critiques de livres - Revue militaire canadienne

Transcription

critiques de livres - Revue militaire canadienne
CRITIQUES DE LIVRES
Le livre comporte des notes et des appendices
détaillés qui seront utiles aux chercheurs désireux
d’approfondir la question du meurtre d’autres aviateurs
canadiens. Cependant, l’expérience de Peter Hessel
montre qu’il serait très difficile pour un non-Allemand
de retracer les événements ou d’identifier les gens et
qu’une telle enquête coûte cher en temps et en argent.
Quoi qu’il en soit, The Mystery of Frankenberg’s
Canadian Airman se lit fort bien et est un ajout
appréciable à toute bibliothèque. Cet ouvrage n’est
certes pas un compte rendu majeur de la campagne de
bombardement allié, mais il offre un récit hautement
personnalisé au sujet d’une enquête sur un crime de
guerre. Si l’on songe comment il a été assez facile à une
personne déterminée de résoudre ce mystère plus de
A PERFECT HELL: THE
FORGOTTEN STORY OF
THE CANADIAN COMMANDOS
OF THE SECOND WORLD WAR
par John Nadler
Doubleday Canada, Toronto, 2005
402 pages, 34,95 $, couverture rigide
Compte rendu du colonel Bernd Horn
P
our ceux qui l’ont vécue, la
expérience très personnelle.
une aventure, et elle n’a rien
Elle est brutale, impitoyable,
change une vie. Pourtant, les
ouvrages sur l’histoire des régiments
ne reflètent pas tous cette réalité. Souvent,
ils présentent des dates, des événements
et surtout des réalisations importantes.
Ils s’intéressent aussi aux commandants
dont les décisions ont eu un effet
notable, en particulier lorsque les
opérations ont connu un succès ou
un échec retentissant. Il est rare qu’ils
racontent ce qui a été essentiel pour
les soldats et, encore moins, pour leurs
proches. A Perfect Hell fait exception.
guerre est une
Ce n’est pas
de romanesque.
violente et elle
Dans cet ouvrage, John Nadler,
correspondant des journaux de CanWest et
chroniqueur de Variety et de beaucoup
d’autres revues grand public, déploie
ses talents de journaliste et de narrateur.
Cela donne une histoire enlevée, très
personnalisée et dramatique où il est
question du 1 er détachement du service spécial. Cette
unité d’opérations spéciales très particulière, composée
d’Américains et de Canadiens, a acquis une réputation
d’audace et de courage pendant la Seconde Guerre mondiale.
Printemps 2006
●
Revue militaire canadienne
60 ans après le déroulement des événements, le lecteur
devrait peut-être se demander pourquoi il est si difficile
de traduire certains criminels de guerre en justice.
Enfin, j’aimerais terminer avec cette réflexion : alors
que ceux qui ont participé à la guerre ne tiennent pas
vraiment à aviver les plaies du passé, ceux qui étaient
tout jeunes pendant la guerre cherchent, quant à eux, à
y voir clair. Le besoin humain de chercher la vérité
et la réconciliation est une force puissante que le temps
ne réussit pas à éroder.
Le lieutenant-colonel Rory G. Kilburn, officier supérieur d’état-major,
est responsable du perfectionnement professionnel des militaires
du rang à l’Académie canadienne de la Défense.
Les premières pages donnent très vite le ton et même
la thèse de l’auteur. Celui-ci explique que cette unité
était particulière, inimitable et extrêmement efficace,
malgré le coût élevé de cette efficacité. Son taux
de pertes durant sa première année de combat a été de
1 contre 25 : pour chaque soldat qu’elle perdait, l’ennemi
en perdait 25. Le taux de prisonniers était de 1 contre 235.
La première bataille de cette unité, qui s’est déroulée
le 3 décembre 1945 sur le sommet déchiqueté de la
Difensa, a fait d’elle une force légendaire et a révélé
sa ténacité et son courage. Les Allemands, qui défendaient
cette position, avaient repoussé à maintes reprises
les attaques de la 5 e armée des États-Unis et l’avance
des Alliés. Pourtant, le 1er détachement du service spécial
s’est emparé de cette position dès
sa première tentative, grâce à une attaque
audacieuse. Plus tard, sur les plages
ensanglantées d’Anzio, il a défendu
pendant 100 jours 13 kilomètres de
front, mission qui aurait normalement
dû être confiée à une division dix fois
plus nombreuse. Durant ce temps, il a
acquis une réputation d’agressivité et de
férocité qui terrifiait l’ennemi et qui a valu
à ses membres le surnom de « diables
noirs ». Il n’a pas cessé de faire preuve
de bravoure et de courage, mais ses
prouesses lui ont coûté cher. Au cours de
sa première bataille, il a enregistré
un taux de pertes de 30 %; après les
six premières semaines au front, ce taux
s’élevait à 60 %.
Ces données ne sont pas nouvelles.
Beaucoup de livres ont été écrits sur
cette unité. Ce qui distingue celui-ci, c’est son style
épuré et rapide. Il se lit davantage comme un roman
d’action que comme l’histoire d’un régiment, car Nadler
a choisi de raconter l’histoire de la formation d’une façon
85
CRITIQUES DE LIVRES
très personnalisée, en se concentrant non seulement
sur un groupe de personnages clés mais aussi sur
leurs proches. C’est de cette façon que l’auteur trace
l’histoire légendaire de l’unité, allant de la sélection
des membres et de leur entraînement, à l’été 1942,
jusqu’au démantèlement de l’unité à Menton, en
décembre 1944, en passant par leurs campagnes
féroces en Italie et en France. Il présente une longue
conclusion dans le cadre d’un chapitre sur le retour
des soldats au pays et d’un épilogue qui clôt beaucoup
d’histoires personnelles.
Nadler crée du suspense en reliant une série
d’événements et en retardant parfois la conclusion
d’épisodes fondamentaux jusqu’au dénouement de
l’histoire centrale. Le résultat est un livre qui relate
des expériences personnelles et qui donne vie à l’existence
brève mais féconde du 1er détachement du service spécial.
L’ouvrage porte, comme l’indique son titre, sur des
personnes et non sur une formation anonyme. L’auteur
fait ressortir la souffrance, le stoïcisme et la camaraderie
des soldats qui affrontent ensemble l’horreur de la
guerre. Il met aussi en évidence l’importance des liens
entre ces soldats et leurs proches, qui, même s’ils
vivaient loin du champ de bataille, partageaient les
souffrances de la guerre.
Bien que Nadler atteigne son objectif, son livre
comporte quelques lacunes que remarqueront les férus
d’histoire. Les lecteurs qui espéraient y trouver des
notes détaillées seront déçus. Selon toute vraisemblance,
l’auteur s’est surtout appuyé sur des sources secondaires
pour les données contextuelles et sur des entretiens,
des mémoires et des manuscrits non publiés pour les
expériences personnelles. Il fait parfois référence au
bureau des archives publiques du Royaume-Uni ainsi
qu’à Bibliothèque et Archives Canada. Cependant,
les références modestes et l’absence de détails sur les
complications administratives et politiques rencontrées
lors de la création et du maintien du 1er détachement du
service spécial indiquent qu’il n’y a pas eu suffisamment
de recherche primaire dans ce domaine. Il faut toutefois
reconnaître que, apparemment, tel n’était pas le propos
de l’auteur et que cette étude est juste et assez complète.
En définitive, Nadler raconte avec brio l’histoire qu’il
voulait raconter.
86
Le sous-titre, « L’histoire oubliée des commandos
canadiens de la Seconde Guerre mondiale », est aussi
contestable, car il est trompeur et inexact. D’abord,
il s’agissait d’une unité composée d’Américains et
de Canadiens, et l’auteur raconte l’histoire de cette
unité et non uniquement celle des Canadiens qui
en faisaient partie. Ensuite, il ne mentionne pas les
autres commandos canadiens, la Viking Force et
les commandos de plage de la Marine royale du
Canada. Enfin, dire que le 1 er détachement du service
spécial est « oublié » est discutable. Si l’on considère
seulement les dernières années, son histoire a été le
thème central d’au moins trois livres publiés ou
réimprimés, et la chaîne History a réalisé et diffusé
un documentaire d’une heure à son sujet.
Hormis ces critiques mineures, la bibliographie
est très riche et comprend tous les meilleurs livres
sur le sujet. De plus, Nadler a abondamment utilisé les
documents du major général Robert T. Frederick et
les témoignages de militaires ayant servi au sein du
1 er détachement du service spécial. L’index est complet
et précis, et les cartes, bien qu’elles ne soient pas
extrêmement détaillées, fournissent assez de renseignements
pour que le lecteur situe les événements dans leur
contexte géographique et tactique. Enfin, les 16 pages
de photographies en noir et blanc permettent d’associer
des noms à des visages et de mieux se représenter les
hommes, l’équipement et les champs de bataille que
décrit le texte.
En somme, cet ouvrage se lit très facilement; il
est enlevé et bien écrit et il présente une dimension
très personnalisée de l’histoire du 1 er détachement du
service spécial. C’est un livre incontournable pour
les mordus d’histoire ainsi que pour ceux qui s’intéressent
aux forces armées en général et à l’étude de la guerre,
surtout à la dimension humaine. Je le recommande aussi
fortement aux militaires, car il fournit de précieuses
leçons sur le leadership et sur le comportement des
soldats au combat.
Bernd Horn, officier d’infanterie, est actuellement directeur de
l’Institut de leadership des Forces canadiennes à l’Académie canadienne
de la Défense, à Kingston.
Revue militaire canadienne
●
Printemps 2006