Saint Paul et l`événement du chemin de Damas

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Saint Paul et l`événement du chemin de Damas
Saint Paul et l’événement du chemin de Damas
Plus que nul autre, Paul a, par sa vie et la diffusion de ses épîtres (= lettres), influencé
l’essor du christianisme. Sa figure séduit, fascine mais aussi déroute. Son destin exceptionnel à la
croisée des cultures juive et gréco-romaine suscite des questions auxquelles les spécialistes
(exégètes et historiens) cherchent encore réponse.
Le présent module vous propose de découvrir l’événement-clef de la vie de Paul : sa
rencontre du Christ ressuscité sur le chemin de Damas.
Cet événement est traditionnellement appelé la « conversion de Paul ». Or, si l’on considère
qu’une conversion est un passage d’une religion à une autre, ou, par ailleurs, l’abandon d’une
situation d’iniquité pour l’adoption d’une vie en conformité morale avec la volonté divine, le terme
n’est pas approprié pour désigner l’expérience de Paul. De fait, l’apôtre demeure juif (même s’il
reconnaît en Jésus, crucifié et ressuscité, le Messie de Dieu) et, d’autre part, lui même se prévaut,
lors de ses comparutions, de la rectitude de sa vie. Mieux vaut parler du basculement de la vie de
Paul ou de l’expérience du chemin de Damas.
Notons aussi que l’événement du chemin de Damas nous est devenu familier par des images,
des enluminures, des tableaux, des fresques, des ivoires et des émaux, etc.. Il a inspiré des écrivains 1
et même des compositeurs tel Mendelssohn qui lui consacra son oratorio Paulus.
Ces déploiements artistiques et littéraires sont certes admirables mais rien ne vaut le recours
à l’Écriture (= la Bible), d’autant plus que les Actes des Apôtres2 nous offrent trois récits de cet
événement (aux chapitres 9, 22 et 26). Il nous faut, pour les aborder, abandonner tout ce que nous
en savons déjà et laisser ces textes nous surprendre tout en osant les décortiquer.
Le fait que ces récits soient au nombre de trois est intrigant. Luc, leur auteur, n’a sûrement
pas voulu lasser ses lecteurs en leur racontant trois fois la même histoire. Une lecture synoptique
(c’est-à-dire en parallèle) permet de visualiser et de repérer différences et ressemblances entre les
trois chapitres. Voir le tableau ci-joint.
Notre étude s’attachera au chapitre 9 des Actes, ce qui ne saurait négliger la lecture des
autres chapitres.
1
À titre d’exemple, citons ces quelques vers de Victor Hugo :
Paul, saint pour l’Église,
Pour l’humanité grand,
Représente ce prodige
À la fois divin et humain,
La conversion.
Il est celui auquel
L’avenir est apparu.
Extrait de William Shakespeare (1864), Première partie, Livre II, ch. II, § X.
2
Les Actes constituent un livre du Nouveau Testament. Attribués à Luc, l’auteur du troisième évangile, ils relatent la
diffusion de l’évangile depuis Jérusalem jusqu’aux extrémités de la terre (Rome). Il est convenu de noter l’aouvrage par
l’abréviation Ac, suivie parfois du numéro du chapitre du livre, et, après une virgule des numéros de versets (=
subdivisions du chapitre en courtes phrases).
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Lire attentivement les chapitres 9, 22 et 26 du livre des Actes. Garder devant soi
le tableau comparatif.
Une lecture attentive se fait crayon en main. C’est pourquoi il convient d’imprimer
le texte qui vous est proposé [à préciser où les internautes le trouveront].
Comme toute histoire, le récit biblique comporte un début et une fin, une situation
initiale et une situation finale. Les repérer.
Bien souvent le contexte, c’est-à-dire ce qui précède et ce qui suit le récit dans le livre,
aide à cerner ces situations extrêmes.
Le corps du récit oscille entre des tensions : la situation initiale parvient à un nœud qui,
dans l’étape suivante se défait pour aboutir à la situation finale.
Résumons. Notre récit s’inscrit en 4 phases :
- situation initiale
- phase problématique
- phase de dénouement
- situation finale
Il convient encore de noter au fil de la lecture :
- les personnages qui interviennent (sans oublier Dieu lui-même !)
Y a-t-il un personnage principal qui apparaisse du début à la fin du récit ?
- les données spatiales et temporelles (les lieux et les temps du déroulement
du récit).
- les verbes à la forme active des propositions principales et les verbes à la
forme passive.
Qui en est sujet ? Qui en est objet ?
Les verbes d’action et les verbes d’état.
- Les dialogues entre les personnages.
-
Les répétitions de mots
Les champs sémantiques (= catégories de vocabulaire, les mots étant
groupés par thèmes)
À travers toutes ces données, relever les oppositions (de lieux, de temps, entre les
personnages…).
Un tableau est souvent utile pour récapituler les données recueillies au fil de la
lecture ; celles-ci sont alors sériées en fonction des 4 phases décrites précédemment.
Enfin, le lecteur s’interrogera sur ce que le récit lui a appris de Dieu : de son être, de
son faire, de son dessein…
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Le contexte :
Encadrant notre chapitre, les chapitres 8 et 10 des Actes déploient les récits de deux
conversions d’exclus du peuple d’Israël : celle de l’eunuque et celle d’un païen, appartenant au
peuple oppresseur. À cet égard, le récit du chapitre 9 ne détone pas : le Seigneur y manifeste la
même liberté de choix dans son appel à devenir disciple du Christ ressuscité. Il s’y révèle ne faisant
acception de personne, pas même de son persécuteur.
Précédant de loin notre récit, nous trouvons en Ac 7, 54 – 8, 1, la lapidation d’Etienne. Saul
(= Paul) y est mentionné pour la première fois dans les Ac, au verset 58 :
« Les témoins avaient déposé leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme appelé Saul. »
Luc interpelle le lecteur-interprète ; si Saul est ainsi distingué parmi la foule anonyme des
spectateurs hurlant, c’est qu’à sa personne va s’attacher un destin exceptionnel. Or, pour l’heure, il
se situe entre deux extrêmes et la question que se pose le lecteur est celle-ci : Saul va-t-il basculer
du côté des persécuteurs ou du côté du témoin du Christ ?
En réalité, la neutralité de Saul n’est qu’éphémère, puisque dès Ac 8, 1, dès l’expiration
d’Etienne, il a choisi son camp : « Saul, lui, était de ceux qui approuvaient ce meurtre ». Deux
versets plus loin, Saul est résolument engagé dans l’agir dévastateur des persécuteurs : « Quant à
Saul, il ravageait l’église : il pénétrait dans les maisons, en arrachait hommes et femmes et les jetait
en prison » (Ac 8, 3).
En l’espace de quelques versets, Saul a donc franchi un « no man’s land » intérieur pour
rejoindre le camp des adversaires des disciples de ce Jésus, proclamé Christ et Seigneur. Et c’est
gouverné par ce choix que nous le retrouvons en Ac 9, 1-2.
Or, au terme du récit d’Ac 9, retournement de situation : aussi bien à Damas (9, 19b-25)
qu’à Jérusalem (= retour au point de départ ; 9, 26-30), Saul est témoin du Fils de Dieu, Jésus. De
ce fait, il est objet de persécutions (Ac 9, 23-25 ; 29-30) qui échouent (vv. 25.30), grâce aux
disciples (v. 25), aux frères (v. 30), ses anciennes victimes.
De l’état de persécuteur acharné des disciples du Christ, Saul est passé à l’état de témoin du
Christ persécuté.
Le point focal de ce retournement est l’objet du récit d’Ac 9. Nous pourrons l’examiner,
connaissant désormais la tension qui l’anime.
En lisant attentivement notre récit, nous pouvons dégager les 4 phases suivantes :
-
situation initiale : Saul persécuteur des disciples du Seigneur (vv. 1-2)
phase problématique : Saul, suite à la manifestation de Jésus, devient aveugle
(vv. 3-9)
phase de dénouement : Ananie est envoyé par Jésus pour guérir Saul (vv. 10-19)
situation finale : Saul témoin de Jésus Christ (vv. 20-30)
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Les données spatiales du récit :
Le relevé des personnages du récit se fait aisément. Deux personnages apparaissent du
début jusqu’à la fin du récit : Saul et le Seigneur. Cependant, un seul des deux gouverne
l’ensemble du récit : le Seigneur Jésus. C’est pourquoi au fil du déroulement, le lecteur découvre
ce qu’il fait et surtout ce qu’il est.
Nous laissons au lecteur le soin de relever les verbes et de noter les catégories de mots.
Nous nous attacherons présentement aux données spatiales. Pour les repérer, rien de mieux
que de suivre le récit pas à pas, selon le déroulement par lequel il s’offre au lecteur.
Ne pas hésiter à tirer sur papier le texte biblique pour pouvoir l’annoter au fil de
l’étude.
Jérusalem (vv. 1-2) :
Jérusalem est tout d’abord le lieu emblématique de la fidélité de Dieu. De ce fait, on peut le
caractériser comme lieu par excellence du peuple juif. C’est pourquoi, concernant notre récit, il est
le lieu du grand prêtre et le lieu officiel de comparution.
Saul, en ce lieu est un jeune homme bouillonnant, sûr de lui, très décidé dans son entreprise,
maître d’un projet qui sent la mort ou, qui, peut-être, représente à ses yeux, la fidélité au Dieu
fidèle ; son zèle jaloux vise à soumettre chacun – quitte à l’enchaîner – à ce qu’il croit être la
« vraie » fidélité au Dieu des Pères.
Jérusalem ne suffit pas au zèle de Saul. Il veut élargir son champ d’action, agrandir l’espace
d’une mission qu’il se donne lui-même, quitte à se la faire valider par les autorités officielles. La
direction qu’il envisage est celle des synagogues – lieux de diffusion -, et plus particulièrement
celles de Damas.
La « route », pas loin de Damas (vv. 3-8a) :
Le terme n’existe pas dans le texte grec ! Pourtant Saul est bien en mouvement. Ainsi s’il ne
s’agit pas, à proprement parler d’un lieu cité par le texte, on peut y voir une condition d’état. Saul
poursuit sa route, il fait-route, lancé à corps perdu dans son projet.
Or, brusquement, il est arrêté dans son élan car sur cette route, approchant de Damas - et
nous verrons ce que cela peut signifier s’approcher de Damas -, Dieu fait irruption. L’événement
est radical, net, presque brutal : Saul est stoppé par une lumière et une voix, stoppé par Celui qui se
révèle. Or si Saul identifie bien la voix comme venant du Seigneur, cette voix est celle d’un
inconnu ; elle possède de nouveaux accents, jamais entendus par Saul (cf. la question qu’il pose :
« Qui es-tu, Seigneur ? » (v. 5)). Les yeux ouverts de Saul ne reconnaissent plus rien (v. 7). Et lui
qui avait tout prévu, tout décidé, le voilà se relevant pour l’inconnu le plus total : « entre dans la
ville, et on te dira ce que tu dois faire » (v. 6b). Saul avait un projet, il ne sait désormais plus rien de
ce qui va advenir. Il était maître, le voilà contraint de se laisser conduire par la main vers ce qu’il ne
sait pas. La révélation du Christ, Fils de Dieu (cf. 9, 20), livre Saul à la faiblesse et à la dépendance
de compagnons dont l’existence nous apparaît à ce point précis du récit. Pire, la débilité de Saul
semble totale : pendant trois jours, il va rester sans manger, sans boire, dans un état plus proche de
la prostration, image de la mort, que de l’abstinence volontaire. Toutefois si Saul est bien révélé à
lui-même (persécuteur, il est un aveugle qui méconnaît son Dieu alors qu’il croyait le servir), il
n’est pas livré à cette mort car l’injonction l’a relevé et lui a indiqué le chemin sur lequel il devra
faire confiance à ses compagnons puis à une communauté en la personne d’Ananias, relayée ensuite
par Barnabé.
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Saul qui gérait son projet et délimitait l’espace de son action est débouté par l’irruption
divine qui réorganise sa vie – et nous le verrons – lui délimite de nouveaux espaces pour y déployer
un autre projet.
Damas (v. 8b) : ses compagnons le firent entrer dans Damas
Pourquoi Saul va-t-il à Damas ? Certains se sont interrogés sur la réalité d’existence de la
communauté juive à Damas et leurs travaux sont historiquement intéressants. En outre, la mention
de Damas dans le témoignage autobiographique de Paul en Ga 1, 17, rend indubitable le fait qu’il
ait fréquenté cette ville.
Toutefois, l’interrogation ne doit pas se satisfaire de ces données historiques. Le choix de
Damas demeure intrigant d’une part parce que le nom de la ville n’apparaît pas dans les Actes – et
dans tout le NT1 – en dehors des récits relatifs à Paul, et d’autre part parce que l’existence de
disciples de la Voie à Damas n’est présentée que d’une manière hypothétique en Ac 9, 2. Pourquoi
donc Saul n’a-t-il pas choisi de se rendre en Judée ou en Samarie, lieux attestés de la dispersion
après la lapidation d’Etienne (cf. Ac 8, 1c) ?
Damas, historiquement, fut d’abord une rivale de Jérusalem, sa prospérité économique lui
offrant une prépondérance renforcée par les incursions dévastatrices des rois de Damas au IXe s. avt
JC. Damas sera ensuite annexée, avec le Royaume du Nord, par Achaz. C’est la déchéance politique
de Damas qui perd toute indépendance tandis que son influence économique perdure. Les prophètes
seront sensibles à ce renversement de situation. Et, paradoxalement, c’est dans cette situation
d’annexion que Damas va être assimilée, par eux, à une autre grande ville dominatrice : Babylone.
À son égal, Damas devient symboliquement la figure des lieux de déportation et d’exil (cf. Am 5,
27 : « je vous déporterai au-delà de Damas dit le Seigneur, Dieu des puissances, c’est son nom. »).
Le raisonnement ne semble pas être une extrapolation puisque dans notre livre des Actes, lorsque,
dans son discours, Etienne cite Am 5, 27, il renverse de nouveau l’analogie et parle de Babylone au
lieu de Damas (cf. Ac 7, 43). Il y a tout lieu de penser que Luc, le narrateur, tient à réserver la ville
de Damas à son héros Saul.
Babylone, terre d’exil est lieu de conversion et de renouveau du peuple d’Israël. Damas lui
est également assimilée par les prophètes selon cette dimension ; c’est en ce lieu que les exilés sont
rejoints par la parole du Seigneur ! (« Proclamation. La parole du Seigneur est arrivée au pays de
Hadrak [= nord de la Syrie] et à Damas elle a fait halte… » Za 9, 1)
Saul, parti en persécuteur, connaît à Damas une situation d’exil qui l’ouvre à la parole du
Seigneur ; de ce lieu, il revient transformé, témoin du Christ Jésus.
Mais, au point de notre récit, il est encore trop tôt pour l’affirmer. Damas s’offre pour Saul
comme un lieu de vacuité. Pendant trois jours – le temps d’une résurrection – il y demeure dans
l’attente de ce qui doit advenir, plus mort que vif ! Il y vit une singulière étape intermédiaire entre
« la destruction de son projet de persécution et la reconstruction de son identité. »2.
Que se passe-t-il d’autre à Damas ?
C’est en cette ville que nous voyons apparaître un nouveau personnage : Ananias qui, en Ac
22 sera succinctement mentionné pour disparaître du discours d’Ac 26. Or, en Ac 9, c’est à Ananias
– et non au protagoniste lui-même – que Dieu révèle la vocation de Saul. Cette vocation
1
2
Autres mentions de Damas dans le NT : 2 Co 11, 32 = persécution par l’ethnarque du Roi Arétas ; Ga 1, 17.
Daniel Marguerat, La première histoire du christianisme, Paris, Cerf, LD, 180, 1999, p. 285.
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s’apparente plus, dans son vocabulaire, au martyre qu’à la mission de proclamation (cf. 9, 15 :
« porter mon nom devant » ; 9, 16 : « souffrir pour mon nom »). Ananias n’en dira rien à Saul ! Sa
propre mission est autre : il s’agit de guérir Saul afin qu’il soit rempli de l’Esprit Saint (9, 12.17).
Si le personnage d’Ananias va s’estomper en Ac 22 et 26, les deux plaidoiries de Paul
accompliront néanmoins le programme de la mission paulinienne qui lui est annoncé. Ainsi, Ac 9
annonce que Saul est l’homme par qui va s’accomplir le propos du livre (cf. Ac 1, 8 = l’annonce de
l’Évangile à Jérualem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre), et le
reste des Actes va en déployer le récit.
La suite d’Ac 9 confirme elle-même cette fonction programmatique du récit des vv. 1-19.
Saul s’adresse d’abord à ses frères juifs, sans doute en langue araméenne, puis discute avec des juifs
de langue grecque, ce qui, dans les deux cas déclenche sa persécution.
La maison (vv. 10-19) : la maison de Judas (vv. 11.17)
De lieux, nous avons déjà rencontré Jérusalem, ville du judaïsme officiel, et Damas, ville de
l’exil et de la conversion. Au sein de ces villes, étaient sous-entendus le Temple ( = lieu de la
rencontre entre Dieu et son peuple), unique lieu de culte du peuple, représenté par son grand-prêtre,
et lieu bâti pour recevoir la Parole, et les synagogues de Damas, lieux de diffusion et de
proclamation de la Parole.
Or ce qu’expérimente Saul lui advient hors de ces lieux traditionnels du judaïsme. C’est tout
d’abord en chemin que le Seigneur se révèle à lui (v. 5) et c’est dans une simple maison qu’il reçoit
l’Esprit Saint qui le guérit et lui ouvre les yeux (v. 17).
Le récit opère donc une délocalisation de la vie spirituelle de Saul. L’ensemble des Actes va
confirmer cette nouveauté pour les disciples du Christ. Au chapitre 10, c’est dans sa propre maison
que le païen Corneille sera baptisé (10, 27.30). Au terme des Actes, c’est dans la maison de sa
captivité que Paul assurera la diffusion de la Parole tant aux juifs qu’aux païens (28, 16.30-31).
Mais cette délocalisation est aussi une re-localisation théologique : la Parole divine – et la
vie du croyant – ne sont plus conditionnés géographiquement. Ni à Jérusalem, ni à Rome, ni au
Temple, ni dans les synagogues, ni chez le peuple élu, pas plus que chez les païens. La Parole n’est
pas rivée à un lieu, elle est souffle, une diffusion, et son épicentre c’est le Christ. C’est dans
l’événement du Christ mort et ressuscité que s’originent le don de l’Esprit et la diffusion de la
Parole.
La maison n’emprisonne pas la Parole. Elle dévoile la liberté de Dieu, la liberté de la Parole.
Par Paul et les témoins, la parole se présente dans toute sa force, enracinée certes dans le passé
d’Israël où elle avait élu ‘domicile’, mais rejoignant également tout homme là où il se trouve, par la
puissance de l’Esprit (reçu d’ailleurs par les témoins : d’où le fait que Paul reçoive l’Esprit lors de
sa guérison).
S’il faut parler d’un lieu chrétien, il est à rechercher dans l’être humain (lieu d’inhabitation)
et dans la communauté chrétienne (assemblée qui proclame).
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Essayons de synthétiser ce que les données spatiales nous ont fait découvrir.
1) Jérusalem : lieu traditionnel de la Parole – Saul/persécuteur des disciples
2) Synagogues : lieux traditionnels de proclamation de la Parole en communauté – deviendront
lieux du refus
3) La « route » : lieu de l’intervention divine (christophanie) – Saul aveuglé/débouté de son projet
4) Damas : lieu de vacuité pour Saul – lieu où le Seigneur opère les conversions (Saul, mais aussi
Ananias = Communauté chrétienne !)
5) La « maison » : lieu de guérison (physique/spirituelle) – deviendra lieu des communautés car
lieu de diffusion de la Parole, lieu de la mission
6) Synagogues de Damas : échec de Saul (étonnement des Juifs, puis persécution : Cf. Lc 4)
7) Jérusalem : Saul/persécuté
Dressons maintenant un tableau récapitulatif :
Étape du récit
Initiale
Lieux
Jérusalem
Personnages
Événements
Saul persécuteur
Saul
Le Seigneur (cf. le lieu maître de son projet
et la personne du grand
prêtre)
Grand prêtre
=
Synagogues de Damas
Route
Saul débouté de son
Saul
Le Seigneur = Jésus projet et privé de vue
que tu persécutes
Compagnons de route
Damas
Nœud
Damas
Saul guéri
Maison
Annonce d’un nouveau
Ananie projet pour Saul
disciples
Synagogues de Damas Saul
Saul témoin du Christ
Jésus proclamé
Jésus = adhésion à un
Juifs/disciples projet qui n’est pas le
Jérusalem
Barnabé + disciples sien
Juifs hellénistes
Dénouement
Finale
Saul
Le Seigneur
Les événements du récit ont été notés dans le tableau par rapport à Saul. Si nous reprenons
nos 4 étapes en considérant le Christ Jésus, voici les données principales :
-
situation initiale : disciples du Seigneur (= adeptes de la Voie) persécutés
phase problématique : identification du Seigneur aux persécutés = « Je SUIS
Jésus que tu persécutes »
phase de dénouement : annonce par le Seigneur de la guérison et de la mission
de Saul : porter son nom
situation finale : Jésus proclamé Christ et Fils de Dieu par Saul
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Conclusion :
Les données spatiales du récit nous ont révélé un Dieu atopique dont la Parole, toujours en
mouvement, ne saurait être arrêtée par rien. La proclamation finale de Saul définit la nouveauté de
la personne de Jésus. Il est Christ (= messie) et fils de Dieu.
Cette certitude ne cessera d’habiter le cœur de Paul ; il l’annoncera sans crainte, à temps et à
contretemps tant elle se trouve ancrée dans son intimité : « je vis, mais ce n’est plus moi, c’est
Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a
aimé et s’est livré pour moi » (épître aux Galates 2, 20).
Bibliographie relative aux récits de la conversion de Paul
β ALETTI, J.N., Quand Luc raconte, Paris, Cerf, Lire la Bible, 115, 1998
β BECKER, J.C., Paul. L’apôtre des nations, Paris, Médiaspaul/Cerf, Théologies bibliques,1995
β BOSSUYT, P./RADERMAKERS, J., Témoins de la Parole de la Grâce. Actes des Apôtres, 2
vol., Bruxelles, Institut d’études théologiques, 1995
β LENTZ, J.C., Le portrait de Paul selon Luc dans les Actes des Apôtres, Paris, Cerf, Lectio
Divina, 172, 1998
β LOHFINK, G., La conversion de Paul, Paris, Cerf, Lire la Bible, 11, 1967
β MARGUERAT, D., La première histoire du christianisme. Les Actes des Apôtres, Genève/Paris,
Labor et Fides/Cerf, Lectio Divina, 180, 1999
β MURPHY-O’CONNOR, J., Paul. A Critical Life, Oxford, Clarendon Press, 1996
β O’TOOLE, R.F., Acts 26. The Christological Climax of Paul’s Defense, Rome, Biblical Institute,
AnBib, 78, 1978
Pour apprendre à lire d’autres récits de la Bible
β MOITEL, P., Des récits d’Évangile. Apprentissage d’une lecture, Paris, Cerf, Cahiers Évangile,
93, 1995
β SKA, J.L. / SONNET, J.P. / WÉNIN, A., L’analyse narrative des récits de l’Ancien Testament,
Paris, Cerf, Cahiers Évangile, 107, 1999
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