour existaient avant
"%&3#a'*#/-%*#'"*#-/.#.+(/*,)*3#p%-)#9%"#2)*"#'(#,-%<@"6#<"#
/;"*.# $(*# "''"# 9%)# 7().# (?(/<"+# '"# <-<@"3# V-*# $(+"/.*# /;-/.#
inventé ni la vie ni la culture : transmettre, véhiculer ne sont
$(*#<+J"+3#[)#.-)#.%#."#7"+,"*#1#<"#9%"#:"#$(**"#$(+#.-)6#2).#'(#
vie, je passerai par une autre femme et par un autre homme.
Z)+"# 9%"# <".# @-,,"C'1# ".# <".."# 7",,"C'1# -/.# ?-%'%# *"#
croire créateurs tout-puissants et en prendre pouvoir sur
/-%*# G# V-%*# -=')>"+# 1# $"/*"+# $(+# '"%+# <"+?"(%6# 1# ?-)+# '"#
monde par leurs yeux. Nous laisser croire, parfois en toute
=-//"# 7-)6# 9%;1# B# ,(/9%"+# /-%*# /-%*# ,"..+)-/*# "/# >+(/2#
2(/>"+#".#*","+#$(+#'1#"/#/-%*#%/"#>+()/"#2"#$"%+3#R.#/-%*#
7()+"# '"%+*# 2J=)."%+*# %/)?"+*"'*3# 4%# +)*9%"# 2"# /-%*# 7()+"#
1. K.Gibran, F#I"#`+-$@O."#E, Casterman, Paris, 1956.
Nos parents ne sont pas nos parents
67
,-%+)+#1#/-%*C,D,"6#$-%+#/-.+"#=)"/3
Mais toute mère est amour.# TO+"# 1# ';J<-/-,)"# -%# 1#
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par un large canal ou par un goulet resserré et incertain. Et
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source intarissable, accepter de m’en approcher et de m’y
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".#9%"#2"?+().#D.+"#.-%."#.@J+($)"3#
Mon père a pu être tellement prisonnier des systèmes
symboliques et des valeurs sociales dont il devait être por."%+#9%;)'#(#-%=')J#'"%+#7-/<.)-/3#[B,=-'"*#".#?('"%+*#2"?()"/.#
asseoir son humanité dans la sécurité, il s’en est fait une
armure sécuritaire. Il a pris la lettre pour l’esprit, le statut
pour la fonction, confondant autorité et autoritarisme, limite
et clôture, apprentissage et répétition, ouverture et laxisme.
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1. Voir « Toutes des porteuses ? »
2. Voir « Se soigner, entre statue et suicide ».
La bascule des mal-aimés
68
2)*().#2%#$O+"6#9%"#<"#7_.#*-%*#'"#.+().#>+-**)"+#2"#'(#<(+)<(ture ou par le moule en creux de l’absenceced.
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et l’éxécuteur testamentaire, ou bien utiliser les moyens
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'-)*6#+"<-//%"*6#,O/"/.#1#'(#')="+.J3
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W
Un jour, je me découvre relié, comme tout être humain,
aux réseaux de l’amour et du sens. L’un comme l’autre me
sont indispensables pour me nourrir et me construire. L’un
<-,,"# ';(%.+"# .)"//"/.# (%.(/.# 2%# $O+"# 9%"# 2"# '(# ,O+"3# !"#
me découvre relié,#$(+#%/"#J?)2"/<"#9%)#*;),$-*"#1#,-)3#`(+#
des images, des savoirs millénaires jaillis de moi et pourtant
jamais vus ni appris. Par une perfusion d’énergie étrange et
comme venue d’ailleurs...
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voire les symboles de ces forces et de ces réseaux.
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1. Formes entre lesquelles oscillent, par exemple, les pères alcooliques ou
ceux dont les enfants deviennent délinquants ou toxicomanes.
Nos parents ne sont pas nos parents
69
grandi... Le fait pourtant se prouve de lui-même : s’il advient
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$"+*-//"*6# :"# $"%&# c+"d/(M.+"# 1# ,-)C,D,"3# p%(/2# <"# /;"*.#
$(*#';)/?"+*"#]#9%"#:"#+"/()**"ced par d’autres voies et bientôt
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P-,,"# '"*# 2-//J"*# 2"*# $+-='O,"*# <@(/>"/.# 9%(/2# :"#
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P-/8.# 2"# ,-/# ="*-)/# )/(**-%?)6# :"# +"*.()*# 1# (.."/2+"#
des parents pour être reconnu, pour être aimé, pour me
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humanité. Pour en être le canal privilégié, prioritaire, pour
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ils n’en sont pas la seule.
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négligeable, respecter, voire aimer, ces deux êtres humains
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le thérapeute apparaît comme un simple humain. Le drame
1. Naître et renaître doivent s'entendre là à mi-chemin du propre et du
)12345$.%/3$6$7("#%8/&($95
La bascule des mal-aimés
70
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<"%&C<)#"77"<.%"/.#*%+#<"%&C'1#%/#?J+).(='"#.+(/*7"+.#U333#
Mais laissez-les donc vivre, vos parents, laissez-les
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partir.
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recevoir d’eux.
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comme tant, non pas de mes parents réels, mais de parents
)2J(%&3#4%#+)*9%"#2"#?)?+"#2(/*#';)/*(.)*7(<.)-/6#'"#+"**"/.)ment, les reproches, l’apitoiement sur moi-même. De vivre en
somme au passé et au futur, jamais au présent. D’attendre
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jamais dans l’espace de mon enfance.
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)/*.).%.)-/6# %/"# 2-<.+)/"6# %/# R.(.# *;)2"/.)8"/.# 1# <".."# )/*tance et se fassent passer pour elle.
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+J%**)**"/.# 1# *;)/7J-2"+# .-%*# <"*# -+$@"')/*3# h-%*# <"%&# 9%)#
n’ont pas pu avoir, par l’intermédiaire de leurs parents de
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$%# D.+"# "/# <-/.(<.# ?)?(/.# (?"<3# h-%*# <"%&# 9%)6# /"# $-%?(/.#
*(?-)+# 9%;)'*# *-/.# $(+# "%&C,D,"*# 2J."/."%+*# ".# $-+."%+*#
de ce mouvement,# *"+-/.# *(/*# 2-%."# .-%.# $+D.*# 1# *"# =^.)+#
2"#$".).*#S#-%#>+(/2*#S#`O+"*#2"*#`"%$'"*#".#2"*#[()/."*##
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".#\-,()/"#-%#T+#!-/"*ced.
1. En 1978, le révérend Jim Jones put convaincre les 900 personnes environ
de sa secte de se suicider collectivement.
Nos parents ne sont pas nos parents
qe
L%#=)"/6#*)#:"#<-/7-/2*#'(#$"+*-//"#(?"<#<"#9%)#'(#<-/*.).%"#$(+"/.6#:"#,"#<+-)+()#1#,-/#.-%+#'"#<+J(."%+#2"#<".#"/7(/.#
9%)#,"#?)"/.3#4'-+*#9%;)'#"*.#%/"#$"+*-//"#1#$(+.#"/.)O+"#".#
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moi de savoir traduire, et lui traduire, ses messages sans
l’entraver ni le détourner de sa propre route.
L/# 2).# 9%"# '"*# "/7(/.*# 2-)?"/.# D.+"# 2J*)+J*# ".# (),J*#
pour pouvoir se développer harmonieusement et devenir des
adultes sains. Qu’ils doivent être les « enfants de l’amour ».
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recouvert de tant d’attentes, de leurres, de pressions, leur
désir d’enfant, voire même l’amour dont ils l’entourent.
R.# *)# ';"**"/.)"'# J.().# 9%"# '"*# $(+"/.*# (<<"$."/.# ".# +"*$"<."/.#<"#9%)6#?"/%#2;(%C2"'1#2;"%&6#'"*#.+(?"+*"#".#7().#2;"%&#
%/#$O+"6#%/"#,O+"#U#P(+#*;)'*#(),"/.#'"%+#"/7(/.#"/#,J<-/naissant le profond mouvement dont il porte témoignage, ils
+)*9%"/.# 2;(),"+# "/# '%)# '"%+# $+-'-/>","/.6# 2;"/# 7()+"# '"%+#
étendard, leur porte-voix ou leur parade devant la mort.
Qu’ils acceptent ce mouvement et le respectent, même
s’ils ne peuvent y adhérer totalement, et leur enfant sera
assuré de grandir dans le sentiment de sa valeur.
La bascule des mal-aimés
72
PASSEUR
A passer sa vie d’un rivage à l’autre,
$ '%2:%23#$#23$"($;(2<($('$:,8,/#$0$'(33($
jamais assis,
l’idée lui vint :
je passe ainsi ma vie,
pourquoi pas aussi les hommes ?
L’idée lui vint de se faire
passeur d’hommes.
De quelle rive était-il,
de celle-ci la sombre qu’on fuyait,
ou de la lointaine là-bas qu’on rêvait ?
Persuadé que tel était son lot ici-bas,
il se satisfaisait qu’à l’entendre
en parler les langues,
on ne pût le dire,
et le savoir qu’à passer il avait amassé
$ "($)'$"2/$"($#%"/',/3(=$,-->'(23$*+>8(#5
Les hommes s’adressaient à lui et il savait
les mener à bon port d’une rive à l’autre.
Nos parents ne sont pas nos parents
Un jour un voyageur,
comme on approchait du rivage lui demanda :
le connais-tu toi-même,
le pays où tu me mènes ?
Le passeur s’interrogea :
voulait-il le connaître,
le pays de liberté et d’amour,
le pays inconnu ?
Comme si jamais la question ne s’était posée.
Pour en savoir le ramage qu’en savait-il ?
Devrait-il un jour pour cela
cesser de conduire son bac,
et décider d’y arrêter son pied ?
Saurait-il y vivre sans se retourner,
comme ni Orphée, ni Madame Loth ne le surent ?
Pourrait-il laisser son vieux savoir,
apprendre
à respirer
l’instant ?
Aurait-il cette chance refusée
depuis trois mille ans
à Moïse ?
73
74
La bascule des mal-aimés
Nos parents ne sont pas nos parents
75
TOUTES
DES PORTEUSES ?
4#$")/"#"/.+J"#2(/*#<"#.+-%#9%"#*-/#+D?"#/-<.%+/"#(?().#
creusé dans la terre, et où la porte, sur ma proposition de
$-%+*%)?+"#'"#+D?"#"/#*J(/<"6#%/#,-%?","/.#9%;"''"#/"#$"%.#
/)# /"# ?"%.# <-/.+b'"+# ".# 2-/.# "''"# )>/-+"# '(# /(.%+"6# TB'O/"#
parle. Son cerveau, toujours vigilant, lui glisse 9%;)'#B#(#2%#
*"&%"'#'1C2"**-%*6#".#,D,"#2%#?%'?()+"#".#2%#,(.+)<)"'#S#".#
2O*#9%;"''"#(#2).#'"*#,-.*#1#@(%."#?-)&6#"''"#*"#+J<+)"#]#F#T()*#
ça ne peut pas être le ventre de ma ,O+"#G#E
P-,,"#*-%?"/.#2(/*#<"*#<(*C'16#:"#'%)#<-/*")''"#2"#'()**"+#
'"# 8',# *"# 2J+-%'"+# *%+# *-/# J<+(/# )/.J+)"%+# *(/*# *"# *-%<)"+#
du commentateur impénitent installé dans son cerveau...
I(# <-/8(/<"# 9%;"''"# (# ($$+)*# 1# 7()+"# 1# *-/# ,-%?","/.##
intime lui fait passer l’obstacle. Elle poursuit et débouche
*%+#%/"#"&$J+)"/<"#9%;"''"#2J<+).#(%#7%+#".#1#,"*%+"#<-,,"#
foetale.
R''"#$(+'"#2;"(%6#2"#*-/#<-+$*#0-..(/.6#2;),$"*(/."%+Q3#
Elle retrouve les termes utilisés par certains auteurs pour
9%(')7)"+# 2;-<J(/)9%"*# 2"*# J.(.*# 2"# <-/*<)"/<"# ,-2)7)J"#
cRTPQd#(%**)#=)"/#9%"#';"&$J+)"/<"#2"#';"/7(/.#2(/*#'"#?"/.+"#
,(."+/"'3#4%."%+*#9%;"''"#/;(#$(*#'%*6#?J+)8<(.)-/#7()."3#
La bascule des mal-aimés
76
Au terme de son voyage, elle reste dans un état de béa.).%2"#$+-'-/>J"3#R''"#';(..+)=%"#1#<"#9%;"''"#?)"/.#2"#?)?+"#]#
F#%/#-+>(*,"#<-*,)9%"#E3#R''"#9%)#(#.(/.#2-/:%(/)*J#(:-%."#
2(/*# %/# *-%70"# ]# F# !"# ,"# +"/2*# <-,$."# 9%"# 2(/*# ';(,-%+6#
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9%"333#)'#B#(#(%.+"#<@-*"333#E
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« Mais ça ne peut pas être le ventre de ma# ,O+"# G# E#
I;@)*.-)+"# $"+*-//"''"# 9%;"''"# *;"*.# 7-+>J"6# '"# +-,(/# 9%;"''"#
(#J<+).#2"#*"*#+"'(.)-/*#(?"<#*(#,O+"#".#9%;"''"#,;(#2J+-%'J#
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/"#'%)#"/#$(+'().#U#I;-+")''"#2%#.@J+($"%."#(#'(#7^<@"%*"#."/dance de se mettre en alerte rouge au moindre avertissement
2%#>"/+"#F#/;(''"i#*%+.-%.#$(*#<+-)+"#9%"333#E#
`"+*-//"# /;(?().# *-%70J# ,-.# 2"# ?"/.+"# -%# 2"# 7-".%*6##
*%+.-%.#$(*#,-)3#N)"/#*_+#:"#/;J.()*#$(*#J.+(/>"+#1#';(77()+"3#
Elle se déroulait sur mon encouragement et sous mes yeux
".6#$-%+#D.+"#7(*<)/J#$(+#<"#9%"#:;-=*"+?"#"/#.@J+($)"6#:"#/;"/#
*%)*#$(*#(?"%>'"#(%#$@J/-,O/"#2%#.+(/*7"+.Q#".#1#*-/#J+-.)-
Nos parents
ne sont pas
Toutes
des porteuses
? nos parents
77
*(.)-/Q3#I;%/#".#';(%.+"#J.()"/.#"/#';-<<%++"/<"#'"*#<-/2).)-/*#
/J<"**()+"*#$-%+#9%"#*"#$+-2%)*M.#'"#$@J/-,O/"3
Si la suggestion et la complaisance peuvent être éli,)/J"*6# -/# /"# $"%.# J'%2"+# %/"# (%.+"# 9%"*.)-/# ]# J.().C<"# 2%#
revécu, du reconstitué ou du réinterprété ? Sans doute les
.+-)*3# L/# /"# $"%.# $(+'"+# 2"# F#+"?J<%# E# 9%;(?"<# 2"*# /%(/<"*#
".# 2"*# +J*"+?"*3# a'# /;"*.# :(,()*# 9%"# 2%# .-%:-%+*# (<.%"'# 9%)#
*"#.+-%?"6#$(+#-%=')#$@B*)-'->)9%"#-%#7-+<J6#"/7-%)#".#)>/-+J3#
Quand il surgit, c’est dans la conscience de maintenant et
9%(/2# -/# '"# 2J<+).6# <;"*.# (?"<# 2"*# ,-.*# ".# 2"*# <-/<"$.*# 2"#
maintenant, avec donc, en toute bonne foi, de la reconstitution et de la réinterprétation...
p%(/.# 1# '(# $-**)=)').J# 2;%/# +"?J<%# $+J/(.('6# "''"# +"*."#
"/#.-%.#J.(.#2"#<(%*"#%/"#@B$-.@O*"3#T()*#)'#"*.#(**"i#"&<)tant de jouer avec l’idée et de voir comment elle peut rendre
compte de certains faits troublants.
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<"#.B$"#2;"&$J+)"/<"#(=*"/.#2"#*(#?)"#<-/*<)"/."#U#R.#9%;"''"#
recherche dans la répétition de ses aventures amoureuses.
Où en a-t-elle puisé la forme et les détails ?
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9%;(%C2"'1#2"*#*"/.),"/.*#personnels les plus enfouis, les
La bascule des mal-aimés
78
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venu d’ailleurs. D’où ?
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+($$-+."/.# '"# .J,-)>/(>"6# <;"*.# 9%"# <"# =-/@"%+# %.J+)/6#
malgré l’un malgré l’autre, chacun l’aurait vécu, chacun
en garderait la trace. Parfois tellement contrarié et laminé
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jouissance, mais le bonheur le plus ordinaire. Osent-ils en
+D?"+#=+)O?","/.#9%"#'(#?)"#?)"/.#'"*#2J*(=%*"+3#T()*6#*;)'*#
en rêvent, d’où tiennent-ils ce rêve ?
Bonheur utérin parfois nié par la conviction de ne rien
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$-%++()*C.%# ),(>)/"+# 9%"# <".# (,-%+# ",$-)*-//J# ().# $%# %/#
jour être nectar ?
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les révisions déchirantes...
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Nos
parents
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79
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Voire. Combien de femmes en effet connaissent pendant leur
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<-,,"#$(+#%/#"/<@(/.","/.#,(%?()*#($+O*#'(#/()**(/<"#G#
Combien disent avoir traversé ces mois « sur un
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dans leur vie, et comme inexplicable car non reproductible
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J?"/.%"'*#/"%+-C,J2)(."%+*Q#"%$@-+)*(/.*#*$J<)89%"*#2"#'(#
grossesse...
N’est-ce pas l’état naturel de la grossesse ?
La femme porteuse de l’enfant peut accepter cet état,
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.-%.#*-/#D.+"#2"#<"#9%)#'(#.+(?"+*"6#"/#$+-8."+#<-,,"#2;%/#
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plaisir sexuelced.
Elle peut aussi s’y refuser, lutter contre, en ayant ses
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-%# (%# ,)"%&6# =(/('"# ".# '-/>%"3# I"# $+-<"**%*# <-/.+"# '"9%"'#
elle lutte ce faisant n’en est-il pas moins présent ?
Et si elle s’interdit de le laisser émerger dans son exis."/<"#".#2"#$+-8."+#2"#*-/#0%&6#/;"/#"*.C)'#$(*#,-)/*#$+J*"/.6#
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=)"/#9%;)/<-/*<)",,"/.3#
1. On se souvient que, selon la mythologie grecque, Tirésias fut puni par
les Dieux pour avoir dévoilé ce secret : il perdit la vue. Mais il en resta
devin, c’est-à-dire voyant.
80
La bascule des mal-aimés
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Z"*#,J2)(."%+*#-%#2"*#@-+,-/"*#?"/%*#2"#';@B$-.@('(,%*Q#
maternel ou, plus probablement, du placenta foetal ? Ce
tyran sait extraire de l’organisme maternel tout ce dont
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a'#'%)#),$-*"#%/"#+O>'"#9%)#+J2%).#(%#*)'"/<"#'"*#),$J+(.)7*#
=)-'->)9%"*#2"#'(#*%+?)"#)/2)?)2%"''"ced. Si c’est la chimie de
'(#>+-**"**"#9%)#<+J"#<"*#"&$J+)"/<"*#?J<%"*#*)#$(+.)<%')O+"*6#
)'#7(%.#9%;"''"#?J@)<%'"#(?"<#"''"#2"*#<@(,$*#2"#7-+,"Q#=)"/#
particuliers...
Comme si le ventre était le lieu de passage de bien autre
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,O+"# J.().# %/"# ,O+"# $-+."%*"cld3# P-,,"# *)# <"# 9%)# '%)# 7().#
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4$+O*#.-%.6#B#(C.C)'#7-+,%'"#$'%*#.+-,$"%*"#9%"#2"#2)+"#
« je veux/nous voulons un enfant » ? C’est comme si en mon.(/.# 2(/*# '"# hkX# 1# V)<"# .%# 2)*()*#]# F# !"# ?"%&# 9%"# <"# .+()/#
()''"#1#`(+)*#E3#a'#B#?(3#h-%.#<"#9%"#.%#$"%&#7()+"#<;"*.#<@-)*)+#
d’y monter ou de ne pas y monter, ou d’en redescendre une
7-)*# 2"2(/*6# 1# ."*# +)*9%"*# ".# $J+)'*# G# I(# *.J+)').J# 7J,)/)/"#
/;"*.#*-%?"/.#(%.+"#<@-*"#9%"#'"#:"%6#(%#$'%*#)/.),"#2"#*-)6#
entre refuser ou accepter d’être porté par le train de la
?)"#1#.+(/*,"..+"3#P"#2-/.#.J,-)>/"/.#$"%.CD.+"#'"*#7(%**"*#
<-%<@"*#1#+J$J.).)-/6#<-,,"#(%.(/.#2"#7(A-/*#2"#2"*<"/2+"#
en marche...
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$-%+#'"#<-,$."#2"333#2"#9%)6#2"#9%-)#U#p%)#$+D."+().#*-/#?"/.+"#
1#9%"'9%"#2J*)+#2;"/7(/.#*"#$+-,"/(/.#2(/*#'(#/(.%+"6#(%&#
1. La grossesse est le seul cas de greffe entre individus génétiquement
différents qui ne provoque pas de rejet.
2. Au sens actuel de « porter pour le compte de quelqu’un d’autre »...
Nos parents
ne sont pas
Toutes
des porteuses
? nos parents
re
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expérience originelle.
Car elle a inscrit en toi des formes dont tu gardes enfoui
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?"/.+"#2"#<".."#7",,"C'16#2"#<".."#,('C(),J"#,('C(),(/."6#
mal-porteuse mal-portante.
82
La bascule des mal-aimés
Rire basculant
83
RIRE BASCULANT
Ça avait démarré comme d’habitude et je commençais
à m’y faire. Je sais d’expérience qu’à tel moment de sa vie
et de sa thérapie, chacun reprend, comme un rituel d’ouverture de l’autre monde, le même chemin en repassant par la
même porte.
Chaque séance, même scénario : elle s’asseoit dans
un fauteuil et s’enfonce peu à peu dans le mutisme tandis
!"#$ %&'$ ()%*+#$ %#$ ,#-.#$ #/$ %#$ 0+#1$ 2")%$ 3#%$ 4&'/&-%)&'%$ 5#$
la souffrance tordent lentement son corps. Elle semble se
noyer dans un état second, comme possédée, et commence à
émettre des mots isolés, sans liaison, des bribes de phrases.
2#"$ 6$ 7#"$ %#$ 5#%%)'#-*)/$ "'#$ '&"(#33#$ %48'#$ /#--)93#:$
une des nombreuses que la pauvre Line avait endurées —
chaque fois elle en exhumait une autre — et elle la revivrait
avec une intensité émotionnelle comme intacte. Ce serait
de nouveau la terreur, ou la fascination, ou la honte écrasante, ou les trois. Ce serait de nouveau son corps vibrant
de l’indicible, vrillé sur lui-même, la jambe droite animée de
secousses inépuisables, les pieds tendus à l’extrême, les yeux
épouvantés. Elle ne pourrait d’ailleurs pas le dire, l’ineffable,
&"$!"#$/-8%$*33"%)(#.#'/1$;#-%$3*$0':$6$+-*'5<7#)'#:$&'$7&"--*)/$ -#4&'%/)/"#-$ 3*$ %48'#:$ -#.#//-#$ #'$ &-5-#$ 3#%$ =3=.#'/%$
émotionnels, corporels, fantasmatiques du puzzle.
84
La bascule des mal-aimés
>#$%*'+:$3#%$?"-3#.#'/%$5#$3*$.8-#:$3#%$4&"7%$5"$78-#:$3*$
terreur de l’enfant — qu’elle était. Une nouvelle bande vidéo
d’épouvante. Ses râles, son refus désespéré, les haut-le-coeur
de l’adulte qu’elle est maintenant. Qu’était-ce cette fois-ci ?
Un viol ? Des manipulations incestueuses ? Une tentative
d’internement subie à son corps défendant ? Une sauvage
agression au couteau ?
Allais-je suivre de nouveau, l’y accompagner ? Non ! Je
décidai de changer mon fusil d’épaule.
Quand la tempête sembla s’apaiser, au lieu d’en parler,
je lui demandai de me raconter de nouveau la même histoire,
.*)%$#'$7*-3*'/$5@#33#$6$3*$/-&)%)8.#$7#-%&''#:$5#9&"/$5#(*'/$
.&)$!")$-#%/#-*)%$*%%)%:$4&..#$%)$4@=/*)/$"'$03.$!"@#33#$.#$
racontait.
Elle tourna longtemps en rond, allant et venant dans
3*$ 7)84#$ 4&..#$ "'$ *4/#"-$ !")$ *//#'5$ *(#4$ )'!")=/"5#$ 3#$
5=9"/$ 5#$ 3*$ 7)84#$ 7")%$ #33#$ 4&..#'A*1$ B"$ ,"-$ #/$ 6$ .#%"-#$
son discours devenait plus clair. Alors l’histoire reprit une
4&?=-#'4#1$>*$.8-#$!")$*33*)/$*44&"4?#-:$3*$033#:$>)'#:$&93)+=#$
5#$+*-5#-$3*$4?*.9-#$6$4*"%#$5#%$&-#)33&'%:$3#$78-#$!")$7*-/$
#'$ 7-&.#'*5#$ *(#4$ 3#%$ ,-8-#%$ #/$ %&#"-%. 2")%$ 3#%$ 5&"3#"-%$
de l’enfantement qui arrivent par vagues, les cris, le sang,
Line à qui on enjoint de sortir, d’aller dans sa chambre, qui
s’y refuse, terrorisée par l’événement, qui se réfugie dans
"'$4&)'$5#$3*$4?*.9-#$.*/#-'#33#:$!")$&9%#-(#$/&"/:$3#$78-#$
!")$*--)(#:$3*$/-&"(#:$3*$+)C#:$#/$3@#..8'#$7*-$3#$9&"/$5"$'#D$
dans sa chambre... qu’elle va garder à la suite de ce drame
pendant trois mois.
Elle prend un temps, puis, comme un acteur qui se
tourne vers le public pour un aparté, elle murmure : « Oui,
j’ai toujours été une enfant à complications... » Et moi, sortant de mon rôle de spectateur muet, j’interviens : « Une
enfant, oui, et à complications tu le seras encore longtemps,
#/$ *"%%)$ %*'%$ 5&"/#$ "'#$ =7&"%#$ 6$ 4&.73)4*/)&'%1$ E'#$ .8-#$
à complications, peut-être beaucoup moins... Et peut-être,
une employée à complications, pas du tout... »
85
Rire basculant
« Ah mais, » s’écrie-t-elle, « comment le sais-tu ? Mon
patron m’a fait une évaluation de stage, comme quoi j’étais
/-8%$ /-*(*)33#"%#:$ %&"-)*'/#:$ *44"#)33*'/#:$ /-8%$ %).73#$ 5*'%$
les relations. Et c’est vrai. Comment le sais-tu ? » Elle part
alors d’un rire franc, c’est le premier que je lui vois. Il nettoie
à grande eau le tableau misérabiliste, la noirceur, la lourdeur, débarrasse ses épaules du poids des péchés d’Israël,
déride ses muscles et son visage, et le reste de la séance se
déroule dans l’hilarité puis le sourire. Line souriante de tout
son visage et de tout son corps ! Spectacle rare.
Reprenant ce qu’elle a donné à voir comme actrice et
ce que son spectateur lui a renvoyé, elle essaie de se situer
5*'%$ %#%$ 5),,=-#'/%$ -F3#%1$ G)33#$ 5#:$ =7&"%#$ 5#:$ .8-#$ 5#:$
employée de... et comment dans chacun elle est compliquée,
sans oublier celui de malade... qu’elle joue passablement
compliqué, de nombreux psychiatres pourraient en attester.
2&"-!"&)$ "'$ /#3$ 9#%&)'$ 5#$ 4&.73)!"#-:$ 5@#..H3#-$ 3#%$
situations au point que ni elle ni les autres ne sachent plus
6$!"#3$%*)'/$%#$(&"#-$I$2&"-!"&)$#%/<4#$%)$5),,=-#'/$%#3&'$3#$
contexte et les interlocuteurs, dedans ou dehors, avec ses
enfants ou son mari, avec le médecin ou le patron ?
J"#%/)&'%:$ =/&''#.#'/%:$ =43*)-%$ 5#$ 3".)8-#$ K*)33)%%#'/$
dans les éclats de rire, comme autant de bonnes blagues,
4&..#$*"/*'/$5#$-=(=3*/)&'%$?)3*-*'/#%111$2&"-$3*$7-#.)8-#$
fois, nous terminons la séance dans le rire. « Et dire que
jusqu’à ces derniers jours, j’étais encore en hôpital de jour.
Mais qu’est-ce que j’avais à y faire ! ! »
L8%$3&-%:$!"#33#$!"#$%&)/$3*$4?*-+#$=.&/)&''#33#$5#$3@)'%tant, quel que soit le poids de son histoire, nous saurons
tous deux recadrer dans l’humour. Nous saurons faire virer
au rire les couleurs noires de son roman et désamorcer les
drames dont elle faisait jusqu’alors son ordinaire.
$ $
$
$
$
M
La bascule des mal-aimés
86
Ce que vécut Samuel, que j’associe à Line bien que cela
ne soit pas survenu pendant un travail avec moi, lui arriva
tout aussi inopinément.
Seul le rire était programmé. C’était une séance collective de « méditation par le rire » : cinq minutes d’agitation
frénétique, un temps de concentration sur l’aspect le plus
douloureux du vécu actuel, cinq minutes de rire (impulsé par
l’animateur), cinq minutes de silence.
L8%$ !"@)3$ 4?#-4?*$ 6$ ,&-.#-$ 3@).*+#$ 5#$ %*$ ()#$ *4/"#33#:$
Samuel se vit essayant d’avancer péniblement dans un
désert de sable instable aux dunes toujours mouvantes.
N*'%$*"4"'$7&)'/$5#$-#78-#:$%*'%$9&"%%&3#:$)3$%#$%#'/*)/$3*%:$
découragé. Oui, c’était bien ça : l’enlisement.
A la seconde où l’animateur commença de rire, la vision
devint d’une loufoquerie renversante et se transforma. Il y
#"/$ "'$ D&&.$ *--)8-#$ O$ 3#$ 5=%#-/$ =/*)/$ "'$ 5=4&-$ 5#$ /?=P/-#1$
N*."#3$ 7&"(*)/$ (&)-$ 3@*(*'/<%48'#:$ 3#%$ 7-*/)4*93#%:$ 3*$ %*33#$
et chaque nouvel élément qu’il en percevait déclenchait une
formidable onde de rire, qui rebondissait sur le groupe, lui
-#(#'*)/$ *.73)0=#$ #/$ #'/-*Q'*)/$ "'$ '&"(#*"$ 4?*'+#.#'/$
dans la vision.
Finalement il lui apparut dans les hoquets que rien ne
le retenait dans ce théâtre, qu’il y avait des rues et la vie
tout autour et qu’il était tellement simple d’en sortir !
Dans le silence qui suivit, il savoura l’effet Dédale(1)...
#/$ #'/-#7-)/$ 5@#'$ #R73&-#-$ 3#%$ 4&'%=!"#'4#%1$ E'$ 7-&938.#$
humain, quelle que soit sa complexité, trouve sa solution
quand on y ajoute une dimension supplémentaire et qu’on
en transforme ainsi les données. Changer le cadre, varier
l’angle de prise de vue, inverser la lorgnette, autant de
transformations qui sont dans la nature même du rire.
$ $
$
$
$
M
1. Dédale fut enfermé par le roi Minos dans le labyrinthe qu’il avait
conçu. N’en trouvant pas l’issue, il se fabriqua des ailes et, passant dans
la troisième dimension, il échappa au piège.
Rire basculant
87
2&"-$>)'#$4&..#$7&"-$N*."#3$3#$-)-#$%#$/-&"(#$4&"73=$
à un sentiment d’élation* qui traduit la libération soudaine,
3#$-)5#*"$!")$%#$5=4?)-#:$3#%$4?*Q'#%$!")$%#$9-)%#'/1$
Mais ça peut donc se passer autrement ! Mon sort
ne serait pas scellé ! Un sac de noeuds qui se défont : un
dénouement, au sens propre. Un théâtre, c’est le mot, qui
5-#%%#$%&'$5=4&-:$!")$,*)/$5=03#-$%#%$7#-%&''*+#%$S$.*)%$.*$
vie n’est pas ce décor de carton, pas plus que je ne suis ces
7#-%&''*+#%$4?*'+#*'/$%#3&'$3*$%48'#1$$ $
$
L*'%$4#/$)'%/*'/:$>)'#$%#$3)98-#$5#$%&'$?T%/=-)#$4&..#$
Samuel de sa dépression. Le rire, immense, irrépressible,
manifeste la prise de conscience soudaine qu’on peut se
détacher de ses programmes. Il dit la liberté en marche.
A cet égard et sous cette forme, il constitue une des
.*'),#%/*/)&'%$ 3#%$ 73"%$ %7#4/*4"3*)-#%$ 5"$ 7?='&.8'#$ 5#$
bascule. Rire basculant. Rire de carrefour ? Comme pourrait
éclater de rire celui qui a cheminé des heures, perdu dans
3@&9%4"-)/=$ #/$ 5=4&"(-*'/$ %&"5*)':$ !"*'5$ 3*$ 3".)8-#$ %#$ ,*)/$
par magie, qu’il est sur un carrefour abondamment balisé...
&U$ )3$ '@T$ *$ !"@6$ %")(-#$ 3#%$ C84?#%1$ V3$ T$ *$ "'$ )'%/*'/$ K@=/*)%$
perdu dans les complications, je ne voyais aucune issue. Et
tout ça est si simple ! Il n’y a qu’à appuyer sur le bouton.
Le rire est si constamment associé à une perception libératrice des champs de forme* aliénants que je m’interroge :
ne fait-il que la traduire ou l’accompagner — comme cela
semble chez Line ? Ou bien en est-il le déclencheur — comme
on pourrait le penser pour Samuel ?
On conçoit qu’il puisse être moteur de la bascule car il
est par nature prise de distance. Que la charge explosive en
soit placée au bon endroit au bon moment, voilà le chamboulement mené à son terme.
Qui a bien ri, ri aux larmes, au moins une fois dans sa
()#$S$#/$!")$'#$3@*$,*)/$I$S$4&''*Q/$3*$%)+'*/"-#$5#$3@&"-*+*'$O$
cette sensation de s’être vidé et de se trouver rempli d’un
bien-être qui va jusqu’à la plus lointaine cellule. On est vide
et neuf, comme si on voyait le monde les yeux lavés par le
La bascule des mal-aimés
88
rire et toutes choses mises à plat, à leur juste place. On est
plein d’une chaleur et d’une énergie qui circulent partout,
4&..#$*7-8%$"'$#R#-4)4#$7?T%)!"#$)'/#'%#$#/$7-&3&'+=1$
23#)'$#/$/&/*3#.#'/$()(*'/$5#$5=4&"(-)-$3#$-)#'$5#$3@#R)%tence... Le rire est-il le regard de l’âme sur cette destinéelà ? Quand il surgit, incontrôlable, souverain, dans l’atelier
/?=-*7#"/)!"#:$ )3$ 7-#'5$ "'$ 4*-*4/8-#$ %*4-=$ !")$ 5=(&)3#$ 3#$
trompe-l’oeil des illusions et arrête les pendules à leurre.
;#'"$5#$%)$3&)'$!"@)3$%#.93#:$&'$3#$(&)/$4?#D$>)'#$4&..#$4?#D$
Samuel, une autre manifestation de l’amour trans- personnel*. Le verra-t-on de même pour Tina et Lison ?
$ $
$
$
$
M
Tina est toujours aussi souriante qu’anxieuse. Une douleur sourde la taraude de ne pas être assurée que ce corps,
ces membres, soient vraiment les siens, comme si elle les
squattait... Et si un jour elle se réveillait sans corps ?
W$ X"):$ 3#$ 73"%$ 5"-$ 4@#%/$ 5#$ '#$ 7*%$ -#4&''*Q/-#$ .&'$
corps », dit-elle en s’allongeant. Elle parle comme les choses
3")$()#''#'/1$>#$03$5"$5)%4&"-%$3@*.8'#$6$4&.7*-#-$3#$4&-7%$
à une voiture, à parler de la conduite, des qualités d’une
voiture.
W$Y#+*-5#$5&'4$"'$7#"$4#$!"#$/"$*%111$Z$3")$5)%<K#1$2-#%!"#$
instantanément se déclenche une explosion de rire.
Elle s’écrie : « Mais ce corps, c’est un vrai miracle ! » et
puis : « Il n’y a pas de mots pour ça ! » Et par ondes successives de franche hilarité, la voilà partie à explorer ce corps
comme si elle ne l’avait jamais vu — tandis que je renchéris
dans les jeux de mots. « Et un bassin, un ! » (moi : « Dis
5&'4:$&'$7#"/$#'$,*)-#$5#%$4?&%#%$*(#4:$5@*7-8%$3*$'&/)4#111$Z[$
« Et deux pieds, j’ai deux pieds ! » (« Oui, en parfait état de
.*-4?#:$5#"R$7)#5%$5#$7-#.)8-#$.*)'1$Z[$W$\/$"'#$'&"(#33#$
peau ! » Et ainsi de suite. Quand le rire s’est calmé, elle
prend un temps de recul, puis : « Est-ce que... tout ça... estce que j’ai peur de m’en servir ? »
C’est en changeant son regard, suite à ma proposition,
89
Rire basculant
que le rire jaillit. Il permet un nouvel examen de sa réalité
corporelle, dont chaque pas relance le rire et le processus
s’auto-entretient jusqu’à extinction. Il laisse la place nette
pour une formulation tout à fait nouvelle de sa probléma/)!"#1$]&..#$%)$7&"-$3*$7-#.)8-#$,&)%$4#//#$P.#:$4&..#$%)$
7&"-$3*$7-#.)8-#$,&)%$4#$4&-7%:$%#$-#+*-5*)#'/$3@"'$3@*"/-#$#/$
imaginaient de faire équipe ensemble...
$ $
$
$
$
M
Il en va autrement pour Lison. La séance bien avan4=#:$*3&-%$!"#$'&"%$%&..#%$/&"%$5#"R$/-8%$)'/=-)&-)%=%:$#33#$
5*'%$%&'$(&T*+#$#'$=/*/$.&5)0=$5#$4&'%4)#'4#^$#/$.&)$6$3@T$
accompagner, la voilà prise par un fou-rire qui dure cinq
minutes d’horloge, s’éteint, et ne cesse de repartir en salves.
Et au bout, quand elle reprend haleine, une simple phrase :
« Mais alors, tout ça, c’était une farce, une vraie comédie ! »
Je lui avais proposé, quand elle s’était allongée d’ellemême, de se rendre au rendez-vous avec sa personne, celle
!"@#33#$#%/$5#--)8-#$/&"%$%#%$7#-%&''*+#%1$>#$7-&4#%%"%$%@=/*)/$
déroulé, intérieur, porté par le travail respiratoire, ponctué
de quelques indications qu’elle lâchait sur ce qu’elle vivait
et de quelques renvois de ma part.
B7-8%$"'$3&'+$%)3#'4#:$#33#$5)/$43*)-#.#'/$#/$,#-.#.#'/$O$
« J’accepte ! » puis plus doucement : « Oui, c’est ça... mais
ça me gêne, je deviens extérieure, c’est comme si je m’en
04?*)%111$ Z$ _#$ 3")$ -#'(&)#$O$ W$ ]&..#$ %)$ /&"/$ A*$ '@*(*)/$ 7*%$
l’importance que tu croyais ». Un temps d’arrêt. Et à la surprise générale, car Lison est plutôt du genre retenu, éclate
le fou-rire décrit plus haut.
La bascule a été longuement préparée par les séances
précédentes. Lison a gravi la montagne pas à pas, jetant de
temps à autre un regard sur le chemin parcouru, évaluant
3#%$ 5),04"3/=%$ !")$ -#%/*)#'/$ 6$ ,-*'4?)-1$ B--)(=#$ *"$ %&..#/:$
elle comprend ce qu’elle vient de faire. La réserve qui tient
?*9)/"#33#.#'/$$%&'$='#-+)#$#'$3)%)8-#%$(&3#$#'$=43*/%1$]@#%/$
La bascule des mal-aimés
90
l’ivresse, la griserie. C’est le fou-rire, le torrent qui déferle
et nettoie tout.
Bien sûr, elle va redescendre dans la vallée et elle y
cheminera encore un certain temps, mais elle ne pourra
plus oublier cette expérience des cimes, l’étendue de la
perspective qu’on y découvre, la juste mesure du temps et
de l’espace, ni le rire socratique qui l’y a saisie.
$ $
$
$
$
M
2&"-$ /#-.)'#-:$ "'#$ ?)%/&)-#$ 5-F3#1$ _")(#:$ 9)#'$ %`-$ #/$
9-8(#1$
a&b4?8$#/$B*-&'$%#$-#'4&'/-#'/$O$
« Ça y est, c’est décidé, je pars !
— Ah ! Et où vas-tu ?
— En Argentine ! A Buenos-Aires !
— Oy, c’est loin !
— Loin d’où ? »
a&583#$5#$%=!"#'4#$/?=-*7#"/)!"#$O
— un cadre formel presque rituel : une histoire juive/
deux hommes se rencontrent/ « je pars ».
— une surprise : loin d’où ? Chute qui désarçonne : on
a annoncé une histoire, où faut-il rire ?
$S$#/$7")%$#'0'$!"&)$O$"'$#'5-&)/$#%/$/&"K&"-%$73"%$&"$
.&)'%$=3&)+'=$5@"'$*"/-#111$N)'&'$&U$%&'/$3#%$-#78-#%$I111$
— ah, ce serait donc qu’il n’y en a pas vraiment ? Mais
alors, et la géographie, et l’histoire, et etc. ?
91
Rire
basculant
Ouverture
SE SOIGNER,
ENTRE STATUE
ET SUICIDE
2#"/<&'$ #'/#'5-#$ 4#-/*)'%$ .&/%$ 4&..#$ %)$ 4@=/*)/$ 3*$
7-#.)8-#$,&)%:$3#%$#'/#'5-#$'#//&T=%$5#$'&/-#$7#"-:$5#$'&/-#$
frilosité, de nos souvenirs ? Suicide ou « je veux mourir »
sont de ceux-là, mots qu’il faut savoir entendre quand ils ne
sont pas dits et savoir entendre, quand ils le sont, parfois
autrement qu’ils ne sonnent. Un domaine où il faut savoir
apprécier la distance du mot à la chose de façon à pouvoir
entendre le mot sans être précipité à surestimer le risque de
la chose (parce qu’on le craint) ou à le sous-estimer (parce
qu’on veut l’ignorer).
>#$03$-&"+#$!")$7*-4&"-/$3#%$#%%*)%$5#$4#$-#4"#)3$7#"/$T$
aider. Il me conduit pour l’heure à en situer l’écoute dans
le mouvement toujours surprenant de la bascule. Quand
les pulsions, les allégations ou les silences suicidaires sont
pris dans sa dynamique, ils provoquent des remous parfois
dramatiques et souvent paradoxaux. Où l’on voit que la
sortie de la névrose peut augmenter le risque de suicide ou
de mort. Où l’on subodore que l’envie de se tuer peut relever
du désir de guérir...
La bascule des mal-aimés
92
M
Ainsi existe-t-il, engendré par le processus de la bascule,
un risque de suicide par le vide dû à la disparition des
%T%/8.#%$!")$/#'*)#'/$3*$7#-%&''#(1).
L’Histoire bruit de suicides individuels ou collectifs, de
7#"73#%$.&-/%$5#$%@H/-#$/-&"(=%$5=7&%%=5=%$5#$3#"-$%T%/8.#$
de valeurs(2). Un exemple entre mille : celui des peuples pour
qui l’alcool, quand il ne peut plus trouver place dans les
rituels de connexion avec le cosmos, devient le moyen d’un
3#'/$#/?'&c%")[4)5#1$;&)-$5"$4F/=$5#%$B.=-)'5)#'%1$
Qu’on songe aux suicides qui suivent le déboulonnage
des statues quand rien d’autre n’a pu se mettre en place, ne
serait-ce qu’un combat mené en commun pour les abattre.
;)5#$*,,-#"R$5#%$7*T%$5#$3@\%/$5&'/$3#%$%T%/8.#%$*'4)#'%$%&'/$
tombés tout seuls, ou presque, sans que rien ne se soit bandé,
et donc organisé dynamiquement, dans le processus(3). Dans
plus d’un cas, il n’est même pas nécessaire que les personnes
se suicident. La mort des sociétés et des peuples vient d’ellemême, une fois démantelé le réseau de leurs croyances.
Les statues meurent aussi(4)... dans la thérapie. S’attaquer à la statue qu’on a laissé bâtir de soi-même, c’est courir
le risque de se retrouver sans identité repérable. Certes elle
%@#%/$=-)+=#$6$3@#'4&'/-#$5#$3*$-=*3)/=$5#$3@H/-#$*)'%)$7=/-)0=:$#/$
quand vient le besoin de respirer par soi-même et de laisser
bruire et palpiter le vivant en soi, quand il faut se libérer
de la gangue, l’opération peut rarement se faire sans qu’on
touche à la statue. Or elle était le seul moyen d’être reconnu
— même en étant méconnu, voire nié. Le sol risque fort de
1. Voir « Rentrer dans le vide du sujet ».
2. C’est-à-dire en réalité de leurs champs morphiques*.
3. Sauf en Pologne et d’une façon différente en Hongrie.
!"#$%&'(#)*+,#)(-#.'(/%('-#01/-#)*2"#3(-,4%-#5(,#6711487'4&%7,#49(6#:;'%-#
Marker). Ce documentaire évoquait la destruction de l’âme africaine à
travers la récupération coloniale des statues rituelles, beau travail sur
1(-#6;4/.-#/7'.;%<+(-"#=1#>+&#?#1*@.7<+(#5ABCDE#%,&(')%&#.4'#14#6(,-+'("
Se
soigner,
entre statue et suicide
Rire
basculant
93
manquer sous les pieds(1)...
Quand on n’a vécu que tenu par cette coquille, par ce
squelette extérieur, comme un invertébré, en l’acceptant et
sans peut-être pouvoir faire autrement, le jour où elle se
délite, comment survivre ?
Les équipes soignantes qui ont eu en charge les vieilles
populations des asiles d’aliénés y ont été confrontées quand
elles ont voulu réintroduire une dimension humaine et
sociale dans ces espaces de sous-vie. La mutation de l’asile
en hôpital s’est accompagnée d’accidents mortels et de suicides chez des personnes qui étaient internées depuis des
années, suite à la disparition d’un cadre aussi aliénant que
tutélaire(2).
On ne saurait s’attaquer aux statues que si paral383#.#'/$ *$ =/=$ #'/-#7-)%$ "'$ /-*(*)3$ 5#$ .)%#$ 6$ K&"-$ #/$ 5#$
restauration de l’axe intérieur. La nécessité de passer de
l’invertébré au vertébré, de l’exo à l’endosquelette, explique
l’importance psychothérapique du travail en position debout
et des méditations et visualisations qui privilégient la verticalité et l’axe vertébral(3).
2&"-$5=/-")-#$3*$%/*/"#$)3$,*"/$!"#$3@H/-#$5#$4?*)-$*)/$7-)%$
%",0%*..#'/$5@*%%"-*'4#$#/$5#$,&-4#1$B3&-%$)3$7#"/$(#')-$*"$
K&"-$%*'%$3@*)5#$5@*"4"'#$)5&3#1$2*-*5&R*3#.#'/:$4#//#$7&"%%=#$%@#R7-).#$%&"(#'/$%&"%$"'#$,&-.#$!"*3)0=#$5#$%")4)5*)-#:$
comme on va le voir...
$ $
$
$
$
$
M
1. Voir « Dépression : où se cache le héros ? »
F"# G7%'# H"# $IJIJK2LMN#W$ >@*%)3#$ &"$ 3*$ .&-/1$ 2*/?&3&+)#$ )*/-&+8'#$ 5#%$
mutations de l’appareil psychiatrique » in : L’Evolution Psychiatrique,
ABOPN# AN# ..# APOQAORN# S'%94&N# $7+17+-("# 5TU# 1*7,# # .4'1(# )(# /7'&-# %,)%9%duelles liées à la bascule d’un collectif de soins).
3. Ces points seront développés dans un ouvrage ultérieur.
94
La bascule des mal-aimés
W$V3$T$*$!"#3!"#%$K&"-%:$Z$.#$5)/$;=-*:$W$K@*)$#"$(-*).#'/$
des idées de suicide. J’étais prise de l’envie de tuer cette
petite vie, qui m’enferme, qui m’étouffe. Les choses ne
4?*'+#'/$K*.*)%:$/&"/$%#$-=78/#$%*'%$4#%%#:$K@#'$*(*)%$.*--#:$
je voulais mourir. »
En parlant, elle s’anime, s’énerve, devient presque
*+-#%%)(#1$d-8%$()/#$)3$*77*-*Q/$!"#$%&'$*').&%)/=$()%#$/&"/#$
cette façon d’être, de penser, de réagir qu’elle n’aime pas
chez elle. Et c’est précisément parce qu’elle ressent si vivement ce jour-là à la fois son désir de vivre autrement et la
capacité qu’elle a quelque part de le faire qu’elle est prise
d’une sorte d’impatience furieuse. Sa rage s’augmente de
me voir si assuré de sa possibilité d’y parvenir.
;#"/<#33#$ .&"-)-:$ &"$ (#"/<#33#$ /"#-$ 4#$ !"@6$ 5@*"/-#%$
moments elle dit vouloir guérir ? Est-ce le souhait d’une
+"=-)%&'$ -*7)5#:$ ,*4)3#$ c,*4)3#$ I[$ #/$ %"-/&"/$ 5=0')/)(#$ I$ ]*-$
#33#$ %*)/$ 4&..#$ #'$ 4#//#$ .*/)8-#$ -)#'$ '@#%/$ K*.*)%$ *4!")%$
#/$ 4&..#$ )3$ #%/$ 5),04)3#$ 5#$ '#$ 7*%$ -#7-#'5-#$ 3#$ -*)3$ %)$ 9)#'$
/-*4=$ 5#$ 3@?*9)/"5#$ '=(-&/)!"#1$ ;#"/<#33#$ (-*).#'/$ .&"-)-$
ou veut-elle tuer la malade ?
Elle peut écarter la question en arguant qu’elles se
/-&"(#'/$%)$)'/).#.#.'/$3)=#%$!"@)3$#%/$5),04)3#$5#$/"#-$3@"'#$
%*'%$7&-/#-$*//#)'/#$6$3@*"/-#$#/$!"@T$-=C=4?)-$#%/$7"-#$%7=culation intellectuelle.
La tentation pourtant de ce meurtre se précise — et le
5=9*/$ '#$ 7#"/$ 73"%$ H/-#$ =()/=$ S$ !"*'5$ )3$ *77*-*Q/$ !"@H/-#$
une malade est une de ses identités, et qu’il en est d’autres,
9*)33&''=#%:$4*4?=#%$&"$'&'$*5(#'"#%1$;&)-$*"%%)$43*)-#.#'/$
!"#$7#"(#'/$3#$.&'/-#-$4#-/*)'%$7?='&.8'#%$5#$9*%4"3#$!"#$
%&'$H/-#$'#$%#$4&',&'5$7*%$*(#4$3*$.*3*5#$7#"/$,*)-#$'*Q/-#$
des désirs assassins à l’égard de cette forme d’elle-même
aliénée aliénante. Cette malade qui, dit-elle, lui a fait
perdre toute ces années, qui lui a volé une partie de sa vie.
Accusation peut-être injuste : et si le voleur était
!"#3!"@"'$5@*"/-#$#/$%)$3*$;=-*$.*3*5#$%@=/*)/$5=(&"=#$7&"-$
faire barrage entre le voleur et le trésor qu’il convoitait en
elle ?
Rire
basculant
Se soigner,
entre statue et suicide
95
Ambiguïté qui plane tant sur le suicide des victimes de
()&3%$#/$*"/-#%$*+-#%%)&'%$+-*(#%1$J"@#%/<)3$*"$,&'5$I$;)#'/<
il achever la dissolution de l’être atteint en son plus intime
et comme délogé de son espace le plus personnel ? Est-il
le meurtre du « négociateur », cette partie de la victime
4&'%)5=-=#$4&..#$/-*Q/-#:$4#33#$!")$%@#%/$*9*)%%=#:$%&".)%#:$
pour sauver quelque chose et qui ne garde que la honte —
3*$ W$ .*3*5#$ Z$ 5*'%$ '&/-#$ 4*%$ 5#$ 0+"-#$ I$ \%/<)3$ "'#$ "3/).#$
tentative de se laver de l’agression dont la trace fait tâche
et marque à jamais le corps de l’agressé ?
V'/#--&+*/)&'%$7*-/)4"3)8-#.#'/$()(*4#%$7&"-$3#%$()&3#'/=%$.*)%$!")$%#$-=(83#'/$6$3@#R7=-)#'4#$=43*)-*'/#%$5*'%$9)#'$
des cas : quel suicidant ne pense pas en son for intérieur
*(&)-$=/=$5=7&")33=:$(c)[&3=:$%7&3)=$5@"'$9)#'$7*-/)4"3)8-#.#'/$
précieux, dont son voleur garde jalousement et à jamais la
43=111$;&3#"-:$!")$73"%$#%/:$)'%/*33=$#'$%&'$%#)'$O$7*%$5@*"/-#$
recours que de le tuer !
;=-*$!")$%#$%&)+'#$(&"5-*)/$/"#-$3*$;=-*$5#$%&",,-*'4#$
et de petitesse pour délivrer l’être de vie et de beauté qui
#%/$36:$#33#$'#$7#"/$73"%$3@)+'&-#-1$2&"-$-#7-#'5-#$%#%$.&/%$
si justes, veut-elle tuer la petite vie qu’elle vit pour accéder
6$>B$()#$&"$6$3*$;)#$I
>*$5).#'%)&'$*'/?-&7&3&+)!"#$*,C#"-*'/$4&'%/*..#'/$
quand on parle de suicide, quelques remarques s’imposent.
Quitter cette petite vie pour accéder à la grande peut évoquer les mystiques qui parlent tout bonnement de mourir
pour accéder à la « vraie » vie. Comme le dit le vers si trou93*'/$5#$N/#$d?=-8%#$5@B()3*$O
Je vis sans vivre
Et j’attends une vie si haute
Que je meurs de ne pas mourir.
S’agit-il de mourir en vrai ? Aucun des textes fondateurs
5#%$+-*'5#%$-#3)+)&'%$'#$3#$5)/$#R7-#%%=.#'/1$2&"-$/&"%:$3*$
W$(-*)#$Z$()#$'#$7#"/$H/-#$!"#$4#33#$6$3*!"#33#$&'$*4485#$5#$%&'$
vivant. La « vraie » vie ne peut être que la transformation de
l’homme que nous sommes, celui que nous devenons quand
96
La bascule des mal-aimés
nous « dépouillons le vieil homme ». Sinon quelle nécessité
y aurait-il qu’hommes et sociétés évoluent ici-bas ?
Mais la confusion a dû s’installer entre la mort symbolique, voie royale pour accéder le plus vite possible à la
« vraie » vie, et la mort réelle. A-t-elle résulté de l’institutionnalisation des religions dans les Eglises, toutes confessions
4&',&'5"#%$ I$ d&"/#$ )'%/)/"/)&'$ *T*'/$ (&4*/)&'$ 7-#.)8-#$ 6$
se perpétuer et donc à perpétuer l’ordre existant quand elle
s’y trouve intimement reliée, il a fallu renvoyer la transformation d’ici-bas dans un au-delà. Le message initial s’est
trouvé bizarrement obscurci en un étrange : la vraie vie
4@#%/$ *7-8%:$ .*)%$ )'/#-5)/$ 5@T$ *33#-$ (&)-$ %*'%$ *"/&-)%*/)&'$ e$
Le suicide devenant en effet fort tentant, il a fallu — raison
sociale oblige — l’interdire ou ne l’accepter que sous la forme
du martyre ou de la guerre sainte...(1)
2&"-!"&)$4#$5=/&"-$I(2)$;=-*$#%/$4*/?&3)!"#$,#-(#'/#1$\33#$
croit et ne cesse de porter sur elle-même le regard de la foi.
2-)#-$'#$3")$#%/$7*%$"'$(*)'$.&/1$L@&U$3@).7&-/*'4#$7&"-$#33#$
5@"'#$-=C#R)&'$%"-$%&'$5=%)-$5#$.&"-)-1$G*"/#$5#$.)#"R:$#/$
par déformation de psychiatrisée de longue date, elle nomme
ces idées « suicidaires », avec toute la peur et la culpabilité
qu’elle peut attacher au mot.
Y=C#R)&'$).7&-/*'/#$*"%%)$7&"-$%&'$)'/#-3&4"/#"-:$)%%"$
du milieu médico-psychiatrique où idées suicidaires signi0#'/$ %T.7/F.#$ 7*/?&3&+)!"#$ #/$ /#'/*/)(#$ 5#$ %")4)5#$ =4?#4$
.=5)4*31$2*-3#-$%")4)5#$5*'%$"'$4&'/#R/#$/?=-*7#"/)!"#:$#/$
a fortiori l’agir, c’est balancer dans le transfert* un missile
à longue portée contre-transférentielle.
\'$ ,*)/:$ %)$ ;=-*$ (#"/$ /"#-$ 4#//#$ 7#/)/#$ ()#:$ 4@#%/$ 7#"/<
être qu’elle désire vivre sa vraie vie. « Je veux mourir » est
1. Le « Djihad » du Coran. Rappelons une fois de plus que le Coran dis&%,V+(# (,&'(# 1(# W# .(&%&# X# YZ%;4)# <+*7,# 1%9'(# ?# 1*=,0)[1(# \# (,# 1(# &+4,&# 4+#
8(-7%,#\#(&#1(#W#V'4,)#X#<+*7,#-(#1%9'(#?#-7%Q/]/("#S1+-#=,0)[1(#<+(#/7%#
tu meurs !
F"#S4'#)(-#'@^(_%7,-#&7+&(-#.('-7,,(11(-#(&#<+(#67,&(-&('7,&#.(+&Q]&'(#&;@7logiens et historiens des religions.
97
Rire
basculant
Se soigner,
entre statue et suicide
"'#$ *"/-#$ ,*A&'$ 5#$ 5)-#$ W$ K#$ (#"R$ ()(-#$ Z1$ 2#"/<H/-#$ #%/<4#$
l’imminence de la découverte du vivant en elle qui la rend
si impatiente, si intolérante à cohabiter avec la malade : je
meurs de ne pas (la voir) mourir. Quand l’exigence de sa
valeur se fait jour, il n’y a plus place pour la conciliatrice,
pour les compromissions.
V3$).7&-/#$58%$3&-%$!"@#33#$5&''#$/&"/#$%&'$).7&-/*'4#$6$
ce désir de « se » tuer : bien loin d’être désir de mourir, il est
désir de vivre. Si elle veut tuer cette caricature d’elle-même,
cette forme de vie diminuée, rabougrie, amputée, ce n’est pas
W$ #33#$ Z$ !"@#33#$ (#"/$ /"#-1$ \33#$ (#"/$ /"#-$ "'#$ 7%#"5&<;=-*(1)
qu’elle a choisi d’être pour survivre et que l’habitude des
années de souffrance lui a fait prendre pour « elle ». Le vrai
Je veut tuer le faux, par amour de la vie, d’une vie portée
par ses valeurs.
Le « je veux me tuer » n’est que la forme extrême et
désespérée du mouvement qui l’a menée en thérapie et qui
lui a fait dire un jour « je veux me soigner » — ce que la
%")/#$ 5"$ /-*)/#.#'/$ *$ 4&'0-.=1$ ]@#%/$ 9)#'$ %`-$ "'$ /&"-$ 5#$
son masorgueil* qui lui fait d’abord prendre pour suicidaire,
et pathologique, et culpabilisant, ce profond désir de transformation.
Qu’en penseraient les immolés, martyrs et héros, qui
se sont suicidés quand il ne leur restait aucun autre moyen
5@H/-#$0583#%$6$3#"-$4?&)R$5#$/-*'%,&-.*/)&'$7#-%&''#33#$&"$
%&4)*3#:$/#3$_*'$2*3*4?:$&"$!")$3@&'/$,*)/$7*-$%).73#$05=3)/=$6$
eux-mêmes, refusant d’être celui qu’ils se voyaient devenir,
tel Montherlant(2) ?
M
A"#`7,#W#>4+_Q-(1>#XN#)%'4%&#a%,,%67&&N#@/%,(,&#.-b6;4,41b-&("
2. J.Palach, refusant l’écrasement du « socialisme à visage humain » par
1(-#6;4'-#'+--(-N#-*%//714#.4'#1(#>(+#?#S'4V+(#(,#ABPB"#c"#)(#M7,&;('14,&N#
écrivain connu en son temps, décida de mourir quand il sentit la vieillesse
entamer ses ressources intellectuelles.
98
La bascule des mal-aimés
;=-*$.#$5)/$4#$K&"-<36:$#/$3#$5)/$6$4?*4"'$5#$'&"%:$!"@)3$
importe de savoir entendre les divers sens de ce « je veux
mourir ».
Que veut donc ce « je » ? Me tuer ou mourir ? Si c’est
« me » tuer, il fait entendre la force d’un désir, une énergie
5@*4/)&':$ "'#$ 5-*.*/"-+)#$ !")$ .#/$ #'$ %48'#$ 5#"R$ 7-&/*+&')%/#%1$ L8%$ 3&-%:$ !")$ #%/$ 4#$ W$ _#$ Z:$ !")$ %#$ 5)/$ 3#$ %"K#/$ 5#$ 3*$
phrase et de ma vie, qui est le « moi », son objet ? Qui le
meurtrier potentiel, qui la victime ?
La force même de ce désir me renvoie-t-elle au désir d’un
autre, ou d’une lignée, qui m’aurait colonisé, auquel j’aurais
remis la distinction du bien et du mal, et qui aujourd’hui me
condamnerait ? Auquel cas le « je » meurtrier n’est que le
bras de tous ces Autres, l’exécuteur testamentaire du verdict
familial. Et sa victime est celui que je prétendais être et qui
7*-$%&'$4&.7&-/#.#'/$K"%/)0#$%*$4&'5*.'*/)&'$S$#'4&-#$"'$
tour du masorgueil*.
Meurtre qui s’accomplit dans le suicide, crime parfait
d’un meurtrier qui a semé et cultivé le sentiment de culpabilité pour en faire le moteur du geste fatal et rester lui-même
au-dessus de tout soupçon(1).
Colette ne cesse de songer à mourir. « Je n’en ai pour/*'/$7*%$#'()#:$.*)%$A*$.@&9%85#1$a*)'/#'*'/$A*$,*)/$"'$*'$
qu’il est mort, mon mari. Je suis seule, rien ne me dit, je
pleure toute la journée et pourtant je pense à me tuer... »
W$111$6$/"#-$!"#33#$]&3#//#$I$Z$?*%*-58<K#1$W$B?$e$.*)%$3*$3*-moyante ! ».
_#$3@*(*)%$("#$7&"-$3*$7-#.)8-#$,&)%$%)R$.&)%$*(*'/:$*"$
sortir d’un coma de plusieurs jours. Elle avait essayé de
s’empoisonner (aux antidépresseurs !) pour rejoindre son
?&..#1$2*%$5#$'&"(#33#%:$7")%$#33#$-=*77*-*Q/$O$#33#$*$9#*"$
essayer de chasser cette pensée de mort, elle revient tou-
1. Thème prisé par romanciers et cinéastes. Qu’on se souvienne de « Dossier
51 »#)(#M"Y(9%11(N#ABOR"
Rire
basculant
Se
soigner,
entre statue et suicide
99
jours. Il faut faire quelque chose.
2-#'5-#$ "'$ *"/-#$ 4?)#'$ I$ \33#$ 3#$ (&"5-*)/$ /*'/$ 7&"-$
remplacer celui qui avait l’âge de son couple et qu’elle avait
fait piquer à son retour de réanimation... « Oui mais si j'en
prends un autre et que je me tue encore, que deviendra-til ? »
Elle s’allonge, entre en méditation. Son ventre se met à
parler, ma main se porte à son écoute — « Je serais curieuse
de savoir ce qu’il vous dit.. » — et spontanément sa respi-*/)&'$%#$7-=4)7)/#1$_#$3@*)5#$6$?T7#-(#'/)3#-:$#33#$7*%%#$/-8%$
()/#$#'$=/*/$%#4&'5$#/$."-."-#:$/-8%$+-*(#$O$W$B?:$3*$.&-/$e$
Encore ! Toujours »
J’entreprends de masser un point de la nuque que l’expérience me fait appeler « l’entrepôt des destinées(1) ». Elle se
détend, la respiration se calme et elle se met à parler :
W$2&"-!"&):$.*)%$7&"-!"&)$I$B?:$!"#$3*$.&-/$%&)/$5=0')tive, je n’ai jamais pu m’y faire !
S$]&..#$%)$4@=/*)/$"'$5=0$7#-%&''#3$7&"-$/&)$I
S$2&"-$.&):$'&':$.*)%$7&"-$.&'$.*-)$O$)3$*$7#-5"$%&'$
78-#$ 6$ f$ *'%1$ V3$ *$ /&"K&"-%$ =/=$ ?*'/=$ 7*-$ 3@&9%#%%)&'$ 5@H/-#$
73"%$ ,&-/$ !"#$ 3*$ .&-/1$ B(*'/$ 5#$ 3#$ 4&''*Q/-#$ K#$ '@T$ 7#'%*)%$
jamais ! Dire que j’ai essayé de me tuer et que j’y songe
toujours ! Est-ce par contagion ? »
>*$%=*'4#$/&"4?#$6$%*$0'1$J"#3!"#$4?&%#$7&"-/*'/$-#%/#$
en suspens. Je lui dis : « Je sens là quelque chose qui est
en toi, à ton insu peut-être et qui n’est pas à toi... » et je lui
%"++8-#$5#$-*%%#.93#-$5#%$,*)/%$%"-$3@?)%/&)-#$,*.)3)*3#$7&"-$
la fois suivante.
\33#$%#$5-#%%#$5@"'$4&"71$W$B?$.*)%$9&'$%*'+$e$a&'$78-#$
#/$.*$.8-#$=/*)#'/$/&"%$3#%$5#"R$&-7?#3)'%$5#$78-#$S$.&'$
78-#$ 6$ "'$ *':$ .*$ .8-#$ 6$ 4)'!$ *'%$ S$ 4&..#$ .&'$ .*-)$ e$ e$
g*$ *3&-%$ e111$ Z$ L#"R$ /-&)%$ .&/%$ #'4&-#$ #/$ #33#$ %@#'$ (*:$ /-8%$
troublée.
A"# :*(-&# .7+'# 1(-# 46+.+,6&(+'-# 1(# APd# .7%,&# )+# G4%--(4+# )%&# e7+9(',(+'#
ou, en chinois, le point Feng Fu, « magasin du vent ».
100
La bascule des mal-aimés
h")/$K&"-%$*7-8%:$!"*'5$#33#$-#()#'/:$#33#$#%/$-*5)#"%#1$
\33#$ %#$ %#'/$ /#33#.#'/$ 9)#':$ /#33#.#'/$ 3=+8-#:$ !"@#33#$ 7*-3#$
de miracle. Les idées « noires » ont disparu, elle retisse son
réseau d’amitiés et bâtit des projets. L’évolution ultérieure
4&'0-.#-*$3*-+#.#'/$3*$/-*'%,&-.*/)&'$#/$3*$%&-/)#$5"$/"'nel suicidaire.
Que s’est-il donc passé ?
Son histoire, qu’elle tient à compléter ensuite car il
lui importe que tout se mette en place, comporte des faits
troublants.
Elle réalise d’un coup qu’elle est née le jour anniversaire
5#$3*$.&-/$5#$%&'$+-*'5<78-#$.*/#-'#3$c4@#%/<6<5)-#$5"$78-#$
5#$%&'$&-7?#3)'#$5#$.8-#[:$!"#$%&'$.*-)$#%/$.&-/$3#$.H.#$
mois et qu’il a perdu ses deux soeurs comme elle la sienne...
La culpabilité sourde que portent les enfants de ceux
qui sont partis trop tôt a-t-elle oeuvré dans cette famille,
7*%%*'/$5#%$7*-#'/%$*"R$#',*'/%$I$>*$%&#"-$*Q'=#$c5#$5#"R$
*'%[$ 5#$ ]&3#//#$ 5=485#$ 6$ ij$ *'%:$ 3*)%%*'/$ "'#$ &-7?#3)'#$ 5#$
kl$*'%1$E'#$4&"%)'#$*$7#-5"$%&'$78-#$6$kf$*'%1$]&3#//#$#'$
a semblé préservée, vivant dans l’insouciance et l’ombre de
%*$%&#"-$*Q'=#$K"%!"@6$3*$.&-/$5#$4#33#<4)1$
Une vie sans gravité jusque-là. D’un coup, à 37 ans, elle
5#()#'/$.*Q/-#%%#$5#$%*$5#%/)'=#1$E'$*'$*7-8%$3#$5=48%$5@"'#$
soeur qui la laisse comme orpheline, elle épouse cet homme.
A travers lui, le sort familial commun — auquel elle a
7#"/<H/-#$=4?*77=$#'$%#$+*-5*'/$5#$5#(#')-$"'#$.8-#$S$3*$
rattrape. Deux ans de bonheur puis le malheur s’installe :
%&'$ .*-)$ %@*(8-#$ H/-#$ "'$ +-*'5$ 5=7-#%%),:$ &-7?#3)'$ 5#$ 78-#$
6$f$*'%:$5#$.8-#$6$km1$V3$9&)/:$)3$#%/$5"-$#/$/*4)/"-'#1$V3$7#-5$
%*$%&#"-$c*Q'=#$5#$5#"R$*'%[$5@"'#$.*3*5)#$!")$(*$3@#.7&-/#-$
3")$*"%%):$*7-8%$"'$4*3(*)-#$5#$5#"R$*'%1$
Colette croyait se suicider par désespoir, pour rejoindre
son mari. Elle s’aperçoit que son geste n’a fait que l’inscrire
5*'%$ "'$ ()#"R$ .&"(#.#'/$ ,*.)3)*3$ #/$ !"@)3$ '@=/*)/$ !"#$ /-8%$
partiellement le sien. En quelques heures, elle sort d’un
101
Rire
basculant
Se
soigner,
entre statue et suicide
43).*/$.&-/),8-#$!")$3@#'(#3&77*)/$5#7")%$5#%$*''=#%$#/$!")$
l’avait conduite aux portes de la mort... Elle comprend aussi
!"@)3$#%/$5@*"/-#%$,*A&'%$5@H/-#$0583#$6$3*$.=.&)-#$5#%$.&-/%1$
$ $
$
$
$
M
Je ne viens pas prétendre que tout souhait exprimé de
mourir cache un profond désir de vivre ou représente un
meurtre par procuration. Il est des « je veux mourir » qui
parlent d’un mouvement interne poussant indiscutablement
à la mort, qui parlent d’un Je qui veut mourir. Soyez attentifs à ce que dit le corps de celui qui parle ainsi. Quand la
mort est là, le corps y est engagé. Si des processus vitaux
commencent à gripper, si les besoins essentiels, faim, soif,
mobilité, ne se manifestent plus, la question peut se poser.
\'4&-#$ !"@)3$ '#$ %&)/$ 7*%$ /&"K&"-%$ *)%=$ #'$ 3*$ .*/)8-#$ 5#$
distinguer ce qui est mouvement d’amour, appel désespéré
et muet à l’autre de ce qui est mouvement de mort. On
%*)/$5#7")%$7#"$!"@#'$/#-.#%$5@=(&3"/)&'$5#%$#%784#%:$.&-/$
et sexualité sont apparues en même temps, se créant l’une
par l’autre.
102
La bascule des mal-aimés
103
Rire
basculant
Dépression...
TERRE ! TERRE !
Comme devoir à faire à la maison, j’avais prescrit à
Marie-Ngan de manipuler de l’argile ou de la pâte à modeler
#/$5@#'$,*A&''#-$5#%$0+"-)'#%$?".*)'#%1$
]#//#$ 7-#%4-)7/&'$ (#'"#$ %*'%$ T$ -=C=4?)-:$ K#$ .#$ 3@#R73)!"*)%$*7-8%<4&"7$#'$3*$-*77&-/*'/$6$4#$!"@#33#$*(*)/$5=4&"(#-/$
de sa géographie corporelle, où l’homme était dans sa tête et
la femme dans ses mains. Femme de tête, comme le montrait
la conduite de sa vie et ses projets, elle ne pouvait concevoir
la création qu’intellectuelle, et masculine. Il me semblait
)'/=-#%%*'/$!"@#33#$,Q/$3@#R7=-)#'4#$5#$3)#-$%&'$.*%4"3)'$6$%&'$
féminin, en laissant ses mains penser et créer des formes.
]#$.*/)'$#33#$.@*''&'4#$5@#'/-=#$!"@#33#$*$#'0'$-="%%)1$
W$ \'0'$ Z:$ 7*-4#$ !"#$ 3@#'/-#7-)%#$ %@=/*)/$ *(=-=#$ 9)#'$ 73"%$
laborieuse qu’on eût pu le supposer. Il lui a d’abord fallu
5#"R$9&''#%$%#.*)'#%$7&"-$*--)(#-$6$*4?#/#-$3*$/#--#1$2")%$
le contact de l’argile a réveillé une profonde répulsion : elle
n’a en effet jamais pu toucher la terre à mains nues. Même
pour s’occuper de ses plantes d’intérieur, activité pourtant
fort investie, elle doit impérativement mettre des gants.
Impossible de tenir plus de quelques minutes la pre.)8-#$%#.*)'#1$J"*'5$3#$4&'/*4/$*(#4$3*$+3*)%#$#%/$5#(#'"$
73"%$ %"77&-/*93#:$ #%/$ *77*-"#$ 3*$ 5),04"3/=$ 5#$ .&5#3#-:$ 5#$
La bascule des mal-aimés
104
/-*'%,&-.#-$ 3*$ .*/)8-#$ )'#-/#$ 7&"-$ 3")$ 5&''#-$ !"#3!"#$
apparence du monde réel. Impossible d’aboutir à une forme
)5#'/)0*93#1$\33#$*(*)/$/&"/$*--H/=1$_#$3")$*(*)%$-*77#3=$!"#$
l’ordonnance prescrite devait être exécutée.
W$ \'0':$ K@*)$ -="%%)$ 6$ ,*9-)!"#-$ !"#3!"#%$ 9&'%?&..#%:$
tout petits, mais je n’ai pas pu leur faire de mains ». Tandis
qu’elle inaugure ainsi notre rencontre, allongée, sans me
voir, ses mains font machinalement le mouvement de pétrir
#'$.H.#$/#.7%$!"#$%*$9&"4?#$*,04?#$"'#$.&"#$5#$5=+&`/1
Je lui propose de s’intérioriser. Qu’elle laisse sa
4&'%4)#'4#$%#$7&-/#-$*"7-8%$5#$%#%$.*)'%$#/$!"@#33#$%#$3*)%%#$
guider par elles vers... « la vérité de ton être » (j’ai dû dire
quelque chose de cet ordre, décidant comme toujours et en
/&"/#$4=4)/=$5#$,*)-#$4&'0*'4#[1$2&"-$,*(&-)%#-$3#$7*%%*+#$(#-%$
un état de conscience différent, je lui demande de laisser
le mouvement machinal de pétrissage se poursuivre aussi
longtemps qu’il vient dans ses mains.
>*$ %"-7-)%#$ K*)33)/$ *7-8%$ !"#3!"#%$ )'%/*'/%1$ W$ n#'$ A*$
*3&-%$ e$ _#$ .#$ (&)%$ #'$ ,#-.)8-#1$ _#$ .@&44"7#$ 5#$ 3*$ /#--#:$ K#$
73*'/#$ 5#%$ %*3*5#%:$ 5#%$ 7&)-#*"R:$ #/$ K#$ .#$ %#'%$ 9)#'$ e$ 2*%$
les animaux, non, il n’y en a pas, mais des légumes. Je fais
3*$ .*-*Q4?8-#1$ \/$ K#$ '#$ %")%$ 7*%$ %#"3#$ S$ #/$ K#$ .@#'$ /-&"(#$
/-8%$9)#'$e$g*$'#$.#$-#%%#.93#$7*%$e$Z$
Je la laisse explorer cette expérience inattendue. Elle
la ressent avec beaucoup d’acuité sensorielle, presque sensuellement, et sans cesser d’en être étonnée et troublée :
« Est-ce bien moi ? ! »
$ $
$
$
$
M
Troublé, je le suis aussi. Non pas que je sois surpris de
voir un vécu imaginaire aussi riche de détails coexister avec
une conscience qui reste critique et apte à décrire : ce trait
5)%/)'+"#$ ?#"-#"%#.#'/$ 3#%$ =/*/%$ .&5)0=%$ 5#$ 4&'%4)#'4#^$
induits par association libre, ou rêve éveillé, des transes
hypnotiques. Troublé je le suis davantage par la soudaineté
d’apparition de cet ensemble d’images et de sensations, par
Rire basculant
Terre
! Terre !
105
sa cohérence — tout s’y tient — et par sa cohésion — mes
%"++#%/)&'%$'#$7*-()#''#'/$7*%$6$3#$.&5)0#-(1).
Est-ce une façon pour son inconscient d’imager et de
.#//-#$#'$%48'#$3@#'(#-%$5#$%*$-=7"3%)&':$*"/-#.#'/$5)/$%&'$
plaisir profond à manipuler la terre et à lui faire porter
5#%$ ,-")/%$ I$ 2#"/<H/-#$ .H.#$ 73"%$ !"@"'$ 73*)%)-:$ "'$ 9#%&)'$
fondamental. Dans cette image d’elle-même rencontrée en
régression, non seulement elle se sent bien, mais elle se
sent à sa place.
Il faut se rappeler, à propos de plaisir et de besoin,
qu’elle logeait sa féminité dans ses mains et noter que je
lui avais proposé de se laisser guider par celles-ci, et non
7*-$%*$9&"4?#$6$3*$.&"#$5#$5=+&`/$%)$*,04?=#111$2#"/<H/-#$T$
avais-je été induit aussi par les pauvres bonshommes tirés
de l’argile sans leurs mains.
Avait-elle rencontré une gestalt* qui, dans ce qu’elle
croyait être le plus aigu de son déplaisir, lui montrait
peut-être le plus vrai de son désir ? S’agissait-il d’un de
ses champs morphiques* les plus personnels ? Bascule
en tout cas qui la fait retourner à elle-même et contempler
son visage caché.
Tout en mettant l’affaire par écrit me vient une question, qu’il ne m’est pas habituel de soulever en thérapie et
que je n’ai pas évoquée pendant la séance — bien que j’y
*)#$ %&'+=1$ a*-)#<o+*'$ *</<#33#$ =/=$ 7-&K#/=#$ 7*-$ "'$ %4?8.#$
gestuel — ses mains pétrissant — dans une autre dimension
de sa temporalité ? Autrement dit peut-il s’agir de ce qu’il est
convenu d’appeler une « réminiscence de vie antérieure » ?
E'#$/#33#$?T7&/?8%#:$7#"/<H/-#$,*.)3)8-#$6$a*-)#<o+*'$
qui est d’origine asiatique, comporte selon sa logique propre
certains corollaires. D’une part, le geste déclencheur de l’effraction dans l’espace-temps doit porter une lourde hérédité,
A"#$'+6#)(#/@&%('#<+%#-('&#?#97%'#-%#1(#6;4/.#/7'.;%<+(f#(_&@'%7'%-@#4..4'tient au patient ou au thérapeute.
106
La bascule des mal-aimés
une lourde charge « karmique », comme disent les adeptes de
ces croyances(1). D’autre part, la résurgence a pour fonction
d’éclairer une problématique majeure de l’existence actuelle.
>@#,,-*4/)&':$ !")$ -#%/#$ 7?='&.8'#$ 5@#R4#7/)&':$ '#$ %*"-*)/$
être gratuite : la vie présente est le fruit de la précédente
et l’alternative proposée à l’âme est de briser le cycle de
3@#'4?*Q'#.#'/$&"$5#$3#$7#-7=/"#-1
Quoi qu’il en soit, fantasme, champ de forme ou vieux
bagage d’une autre vie, le langage qui nous vient, quand
nous sommes dans cet espace particulier, où je lui propose
W$%*'%$-=C=4?)-$Z$5#$.*')7"3#-$5#$3@*-+)3#:$&U$#33#$(&)/$%"-+)-$
une vision champêtre, utilise un symbole universel. Celui de
3*$ /#--#$ '&"--)4)8-#$ !")$ %#$ 3*)%%#$ ,=4&'5#-$ #/$ !")$ #'+#'5-#$
la vie.
Il est toujours délicat d’isoler une création humaine de
son contexte culturel et son expression du moment où elle
se produit. Le symbole a-t-il été implanté en elle et y a-t-il
agi bien avant elle et moi ? Ou bien est-il emprunté pour
3@&44*%)&'$ 6$ "'$ ,&'5%$ 4"3/"-#3$ 5=0')$ #/:$ 7*-$ 3*$ (#-/"$ 5#$ 4#$
qui motive notre rencontre, pour me permettre de lui en
renvoyer le sens ? Emprunté en l’occurrence à son fonds
culturel, car ce symbole est toujours actif et vivace dans le
Sud-Est asiatique d’où sa famille est issue.
p$ *</<)3$ ?)*/"%$ !"#3!"#$ 7*-/$ I$ >#$ 03$ %@)'/#--&.7/<)3$ *"$
')(#*"$5"$78-#$I$>")$c&"$3#$+-*'5<78-#:$K#$'@*)$7"$3#$7-=4)%#-[$
a rompu avec la tradition ancestrale en adoptant le catholicisme romain. Il a suivi les revers de fortune de l’évangélisateur et, quittant la terre natale, a fait souche dans un
territoire français d’outre-mer, où Marie-Ngan a grandi.
Est-elle rattrapée par les champs morphiques des
4-&T*'4#%$*'4#%/-*3#%$I$2&"-!"&)$5#(-*)#'/<)3%$/-*'%)/#-$7*-$
.&)$7&"-$3")$,*)-#$-#/&"-$I$>#$%T.9&3#$5#$3*$d#--#<a8-#:$'#$
A"#=1#-*4V%&#1?#)(#6'7b4,6(-#.7.+14%'(-"#H(#W#g4'/4#X#(-&#+,#-b-&[/(#)*(_.1%cation de l’enchaînement des causes et des effets qui n’a que de lointains
rapports avec un système punition-récompense des individus.
Terre
! Terre !
Rire basculant
107
peut-elle se le réapproprier qu’en passant par le canal d’un
tiers occidental, mais féru d’orientalisme ?
Se le réapproprier ou le voir débouler d’un inconscient
au-delà d’elle ? L’a-t-elle cherché ou lui tombe-t-il dessus ?
;)#'/<)3$3@)'/#-7#33#-$%"-$4#$!"@#33#$,*)/$5#$%*$7-&7-#$/#--#$
.*/#-'#33#:$5#$3*$.8-#$#'$#33#:$5#$3*$%"9%/*'4#$()(*'/#$5&'/$
elle est faite et qui s’est programmée pour enfanter ?
Ou faut-il voir dans sa vision, à l’inverse, l’image d’une
pulsion intime à féconder, position virile à quoi la vie l’aurait
4&'/-*)'/#$ I$ X"$ 4#33#$ 5@"'$ 4&'C)/$ #'/-#$ 3#%$ 5#"R$ .&"(#ments ? Car, dans sa culture d’origine, il ne pourrait être
fait allusion à la Terre sans que soit aussitôt implicitement
évoqué le Ciel (couple Yin-Yang)...(1)
N’a-t-elle d’autre moyen pour se refuser la maternité,
tant quelque chose en elle la réclame, que de s’écraser des
tâches et des responsabilités d’un homme ? Se veut-elle
homme dans sa vie sociale pour barrer en elle la femme qui
*%7)-#$6$H/-#$.8-#$I
;)/<#33#$"'$5-*.#$5@)'/#-%#4/)&'^$#'/-#$3*$7#/)/#$?)%/&)-#$
et la grande ? Est-elle devenue le champ clos où se rejoue la
rencontre de l’Indochine et de la France, de l’Orient confuciano-bouddhiste et de l’Occident chrétien ?
$ $
$
$
$
M
]&..#'/$ ,*)-#$ 7&"-$ '#$ 7*%$ )'C"#'4#-$ %&'$ /-*(*)3:$ 36:$
sur le matelas ? Comment concilier mon souci de la laisser
rencontrer sa propre vérité et ma soif d’en savoir plus sur
ce qui surgit devant nous ? Je lui propose de continuer de
laisser venir... Tout ce qui surgit, images, motions internes,
%#'%*/)&'%:$ '#$ ,*)/$ !"#$ 4&.73=/#-$ #/$ 4&'0-.#-$ 3#$ /*93#*"$
A"# T,# (-&# )4,-# 1*4%'(# )*%,^+(,6(# )(# 14# 6+1&+'(# 6;%,7%-(# h# # 1*%)@7V'4//(f#
)(# 14# $(''(# (-&# 67/.7-@# )(# )(+_# .4'&%(-"# H*+,(# '(,97%(# 4+# -(_(# >@/%,%,"#
L’autre, selon les sinologues, soit à la plante sortant de l’humus, soit à la
-&[1(#)'(--@(#)(-#4,6]&'(-"#K(4+#64&417V+("""
108
La bascule des mal-aimés
initial. Elle émerge de son état second pour en commenter
l’étrangeté. « Ce n’est pas moi du tout ! Ce geste ? Je ne
7#"R$%"77&-/#-$"'#$/#--#$%84?#$e$aH.#$6$/-*(#-%$3#%$+*'/%:$
il faut au minimum qu’elle soit mouillée... à vrai dire, je
crois même que j’ai un peu... peur de la terre... »
Je lui propose de reprendre son voyage, avec le même
guide, à savoir ses mains, pour partir cette fois-ci à la
-#4?#-4?#$ 5#$ %*$ 7#"-1$ 23"%$ 5@).*+#%1$ Y)#'1$ \/$ %&"5*)'$ 3#$
sentiment, pénible, étouffant, d’être grosse, énorme — elle,
3*$%&#"-$4*5#//#$5#$a.#$n"//#-CT$e$W$\/$$4@#%/$6$4*"%#$5#$ça
que tout ce que j’entreprends échoue ! »
Il me revient qu’elle avait utilisé les mêmes mots,
3&-%$ 5#$ '&/-#$ /&"/#$ 7-#.)8-#$ -#'4&'/-#:$ 7&"-$ K"%/)0#-$ %*$
5=.*-4?#$ *"7-8%$ 5#$ .&)$ O$ W$ 2&"-!"&)$ #%/<4#$ !"#$ K@=4?&"#$
dans tout ce que j’entreprends ? » « Ça », c’est quoi ? Encore
l’ombre portée sur cette vie-ci d’une précédente ? Serait-ce
une maternité vécue dramatiquement, ou une vie d’homme
cruel ? Le pardon jamais reçu d’une femme qui l’obligerait
à continuer cette guerre de l’autre bord, en étant femme et
en s’affrontant aux hommes, qu’elle ne peut, Marie-Ngan de
cette vie-ci, que dominer ou rejeter ?
X"$ 7*-3#</<#33#:$ 73"%$ 7-8%$ 5#$ 4?&%#%$ ,*.)3)8-#%:$ 5@"'$
enfer intra-utérin(1) ? Ou du fantasme de la monstrueuse
#'C"-#$)'C)+=#$*"$4&-7%$,=.)')'$7*-$3*$.*/#-')/=:$7&"-/*'/$
%&"?*)/=#$ #/$ K*.*)%$ *5(#'"#$ I$ 2*-$ 3*$ .*/#-')/=$ #/q&"$ 7*-$
le sexe de l’homme, comme si elle portait celui-ci en elle, et
!"@6$/&"/$.&.#'/$)3$-)%!"P/$$5#$3*$/-*'%,&-.#-$#'$4?).8-#^$
7*-/?='&+='=/)!"#^$I$J"#3!"#%$.&)%$*7-8%:$#33#$7*-3#-*$5#$3*$
5),04"3/=$&U$3*$.#/$%&'$5=%)-$5@#',*'/$5#$3@&93)+#-$6$-#4&"-)-$
à un homme...
Toutes ces questions restent en moi, je n’en formule
aucune, et quand elle reprend la parole c’est pour dire :
« être enceinte, je le désire vraiment, mais... est-ce que ça
1. Notion qu’on abordera avec réserve. Voir à ce sujet « Toutes des
porteuses ? »
Rire
Terrebasculant
! Terre !
109
ne changerait pas beaucoup trop de choses, par exemple, par
rapport à... être un homme... »
_#$.#$%&"()#'%$!"@"'$K&"-:$-=C=4?)%%*'/$!"@#33#$'@*(*)/$
vraiment le sentiment d’exister que dans son fonction-ne.#'/$ W$ .*%4"3)'$ Z:$ #33#$ %@=/*)/$ *"%%)/F/$ 5#.*'5=$ O$ W$2&"-$
rencontrer un homme, faudra-t-il que je cesse d’exister ? »
La séance suivant ce double voyage... elle ne vient
7*%1$ Y#'5#D<(&"%$ /&/*3#.#'/$ &"93)=1$ \33#$ -=*77*-*Q/$ /-&)%$
%#.*)'#%$ *7-8%1$ W$ >*$ /#--#:$ A*$ (*:$ K#$ '#$ -#%%#'%$ 73"%$ 5#$
dégoût... Mais les bonshommes je ne peux pas encore les
faire ! »
Je lui fais remarquer qu’elle n’est pas le Bon Dieu pour
créer des hommes avec de l’argile. Ma phrase provoque un
silence prolongé. Elle entre en elle-même, y reste, je la vois
hoqueter puis sangloter longuement. Quand elle revient,
elle dit avoir vu sa naissance et avoir ressenti une profonde
tristesse. Elle a touché, loin en elle, la souffrance de n’avoir
=/=$ ')$ 5=%)-=#$ ')$ *44"#)33)#$ 7*-$ 4#//#$ .8-#$ 3*%%#$ 5#$ /*'/$ 5#$
+-&%%#%%#%$7-=4=5#'/#%$S$#/$"'#$033#$#'4&-#1
Quoique baptisée, pouvait-elle oublier comment est
accueillie en vieille terre confucéenne la naissance d’une
033#:$)'*7/#$6$*%%"-#-$3#$4"3/#$5#%$*'4H/-#%$#/$5#%/)'=#$6$*33#-$
grossir une autre lignée ?
Elle découvre avec surprise le ressentiment qu’elle
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avait toujours cru — le proclamant comme son$ 7-&938.#$
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2#"/<H/-#$ %*$ 5),04"3/=$ 6$ ()(-#$ ()#'/<#33#$ %).73#.#'/$
d’être née, quelles que soient les causes dont cette naissance
est l’effet... A partir de là en tout cas, elle va s’occuper
d’assumer ce qui s’est trouvé lié en elle par sa naissance.
Elle va s’évertuer à faire de ce sac de noeuds un réseau de
vie et y réussira..
Entrer dans le vide du sujet...
111
ENTRER DANS LE VIDE
DU SUJET...
A peine quelques minutes d’hyperventilation*, et voilà
le corps de Marjolaine soulevé par des vagues profondes.
A l’entendre, à la voir, on la croirait parcourue d’ondes de
douleur, et qui viennent de loin. Comme celles de l’enfan!"#"$!%& '!("& )*+& ,--.#/,0$"(+& 1,2("& -.$3,$-"%& '!& -.##"&
poussé par un chorégraphe invisible la prendre par la taille
tandis qu’elle se tord au sol, la soulever en laissant retomber le tronc d’un côté, les jambes de l’autre et la secouer.
Comme on saisit un sac de pommes de terre trop lourd par
le milieu et qu’on le secoue pour le vider, moitié par moitié.
Pour la vider ?
Elle retombe, comme lavée de la tempête et je la vois
sous mes yeux accoster à un nouvel état : « Je me sens vide,
totalement vide ». Elle aborde au pays de la grande vacuité,
étonnante pourtant de calme. Et elle ouvre sur elle, sur sa
vie, sur l’ensemble de son paysage, un regard tout différent.
En fait, comme un premier regard, éclairé par ce « bout du
!4$$")& 5+& 647"))"& -(.2!& /"(-"8.2(& "$3$+& ,/(9:& ;":& ,$$<":& ;"&
confusion.
=.##"&2)&,((28"&:.48"$!+&"))"&#7"$&;2!&!(9:&/"4&-"&>.4(?)*&
"!&2)&#"&:413!&;"&8.2(&-.##"&:.$&("0,(;&"!&:.$&/.(!&;"&8.2@&
La bascule des mal-aimés
112
ont changé. Les semaines qui suivent vont montrer qu’un
renversement décisif s’est produit dans sa vie quotidienne
et dans notre travail.
& &
&
&
&
A
La rencontre avec le vide apparaît avec le recul
comme un des temps forts de l’expérience thérapeutique.
C’est volontiers ainsi que se montre le processus de bascule
;,$:&:":&/("#29(":&#,$21":!,!2.$:%&B":&,//,("$-":&/.4(!,$!&
ne vont pas toujours dans ce sens. Les vécus dramatiques
qu’on peut observer ou qui sont rapportés ensuite semblent
:.48"$!&-.$!(";2("&-"!!"&!(,$642))"&,13(#,!2.$%&
Car, dans une culture si portée que la nôtre à la possession et à l’accumulation, il s’en faut qu’une telle expérience
soit perçue d’emblée comme libératrice... Il s’en faut qu’on
sache voir la plénitude du vide, qui est que rien ne manque,
alors qu’il n’y a rien. Déboucher dans la vacuité peut être
ressenti comme la forme la plus affolante de l’abandon,
;<:.(2"$!,!2.$+&/"(!"&;":&("/9(":&C,D2!4"):+&;<-.$:?!(4-!2.$&
angoissante à l’extrême.
A l’inverse, cet état peut engendrer un sentiment de
soulagement, comme si on se libérait de toutes les tensions
"!&;"&!.4:&)":&/(.D)9#":+&647.$&:"&("!(.48,2!&82"(0"&"!&/(.#2:&
à tous les possibles. C’est ce que dit Marjolaine.
Porte que certains franchissent, ouverte sur l’expérience
extatique ou mystique, orgastique ou dionysiaque. Voie du
retour au paradis perdu, abolissant la séparation et notre
3$2!4;"& E& 1<)2-2!<+& D.$C"4(& :4/(F#"%& G.4(& -"(!,2$:& /(2#"&
)7<!,!& ;72#/":,$!"4(H+& 6472):& 2$!"(/(9!"$!& -.##"& ("!(.4vailles avec le sein maternel. D’autres sont bouleversés par
le sentiment d’unité avec toutes choses et pensent être entrés
en contact avec la divinité.
& &
&
&
&
A
113
Entrer dans le vide du sujet...
Comment comprendre que cette étape du voyage psy-C.!C<(,/264"&E&),&;"($29("&/,(1.2:&/.4(&-"(!,2$:&642&:7"$&
!(.48"$!&!(./&D.4)"8"(:<:&/.4(&/.48.2(&-.$!2$4"(&E&/(.;42:"&
des mouvements aussi contradictoires et qu’elle puisse être
aussi transformatrice ? L’exemple de Marjolaine et les faits
;7.D:"(8,!2.$&64"&>"&82"$:&;"&(,//.(!"(&#"!!"$!&"$&)4#29("&
/)4:2"4(:&/C<$.#9$":%
G("#29("& .(202$,)2!<& ;"& )7"@/<(2"$-"& ;4& 82;"& !C<(,/"4!264"&I&!.4:&)":&("/9(":&C,D2!4"):&:.$!&D(.42))<:%&'))"&"@/)264"&
,4!,$!&),&;213-4)!<&6472)&/"4!&J&,8.2(&*&),&!(,8"(:"(&64"&)":&
changements dont elle est porteuse. Comme si en arrivant
;,$:& -"!& ":/,-"& /,(!2-4)2"(& 64"& >7,//"))"& K& )"& 64,!(29#"&
état de la conscience » (voir EMC*), certains d’entre nous
perdaient tout souvenir et toute perception des trois autres
sans rien pouvoir saisir du nouveau.
L.#"$!& !(9:& ;<(.4!,$!& ;"& $"& /.48.2(& ;.$$"(& /(2:"& *&
aucune saisie intellectuelle et verbale de ce qui se produit
dans le moment même où ça se produit. Passage au blanc,
;2:/,(2!2.$& ;"& )72;"$!2!<+& 2$"13-2"$-"& ;4& #"$!,)& E& ;7.M& ),&
sensation de chute dans le vide, les sentiments qu’elle provoque, les images qu’elle fait venir.
L’acuité physique de ces sensations indique que la personne a perdu le contact avec les comportements, les images,
)":&;<3$2!2.$:&;7"))"?#F#"+&!.4!":&0,4-C2":&647"))":&14::"$!+&
qui l’assuraient de son identité. Comme si nous étions jour
,/(9:&>.4(&mis en forme, organisés par des champs(1) auxquels nous répondons et que nous contribuons à engendrer
et qu’en tombant dans le vide nous nous soustrayions à leur
2$N4"$-"%& O2$:2& ),& /"(:.$$"& $7":!?"))"& /)4:& "$& (<:.$,$-"+&
momentanément en général, avec les champs morphiques*
qu’elle croit être jusqu’à nouvel ordre les siens propres, si
aliénants qu’ils puissent être...
& &
&
&
&
A
1. Pour ce qui concerne les champs de forme et la résonance, voir champs
morphiques*.
114
La bascule des mal-aimés
B7<64,!2.$&K&#.;23-,!2.$&;"&)7<!,!&;"&-.$:-2"$-"&P&/"(!"&
;":& ("/9(":& ;72;"$!2!<&5& ":!& /.4(& -"(!,2$":& /"(:.$$":& ,4&
fondement de peurs mal explicables autrement. Elle rend
compte de leurs réactions à des situations qu’elles perçoivent
comme hautement dangereuses. Elles savent qu’il ne s’agit
/,:&;"&/"(;("&:"4)"#"$!&64")64":&("/9(":&;7.(2"$!,!2.$%&B"&
risque qu’elles courent en franchissant certaine porte, c’est
tout bonnement de perdre le contact avec les champs de
forme qui les organisent, de perdre leur identité.
Là s’origine la peur couramment rencontrée en thérapie
de se laisser aller à... se laisser aller. Elle s’exprime volontiers par l’image du saut dans le vide : se laisser aller, voire
simplement se détendre musculairement, prendre le risque
;7"$!("(& ;,$:& 4$& <!,!& ;"& -.$:-2"$-"& )<09("#"$!& ;211<("$!+&
c’est sauter dans le vide.
Fantasme qui se dit dans les mots mais aussi dans le
rêve ou par ces symptômes de vertige apparaissant à certains moments de la thérapie : tête qui tourne, jambes qui
N,0".)"$!+& $,4:<":+& /Q)"4(%& R):& :20$,)"$!& 64"& ),& /"(:.$$"&
est fort mal assurée de sa propre identité et qu’elle craint,
en tombant dans le vide, ou rien qu’à voir l’abîme s’ouvrir
devant elle, de s’en trouver dépouillée.
Pas étonnant que certains en éprouvent une angoisse
massive. C'est qu'ils sentent leur personne se désorganiser
et sont assaillis par la certitude de disparaître dans le néant.
Expérience de dépersonnalisation* dramatique quand elle
vient résonner avec un profond sentiment de vide que la
maladie dont on pense devoir se soigner avait précisément
pour fonction de colmater.
D’où la prudence nécessaire de son maniement dans
certains cas, comme me le montra un jour Till. Pour exprimer ce qu’il ressent, Till parle d’une enveloppe de verre ou
;"&-(2:!,)&0),-<&642&)"&0<)23"&"!&)42&1,2!&/"(-"8.2(&)":&-C.:":&
sans qu’il puisse y adhérer. Cette coque l’empêche d’être en
relation avec le monde. On peut prendre ce langage pour une
métaphore, une description imagée de son ressenti. On peut
aussi le prendre, et pourquoi pas, surtout quand on songe
Entrer dans le vide du sujet...
115
à l’universalité de ces mots pour décrire de tels états, pour
une description de la réalité des membranes de son corps.
Il faudrait pour ce faire s’appuyer sur la théorie dite des
corps subtils*.
Au terme d’une séance de travail non verbal où j’ai
essentiellement travaillé par des passes manuelles à distance, il dit : « C’était la nuit, maintenant c’est le jour... » Son
82:,0"& "!& :.$& #,2$!2"$& -.(/.(")& ;.$$"$!& )72#/("::2.$& !(9:&
forte d’une « présence » différente, d’une unité reconstituée.
Comme si avec mes passes j’avais dissous une enveloppe qui
)"&(202;23,2!&"!&642&,((F!,2!&),&)4#29("%
Cette reconstruction m’avait profondément frappé.
Pourtant cette coque, forme mineure d’autisme*, lui était
précieuse. Dans les jours qui ont suivi, il a repris une activité
délirante en sommeil depuis des mois. On le surveillait, on le
suivait, les gens le regardaient avec malveillance et il voyait
bien qu’ils faisaient tous des commentaires calomnieux sur
:":& #.2$;(":& 0":!":& E& #F#"& )":& /)4:& 2$!2#":%& =.##"$!&
les connaissaient-ils ? Le sommeil qu’il avait retrouvé s’est
à nouveau détérioré. Il a dû recourir à un neuroleptique*.
Fondue la coque, il lui fallait reconstruire autrement son
:J:!9#"&;"&;<1"$:"&-.$!("&),&("),!2.$&C4#,2$"%%%&
Et que dire d’Elke qui se vit éventrée et vidée et tenue,
de ce fait, de remplir sans cesse d’alcool et de bouffe ce
véritable tonneau des Danaïdes qu’est son ventre, depuis la
bouche jusqu’à l’anus. Ou de Marjorie dont la vie se passe,
selon son dire, le dos au précipice. Elle survit de le savoir
là sans le voir mais elle ne peut se résoudre à se retourner
pour faire face au... vide.
B,& #F#"& /"4(& :"& /(.3)"& ;"((29("& -"(!,2$":& /C.D2":& ;"&
)7,$":!C<:2"&/(<./<(,!.2("&.4&;"&),&/(2:"&;"&:!4/<3,$!:+&8.2("&
:"4)"#"$!& ;7,)-..)%& S4& ;"((29("& -"(!,2$":& 2$:.#$2":& 642&
tentent de retarder au maximum le moment de la perte de
contrôle, ce moment où en s’endormant, on se sent tomber
;,$:&)"&82;"+&64,$;&D(4:64"#"$!&-9;"&)"&!.$4:&;":&#4:-)":&
;"&),&>,#D"&"!&64"&)"&/2";&:"&(")Q-C"%&B,&#F#"&/"4(&#.!28"&
La bascule des mal-aimés
116
encore telle impuissance ou telle frigidité, peur, terreur de la
perte de maîtrise, de la dissolution de soi, de la chute dans
ce qui ne saurait être que le vide de l’abîme.
O&)72$8"(:"+&)":&4:,0"(:&;"&:!4/<3,$!:&("-C"(-C"$!&-"!!"&
même perte de leur identité, trop problématique, peut-être
!(./& <).20$<"& ;"& )"4(& Q#"+& ;,$:& )72#,0"& 64"& )"& #2(.2(& )"4(&
"$&("$8.2"%&G)4:&;74$&-.$:.##,!"4(&;7C,))4-2$.09$":&,&-(4&
pouvoir réaliser sans risque le saut dans le vide... en passant
par la fenêtre(1).
& &
&
&
&
A
Pourquoi d’autres explorateurs se sentent-ils dans la
même situation soulagés, légers, libres, comme neufs ? Accordés. Sans doute est-ce par le même mécanisme, parce que
)":& -C,#/:& ;"& 1.(#"& ;.$!& )"& 82;"& )":& )2D9("& :.$!& ,)2<$,$!:&
ou à tout le moins limitants.
Temps de vacuité, de vacance, vécu dans l’élation*,
moment ne serait-ce que de quelques secondes où ils ne
:72;"$!23"$!& /)4:& *& -"& 6472):& <!,2"$!+& #.#"$!& /(282)<02<& 642&
ouvre sur la possibilité de se désengager de soi et de se
reconstruire. Nettoyage par le vide qui laisse voir... quoi ?
B7Q#"&T&
':!?-"& )*& ),& ;"4@29#"& -,(,-!<(2:!264"& ;4& 82;"& !C<(,/"4!264"+&647.$&/42::"&:7J&!(.48"(&$"U&*&$"U&,8"-&:.$&Q#"+&
avec ce diamant qui nous fait savoir à la seconde si on se
respecte ou si on se prostitue, si on est bien là où on doit
être. Viennent-elles de là, la terreur des uns et la joie ineffable des autres ?
Ils dépouillent leur vieille identité pour trouver leur être
profond. Certains, emportés par leur élan se fondent dans
)"& 0(,$;& V.4!& E& -.##"& )"& /(<-.$2:"$!& !,$!& ;"& !(,;2!2.$:&
mystiques. Au risque de s’y perdre et de ne plus vouloir
en revenir... mais l’être incarné, doté d’un corps ne peut se
passer de formes, on va le voir.
1. La défénestration volontaire n’est-elle pas souvent une tentative dramatique de rejouer sa naissance ?
Entrer dans le vide du sujet...
117
Plusieurs fois déjà, lors de séances précédentes, Io avait
"1N"4(<& -"!!"& 8,-42!<& "!& :7"$& <!,2!& ("!.4($<"& /,$264<"+& "))"&
qui vit son quotidien dans le mensonge et l’irrespect d’ellemême. Elle s’allonge d’elle-même en disant une fois de plus :
« Je ne sais pas ce que je dois faire, dis-moi de quoi je devrais
parler. » Je la masse par à-plats fermes, sans glissés et je
m’arrête. Pour toute consigne, je lui demande de garder la
bouche largement ouverte.
Elle souffre, sachant d’expérience que cette ouverture
#,2$!"$4"& ),& #"!& !(9:& 82!"& "$& -.$!,-!& ,8"-& 4$"& !"(("4(&
inconnue. « C’est dur, dur, l’air qui s’engouffre », murmuret-elle puis elle bascule dans un état second. Cette fois-ci je
n’ai formulé aucune instruction concernant sa respiration.
A ma grande surprise, elle y semble sereine.
K&L,2:+&-7":!&-.#/)9!"#"$!%%%&82;"%%%&5
Je l’encourage, lui propose de laisser venir ce qui vient,
mots, formes, images, sons, etc. et me tais. Au bout de 35-40
minutes elle revient d’elle-même : « C’était le vide complet, je
n’avais plus aucune sensation de mon corps, plus de pensées,
puis il y a eu comme une boule, j’ai senti mon corps devenir
comme une boule, avec deux petits pieds accrochés au bord
de cette boule. Ça faisait des ondes concentriques tout autour
de cette boule, comme des pulsations. C’était tout noir et il
se diffusait une grande chaleur. Au loin, dans ce noir, il y
,8,2!&-.##"&4$"&1"$!"&;"&)4#29("%&W7<!,2:&!"))"#"$!&D2"$&X%%%&5
Elle réfute tout rapprochement que je peux esquisser, au
risque de forcer l’interprétation, avec des vécus préna-taux.
Y.$&X&Z7,4!,$!&64"&:,&#9("&)42&,&;2!&!"))"#"$!&;"&-C.:":&:4(&
-"!!"&0":!,!2.$&64"%%%&K&Y.$&X(1) Mais ça me rappelle quelque
chose de tout récent. Depuis quelque temps je me suis mise à
la plongée sous-marine. J’en éprouvais une véritable terreur
et j’ai dû m’y forcer. Je m’y suis reprise en plusieurs fois et
3$,)"#"$!+& 64,$;& >"& #"& :42:& ("!(.48<"& ,4& 1.$;+& ;,$:& -"!&
élément, dans cet espace, c’était un plaisir que... je n’ai pas
1. Voir « Toutes des porteuses ? »
La bascule des mal-aimés
118
de mots pour le dire... »
O/(9:& 4$"& .4& ;"4@& ,4!(":& "@/<(2"$-":& ;"& -"& 0"$("& E&
sentir le lien entre soi et l’espace environnant, s’y trouver
,--.(;<"+&;,$:&),&)2D"(!<+&)"&/),2:2(&E&R.&,&,((F!<&:,&!C<(,/2"%&
A ce que je sais par d’autres, elle continue de plonger... La
plongée sous-marine, en lui permettant d'effectuer un saut
bien contrôlé dans un vide tout relatif, lui fournit peut-être
à un moindre coût l’équivalent du vide thérapeutique. A
moindre coût, c’est-à-dire sans lui demander de remettre en
cause son identité.
& &
&
&
&
A
Si Jacques Mayol-Jean-Claude Barr se fond dans le bleu
,/(9:&),&;"($29("&2#,0"&;4&K&[(,$;&\)"4&5+&;,$:&),&:,))"&),&
)4#29("&:"&(,))4#"&"!&-C,-4$&("!(.48"+&D.$&0(<&#,)&0(<+&:.$&
corps, son voisin, sa cigarette... On ne saurait ne pas revenir. Il en va de même en thérapie. Que la vacuité engendre
terreur ou euphorie, elle peut être source de grands dangers.
Car le vide ne demande que trop à se remplir.
R)& /"4!& "$& "11"!& /.4::"(& *& :"& (<2;"$!23"(& ,4@& 82"4@&
programmes, qui n’ont bien sûr pas disparu du seul fait
qu’on s’en soit détaché dans un moment. Le sillon en est
trop profondément creusé d’avoir été si souvent emprunté.
Devra-t-on s’étonner de voir, dans les jours, les semaines
642&:428"$!+&),&$<8(.:"&("8"$2(&,4&0,)./&X&
D’autant qu’elle, au moins, me donne une identité, des
schémas de comportement, des habitudes en un mot qui me
portent sans trop de mal, même si je m’en plains. Comme
)":& 82"4@& C,D2!:& 642& .$!& /(2:+& >.4(& ,/(9:& >.4(+& ),& 1.(#"& "$&
-("4@&;"&$.!("&-.(/:%&=C,64"&1.2:&647.$&)":&("#"!&E&"!&$"&:7J&
0)2::"?!?.$&/,:&/,(1.2:&,8"-&4$&:"$!2#"$!&;"&:<-4(2!<&E&2):&
sont à leur tour la forme sur laquelle nous nous remoulons à
l’identique. Le corps prend la forme de la vêture tout autant
64"&)72$8"(:"&E&-"&64"&:,8"$!&D2"$&!.4:&)":&/(.0(,##,!"4(:&
de comportement, responsables d’armées, de prisons ou de
-.))90":%%%&
Entrer dans le vide du sujet...
119
Avec le retour des anciennes formes, vient la nostalgie
de ce moment privilégié où l’on s’en s’était cru libéré un
instant. Le désir d’en revivre la magie en fait recréer le
contexte, lit d’une véritable toxicomanie. Stages et séminaires qui promettent EMC* et merveilles deviennent les
seuls moments où la personne peut vivre « autrement » et
se croire libre et « authentique »... En réalité elle développe
une dépendance aux procédures. Et vas-y que je te fasse un
beau « primal », ou une belle décharge émotionnelle. Plus
],&;<#<$,0"+&/)4:&],&K&!(,8,2))"&5&X&'!&/)4:&],&("-.##"$-"+&
-.##"& 4$& ;2:64"& ,4& :2)).$& <(,2))<& 642& (</9!"& 2$;<3$2#"$!&
),& #F#"& ("$0,2$"%& =7":!& /("$;("& )":& #.J"$:& /.4(& ),& 3$& "!&
laisser le projet se perdre sur les voies de garage.
Autre péril : la tentation est grande pour celui qui a pu
se déconnecter de ses programmes dévalués d’en adopter
;7,4!(":&!(9:&82!"+&;,$:&4$"&:.(!"&;74(0"$-"&*&8.2(&.--4/"(&),&
place. Et lesquels peuvent être plus tentants en la circons!,$-"& 64"& -"4@& ;4& !C<(,/"4!"+& #.;9)"& :4//.:<& ;"& :,$!<& "!&
d’équilibre, et dispensateur d’amour d’autant plus assuré,
-(.2!?.$+&647.$&:72;"$!23"(,&/)4:&*&-"&6472)&,2#"&T(1)
Surtout si le thérapeute est au même moment, en toute
bonne volonté et peut-être avec quelque sentiment d’en être
fautif, porté à vouloir secourir son patient tombé au fond de
ce vide. Sans voir que dans un tel concours, les cordes qu’il
lui lance peuvent rapidement devenir entraves et liens. Le
transfert/contre-transfert* engendre une dépendance réciproque qui tourne à la collusion. Situation fort périlleuse
donc que cette rencontre entre la virginité retrouvée de l’un
et la présence si prégnante de l’autre, à travers ses champs
de forme.
1. Le lavage de cerveau et, plus généralement, tous les programmes idéologiques de conditionnement-reconditionnement reposent sur un tel schéma
avec passage par le vide et proposition charitable d’une identité de secours
au bon moment. En voir de terribles et magistrales illustrations dans « Le
U<(.&"!&)72$3$2&5 de Koestler et « L’aveu » d’A.London.
La bascule des mal-aimés
120
A
Pour obvier à ces deux dangers, inhérents à tout voyage
!C<(,/"4!264"& "$& <!,!& #.;23<& ;"& -.$:-2"$-"+& .$& $"& :,4(,2!&
trop insister sur l’importance capitale de deux impératifs :
)Q-C"(&/(2:"&/.4(&)"&8.J,0"4(+&(204"4(&/.4(&)7,--.#/,0$,$!%
Le voyageur doit avoir un but et savoir pourtant qu’en
réalité il en ignore tout. Que ce voyage risque de le mener
dans un lui-même inconnu. Que cela ne peut se faire qu’en
)Q-C,$!& /(2:"& "!& 647"$& 1,2:,$!& )"& ;"42)& ;"& :":& 2-^$":%& _472)&
$7,& ;7,4!("& ("-.4(:& 64"& ;"& 1,2("& -.$3,$-"& ,4& :4(02::"#"$!&
;"& :.$& 2$!2#"& "!& ;"& )42& -.$3"(& )":& (F$":+& ,4& #.2$:& /.4(& -"&
voyage-là.
Ainsi s’amorce une bascule qui contient en germe le
renversement du mal-amour. Car le voyageur y est guidé
par l’amour de lui-même, auquel il doit s’en remettre, et qui
n’est ni l’amour-propre ni l’égoïsme. Le « propre » et l’ego
:.$!&/(2:+&.$&)"&:,2!+&;,$:&)"&:J:!9#"&;":&)"4((":&64"&)"&82;"&
a pour caractéristique de dissoudre.
L’accompagnant, quant à lui, doit rester vigilant à tout
2$:!,$!&*&$"&/,:&8.4).2(+&*&$"&/,:&,02(&:4(&)7,4!("&E&#F#"&
si c’est pour le « soulager », même s’il le voit souffrir mille
morts. Il doit savoir ne chercher aucun pouvoir, aucun merci.
Il doit pouvoir accepter totalement l’autre à chaque instant,
tel qu’il est. S’il ne le peut pas, il doit pouvoir le lui dire,
sans lui demander de changer pour autant.
Rigueur éthique et déontologique qui s’impose avec
;7,4!,$!& /)4:& ;"& 1.(-"& 647.$& !(,8,2))"& "$& <!,!& #.;23<& ;"&
conscience(1). Freud l’avait compris il y a bien longtemps à
propos de l’hypnose et sa réticence à y recourir s’était trouvée
1. Un mot de théorie (qui sera développé dans un ouvrage ultérieur) : la
!"#$%&'($")* #+* ,-.('(* #+* &")/&$+)&+0* &-+/(121#$3+* ,-+)(3.+* #')/* ,+* 4* 56'trième état », accroît la résonance aux champs de forme. Il en résulte une
7,6/*83')#+*'7($(6#+*2*,+/*7+3&+9"$3*+(*2*/-+)*$!73.8)+30*56-$,*/-'8$//+*#+/*
champs propres ou de ceux d’autrui. La situation de transfert donne une
importance particulière aux champs morphiques du thérapeute.
121
Entrer dans le vide du sujet...
historiquement à l’origine de la découverte de la psychanalyse. Tant de perversions dans les utilisations sociales et
politiques de la relation psychologique ont montré l’impératif
de cette rigueur. Le développement des techniques psycho!C<(,/264":&$"&1,2!&64"&)"&-.$3(#"(%&
La nécessité de faire le vide comme la facilité à le remplir sans discernement nous redisent que le thérapeute*
est un guide bien particulier, un accompagnateur d’un style
:/<-2,)%&R)&$"&/"4!&/)"2$"#"$!&,--.#/)2(&:.$&.13-"&;"&042;"&
que s’il n’a pas idée du but vers lequel son client se dirige.
Il n’en est pas moins indispensable pour l’accompagner sur
ce chemin qu’il dit pourtant connaître, comme il connaît les
moyens de le parcourir. C’est au fond un accompagnateur de
chemin plus qu’un guide de but... On retrouve le fondement
juridique de l’action du médecin : il est tenu à une obligation
de moyens et non de résultat...
Le thérapeute doit accepter le vide, le silence, s’accorder
*&J&("$-.$!("(&)42?#F#"&:.$&Q#"&"!&*&J&;2,).04"(&:,$:&#.!:&
et sans attentes avec celle de l’autre.
& &
&
&
&
A
Tel recherche le vide, tel autre le craint, tous risquent
d’en ressortir fort éloignés de ce qu’ils croyaient être. En
thérapie, il revient à chacun d’en utiliser le pouvoir de
métamorphose et les chances d’accomplissement. Devant
une page blanche, l’un sentira le désespoir de la page vide
et l’autre les promesses de la page vierge...
'!,/"& -C,($29("& ;,$:& )"& ;<(.4)"#"$!& ;4& !(,8,2)+&
l’épreuve du vide peut déboucher sur la perception des
champs dont on vient d’un seul coup de se désengager,
-.##"& /,(& 4$& "11"!& ;"& U..#& ,((29("%& L,2:& "))"& /"4!& <0,)"ment s’enclencher directement, sans l’étape de la prise de
distance consciente et verbalisée, sur l’entrée en résonance
,8"-& ;":& -C,#/:& #.(/C.0<$<!264":& ;211<("$!:& E& /.4(& $"&
pas dire nouveaux.
122
La bascule des mal-aimés
B,&/(,!264"&-.$3(#"&647.$&":!&)*&,4&-."4(&;"&)7"$!("/(2:"&
/:J-C.!C<(,/264"+&;,$:&-"!&,2))"4(:+&-"!!"&2$:!,$-"+&.M&#9$"&
)7<!,!& #.;23<& ;"& -.$:-2"$-"%& & B*+& /"4!& :7<!,D)2(& )"& -.$!,-!&
avec les « vrais » besoins de l’être, du Self,* et non ceux du
moi* ou du ça*.
Dans cet espace, le sujet peut mobiliser son potentiel
d’autoguérison, via le thérapeute. Il atteint le niveau d’autoplasticité où il peut en partie se remodeler.
Construit-il de nouvelles formes, qui engendreront de
nouveaux champs de forme, susceptibles à leur tour d’être
),&#,!(2-"&;74$"&$.48"))"&,4!.?2;"$!23-,!2.$+&.4&("!(.48"?!?2)&
ses formes enfouies, oubliées ? Question incontournable mais
non sans réponse. Car l’être vivant est toujours confronté à
devoir assumer et manifester sa nature d’alliage nouveau.
123
Entrer dans le vide du sujet...
LETTRE
... je me sens très en désordre ce soir.
:-'$*6)*!',*;"6*2*3+/7$3+3*&"!!+*(6*!+*#+!')#+/*#+*,+*
faire parce que ça touche encore mon ventre.
C’est comme si j’avais peur de m’asseoir dans moi,
d’habiter en moi.
Ce soir j’ai décidé que je passerais ce cap avec toi. Les
deux autres fois j’ai coupé peut-être inconsciemment avec de
« bonnes raisons ». Si je coupais maintenant ce serait très
conscient mais je sais aussi qu’alors je choisis la mort.
<,"3/* 9"$,2* =-'$* 56+,56+* &>"/+* 2* (3'9+3/+3* +(* =+* 4* /+)/* ?*
beaucoup comme un accouchement. Quand j’accouche je suis
pleine et c’est très fort dans le ventre, dans le sexe.
Si je vois une femme enceinte j’ai cette même sensation
mal de mère c’est très plein, très sensible.
@+*/"$3*7+3/"))+*7+6(*A(3+*2*!'*7,'&+0*9$93+*2*!'*7,'&+B*
C-$!7"3(+*56$*56+*=-'77+,,+3'$/*D'*)+*/+39$3'$(*2*3$+)B
Et il n’y a que moi qui peut faire ce travail de vivre...
L...
124
La bascule des mal-aimés
Entrer dans le vide du sujet...
Dépression...
125
GLOSSAIRE
ALZHEIMER (maladie d’) : une des façons dont certains,
;,$:& )"4(& !(.2:29#"& Q0"+& ;<-.$:!(42:"$!& )"4(& 2$!"))20"$-"&
et abdiquent de leur autonomie. Peut-être une pathologie
d’intersection*.
AUTISME : installation dans un monde mental totalement
clos, vivant sur lui-même, et apparemment imperméable à
l’extérieur. Les attitudes corporelles et relationnelles sont
autant de dispositifs anti-explosion pouvant aller jusqu’à la
/<!(23-,!2.$%&&&
ÇA : dans la théorie freudienne, partie de la personne qui
pousse (pulsion) à agir et à nouer telles formes de relations
sans qu’on sache pourquoi (inconscient). C’est ce dont on
parle quand on dit : « C’est plus fort que moi... »
Le MOI est celui qui en souffre et essaie de rester lui-même
entre l’intérieur trop fort qui pousse et l’extérieur qui ne se
laisse pas faire et impose les contraintes de la réalité.
CHAMPS MORPHIQUES ou DE FORME ou MORPHOGÉNÉTIQUES&I&CJ/.!C9:"&"#/(4$!<"&,4&D2.).02:!"&,$0),2:&
R. Sheldrake qui l’a développée dans plusieurs ouvrages.
Elle dit que tout ensemble d’éléments susceptibles de s’organiser (les atomes d’un cristal, les cellules d’un embryon, les
pensées d’un homme, les individus d’une nation, etc.) prend
forme en résonnant avec des champs organisateurs. Ces
champs de forme, générés eux-mêmes par de tels ensembles,
sont de nature non énergétique et échappent aux limites de
l’espace-temps habituel.
B7CJ/.!C9:"&":!&/,(!2-4)29("#"$!&2$!<("::,$!"&"$&/:J-C.!C<-
126
La bascule des mal-aimés
(,/2"& .M& "))"& ("$;& -.#/!"& ;"& /C<$.#9$":& -,/2!,4@& -.##"&
),& ;213-4)!<& ;4& -C,$0"#"$!+& ),& (</<!2!2.$& ;":& <8<$"#"$!:&
dans une vie ou dans une lignée familiale, la communication
dite d’inconscient à inconscient, les effets de l’hypnose, etc.
Elle fera l’objet d’une étude approfondie dans un ouvrage
ultérieur.
CHIMÈRE : monstre imaginaire ou issu du génie génétique,
fait d’éléments d’animaux différents.
CONTRE-TRANSFERT : voir TRANSFERT
CORPS SUBTILS : théorie d’origine indienne postulant que
notre être comporte trois enveloppes corporelles : le corps
grossier du physique et du corruptible, le corps subtil des
/C<$.#9$":& #"$!,4@& "!& <#.!2.$$"):+& )"& -.(/:& causal de
)7Q#"&!(,$:#20(,$!"% A chacun correspond un état différent
de la conscience, des pathologies, des modes d’examen.
DÉPERSONNALISATION : condition où la personne perd
le sentiment intime de sa totalité, de son unité et de son
identité. Peut surgir en thérapie aussi bien qu’exploser en
crises dramatiques dans certaines circonstances de la vie.
S’installe parfois de façon insidieuse. Cette expérience qui
/.:"&:.48"$!&)"&/(.D)9#"&;"&),&/:J-C.:"H&:"&!(.48"&!(9:&<-),2(<"&/,(&)":&$.!2.$:&;"&-C,#/&#.(/C264"&"!&;"&#.;23-,!2.$&
de l’état de conscience. Voir pp. 33 et 114.
La question sera abordée dans un ouvrage ultérieur.
ÉLATION : sentiment intérieur d’exaltation, de grandeur,
de joie profonde.
ÉROTISATION : tendance à jouer toute relation sur le
registre de la séduction amoureuse et à chercher dans toute
activité un équivalent du plaisir sexuel... faute de le trouver
dans le sexe.
Glossaire
Entrer dans le vide du sujet...
127
ÉTAT MODIFIÉ DE CONSCIENCE ou E.M.C. : ni veille,
ni sommeil profond, ni sommeil de rêve, l’EMC emprunte à
ces trois états certains traits et certaines potentialités. Ces
similitudes n’expliquent qu’en partie son rôle thérapeutique
majeur. La façon dont il permet d’entrer en contact avec
les données les plus fondamentales de l’inconscient et de
)":&#.;23"(&:4009("&6472)&:7,02!&;74$&K&64,!(29#"&<!,!&;"&),&
conscience ».
Il est possible qu’une de ses fonctions soit d’assurer la permanence de l’identité de l’être humain à travers les trois
autres états.
La plupart des techniques psychothérapiques y ont recours
à un degré ou à un autre. Il fera l’objet d’une étude détaillée
dans un ouvrage ultérieur.
S$&/"4!&,4::2&:"&("/.(!"(&*&#.$&,(!2-)"&K&B":&<!,!:&#.;23<:&
de conscience et les thérapies mentales » paru dans la revue
« Energie et Santé », n° 24, 1er trimestre 1994, Ed.Sully,
Paris.
GESTALT : globalité (quelle que soit sa nature, physique,
mentale, visuelle, etc.) saisie comme telle avant toute saisie
des détails. Mot allemand.
HYPERVENTILATION : respiration rapide et profonde
642& #.;23"& )7<642)2D("& ;":& 0,U& ;4& :,$0& `;,$:& )"& :"$:& ;"&
l’hypocapnie ou baisse du taux de gaz carbonique) et de ce
fait l’état de conscience. Utilisée de façon systématique dans
la thérapie dite du rebirth& `("$,2::,$-"a& 642& 2$!"(/(9!"& "!&
!(,2!"&)":&<!,!&#"$!,4@&!(9:&/,(!2-4)2"(:&642&<#"(0"$!&*&-"!!"&
occasion comme des « révécus » de naissance ou de gestation.
Spontanée ou provoquée, elle apparaît souvent comme un
des facteurs de survenue de la bascule. Il est à noter qu’elle
accompagne souvent les attaques de panique ou de spasmophilie et qu’elle sert aussi à préparer la plongée en apnée...
HYPOTHALAMUS : situé au centre de la partie la plus
primitive du cerveau, le diencéphale. Celui-ci est le sommet
128
La bascule des mal-aimés
de l’organisation nerveuse chez les animaux à sang-froid et
il est parfois appelé pour cela « le cerveau reptilien ». Il est
)"& /(2$-2/,)& -"$!("& ;"& -.##,$;"& ;"& $.!("& :J:!9#"& $"4(.?
végétatif*. L’hypothalamus& J& 09("& )":& ("),!2.$:& "$!("& )"&
$"(8"4@&"!&)7C.(#.$,)&"!&/.::9;"&;.$-&;":&-.$$"@2.$:&"!&;":&
modes de communication avec les deux domaines.
IDÉOGRAMME : terme souvent utilisé pour les signes
d’écriture chinois. Totalement différents d’un alphabet, ce
sont des entités : un signe par mot, un mot par signe. Ils sont
formés par l’encastrement d’un son, d’une image visuelle et
;74$"&2;<"+&/,(1.2:&!(9:&<(.;<"&/,(&)"&!"#/:%&B":&:2$.).04":&
/(<19("$!&)"&!"(#"&;"&K&-,(,-!9(":&5%&&&
IMAGO : Jung nomme ainsi les statues parentales que nous
avons érigées pour nous servir de références normatives. Le
#.!&82"$!&;"&),&U..).02"&.M&2)&;<:20$"&),&1.(#"&3$,)"+&,;4)!"+&
des insectes à métamorphoses.
IMPESANTEUR : certains proposent de nommer ainsi
l’absence de pesanteur pour éviter toute confusion entre
« l’apesanteur » et « la pesanteur ».
INTERSECTION : j’appelle pathologie d’intersection
celle qui affecte une personne prédisposée dont la trajectoire
-(.2:"&4$"&;<1"(),$!"&/,(!2-4)29("&;"&),&:.411(,$-"&-.))"-!28"%&
C’est le cas dans l’alcoolisme, la toxicomanie, la dépression.
MANIE& I& )":& /:J-C2,!(":& $.##"$!& ,2$:2& 4$& <!,!& !(9:& /,(!2-4)2"(& "!& !(9:& :/"-!,-4),2("& ;7"@-2!,!2.$+& ;7"4/C.(2"+& ;"&&
sentiment de toute-puissance. La manie conduit à toutes
:.(!":& ;7"@-9:& "!& 0<$<(,)"#"$!& *& )7C.:/2!,)2:,!2.$%& '))"& ":!&
4$& ;":& ,--9:& -J-)264":& ;"& ),& 1,#"4:"& /:J-C.:"& #,$2,-.?&&
dépressive.
La « manie » du langage courant est pour le psychiatre un
« rituel » obsessionnel et le « maniaque » un obsessionnel.
Entrer
dans le vide du sujet...
Glossaire
129
MASORGUEIL : quel habitué de l’autodépréciation ne cache
au fond de lui le sentiment secret de sa valeur et ne s’en
fustige en se traitant d’orgueilleux ? Il est atteint en vérité
de masorgueil.
MASOCHISTE&I&1.(0<&;7,/(9:&)"&$.#&;"&L,:.-C+&,4!"4(&;"&
romans de ce métal, pour désigner d’abord le plaisir sexuel
)2<&*&),&;.4)"4(&/CJ:264"&647.$&:4D2!%&R)&:20$23"&#,2$!"$,$!&
tout plaisir lié à une douleur, qu’elle soit physique ou morale,
647.$&),&:4D2::"+&647.$&:"&)72$N20"&.4&647.$&:"&),&1,::"&2$N20"(%
MOI : voir ÇA.
NEUROLEPTIQUE : médicament utilisé avant tout pour
combattre les symptômes psychotiques comme le délire, les
hallucinations, l’agitation.
NEUROMÉDIATEUR : substance chimique physiologique.
'))"&,02!&*&;.:"&2$3$2!<:2#,)"&/.4(&/"(#"!!("&)"&/,::,0"&;"&
)72$N4@&$"(8"4@&;74$&$"4(.$"&`-"))4)"&$"(8"4:"a&*&4$&,4!("+&
ou d’un neurone à une autre cellule de l’organisme, par
exemple une cellule musculaire ou secrétoire. Parmi les plus
connues, on citera la dopamine, la sérotonine, l'adrénaline.
NEUROVÉGÉTATIF (SYSTEME)& I& /,(!2"& ;4& :J:!9#"&
$"(8"4@&642&09("&)":&1.$-!2.$:&;"&),&82"&8<0<!,!28"&`;20":!2.$+&
respiration, circulation, excrétion, reproduction) et les programmes automatisés d’adaptation. Son activité se partage
"$!("&;"4@&0(,$;":&1.$-!2.$:&I&,02(?;</"$:"(&`:J:!9#"&:J#/,!C264"a+&:"&("/.:"(?:!.-b"(&`:J:!9#"&/,(,:J#/,!C264"a%&
QUATRIEME ETAT DE LA CONSCIENCE : voir EMC.
PARTHÉNOGENESE& I& #.;"& ;"& 1<-.$;,!2.$& :,$:& #Q)"&
647.$&("$-.$!("&-C"U&-"(!,2$:&2$:"-!":%&B":&3))":&J&:.$!&)":&
:."4(:&;":&#9(":%&
130
La bascule des mal-aimés
PÉAGE : je désigne par droit de péage& )"& /(.3!& /"(:.$nel que peut tirer un homme d’être la voie de passage
;74$&/C<$.#9$"&642&)"&;</,::"&/.4(&,))"(&,11"-!"(&;7,4!(":&
hommes. C’est le mouvement de soigner pour le thérapeute,
l’inspiration pour un créateur, le pouvoir pour un homme
politique, etc.
PSYCHOSE :& /.:2!2.$& ,D.4!2::,$!& *& D(.42))"(& )":& ("/9(":&
de distinction entre les différents niveaux de réalité, par
"@"#/)"&"$!("&)"&#.$;"&;":&/C<$.#9$":&/CJ:264":&"!&-")42&
des symboles ou entre le monde intérieur et le monde extérieur. Cette position, qui peut présenter des inconvénients
majeurs dans la gestion du quotidien, s’accompagne nécessairement d’une théorisation personnelle du monde que le
social nomme délire.
SELF : mot anglais pour dire « soi ». Désigne ce qui, au-delà
;":&,//,("$-":&"!&;":&;<3$2!2.$:&:.-2,)":+&1,2!&),&:/<-23-2!<&
de chacun au plus profond de lui-même.
SOVIÉTIQUE : du russe « soviet », conseil. Les Soviets
;7.48(2"(:&"!&;"&:.);,!:&1.(#<:&"$&cdce&.$!&;<3$2&)72;"$!2!<&
d’une partie de l’humanité jusqu’en 1991.
THÉRAPEUTE : )":&[("-:&;<:20$,2"$!&;"&-"&#.!&-")42&642&
soigne et qui sert un culte. Ils utilisaient un autre mot,
iatros, pour dire médecin.
TRANSFERT / CONTRE-TRANSFERT : terme du vocabulaire psychanalytique. Le transfert désigne tout ce que le
patient projette inconsciemment sur le psychanalyste et qui
renvoie à des personnages et à des situations de son enfance.
Le contre-transfert représente, dans le même contexte,
l’ensemble des émotions, sentiments, idées, que la rencontre avec ce patient-là, porteur de cette problématique-là,
déclenche chez le psychanalyste, tout ce qu’elle produit en
Entrer dans le vide du sujet...
Glossaire
131
lui, que ce soit de son fait propre ou en contrepoint de ce
qu’introduit le patient.
TRANSPERSONNEL : le terme est encore assez limité
;,$:&:,&;2114:2.$&"!&:,&-.#/(<C"$:2.$%&R)&":!&!(9:&4!2)2:<&;,$:&
les milieux qui l’ont vu naître et qui se réclament volontiers
;"&),&$<D4)"4:"&Y.48")&O0"&E&f!%[(.1&E&'%g4D)"(?h.::&E&
/:J-C.).02"&C4#,$2:!"&E&#<;"-2$"&<$"(0<!264"%&R)&("$8.2"&
à la dynamique qui porte quelqu’un tout en dépassant largement sa personne. Il suppose aussi qu’il y a en chacun,
quelque nom qu’on lui donne, une parcelle d’intelligence
supra-individuelle.
YOGA& I& !"-C$264"& 2$;2"$$"& ;7,:-9:"& #J:!264"+& 1.$;<"& :4(&
;":&"@"(-2-":&-.(/.("):%&B"&#.!&:20$23"&"$&:,$:-(2!&K&>.40&5&
-,(& ),& /(,!264"& ,!!"))"& )"& -.(/:& "!& )"& #"$!,)& *& 4$"& !Q-C"&
commune. Le but est de dissoudre la notion d’un moi individualisé pour parvenir en toute conscience à l’unité avec
l’univers.
Le yoga tantrique cherche à libérer et à transformer l’énergie
sexuelle pour atteindre ce but.