international >Le monde en question(s) à Porto Alegre
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international >> 3e Forum social mondial (FSM) à Porto Alegre (Brésil) >> 33e Forum économique mondial (WEF) à Davos (Suisse) >> du 23 au 28 janvier 2003 >Le monde en question(s) à Porto Alegre La troisième édition du Forum Social Mondial de Porto Alegre ouvre ses portes du 23 au 28 janvier. Un Forum qui diversifie ses champs d’investigation et d’intervention, face au Forum économique mondial de Davos. [article mis en ligne le 22/01/2003] Globalisation, mondialisation… hégémonie libérale ou « autre monde »… Aux mêmes dates s’opposent deux visions de monde, portées par deux forums. Du 23 au 28 janvier se déroulent conjointement le Forum Social Mondial (FSM) de Porto Alegre, au Brésil et le Forum économique mondial de Davos, en Suisse. Ce dernier, créé en 1971, réunit les dirigeants –dont le G7- porteurs et acteurs d’une « homogénéisation » du monde à l’aune libérale, selon le schéma -pour le moins binaire- des lois du marché selon lequel on ne peut être que « au dedans ou en dehors » de celui-ci. Un modèle et un principe que le Forum social mondial conteste, à l’échelle internationale, et ce depuis sa création en 2001. Et qui pointe les échecs de cette « philosophie » libérale, se soldant par une désintégration grandissante des solidarités nationales et transnationales et une augmentation criante des inégalités –voir encadré. Ce que le FSM affirme désormais haut et fort est la fausseté de l’équation « fondamentalisme des marchés = prospérité » (1). Dimension planétaire. Décliné cette année autour de cinq axes thématiques –développement démocratique et durable ; principes et valeurs, droits de l’homme, diversité et égalité ; médias, culture et contre-hégémonie ; pouvoir politique, société civile et démocratie ; ordre mondial démocratique, combat contre la militarisation et promotion de la paix-, le FSM multiplie ainsi ses champs d’intervention et épouse une décentralisation active. En effet, de nombreux forums « régionaux » sont désormais ouverts, comme celui pour la Palestine qui s’est déroulé en décembre dernier, ou celui traitant de l’Argentine qui aura prochainement lieu à Bélem, au Brésil. Le FSM se fixe comme objectif de mettre en évidence ces axes de travail, afin de « faire en sorte que les différents acteurs de la société civile leur confèrent une dimension planétaire dans la lutte contre la mondialisation néo-libérale ». Chaque axe thématique donne lieu à une série de tables rondes : au sein de premier thème sera abordé la thématique « Au-delà de Johannesburg : propriété, contrôle et gestion de la biodiversité de l’eau et de l’énergie » à laquelle participera l’association française Droit à l’énergie – SOS Futur. Le Brésil sous le regard du monde. Ancré à Porto Alegre depuis sa création, le Forum social mondial s’ouvre dans un contexte latino-américain en plein bouleversement, et tout particulièrement pour le Brésil. Le pays, pour la première fois de son histoire, est désormais gouverné par un leader issu d’une gauche radicale qui rejette la mondialisation libérale. Luiz Inacio « Lula » da Silva, ancien dirigeant syndical et chef du Parti des travailleurs, a été élu en octobre 2002 à la tête d’un pays qui, dixième puissance industrielle mondiale, traverse une grave crise économique et sociale. Sous le prisme des médias et de l’opinion publique mondiale à l’occasion du Forum de Porto Alegre, le Brésil fait pendant à la richesse du vieux continent qui s’affiche à Davos, comme le symbole d’une fracture planétaire… Le nouveau gouvernement brésilien va donner le coup d’envoi –début février- à une vaste campagne de lutte contre la pauvreté, un tiers de 170 millions de Brésiliens vivant actuellement dans la misère. Son programme « Faim zéro » est très attendu au sein d’une population dont 1% détient à lui seul 53% des richesses nationales… Un plan qui fait d’ores et déjà l’objet de polémiques et de débats, la dotation budgétaire de celui-ci (l’équivalent de 500 millions d’euros) paraissant dérisoire au regard des nécessités, et le gouvernement brésilien s’étant par ailleurs engagé à respecter les critères de rigueur budgétaire édictés par le Fonds monétaire international (FMI)… (1) Propos de Candido Grzybowski, sociologue, un des fondateurs du FSM de Porto Alegre / in Libération, 20-01-2003. Un monde inégalitaire… -Parmi les 815 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde, 24.000 d’entre elles en meurent tous les jours, soit une toutes les quatre secondes… -Un Américain consomme quotidiennement en moyenne 3600 calories, soit 67% de plus qu’un Africain… -Quatre multinationales se partagent 90% du commerce mondial des céréales… -1,5 milliards d’individus n’ont pas accès à l’eau potable… ils seront 5 milliards en 2025. -12 millions d’enfants meurent chaque année avant d’avoir cinq ans : 70% d’entre eux succombent aux diarrhées, paludisme, infections respiratoires, rougeole ou malnutrition… -La quasi totalité des 30 millions de malades du sida en Afrique n’ont toujours pas accès à une trithérapie… -Si l’espérance de vie est de 78 ans au Japon ou en Suède, elle n’est que de 43 ans en Ouganda et 39 ans au Bostwana… >Porto Alegre : « Un autre monde est possible » 150.000 personnes ont défilé jeudi 23 janvier à Porto Alegre, en ouverture du Forum social mondial. [article mis en ligne le 24/01/2003] La 3e édition du Forum Social Mondial (FSM) s’est ouverte hier jeudi par un défilé de 150.000 personnes dans les rues de Porto Alegre (Brésil). Une affluence record –on comptait 60.000 participants en 2002-, marquée par une forte mobilisation face à l’éventualité d’une guerre en Irak. Une crainte qui rejoint le mot d’ordre de ce Forum, « Un autre monde est possible », qui se fait la chambre d’écho internationale en faveur du partage des fruits de la croissance et d’une vaste réhabilitation du politique. Venues de 157 pays, 100.000 personnes devraient prendre part aux débats et aux ateliers du forum qui s’affiche comme le « contre-sommet » de la finance et de « l’économisme » incarné par le Forum économique mondial de Davos (WEF), en Suisse, qui se tient aux mêmes dates. Inquiétude, incertitudes… A Davos, où le thème affiché de ce 33e Forum est « Bâtir la confiance » et où sont réunis 2350 représentants de l’élite du monde des affaires, l’ouverture des débats s’est faite dans un climat d’inquiétude et d’incertitudes. Le conflit armé qui se profile en Irak fait peser de lourdes craintes sur le gratin des décideurs, craintes renforcées par une conjoncture économique pour le moins incertaine et fragile. L’économie américaine elle-même ne semble pas pouvoir faire figure de locomotive mondiale, la croissante attendue outreAtlantique devant être de l’ordre de 4 à 5%, alors qu’elle n’affiche qu’un maigre 2,8%… Un sondage, réalisé par le WEF, a par ailleurs été rendu public par un groupe d’ONG tenant une réunion parallèle, sondage qui fait état d’une érosion sensible de la confiance dans le capitalisme. >« Regarder le monde avec d’autres yeux » Depuis Porto Alegre puis Davos, le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a engagé les pays industrialisés « à entendre la voix des milliards de personnes qui vivent en marge » du développement. [article mis en ligne le 27/01/2003] Vendredi 24 janvier, devant des dizaines de milliers de personnes réunies à l’occasion du 3e Forum Social Mondial (FSM), Luiz Inacio « Lula » da Silva, le nouveau président brésilien, a assuré qu’il n’abandonnerait pas « les idéaux qui l’ont fait accéder à la tête de ce pays ». C’est dans une atmosphère de liesse que le FSM, grand rassemblement de « l’alter-mondialisation », a accueilli l’ex leader syndical, symbole d’espoir pour nombre de déshérités, d’Amérique Latine et d’ailleurs. Au-delà de cet espoir, « Lula » et son gouvernement ont à faire face à une situation préoccupante, et se sont engagés à mettre en œuvre, dans les quatre prochaines années, les changements nécessaires pour améliorer sensiblement le quotidien de millions de brésiliens. L’énergie en question. Des changements et une volonté de faire reculer la pauvreté qui passent par une prise en compte de tous les aspects de cette dernière, et notamment la question énergétique. L’association Droit à l’énergie – SOS Futur a ainsi apporté sa contribution à une conférence sur le sujet, organisée samedi 25 janvier dans le cadre du FSM, et à laquelle participait Dilma Rousses, ministre brésilienne de l’énergie. En présence de représentants de salariés et d’ingénieurs, d’entreprises énergétiques et de spécialistes de ces questions, le thème « L’énergie, vecteur de développement » a ainsi été largement débattu, la ministre concluant pour sa part que « la lutte contre la pauvreté nécessitait la mise en place rapide de dispositions concrètes concernant l’accès à l’électricité ». Des questions énergétiques qui ont été aussi abordées au Forum économique mondial de Davos (WEF), au travers de l’actuelle flambée des cours du pétrole (voir encadré). Un forum marqué par les incertitudes et la crainte d’un conflit en Irak, crainte justifiée si l’on en croit l’intervention, dimanche 26, du secrétaire d’Etat américain Colin Powell. Depuis la tribune de Davos, celui-ci a en effet averti que Washington était prêt à se lancer à l’assaut de Bagdad. Egratignant au passage la position franco-allemande –pour qui seules les Nations-Unies peuvent décider ou non d’une intervention militaire-, il a affirmé que les Etats-Unis se tiennent « prêts à agir même si d’autres ne sont pas disposés à nous rejoindre ». Un fonds international contre la pauvreté. C’est depuis cette même tribune de Davos que le président « Lula », invité par le WEF et succédant à Colin Powell, s’est quant à lui fait le chantre d’une négociation « sous l’égide de l’ONU », rappelant par ailleurs les responsables économiques et politiques rassemblés à leurs responsabilités envers les pauvres et les déshérités. « Je vous invite tous sur cette montagne magique à regarder le monde avec d’autres yeux » (1) a-t-il ainsi déclaré, engageant les pays industrialisés à créer un fonds international pour combattre « la misère, la faim et la pauvreté dans les pays du Tiers monde ». (1) en référence au roman de Thomas Mann, La Montagne Magique, dont l’action se déroule sur les hauteurs de Davos. Pétrole et Irak L’éventualité d’un conflit en Irak, avec toutes les conséquences géo-politiques et économiques qui y sont liées, a été un des « points chauds » des discussions de Davos. Nombre de débats se sont tenus le week-end dernier sur la corrélation entre le pétrole et ce conflit, les effets de cette crise sur les cours actuels du brut ou bien encore la stratégie occidentale susceptible d’apaiser les relations avec le monde musulman. >Porto Alegre et Davos ont fermé leurs portes Espoir et « rêves » au Brésil… incertitudes et morosité à Davos… les deux forums mondiaux se sont achevés mardi 28 janvier. [article mis en ligne le 29/01/2003] Morosité… De l’avis des observateurs, le thème de la restauration de la confiance dans l’économie libérale qui prévalait à Davos (Suisse) pour le 33e Forum économique mondial (WEF) n’aura pas suscité l’enthousiasme escompté auprès des quelque 2000 participants. Peu de certitudes se sont fait jour durant ce Forum, sur lequel planait l’inconnue irakienne… Une confiance pour le moins ébranlée à la suite des nombreux scandales de ces derniers mois, comme celui d’Enron : si certains dirigeants ont défendu une certaine vision de l’éthique d’entreprise, il n’en reste pas moins que la plupart des décideurs estiment qu’il n’y aura pas de « remède miracle ». La loi américaine Sarbanes-Oxley Act, adoptée à la suite du scandale Enron et qui prévoit de contraindre les dirigeants d’entreprise à certifier les comptes et de quadrupler les sanctions pénales en cas de fraude, n’emporte pas l’adhésion, certains minimisant même l’importance du problème… C’est donc l’incertitude qui semblait être le sentiment général de Davos, chacun évaluant à sa manière les risques et les conséquences d’un conflit en Irak : « nous avons fait du monde un beau gâchis », constatait avec amertume le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamad (1). Ferveur du « non »… A l’opposé, de l’autre côté de l’Atlantique, s’achevait le Forum Social Mondial (FSM) de Porto Alegre, grande réunion des « altermondialistes ». Lundi 27 janvier, veille de la clôture officielle du FSM, une manifestation réunissait 30.000 participants dans les rues de Porto Alegre. Un défilé contre la guerre en Irak et contre la création de la Zone de libre échange des Amériques (ALCA, ZLEA en français), zone qui couvrirait un territoire allant de l’Alaska à la Terre de Feu, les manifestants ne voyant là qu’un levier permettant aux grandes firmes de contourner les lois sociales et environnementales. Quant au conflit irakien, Norma Henriquez, de l’Assemblée de la société civile pour la paix en Colombie, le qualifiait en ces termes : « La guerre n’est pas seulement militaire, elle se traduit aussi par le pillage de nos ressources qui permet aux puissants de maintenir de nombreux pays dans la misère » (1). Un « non » retentissant et un Forum qui aura rassemblé, selon les organisateurs, 100.000 personnes, soit près du double de l’édition précédente : « nous sommes en train de créer un nouveau climat social et politique dans le monde » (2) a déclaré Candido Grzybowski, un des organisateurs du FSM qui, en 2004, se déroulera en Inde. (1) Cités par l’AFP (2) Cité par Reuters Dossier réalisé par Christian Valléry